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Psychiatrie

B 242

Syndrome névrotique :
hystérie de conversion
Diagnostic, traitement
Dr Isabelle MOURAD, Pr Jean ADÈS
Service de psychiatrie, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes cedex.

Points Forts à comprendre « en manchette » (Janet), des monoplégies, des hémiplé-


gies, des quadriplégies, des paralysies du pouce. Les para-
lysies siègent plus volontiers du côté gauche. Les contrac-
• Le terme d’hystérie désigne des manifestations tures peuvent concerner un membre, un doigt, un muscle
disparates : des symptômes, un type de du cou réalisant un torticolis, ou les muscles paravertébraux
personnalité, un style d’expression des émotions. (camptocormie). Le diagnostic repose sur l’absence de sys-
• Les classifications critériologiques récentes ont tématisation des symptômes et de signes neurologiques
supplanté les classifications qui prolongeaient objectifs.
les descriptions de Freud : la névrose hystérique • Des mouvements anormaux peuvent apparaître, ils sont
associant la personnalité hystérique également non systématisés et réalisent le plus souvent des
et des symptômes de conversion. tremblements, des mouvements choréiques, des tics. Ils
• Ces symptômes conversifs peuvent être sont peu gênants mais rechutent fréquemment et ont ten-
d’expression somatique ou psychique. dance à se chroniciser.
• Les classifications plus récentes (DSM IV
ou CIM 10) ont démantelé le concept de nécrose 2. Atteintes sensitives
hystérique et ont divisé les symptômes hystériques Les atteintes sensitives s’associent souvent aux atteintes
en deux grandes catégories : les troubles motrices.
somatoformes (somatisation, conversion, algie) • Les anesthésies peuvent atteindre la sensibilité superfi-
et les troubles dissociatifs (amnésie, fugue, trouble cielle et profonde, elles peuvent être complètes ou par-
de l’identité, transe). tielles, leur localisation est variable et influencée par les
conditions de l’examen. Leur distribution anatomique cor-
respond à la partie du corps qui, pour le sujet, symbolise
sa maladie. Elles sont souvent décrites par des métaphores
vestimentaires (anesthésie en manche, en doigt de gant, en
caleçon, en botte), hémianesthésie du corps au « cordeau »,
Syndromes hystériques anesthésie d’un membre avec incapacité à l’utiliser sans le
Symptômes somatiques durables regard.
• Des points hyperesthésiques peuvent être associés à
1. Atteintes motrices l’anesthésie cutanée et muqueuse. Les descriptions clas-
• L’astasie-abasie est fréquente ; elle est caractérisée par siques étant le « clou hystérique » de Sydenham au som-
une incapacité à se tenir debout et à marcher, entraînant met du crâne, les « zones hystérogènes » de Charcot, en
des chutes parfois spectaculaires, sans déficit neurologique particulier les points ovariens dont la compression
objectivable. Elle est fluctuante, peut durer de quelques déclenche une attaque.
semaines à quelques mois et récidiver. Elle est parfois asso- • Les algies sont très fréquentes. Elles s’observent chez les
ciée à des symptômes mineurs de type vertiges, dérobe- hommes et chez les femmes, à tous les âges, mais leur fré-
ments des jambes, impression d’instabilité à la marche. quence et leur caractère rebelle augmentent avec l’âge. Ces
• Les paralysies et les contractures de divers groupes mus- douleurs sont fixes, ou leur localisation est variable ; elles
culaires peuvent être observées. Il n’existe aucun signe peuvent être temporaires ou persistantes mais entraînent
objectif d’atteinte lésionnelle centrale ou périphérique. souvent une impotence fonctionnelle disproportionnée. Les
Elles ne respectent pas la systématisation anatomique mais principales localisations sont, par ordre de fréquence
prennent modèle sur les représentations populaires, expri- décroissant, la tête et le cou, le thorax et les membres supé-
mant l’idée que le malade se fait des maladies et du fonc- rieurs, le tronc et le dos, la région pelvienne. Ces algies
tionnement de son propre corps. Tout type de tableau peut expliquent en partie la multiplication des consultations
se voir : on a décrit des paralysies « en marche de veste », médicales par les hystériques.

