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Séminaire
Le risque systémique
Michel AGLIETTA
CEPII, FORUM et CNRS-Université de
Paris X-Nanterre
7 mai 2002
par
Michel Aglietta
sur
2
SOMMAIRE
RESUME
REFERENCES
3
RESUME
4
INTRODUCTION : ACTUALITE DU RISQUE SYSTEMIQUE
Ces dynamiques concernent l’Europe parce que les marchés financiers y sont en
plein essor. Ils entraînent chez les banques des restructurations périlleuses, aboutissant à
la formation de conglomérats où la fragilité de n’importe quelle entité non supervisée
peut se répercuter sur les banques appartenant à la même nébuleuse financière. Les
marchés financiers devenant en Europe très semblables aux marchés américains, il n’y a
pas de raison de croire que l’Europe pourrait être immunisée contre les chocs de
liquidité, comme celui qui s’est produit aux Etats-Unis après la déclaration du moratoire
russe en septembre-octobre 1998. Les systèmes de paiements internationaux à très gros
débits doivent également faire l’objet d’une surveillance permanente, car ils sont
extrêmement vulnérables à des défaillances opérationnelles et à des changements
brusques dans la demande de liquidité, comme l’ont montré les répercussions des
attentats du 11 septembre 2001.
Devant ces développements rapides des interrogations ont été soulevées sur la
segmentation du contrôle prudentiel en Europe, sur le flou concernant l’identité du
prêteur en dernier ressort, sur le manque de relations entre les superviseurs nationaux et
la banque centrale européenne. Repérer les processus de la contagion financière est
nécessaire pour porter un jugement sur l’adéquation des structures du contrôle
prudentiel aux changements de la finance. On le fera dans les sections suivantes.
5
La première section cherche à tirer de la littérature théorique bourgeonnante sur
le risque de système des hypothèses pour guider l’investigation des crises qui prennent
naissance dans les marchés financiers. La seconde section documente l’instabilité des
marchés financiers. La seconde section documente l’instabilité des marchés financiers
européens et américains. On y illustre les corrélations étroites entre ces marchés dans les
périodes de tension. On y compare les événements systémiques qui ont déclenché des
interventions en dernier ressort de grande envergure en septembre-octobre 1998 et en
septembre 2001. La contagion étant un processus essentiel de crise systémique, la
troisième section montre que, bien loin d’être un comportement irrationnel, ce
phénomène est enraciné dans les systèmes les plus sophistiqués de contrôle du risque
dont disposent les institutions financières. La quatrième section décrit les principaux
canaux de contagion qui parcourent les marchés financiers. Elle souligne le rôle critique
des marchés dérivés de gré à gré dans les situations de stress. Enfin la cinquième et
dernière section en forme de conclusion passe en revue les types d’actions prudentielles
pouvant contribuer à endiguer le risque de système. On y indique les raisons du
scepticisme sur l’approche recommandée de concert par Bruxelles et par Bâle. On y
affirme le besoin d’un prêteur en dernier ressort européen et l’importance d’une
coopération étroite avec les superviseurs nationaux pour qu’il puisse remplir
efficacement son rôle.
Pour cerner l’idée de risque systémique, il est utile de définir d’abord ce qu’est
un événement systémique. Il en existe de deux types [De Bandt et Hartmann, 2000]. Le
premier est conforme à l’intuition de «l’effet domino». Un choc néfaste ou une
mauvaise nouvelle concernant une ou plusieurs institutions financières, ou un marché
financier, se répercute en chaîne sur d’autres institutions ou d’autres marchés. Le second
mobilise l’intuition d’une «catastrophe». Un choc macro-économique affecte
simultanément les conditions financières d’un grand nombre d’institutions et de
marchés et induit une réaction négative commune. Dans les deux cas, la contagion est le
processus par lequel un événement systémique peut provoquer une crise financière. Les
modalités peuvent en être diverses : panique bancaire, étranglement du crédit, baisse
6
générale et profonde des prix des actifs financiers, sinistres ou blocages dans les
systèmes de paiements de gros montants.
Une première approche considère les crises comme des événements aléatoires
sans lien avec les évolutions économiques. Ce sont des croyances auto-réalisatrices
[Diamond et Dybvig, 1983]. Une seconde approche considère que les crises financières
sont liées au cycle économique. Les événements déclenchants sont alors endogènes. Les
crises font partie d’une dynamique par laquelle l’instabilité économique se réalise
[Minsky, 1982]. Dans les deux approches l’hypothèse de fragilité est essentielle. Mais
les divergences de points de vue dans les événements initiateurs entraînent des
différences formelles dans la représentation de la crise.
8
Les ruées proviennent des croyances auto-référentielles de chaque déposant sur la
tentative de retrait prématuré et simultané des autres déposants. Mais ce modèle
n’explique que la ruée sur une seule banque, pas la contagion dans le système bancaire.
Il associe exclusivement le problème de coordination posé par la liquidité au contrat de
dépôt, pas aux marchés financiers.
9
même dans les marchés, du moins dans l’organisation actuelle de la finance. Car les
marchés sont devenus (ou redevenus) des fournisseurs très importants de la liquidité
[Davis, 1994]. Or la liquidité de marché pose un problème de coordination qui est
étroitement lié à l’anticipation des prix futurs [Masson, 1999]. La liquidité de marché
est cruciale parce que les banques vendent leurs actifs pour faire face à l’incertitude sur
les retraits au passif. Mais s’il y a un doute sur la liquidité du marché, l’anticipation du
prix futur ne se coordonne plus sur la fondamentale du titre financier [Genotte et
Leland, 1990]. La crainte que le prix baisse provoque des ventes à sens unique qui font
baisser le prix. Ne sachant plus quel est le prix plancher, les institutions financières qui
sont les apporteurs « naturels » de liquidité se retirent du marché ou s’abstiennent
d’acheter. Il peut donc se produire un équilibre de panique précédé d’une extrême
volatilité des prix.
