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Maladies infectieuses

B 376

Antibiotiques antibactériens
Classification, principes et règles d’utilisation
Pr Eugénie BERGOGNE-BÉRÉZIN
Microbiologie, CHU Bichat-Claude Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18

Points Forts à comprendre au spectre d’activité ou à la cible bactérienne des antibio-


tiques.

• Tous les antibiotiques, médicaments à activité Classification en familles d’antibiotiques


antibactérienne, doivent répondre aux Cette classification est la plus utilisée car, fondée sur la
caractéristiques suivantes : structure chimique de base d’un chef de file, premier d’une
– être actifs in vitro vis-à-vis des bactéries ; série, elle regroupe « en familles » (ou « classes » pour les
– être actifs in vivo en milieu organique vis-à-vis Anglo-Américains) des produits ayant des caractéristiques
des bactéries impliquées dans une infection ; communes : de structure, de spectre d’activité, de cible
– pouvoir être absorbés (voie digestive) ou injectés moléculaire bactérienne, de sensibilité à des mécanismes
(voie parentérale) et se distribuer dans le sérum de résistance (résistances croisées) et d’indications cli-
et les tissus du patient (éventuellement en niques. Cette classification a des limites : en effet, au sein
intracellulaire) ; d’une même famille, la recherche industrielle permet à par-
– témoigner d’une toxicité « sélective », tir d’un noyau commun, par hémisynthèse, d’élaborer des
c’est-à-dire inoffensifs pour le malade mais produits voisins mais chimiquement modifiés par rapport
capables d’inhiber (bactériostase) ou de détruire au chef de file au moyen de substitutions chimiques
(bactéricidie) les bactéries en cause diverses, aboutissant à des antibiotiques au spectre anti-
dans l’infection. bactérien plus large, avec une stabilité accrue aux méca-
• Les antibiotiques obéissent aux lois générales nismes de résistance, un comportement in vivo différent
de la pharmacologie clinique mais forment une chez le malade (pharmacocinétique). Un exemple très
classe thérapeutique totalement originale quant représentatif de cette évolution est celui des β-lactamines
à leur cible qui n’est pas un organe ou tissu issues soit de la pénicilline G (extraite de Penicillium nota-
de l’hôte mais l’agent infectieux dont tum ou de P. chrysogenum), soit de la lignée des céphalo-
la multiplication est responsable des infections. sporines (céphalosporine C extraite à l’origine de Cepha-
losporium acremonium en 1953). L’identification de la
structure de la pénicilline et l’obtention du noyau 6-amino-
pénicillanique ; du noyau 7-aminocéphalosporanique à par-
tir de la céphalosporine C ont été à l’origine de la multi-
Les antibiotiques sont des agents antibactériens d’origine plication par hémi-synthèse des β-lactamines : il apparaît
biologique, produits par des microorganismes (bactéries ainsi que les nombreux produits réunis dans la famille des
ou champignons) ou préparés par hémisynthèse à partir des β-lactamines possèdent des propriétés très différentes
molécules initiales (extractives) ; certains produits obtenus imposant des subdivisions en sous-groupes. Une évolution
par synthèse chimique (sulfamides et dérivés, l’isoniazide, comparable a été celle de la famille des macrolides qui a
les quinolones et dérivés, etc.) témoignant d’une activité bénéficié, au cours de la dernière décennie, de l’introduc-
antibactérienne sont classés avec les antibiotiques : les anti- tion en thérapeutique de molécules mieux tolérées que
biotiques doivent être capables d’inhiber ou de détruire les l’érythromycine A, chef de file de la série, ayant une plus
bactéries responsables d’une infection sans nuire à l’orga- longue demi-vie plasmatique et des caractéristiques de dis-
nisme (patient) qui les héberge. tribution tissulaire et intracellulaire très intéressantes dans
certaines indications. La famille des quinolones est aussi
très évolutive : l’essor des fluoroquinolones est marqué
Bases des classifications essentiellement par l’évolution du spectre antibactérien et
son extension.
des antibiotiques
Le nombre élevé de molécules disponibles a depuis long- Classification en fonction des cibles
temps imposé de les classer en regroupant les produits selon des antibiotiques dans la cellule bactérienne
divers critères : plusieurs clés de classification peuvent être La connaissance approfondie de la structure et de l’anato-
proposées selon que l’on s’adresse à la formule chimique, mie fonctionnelle de la cellule bactérienne ainsi que l’ana-

