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Diriger autrement
1997
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La société contemporaine a un urgent besoin de
chefs visionnaires, humanistes et rebelles face à
l'envahissement de la bureaucratie, du dogmatisme
économique et du mensonge politique. Que ce soit
dans la petite entreprise ou au gouvernement, quand
la mode actuelle aura terminé ses ravages, il faudra
bien diriger autrement et accepter pour mission de
redonner du sens à l'entreprise et à la société.
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PRÉVOIR
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Trois obstacles à la vision
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Quand bien même on démontrerait que le corps
social se trouve en moyenne à la bonne température,
que le revenu moyen des ménages suit une tendance
à la hausse, que les ventes moyennes par client de
l'entreprise ne font que progresser, peut-on en
conclure que l'homme, que l'entreprise et que la
société sont en bonne santé et qu'ils se rapprochent
d'année en année du bonheur ? La société n'est pas
constituée de ménages moyens. Elle se compose
aussi de gens miséreux, de malades, de voleurs et de
profiteurs.
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l'avenir de l'entreprise et de la société qu'une image
découpée et décolorée. Il confond l'idéal et la réalité.
Trop réaliste, trop scientifique, trop technicien, il est
incapable de rêver d'une entreprise, d'une société
idéale. Il se rabat sur du déjà vu, sur du déjà connu, et
il justifie son manque de vision en affirmant que le
passé est garant de l'avenir et qu'il faut construire sur
des bases solides et scientifiques : des clichés fort
ennuyeux.
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Le deuxième obstacle : le mensonge
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à l'usine de Québec, trouve par hasard à côté de la
poubelle débordante du directeur, le mémorandum
présidentiel. Il le ramasse et demande à son
destinataire s'il doit le mettre au panier ou sur le
bureau. « Mettez-le au panier, répondit ce dernier. On
en reçoit chaque mois, c'est toujours la même
chanson et, si vous voulez vraiment savoir ce que j'en
pense, plus personne n'y croit ici à Québec.» Étonné
par une réponse aussi directe au sujet d'un papier sur
lequel, après tout, n'étaient écrites que des bonnes
paroles, le conseiller lui demande ce qui l'amène à
adopter une telle attitude. « Le président nous ment,
dit-il, il nous répète que nous sommes importants,
mais il ne vient nous voir qu'une fois par an et, quand
il nous rencontre, il évite de nous regarder dans les
yeux et de nous serrer la main. Et puis, ce n'est pas
tout. A la fin de l'an dernier, en pleine récession, il
nous a demandé de geler nos salaires, ce que nous
avons accepté. Mais pour Noël, il a changé sa Mer-
cedes encore neuve pour une Jaguar plus chère. Et, si
vous voulez savoir le mot de la fin, vous même avez
été embauché pour redémarrer l'entreprise, et le
président nous a demandé de redoubler d'efforts pour
assurer une reprise harmonieuse sous la direction de
sa fille. Mais c'est faux. Nous savons qu'il ne fait pas
confiance à sa fille, et qu'il a passé un accord secret
avec une firme de comptables de Montréal pour
négocier la vente de ses actions à un concurrent de
Toronto qui a déjà sa propre usine à Québec. Notre
avenir n'est pas assuré. Nous avons investi plus de
vingt années de notre vie dans cette entreprise. Et on
ose nous écrire pour nous faire miroiter une partici-
pation au capital, quand nous savons qu'on se
prépare en secret à se débarrasser de nous. Le
président est un menteur.»
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en marche la machine...
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Le troisième obstacle :
la démission
Françoise a été nommée directrice générale de
ce grand hôpital universitaire. Une ancienne
travailleuse sociale qui a changé de carrière après
avoir obtenu un diplôme de maîtrise en
administration publique et rempli brillamment
plusieurs mandats de redressement d'entreprises
pour le compte d'une grande firme internationale de
consultants en gestion.
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Françoise gère très bien ses dossiers, les uns
après les autres, elle les ouvre, les travaille, les com-
plète et elle les ferme. Elle a géré le dossier du
budget, puis le dossier de la structure organisation-
nelle, enfin le dossier des nouvelles immobilisations.
Elle peut donc maintenant s'occuper du dossier de la
mission de l'entreprise et ensuite, elle s'occupera du
dossier de la motivation du personnel et de l'esprit
d'équipe.
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souvent l'indice d'un manque de vision. Il oublie sa
mission et remplit des mandats, il gère ses dossiers,
mais il ne dirige pas. Ce qui fait dire à certains que
l'entreprise manque d'âme, qu'on y cherche une
présence... Mon père, colonel, philosophe et humo-
riste, disait à ses jeunes officiers: « Un chef, ça ne fait
rien, mais ça se lève tôt pour le faire ! » Le chef ne
devrait pas négliger de ne rien faire... pour être
présent.
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vibre au rythme de la vie de chacun de ses membres.
Un orchestre n'est pas une collection d'instrumen-
talistes qui reproduisent les notes d'une partition
musicale. Un orchestre est un corps constitué d'artis-
tes, de virtuoses, qui chantent ce qu'ils ont dans le
coeur à travers leur instrument. Le chef d'orchestre
ne produit aucun son. Il a pour mission de donner une
âme à l'ensemble.
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Trois cailloux blancs...
Gouverner et prévoir, diriger une entreprise et
être visionnaire, même dans le chaos et dans le
gâchis, cela tient du prodige. Pourquoi et comment
faire ? Non, la réponse ne se trouve pas dans les
pages suivantes, ni dans un autre livre. Chaque
homme doit chercher sa propre réponse.