La prise en compte du crédit dans le financement des actifs est cruciale. C’est le
point sur lequel les théories standard de la finance échouent à expliquer la dynamique
capitaliste. Ces modèles supposent que les investisseurs achètent les actifs avec leur
richesse préalable. Or les investisseurs achètent les actifs avec le crédit provenant de la
création monétaire du système bancaire. Ce processus comporte la possibilité
d’équilibres multiples : l’auto-réalisation des anticipations sur un régime du crédit
influence le mouvement du prix des actifs et peut engendrer des bulles spéculatives.
11
observer les épisodes où le risque systémique a été avéré et mettre en évidence le rôle
crucial du prêteur en dernier ressort.
Dans la quatrième partie on décrira les schémas de contagion qui sont actifs dans
les marchés financiers, par rapport aux modèles théoriques signalés ci-dessus. On
pourra alors s’interroger en conclusion sur l’adéquation du dispositif prudentiel à
l’endiguement du risque systémique.
12
II. L’INSTABILITE ET L’INTERDEPENDANCE DES MARCHES FINANCIERS
Certes la crise asiatique du second semestre 1997 n’a pas répété ce phénomène.
La contagion s’est déployée sur l’ensemble des marchés émergents. Mais les marchés
obligataires des grands pays occidentaux ont été renforcés par la réallocation des
portefeuilles en leur faveur. Celle-ci s’est effectuée préférentiellement vers les marchés
américains dont les taux ont baissé plus que les taux européens au cours du second
semestre 1997.
Après cet épisode les interactions dynamiques entre les marchés, à la fois
boursiers et obligataires, se sont considérablement intensifiées pour aboutir à un cycle
financier mondial qui se développe sur la période 2000-2001 et au-delà. Il est essentiel
de remarquer que les déterminants de ces interdépendances, pour ce qui concerne
13
l’Europe et les Etats-Unis, sont structurels. Il s’agit du couplage entre un système de
gouvernance d’entreprise fondé sur la valeur actionnariale et la prépondérance de
l’opinion publique des marchés dans l’évaluation des performances.
Depuis le milieu des années 1990, les marchés boursiers sont devenus
étroitement corrélés en situation de crise. Ces corrélations ont des facteurs structurels
sous-jacents. Les déterminants sectoriels dans le secteur TMT (technologie – media –
télécommunications) dominent complètement les facteurs géographiques. Ce secteur
moteur de l’innovation technologique donne le ton dans le profil des indices boursiers
dans les marchés des pays développés comme dans les marchés émergents. Il en résulte
que la formation de bulles spéculatives et leur éclatement devient un phénomène
mondial.
Puisque les bourses sont financées avec des leviers élevés, les taux d’intérêt sur
titres risqués vont aussi avoir des évolutions corrélées entre eux et liées étroitement aux
fluctuations de grande ampleur des bourses. Il s’ensuit que l’Europe est soumise au
même cycle financier que les Etats-Unis. Si donc le risque systémique est endogène par
rapport au cycle financier, l’Europe devient vulnérable aux mêmes types de crises. Mais
les systèmes de prévention et de gestion des crises ont évolué en Europe continentale
selon une culture marquée par l’expérience de systèmes bancaires peu ou pas
dépendants des marchés. C’est pourquoi le problème de leur adéquation à une finance
de marché globale se pose.
14
systémique qui se déroulent lorsque des chocs de grande ampleur se produisent dans des
systèmes financiers mûs par la dynamique des marchés.
Les Bourses des Etats-Unis et de la zone euro ont évolué globalement de concert
depuis le début de 1997 (graphique 1). Les phases de baisse sévère sont étroitement
synchronisées : juillet-octobre 1998 d’une part, à partir de septembre 2000 d’autre part.
Pour chacune de ces deux phases, comme pour les hausses qui les ont précédées, les
évolutions des bourses européennes ont été beaucoup plus violentes que celles de la
bourse américaine.
250
200
150
100
50
06/01/97
06/03/97
06/05/97
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06/01/00
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marchés lorsque le risque systémique se manifeste en septembre 1998 et en septembre
2001. Ensuite la volatilité peut rester longtemps sur un palier élevé, même en période
haussière, après résorption de l’événement systémique : un an de septembre 1998 à
septembre 1999. Enfin, contrairement à l’amplitude du mouvement général, ce n’est pas
toujours le même marché qui est le plus volatil. A partir de septembre 2000, des doutes
s’insinuent sur la poursuite de l’expansion américaine à un rythme élevé. La bourse
baisse fortement et la volatilité bondit. La baisse du SP500 entraîne l’indice européen,
bien que la conjoncture de l’Europe demeure robuste. Mais la chute des marchés
européens, bien qu’elle soit sévère, ne provoque pas d’augmentation de la volatilité.
23%
21%
19%
17%
15%
13%
11%
9%
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02/04/00
02/07/00
02/10/00
02/01/01
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02/07/01
EMU USA
0,90
0,85
0,80
0,75
0,70
0,65
0,60
0,55
0,50
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systémique. C’est donc dans les primes de risque de crédit qu’il faut chercher les
indicateurs d’une élévation du risque susceptibles de révéler la possibilité d’une crise
financière globale. Deux indicateurs sont particulièrement utiles à cet égard. Le premier
est l’écart de taux EMBI + entre les obligations Brady et les obligations du Trésor
américain de durée similaire. Bien sûr, ce spread peut indiquer une crise locale qui ne se
propage que dans les pays émergents. Mais ses plus grandes variations montrent des
événements systémiques qui prennent naissance dans des marchés émergents, mais qui
ont des incidences globales. Le second est l’écart de taux de haut rendement (spread
high yield) entre les obligations industrielles risquées (de notation inférieure à Baa) et
les obligations industrielles de première catégorie (Aaa). Chacun de ces indicateurs
incorpore à la fois un risque de liquidité et un risque de crédit.
Graphique 4 - EMBI
2500
2000
1500
1000
500
0
août-98
août-99
août-00
août-01
déc-97
avr-98
déc-98
avr-99
déc-99
avr-00
déc-00
avr-01
16
14
12
10
2
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01/01/01
01/03/01
01/05/01
01/07/01
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EMU Etats-Unis
Source : Moody’s
Mais de quelle volatilité boursière s’agit-il ? Pas de celle des indices globaux,
mais de celle des secteurs où la dynamique des prix d’actifs et du crédit a conduit à la
surévaluation des actifs et à des leviers très élevés, c’est-à-dire à un surinvestissement
jetant le doute sur les profits futurs eu égard aux dettes à rembourser. Dans le
retournement du cycle actuel, c’est le secteur TMT.
