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Pour une narratologie de Chopin Eero Tarasti; Jean-Yves Pare International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, Vol. 15, No. 1. (Jun. 1984), pp. 53-75. Stable URL: bitp/links jstor.org/si jici=0351-5796%28198406%2915%3A193C53%3APUNDC%3E2.0.CO%3B2-D Intemational Review of the Aesthetics and Sociology of Music is currently published by Croatian Musicological Society ‘Your use of the ISTOR archive indicates your acceptance of JSTOR’s Terms and Conditions of Use, available at butp:/\vww jstor.orglabout/terms.html. ISTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. lease contaet the publisher regarding hp: www jstor-org/journalseroat. html 1 further use of this work. 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Du reste, dans les études consacrées A sa production, on est rarement allé au dela de cette évidence, sans accorder plus de signification la liberté des structures de la forme et au contenu de l'expression des sentiments. Crest seulement plus tard que la recherche sur Chopin s'est efforcée de retracer, derriére sa véritable personnalité, les traits romantique, passion- nel et réveur du compositeur. D’autant plus que certains musicologues ont remarqué que Ie paradigme de sa composition reste, en fait, établi sur des principes de construction rigides. De toute facon, Chopin se situe au centre méme de la culture littéraro-musicale du romantisme, @ un moment od l'on était porté a percevoir le contenu narratif de Vocuvre musicale comme le niveau essentiel de sa signification. Sa musique a suscité un nombre considérable de »programmes« et de commentaires littéraires. Il existe, vrai dire, toute une tradition littéraire du commen- taire de Chopin, qui va de Liszt A Praybyszewski et Gide, bien que sa musique ait rarement été, sinon jamais, expressément inspirée par une oeuvre littéraire. Chez Liszt, au contraire, la relation entre musique et littérature est manifeste: son point de départ était souvent littéraire — en particulier dans les poémes symphoniques. Mais tout se passe comme si la mission de la littérature y était achevée, pouisqu’ll n'existe que peu de commentaires littéraires de ses oeuvres, en comparaison avec ceux de Chopin. Nous allons étudier une oeuvre significative de la période tardive de Chopin, la Polonaise-Fantaisie op. 61, et tout particuliérement son contenu narratif, essentiellement du point de vue de la structure. Notre intention n'est pas de présenter quelque autre commentaire littéraire, »I'histoire« 54 1 TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 18 «0, 1, 8175, que cette composition »raconterait~, mais de réfléchir sur les facteurs qui dans la structure méme de la musique rendent possibles les contenus. psychologiques conerets qui y sont liés, une certaine ~intrigue-. Nous étudierons done la sémantique structurale, autrement dit les structures sur lesquelles sont fondées les différentes interprétations narratives. Ces structures sémantiques ne doivent pas nécessairement, a notre avis, correspondre & celles mises au jour par la morphologie classique — leur erreur étant a mon sens qu’elles ne prennent pas assez en considé- ration V'aspect énergétique, dynamique, lié au temps, de 'oeuvre, sa ten- sion intérieure, autrement dit son élément de vouloir.! La segmentation de Vocuvre, a partir de la forme traditionnelle de la sonate, n’offre pas non plus grand sens, du fait qu’a Varrigre-plan des oeuvres tardives de Chopin on ne trouve pas le prototype simple et univoque de la musique classico-romantique, mais un hybride de plusieurs formes musicales de Yépoque de Chopin, comme I'a montré Zofia Lissa, Polonaise qui fait autorité dans l'exégése de Chopin? Pour s’en convainere il suffit de par- courir les analyses morphologiques de Gerald Abraham et de Hugo Leich- tentritt. Selon Abraham,dans T'oeuvre il y aurait au moins cing themes différents dont trois ne se répétent jamais; selon lui, "image globale de Poeuvre se forme de la fagon suivante:* Introduction: 28 mesures, fondées principalement sur A, ait- férents tons A: 42 mesures; la—bémol majeur B: 26 mesures; la—bémol majeur, mais modulant ‘A: 24 mesures; la—bémol majeur 32 mesures; si—bémol majeur, mais modulant D: 33 mesures; sibémol majeur, ete. E: 34 mesures; en sol diése mineur et si majeur — 2 mesures comme dans l'introduction — 10 mesures finales évoquant E Transition: 16 mesures A: 12 mesures; la—bémol majeur D: 35 mesures; la—bémol majeur La supposition implicite d’Abraham est que la forme de la Polonaise- Fantaisie est d'une certaine facon problématique (comparée par exemple & une autre grande oeuvre de la période tardive de Chopin, la Ballade en fa mineur): »The Polonaise-Fantaisie is admittedly a harder nut to { Emst KURTH, entre autres, # Zofia LISSA dans son article sur Chopin dans The Book of the First Inter- national, Musicological Congress Devoted to the Works of Frederick Chopin, ed. Zotla Lissa, Warsaw, PWN 1963. ABRAHAM, foo, p. 110 B. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (880, 1, 51=75 55 cracks, et, par contre, »yet the sequence and contrast of musical events are perfectly satisfying and the whole piece rests solidly on its tonal pillars of a flat. I n’analyse pas cependant plus avant les raisons pour lesquelles es contradictions et séries d’évenements musicaux sont »parfaitement sa tisfaisantes”, clest-a-dire sur quels facteurs repose la cohérence de Toeuv- re. La seule constatation de la dominance du la—bemol majeur n'apporte pas de réponse satisfaisante. D'un point de vue psychologique il y a une différence entre le la—bémol majeur de la phase A au début et le la— —bémol majeur de reprise de la phase A a la fin, ainsi que les reprises de D, et cette différence,® véritablement textuelle n’apparait en rien dans Yanalyse. Lranalyse de Hugo Leichtentritt n'est guére plus éclairante a ce sujet:* 1. Mesures 1— 24 Introduction. Librement modulant, 24— 26 Développement du théme a (la—bémol majeur avec de nombreuses exceptions) 66— 72 Présentation du théme b (la—bémol majeur) L 72— 93 ~Durchfdhrung- du théme b (fa mineur, mi majeur, fa—diése mineur, sol diése mineur, la majeur) 93-115 »Durchfihrung«'du théme a (mi—bémol majeur, ré—bémol majeur) 116-153 Théme c en »Durchfiihrung« libre (si—bémol maje- ur, si mineur, si majeur) 153-181 Théme d (si majeur, ré—diése majeur) 182—213 Thame c (sol—diése mineur, si majeur) ML. 214—216 Introduction abrégée 216—226 Théme c abrégé 226—242 Transition a figures libres pour passer dans le ton dominant la—bémol majeur 242254 Répétition du théme a comme climax (la—bémol majeur) 254—268 Répétition du théme d (la—bémol