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Pour répondre à ces questions, il faut rappeler le sens que nous donnons à la notion
d’interculturalité qui induit l’idée de dialogue, de consensus, visant à l’acceptation et à la
compréhension des différences. Il faut donc se méfier de cette définition qui s’inscrit dans une
idéologie contemporaine susceptible d’évoluer en fonction des orientations et des courants
politiques nationaux ou transnationauxi. Partant de ces réserves, il est tentant de rechercher
dans l’histoire de l’espace india-océanique les particularités culturelles des Iles, héritage de
leur histoire commune.
Les échanges culturels consentis – n’est-ce pas là une définition plus simplifiée de
l’interculturalité – ont fortement participé à la construction des sociétés des Iles situées dans
la partie de l’océan Indien. Toutefois le peuplement de ces espaces insulaires, proches du
continent africain, s’est constitué à des époques et selon des processus politiques différents.
Le premier point commun entre les Iles a été l’existence de grands courants migratoires –
Afrique, Asie, Europe – ayant participé à des degrés différents, à la construction d’une
identité propre aux Iles de l’océan Indien occidentalii.
Dès les débuts de l’ère chrétienne, les routes maritimes de l’océan Indien ont relié les
pays et les continents bordant ce vaste océan. Grâce à des vents et courants réguliers, les
navigateurs malais, arabes, chinois et indiens ont rapproché l’Afrique de l’Asie, et même
l’Asie de l’Europeiii. L’Ile continent malgache, la côte africaine de Barbara au nord, des Zendj
au centre, de Sofala au sud ont été visités et peuplés par les populations venues d’Asie du sud-
est et notamment des vastes archipels d’Indo-Mélanésie, de l’Inde, de l’Afrique et de
l’intérieur du grand continent africainiv. Plus éloignées du continent africain et ne répondant
pas aux besoins des navigateurs en quête de vastes terres et de profits commerciaux, les
petites îles des Mascareignes restent à l’écart des grandes migrations pré-coloniales jusqu’au
XV ème sièclev.
avec les Européens qui arrivent dans l’océan Indien au XV ème siècle influencent la culture
malgacheix. Les religions ancestrales, formées sur un socle africain indonésien, sont
concurrencées par la religion chrétienne propagée par les missionnaires protestants anglais et
les catholiques français au XVIII et XIXème sièclex. En résistant à ces influences nouvelles –
et parfois en les absorbant – Madagascar trouve une identité politique à la fin du XVIII ème
siècle avec l’arrivée au pouvoir en 1783 du roi Andrianampoinimerina, à l’origine de la
centralisation et de l’unification de la nation malgachexi. La colonisation française en 1895 ne
parvint pas à ébranler l’identité malgache née au cours de prés de 2000 ans d’histoirexii.
Le phénomène interculturel est tout aussi ancien aux Comores, îles situées au nord de
Madagascar, qui connaissent au IX et X ème siècle l’influence arabe après avoir été peuplées
par des tribus bantouesxiii. L’islamisation des Comores prolonge par plusieurs aspects la
symbiose Moyen-Orient et monde bantou de la côte orientale d’Afrique. En effet, la culture
swahili, née du contact des tribus arabes et du monde africain, se propage sur tout l’est
africain jusqu’aux Comoresxiv. L’identité comorienne s’affirme ainsi à partir d’un subtil
équilibre culturel entre les éléments bantous et arabes…
L’analyse historique des échanges culturels dans les autres îles du sud-ouest de l’océan
Indien pose des problèmes différents compte tenu de la jeunesse du peuplement des Iles et de
leur histoire colonialexv. Une première remarque s’impose : la situation des Iles Mascareignes
présente des spécificités et des points communs par rapport à la Grande Ile malgache et
l’archipel comorien. Les points communs résident dans l’apport de populations transportées
dans les petites îles Mascareignes par les colonisateurs occidentaux dans le cadre du système
de l’esclavage au XVII, XVIII et XIX èmes sièclesxvi. Les spécificités sont telles qu’elles en
font un cas que l’on peut dire, sans aucune exagération, unique au monde. En effet, nulle part
n’existent ensemble ces trois éléments majeurs : d’abord, nous sommes en présence d’une
histoire qui part d’un terminus a quo ; on connaît avec précision les conditions des premiers
établissements coloniaux dans les quatre îles – Maurice, Réunion, Seychelles, Rodrigue – du
moins des premiers qui ont laissé des traces et qui se sont déployés en suite ininterrompue
jusqu’à nos jours. En second lieu, les sociétés créoles sont issues de la coexistence et des
interactions de trois matrices culturelles fondamentales : la matrice afro-malgache, la matrice
européenne, et la matrice indienne sur lesquelles se sont greffés des éléments adventices
beaucoup moins importants sur le plan démographique. Il s’agit notamment des apports Indo-
musulmans, Chinois et des apports européens récents qui ont exercé des influences très
différentes quant aux métissages physiques et culturels. Enfin, cet ensemble disparate, qui
découvre dans la deuxième moitié du XX ème siècle de nouvelles solidarités – après avoir
connu les colonisations britanniques et françaises – se trouve inséré dans de nouveaux statuts
politiquesxvii. L’Ile Maurice et les Seychelles sont devenues des nations, l’Ile de La Réunion,
reste rattaché à la France et intégré dans la communauté économique européennexviii.
auto-centration culturelle qui freine les échanges interculturelles. Sous réserve de ces
exceptions, auxquelles on pourrait ajouter une tendance endogamique analogue en ce qui
concerne la communauté des Créoles Blancs de l’Ile Maurice, il est clair que le métissage et
les échanges culturelles entre les groupes de peuplement ont façonné depuis trois siècles les
sociétés créoles, leur donnant leurs spécificités issues d’une histoire coloniale commune.