20
grandes entreprises européennes, financées partie à crédit, partie par échange d’actions,
atteignait son paroxysme.
La corrélation entre les variations extrêmes des bourses nationales dans la phase
d’expansion qui a suivi la résolution de la crise financière de septembre-octobre 1998 et
la première phase de la baisse jusqu’en avril 2001, avant la stabilisation qui a duré
jusqu’en août, a été bien plus marquée dans le secteur TMT que dans les autres secteurs
(tableau 1).
4000
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
0
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02/03/01
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Euro Etats-Unis
Source : Datastream
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Une fois la récupération de la crise de 1998 effectuée, on ne décèle pas de
tendance dans la bourse américaine hors TMT de mars 1999 à août 2001. C’est la
volatilité qui est plus élevée en permanence qu’elle ne l’était avant la crise russe. En
Europe continentale les bourses hors TMT ont continué à progresser jusqu’en septembre
2000 et se sont retournées ensuite, de sorte que l’évolution entre mars 2000 et avril
2001 est au total peu marquée, comme l'indique le tableau 1. Tout cela confirme que le
secteur TMT donne le ton à la dynamique instable du crédit et des prix d’actifs dans le
cycle économique mondial qui se déploie depuis l’automne 2000.
Qu’est-ce qui se passe dans une crise systémique ? Selon la théorie, c’est la
contagion qui provoque de manière endogène la destruction des avoirs et engagements
financiers. Mais comment la contagion naît-elle et se renforce-t-elle sans que les
systèmes financiers n’aient de capacité endogène à la contenir ? Seul le prêteur en
dernier ressort peut l’étouffer. Car la crainte de la disparition de la liquidité dans les
marchés et (ou) dans les systèmes de paiements est le vecteur de la contagion.
On ne revient pas ici sur la crise financière russe elle-même. Seul nous intéresse
ce qui est original dans cette crise pour avoir servi de détonateur à un désordre
généralisé des marchés financiers, contrairement à la crise asiatique qui avait pourtant
une ampleur beaucoup plus grande.
22
Certains effets de cet événement systémique ont déjà été relevés plus haut : le
surgissement du spread EMBI +, la forte baisse des bourses. Mais l’originalité de la
crise financière est ailleurs. Dans la crise asiatique, les réallocations de portefeuille, les
couvertures des intermédiaires de marché, les retraits de lignes de crédit des banques,
avaient entraîné des achats d’actifs sur les marchés financiers occidentaux. La
propagation de la crise dans les marchés émergents avait donc été guidée par un « flight
to quality ». Les risques dans ces marchés étaient réévalués par rapport aux benchmarks
que sont les titres de dettes bien notées des marchés occidentaux. Une nouvelle structure
de primes de risque s’était établie qui favorisait ces marchés. Dans leur réponse au choc,
les institutions financières avaient discriminé les catégories d’actifs risqués ; ce qui avait
permis une réallocation de capital vers les secteurs de la technologie, surtout aux Etats-
Unis.
23
Tableau 2 - Volatilité implicite sur différents marchés
au cours de la crise de septembre-octobre 1998 ( en %)
Dates repères 14 juillet 26 août 10 septembre 5 octobre
Volatilité implicite à un mois sur les
changes :
Dollar/Mark 8 8 14,5 13,5
Dollar/Yen 16 15 19,0 18,2
Volatilité implicite à l’échéance sur
les bourses :
Standard an Poor’s 500 15 25 43,5 37,5
Nikkei 25 30 40 41
CAC40 21,5 35 42 58
Volatilité implicite à l’échéance sur
les marchés obligataires :
US Long Bond 30 ans 7,7 8,4 9,2 10,4
UK Gilt 30 ans 5,0 5,5 6,4 9,1
Volatilité implicite à l’échéance sur
les contrats de taux courts :
Eurodollar 3 mois 8,3 10,8 15,0 18,4
Euromark 3 mois 9,6 12,0 14,7 17,3
Source : Banque de France, Direction des changes (SAMI)
Plus spectaculaire encore est le TED spread (Treasury, Eurodollar) qui est l’écart
entre le LIBOR à trois mois et le taux des bons du Trésor à trois mois (plus précisément
entre les contrats futurs sur ces titres). Le LIBOR est le taux interbancaire entre les 16
banques les mieux cotées du monde à chaque date. Un accroissement brutal de ce
spread suivi d’un reflux rapide ne peut être considéré comme une inquiétude sur la
solvabilité des meilleures banques du monde qui disparaîtrait du jour au lendemain.
C’est bien plus sûrement l’indication d’une tension sur la liquidité, émanant des
marchés financiers et venant se concentrer sur les banques par le jeu des lignes de crédit
contingentes et de l’exercice des contrats dérivés. C’est donc un indicateur de l’effet de
la contagion.
24
Le graphique 7 décrit l’évolution du TED spread depuis le début de 1997. Le
TED spread 3 mois a une pointe en octobre 1998 jamais atteinte depuis la crise des
caisses d’épargne. Cette hausse brutale est l’effet d’un désengagement généralisé des
opérateurs dans les marchés d’actifs privés, d’un achat des titres publics les plus
liquides et d’une sollicitation des banques à honorer les garanties qu’elles fournissent
(par exemple lignes de crédit de soutien au papier commercial). On remarque qu’une
autre pointe du TED spread s’est produite en novembre 1999, alors que montait la
crainte du bug de l’an 2000 avant que la Réserve Fédérale ne calme l’inquiétude des
marchés en injectant des fonds très abondants qu’elle retira ensuite dès le début de l’an
2000.