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ANTIBIOTIQUES ANTIBACTÉRIENS

TABLEAU I
Classification en familles d’antibiotiques *

Familles Subdivisions Caractéristiques principales

β-LACTAMINES Possèdent toutes un noyau β-lactam


• Pénicillines • Pénicilline G • injectable
noyau thiazolidine (benzylpénicilline) • gram-positif principalement
+ cycle β-lactam
• Pénicilline V • orale
(phénoxyméthylpénicilline) • sensibles aux pénicillinases
• Pénicillines A • ex. : amoxicilline. Spectre élargi vers les
(aminopénicillines) gram-négatifs
• Pénicillines anti-gram négatives : • atteignent les Pseudomonas
carboxypénicillines, uréidopénicillines
• Inhibiteurs de β-lactamase • toujours associés à une β-lactamine (inactifs
acide clavulanique, sulbactam, tazobaxtam (inactifs ou isolés)
• Céphalosporines 3 « générations »
1re génération (C1) :
cycle dihydrothiazine – injectables : - céfalotine • spectre proche de celui des aminopénicillines
+ cycle β-lactamine - céfazoline
– orales :
- céfaclor
- céfradine
- céfadoxil
2e génération (C2) : • spectre élargi vers gram-négatifs insensibles
- céfamandole aux C1, producteurs de β-lactamase
- céfuroxime • céfoxitine : céphamycine peu ou pas active
- céfoxitine sur les gram-positifs
3e génération (C3) : • la plupart : injectables (sauf céfixime,
- céfotaxime cefpodoxime)
- ceftazidime • activité intrinsèque plus puissante
- ceftriaxone • stabilité aux β-lactamases des gram-négatifs
- ceftizoxime • céfopérazone, cefsulodine : molécules dirigées
- céfépime vers les gram-négatifs
- cefpirome
Autres β-lactamines • Carbapénèmes : • large spectre ; réservés aux infections
. imipénème (+ cilastatine) sévères
. méropénème
• Monobactams. Un seul : • spectre étroit
aztréonam • gram-négatifs exclusivement
• cycle β-lactam seul
AMINOSIDES (Aminoglycosides)
Produits aminosidiques • Kanamycine • injectables
• trisaccharides • Tobramycine • antibiotiques les plus rapidement bactéricides
• structure centrale : • Amikacine • spectre large mais inactifs sur : streptocoques;
2-déoxystreptamine • Gentamicine anaérobies, bactéries intracellulaires (Chlamydia,
« hérissés » de • Nétilmicine rickettsies), bacilles gram-négatifs aérobies
fonctions azotées • Isépamicine stricts
• Spectrinomycine (aminocyclitol) • effets secondaires/toxiques : néphro et ototoxicité
PHÉNICOLÉS • Chloramphénicol • spectre large ; bactériostatique ; abandonné
dans de nombreux pays : hématotoxicité
• Thiamphénicol • dérivé soufré. Indications limitées (infections
broncho-pulmonaires)
MACROLIDES • 14 atomes • voie orale pour tous
• Érythromycine injectables : Érythro, Spiramycine
Macrocycle lactonique • Roxithromycine • actifs sur gram-positifs, anaérobies et bactéries
(à 14, 15 ou 16 atomes) • Clarithromycine intracellulaires
+ sucres neutres ou • Dirithromycine • inactifs sur bacilles gram-négatifs/entérobactéries
autres et aérobies stricts
• fréquentes résistances des pneumocoques

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Maladies infectieuses

TABLEAU I (suite)
Classification en familles d’antibiotiques *
Familles Subdivisions Caractéristiques principales

