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L'actualité internationale en note critique

Passage au crible
Pour une analyse transnationaliste
de la scène mondiale
N°1 · 19 octobre 2009 · www.chaos-international.org

Une injonction symbolique


Le Prix Nobel de la paix décerné à Barack Obama
Par Josepha Laroche

Le 44ème président des États-Unis d’Amérique, Barack Hussein Obama s’est vu décerner le
prix Nobel de la paix, par le Comité Nobel, le vendredi 9 octobre 2009. Cette décision a surpris
nombre d’experts, alors même que parmi plus de deux cents personnes nominées, ils
attendaient plutôt le Premier Ministre du Zimbabwe, Morgan Tsvangirai, ou bien encore un
militant chinois des droits de l’Homme. De nombreuses voix se sont ainsi élevées pour souligner,
à l’instar du lauréat (1983) Lech Walesa, « qu’il n’avait eu le temps de rien faire ! »

Rappel historique
C’est la troisième fois qu’un président américain en exercice est gratifié du prix Nobel de
la paix institué en 1901. En effet, en 1906, le Comité norvégien l’avait accordé au républicain
Théodore Roosevelt (1905-1909) pour saluer sa médiation dans la guerre russo-japonaise de
1905. Puis en 1919, ce fut au tour du démocrate Thomas Woodrow Wilson (deux mandats 1913-
1921) de voir couronner ses efforts en faveur de la création de la Société des Nations.

Cadrage théorique
Cette attribution met en lumière :
1 La formulation d’une diplomatie non-étatique par un acteur privé – en l’occurrence le
Comité Nobel – et sa capacité d’impact sur la scène mondiale.
2 La conversion d’une ressource symbolique – le prix – en instrument politique.

Analyse
Sans vouloir paraître provocatrice, je dirais que c’est précisément parce qu’il n’a
(encore) rien fait que le président Obama a reçu le Nobel de la paix.
Depuis son élection récente, il a essentiellement tenu des discours qui se sont inscrits en
rupture totale avec la politique de son prédécesseur, le républicain George Bush. Mais bien qu’il
n’ait pas eu le temps de les réaliser, il a d’ores et déjà réorienté les grandes lignes de la
politique étrangère des États-Unis et restauré l’image de son pays dans le monde. Je rappellerai
notamment :
1 Qu’il a abandonné le projet de bouclier antimissile – dénoncé par la Russie – qui aurait dû
être déployé en Pologne.
2 Qu’il a affirmé sa volonté de lutter contre le réchauffement climatique.
3 Qu’il s’est prononcé en faveur d’un dialogue entre les cultures, particulièrement avec
l’ensemble du monde musulman.
4 Enfin et plus encore, qu’il a indiqué combien le désarmement nucléaire dans le monde
compterait au nombre de ses principaux objectifs.

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En premier lieu, soulignons que ces discours sont plus que de simples discours. En effet,
dans la mesure où il s’agit du président de la première puissance mondiale, il est clair que nous
avons affaire à une parole performative, c’est-à-dire à une parole dotée d’un pouvoir instituant,
producteur à lui seul de réel. En d’autres termes, par le seul fait que cette parole soit tenue,
elle devient à elle seule, génératrice d’effets pratiques : ce n’est pas rien. De toute évidence, le
Comité Nobel a pris particulièrement en compte cette donnée.

Outre cette considération, il faut bien comprendre que la Fondation Nobel – par le biais de
son système de prix – mène une diplomatie non-étatique conforme aux dispositions laissées par
Alfred Nobel dans son testament. Ainsi, en décernant l’ensemble de ses prix, elle ne cesse de
marquer la scène internationale de son empreinte et d’infléchir la politique des États
conformément à ses orientations. En effet, depuis sa création, – c’est-à-dire depuis plus d’un
siècle – elle a défini un certain nombre de priorités, comme enjeux internationaux qu’elle a
cherché ensuite à mettre à l’agenda. Celles-ci traitent de 1) la défense des droits de l’Homme,
et de 2) certains dossiers politiques auxquels elle entend apporter – sur le long terme et par une
politique d’attribution globale –, sa caution et son appui.
A cet égard, rappelons que par le passé, elle a par exemple encouragé la politique de
Détente Est/Ouest, à travers des lauréats comme Willy Brandt, Lech Walesa, ou Michael
Gorbatchev. Dans la même logique, elle a soutenu la lutte contre l’Apartheid et le racisme avec
des prix décernés respectivement à John Lutuli, Desmond Tutu, Nelson Mandela et Frederik de
Klerk. Par ailleurs, elle a également développé une ligne consacrant la protection de
l’environnement avec l’élection en 2004 de la Kenyane, Wangari Muta Maathai, puis en 2007,
celles d’Al Gore et du GIEC Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'Évolution du Climat.
Enfin, elle a constamment travaillé à promouvoir le désarmement en général et le désarmement
nucléaire en particulier. On mentionnera à ce titre l’élection de Joseph Rotblat et du
Mouvement Pugwash sur la Science et les Affaires Mondiales, pour l’année 1995, tandis que
l’Agence Internationale de l'Énergie atomique et son directeur Mohamed El Baradei ont été
gratifiés pour leur part du Nobel de la paix en 2005.

S’agissant du président Obama, il est certain que le Comité Nobel n’entend pas
récompenser sa politique, ni a fortiori honorer un parcours d’excellence. C’est si vrai que
Barack Obama n’était président que depuis seulement onze jours, lorsque le dépôt des
candidatures a été clôturé. En fait, par ce prix et tout l’apparat qui s’y attache, le Comité Nobel
a surtout choisi de distinguer le président américain parmi les autres chefs d’État en lui
conférant un surcroît de légitimité mondiale. Depuis lors, il est devenu le dépositaire de l’aura
Nobel et de ses valeurs. À présent, le président Obama porte un projet d’universalité qui le
dépasse. Il incarne désormais la diplomatie Nobel au lieu d’être simplement le maître d’œuvre
de la diplomatie américaine.

Loin d’une décision politiquement correcte, comme on a pu le dire et l’écrire, cette


attribution témoigne au contraire d’une importante prise de risque du Comité norvégien. Plus
que jamais, il engage là tout son crédit, tant symbolique qu’institutionnel. Ce prix doit donc
être analysé comme un coup de force symbolique du dispositif Nobel. Il doit se comprendre
comme un investissement, une mise de fond symbolique sur la politique du nouveau chef de
l’État américain. Ce prix oblige Barack Obama : c’est en quelque sorte, une manière de le
prendre au mot et de lui faire injonction d’accomplir tout ce sur quoi il s’est engagé.

Références
Laroche Josepha, Les Prix Nobel, Paris, PUF, 2005. Ouvrage épuisé qui sera prochainement réédité.
Fant Kenne, Alfred Nobel, a Biography, New York, Arcade, 1993.
Wade Nicholas, La Course au Nobel, trad., Paris, Messinger, 1981.

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