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pour illustrer les trois étapes de la vision : la rupture,
la faim et le rendez-vous. Comme je n'ai pas de
solutions à vendre, je laisserai seulement le lecteur
libre de persévérer dans sa propre quête avec, je
l'espère, un peu de lumière et de chaleur fraternelles.
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Le premier caillou blanc
:
la rupture
Roger l'accrocheur
Roger est un accrocheur. Il retient tout ce qui lui
passe sous le nez. Il est le président d'une entreprise
en pleine expansion : les ventes ont connu une
progression continuelle depuis vingt-cinq ans.
Emporté par le succès, Roger a accumulé au cours
des années précédentes des postes convoités à la
Chambre de commerce et à l'Association nationale
des manufacturiers. Ces fonctions prestigieuses
l'amènent à rencontrer des personnages en vue dans
le monde politique et économique, ce qui est bien
plus gratifiant, selon lui, que de passer son temps
dans l'usine à régler des problèmes routiniers avec
des subalternes.
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Roger est dérouté. Lui, habituellement fonceur,
semble figé sur place. Il s'enferme dans son bureau et
ne veut voir personne. Il a annulé tous ses rendez-
vous. Il repense à sa vie et bascule entre la honte et
le désespoir. Sa vie n'a plus de sens, il sent l'amour
des siens lui échapper, son entreprise est un fardeau
qui pèse lourd sur ses épaules.
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Roger m'a dit par la suite qu'il avait beaucoup
hésité à se rendre à cette invitation, à fermer
boutique pendant trois jours en pleine crise, pour ne
rien faire dans un trou perdu, rencontrer un ami, dans
le silence total, coupé de toute communication avec
le monde. Mais Roger avait confiance en son ami
Pierre, et il n'avait plus d'autre choix que d'essayer
d'arrêter, puisqu'il se sentait dérouté et impuissant
face à l'action à entreprendre. Ils ne se sont presque
pas parlé durant le premier jour. Roger a dormi tout le
temps. Vingt-quatre heures de silence et de repos ont
suffi pour lui permettre de changer d'attitude face à la
crise familiale et aux problèmes de l'entreprise. Une
fois reposé, Roger est redevenu capable de distinguer
l'essentiel de l'accessoire, de discerner le possible et
l'impossible, et de faire ainsi le premier pas pour sortir
de l'impasse.
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Humberto le décrocheur
J'ai moi-même appris à décrocher après avoir
rencontré Humberto. Humberto est diplômé en
théologie, mais il dirige une entreprise hôtelière. Vers
l'âge de quarante ans, il s'est senti révolté : pressé de
réaliser des choses, de mettre en place des organisa-
tions, de faire avancer la société, il était dégoûté de
voir les mesquineries, les guerres et les catastrophes.
Il se sentait impuissant et dépassé par l'énormité de
la tâche d'humanisation à accomplir et à
recommencer sans cesse.
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Galilée, Jésus, le maître, dort.
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Le chef qui dort
Quand rien ne va plus, quand les esprits sont
troublés, quand les vagues se font menaçantes,
quand les fils du vent se révoltent et que l'équipage
est au bord de la panique, le chef dort. Le manager
décroche et se fait délinquant. Il laisse à ses hommes
le soin de retrouver leur calme et de reprendre
confiance. En cas de tempête, c'est le plus bel
exemple de sérénité et de confiance à donner aux
autres. Et l'équipage reprendra confiance si chaque
matelot reprend confiance en lui-même et devient
responsable. En investissant notre confiance dans le
chef, en déchargeant sur lui nos responsabilités
individuelles, c'est comme si la survie du navire ne
dépendait que d'un seul homme, le soi-disant maître
après Dieu, mais aussi démuni que tout un chacun
devant les éléments déchaînés de la nature et de la
mort.
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vision.
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Le courage de s'arrêter
S'arrêter, c'est remettre en question l'horizon
qui nous fascine. Et s'il n'y avait rien derrière cette
ligne théorique ? L'horizon a quatre coins imaginaires.
Dans quelle direction marchons-nous ? Vers la lumière
ou vers le néant ? Le risque est grand, qu'en nous
arrêtant, nous constations que nous faisons fausse
route. Les mythes de la société de consommation que
nous entretenons, consciemment ou non, par nos
habitudes quotidiennes, ne survivent pas longtemps à
l'absence de leurs rituels. Coupés du monde, du bruit
et de la foule, nous réalisons assez rapidement
combien nous sommes seuls, vulnérables et
dépendants des autres. Nous nous apercevons aussi
que, si notre vie ne tient qu'à un fil, qu'il suffit de peu
de chose pour nous faire vivre : un peu d'eau et de
pain, un toit, une amitié. La paix suffit bien souvent à
nous rendre heureux. Rompre, c'est aussi renoncer :
renoncer à notre toute-puissance et abjurer notre foi
dans le superflu.
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apparemment les responsabilités, renoncer à passer à
l'action, ce sont des décisions qu'un chef ne prend pas
facilement sans se sentir insouciant, coupable, délin-
quant. Je parlerai plus loin d'organiser, de cette
deuxième tâche du dirigeant qui consiste à
rassembler l'équipage autour d'une mission à accom-
plir. Nous verrons alors que la complicité est une
condition essentielle au fonctionnement coordonné de
toute entreprise. Le maintien de la complicité entre
des personnes suppose qu'elles s'entendent pour le
meilleur et pour le pire. Les complices doivent s'ac-
corder mutuellement le droit à l'erreur. Le chef, qui ne
s'accorde pas le droit d'être délinquant, ne pourra pas
se faire complice de son équipage, il sera incapable
de leur faire un clin d'oeil.