Graphique 7 - TEDSPREAD
1,6%
1,4%
1,2%
1,0%
0,8%
0,6%
0,4%
0,2%
0,0%
-0,2%
02/01/96
02/03/96
02/05/96
02/07/96
02/09/96
02/11/96
02/01/97
02/03/97
02/05/97
02/07/97
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02/11/97
02/01/98
02/03/98
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02/03/99
02/05/99
02/07/99
02/09/99
02/11/99
02/01/00
02/03/00
02/05/00
02/07/00
02/09/00
02/11/00
02/01/01
02/03/01
02/05/01
02/07/01
02/09/01
3 mois 1 an
TED : Treasury/Eurodollar
Source : Bloomberg-Calculs CPR Gestion
La Réserve Fédérale a réussi cette double opération avec un art consommé qui
en dit long sur son intimité avec les marchés, source d’une expérience accumulée sans
égale dans le monde. Il est certain que l’eurosystème n’aurait pas pu traiter avec la
même efficacité une crise de ce type. La BCE n’a pas de contact étroit avec des
institutions non bancaires opérant sur des marchés globaux. Les superviseurs sont
fragmentés par pays, certains n’ayant même pas de relation avec leurs banques centrales
nationales. Ils n’ont pas d’obligation institutionnelle de se communiquer l’information
et ont des conduites stratégiques les uns à l’égard des autres.
26
le repli en désordre sur le marché des bons du Trésor. C’est la baisse hors FOMC et non
anticipée du 15 octobre qui fut le véritable tournant de la crise. Le reflux du TED spread
et la remontée des taux d’intérêt des bons du Trésor se produisirent dès le lendemain.
Ce retournement de la confiance est un mystère de la psychologie collective des
marchés. La perte de la confiance était venue de la rupture des conventions
d’évaluation, sous l’effet d’un événement insolite qui était extérieur à l’univers cognitif
dans lequel les agents des marchés financiers déterminent l’exposition au risque qu’ils
acceptent de prendre. La rupture jette les agents dans la confusion dont ils essaient de
sortir par le repli sur la sécurité. En ce sens, il s’agit bien d’une logique d’équilibres
multiples. En réussissant à faire partager sa volonté de mettre un plancher pour stopper
la spirale de baisse des prix de marché, le prêteur en dernier ressort fournit une base qui
redonne un sens à l’évaluation des actifs. Le passage d’un équilibre à un autre étant une
rupture, ce que la destruction des croyances par la crise a défait en un temps record, la
reconstruction des croyances par le prêteur en dernier ressort le refait dans le même
temps.
28
sur leurs fonds en dollars à cause de la perturbation des relations avec leurs
correspondants américains habituels. La Banque d’Angleterre et la Banque du Canada
ont pris les mêmes mesures que la BCE.
La Réserve Fédérale, qui avait déjà baissé sept fois le taux des fonds fédéraux du
début janvier à la fin août, les faisant passer de 6,50 à 3,50%, avait montré qu’elle était
déterminée à limiter la baisse des Bourses et à ne pas laisser la qualité du crédit se
détériorer dans l’ensemble de l’économie. L’action décisive fut menée le 17 septembre,
jour de la réouverture de Wall Street. Le matin, avant l’ouverture officielle des marchés,
Alan Greenspan annonça une baisse de 0,50% du taux des fonds fédéraux. Le plus
cocasse fut la manière dont il a obtenu de la BCE qu’elle prenne la même décision. A 16
h 30 la BCE annonça une opération de refinancement sur le marché monétaire au taux
de 4,25%. A 17 h 30 elle réduisait son taux de refinancement à 3,75%. Mystère de la
communication de la BCE vis-à-vis d’une coopération décidée auparavant, ou
capitulation devant l’insistance américaine ? Dernier acte d’une intervention conjointe
en dernier ressort ou premier acte d’une coordination monétaire pour lutter contre le
retournement d’un cycle mondial ?
Quoiqu’il en soit, les banques centrales ont joué un rôle décisif pour conjurer le
risque systémique. La trace de leur action énergique se lit sur le graphique 7. Parce que
la sauvegarde des systèmes de paiements a été immédiate, le TED spread n’a monté que
de 20 points de base après le 11 septembre au lieu de bondir de 70 points de base,
29
comme il l’avait fait après LTCM et à l’approche de l’an 2000. D’ailleurs, l’abondance
des liquidités injectées a été telle que le taux effectif des fonds fédéraux a été en dessous
du taux objectif pendant plusieurs jours.
Une autre trace se voit sur le graphique 8. Bien que les avances de liquidité dans
le système de paiements soient rapidement remboursées, des interventions massives
s’inscrivent dans la variation du passif de la banque centrale avant d’être résorbées. On
voit ainsi que la base monétaire a littéralement explosé après le 11 septembre. Mais le
précédent du passage de l’an 2000 montre que la Fed peut retirer les liquidités qui sont
devenues excédentaires par le rétablissement de la confiance en quelques semaines.
50%
40%
30%
20%
10%
0%
-10%
-20%
-30%
30/12/96
28/02/97
30/04/97
30/06/97
30/08/97
30/10/97
30/12/97
28/02/98
30/04/98
30/06/98
30/08/98
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Source : Datastream
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Pour approfondir l’analyse, il faut comprendre comment et pourquoi les
comportements micro-économiques des institutions financières conduisent à la fragilité.
Il faut aussi identifier les canaux de la contagion. Ces approfondissements sont
essentiels pour savoir s’il est non seulement possible de gérer les crises par les
interventions en dernier ressort, mais aussi de les prévenir.
On a vu dans la première partie que l’acquisition à crédit des actifs de marché est
la raison du dérapage spéculatif des prix d’actifs, donc de l’exposition au risque des
crédits qui sont adossés à ces actifs en tant que collatéraux. L’usage du crédit en tant
que moyen de prendre des positions à risque est amplifié dans les marchés dérivés de
gré à gré par le comportement d’institutions financières qui se livrent à des arbitrages
fondés sur des anticipations de variations relatives des rendements entre marchés. La
question qui se pose est donc celle de la possibilité d’une sous-évaluation systématique
des risques que révèle le retournement des prix des actifs.
Cette question paraît au premier abord incongrue. L’essor des marchés dérivés
n’est-il pas la preuve d’une meilleure dissémination des risques, donc d’une plus grande
robustesse du système dans son ensemble ? Les techniques de contrôle des risques par
les intermédiaires financiers ne se sont-elles pas grandement améliorées avec l’usage
d’outils statistiques puissants ? Les exigences de fonds propres pour couvrir les pertes
non anticipées ne sont-elles pas des garanties contre les chocs extrêmes ?
