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Les critiques théoriques de la diviosn du travail : Smith, Marx, Durkheim

I. L’ANALYSE SMITHIENNE DES LIMITES ( docs. 10 et 11 p 344 ).


Constat : Dès le XVIII°siècle, A.Smith constate les effets pervers engendrés par la division du travail : la
répétition continue d’un geste simple conduit à un abrutissement du salarié et donc à l’aliénation dans le
travail qui va rendre les ouvriers incapables de penser .

Solutions : Smith préconise donc une intervention de l’Etat (certes limitée mais réelle : cf chapitre
politique économique et spécialité)qui vise à corriger les effets externes négatifs(l’abrutissement des
ouvriers, cf. cours de première) résultant de l’introduction de la division du travail .

II. LA CRITIQUE MARXISTE .

Déterminants de la division du travail dans l’analyse marxiste :Marx considère que la division du
travail est naturelle , qu’elle existe donc dans toutes les sociétés , qu’elle trouve son origine dans des
différences de sexes et d’âges ( donc sur une base physiologique) .

Explications de l’apparition de la division manufacturière du travail :Par contre , la division


manufacturière du travail telle celle décrite par A.Smith dans le célèbre exemple de la manufacture
d’épingles est exclue des sociétés traditionnelles . Marx écrit : « Les lois des corporations du Moyen-Age
empêchaient méthodiquement la transformation du maître en capitaliste , en limitant par des édits
rigoureux le nombre maximum de compagnons qu’il avait le droit d’employer . » Cette citation nous
indique bien que :
• dans la conception marxiste la division du travail décrite par Smith ne vise pas seulement à
accroître les gains de productivité et donc le bien-être matériel ( même si Marx ne nie pas
que cet objectif existe )
• mais à justifier la transformation du maître de corporation dont la sphère d’action était
limitée en un capitaliste qui pourra , au nom de l’efficacité et de l’intérêt collectif , exploiter
en toute bonne conscience ses ouvriers et assurer ainsi la domination du capital sur le
travail .

Exemple vérifiant l’analyse marxiste :Prenons ainsi l’exemple de l’application des méthodes tayloriennes et fordiennes ; telles
qu’elles sont étudiées par B.Coriat, dans une perspective marxiste, dans son livre « L’atelier et le chronomètre ». Selon lui , les raisons
qui expliquent à la fin du XIX° siècle aux USA , l’application de l’OST ne sont pas celles avancées par Taylor . B.Coriat insiste sur
deux types d’objectifs :
• le premier est d’ordre conjoncturel : les entrepreneurs américains sont confrontés à une main-d’œuvre fraîchement
immigrée , généralement peu qualifiée ; ils ne peuvent donc laisser une grande autonomie à leurs salariés .Le
taylorisme comme le fordisme vont être deux modes d’organisation qui vont permettre d’intégrer les salariés non
qualifiés .
• le second est d’ordre structurel et répond davantage à une problématique marxiste : aux Etats -Unis comme en
Europe , le patronat voit son pouvoir sur les salariés limité par les ouvriers de métier ( organisés en syndicats ) qui
disposent d’un savoir-faire méconnu du patron , qui leur assure un pouvoir d’autonomie et de marchandage ,
considéré par le patronat comme freinant l’accumulation du capital .

L’objectif non déclaré mais recherché par le patronat par le taylorisme est donc :
• de s’approprier le savoir-faire des ouvriers professionnels ( c’est la division verticale du travail ) , les bureaux
essayant de maîtriser les savoirs techniques , dont les ouvriers de métier avaient le monopole .
• les entrepreneurs peuvent alors se passer des ouvriers professionnels ou tout au moins réduire leur autonomie et leur
pouvoir de marchandage , en les mettant en concurrence avec les ouvriers spécialisés .
• « En substituant à l’ouvrier de métier , l’ouvrier-masse à peine immigré , non qualifié et surtout non organisé ( les
syndicats d’ouvriers de métier n’acceptaient pas la main-d’œuvre non qualifiée ) , le capital modifie en sa faveur et
pour longtemps l’état d’ensemble du rapport des classes . »