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Le deuxième caillou
blanc :
la faim
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en charge l'administration en y apportant ses compé-
tences professionnelles universitaires, les autres
membres de la famille ayant appris leur métier sur le
tas. La venue de Richard avait été salutaire pour
structurer et développer cette entreprise florissante.
Après douze années de service dans l'entreprise, le
conseil d'administration familial étant résolument
conservateur et peu enclin à favoriser l'expansion des
affaires, Richard se demandait quel y était son avenir.
La routine administrative n'offrait plus de grands défis
à son esprit entreprenant. Peut-être avait-il manqué
sa vocation ? Peut-être aurait-il dû être steward ou
notaire ? Richard se promenait seul, errant dans les
bois, avec cette question en tête...
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d'école, en train de composer sa rédaction. Il pensait
à devenir notaire. Notaire, comme monsieur Lapointe,
un homme bien habillé, aux souliers vernis, le seul
personnage en affaires avec papa, qui fût reçu à la
maison. Celui en qui papa et maman avaient
entièrement confiance : ils signaient les papiers du
notaire sans les regarder. Richard était fasciné par cet
homme droit, solide, sécurisant, qui rendait service à
ses parents en rédigeant des documents exacts,
fiables et définitifs. Une personne en qui les autres
ont tellement confiance, qu'ils signent les yeux
fermés. Monsieur Lapointe était un exemple.
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manquait pas un mot. Richard aurait pu s'exempter
d'un avis juridique ; tout était complet, c'était du
solide, avait dit l'avocat. J'ai demandé à Richard ce
qu'il voyait dans son récit, ce que cela lui révélait de
lui-même. « Je fais comme le notaire ! » : me dit-il en
écarquillant les yeux.
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Le chef cuisinier
A dix ans, Richard voulait devenir notaire ou
steward. A quarante ans, Richard est devenu notaire
et steward. On n'échappe pas à son destin, on ne
ment pas avec son idéal. Notre destin se trouve
quelque part dans notre inconscient. Ce n'est que
dans le temps d'arrêt, la solitude et le silence,
qu'émergent à notre conscience les parfums du
passé. Ce sont les odeurs de notre propre cuisine
d'hier qui nous font réussir les plats d'aujourd'hui et
choisir le menu de demain.
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Le troisième caillou
blanc :
le rendez-vous
Sous le premier caillou blanc, nous avons
découvert qu'il n'y a pas de vision sans liberté, sans
passion. La deuxième pierre soulevée nous révèle que
la vision provient du plus profond de nous-même,
qu'elle exige pour ce faire une grande intimité avec
soi, une connaissance confiante de nos façons de
penser, d'aimer et d'agir.
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Thérèse et ses vaches
Thérèse dirige un centre de services
communautaires. C'est une femme de soixante ans,
une jeune grand-mère qui a fait carrière dans
l'enseignement, les services financiers et les services
sociaux. Diplômée en histoire et en économie, elle a
appris à diriger en gardant les vaches, m'a-t-elle
avoué un jour.
En effet, quand elle était enfant, une de ses tâ-
ches à la ferme familiale, était de conduire les vaches
au pâturage. Au début, cela l'énervait. Elle se sentait
toute petite et perdue au milieu de ces mastodontes.
Elle courait de la tête à la queue du troupeau, tantôt
pour indiquer le chemin, tantôt pour ramener les
égarées, tantôt pour stimuler les retardataires. La
voyant se démener ainsi, un vieux fermier voisin la
prit en pitié et vint lui parler. Il lui dit calmement que,
dans chaque troupeau, il y a une ou quelques vaches
qui sont des braves bêtes que les autres regardent et
respectent. Dans son troupeau, il y avait la Roussette.
Il suffisait, avant de se mettre en route vers la prairie,
d'aller parler à la Roussette, de lui flatter la nuque, et
de lui dire dans l'oreille : « Roussette, on s'en va dans
le pré du ruisseau, ce matin. Tu ouvres la marche.» Et
la Roussette se mettait en route, suivie par le
troupeau. Thérèse fermait la marche en encourageant
les paresseuses et en calmant les jeunes veaux
excités.
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pris depuis bien longtemps : elle a passé et passe son
existence à s'occuper des autres. Mais trois choses la
préoccupent prioritairement : la planification de son
entreprise, son travail sur le terrain et la justice
sociale. Thérèse est très présente sur le plancher du
centre de services communautaires, et la porte de
son bureau reste ouverte quand elle s'y trouve. Elle
est disponible. Les clients, les professionnels, tous les
employés, peuvent avoir un accès direct à la
directrice générale. Elle délègue et fait confiance à
son équipe de direction, ce qui lui permet d'être
présente sur les lieux, de regarder, d'écouter et de
donner un coup de main au besoin.
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L'urgent et l'important
A quel rendez-vous faut-il se rendre ? Celui qui
est important ou celui qui est urgent ? Tous les chefs
sont pris dans ce même dilemme. J'ai répondu à
Thérèse ce que j'avais appris moi-même de Marie-
Rose, une ancienne directrice d'école.