MACROLIDES • 15 atomes • extension vers gram-négatifs


(suite) . Azalides : azithromycine
• 16 atomes • même spectre que macrolides à 14 atomes
. Josamycine • un peu moins actifs
. Spiramycine • mieux tolérés
. Midécamycine
• Apparentés aux macrolides • structure chimique différente
. Lincosamides : • spectre proche de celui des macrolides
- lincomycine
- clindamycine
. Streptogramines • composés formés de 2 types de molécules
(synergistines) : (A et B) synergiques
- pristinamycine
- virginiamycine
TÉTRACYCLINES • Tétracycline • administration orale sauf Doxy également
Structures • Oxytétracycline injectable
polycycliques sur • Doxycycline • spectre large
« squelette » central • Minocycline • réduction progressive des bactéries sensibles
tétracyclique • restent actifs sur intracellulaires (Chlamydia)
QUINOLONES • Acide - nalidixique • voies orale et IV
non fluorées - oxolinique • inhibiteurs de l’ADN
- pipémidique • gram-négatifs exclusivement
- norfloxacine • indications urinaires (Norflo)
fluorées • Péfloxacine • large spectre
• Ciprofloxacine • excellente distribution
• Ofloxacine • risques de mutations vers la résistance
• Sparfloxacine
GLYCOPEPTIDES
Molécules complexes, • Vancomycine • gram-positifs exclusivement
hétérocycliques : • Téicoplanine • réservés aux infections sévères
– support peptidique • surveillance des fonctions rénales
– structure osidique
– chaînes latérales
d’acide gras
RIFAMYCINES (Ansamycines) • très liposolubles et diffusibles
molécule rigide : • Rifampicine • large spectre
– chaîne aliphatique • Rifabutine • actifs sur M. tuberculosis et mycobactéries
– 2 noyaux aromatiques atypiques
FOSFOMYCINE • Fosfomycine i.v. • large spectre, infections sévères, en association
• Fosfomycine-trométamol (voie orale) • infections urinaires (dose unique)
DIVERS • Acide fusidique (i.v. et oral) • spécifique antistaphylococcique et Gram-positifs
• très diffusible
• Polypeptides cycliques (autres que les • spécifique anti-gram négatifs
glycopeptides) • peu diffusibles et toxiques
• Colistine
• Nitro-imidazolés • anti-anaérobies stricts
. Métronidazole • voie orale et i.v.
. Ornidazole
• Inhibiteurs de la synthèse • Sulfamides
des folates • Diaminopyrimidines (triméthoprime)
• Leurs associations
. Antituberculeux • Rifampicine, rifabutine
• Isoniazide, éthambutol : bactéricides spécifiques
anti-β K
• Pyrazinamide : mycobactéries toujours en
association
* Les listes d’antibiotiques cités ne sont pas exhaustives.

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ANTIBIOTIQUES ANTIBACTÉRIENS