majeur) Coda ‘268-288 Basé sur la figure d'accompagnement du théme d. Leichtentritt veut voir dans l'oeuvre une forme en trois parties, rap- pelant Ia sonate, et considére comme les plus importantes de l'oeuvre les isotopies suivantes: harmonique, pianistique, sonorité. En fait, il con- fronte oeuvre aux critéres de sa propre tradition: la culture allemande. Ainsi son analyse ne tient aucun compte des autres isotopies, du travail des motifs, et n’apporte aucune explication au choix que fait le compositeur de certaines fonctions harmoniques ni a l'ordre dans lequel il les dispose. «ria. 5 Le terme ‘dittérence’ au sens de Jacques Derrida. “ CEICHTENTRITT: 1021, 56 1B, TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASH 15 «M0, 1, 8-75, Si, par contre, on considére la Polonaise-Fantaisie de Chopin du point, de vue de la catégorie thymique,’ le paradigme de expression émotive de Chopin présentée par Franz Liszt, une sorte de paradigme thymique, forme une taxonomie quasi exhaustive, mais n'explique pas non plus pour- quoi dans oeuvre on passe d'un état émotif, la passion, a un autre; autrement dit quel est le facteur qui les lie en cette série d’émotions, cohérente et »sans coutures~, par laquelle l'auditeur peut passer. Combien illest difficile de se former une image globale, Liszt le reconnait Iui-méme: »Coquetteries, vanités, fantaisies, inclinations, élégies, passions et ébauches de sentiments, conquétes, dont peut dépendre le salut ou la grace d'un autre, tout s'y' rencontre. Mais combien il est malaisé de se faire une idée complate des infinis degrés sur lesquels la passion s'arréte ...~* Pour Liszt cette oeuvre présente un cas pathologique qui»... fait arriver esprit & un diapason d'irritabilité avoisinant le délire=" Ce bref commentaire ne peut étre considéré que comme une approche thymique trés vague du véritable contenu événementiel, de la dynamique des effets de sens qu'il éveille. ‘Dans ce qui suit nous allons essayer d’appréhender 1a Polonaise-Fan- taisie d'un point de vue qui prend en considération, en premier lieu, ce qui manquait justement aux analyses structurale et thymique précédentes, Cest-a-dire que nous allons tenter de passer de la taxonomie & la descrip- tion syntagmatique. Ce qui, au regard de la musique, est une phase es- sentielle, ne serait-ce qu’a' cause de la nature discursive spécifique de celle-ci, Au niveau de la narration musicale Voeuvre peut étre divisée en une série de programmes narratifs successifs qui ménent l'auditeur, guidé par des programmes narratifs superficiels ou profonds, vers la solution finale, Solution? Pour parler de solution il faut un probléme, un manque. ou quelque chose d’équivalent qu'il faut résoudre, c'est-a-dire que nous devons supposer, a la maniére de Lévi-Strauss, que oeuvre musicale cons- titue toujours — de méme que le mythe — le modéle solutionel ~logique- et symbolique d'un probléme.!* La question, la négation doivent, en quel- que sorte, amener une réponse, une affirmation. En ce sens il semblerait naturel de supposer que vaut, en musique également, le carré sémiotique de Greimas avec ses termes opposés et contradictoires qui serait done la base paradigmatique de la progression syntagmatique de la musique. Dans ce cas, nous serions particuliérement intéressés de savoir dans quel ordre les termes du carré sémiotique émergent dans le cours de T'oeuvre musi- cale car cest justement cet ordre qui décélerait le type d’intrigue de 'oeu- vre, Quelle est Vorientation et la dynamique de la structuration séman- tique de Toeuvre? Avance-t-on de SI en S2 et puis en non-S2 et de nouveau en non-S1? Ou bien commence-t-on par non-S2 et seulement & la fin arrive-t-on au terme positif de S1? Si l'on considére la composition 1 Volr ta définition de 1a notion ‘thymique’ dans GREIMAS: 1979 § Liszt: 1963, p. 4. * bid, p. 31 w LEVI-STRAUSS: 1971, p. 588-500. E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 16 (66), 1, S25 37 comme une unité épistémique, on peut penser qu'elle inclut les quatre catégories épistémiques musicales et que on avance depuis le secret fou le mensonge jusqu’a la vérité en passant par la fausseté. D'ail- leurs, quelle est la dynamique de cette progression? est-ce que la tension est hésitante, avortante, freinante, accélérante, commencante, concluante etc.? Nous essaierons toutes ces idées a I'endroit de la Polonaise-Fantaisie. Nous segmenterons l'oeuvre en programmes narratifs clairement distingu- ables que nous marquerons d’un chiffre et que nous décrirons en termes verbaux. PN 1: s’enfoncerinse relever« (mesures 1—8) La distanciation par rapport au monde original symbolisé par les intonations" populaires de polonaises et mazurkas, distanciation typique de la Polonaise-Fantaisie, apparait déja dans les accords de la premiere mesure de l'ceuvre: & cdté de laquelle on pourrait placer le début de la Polonaise en la majeur { l Cette simple comparaison dévoile clairement quill ne s'agit pas d'une simple polonaise, mais d'une polonaise-fantaisie, Il s'agit d'une sorte de négation des intonations originales de polonaise qui fait que Pauditeur attend Vaffirmation de ces éléments. La négation se fait en remplacant les sémes du lexéme, du motif principal de la polonaise en la majeur (et en partie également de la polonaise en la—bémol majeur op. 53) par des ‘s8mes qui leur sont contraires, mais cependant pas tous, afin que l'auditeur puisse encore comprendrre la connexion avec le lexéme original. Autrement i ne pourrait pas le saisir comme négation du précédent, comme son éloi- ft * La notion de P'intonation au sens de Boris Asafiev. 58. 1B. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 18 a0, 1, 5:15 gnement (Ici la logique musicale de Chopin suit les mémes principes que ceux présentés par Hegel dans sa ~Science de la logique- — Wissenschaft der Logik — a savoir ses principes, de «naissance immanente des dif- ferences~ et des »connexions nécessaires-).!