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SYNDROME NÉVROTIQUE : HYSTÉRIE DE CONVERSION

3. Atteintes sensorielles somatique, une phase épileptoïde tonique, puis clonique


• Atteinte visuelle : les atteintes sensorielles concernent désordonnée, une phase de contorsions en arc de cercle,
surtout la vue : rétrécissement concentrique ou circulaire une phase d’attitudes passionnelles mimées avec immobi-
du champ visuel, scotome ou amblyopie transitoire, diplo- lité extatique ou agitation frénétique, des transes. Les crises
pie monoculaire, hémianopsie, macropsie ou micropsie, mineures sont aujourd’hui bien plus fréquentes : pseudo-
brouillard visuel. Les troubles visuels sont volontiers tran- crises « convulsives » hystériques, le plus souvent sans mor-
sitoires chez la femme, plus massifs et chroniques chez sure ni incontinence urinaire, ni blessure ; crises d’agita-
l’homme (cécité). tion, « crise de nerfs », crises syncopales, évanouissements,
• Atteinte auditive : la surdité survient électivement après crises tétaniformes, souvent qualifiées de « spasmophilie ».
un choc émotionnel avec stimulus sonore (explosion) ; elle
se rencontre volontiers dans certaines professions où l’au- Symptômes conversifs
dition a une place importante (standardiste). d’expression psychique
4. Phonation 1. Troubles de la mémoire
L’atteinte de la phonation est fréquente chez la femme et Les troubles de mémoire de l’hystérique sont caractérisés par
se traduit par une aphonie ou une dysphonie, c’est-à-dire une difficulté élective à évoquer certains souvenirs (amnésie
une impossibilité de parler autrement qu’en chuchotant psychogène). L’évocation biographique est floue, imprécise
d’une voix à peine audible. La communication gestuelle, et abonde en lacunes et oublis. L’amnésie infantile prolon-
l’expression orale ou écrite sont respectées. D’autres gée est caractéristique. Les amnésies électives correspondent
troubles tels que des bégaiements, aboiements, mugisse- à l’oubli sélectif d’une expérience honteuse ou pénible, d’une
ments, se rencontrent parfois ainsi que le mutisme total sur- période de vie, ou la méconnaissance systématique d’un évé-
venant surtout après un choc émotionnel. nement douloureux. Les illusions de mémoires et les fabula-
tions viennent souvent combler les lacunes liées à l’amnésie
5. Système neurovégétatif élective. Les plus caractéristiques sont les faux souvenirs de
Les symptômes somatiques durables peuvent également scènes infantiles de séduction ou de viols.
concerner le système neurovégétatif. Ces atteintes réali-
sent des spasmes des muscles lisses et des sphincters : on 2. Inhibition intellectuelle
peut observer des spasmes pharyngés pouvant empêcher L’inhibition intellectuelle peut être le symptôme unique,
toute alimentation, une « boule œsophagienne », des vomis- caractérisé par l’incapacité à effectuer un effort intellectuel
sements incoercibles, des spasmes respiratoires avec « toux et un désinvestissement de la vie psychique et relationnelle.