lyse de la cible moléculaire précise de chaque antibiotique bactérienne du fait de la bactériostase permet aux défenses
au sein de cette cellule permettent de classer les antibio- naturelles immunitaires du patient de prendre le relais de
tiques selon ces critères. On distingue 5 principaux méca- l’action de l’antibiotique. Macrolides, chloramphénicol,
nismes d’action. tétracyclines sont classés bactériostatiques. Les antibio-
tiques bactéricides sont ceux capables de tuer la bactérie,
1. Inhibition de la synthèse ce qui s’exprime in vitro par une diminution de l’inoculum
de la paroi bactérienne bactérien, passant par exemple de 105 cfu/mL * à 102 ou 103
β-lactamines, glycopeptides, fosfomycine. cfu/mL après quelques heures de contact d’une concentra-
tion donnée de l’antibiotique identifié comme bactéricide ;
2. Inhibition de la synthèse des protéines chez le patient l’emploi d’antibiotiques bactéricides est
Ce sont les plus nombreux, comprenant notamment les indispensable en présence d’infections sévères, où l’ino-
macrolides, les streptogramines, les tétracyclines, les ami- culum bactérien est élevé (107 à 109 cfu/mL) telles que
nosides (ou aminoglycosides), le chloramphénicol, l’acide méningites ou pneumopathies bactériennes, et lorsque par
fusidique. ailleurs il s’agit d’un patient immunodéprimé. Plusieurs
approches plus modernes interfèrent avec les notions de
3. Inhibition de la synthèse bactériostase et de bactéricidie. Elles font intervenir :
des acides nucléiques • le rôle de l’espèce bactérienne : la réponse bactériosta-
tique ou bactéricide varie selon l’espèce ; ainsi les macro-
Quinolones, rifamycines, nitro-imidazolés. lides, bactériostatiques sur la plupart des bactéries gram-
positives, sont bactéricides sur Borrelia burgdorferi (agent
4. Inhibiteurs de la membrane cytoplasmique
de la maladie de Lyme) et d’autres espèces de Borrelia ;
Peu nombreux, souvent toxiques, actifs exclusivement sur • le rôle des concentrations d’antibiotiques : ce rôle est
les bacilles gram-négatifs, ce sont les polymyxines (colis- démontré par les études de cinétique de bactéricidie
tine). (killing-curves) au cours desquelles on effectue les numé-
rations des colonies bactériennes à des temps successifs
5. Inhibiteurs des folates après mise en contact des concentrations variées de l’anti-
Il s’agit des sulfamides (par analogie de structure avec biotique testé, avec un inoculum fixe. Ces tests in vitro
l’acide para-aminobenzoïque), des diaminopyrimidines montrent pour les β-lactamines, les aminosides et d’autres
(triméthoprime, brodimoprime) qui, associés à un sulfa- produits bactéricides que la réduction de l’inoculum n’in-
mide, bloquent à deux niveaux la chaîne de synthèse des tervient qu’à certaines concentrations, les plus faibles ne
acides nucléiques avec un effet de synergie (association tri- témoignant que d’un effet bactériostatique ;
méthoprime-sulfaméthoxazole). • la vitesse de bactéricidie, paramètre important de l’effet
antibactérien d’un antibiotique : on distingue parmi les anti-
Autres critères de classification biotiques bactéricides, les produits rapidement bactéri-
des antibiotiques cides ; aminosides, fluoroquinolones, dont l’effet est dit
concentration-dépendant ; les antibiotiques lentement bac-
1. Selon l’étendue du spectre téricides dont l’effet est temps-dépendant tels que les
Le spectre d’activité d’un antibiotique est défini par la β-lactamines ou les glycopeptides.
nature et le nombre des espèces bactériennes sur lesquelles Ces données in vitro sont de la plus grande importance pour
il est actif (compte non tenu des souches résistantes parmi l’efficacité de l’antibiothérapie en clinique.
ces espèces, par acquisition d’un mécanisme de résistance).
La distinction en antibiotiques à large spectre (céphalo- Conditions d’activité
sporines de 3e génération) et antibiotiques à spectre étroit
(aztreonam, glycopeptides) est ancienne. Ce concept évo-
d’un antibiotique
lue au sein d’une famille d’antibiotiques en fonction de la Plusieurs conditions générales sont nécessaires pour qu’un
mise au point de « nouveaux » dérivés (pénicilline G : antibiotique puisse exercer son effet antibactérien in vitro
spectre étroit ; aminopénicillines : spectre « élargi » vers les et in vivo.
gram-négatifs) ; en fonction de la mise en évidence de • L’antibiotique doit être présent à des concentrations suf-
« nouvelles » bactéries : exemple des macrolides, classés fisantes dans le milieu biologique (site infectieux) ou en
initialement à spectre étroit, reconnus aujourd’hui comme culture in vitro : son activité antibactérienne sera fonction
recouvrant Chlamydia spp, Bartonella spp, Helicobacter de sa vitesse de pénétration (franchissement des couches
pylori…, témoignant ainsi d’un élargissement du spectre. externes de la cellule bactérienne : capsule, membrane
externe, paroi) ; sa capacité de concentration au contact de
2. Selon les modalités d’action antibactérienne sa cible spécifique intrabactérienne ; son affinité pour la
Les antibiotiques ont été depuis longtemps catégorisés en cible (certaines modifications des cibles, avec perte de cette
antibiotiques bactériostatiques, capables d’inhiber la crois- affinité sont à la base de mécanismes de résistance).
sance des bactéries : in vitro l’inoculum bactérien est iden- • Les bactéries : doivent faire partie du spectre de l’anti-
tique au stade initial du contact antibiotique-bactéries et en biotique et être en phase de multiplication active pour être
fin d’observation (18 à 24 h) ; in vivo la non-multiplication inhibées ou détruites pour la plupart des antibiotiques.