31
Enfin, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, les grandes banques
(commerciales ou d’affaires) qui sont actives sur les marchés internationaux de capitaux
recherchent des activités à haut rendement pour élever la profitabilité de leurs fonds
propres. Le déplacement du poids de leurs actifs des prêts bilatéraux à une clientèle
stable vers la finance de marché a modifié la structure des risques. C’est pourquoi il ne
saurait être question de se contenter d’observations superficielles. Si sous–estimation
des risques il y a, il faut en rechercher les raisons dans la logique de la finance de
marché, sans recourir à des hypothèses d’irrationnalité dans le comportement des
acteurs.
Les méthodes statistiques d’évaluation des risques fondées sur la loi des grands
nombres sont mises en difficulté lorsque l’incertitude est endogène. Un premier type
découle des interactions stratégiques entre les participants au marché. On a déjà
remarqué que la liquidité, lorsqu’elle ne peut être tenue pour acquise, est un facteur de
telles interactions. Les pertes anticipées sur un portefeuille d’actifs peuvent alors être
beaucoup plus élevées que ne l’indiquent les modèles standard d’évaluation des risques
de marché (modèles de la Value-at-Risk). Un second type d’endogénéité vient
d’événements non contenus dans l’expérience passée des opérateurs et qui exercent une
influence sur les marchés. Ce sont des innovations qui sont hors de la base
d’information disponible. Pour s’orienter dans cet environnement, les agents recourent à
des démarches procédurales qui entraînent des interactions stratégiques.
L’interdépendance des risques de crédit et de marché, déclenchée par des chocs macro-
32
économiques de grande ampleur, est de cette nature. Car il n’existe pas de méthode
statistique fondée sur des théorèmes établis pour prendre en compte cette
interdépendance. Mais alors les procédures adoptées par les agents dissocient la
rationalité individuelle et la rationalité collective. Les dispositions prises par chacun
pour tenter de se protéger aggravent la situation financière de tous.
Comme il n’est pas possible d’englober la gestion des risques de crédit et des
risques de marché, on examinera séparément les modèles de gestion de ces deux types
de risque et on montrera en quoi ils peuvent être des supports micro-économiques du
risque de système. Puis on évoquera des méthodes fondées sur la théorie des valeurs
extrêmes qui cherchent à dépasser les apories de la gestion standard du risque.
Plus précisément la VaR est une mesure probabiliste de la perte ponctuelle d’un
portefeuille de composition donnée, résultant des variations futures des facteurs de
risque. La VaR est définie par la perte maximale probable à un degré de confiance α %.
C’est donc la perte qui ne sera pas dépassée dans plus de (100-α)% des cas, lorsqu’une
position de structure donnée est maintenue pendant une durée [0, T].
{
Pr Vo − VT ≥ VaR ≤ } 100 − α
100
33
sensibilité des composantes du portefeuille à ces facteurs de risque. Il s’agit d’une
mesure de la composante non anticipée du risque de marché, puisqu’elle provient des
moments statistiques d’ordres supérieurs à un de la distribution de probabilité conjointe
des variations futures des facteurs de risque.
Tant que les marchés fonctionnent de manière que l’incertitude puisse être tenue
pour exogène, l’indépendance temporelle des événements aléatoires est
approximativement satisfaite. La VaR est alors un outil puissant de contrôle du risque.
C’est un prolongement du modèle de diversification optimale des portefeuilles et de
l’évaluation de la composante anticipée du risque systématique qui est incorporée dans
les primes de risque. Elle donne, en effet, une base rationnelle pour déterminer le capital
qu’il faut mettre en réserve pour absorber les pertes non anticipées. Si donc les marchés
financiers fonctionnent conformément à l’hypothèse qui fonde le modèle de la Value-at-
Risk et si les systèmes de gestion des institutions financières sont adaptés à cette
méthode de contrôle, il ne peut pas exister de sous-évaluation systématique du risque de
marché.
34
S’apercevant tardivement que leurs pertes sont disproportionnées par rapport au
capital précédemment mis en réserve, les établissements financiers cherchent à capter
les queues de distribution épaisses qu’ils avaient sous-estimées. Ils fixent des limites de
pertes à leur portefeuille. Pour tenter de les réaliser, ils se précipitent sur les actifs les
plus liquides. En outre, les agents dont les positions ont été acquises avec un effet de
levier sont contraints par leurs créanciers de compenser la baisse de la valeur des
collatéraux. Ces appels de marge les forcent à liquider des actifs de détresse.
Les réserves liquides recherchées doivent donc croître au fur et à mesure que la
valeur des positions baisse. Ce besoin immédiat et généralisé produit une externalité qui
rend cette couverture impossible pour tous. Ce sont les actifs les plus faciles à liquider
qui vont l’être. Les autres actifs, temporairement invendables, vont constituer un
portefeuille résiduel non couvert. Les pertes sur ce portefeuille font face aux dettes à
rembourser. Parallèlement le prix de la liquidité s’élève. Ainsi la mauvaise appréciation
de la liquidité de marché par les modèles VaR de gestion du risque entraîne
l’endogénéisation du risque. L’effort des firmes pour fermer leurs positions se retourne
contre elles lorsque les risques de crédit et de marché se répercutent les uns sur les
autres.
Le cas des hedge funds, des banques d’affaires et des grandes banques
commerciales après le moratoire russe d’août 1998 est exemplaire à cet égard. Ces
opérateurs ont recouru activement pendant et après la crise asiatique à un type de
spéculation appelé arbitrage d’anticipation. Ils vendaient à découvert des titres chers et
achetaient des titres bon marché. Ils en espéraient un gain en capital si les rendements
des titres devaient se rapprocher. Or toute l’information statistique indiquait que cela
s’était produit le plus souvent de 1992 à 1997. Les crédits demandés par ces
spéculations pour constituer d’énormes leviers étaient accordés sur la foi de leurs
performances passées, d’autant que les prêteurs se croyaient garantis par les collatéraux
[BRI, 1999]. L’exposition courante était bien couverte par les collatéraux, mais
l’exposition potentielle future était sous-estimée par les modèles VaR.