nerveuse », des spasmes vésicaux avec rétention d’urine ou 3. Troubles de la vigilance
énurésie, un vaginisme.
Le cathémophrénose ou « gros ventre hystérique » est lié Le plus commun de ces troubles chez l’hystérique est la
au spasme du diaphragme associé à un tympanisme abdo- distractivité qui permet au patient de négliger les percep-
minal. Le tableau se complète parfois par un arrêt des règles tions extérieures vécues comme déplaisantes.
et un gonflement mammaire réalisant une « grossesse ner- • Les états somnambuliques représentent un aspect carac-
veuse », devenue aujourd’hui exceptionnelle. téristique des phénomènes de clivage de la conscience.
Des troubles vasomoteurs et trophiques accompagnent • Les fugues dissociatives, caractérisées par un ou plusieurs
exceptionnellement certaines paralysies (épaississement des épisodes de voyage soudain, inattendu, réfléchi, loin du
téguments, refroidissement, cyanose, œdèmes sous-cutanés). domicile ou du lieu habituel de travail associés à une inca-
Une prédisposition somatique peut les expliquer mais leur pacité à rappeler son propre passé et son identité. L’amné-
entretien volontaire est parfois suspecté (pathomimies). Leur sie d’identité, rare, en représente une forme extrême.
surveillance étroite entraîne souvent leur disparition ; il en • Les troubles dissociatifs de l’identité ou personnalité
est de même pour d’autres pathomimies, telles que les fièvres multiple sont des troubles de l’identité réalisant une ou plu-
inexplicables, les hémorragies localisées, les stigmates. sieurs personnalités distinctes ayant chacune des attitudes
Les troubles alimentaires sont fréquents, anorexie sans mai- et un comportement particuliers.
greur marquée ni aménorrhée, associée à des vomissements. • Les états crépusculaires réalisent un état second res-
Les troubles psycho-sexuels sont presque constants selon semblant à l’absence temporale susceptible de durer de
certains auteurs. Chez la femme, on observe une diminu- quelques jours à deux ou trois semaines. Le syndrome de
tion de la libido, une frigidité voire une répugnance pour Ganser (altération de la mémoire, réponses à côté ou
la sexualité. Les dyspareunies sont souvent évoquées pour absurdes) en constitue une variété rare.
éviter les relations sexuelles. Les troubles des règles asso- • La stupeur dissociative réalise un état d’immobilisme
cient souvent des dysménorrhées, des aménorrhées. Chez avec réduction de la motricité volontaire et du langage,
l’homme, les troubles sexuels sont moins fréquents : éja- conservation de la réactivité du regard.
culation précoce, impuissance.
Symptômes somatiques paroxystiques Diagnostic de conversion hystérique
Les crises excito-motrices réalisent classiquement la grande Le diagnostic de conversion hystérique ne doit être porté
attaque de Charcot, qui peut durer de 10 à 15 minutes ; elles qu’avec prudence, car les erreurs sont fréquentes et le risque
comprend successivement, après une aura d’angoisse de méconnaître une pathologie organique est réel.