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L'amour se vit et se nourrit dans l'intimité. La
connaissance intime de nous-même, nous permet de
nous distinguer des autres et, partant de là, de les
apprécier dans toutes leurs différences. C'est
l'amalgame des différences qui fait la créativité. La
procréation nécessite la complicité de deux cellules
différentes, sinon il n'y a que reproduction ou clonage.
Nos entreprises sont-elles de vastes photocopieuses
qui reproduisent scrupuleusement les erreurs
humaines ? Ou bien sont-elles des ateliers de peinture
où chacun peut apporter sa touche personnelle indis-
pensable à la création d'un produit ou d'un service
original, utile et bien adapté aujourd'hui à la société ?
C'est dans l'intime complicité que se construisent les
plus grandes choses par des petits riens quotidiens.
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petits sourires. Il n'y a pas d'amour sans engagement
fraternel, sans justice sociale, ici et maintenant, avec
le prochain être humain rencontré sur notre chemin
ou qui entre dans notre bureau.
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L'engagement
Avant de se rendre à un rendez-vous, il faut
donc s'arrêter, se rendre disponible, abandonner ses
préoccupations immédiates et accepter la rupture
avec le quotidien. C'était là notre premier caillou
blanc, point de repère laissé par les sages qui nous
ont précédé sur le chemin de la vision, pour nous
aider à faire confiance.
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Le chef visionnaire
Le chef visionnaire est au service de l'autre, de
l'entreprise, de la société. Il ne ment pas. Il est
présent sur le terrain pour ausculter les détails et il ne
se contente pas de moyennes générales. Chaque
client, chaque collaborateur est important pour lui. Il
n'a qu'une parole quand elle est donnée. C'est un
maître qui contrôle ses émotions et qui se connaît
bien. Il est capable d'être indulgent pour lui-même et
pour les autres. Mais il sait aussi écarter de son
chemin les indésirables, les usurpateurs du pouvoir.
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essentielle à l'accomplissement du rôle de révélateur
qu'il doit jouer pour favoriser la métamorphose de la
chenille en papillon libre, coloré et procréateur. Celui
qui est absent, par sa démission, par son mensonge,
ou par ses distractions bureaucratiques, est incapable
d'agir comme un éducateur : il ne conduit personne
sur le chemin du bonheur, hors des sentiers battus.
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ORGANISER
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Écouter pour réussir
A la suite d'un cours sur les faillites et sur les
écueils de l'administration, un de mes élèves m'a
posé une question :
« Mais alors, que faut-il faire pour réussir ? »
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le nom du cordage qui sert à tendre la voile. Le pilote
qui tient l'écoute sent le vent agir sur la voilure, et il
peut alors border ou choquer l'écoute, c'est-à-dire
tirer ou laisser filer la corde. Le capitaine qui est à
l'écoute de son équipage, sent très bien le vent et sait
comment composer avec lui, adapter son allure.
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L'entreprise vivante
Il est donc essentiel d'écouter avant
d'organiser, avant de doter l'entreprise de ses
organes vitaux. La survie et le développement de tout
organisme sont liés à sa mission, à son fonc-
tionnement et à son environnement.
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flexion, au sens propre et au sens figuré.
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Définir l'entreprise
L'athlète, qui se prépare à sauter plus loin,
recule. Sans doute est-ce pour donner un nouvel élan
aux mots de tous les jours que je vais fouiller dans
leurs racines profondes. En effet, pour redonner vie à
une plante fanée, l'horticulteur libère ses radicelles
enfouies dans la terre sèche, pour les transplanter
dans le terreau neuf. Allons donc voir au dictionnaire
les souches du verbe entreprendre.
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L'intention et le sens
Nous parlons du sens de l'entreprise, de la mis-
sion qu'il faut lui donner pour la définir. Car le sens
n'existe pas en soi : c'est l'homme qui donne une
portée à ses actions, à sa vie. Le sens est dans
l'intention, et celle-ci doit être décidée et confirmée
tous les jours. Nous avons déjà réalisé, en parlant de
la prévision et de la vision, que le chef était, avant
tout, un générateur de sens.
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donc libres de décider pourquoi, dans quel but, nous
allons entreprendre. Cependant, notre liberté de
décision et d'action doit être orientée par notre souci,
sinon par la nécessité de la justice sociale.
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La passion et le sens
Il m'est arrivé d'être invité au comité de
direction d'une firme d'ingénieurs. Le président était
aux prises avec un problème de développement
stratégique : chaque département avait son plan
d'action assez bien défini, mais rien ne fonctionnait
dans l'ensemble. Il régnait une sensation
d'improvisation, et un sentiment de démission, de
laisser aller, selon les expressions de la direction. La
séance a commencé par les présentations et par la
lecture de l'ordre du jour. Quatorze points y figuraient
pêle-mêle.
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à la ville. J'ai toujours voulu construire. Faire du beau,
créer la beauté. Une beauté solide, fiable, honnête.
C'est ce qui a été le leitmotiv de ma vie, la beauté. J'ai
gagné le concours, j'ai construit le pont : il a même
été photographié dans une revue américaine
d'architecture. J'ai manqué de faire faillite dès le
départ avec ce pont, mais c'était un beau pont !
Maintenant, j'ai soixante ans, et je voudrais encore
construire de beaux ponts, des ponts entre les
humains ! »
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Le sens et le talent
Le sens des valeurs et la mission qui en
découle, trouvent leur source dans les aptitudes
propres à chaque individu ou à chaque organisation.
Nos désirs, nos intentions, le sens que nous donnons
à notre vie, sont l'expression de nos talents.