* ‘Les traits ou sémes différents sont: 1) inversion du rythme pointé, 2) passage du la-majeur au la—bémol majeur, bémolisation qui signifie tou- jours une sorte d'assombrissement (exemple classique étant le motif du ‘évell de la Brinnhilde de Wagner et sa version assombrie au début de Youverture de Gétterdimmerung), 3) les accords successifs ne sont pas des inversions du méme accord tonique, mais en relation de tieree, ce qui accentue l'effet étrange. Le fait que nous puissions en général faire une telle comparaison avec un lexéme qui se trouve hors de l’oeuvre est justifié par le concept de répertoire d’intonations que nous avons présenté dans la partie préeédente: la polonaise en la majeur est probablement la polonaise la plus jouée de Chopin et forme un point de comparaison naturel. Ces accords d’entrée sont suivis par un accord d’arpége écrit en petites notes, et qui s'étend sur tout le clavier de la basse & l’aigu — Chopin avait déja utilisé une idée correspondante dans Yentrée de sa Ballade en sol ‘mineur, mais ici il s'agit d'une sorte de phénoméne transcendantal. Si, comme Leichtentritt, on 'analyse en un accord arpege de tonique en do— —bémol majeur avec ré—bémol et fa—bémol comme notes secondaires, la signification particuliére de ce phénoméne acoustique dans le champ energétique de l'ensemble de l'ocuvre n'est pas atteinte. Si nous avons considéré la paire daccords précédente comme une sorte de négation de Ja modalité positive du vouloir de la polonaise de référence, laquelle laisse Yauditeur attendre l'apparition de V'articulation positive, est-ce qu'on res- sent la »montée~ de cet arpége comme Paffirmation de lenfoncement (ou, a vrai dire, de I'effondrement) tonique du début? Probablement non, cet arpége représente plutét une -montée« dans un sens particuligrement detache du temps et de la tension nécessitée (on pourrait méme le prendre pour une sorte de reproduction acoustique de la série de Pharmonique un peu comme dans le eélébre arpége en fa majeur a la fin du 23° prélude, Gans lequel s'entrevoit un mi—bemol indissoluble). Du point de vue du cearré sémiotique” il s'agirait plutét de apparition d'un terme contradic- toire: sy 52 “ory tu ut: sf & HEGEL: 1974, p. 31, 1 Voir ‘carré sémlotique’ dans GREIMAS: 1. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASAL 15 (146) 1, S375 59 Autrement dit l'auditeur reste dans V'attente de apparition du terme positif de S1 et du terme négatif de $2 (d'une certaine fagon la négation de la négation), Ainsi Varpége ne peut étre pris pour le terme S1 et n’est que $1, la négation de ce terme qui ne s'est pas encore manifesté dans Poeuvre. La mesure 2 répéte la position de la premiére mesure mais un ton entier plus bas. Cette impression »d’enfoncement« est encore renforcée dans les mesures suivantes 3—6, dans lesquelles le mouvement. vers le bbas continue, On y assemble les sé mes des accords de l'arpége et du début — en changeant cependant quelques-uns en leurs contraires: le rythme pointé inversé du début se change en son contraire au début et & la fin des mesures 4 et 5. Un motif du ton secondaire de l'arpége fait une courte apparition dans la basse: ce court passage est de nature redondante, un renforcement, Le balancement entre le majeur et le minur (mi—bémol ma- jeur, mi-bémol mineur) de la mesure 6 peut étre décrit pour ce qui est de son sens par le commentaire de Liszt: » ... Yon pourrait dire aussi, qu’elles (es expressions) font vibrer dans 'esprit le son correspondant d'une tierce, qui module immédiatement la pensée en un accord majeur ou mineur.~! Ensuite les mesures 1 et 2 sont reprises, mais on change leur isotopie dynamique en son antithése, de forte a pianissimo. Crest ici en fait que se termine le PN1 et son contenu essentiel peut étre décrit en une isotopie Enfoncement élévation et Vélévation une simple allusion & sa catégorie contradictoire & venir, Cest-A-dire l'affirmation proprement dite. complexe o& Venfoncement serait Visotopie dominante'® PN 2: naissance du theme principal (mesures 9—21) Le début de ce PN pourrait étre, quant aux sémes, c’est-d-dire du point de vue de sa substance musicale, rattaché a la section’ préeédente, mais ces sémes cependant appartiennent déja a un champ énergétique différent, pour lequel est central, au lieu de lenfoncement et de la résignation, un effet de sens trés fort diattente, de tension et de commencement. I] débute en la—bémol mineur comme le PN 1 mais module pour en sortir, dans les mesures 11—12, en mi majeur sur Vharmonique de mi (de ce point de vue la—bémol mineur = sol-diése mineur, c'est-a-dire 3° de mi). Ici & nouveau. un rapport harmonique de tierce qui reprend au niveau tonal la lutte entre les principes »espoir« et »désespoir=, Le passage est tonalement symé- trique: les mesures 9—11: la—bémol mineur (= sol-diése mineur), les mesures 12—17: mi majeur, les mesures 18—21 : sol-diése mineur (= la— M LISZT: op. city p. 15. Tl existe plusieurs définitions pour ta notion de Tisotople dans Poeuvre de Greimas. On cite ici la suivante (GREIMAS: 1960): »Par isotopie, nous entendons lun ensemble redondant ‘de catégories sémantiques qui. rend possible la lecture uuniforme du récit, telle qu elle résulte des lectures partielles des enoncés et de la Fésolution de leurs ambiguités qui est guidée par la recherche de la lecture unique.« 60 E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 18 (1H, —bémol mineur), c'est-a-dire que du point de vue de la catégorie thymique Je mi majeur placé au milieu n’est qu'un espoir d’euphorie. Le contenu essentiel de PN2 est d’annoncer le théme principal venir et ceci est réalisé par le fait qu'on présente des sémes qui apparaitront a la fin du theme principal — les sémes du début du théme principal n’étant pas présentés dans ce passage. Et ceci a cause du motif pointé de la fin du théme principal (les notes de la voix de dessus: sol-diése — la — fa-diése au début de Ia mesure 12 — A comparer au motif également pointé si— —bémol — do — la—bémol a la jointure de la 3° et de la 4¢ mesures du théme principal dans les mesures 26 et 27). Ensuite on présente toute la partie finale du théme principal, c'est-a-dire qu’on anticipe toute la mesure 26 dans les mesures 13—14. Ce'résultat est immédiatement repris en voix de ténor — ce passage étant pratiquement une texture polyphonico-harmo- nique quatre voix — dans les mesures 15—17 qui fonctionnent un peu comme une duplication du théme actant dans le registre supérieur — un. peu comme dans les tragédies et les romans dans lesquels il y a souvent & cété des héros un auxiliaire qui refléte leurs actes et leurs sentiments (on peut appliquer les catégories d’actants également & la musique: sujet, objet, destinateur, destinataire, adjuvant, opposant)."