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Maladies infectieuses

Cependant les fluoroquinolones peuvent être actives sur pour une infection virale qui ne relève pas d’une antibio-
des bactéries « dormantes » (ne se multipliant pas dans un thérapie, soit encore pour une infection bactérienne bénigne
site protégé par une barrière de type glycocalyx : prothèses, qui guérit sans antibiotiques, spontanément ou au moyen
endocardites). de soins locaux appropriés.
• Les phases successives d’action de l’antibiotique sur la
cellule bactérienne comprennent : pénétration et attache- 2. « Terrain » du patient
ment à la cible moléculaire spécifique de l’antibiotique ; • L’âge : le nouveau-né ou le nourrisson et le sujet âgé sont
perturbation d’une fonction bactérienne vitale pour la cel- plus exposés que l’adulte ou le grand enfant à une aggra-
lule bactérienne ; mort de la cellule bactérienne (bactérici- vation ou à l’extension d’une infection initialement
die) ou arrêt de la croissance et de la multiplication (bac- bénigne : otite moyenne aiguë chez le jeune enfant ; infec-
tériostase). tion cutanée streptococcique ou staphylococcique ; infec-
tion urinaire aiguë ; diarrhée infectieuse banale. Ces loca-
Principes et règles d’utilisation lisations doivent être traitées.
Pour répondre à la question « comment choisir et prescrire • Les pathologies sous-jacentes : chez des patients pré-
un traitement antibiotique », les réponses s’établissent à deux sentant des pathologies chroniques cardiaques, respira-
niveaux de décision : la décision de prescrire une antibio- toires, rénales ou atteints de cirrhose ou de déficits immu-
thérapie ; le choix du (ou des) antibiotique(s) à prescrire. nitaires d’origines diverses (infection par le virus de
l’immunodéficience humaine : VIH), ou porteurs de maté-
Décision de prescrire un antibiotique riel étranger (prothèses), une infection commune pourra
rapidement revêtir des signes de gravité qui justifieront une
Il s’agit de la discussion de l’indication qui doit se faire sur
antibiothérapie.
des bases raisonnées et sur un ensemble de critères objec-
tifs. 3. Certaines infections
1. Signes cliniques Chez le sujet antérieurement sain certaines infections impo-
Toutes les fièvres ne sont pas infectieuses et un certain sent une antibiothérapie d’urgence en raison d’un risque
nombre d’infections vues en pratique médicale ne sont pas vital telles que les méningites bactériennes (notamment
d’origine bactérienne. Diverses enquêtes ont montré que accompagnées de purpura fulminans), une fièvre thy-
30 à 50 % des prescriptions d’antibiotiques sont injusti- phoïde, une brucellose, et ce, sans attendre les résultats du
fiées, soit du fait de l’absence d’infection reconnue, soit laboratoire.

TABLEAU II
Arguments de décision d’une monothérapie ou d’une association d’antibiotiques

Monothérapie Associations

Arguments

• Absence d’antagonisme ou d’interaction • Synergie d’activité antibactérienne * (ou addition simple)


• Réduction du risque d’effets indésirables • Réduction du risque d’émergence de mutants résistants,
de sélection de clones résistants
• Moindre risque de potentialisation d’effets toxiques • Éventuelle diminution des doses (moins d’effets secondaires)
• Efficacité équivalente dans quelques indications • Élargissement du spectre
• Moindre coût • Moinde risques d’échecs (impact sur les coûts)

Indications

• Infections documentées : • Principes :


• digestives • traitement d’urgence (signes de gravité)
• fièvre thyphoïde • infection mixte (flore polymicrobienne)
• génito-urinaires • bactéries multirésistantes *
• broncho-pulmonaires communautaires • Exemples :
• certaines septicémies (sur terrain non • septicémies nosocominales
immunodéprimé) • infections ostéo-articulaires chroniques
• infections broncho-pulmonaires nosocomiales
• endocardites bactériennes
• infections intra-abdominales
* Recherche in vitro d’associations synergiques sur la souche isolée.