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exige une minute de silence, et il demande ensuite
aux participants de redire ce qu'ils font là, pourquoi ils
se réunissent.
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Générer le sens
L'intention, le sens que nous générons, c'est ce
par quoi nous engendrons la vie. Il ne suffit pas, pour
être père, d'abandonner quelques spermatozoïdes en
compagnie d'un ovule. Le métier d'homme, pour être
accompli, s'exerce dans l'amour paternel. Cet amour
est constitué essentiellement de vision, de renonce-
ment et de présence. Le père qui n'aime pas son
enfant manque à sa mission : il a bien créé une vie,
mais il n'a pas généré de sens à la vie.
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Concerto pour
entreprise
Patience, patience
Patience dans l'azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d'un fruit mûr !
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Dans la première partie de l'oeuvre
symphonique, jouée allègrement avec un sourire
émerveillé, se profilait une série de notes déjà bien
enchaînées qui vont constituer le thème, le leitmotiv
du concerto qui se construit sous nos yeux. Le
deuxième mouvement est plus intime, plus à l'aise, il
se joue avec grâce.
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meilleur et pour le pire.
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Le premier
mouvement :
allegro, la liberté
Organiser, nous l'avons dit plus haut, c'est ren-
dre apte à la vie, mais c'est aussi jouer d'un
instrument de musique. Que serait l'orchestre, que
conduit le chef d'entreprise, si tous les instruments
jouaient la même partition musicale ? Au même
moment, les bois, les cordes et les cuivres joueraient
la même note. Cette façon de diriger, en prétextant
l'harmonie totale, mène le plus sûrement du monde à
un couac cacophonique.
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Comme de longs échos qui de loin se
confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se
répondent.
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La libération du chef
Aucun être humain n'est libre en naissant : ce
petit prématuré, incapable de marcher, de se nourrir,
de se défendre, est encore relié à sa mère par le
cordon ombilical. Ce lien originel sera immédiatement
coupé, mais il en gardera la cicatrice au milieu du
ventre, toute sa vie durant. Comme le disait la
psychanalyste Mary Balmary dans Le Sacrifice
Interdit, tout ce qui est lié doit être délié pour pouvoir
être allié. Libre, au sens premier, veut dire affranchi,
c'est-à-dire passé de l'esclavage à l'autonomie. Mais
pour pouvoir vivre selon ses propres lois, l'homme
doit nécessairement briser ses liens de dépendance.
Nous retrouvons donc encore ici la nécessité de la
rupture, comme dans l'exercice de la prévision.
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La vérité rend libre
Voilà trois ans que Daniel souffrait d'un mal
lancinant : la douleur se propageait dans le dos, et il
disait qu'il avait des noeuds dans le bras gauche. La
brûlure était supportable le jour, mais Daniel dormait
mal. Il se réveillait la nuit et se sentait parfois étourdi.
Il faisait même des crises d'agoraphobie lors de
réunions sociales bruyantes. Il s'alimentait pourtant
sainement et menait une vie assez rangée de
président d'une firme de vérificateurs d'entreprises.
Daniel m'a raconté comment il s'était guéri.
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dollars, on ne pouvait tout de même pas trouver plus
d'un million en manipulant simplement les chiffres...
Mon anxiété venait du fait que je me sentais toujours
obligé de trouver des solutions miracles, pour ne pas
perdre la face vis-à-vis du client, de mes associés et
de mes employés.»
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qui ne l'est pas, à tout ce qui me tient lié par le
mensonge, par la peur ou par mes bêtises. La santé
de mon esprit et de mon corps sont à ce prix. Mes
mouvements, mes déplacements et mes dépasse-
ments se font alors allègrement.
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L'humilité rend libre
J'ai rencontré un homme qui avait réussi une
faillite. Un diplômé universitaire, à qui on a dit
pendant près de vingt ans qu'en étudiant longtemps,
on devait réussir. Et cet homme a suivi bien
scrupuleusement les modèles de gestion enseignés
dans les livres, il a écouté religieusement les grands
prêtres de la science administrative et il s'est
conformé bien sagement à l'image du bon entre-
preneur travaillant, dévoué et sûr de lui.
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concurrentiel ? Non. Tout retour en arrière est
impossible, sauf au cinéma.
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et la folie, l'intimité avec moi-même dans le moment
présent et, avec l'autre, l'engagement dans la simple
poignée de main. Je redécouvre l'amour. Je réussis ma
vie. Je me sens libre. »
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La fidélité rend libre
La liberté est un absolu. Recherché comme tel,
poursuivi comme un seul but parfait à atteindre, tout
absolu devient source d'illusion, de perversion et de
fanatisme. En effet, en faisant de la liberté la seule
valeur importante de sa vie, l'humain en arrivera à
être désorienté, incapable de reconnaître la réalité et
obsédé par la peur de perdre une once de ce qu'il
croit être son libre arbitre.
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propre assiette, cela pouvait fonctionner. Le jour où
l'équilibre a été rompu, cela n'a plus marché : je
voulais garder le contrôle de l'équipe. Il y a eu du
brassage durant trois mois.»
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vie, qui ne feraient que me rapporter de l'argent. Ma
décision de reprendre le contrôle de l'entreprise ne
pouvait pas être seulement mercantile. C'était une
décision juste, parce qu'elle allait dans le sens de la
volonté de l'équipe, pour le bien de l'équipe. Et c'est
une décision juste qui était euphorisante. Ce qui est
bien, ce qui est juste, cela procure de la joie, de la
liberté.»
