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Le débat sur l' « identité nationale »

Etre, à la fois, pleinement Français et musulman

Oumma.com
9 février 2010

Khalid Chraibi

Des musulmans en Occident, ou des occidentaux


musulmans ?

Le débat sur l'identité nationale a fourni l'occasion à toutes les voix de s'exprimer, au
cours des derniers mois, des plus sensées aux plus déraisonnables. Il a donné lieu, dans
certains cas, à un regrettable étalage d'islamophobie. Cependant, en dépit de tous les
dérapages, ce débat soulève des questions importantes pour les « communautés
musulmanes », qui méritent une ample réflexion.
Il n'est pas inutile, pour commencer, de replacer ce débat dans son contexte. Depuis la
fin de la deuxième guerre mondiale, des centaines de milliers de nationaux de différents pays
du Maghreb et du Moyen-Orient sont partis, chaque année, s'établir dans différents pays
occidentaux, dont la France, à la recherche de travail, ou pour poursuivre des études
supérieures, ou pour échapper à des persécutions d'ordre politique, religieux ou social.
Souvent, ils n'avaient envisagé leur départ du pays natal qu'à titre temporaire, en
attendant qu'un changement de circonstances leur permette de retourner parmi les leurs. Mais,
avec le passage du temps, nombreux furent ceux qui finirent par s'établir définitivement dans
ces terres d'accueil, y fondant leur foyer et y élevant leurs enfants, en espérant que ces
derniers y jouiraient d'une vie encore meilleure que ne fut la leur. Aujourd'hui, ces immigrés
et leurs descendants se comptent par dizaines de millions en Europe et en Amérique.
Leur nombre continue d'augmenter tous les jours, du fait de l'immigration illégale de
nationaux de pays du Tiers-monde à la recherche d'opportunités de travail dans les pays
occidentaux, après que les politiques chaotiques menées dans les pays nouvellement
indépendants, au cours du dernier demi-siècle, les guerres civiles, la mondialisation, etc...
aient réduit à la portion congrue les opportunités de travail dans ces pays.
La première génération de ces immigrés a préservé jalousement, pendant des
décennies, sa langue, sa religion, son mode de vie, ses coutumes et traditions, sa culture.
Mais, les enfants de ces immigrés sont confrontés, le plus souvent, dès leur adolescence, à de
véritables questions existentielles.
Ainsi, les enfants nés en France de parents maghrébins immigrés se sentent-ils
tiraillés, dans leur vie quotidienne, entre diverses identités virtuelles, sans parvenir à en faire
taire l'une au profit de l'autre, ou à établir une coexistence pacifique entre elles.
Certaines voix, dans leur famille et dans la communauté musulmane, les encouragent à
se considérer comme des musulmans vivant en pays étranger, et à rester repliés au sein des
communautés musulmanes, préservant le mode de vie islamique et les coutumes et traditions
des terres d'origine de leurs ancêtres. Certains les poussent, même, à revendiquer l'application
de la charia aux membres des communautés musulmanes, pour ce qui concerne les questions
de statut personnel telles que le mariage, le divorce, l'héritage, etc... (comme cela se fait
depuis des siècles dans certains pays asiatiques tels que l'Inde, qui compte plus de 140
millions de musulmans).
Mais, d'autres voix leur expliquent qu'ils ne sont plus des immigrés, mais les nationaux
des pays où ils sont nés. Ils doivent donc s'intégrer à la population de leur propre pays natal, y
faire leur vie, en se soumettant aux lois nationales, et en acceptant l'application des règles de
droit français, même quand elles sont incompatibles avec les prescriptions du droit musulman.

Qui suis-je ?
Ces tiraillements n'ont nullement un caractère métaphysique ou académique. Ils
concernent des jeunes qui cherchent de bonne foi, dans le monde réel, à identifier des balises
qui leur permettront de bâtir leur avenir sur des fondations sûres.
Il n'y a qu'à prendre, à titre d'illustration, le cas de cette jeune « beur » née en France
d'une première union entre un père marocain musulman et une mère juive tunisienne. Est-elle
marocaine, tunisienne ou Française ? Est-elle musulmane ou juive ? Pour compliquer les
choses, - car, la réalité dépasse souvent la fiction - après le divorce de ses parents, son père a
épousé en deuxièmes noces une Française catholique, avec laquelle il a eu deux enfants élevés
dans le respect de ce culte. La jeune beur, déjà tiraillée entre trois nationalités, se retrouve
également tiraillée entre trois religions, celle de son père musulman, celle de sa mère juive et
celle de ses demi-frères catholiques.
L'exemple n'est pas outré. Non seulement il est réel, mais il se retrouve de plus en plus
fréquemment, sous les variantes les plus diverses, dans les communautés musulmanes de tous
les pays. Par exemple, dans la même famille maghrébine, il n'est pas rare que les parents
soient d'une nationalité, les enfants d'une autre, et les gendres ou belles-filles d'une autre
encore. La colonisation des pays du Maghreb au 20è siècle, puis la mondialisation ont frappé
de plein fouet, et fait voler en éclats les structures rigoureuses et simples qui caractérisaient
les sociétés musulmanes d'antan. Aujourd'hui, se relevant au milieu des débris des structures
passées, les enfants peuvent très sérieusement se poser la question existentielle « Qui suis-
je ? »

