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Je ne nie pas les bienfaits de la chirurgie ; ils sont indéniables. Mais je suis un
peu effrayé par les chirurgiens, du moins par beaucoup de chirurgiens. La plupart du
temps, les chirurgiens sont d’habiles ouvriers et d’ingénieux découpeurs. Ils ne sont
que cela. Ils travaillent la chair humaine, comme le menuisier le bois, et l’orfèvre, l’or.
Ils n’ont pas ou presque pas de culture médicale, d’éducation scientifique. Ils ont eu
cette préoccupation d’assouplir leur main, mais pas celle de meubler leur cerveau.
Ce qui souvent, dans bien des cas, rend leur intervention dangereuse. Et, lorsque,
par surcroît, ils n’ont pas la conscience très nette, très précise, des responsabilités
terribles qu’ils assument, alors ce sont de véritables assassins, des assassins tolérés
et respectés.
Je me souviendrai, toute ma vie, d’une fin de dîner où les convives parlaient, à
tour de rôle, sur la beauté. On parle toujours sur la beauté, après boire. Chacun
donnait sa définition. Un chirurgien renommé pour son audace et pour son habileté,
d’ailleurs, dit ceci :
— La beauté, pour moi, c’est un ventre de femme, ouvert, tout sanglant, avec
des pinces dedans. Il n’y a rien de plus beau.
Et il se frotta les mains bruyamment, et je vis sur son visage l’expression de
joie sincère, d’enthousiasme même, sur quoi on ne pouvait pas se méprendre. J’ai
déjà conté, je crois, cette anecdote sinistre. Je ne cesserai de la rappeler, car elle
projette une lumière éclatante sur la mentalité de cet homme, une mentalité de
véritable, de complet assassin, avec cette aggravation ou cette supériorité sur les
assassins professionnels qu’il est, lui, théoriquement, esthétiquement,
philosophiquement, c’est-à-dire consciemment, un assassin.
Par contre, on a cité aussi, cette parodie d’un illustre professeur de Faculté qui
avait coutume, à ses leçons, de recommander à ses élèves :
— Quand vous faites une opération, faites-la bien vite, joyeusement.
Par ce “joyeusement”, il entendait, celui-là, que l’opérateur doit se pénétrer de
cette idée grave et joyeuse qu’en tailladant des chairs et en sciant des os, il sauve
autrui de la maladie, de la douleur, de la mort. Parole admirable et qui fait aimer
celui-là qui l’a prononcée.
Il m’arrive souvent de lire des journaux de médecine. C’est une lecture
savoureuse et que je recommande à tous ceux-là qui recherchent les émotions
psychologiques violentes. Il est rare, parmi d’excellentes et instructives choses, de
n’y point glaner les documents humains les plus extraordinaires et les plus imprévus.
Souvent, ils sont d’un tragique à vous glacer la moelle ; quelquefois d’un comique à
vous tordre de rire. Dans la Gazette des hôpitaux de septembre 1901, à l’article :
Bulletin et Actualités, je lis, avec une stupéfaction profonde, ceci que n’eût point
désavoué Molière, et qu’il regrettera, toute sa mort, de n’avoir point connu :
Voilà donc une déclaration nette, précise, lugubrement loyale, et qui ne laisse
aucune place à l’ambiguïté… Le docteur Legneu continue :
Ainsi, dans cette partie-là, par un étrange retournement des choses, ce sont
les victimes à qui l’on donne des circonstances atténuantes. Seulement, on les tue
tout de même… Ce sont des circonstances atténuantes purement honorifiques…
Ici, le docteur Legneu décrit minutieusement l’état de son malade. État
fâcheux, d’ailleurs. Ce brave homme était sujet aux étourdissements, aux accès
apoplectiformes. Le cœur fonctionnait mal ; les artères étaient athéromateuses. « Je
fis part de mes craintes à mes élèves, confesse le docteur, mais nous trouvions
aussi que le cas était bien mauvais pour la cocaïne. À tort, je le reconnais, je me
décidai pour cette dernière, et j’opérai le malade le 1er août. »
Détails techniques sur les préparatifs de l’opération : « On prépare le champ
opératoire, pendant que je finis de me laver les mains. » Il se lavait les mains,
déjà !... Il se lavait les mains avant !
Et voici maintenant l’opération, telle que la conte le docteur Legneu :
Et il ajoute froidement :