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pour quelque chose que tu n'es pas capable de livrer,
tu dois être capable de refuser.»
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Le deuxième
mouvement :
adagio, la découverte
Découvrir, c'est, au hasard du chemin, mettre
en lumière ce qui est couvert, caché. C'est apercevoir
au loin une lueur d'espoir dans la brume, et faire un
pas en avant pour s'en rapprocher. C'est buter sur
une pierre et la soulever pour y trouver un autre
monde grouillant de vie. La curiosité est une attitude
fondamentale de l'homme. Il cherche depuis toujours
à découvrir le sens de sa vie. Mais, comme le disait
déjà le sage Lao-Tseu : « Le chemin est sous tes pas !
», c'est donc en marchant, dans l'action, que se
précise le sens, la direction que nous prenons et que
nous indiquons aux autres. Cette quête est un travail
quotidien que l'humain recommence à chaque âge de
la vie, et qui exige de lui une disponibilité, une récep-
tivité que Denis, entrepreneur et golfeur, associe à la
grâce.
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La quête et la grâce
« Je joue au golf. Il y a des situations dans les-
quelles j'aime jouer. C'est un drôle de jeu, le golf.
C'est un sport qui n'est pas maîtrisable. Pire encore, si
je veux le maîtriser, c'est là que le sport me glisse
entre les mains. Cela prend la grâce. C'est comme si
j'avais une corde pour frapper la balle, à la place d'un
bois ou d'un fer. Je fais un mouvement pour frapper,
tu comprends, mais il faut que la corde reste droite,
qu'elle arrive droite sur la balle. Le moindrement que
je lui donne trop d'énergie, la corde se met à osciller,
tout le temps. Il faut que j'aie la grâce. C'est comme
pour le tir à l'arc zen : quand on tire la flèche, c'est
comme s'il n'y avait pas d'effort, cela doit venir d'en
dedans. Au hockey, au football, on peut se fâcher,
bousculer un adversaire, on peut frapper la rondelle,
le ballon, marquer un but directement. Mais au golf,
c'est la grâce. Si on ne l'a pas... »
73
« Je comprends ce que tu veux dire, quand tu
me dis de diriger mes affaires comme quand je joue
bien au golf : avec le pouvoir qui vient de l'intérieur,
avec la grâce. La personne qui fait cela agit vraiment,
même si c'est en retrait, de l'intérieur. C'est ce
pouvoir-là que je veux exercer. Je pourrais même
jouer au golf comme un caddie, celui qui donne les
bons bâtons, qui donne des conseils. C'est présent et
rassurant, un caddie. Il faut que je recommence à
jouer au golf, et à diriger mes affaires comme je joue
au golf, et que je finisse le travail avec la grâce... »
74
L'ami révélateur
Ce qui doit être découvert existe donc déjà sur
le chemin de l'homme, souvent ailleurs que là où nous
cherchons avec trop d'insistance, sans nous laisser
aller, avec la grâce, à la découverte. C'est pourquoi le
tempo de cette démarche doit être à l'aise, plus lent,
comme un adagio.
75
travers, ses répétitions, son vocabulaire boiteux. C'est
le laisser achever sa pensée et dire ses émotions. Il
nous faut écouter avec ce regard de respect que nous
devons porter sur tout ce qui est humain.
76
Le regard du chef
« La force d'un chef réside dans l'utilisation qu'il
fait de la capacité de chacun à décider lui-même. Tout
le monde est capable de planifier, d'organiser son
travail à sa façon, à part quelques exceptions.
Certains s'organisent mieux à court terme, d'autres
ont une vision plus large. Je pense qu'il faut respecter
ces visions et ces dispositions de chacun. Le chef doit
être capable de lire le type de planification que
chacun fait.»
77
toujours cette préoccupation : ne jamais amoindrir les
gens. C'est la mission que je me suis donnée. »
78
Le défi de la découverte
Défier, c'est un acte provoquant face à
l'establishment des bien-pensants. L'homme qui se
délivre jour après jour de ses mensonges, de ses
peurs et de ses fantasmes, découvre petit à petit sur
son chemin d'autres facettes de la réalité. Notre
perception du monde est en effet liée à nos attitudes
cognitives et émotives : nous ne voyons bien que ce
que nous voulons bien voir.
79
Mon signe du zodiaque
Mon signe du zodiaque, c'est le tramway
numéro deux. Il passait là, dans la rue du Chemin de
fer, à midi moins dix, au moment même où je naquis.
Cette masse métallique électrifiée a dû exercer sur
moi un effet magnétique infiniment plus puissant que
les planètes Mars, Vénus, ou Pluton.
80
a là encore une autre plaine où l'on peut choisir de
courir tous azimuts ou décider de continuer à marcher
sur la voie. Car au bout, il y a ce point fascinant où les
rails gauche et droit se rejoignent. Alors on se met à
courir pour l'atteindre au plus vite, juste le temps qu'il
faut pour découvrir que ce point idéal à l'horizon
recule aussi vite qu'on se rapproche de lui...
81
La route des Saints
Le Québec est un pays où les colons français se
sont établis en baptisant habituellement leurs
paroisses du nom du saint patron du fondateur de ces
nouveaux établissements. C'est ainsi que le long des
routes s'égrène un chapelet de villages comme Saint-
Liboire, Sainte-Scholastique, Saint-Valère, Saint-
Canut, Sainte-Clotilde, Saint-Placide, Saint-Joachim et
Sainte-Anastasie...