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ANTIBIOTIQUES ANTIBACTÉRIENS

TABLEAU III
Principaux risques d’effets secondaires ou toxiques
des antibiotiques

Effets secondaires ou toxiques


Familles
d’antibiotiques
fréquents (importants) rares (mineurs)

Pénicillines • Allergie • Anémie hémolytique


• Bronchospasme • Neutropénie
• Anaphylaxie • Érythème
• Rashes
• Arthralgies
• Diarrhées
• Entércolites pseudo-membraneuses
• Convulsions (doses élevées)

Céphalosporines • Néphrotoxicité (céphaloridine) • Hématologiques


• Rashes • Colite pseudo-membraneuse (sévère)
• Encéphalopathies (doses élevées)

Rifampicine • Hépato-néphrotoxicité • Nombreuses interactions médicamenteuses

Aminosides • Néphrotoxicité • Rashes


• Ototoxicité • Urticaire

Fluoroquinolones • Système nerveux central • Rashes


• Gastro-intestinal
• Diarrhées
• Tendinites
• Ruptures tendineuses
• Phototoxicité

Tétracyclines • Néphro- et hépatotoxicité (doses i.v. • Diarrhées


élevées) • Rashes
• Coloration dentaire (enfants) • Candidoses

Clindamycine • Colite pseudo-membraneuse • Hépatotoxicité


• Diarrhées • Effets neuro-musculaires
• Collapsus (i.v.)

Macrolides • Diarrhées • Nausées


• Douleurs gastriques • Vomissements
• Nombreuses interactions médicamenteuses
• Syndrome cholestatique

4. Antibiothérapie empirique (« probabiliste ») males, sur l’isolement et l’identification de la (des) bacté-


rie(s) impliquée(s) dans l’infection et sur la détermination
Elle s’imposera devant des signes de gravité, des signes rapide de la sensibilité aux antibactériens disponibles (anti-
d’endocardite infectieuse dont l’identification bactérienne biogramme).
est souvent lente, notamment en présence de fièvre chez
un cardiaque ayant subi un remplacement valvulaire ; en
milieu hospitalier devant toute infection nosocomiale, Choix de l’antibiothérapie
acquise au cours de l’hospitalisation, imposant un traite-
ment d’urgence.
La décision du « bon emploi » des antibiotiques (deuxième
niveau de décision) sera fondée sur une série de critères
5. Décision documentée de l’antibiothérapie dont on doit peser l’importance respective : quelle(s) molé-
Au-delà des signes cliniques d’infection, et de la localisa- cule(s) ? monothérapie ou association ? quels dose, rythme,
tion du site de l’infection (pneumopathie, infection uri- durée, voies d’administration ? quels risques d’effets secon-
naire…), elle doit être fondée, dans les conditions opti- daires ou toxiques ?