* r: Une relation un peu semblable entre le théme-sujet et le théme adju- vant — si nous osons utiliser une telle terminologie — était déja discer- nable dans les mesures 3—5 du PN 1, lorsque la basse fonctionnait comme un renforcement de la voix supérieure en répétant son motif et créant ainsi une redondance dans le déroulement musical. Entre les mesures 17—18 et 1921 se retrouve un rapport semblable de répétition et de con- firmation mais désormais transféré — si on prend en considération le passage, en isotopie tonale, dans le registre mineur — dans la catégorie thymique de la frustation et du comportement, Il faut se souvenir que le théme-sujet résigné de la voix supérieure au début du PN 2 et le théme adjuvant de la basse tombent comme en conflit: si le théme eité en premier représente le principe de Yenfoncement, Ie deuxiéme, pour sa part, semble encourager le theme principal a la révolte, il tend, comme une menace, s’élever, ce qui est souligné par le crescendo des mesures 10—11. Thématiquement les sémes du theme adju- ‘vant de la basse ont été empruntés au motif des notes secondaires de Yaceord d'arpage du début. Ce motif semble donc passer par trois réles “CE Sémantique structurale, ‘le modéle mythique’, GREIMAS: 1967, E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (10, 1, 5:15 61 différents en un laps de temps trés court: tout d’abord il se présente complétement en dehors de I’énergétique de Poeuvre, non encore moda- lisé, puis comme amplificateur du principe dysphorique de la négation et de la résignation, Cest-a-dire comme soumis au théme-sujet de la voix supérieure des mesures 3—4, Finalement dans les mesures 10—11 il ap- parait comme auto-volontaire obtenant véritablement par son mouvement agité un passage temporaire du cdté de I'axe de l'euphorie en mi majeur se contentant de répéter la dominante si, sa victoire partielle. Mais la lutte finale entre le theme-sujet de la voix haute et ce théme adjuvant-opposant subversif de la basse n’a lieu que dans les mesures 38—40 od la basse bat définitivement la voix supérieure et se Tassujettit & son tour. a) = Un tel conflit de deux thémes paralldles est typique des structures actantielles de la musique occidentale — toute la dialectique de la forme de la sonate entre le théme principal »masculin« et le théme secondaire »féminin« ou méme, comme dans certaines fugues de Bach, entre le theme et le contre-sujet (voir par exemple la Fugue en fa-didse majeur de J. S. Bach, (Le Clavier bien tempéré, 1) est fondée sur ce principe. On pourrait bien ‘ci appliquer les catégories actantielles actant-antactant-négactant- -négantactant!” et étudier comment, par exemple, le méme motif musical peut, au cours de Poeuvre, passer par plusieurs rdles actantiels. La ques- tion de savoir si n'importe quel motif musical peut occuper n’importe quel réle actantiel forme sa propre problématique théorique, autrement dit la problématique classique entre la substance et la fonction de la musique. | Le PN 2 est achevé par une modulation vers Ia dominante de sol- ~digse mineur dans les mesures 20—22, 1 On peut également appliquer le carré sémiotique un récit pour obtenit Jes quatre catégories actantielles: actant, antactant, négactant et négantactant, 62 B. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 18 (800, 1, 8-75, PN 3: la polonaise (mesures 22—65) Ce PN est constitué pour ensemble de deux sections répondant aux exigences de la forme du mouvement classique (x x’ 2) — (théme, ré- pétition du théme, quelque chose d’autre). Son début est annoneé par une fanfare basée sur le rythme de la polonaise: ie ut On pourrait I'appeler indice, elle fait allusion & ce qui va suivre dans la musique et appartient par le principe de la contiguité au phénomene musical suivant. A vrai dire, le theme que l'on entend ensuite dans les mesures 24—27 pour la premiére fois et dont la partie finale avait été wiconiquement. préparée est le premier »véritable théme« de l'oeuvre. Dans Yauditeur s’éveille le méme sentiment que lorsqu'l lit un roman ou voit une piéce de théatre: »enfin le protagoniste, le héros-sujet entre en scéne« 2S cos 3 Etudions ’énergie cinétique de ce theme. Il répéte assez emphatique~ ‘ment une certaine note, le deuxiéme degré de la—bémol majeur, & savoir si—bémol, qui a deux reprises se place sur le temps fort de la mesure et A deux reprises sur les temps légers de la mesure, une fois sur le deuxiéme et une fois sur le troisiéme temps. La tension vers la—bémol est parti- culigrement forte d’autant que la figure d'accompagnement répéte la dominante de la—bémol sur l'accord de septiéme. Ce théme principal pour- rait étre qualifié de centripate, car par son aspect spatial, c’est-A-dire selon sa position dans Vespace tonal, il s’enroule autour du deuxiéme degré de Ia—bémol majeur — par contre aprés que le théme est répété il se passe un débrayage™ spatial, cest-A-dire que la ligne mélodique commence a se mouvoir librement en ondoyant et le mouvement centripéte figé dési- gnant une force dominée se change en un mouvement centrifuge oscillant "© La distinction debrayage/embrayage correspond & ce que Roman Jakobson entend par les ‘shifters’, Méme dans 1a musique nous pouvons parler du débrayage/ ‘embrayage temporel, spatial ou actantiel, E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASA 15 (086) 1, 53—75 63 de part et d’autre dans le champ tonal. Ce trait de la partie finale du théme de polonaise s'amplifie dans la répétition de l'ensemble du théme. Mais par ailleurs le théme principal est, par son aspect temporel, I’éclosion en tonique de la note de deuxiéme degré du la—bémol majeur précité, tem- poralisant et freinant de toutes ses forces. La.troisiéme mesure (36) du théme principal montre la méme chose dans les deux voix: dans la voix de basse par une cassure du mouvement de croches et peu apres dans la voix de dessus par une condensation des valeurs temporelles des notes et par une ~pause~ interne, c'est-a-dire par une respiration supplémentaire avant le la—bémol final. Ce ralentissement est particuligrement aisé & remarquer du fait que le mouvement musical a été dans la mesure pré- cédente, au contraire, pressé vers l'avant: la mélodie fait un virage sou- dain dans des valeurs temporelles plus petites, et, dans l'accompagnement, s'entrevoit le rythme dactylique de la polonaise, I'indice musical qui, dans cette oeuvre, a toujours une nature de signal de précipitation vers l'avant. A cause du ralentissement précité il fait ressentir I'attente du la—bémol comme encore plus longue. La continuation du théme principal n'est pas de nature rythmico-dansante, mais mélodico-chantante — déja dans la mesure 31, dans la transition du rythmique au mélodique, Chopin imite le mouvement de la voix chantante en créant T'llusion d'un crescendo entre deux notes par un effet de pédale et un pont harmonique s'elevant de la main gauche. .