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Pour poser ce diagnostic, il est nécessaire de caractériser jours souhaitable car plus la conversion est prolongée, puis
convenablement les symptômes du patient. Les symptômes elle risque de récidiver, voire de se chroniciser.
conversifs sont souvent particuliers, mobiles, variables, • La narco-analyse consiste à injecter très lentement, par
suggestibles. Ils sont présentés de façon théâtrale et on voie intraveineuse, des barbituriques ou plus rarement des
retrouve le plus souvent une « belle indifférence », c’est-à- benzodiazépines. Le patient est ensuite incité à évoquer les
dire qu’aucune participation affective, notamment facteurs de stress et les conflits de son existence. Cette tech-
anxieuse, n’est associée à la description des symptômes nique peut être efficace de manière transitoire, permettant
comme ce pourrait être le cas lors d’une atteinte organique. une diminution des symptômes conversifs et une meilleure
On repère souvent des facteurs déclenchants et l’existence connaissance du patient et de sa biographie. L’efficacité est
de bénéfices secondaires. Pour orienter le diagnostic, il est cependant beaucoup plus limitée en cas de conversions
indispensable de connaître les antécédents d’accidents anciennes.
conversifs du patient, s’ils existent, mais également les élé- • L’hypnose permet aussi de faire disparaître de manière
ments de personnalité (histrionisme, égocentrisme, labilité transitoire les symptômes conversifs qui réapparaissent dès
émotionnelle, facticité des affects, dépendance affective, que le patient n’est plus sous hypnose. Le thérapeute peut
érotisation des rapports sociaux, avidité affective). L’élé- utiliser des techniques de suggestion post-hypnotique pour
ment le plus sûr pour orienter le diagnostic repose sur l’ab- obtenir des effets plus prolongés.
sence de systématisation organique de ces symptômes, • Les thérapies comportementales, fondées sur la relaxa-
encore faut-il pouvoir éliminer toutes les étiologies, même tion, permettent aussi une diminution des symptômes. Les
les plus rares. Dans tous les cas, il est indispensable de réa- thérapeutiques comportementales aversives, comportant
liser un examen somatique et notamment neurologique des techniques agressives (faradisation), ne sont plus pra-
complet. En effet, de nombreuses affections organiques tiquées.
peuvent rendre compte de manifestations apparemment Les prises en charge au long cours ne seront plus centrées
hystérique (sclérose en plaque, épilepsie partielle, tumeurs sur le symptôme conversif, mais auront pour objet de pro-
cérébrales, détérioration mentale, hypoglycémie, hypocal- poser au patient une relation thérapeutique rassurante et
cémie, prophyrie). Il faut souvent s’aider d’explorations stable. Les thérapies psychanalytiques, dans la suite des
complémentaires (électroencéphalogramme, scanner, avis observations de Freud, sont utilisées et montrent une cer-
spécialisés…) afin de ne pas méconnaître un diagnostic taine efficacité.
organique, sans pour autant se laisser entraîner dans un cir- • La place des traitements chimiothérapiques demeure,
cuit interminable d’examens inutiles et coûteux. en pratique quotidienne, limitée dans l’hystérie. La pres-
cription d’antidépresseur se justifie s’il existe une symp-
tomatologie dépressive ou dysthymique. Les tranquillisants
Approche thérapeutique doivent être utilisés avec précaution, car ils peuvent être à
l’origine de désinhibition pathologique et d’états d’agita-
Le traitement de l’hystérie commence dès le premier tion (effets paradoxaux). ■
contact avec le patient : le médecin doit se garder, par son
attitude, ses remarques ou allusions, de renforcer ou d’in-
duire des symptômes, d’aggraver des situations conflic-
tuelles. En pratique, certaines méthodes thérapeutiques Points Forts à retenir
visent à amener le patient à abandonner ses symptômes.
• L’isolement (simple éloignement de l’entourage ou hos-
pitalisation) permet de rompre les afférences socio-fami- • Le diagnostic de conversion hystérique repose
sur l’existence de symptômes physiques évocateurs
liales. Le milieu hospitalier peut permettre de dévaloriser qui peuvent être d’expression somatique, durable
les bénéfices secondaires liés à l’utilisation des symptômes ou paroxystique et d’expression psychique,
qui se trouvent pénalisée par l’isolement. associés à des éléments de personnalité hystérique.
Les procédés de suggestion utilisent la persuasion qui suf- • La nature de ces symptômes, l’absence
fit généralement à faire disparaître un accident paroxys- de systématisation organique, la suggestibilité,
tique ; elle est souvent inefficace, en revanche, sur une la labilité, la variabilité dans le temps, l’existence
manifestation conversive durable. Le patient ne doit pas de facteurs déclenchants et de bénéfices
être confronté directement à son symptôme, une attention secondaires et la « belle indifférence » par rapport
à ces symptômes sont des arguments pour
trop directe portée à la conversion risquant de majorer ce diagnostic.
l’anxiété et l’impression d’incompréhension ressentie par • Cependant, dans tous les cas, le diagnostic
le patient. L’essentiel de la prise en charge repose sur la d’hystérie de conversion nécessite d’avoir éliminé
réassurance et la relaxation. Le principal objectif est l’éta- tous les diagnostics de maladie organique
blissement d’une relation thérapeutique stable, constante qui pourraient éventuellement rendre compte
et rassurante avec le patient. Si les symptômes de conver- de la symptomatologie, et nécessiterait une prise
sion ne disparaissent pas rapidement, d’autres techniques en charge spécifique. Il est le plus souvent
peuvent être proposées, parmi lesquelles la narco-analyse, nécessaire de recourir à des avis spécialisés
l’hypnose ou la thérapie comportementale. Quelles qu’en (neurologiques ou autres…) et à des examens
soient les modalités, un traitement actif et rapide est tou- complémentaires.

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