Conséquences de la mise en œuvre de la division du travail manufacturière : c’est désormais le


capital qui impose son rythme et ses normes propres à la production de marchandises :
• l’ouvrier ne maîtrisant plus désormais l’ensemble du processus de production , se voit
rabaisser au statut : « de complément vivant d’un mécanisme mort qui existe
indépendamment d’eux » ( Marx ) .
• L’ouvrier est donc désormais asservi à la machine, il est selon les propres mots de Marx
aliéné ( c’est-à-dire que l’homme est dépossédé de ses moyens de production, de sa
production, et finalement de son être, puisqu’il lui est impossible de se sentir concerné par
ce qu’il fait, puisqu’il ne maîtrise plus les différentes étapes de la production).

Répercussions positives de la division du travail dans l’analyse marxiste : Il ne faut pourtant pas
en conclure que Marx rejette la division du travail, ce qu’il critique c’est sa dimension capitaliste :
• « D’une part, la division du travail apparaît donc comme progrès historique et facteur
nécessaire de développement dans le procès de formation économique de la société,
• mais d’autre part, elle se révèle comme un moyen d’exploitation civilisé et raffiné. » (Marx).

Relativisation de l’analyse marxiste : Il faut néanmoins relativiser les critiques marxistes émises à l’encontre du taylorisme et du
fordisme, car, selon R.Castel : « l’homogénéisation scientifique des conditions de travail a-t-elle forgé une conscience ouvrière
débouchant sur une conscience de classe aiguisée par la pénibilité de l’organisation du travail. Ainsi paradoxalement Taylor a-t-il
contribué à l’homogénéisation de la classe ouvrière et à sa prise de conscience. »

Points communs entre l’analyse de Marx et celle de Durkheim : Le schéma théorique de Durkheim
n’est pas fondamentalement différent de celui de Marx. Pour l’un comme pour l’autre, la relation de
causalité va de l’infrastructure matérielle à la superstructure : ici la lutte pour la vie et la division du
travail, là les rapports de production ( l’infrastructure ) déterminent les idées morales, le droit et les liens
sociaux ( la superstructure )

Oppositions entre les analyses de Marx et de Durkheim :Néanmoins l’analyse marxiste de la


division du travail s’opposera à celle que proposera Durkheim ; en effet, comme l’écrivent P.M.Blau et
R.L.Milby :
• « Marx considère ces conséquences néfastes ( absence de solidarités, inégalités sociales )
comme typiques de la division du travail capitaliste
• alors que Durkheim y voit des formes pathologiques rares. Elles sont pour lui révélatrices
d’un état de crise des années 1890 »

III. LA CRITIQUE DURKHEIMIENNE : LE REJET DES


EXPLICATIONS DES ECONOMISTES LIBERAUX.

Postulat expliquant selon les libéraux l’apparition de la division du travail :Selon les
économistes, la division du travail peut être analysée comme la réponse à un problème auquel sont
confrontés les individus. :
• La division du travail doit donc être vue comme un construit humain : les individus ayant
intérêt à se partager les tâches afin d’accroître le rendement de la collectivité, ou plus
exactement d’être plus productif que leurs concurrents et de gagner des parts de marché
( les deux visions n’étant pas contradictoires mais complémentaires, vu les bienfaits de la
concurrence ) .
• Les économistes libéraux basent donc leur analyse sur l’utilitarisme et l’individualisme
méthodologique :
- Ils partent d’un individu représentatif, l’homo oeconomicus qui est égoïste et rationnel (comportement
naturel à l’homme).
- Ils étudient les actions de cet individu : en recherchant son intérêt personnel, il a intérêt à diviser le
travail.
- Puis ils agrègent ces comportements individuels afin de faire apparaître la société qui en est le
résultat.