82
d'administration de l'entreprise : il s'est contenté de
souligner en rouge quelques phrases dans les
rapports des trois firmes de consultants qu'on avait
engagées à grand frais dans les années précédentes
pour faire des diagnostics et des recommandations
qui étaient restés lettre morte. Dans cette entreprise,
les gens de l'équipe de nuit n'avaient jamais vu
l'ombre d'un président ou d'un directeur. Les
représentants ignoraient le nom des livreurs dans leur
territoire. François a dû organiser des visites guidées
des entrepôts pour les cadres et les représentants
pour leur monter ce qu'il y avait en inventaire, le
stock qui roulait et celui qui dormait. Mais pour
découvrir cela, François a dû transgresser des tabous,
rompre avec certaines habitudes, dépasser les
barrières psychologiques.
83
Troisième mouvement :
andante, la complicité
L'andante, c'est l'air d'aller, la marche modérée.
C'est mettre un pied devant l'autre et recommencer
pour faire son petit bonhomme de chemin... en bonne
compagnie. Maintenant que le chef est libre et qu'il a
rejoint ses compagnons de route, des gens qui
mangent le même pain que lui, il devient leur
complice, pour le meilleur et pour le pire...
Le chef rebelle
Nous retrouvons ici notre ami Robert, cet infor-
maticien philosophe qui dirige sa troupe comme un
chef de bande, complice de leurs mauvais coups.
Quand cet homme a pris le contrôle de cette
entreprise en décrépitude, il a rassemblé tout le
personnel dans la grande salle et leur a dit qu'il
assumait la responsabilité de toutes les erreurs qui se
commettraient dorénavant, qu'il couvrirait
personnellement chaque employé de bonne foi, et
qu'il avait l'intention de redresser la compagnie avec
l'équipe en place.
84
« En tant que chef, je dois être un rebelle. Sinon
je ne suis qu'un bureaucrate, gardien de la sacro-
sainte routine. Malheureusement, la définition
actuelle d'une organisation, c'est une structure
hiérarchique. Pour moi, l'autorité doit être naturelle.
Je ne crois pas du tout à l'autorité forcée. Dans la vie
quotidienne, je ne peux pas me sentir comme un pion
sur un organigramme. Les relations avec mes
supérieurs et mes employés ont toujours été des
relations de vis-à-vis, d'égal-à-égal.
85
Pardonner
Etre complice, c'est participer à une action
répréhensible. La complicité implique donc, comme
Robert l'a si bien exprimé ci-dessus, le droit à l'erreur.
La liberté, l'autonomie et la créativité de l'autre se
paient au prix de l'erreur. Et l'erreur est humaine et
implique le pardon. Pardonner, c'est essentiellement
faire grâce, redonner la vie. Le chef qui pardonne
redonne donc la vie à son organisation.
86
personnels. Nous pouvons bien écouter aussi nos
employés. Ce sont des personnes humaines, il faut les
encourager, ne pas les laisser tomber. S'ils font des
erreurs, on peut leur pardonner. Habituellement ils
sont de bonne foi, ce ne sont pas des voleurs...
87
Le chef médiateur
« Madame, on sait que vous êtes là ! » Et
Louise, comme les autres chefs médiateurs,
commence à exister en tant qu'être humain dans sa
propre entreprise. Etre médiateur, c'est s'entremettre
pour effectuer un accord. Un accord sur quoi?
88
Les attouchements
complices
C'est Yves, un designer industriel, qui m'a fourni
une explication de la complicité. « Regarde une
tresse, ce sont plusieurs brins de corde entrelacés. Ils
suivent le même chemin, mais ils ont chacun leur
existence propre, ils se touchent régulièrement et
s'écartent les uns des autres dans un mouvement
sinueux. La tresse peut être très serrée ou assez
lâche. Les brins de corde sont complices, ils se
renforcent.
89
de temps en temps, et aussi de me laisser toucher. »
90
La complicité et le
respect
Le titre précédent n'était donc pas une incita-
tion au harcèlement sexuel, car nous nous rendons
bien compte que l'intimité, c'est-à-dire la liaison la
plus intérieure avec l'autre, exige un profond respect,
un regard distancé. Ce n'est en effet qu'en prenant
nos distances que nous pouvons nous différencier des
autres et les apprécier comme tels. Encore une fois,
rappelons-nous qu'il faut délier pour pouvoir allier.
91
abusés, violés par le système hiérarchique.
92
La complicité et le
plaisir
La complicité vécue dans l'intimité révélatrice et
dans la profondeur du pardon, dans le va-et-vient des
êtres libres et dans les attouchements des âmes,
dans la distance respectueuse, cette complicité est
source de plaisir.
93
fondamental de l'individu social que nous sommes.
L'équipe ouverte, ou la famille saine, jouent un rôle
protecteur et renforçateur sur leurs membres et elles
sont le lieu de solidarités qui permettent l'éclosion des
personnalités. C'est là un endroit privilégié où le bien-
être peut être ressenti.
94
Rondo finale
Nous voici donc rendus à la fin du troisième
mouvement du concerto sur l'organisation de
l'entreprise. Nous avons introduit le premier thème,
celui de la liberté, d'un air gai, allègre, en jouant les
trois phrases musicales qui le composent sur les notes
de la vérité, de l'humilité et de la fidélité. Le chef
d'orchestre y a manié sa baguette avec passion, se
faisant ainsi le libérateur, déliant les peurs, pour
laisser s'exprimer les talents et les intentions.