— mito Ainsi il transcende les possibilités matérielles sonores du piano et crée un intertezte, c'est-i-dire un passage allusif de musique de piano en musique de chant. La ligne mélodique librement ondoyante de la suite du théme principal devient bientdt discontinue et haletante comme sous Ja pression d’un signifié passionnel supplémentaire (mesures 34—35) et, se cristallise finalement en la lutte a laquelle nous nous sommes déja ré- ——>~ > > 64 E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 18 <8), 1, 8-75 féré entre le théme-sujet et le théme-adjuvant, lequel s'est. transformé fen opposant. Elle se termine en une petite seconde pointé descendante, qui a ordinairement en musique romantique une nuance de plainte et de supplication. Mais retournons encore un moment a I’étude du théme principal lui-méme, le lexéme fondamental de Yoeuvre. On I'a déja décrit du point de vue de la connexion spatiale et temporelle, mais non actantielle. De ce point de vue on peut l'étudier comme toute expression qui décrit soit état ou Paction, auquel cas la transition entre ces deux états peut étre décrite comme suit!” F[S 1+(6 20) 0 la fléche indique une transformation. En musique aussi on peut distinguer en principe deux sortes d’expres- sions: appelons-les ouvertes et fermées. Les expressions fermées décrivent ou répondent a des conjonctions — elles sont auto-suffisantes, se réflé- chissent elles-mémes, elles ne contiennent aucune aspiration latente A sortir d'elles-mémes, alors que les expressions ouvertes nécessitent, en quelque sorte, une continuation; en elles s'exprime une aspiration vers quelque chose, c'est-&-dire qu’elles sont des disjonctions. Quel type d’expression représente le theme principal de la Polonaise- -Fantaisie? Une tension y régne entre la tonique et le deuxiéme degré, or bien entendu ces notes ne sont pas encore dans un rapport modal de volonté entre elles, mais le champ tensionnel qui les sépare crée une iso- topie harmonique dans la partie d’accompagnement immobile. Pour cela on peut considérer Ie si—bémol comme une sorte de »sujet« qui est d'abord séparé du la—bémol, son »objet de valeur, mais finit par se Passujettir. 11 est done question de la situation F[S 1—-(S 2M0)], ou S 1 est la note si—bémol essayant d'atteindre le la—bémol, essaie de s'y fondre, mais en est encore séparée, alors que S 2 signifie la méme note si—bémol qui trouve sa solution, c'est-a-dire son »objet de valeurs le la—bémol. Cette intrigue simple est cependant rendue compliquée et plus intéres- sante par les obstacles et détours qui y sont placés, les événements inat- tendus qui, tour & tour, accélérent ou ralentissent 'obtention de Pobjectif final. Le théme principal étant repris dans les mesures 44—65 cette disjonc- tion est considérablement amplifige et le si—bémol attendu dans la me- sure 50 ne sera entendu quaprés la grande montée et le passage qui développe par un mouvement chromatique vers le bas le motif de quinte descendante du théme principal. Mais & ce moment-Ia le réle du si—bémol pst déja transformé, il n’est plus la tonique de Vaccord de dominante apparaissant dans les mesures 48—50 mais il est, pour sa part, la domi- nante de dominante du la—bémol majeur. La 'véritable cadence pour Visotopie tonale de base en la—bémol majeur n’est entendue que dans les, mesures 64—65 (& remarquer une nouvelle oscillation entre les mineur et majeur paralléles comme dans la mesure 6 de PN 1). Voir ‘le programme narratit’ dans GREIMAS: 1978 1 st8 65 PN 4: modulations ou débrayage topologique (mesures 66—91) Dans la segmentation de ce passage, Abraham et Leichtentritt se séparent nettement: le premier la marque par un B sans caractériser pour autant le contenu de cette lettre B. Quant a l'interprétation de Leichtentritt on peut plus ou moins la considérer comme arbitraire: & son avis dans les mesures 66—72 on présente un nouveau theme b, et dans les mesures 73—93 ce theme est entrainé a travers de nombreuses tonalités jusqu’au retour du théme principal en mi-bémol majeur dans la mesure 94. Selon lui encore le »Durchfthrungs du theme b com- mence, dans la structure de toute V'ocuvre, le mouvement principal TI (voir plus haut). Une telle distinction parait cependant non-fondée lorsquion étudie les sémes musicaux de ce -nouveau théme~. Pour qu’on puisse, en tout état de cause, le nommer nouveau theme b — theme secondaire de la forme de la sonate — il faudrait pour le moins qu’appa- raissent clairement de nouveaux sémes, et T'isotopie tonale devrait plutst tre, de préférence, comme la dominante la-bémol majeur (en général). Il n’en est rien, mais le théme: remonte, pour sa partie initiale, @ une . F > = Be voix intermédiaire d’accompagnement du théme de polonaise (voir la basse montante de la mesure 27) et, pour sa partie finale, aux intervalles de la partie centrale du theme principal. Le motif ne peut donc étre désigné comme un nouveau theme indépendant, bien qu'il soit justifié de se de- mander quelle est désormais la valeur modale® de ces sémes musicaux. 1 faut se souvenir, quand le compositeur emploie par exemple son lexéme essentiel, du matériau des sémes musicaux de son théme principal ailleurs dans Poeuvre, ceux-ci ne sont plus une substance neutre, mais, dans la mémoire de Pauditeur, est restée une image ou plutét une »sensation« provenant du contenu ‘modal précédent (& vrai dire aucun motif ou élé- ment n'est, en général, neutre dans locuvre musicale — ne peut étre neutre que le matériau musical libre se trouvant a 'extérieur de la structure temporelle et du champ tensionnel modal de oeuvre, c'est-a-dire le réper- toire paradigmatique de l'imagination du compositeur). Quel était done le contenu modal de ces deux motifs précédemment dans l'oeuvre? Lun comme autre avaient une fonction de »transition« dans le »micro-uni- vers« du théme de polonaise et ils gardent la méme fonction maintenant dans le »macro-univers«, c'est-a-dire qurils sont élargis pour former la ™ Voir ‘modalité’ dans GREIMAS: 1079, Cette notion n'a rien & faire avec les ammes modates au sens Tausical 66 E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (88), 1, 75 section ~topologique. de transition remplissant complétement l'espace de 26 mesures, section pendant laquelle on =voyage~ a travers plusieurs tonalités vers Je retour du théme principal, qu'on finit par retrouver dans un paysage tout a fait nouveau. Il s'agit en fait dans cette section d’évé- nements et conjonctions d'un niveau spatial véritablement topologique et non psychologique ou actantiel. Dans espace musical, pendant cette section, on passe de la tonalité la-bémol majeur par fa mineur, mi majeur, fa-diése mineur, sol-diése mineur, l'accord mineur du degré I de mi majeur et Vaccord de septiéme dominante de mi-bémol majeur pour en arriver 4 la tonique de mi-bémol majeur. PN 5: états thymiques extrémes (mesures 94—115) La transition pour cette répétition du matériau du court théme de polonaise, mais dans un paysage différent, se fait dans les mesures 92—93 ‘comme un passage des gammes qui s’associe a la montée de l'accord arpégé au début de oeuvre. A son sommet fait une bréve apparition temporaire un motif la-bémol — si-bémol — ré — do du méme type que le motif des notes secondaires dans la mesure 1. Le théme de polonaise est main- tenant transformé en figure de triolets dont impression de douceur est renforeée par le fait que les motifs rythmiques pointés doivent, selon la vieille tradition, étre exécutés en triolets. E> > me o S 7 . = Le théme principal est répété un ton plus bas — différence avec sa répétition en PN 3, toujours un ton plus haut. De cet état d'euphorie on va bientot passer & son opposé absolu, une phase d'agitation dysphorique dans les mesures 108—119, C'est peut-étre justement & de tels change- ments aussi brusques dans la Polonaise — Fantaisie que Liszt faisait allusion lorsqu’il parle, dans son essai sur Chopin, des états extrémes qu'on y rencontre* LISZT: op. eit, p. 36-21. 