« Parce que c'est là que je suis né ! »


Ces questions identitaires peuvent sembler, à première vue, d'une inextricable
complexité. Elles sont, pourtant, relativement simples à analyser, quand on tient compte
uniquement des fondamentaux de la situation. Ainsi, les nouvelles générations de musulmans
nés et élevés dans les pays occidentaux sont, sur le plan du droit, et doivent se considérer, sur
le plan concret, comme des citoyens à part entière de ces pays. Ce sont, par exemple, des
citoyens Français, des Britanniques, des Néerlandais, ou des Italiens de religion musulmane.
Au premier titre, ils ont des droits et des devoirs. Au deuxième titre, ils jouissent, à l'égal des
autres confessions, de la liberté de culte, qui est garantie par la Constitution et les lois
nationales.
Les citoyens d'origine immigrée doivent donc aimer ce pays qui est le leur, respecter
ses lois et ses institutions, et y participer à la vie politique, économique et sociale à l'instar de
tous les autres citoyens. Ils doivent participer à son développement en y préparant leur propre
avenir, en fonction de leurs aspirations individuelles, et au mieux de leurs capacités.
Ils doivent, en particulier, prendre leur destin en main, se faire leur place dans la
communauté, et essayer activement de résoudre les problèmes auxquels ils peuvent se trouver
confrontés dans leur vie quotidienne, sans attendre que les autorités institutionnelles apportent
d'elles-mêmes les solutions idoines aux problèmes des immigrés.
Les maghrébins qui ont vécu toute leur vie dans une cité de banlieue, qui ont fait des
études dans des écoles médiocres, qui voient autour d'eux de nombreux jeunes au chômage, et
qui n'ont pas trop d'espoir de pouvoir s'en sortir un jour, peuvent rester dubitatifs au sujet de
telles propositions. Ils ont certainement raison, dans l'état actuel des choses. Mais il leur
appartient, à eux, à leurs parents, à leurs amis, à leur communauté, d'oeuvrer pour que tout
cela change. Ils doivent, dans ce but, mobiliser toutes les bonnes volontés et tous les groupes
susceptibles de leur apporter leur aide.
Jusqu'à présent, les médias occidentaux, quand ils ont parlé des musulmans, ont
surtout porté leur attention sur les revendications associées au domaine religieux, tels que les
lieux de culte, le foulard, la burqa, les caricatures danoises, les horaires spéciaux de piscine
pour dames, les minarets suisses, les muezzins dotés de haut-parleurs dans les mosquées, etc.
Il serait temps, pour les citoyens français de confession musulmane, de tourner leur
attention vers d'autres sujets également prioritaires, mais à caractère social, qui peuvent leur
apporter un « plus » dans leur vie quotidienne, que ce soit dans les domaines du travail, du
logement, de la santé, du transport, de l'éducation, etc.

La charia ou le droit français ?


Certains lecteurs pourraient se demander, de bonne foi, dans le cadre de cette
discussion, s'il n'existe pas une incompatibilité entre le fait d'être Français, et le fait d'être
musulman. Ils pourraient souligner que le musulman doit respecter et appliquer la charia dans
tous les aspects de sa vie, alors que l'Etat français impose au citoyen Français musulman de
respecter et d'appliquer le droit français.
La question est tout à fait légitime. Il faut noter, cependant, que l'islam s'est étendu, au
fil des siècles, à des communautés situées sur tous les continents de la Terre, représentant
aujourd'hui un milliard et quart de personnes réparties, pour l'essentiel, dans une cinquantaine
de pays. Dans nombre de pays situés en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, les
musulmans ne constituent qu'une minorité au sein d'une population beaucoup plus importante.
Ils continuent, en général, d'être assujettis à leur droit national, dans tous ses aspects, tout en
pratiquant la religion musulmane.
Similairement, les citoyens occidentaux qui se convertissent à l'islam, aujourd'hui,
continuent d'être assujettis au droit de leur pays dans tous les aspects de leur vie. Mas, cela
n'affecte en rien leur statut de musulman.
En effet, pour être un bon musulman, dans quelque pays que ce soit, il suffit de
respecter les cinq piliers de l'islam, c'est-à-dire :
- attester qu'il n'existe pas d'autre divinité que Dieu, et que Mohamed est son
Prophète ;
- faire ses prières
- faire la zakat (aumône)
- faire le jeûne pendant le mois de Ramadan
- faire le pélerinage (pour ceux qui en ont les moyens).
Il faut souligner, de plus, que l'islam s'oppose à tout usage de la violence, dans quelque
but que ce soit, ne l'autorisant que dans une situation de légitime défense. Il ne demande donc
pas aux musulmans de se dresser contre les lois des pays où ils sont nés, ni de renverser le
système juridique existant pour lui substituer la charia. Cette dernière n'est appliquée que dans
les pays dont la majorité de la population est musulmane et où elle détient les rênes du
pouvoir. Par contre, dans les pays où les citoyens musulmans sont minoritaires, ils doivent se
plier aux lois du pays, à l'instar de tous les autres citoyens.
Par conséquent, on peut être, à la fois, pleinement Français et musulman, sans qu'il y
ait la moindre incompatibilité entre les deux situations.

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