95
CONTROLER
97
limites des trois formes traditionnelles du pouvoir : le
pouvoir magique, le pouvoir possessif et le pouvoir
instrumental. Nous tenterons de leur substituer trois
formes humanisantes du pouvoir : le pouvoir
révélateur, le pouvoir médiateur et le pouvoir libéra-
teur.
98
Le pouvoir magique
Raymond est un chef superstar. Il passe sa vie à
se faire admirer des gens. Il possède une aptitude
phénoménale à charmer, à persister et à conquérir.
Dès qu'il s'introduit quelque part, et il le fait
rapidement, il est capable de séduire et d'établir une
intimité immédiate avec une personne étrangère. Il
paraît convaincant. A l'image de certains hommes
politiques, il est envoûté par le pouvoir magique qu'il
exerce sur son entourage, mais c'est un politicailleur.
99
grossières.
100
Le pouvoir révélateur
Si le chef éblouit les gens par son image, il ne
peut pas leur servir de miroir pour les rendre plus
conscients de leur propres forces et de leur potentiel.
S'il veut guider, aider les autres à trouver leur chemin
dans le brouillard, il n'allumera donc pas ses gros pha-
res aveuglants.
101
signale que je ne suis pas à l'aise avec ce qui se passe
autour de la table. Je change alors de position,
j'essaye de me détendre, je marche tranquillement en
allant aux toilettes. J'essaye de voir ce qui cloche, ce
qui fait que je ne me sens pas entièrement à l'aise
dans cette situation. S'il le faut, je fais reporter la
décision au lendemain.
102
D'autre part, le père aimant renonce à juger
comme un critique artistique. Il demande à l'enfant de
raconter comment il a procédé pour faire ce dessin,
pour choisir son sujet, ses couleurs, ses dispositions...
pour persévérer et terminer son oeuvre, et quelle
était son intention ? Cela prend plus de temps qu'un
simple compliment, mais c'est un processus
révélateur qui permet à l'enfant de se voir compétent,
agissant et décidant.
103
Le pouvoir instrumental
Georges, c'est l'expert en tout. C'est l'incontour-
nable et omniprésent administrateur qui contrôle
toutes les allées et venues de personnes et de docu-
ments dans l'entreprise. A l'armée, il était l'officier
responsable de l'intendance, l'expert en logistique.
Tout mouvement de matériel passait inévitablement
par son contrôle : il savait, lui, que chaque chose a sa
place et que chaque place a sa chose.
104
sent puissant quand on détient la solution, la réponse,
le truc, le contact, le réseau !
105
Le pouvoir médiateur
Etre médiateur, c'est aider sans s'imposer. Le
pouvoir médiateur consiste à agir de façon indirecte
pour relier chaque membre de l'équipage à l'en-
treprise, pour allier tout un chacun dans l'esprit de
corps. Pour être un chef médiateur, il faut encore faire
usage d'une force raffinée qui agit discrètement par la
présence, par le regard et par le renoncement.
106
Le pouvoir possessif
La peur et l'anxiété nous amènent souvent à
nous protéger en accumulant autour de nous des
biens matériels qui servent de remparts bien
précaires à nos angoisses existentielles. Car la peur
de ne pas être, nous amène à avoir, et par la suite, à
la crainte de perdre ce que nous possédons : la peur
qui engendre la peur, c'est ce qui conduit à la
névrose. Le pouvoir possessif est en soi une réponse
névrotique à notre peur du néant.
107
marges de crédit, et l'avoir net des actionnaires a
fondu. Maurice ne possède plus grand chose : il gère
l'argent des autres, des banquiers, c'est-à-dire du
public, et il se prétend toujours le propriétaire d'une
entreprise multimillionnaire...
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Le pouvoir libérateur
J'ai rencontré Simone, une directrice d'école
pré-retraitée devenue commerçante. Elle m'a dit que
pour libérer son équipage, le chef devait être présent,
être visionnaire et renoncer au pouvoir : « Vois-tu,
l'exemple qui me vient à l'esprit est celui du chef qui
ne fait rien, mais qui peut tout faire dans l'entreprise.
Il est à la fois présent et disponible et il peut, la
plupart du temps, remplacer n'importe qui au pied
levé, pour rendre service.
109
chacun donne à la vie du couple et de la famille. Mais
souvent, des soi-disant détails comme un lave-
vaisselle ou un coup de main pour passer l'aspirateur
ont beaucoup d'importance.
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MAINTENANT
Tout se tient: être un chef, c'est être libérateur,
médiateur et révélateur pour prévoir, organiser et
contrôler l'entreprise. Et ces trois rôles n'en font
qu'un, celui de diriger, de générer le sens, parce
qu'on y met en oeuvre une autre force constituée
essentiellement de vision, de présence et de renonce-
ment, trois variantes de la passion, de l'intimité et de
l'engagement qui composent l'amour humain.
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c'est de la lumière que tu entends. C'est terriblement
fort et c'est très faible à la fois. La lumière était dans
la soupe originelle de l'univers, il y a des milliards et
des milliards d'années. Je n'attends rien qu'une chose,
c'est d'aller savoir si elle existe. Mais toute la vie,
nous avons souvent les yeux bandés. Il nous faut
chercher et découvrir.
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Bibliographie
et remerciements
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de la personne.
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Légaut, Marcel, L'homme à la recherche de son
humanité, Aubier, Paris, 1971, 283 p.
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