1H TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASA 15 (14), 1, 53-15 67 PN 6: »mazurkaw I (mesures 116—147) La transition au PN suivant est tout aussi brusque et surprenante. La valeur thymique aussi bien que la matiére du motif redevient gra- cieuse. C'est comme si tout & coup on faisait une intrusion dans le micro- cosme des mazurkas, que Liszt analyse d'une fagon particuliérement per- tinente: »... ou se retracent une & une toutes les phases de la passion: eurres charmants de la coquetterie; attaches insensibles des inclinations; capricieux festonnages que dessine la fantaisie; mortelles dépressions de joies étiolées qui naissent mourantes, fleurs de deuil, comme ces roses noires qui attristent par le parfum méme des pétales, que le moindre souffle fait tomber de leurs fréles tiges; ... plaisirs sans passé ni avenir, ravis 4 des rencontres de hasard; illusions, godits inexplicables, nous ten- tant d’aventure «2 D'ailleurs ce n'est pas la seule polonaise dans laquelle Chopin a intercalé un mouvement de mazurka — pensons, par exemple, a la grande polonaise en fa-diése mineur.* Le théme de mazurka se répéte plusieurs fois consécutivement bien quill ne dure pas plus d'une mesure et. demie, mais il réapparait toujours enjolivé de différentes fagons. Il semble que Chopin ait intégré ici dans la texture, dans expression musicale un prin- cipe d’énonciation qui lui est typique: & savoir qu'il n’a jamais joué deux fois une oeuvre de la méme facon. Ici également rien n'est répété tel quel, mais, par ailleurs, lornementation n’est pas sans contenu, c'est-d-dire que Chopin — pour citer John Ruskin, le grand philosophe des arts plastiques de son époque — ne cherche pas & donner aux mots plus de signification quills n’en ont Certains sémes musicaux, dans ce théme également, font référence au lexéme principal de l'ensemble de la composition — comme le motif de la partie médiane dans les mesures 124—125, lequel est tiré de la suite du théme de polonaise (voir mesures 32—33). ss TS =e La section de ~mazurka« se termine sur une large déclamation chro- ‘matique qui n'est pas sans rappeler les figures de violons passionnées du Tristan de Wagner. La structure de ce PN rappelle, en grandes partie, Tid, p. 54-55, ‘Tel it sfagit plut6t d’un passage qul remplit seulement la fonction d'une ‘mazurka sans en avoir les traits rythmiques, ® Voir John RUSKIN, «Definition of Greatness in Arts dans Modern Painters, 1, London 1698, p. 10 68 [E, TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASME 18 <9, 1, 8-75, Ja structure du PN 3, dans la mesure oi, ici aussi, 1a finale forme un passage d'oscillation de part et d’autre de espace tonal comme antithése du motif centripéte de V’énonciation principale. Les notes elles mémes: si-bémol — si — ré — do du motif principal de mazurka forment un motif qui apparait déja en PN 2 dans 'annonce du théme principal. Par contre, le début du théme de polonaise n’est pas du tout utilisé ici — on le garde comme motif central du PN suivant. Dans les mesures 148—152 on passe au PN suivant et cette transition est, pour sa part, de nature paradigmatique, semblable @ la transition qui amenait au PN 4 dans les ‘mesures 64—63, Maintenant ce »pont« ne conduit pas au passage inter- médiaire qui se basait sur les motifs de la fin du théme principal, mais conduit une véritable oasis de calme, un nocturne qui apporte une variante du début du théme de polonaise. PN 7: nocturne (153—180) Il est certainement essentiel de noter ici le changement d'isotopie spatiale, c'est-a-dire tonale: toute la section du nocturne est en si majeur, ce qui d'un point de vue enharmonique est la méme chose que l'accord en do—bémol majeur du début. Ainsi nait une tension entre la tonique de la—bémol mincur et son troisiéme degré, Ici revient a nouveau la méme situation entre deux thémes superposés ou paralléles, l'un étant Vactant, l'autre le négactant, mais cette fois-ct il ne s'agit pas d'une expres sion musicale décrivant action, sinon d'une phase décrivant purement Vetre: F(S 1190). Aussi bien le motif de 'actant (partie supérieure) que Je motif du négactant (basse) sont des themes introvertis auxquels il man- que la recherche d’un objet, car celui-ci a déja été atteint. Leur force pulsionnelle est assoupie, il s'agit d’un nocturne miniature. Ceci ne repré- sente pas cependant un enfoncement dans les tonalités riches en bémols, mais, au contraire, une élévation dans le champ tonal chromatique du la- -didse majeur et du do-diése majeur. Mais ce chromatisme n'est pas ~pas- sionné« comme dans la partie finale du mouvement de mazurka précé- dent, il est plutét dépassé, introverti. L’actant et le négactant ne sont pas en conflit lun contre Vautre, mais chantent un duo conciliant. Il est & remarquer que le motif a ton entier issu du théme de polonaise repose sur la dominante si majeur et non sur le deuxiéme degré qui serait trop tendu ETANASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASMI 15 (10H), 1, 51—75 69 Toute la section, le réve, échoue finalement Yendroit oi trois parties simultanées ménent & des accords altérés modulants en sol-diése mineur (mesures 178—180), Dans cette phase les sémes du theme de polonaise apparaissent éloignés de leur signifié originel, car il s'agit d’un souvenir lointain, Ici Chopin erée une esthétique du doublesignifié en musique. PN 8: »mazurka« II (mesures 182—225) Ce PN, pour sa part, est la version nostalgique, éloignée du PN 6, Cest-i-dire de Ia section de mazurka précédente. Une connexion subcons- ciente intéressante avec les premiers accords de oeuvre (1a—bémol mi- neur, do—bémol majeur) est créée par le fait que les harmonies fonda- mentales de ce passage sont en sol-diése mineur et si majeur. Bien qu'il Sagisse ici d'une interprétation enharmonique, T'isotopie