Durkheim s’oppose à cette conception en la réfutant sur plusieurs points :


• « il ne croit guère au rôle joué par le calcul rationnel dans la vie sociale ». Il rejette donc le
postulat de l’homo oeconomicus : « La division du travail ne met pas en présence des
individus mais des fonctions sociales. » ( Durkheim ).
• il remet en cause l’idée que la société est seulement le résultat des comportements
individuels des individus sans véritable lien, ne recherchant dans le contact avec les autres
que leur intérêt personnel. « Si la division du travail produit la solidarité, ce n’est pas
seulement parce qu’elle fait de chaque individu un échangiste, comme le disent les
économistes ; c’est qu’elle crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs
qui les lient les uns aux autres d’une manière durable. »( Durkheim). La division du travail
n’affecte donc pas que des intérêts individuels et temporaires.
• les économistes croient que la division du travail est le résultat conscient de la rationalité
individuelle. Elle serait donc « un construit humain au sens économique du terme, c’est-à-
dire une élaboration volontaire imaginée par des innovateurs et consacrée par le marché » (
D.Clerc ).
• Durkheim considère au contraire que la division du travail est le produit largement
inconscient de la société. En effet, comme l’indique R.Nisbet : « Dire que les hommes se
sont partagés le travail et ont attribué à chacun un métier propre afin d’augmenter
l’efficacité du rendement collectif, c’est supposer les individus différents les uns des autres
et conscients de leurs différences avant la différenciation sociale. En fait, la conscience de
l’individualité ne pouvait pas exister avant la solidarité organique et la division du travail. La
recherche rationnelle d’un rendement accru ne peut expliquer la différenciation sociale, car
cette recherche suppose justement la différenciation sociale ».

Conclusion : Durkheim reproche donc aux économistes libéraux de faire de la conséquence la cause. On
se rend compte que ce sont deux analyses de la société qui s’opposent :
• chez les libéraux, la société est un produit de la volonté humaine, résultat d’une démarche
intentionnelle ;
• au contraire, chez Durkheim : « La société s’autoproduit sans intention initiale. » ( D.Clerc ) :
« Les hommes marchent parce qu’il faut marcher et ce qui détermine la vitesse de cette
marche, c’est la pression plus ou moins forte qu’ils exercent les uns sur les autres. (... ) La
civilisation se développe parce qu’elle ne peut pas se développer ; une fois qu’il est
effectué, ce développement se trouve généralement être utile ou, tout au moins il est utilisé
; il répond à des besoins qui se sont formés en même temps, parce qu’ils dépendent des
même causes, mais c’est un ajustement après coup. » ( Durkheim).
• Les économistes néo-classiques considèrent donc que la destruction des liens sociaux
traditionnels qui étouffent les individus et les empêchent donc de révéler leur rationalité est
un pré-recquis à la division du travail. Une fois que celle-ci se sera imposée, il ne subsistera
entre les individus qu’un lien social marchand qui présentera l’avantage d’assurer
l’autonomie des individus, tout en les rendants interdépendants et en leur apportant le bien
être matériel.
• Durkheim, au contraire, considère que : « le laisser-faire tend à produire les crises sociales
contemporaines qui font craindre une guerre entre les possédants et les autres. » Le
principale reproche qu’émet Durkheim à l’encontre des libéraux sur ce point est de sacrifier
la solidarité, le lien social à la liberté individuelle, en considérant que l’autorégulation du
marché résoudra tous les problèmes. Cette analyse est selon Durkheim beaucoup trop
optimiste .

Transition : Durkheim est très sévère vis-à-vis de la conception libérale de la division du travail . Il ne
faut pas pour autant en conclure que Durkheim sous-estime les effets de la division du travail . Au
contraire , il lui accorde une place essentielle , mais il en donne une vision très différentes de celles des
économistes

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