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Maladies infectieuses

1. Choix des molécules adaptées patient et de la localisation de l’infection (méningite bac-


térienne, pneumopathie nosocomiale, infections intra-
Plusieurs critères de choix doivent entrer en jeu :
abdominales) ; les antibiotiques choisis : taux de mutations
• l’identification bactériologique, chaque fois que l’in- élevées vers la résistance (rifampicine, fosfomycine, fluo-
fection est documentée, les bases bactériologiques roquinolones).
(spectre) peuvent conduire au choix de l’antibiotique. La
connaissance du spectre ne suffit pas car parmi les espèces 3. Connaissance et prévention
« habituellement sensibles », des souches résistantes peu- des risques d’effets secondaires ou toxiques
vent avoir été acquises par le patient : en ville, pneumo- Peu d’antibiotiques sont totalement dénués d’effets secon-
coques résistants à la pénicilline ; à l’hôpital bactéries daires ; certains sont connus pour des risques importants
multirésistantes, agents d’infections nosocomiales : S. de toxicité (tableau III) et ne doivent être prescrits qu’à
aureus, P. æruginosa. Dans les deux situations, l’orien- condition que la sévérité de l’infection le justifie et moyen-
tation de l’antibiothérapie est basée sur les enquêtes épi- nant une stricte surveillance des fonctions qui peuvent être
démiologiques récentes pour un traitement probabiliste. atteintes (hépatiques, rénales, hématologiques). Les asso-
Après isolement bactérien, les tests de sensibilité aux anti- ciations d’antibiotiques peuvent être génératrices de poten-
biotiques sont pratiqués et conduiront au choix de l’anti- tialisation d’effets toxiques. Enfin les interactions médi-
biothérapie optimale. camenteuses entre antibiotiques et autres classes
• Les caractéristiques pharmacocinétiques des antibio- thérapeutiques doivent également être connues et surveillés
tiques disponibles et « bactériologiquement » adaptés : la lors d’administration de « cocktails » thérapeutiques au
connaissance de leurs propriétés pharmacocinétiques, leur cours de pathologies sévères, dans les services de réani-
capacité à diffuser dans les tissus et dans les cellules, à per- mation. ■
sister à des concentrations élevées dans certains sites poten-
tiellement infectés constitue une base importante pour le * cfu/mL : colony-forming-unit (colonies) par mL de milieu de culture.
choix du produit. La cinétique plasmatique ne renseigne
pas toujours sur les concentrations extravasculaires : la
connaissance des taux atteints dans le liquide céphalo-
rachidien pour une méningite, intraprostatiques ou osseux
pour les infections de ces sites, est nécessaire car dans tout
traitement d’une infection, l’objectif est de réaliser chez le
patient des concentrations d’antibiotiques largement supé- Points Forts à retenir
rieures aux concentrations minimales inhibitrices (CMI)
pour la bactérie en cause, au niveau du site infecté. De nom-
breuses infections s’accompagnent de la multiplication • La décision de prescription et le choix d’un
antibiotique doivent être fondés sur des règles précises
intracellulaire de micro-organismes à tropisme cellulaire : tenant compte de 3 paramètres principaux :
Chlamydia spp, Brucella spp, Rickettsia spp, Legionella – l’activité antibactérienne du produit (spectre) ;
spp : le choix se portera sur des antibiotiques à forte péné- – ses caractéristiques pharmacocinétiques ;
tration intracellulaire et reconnus bioactifs dans l’environ- – ses risques d’effets secondaires ou de toxicité chez le
patient.
nement intracellulaire, tels que macrolides, rifampicine, • Récemment, ont été introduits deux autres facteurs qui
tétracyclines, fluoroquinolones. sont pris en compte dans le choix de l’antibiotique : son
• La gravité de l’infection : à cet égard, deux paramètres coût et son impact écologique (désorganisation de la
doivent être pris en compte : le caractère concentration- flore physiologique et sélection de bactéries résistantes).
dépendant ou temps-dépendant (pharmacodynamie) de
l’effet bactéricide de l’antibiotique (données prédétermi-
nées) ; ce paramètre aura un impact déterminant sur le
rythme d’administration (intervalles entre les doses) : le
meilleur exemple est celui des aminosides, longtemps
administrés à raison de 3 doses par jour, préconisés actuel-
lement à une seule injection par jour, du fait de la puissance
POUR EN SAVOIR PLUS
bactéricide, concentration-dépendante de ces produits, à Bergogne-Bérézin F, Dellamonica P. Antibiothérapie en pratique
clinique. Paris : Masson, collection Abrégés de médecine, 1995.
laquelle s’ajoute un effet postantibiotique très marqué (arrêt
de la croissance bactérienne après retrait de l’antibiotique), Carbon C, Régnier B, Saimot G, Vildé JL, Yeni P. Médicaments
anti-infectieux. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 1994.
la décision d’une monothérapie ou d’une association d’an-
tibiotiques (tableau II). Duval J, Soussy CJ. Antibiothérapie. Bases bactériologiques pour
l’utilisation des antibiotiques. Paris : Masson, collection Abrégés
de médecine, 1990.
2. Monothérapie ou association Leroy O, Monton Y. Associations d’antibiotiques. In : Bergogne-
Cette décision sera fondée sur : l’identification et le profil Bérézin : Masson, collection abrégée de médecine, 1995 ; 15,
254-62.
de résistance de la bactérie en cause (P. æruginosa, Acine-
Vidal 1998. Guide National de Prescription. Éditions du Vidal,
tobacter spp, S. aureus méticilline-R) ; la gravité de l’in- Paris, 1998.
fection en fonction de pathologies sous-jacentes chez le

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