tonale fait ré- ference & la problématique posée par le PN 1 & la »négation« qui est ainsi rappelée a Pesprit. ‘Au niveau mélodique les mesures 182—185, quant a elles, font penser 4 1a mazurka I, alors que tout de suite aprés, dans les mesures 189198, ‘on manipule lés sémes du PN 3, cest-i-dire du théme de polonaise. La basse est, en fait, en relation paradigmatique, c'est-i-dire qu'elle évoque les accords descendants de la partie finale du théme de polonaise (voir les mesures 56—59, mais A vrai dire déja les mesures 3237); en méme temps la mélodie de la partie supérieure (mesures 190—198) est une variation de la mélodique sentimentale chantante de la partie finale (mesures 32—36) de la premiére apparition du théme de polonaise. Dans la mesure 194 on développe les anacrouses pointées apparues tout au long de oeuvre, les- quelles, comme antithése & ornementation de la deuxiéme apparition du théme-actant de la phrase-nocturne précédente, c'est-a-dire au rythme descendant soupirant JJ; 3 , sont maintenant croissantes et rythmi- quement condensées. C'est comme si se cristallisait en cette mazurka II un réseau extrémement ambivalent de reminiscences; il est en soi une sorte d’entrepét de memoranda oii les intonations précédentes de Poeuvre prennent de la distance. Dans cette nostalgie, dans ce souvenir du bonheur disparu il y a une relation directe avec, entre autres, "Iberia ’Albeniz. 0 1. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (80), 1, 8-15, PN 9: éloignement et retour (mesures 199—241) Ce PN pourrait, & vrai dire, étre la continuation du précédent, car ici ‘aussi apparaissent de nombreuses intonations entendues auparavant, mais, par leur valeur modale, toutes inversées comme dans la mazurka TI. Tei Ia modalité »vouloir« est comme complétement débrayée. Le passage trillé des mesures 199—205 est, par sa fonction, analogue a la solution de dé- tente de la section du nocturne. Ici Chopin ne laisse pas cependant le trille aboutir directement sur la tonique, c’est-i-dire qu'il ne transforme pas la disjonction en conjonc- tion, autrement dit le sujet n’atteint pas objet immédiatement mais un long triple-trille est tout d’abord amené & un accord de neuviéme de la méme dominante (o4 la neuviéme est bémolisée) et ce n'est qu’aprés un. silence, qui ralentit l’événement, qu’on entend l'objet, c'est-A-dire la to- nique dans la mesure 208. Ainsi ce programme narratif miniature dans les mesures 199—205 peut étre considéré comme ralentisseur des événe- ments, comme un passage renforcant la durée, bien que, par ailleurs, il soit en méme temps dominé par le séme de la tensivité; ce que, par contre, est la durée sans la tensivité est illustré par le passage suivant (mesures 206—209). Le théme-négactant de la basse de la section nocturne prend une place centrale. A vrai dire le théme-négactant dirige le mouvement secondé par le théme-actant, cest-i-dire qu'il est question, en ce qui concerne les énergies de volonté des thémes, d'une modalisation contraire & celle du nocturne. Le théme-actant connait une diminution alors que le theme négactant est élargi partir de la fin. Cela conduit & un court rappel du PN 1: les accords du début et les arpéges sont entendus encore une fois. Alors que dans le PN 1 le premier accord pointé était accentué et le deuxiéme inaccentué, maintenant et pour la seule fois leur rapport dynamique est inversé; en effet, dans la mesure 215 oti l'accord de do majeur regoit un accent, Dans les mesures 216—225 Véloignement est le plus complet: c'est un triple rappel dans son allusion aux mazurkas I et I. Il laisse tout inachevé, c'est comme s'il s‘oubliait au milieu de ’énoncé. Comme motif de transition entre cet éloignement étiré A son maximum et la fonction de retour qui remplit la partie finale de ce PN (@ remarquer ici, dans un certain sens, le principe d’effondrement/élévation), intervient ici P’étire- 5, TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (861), 1, S—18 n ment du théme-négactant (quant a ses intervalles). Les mesures 226—241 forment un contraste brusque avec la section précédente: on pourrait le qualifier d'incitateur, c'est-a-dire comme un appel a l'action. La maitére indice dactylique du rythme de la polonaise réapparait encore — on a déja constaté plus tét que dans Voeuvre il accélérait l'ac- tion. La fonction de la figure chromatique montante en doubles-croches est, pour sa part, Pantithése des figures chromatiques descendantes en doubles-croches avant la section nocturne: 1a le chromatisme exprimerait Yangoisse qui provient de linaction, des sentiments d’impuissance, mais ici il exprime, quant a sa valeur thymique, l'angoisse qui précéde I'accomp- lissement, de V'action, autrement dit il représente un véritable »passage a Vacte«™ Ainsi Chopin crée un contraste au niveau des modalités — le motif qui avant exprimait l'assoupissement de la volonté, exprime mainte- nant la catégorie positive du vouloir-faire. PN 10: Vaccomplissement (mesures 242—288) Dans les mesures 242—248 on entend, dans son entier, Ie théme de polonaise emprunté au PN 3 — c’est-A-dire celui qui tout au cours du PN précédent apparaissait soit éloigné soit comme un objectif du vouloir. La fonction de conjonction, la transformation méne ici véritablement a son but. Le théme de polonaise est entendu maintenant, quant A son isotopic spatiale, un registre plus haut, comme victorieux, Surprise pourtant, car tout de suite aprés sa reprise on présente une sorte de résumé de la section nocturne — mais transformé maintenant en brillante tenue de polonaise; le fait qu'il s'agit bien d’une allusion au nocturne apparait, d'un c6té, dans les rapports tonaux; on est maintenant en si majeur et ce, immédiatement aprés le la—bémol majeur, ce qui apporte Peffet d’une véritable élévation & Vhéroisme, et d’un autre cété dans les sémes des intervalles eux-mémes: c'est un étirement par des anacrouses pointées d'une variante ornementée du motif de nocturne. Le théme-négactant qui s'entend sous le théme-actant (le théme de polonaise) est également le méme que la ligne de basse accompagnant ce théme dans la premiére apparition du théme de polonaise 4% Une allusion faite & la théorie narrative de Claude Brémond et & sa distine ton ternaire des phases narratives: éventuallté — passage 4 Tacte — achevernent, voir BREMOND: 1903, p. 131 R [E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 15 (90, 1, 51-78 A partir de la mesure 254 réapparait aussi le théme principal de la section nocturne mais il est maintenant modalisé en son parfait contraire: maintenant le négactant regoit & vrai dire la souveraineté sur le théme- ictant, avec ses rythmes de galop. Finalement on