Le risque de crédit pose des problèmes bien plus épineux encore. Certes la
Value-at-Risk peut y être étendue. Mais sa mesure rencontre des obstacles qui
proviennent du profil de risque. De plus les corrélations entre les facteurs de risque ne
peuvent être observées directement. Car le crédit bancaire agglomère des catégories de
risque très différentes : prêts aux clients, financement de positions de marché, crédit
incorporé dans les dérivés de gré à gré, crédit dans les systèmes de paiements, crédit lié
au change.
Cette question est cruciale puisque le calcul de la VaR dépend des matrices de
transition entre les classes de risque (en particulier de la probabilité de défaut) et des
montants de pertes dans chaque classe (en particulier des pertes en cas de défaut). Or le
caractère procyclique des notations peut être généralement constaté : la qualité des
crédits est jugée bonne en période d’expansion, dégradée après le retournement. Ainsi
le processus principal conduisant à la fragilité financière par expansion rapide du crédit
et hausse des prix boursiers n’est pas capté par les modèles de risque de crédit. Il y a
une sous-évaluation dans la phase d’expansion.
Les difficultés d’évaluation du risque de crédit sont donc très grandes. La faible
fréquence des défauts rend caduque l’hypothèse de stationnarité de la loi de probabilité
des pertes. Il s’ensuit que l’incertitude sur les queues de distribution est très forte.
L’effet d’une sous-estimation des pertes peut être très coûteux. Car plus la queue de
distribution est épaisse, plus de faibles variations sur la probabilité acceptable de défaut
provoquent de grandes différences dans le capital à allouer pour absorber les pertes non
anticipées.
Les événements les plus dangereux sont alors les événements rares qui peuvent
causer des pertes extrêmes [Herring, 1999]. La connaissance de tels événements
catastrophiques est très faible. Ils sont de l’ordre de l’incertitude radicale à la Knight.
C’est vis-à-vis de l’occurrence de tels événements que les agents de la finance ont
recours à des logiques procédurales sous la forme d’heuristiques. La combinaison de
deux heuristiques conduit à l’attitude de myopie au désastre [Guttentag et Herring,
1983]. La première est une heuristique de disponibilité à la Kahneman et Tversky. Elle
stipule que la probabilité subjective d’un événement rare baisse au fur et à mesure que
la mémoire de cet événement s’efface. S’il ne s’est pas produit depuis longtemps, sa
probabilité d’occurrence est traitée comme si elle était nulle. La deuxième est une
heuristique de seuil à la Simon. Il existe un seuil heuristique pour la probabilité
subjective de l’événement où il se produit une discontinuité. En dessous de ce seuil la
probabilité tombe à zéro. Cela conduit à la myopie au désastre.
37
des distributions de probabilité des rendements sur les portefeuilles de crédits
s’épaississent pour toutes les banques du côté des pertes. Pour conserver la même
notation, les banques doivent énormément augmenter le capital à allouer en regard des
pertes potentielles.
Considérons une période de temps qui est la base de données historiques sur les
rendements d’un actif financier. Cette période est découpée en intervalles de temps
élémentaires (le jour, la semaine) de longueur donnée. Dans chaque intervalle on
observe le rendement minimum réalisé. On construit une série des minima. Ce sont les
réalisations d’une nouvelle variable aléatoire, la valeur extrême induite par le processus
stochastique initial.
38
Le théorème des valeurs extrêmes énonce que, si l’on normalise cette variable à
l’aide de deux paramètres (un facteur d’échelle et un paramètre de localisation), la
valeur extrême normalisée a une distribution de probabilité asymptotique (lorsque le
nombre d’intervalles de temps tend vers l’infini) qui est indépendante de la loi de
probabilité du processus stochastique initial. La forme de cette distribution de
probabilité limite ne dépend que d’un paramètre (appelé l’indice de queue) qui
détermine l’épaisseur de la queue [Boulier et Longin, 1999].
39
Comme un portefeuille complexe comporte des positions longues et des
positions courtes dans les facteurs de risque, il faut estimer des distributions
multivariées des rendements minimaux et maximaux. Mais cette méthode est
extrêmement lourde si le portefeuille change, car il faut réestimer à chaque fois la
distribution asymptotique multivariée. Une approche simplifiée consiste à calculer les
VaR des positions longues et courtes univariées de chaque facteur de risque, puis à
estimer les coefficients des corrélations entre les statistiques des valeurs extrêmes
minimales et maximales de ces facteurs de risque. On détermine ensuite la VaR de la
position par une formule ad hoc d’agrégation des VaR des différents facteurs de risque.
Cette utilisation des valeurs extrêmes est loin d’être pratiquée dans les modèles
internes de contrôle du risque. Mais elle pourrait l’être pour le risque de marché. Elle est
impraticable pour le risque de crédit. Elle suppose, en effet, pour pouvoir déterminer la
distribution de probabilité asymptotique, de fabriquer une série suffisamment longue
des rendements extrêmes. Cela requiert une base de donnée très importante des
rendements initiaux, donc des données à haute fréquence. Si elle est impraticable pour
le risque de crédit, elle l’est a fortiori pour les interdépendances entre risque de marché
et risque de crédit qui sont réfractaires aux méthodes statistiques.
Il faut donc se résoudre à construire des scénarios de stress qui posent des
problèmes épineux. On peut définir le «stress testing» comme l’étude des effets
potentiels sur les conditions financières d’un établissement d’un ensemble spécifié de
changements dans les facteurs de risque résultant d’événements exceptionnels mais
plausibles [BRI, 2000]. Ces tests cherchent à mesurer les pertes produites par une
exposition à ces changements sans construire de modèles statistiques pour les
événements systémiques qui en sont les sources.
Dans les pratiques actuelles des banques, les scénarios sont le plus souvent
construits sur une répétition des crises passées. Mais on a vu que l’ampleur des pertes
dépend de la contagion, donc des positions des autres. Le test le plus significatif serait
40
de supposer que les autres ont les mêmes positions que l’établissement qui fait le test.
Tout le monde cherchannt à sortir en même temps, il y a crise de liquidité et donc
impossibilité de sortir sans pertes élevées. Mais ce test est très difficile à faire, car il
dépasse le point de vue individuel de l’établissement vis-à-vis d’un environnement qui
subit des chocs exogènes. Une banque individuelle ne peut pas calculer l’impact sur la
liquidité du montant agrégé des positions qui sont prises par toutes les banques.
Supposons maintenant qu’il y ait un choc initial quelle que soit sa nature et
concentrons-nons sur la question de la contagion. Les comportements micro-
économiques qui déclenchent la contagion résultent des méthodes de gestion de risque
étudiées dans la partie précédente. Il reste à analyser les processus de la contagion eux-
41
mêmes. On présentera d’abord un schéma général de ces processus. Puis on examinera
le rôle des marchés dérivés de gré à gré.
Partons d’un schéma proposé par le Comité sur le système financier global qui
synthétise son enquête sur les crises financières récentes [BRI, 1999]. On expliquera ce
schéma descriptif à l’aide des renseignements de la théorie du risque systémique
exposée dans la première partie qui le relie au cycle financier.
Le choc initial, quel qu’il soit, provoque une baisse non anticipée des prix des
actifs dans une situation fragile. Rappelons que dans une telle situation la crise ne
pourrait être évitée que par la poursuite de l’expansion du crédit à un rythme au moins
égal à celui qui était anticipé dans la phase de hausse du prix des actifs [Allen et Gale,
1999]. C’est le régime du crédit que Minsky appelait «spéculatif», c’est-à-dire viable
seulement si les anticipations de hausse des prix sont réalisées.
Choc Réallocations
initial de
portefeuilles
Réduction Propagations
du entre
levier marchés
Assèchement
de la
liquidité
Augmentation Augmentation
du du
risque de crédit risque de marché
Les réallocations de portefeuille dans le sens d’une fuite vers la qualité sont
amplifiées par les conséquences mécaniques de contraintes sur les bilans des différentes
catégories d’institutions financières. Les investisseurs institutionnels qui drainent
l’épargne collective doivent un rendement garanti aux titulaires de plans d’épargne.
Aussi la gestion passive comporte-t-elle des programmes d’assurance de portefeuille et
des seuils de stop-loss. Ces contraintes provoquent la vente des actifs dont les prix
baissent. De même les appels de marge dans les marchés organisés et les non
reconduction des lignes de crédit qui avaient financé les achats à découvert, entraînent
des ventes de détresse. Enfin les intermédiaires sur les marchés dérivés se trouvent dans
l’impossibilité de couvrir leurs positions sur ces marchés et doivent recourir à une
couverture dynamique sur les marchés des actifs sous-jacents. Cela les conduit à vendre
à la baisse. Ce phénomène est suffisamment important pour qu’on l’analyse
spécifiquement dans la sous-partie suivante.
43
marchés des actions, ils sont conduits à vendre les titres obligataires qu’ils peuvent
liquider.
θ est une véritable aléatoire qui décrit l’évolution du rendement d’un actif
financier dans des conditions de liquidité constante. Soit Π la proportion des
intervenants qui exercent une pression vendeuse nette à cause des mécanismes décrits
plus hauts qui entraînent une augmentation de l’aversion pour le risque. Appelons λ la
sensibilité du rendement aux ventes. Ce paramètre est une fonction inverse de la
liquidité du marché. L’effet des ventes sur le rendement est :
R = θ − λπ
44
A l’effet de la volatilité «normale» du prix s’ajoute le saut qui découle de la
pression des ventes. Plus cette pression est forte parce que les stratégies de repli sont
semblables et plus la liquidité du marché est faible (parce que l’incertitude décourage
l’offre de contreparties), plus la distribution de probabilité du rendement de l’actif se
déforme. Si la distribution initiale était proche d’une loi log-normale, une valeur élevée
de λ peut la transformer en une distribution bimodale. Dans ce cas la pression vendeuse
peut être suffisante pour faire s’effondrer le marché [Morris et Shin, 1999].
Les marchés dérivés de gré à gré jouent un rôle essentiel dans la globalisation
financière. Leur taille gigantesque l’atteste. Fin 1998 déjà l’encours des contrats dérivés
de gré à gré atteignait un encours notionnel de $80 trillions, soit autant que le total
mondial des prêts, des titres et des actions.
Le noyau des marchés dérivés de gré à gré est donc le réseau des transactions
entre les grands intermédiaires. C’est là que finalement la part du risque rejeté par les
utilisateurs finaux grâce à leurs achats de produits dérivés est concentrée. Ce risque est
redistribué entre les intermédiaires ; ce qui donne lieu à des montants de transaction très
élevés entre eux. Cependant les fonds spéculatifs participent aussi à ce rôle de
contrepartiste. Il s’agit alors d’expliquer comment cette structure de marché très typée,
qui est efficace dans un environnement financier calme, peut accélérer la contagion en
temps de stress [Steinherr, 2000].
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plus il faut le vendre pour que l’option synthétique compense la perte croissante sur la
put que l’intermédiaire a rendu courte. C’est la couverture en delta, ou en delta et
gamma pour les opérateurs qui utilisent un développement deTaylor au second ordre
[Estrella, 1995]. La demande exercée par la couverture dynamique est donc fonction
rapidement croissante du prix parce que le delta augmente avec le prix pour les options
dans la monnaie. Lorsque cette composante de la demande est forte cela suffit à rendre
la demande totale sur le marché déstabilisante, comme plusieurs crises de change l’ont
montré (rôle des options dans les crises de la lire et de la livre sterling en septembre
1992, du peso en décembre 1994, plusieurs épisodes de variations extrêmes dollar-yen
entre mai 1995 et octobre 1998). Le prix de l’actif attaqué peut alors s’effondrer
brusquement selon une loi de probabilité de type Poisson.
En effet, les positions sur dérivés de gré à gré ne sont pas transparentes. Il est
impossible aux acteurs du marché de connaître l’offre et la demande agrégée à
différents niveaux de prix, parce que les risques sur les positions dérivées peuvent se
modifier brutalement avec les fluctuations des marchés et ne sont pas divulgués. C’est
pourquoi les ordres d’acheter ou de vendre explosent lorsque les prix sur les actifs sous-
jacents franchissent des seuils conventionnels. L’impact des positions sur dérivés,
financées par des leviers pouvant attendre 50 ou 100, a été un aspect majeur de la crise
de septembre-octobre 1998.