entend la résolution finale du théme de polonaise, développé en une cadence imposante sur la tonique la—bémol majeur: — [— eo roe s when She bm fb semen ¢ c'est une véritable affirmation. Avant de pouvoir affirmer ou nier quel~ que chose il faut d'abord vouloir affirmer ou nier. Ce processus de volonté a &t6 décrit par la série événementielle qui a précédé, la chaine des dif- férents PN, dont les différentes sections ont, a tour de réle, construit des obstacles sur le chemin de ce vouloir, ou Yont accéléré et incité vers avant. Cependant tout se termine par la souveraineté du théme-négactant car dans les mesures 268—282 il s’échappe de sa position assujettie en basse pour devenir véritable actant, sujet principal & partir de son réle initial d'adjuvant ou d’opposant. Et, ce qui est plus étrange, maintenant est dévoilé un rapport de famille surprenant avec le motif d’arpége du début de Yoeuvre: la véritable identité de ce théme qui a fonctionné comme négactant est révélée seulement maintenant. I] est une variation modalisée du motif arpége A note secondaire décrivant »I’élévation« du PN 1, Cest-a-dire que le terme SI du carré sémiotique ne se manifeste que maintenant comme une sorte de réponse a la problématique du programme narratif fondamental de ensemble de Voeuvre (soit le programme nar- ratif de la structure profonde) Pour sa part le mi—bémol placé sur le temps fort et, de plus, en sforzato peut étre interprété comme une réponse 4 l'accord pointé’ du 1H, TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASDK 15 (1 Lao 3 début: dans la mesure 1 V'accentuation est — comme on la constaté — contrairement @ toute attente, sur la double-croche et non sur la croche pointée, Ici le rapport est inverse. La petite tierce montante (do—mi—bémol) répond, au niveau mélo- dique, au rapport harmonique du début (a—bémol—do—bémol), lequel était également basé sur une petite tierce. En dautres termes, les positions du carré sémiotique sont remplies et la narration musicale de oeuvre est arrivée, guidée par les rapports contraires, contradictoires et implicatifs qu'elle renferme, & son accomp- lissement final. Naturellement on pourrait, dans l'oeuvre, montrer plusieurs carrés sémiotiques paralléles — comme, entre autres, ce qui concerne les isotopies tonales, desquelles se détachent avant tout: la—bémol majeur et si majeur. Bien entendu I'analyse d'une seule oeuvre est loin de mettre au jour toute la narratologie de Chopin, mais ne fait que montrer le chemin pour une telle entreprise. Cependant l'analyse d’une seule oeuvre, qui met en valeur les tensions musico-narratoires, éclaire déjé les principes sur la base desquels est fondée la narration musicale chez Chopin. A cété de la Polonaise-Fantaisie il faudrait analyser par exemple la Ballade en fa mineur et la Fantaisie en fa mineur — toutes deux étant également des chefs-d’oeuvre accomplis de sa période tardive, mais dont les program- mes narratifs sont, par ailleurs, d’une nature suffisamment différente de la Polonaise-Fantaisie, pour pouvoir prouver lindividualisme des créations de la période tardive du compositeur. (Traduit du finnois par Jean-Yves Paré) BIBLIOGRAPHIE ABRAHAM, Gerald 1960 Chopin's Musteal Style, Oxford University Press. BREMOND, Claude 1973 Logique du récit, Editions du Seull, Paris, GIDE, André 1948 Notes sur Chopin, L’Arche, Paris. GREIMAS, A. J. 1966a »Pour une théorle de T'interprétation du réclt mythiquee, Communications, 8, Seuil, Paris. 196sb ‘Sémantique structurale, Larousse, Paris, GREIMAS, A. J. et COURTES, J. 1019 Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, Paris. HEGEL, G. W. 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Summary FOR A NARRATOLOGY OF CHOPIN ‘A significant work from Chopin's late period, the Polonaise-Fantaisie op. 61, ls analysed, especially in terms of its narrative content and structure. The objective oof the analysis was not an attempt to form any new Mterary programme of story, as it were narrated by the work, but to consider those factors in musical structure Which enable us to find concrete, psychological content there, These structures. do not necessarily overlap with the’ structures revealed by traditional form analysis Geichtentritt, Abrabam, for example), just as in its thymic aspect the emotional paradigm presented by Liszt would hardly answer the question of why and how ‘one emotional state or passion is followed by another. Accordingly, in the analysis Special attention is given to the syntagmatic course, and the work has been divided {nto a series of succeeding narrative programmes, which have again been numbered and described, They are supposed to lead the listener towards a final resolution, Since it has been assumed, after Lévi-Strauss, that every smusical work forms. symbole model of the resolution of a problem, The semiotic square, as elaborated by A. J. Greimas, with its contrary and contradictory interrelations ‘has thus been ‘applied to the work, and it Was essential to determine in which order its various terms emerge and the direction and dynamics of the semantic structure of the work. Safetak ZA JEDNU NARATOLOGIJU CHOPINA U ovom se dlanku raspravija o Jednom znaéajnom djelu iz Chopinova kasnijeg randoblja, Polonaise-Fantaisie op. 61, § posebnim obzirom na njegov narativn! sadréaj {"Strukturu. Cilj ove analize nije poku8aj stvaranja nekog novog literarnog programa La} priée, kako bi Je pritalo djelo, nego promisijanje onih faktora u glazbeno} struk- turt koji nam omoguéuju da Jo}'pridruaimo konkretne psiholoske sadréaje. Ove se strukture ne poklapaju nutno sa strukturama koje Je otkrila tradicionalna analiza forme. (npr. Lelchtentritt, Abraham), jednako kao, Sto bi emocionalna paradigma koju je predstavio Liszt Sto se tite timi¢kog aspekta teiko odgovorila na pitanje zasto | kako emocionalno stanje Il} strast mogu siijediti jedno za drugim. E. TARASTI: NARRATOLOGIE DE CHOPIN, IRASM 1 (1900, 1, 518 5 Prema tome, posebna se paénja u analizi pridaje sintagmi¢kom slijedu 1 ajelo se razdvojilo u seriju narativnih programa koji se medusobno nadovezuu, KoJe se onovno pobrojilo 1 opisalo verbalno. Pretpostavlja se da ovi programi vode’sluéaoca prema krajnjem rjédenju jer se uzima, ‘na natin Lévi-Straussa, da svako glaz- Beno. djelo tvori simbolitk: model rjetavanja nekog problema, Tako je na djelo primijenjen semioticki kvadrat, kojeg je razradio A. J. Greimas, sa. svojim €lano- ‘ima u protivnim | kontradiktornim meduodnosima, nakon sto je istanovljeno Kasim Se redosiijedom pojavijuju razni njegovi Slanovi i Koji smjer i dinamiku otituje semanti¢ko strukturiranje djela.

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