Lorsque les prix des actifs sous-jacents deviennent plus volatiles, les risques
s’accroissent pour les intermédiaires des marchés dérivés qui ont des positions sur de
nombreux produits complexes. Même si les positions nettes instantanées sont faibles
tant que les distributions de probabilité des actifs sous-jacents sont normales, les pertes
potentielles peuvent croître rapidement lorsque ces distributions se déforment. Il faut
alors augmenter les dépôts de marge et les collatéraux. Cela se fait généralement en
47
tirant sur les lignes de crédit de stand-by auprès des banques qui sont les plus actives
dans les marchés monétaires des grandes places financières. A leur tour celles-ci
doivent emprunter des réserves marginales en contrepartie de l’augmentation de leurs
crédits. Cela provoque une tension sur le taux au jour le jour et sur les contrats futurs de
taux d’intérêt entre banque. Hormis une injection immédiate de fonds par la banque
centrale, le TED spread s’élève, comme on l’a vu dans la seconde partie. Lorsque les
liquidités ne sont pas disponibles pour les établissements dont les positions sur les
marchés dérivés paraissent très risquées aux banques qui animent les marchés
monétaires, ces établissements doivent vendre précipitamment leurs actifs les plus
liquides. Le besoin urgent de liquidité crée une pression baissière sur une vaste gamme
d’actifs.
L’énorme effet de levier permis par les marchés dérivés à coûts de transaction
bas est une troisième source de contagion. Car il facilite les positions spéculatives telles
que l’arbitrage d’anticipations. Il s’agit, on l’a vu, d’un processus qui alimente les bulles
spéculatives. C’est pourquoi les pertes de ces agents peuvent être très grandes et
fulgurantes. Barings, Orange County, Sumitomo Securities, LTCM, sont dans toutes les
mémoires pour ne citer que quelques victimes parmi un très grand nombre. La faculté
pour les responsables de cacher les pertes ne fait qu’aggraver la vulnérabilité. Elle rend
aussi plus ardu le rassemblement d’information par les banques centrales pour détecter
le risque systémique et allonge le délai d’une intervention éventuelle.
Les marchés dérivés ont fait la globalisation financière. Ils contribuent aussi à la
contagion lorsqu’un événement systémique se produit. Les problèmes que posent les
marchés de gré à gré sont l’opacité du risque de contrepartie, l’incertitude de
l’évaluation des contrats lorsque les prix des actifs sous-jacents ont des variations fortes
et brutales. Cette incertitude déclenche des ventes précipitées dans les marchés
baissiers.
48
CONCLUSION : ENDIGUEMENT DU RISQUE SYSTEMIQUE
Il se pose donc des questions de principe sur ce que peut faire la régulation
prudentielle et des questions d’organisation en Europe. Dans cette conclusion on ne
s’intéressera à ces questions que du point de vue du risque systémique, donc de la
stabilité financière dans son ensemble. On peut juger que c’est le plus important. En
effet, dans des conditions normales de marché, les moyens de contrôler le risque venant
des marchés eux-mêmes remplacent avantageusement les réglementations détaillées. Il
y a trois dimensions au problème de l’endiguement du risque systémique. La première
est l’infrastructure des marchés. La seconde est la supervision. La troisième est le
prêteur en dernier ressort.
49
le risque bancaire pour ses déposants. Avant d’être un problème d’information, la
discipline de marché est une question de structure. Elle ne peut être établie que sur des
marchés organisés. Le minimum d’organisation est l’établissement de chambres de
compensation [Steinherr, 2000].
Des chambres de compensation peuvent être établies dans les marchés de gré à
gré, sans que les transactions elles-mêmes soient centralisées sur une Bourse. La
centralisation complète des transactions implique, en effet, des contrats standardisés car
homogènes pour aboutir à des prix publics, évalués quotidiennement. Cela est
incompatible avec des produits qui sont sur mesure. Mais il est possible d’établir des
chambres de compensation pour la gestion du risque.
50
La mise en place de chambres de compensation dans les marchés de gré à gré est
lente. Elle se fait à l’initiative des professions de différentes catégories de produits
dérivés. Elle est encore limitée par le carcan des cadres nationaux. On est encore très
loin d’un système global pour les transactions sur les sous-jacents et les dérivés. Mais il
y a une initiative importante pour les transactions de change (le système CLS Services
qui devrait entrer en opération à Londres en 2002). L’objectif est de parvenir à une
compensation multilatérale multi-devises avec règlement simultané en temps réel des
deux côtés d’une transaction de change : «continuous-linked settlement». S’il couvre
toutes les grandes devises, ce système pourra éliminer le risque de réglement dans les
marchés de change (risque Herstatt).
Mais pour estimer le risque de liquidité, qui est une information cruciale pour le
prêteur en dernier ressort, à partir de l’agrégation de scénarios de stress, il faudrait
pouvoir modéliser les scénarios agrégés. Cette ambition est actuellement hors de portée.
52
centrale soutient la banque en difficulté, c’est l’aléa moral qui est l’objet de
contestation. Il faut donc que l’action du PDR s’inscrive dans une restructuration bien
conduite, sous l’égide de l’organisme public d’assurance des dépôts ou du Trésor
public. Une crise de marché est différente. Le principal handicap est la double difficulté
à détecter le maillon faible dans l’interdépendance des marchés et à disposer des
instruments pour une intervention ponctuelle.
La première difficulté renvoie à ce qui a été dit plus haut. La banque centrale n’a
pas les instruments d’investigation et de modélisation de la contagion pour déterminer
la probabilité d’occurrence d’une crise systémique et le maillon faible où elle peut se
déclencher. La seconde difficulté n’est pas technique, mais de doctrine. La banque
centrale n’a pas les moyens d’une intervention chirurgicale dans un marché particulier,
parce qu’elle n’a pas vocation à acquérir des titres qui portent des risques de marché et
de crédit. Remarquons qu’il y a au moins un contre exemple. Pendant la crise asiatique,
l’autorité monétaire de Hongkong a acheté des actions pour éviter l’effondrement du
marché sous l’effet de la spéculation des fonds d’arbitrage.
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