Sudel Fuma
Adam Villiers Christian, « Sous le regard de l’Autre : la recherche d’une interculturalité consensuelle, in actes du
séminaire « L’interculturalité dans la zone indiaocéanique, bilans et perspectives », Ile de La Réunion, Université
de La Réunion et Chaire U.N.E.S.C.O., mai 2001, p.21
ii Mouvements de populations dans l’océan Indien, actes du IV ème colloque de l’Association Historique
Internationale de l’océan Indien, Paris, Champion, 1972, 459 p. Cette publication est très utile pour les chercheurs qui
s’intéressent aux mouvements de populations entre l’Afrique et les îles pendant la période coloniale. On lira
notamment avec intérêt l’article de Jean Poirier « Problèmes de la mise en place des couches ethniques et des couches
culturelles à Madagascar », pp.51 à 60
Lire aussi l’article de Rabeajaona Claude Nosy, La présence nusantarienne dans la partie occidentale de l’océan
Indien jusqu’à l’arrivée des europééens, Saint-Denis, La Réunion, colloque des archéologies de l’océan indien,
septembre 2000,G.R.A.H.T.E.R., 15 p. Cet article, d’un très grand intérêt, démontre que les austronésiens possédaient
des moyens de communications beaucoup plus sophistiqués ( les Sambu ou perahu, navires malais, pouvant déployer
jusqu’à 7 grandes voiles, longs de 60 mètres ) que ce qu’on a décrit à ce jour. L’auteur remet en cause les théories selon
lesquelles les peuples d’Asie ont longé les côtes avant d’arrivée à Madagascar.
iii Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’océan Indien, actes du 8 ème colloque international
d’histoire maritime, Beyrouth, 5-10 septembre 1970, 733 p. Cet ouvrage met en évidence l’intérêt économique que
représente la zone océan indien pour l’occident pendant la période coloniale.
Hobman Bob, Sarimanok, Paris, Grasset, 1989, 287 p. Bob Hobman et un équipage de 6 marins ont fait la traversée sur
un navire en bambou en 1985 entre Madagascar et l’Indonésie prouvant que les Indonésiens ont pu faire le même trajet
au début du premier millénaire.
iv Maestri Edmond, Les Iles du sud-ouest de l’océan Indien et La France de 1815 à nos jours, Ile de La Réunion,
Université de La Réunion et C.D.R.H.R., Paris, Harmattan, 1994, 222 p. p.14
v Lougnon Albert, Sous le signe de la tortue, voyages anciens à l’Ile Bourbon, Paris, édition Larose, 1958, 198 p.
vi Vérin Pierre, Madagascar, Paris, édition Karthala, 270 p. pp. 32 à 50
vii Idem, L’invention de l’écriture à Madagascar et aux Comores, Paris, I.NA.L.C.O., 1997, 145 p.
viii Migrations, minorités et échanges dans l’océan Indien, Université d’Aix-en-Provence, Aix-Marseille, table
ronde I.P.H.O.M., 1978, 272 p.
Toussaint Auguste, Histoire de l’océan Indien, Paris, P.U.F., 1961, 196 p, pp. 15 à 35
ix Le monde arabe et l’océan Indien, Université d’Aix en Provence, table ronde I.P.H.O.M., 1983, 268 p.
x L’espoir transculturel, colloque d’anthropologie, Université de La Réunion, C.E.R.F.O.I., Paris, Harmattan, 1990,
219 p.
xi Raison-Jourde Françoise, Les souverains de Madagascar, l’histoire royale et ses résurgences contemporaines,
Paris, édition Karthala, 1983, 476 p.
xii Rabemananjara Raymond-William, Madagascar 1895 : documents politiques et dipplomatiques, Paris,
Harmattan, 1996, 152 p.
xiii Lafon Michel, Le shingazidja (grand Comorien) : une langue bantu influence arabe, Paris, institut des langues
et civilisations orientales, 1987, 400 p., p.7
xiv Arabes et islamisés à Madagascar et dans l’océan Indien, revue de Madagascar, articles de Pierre Vérin « les
arabes dans l’océan Indien et à Madagascar », de J. Dez, « De l’influence arabe à Madagascar à l’aide de faits
linguistiques », de Claude Robineau « L’islam aux Comores », Tananarive, imp. Nationale, 1967.
xv Vérin Pierre, Maurice avant l’Isle de France, anthologies de textes anciens, Paris, Nathan, 1983.
Chan Low Jocelyn, Une perspective historique du processus de construction identitaire à l’Ile Maurice, Séminaire
« l’interculturalité dans la zone indiaocéanique, bilans et perspective, Université de La Réunion, mai 2000, pp. 20 à 39
xvi Mouvements de populations dans l’océan indien, actes du IV ème congrès de 1972, op. cit.
xvii Fuma Sudel, Poirier Jean, Métissages, hétéroculture et identité culturelle, colloque international « Métissages »,
Université de La Réunion, Paris, édition l’Harmattan, 323 p., pp 49-65.
xviii Maestri Edmond, Les Iles du sud-ouest de l’océan Indien et la France de 1815 à nos jours, op. cit.
xix Fuma Sudel, L’esclavagisme à La Réunion 1794-1848, Paris, Harmattan, 1992, 413 p., pp 39 à 45.
xx Idem. , pp. 18 à 21
xxi Ly Tio Fane Huguette, Chinese diaspora in western Indian ocean, thèse de doctorat, Université d’Aix en
Provence, 1978, Ile Maurice, édition de l’océan Indien, Moka, 1985, 423 p., p. 162
Wong Hee Kam Edith, La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de La Réunion, Saint-Denis, Université de
La Réunion, l’Harmattan, 496 p., p 325
Cosadia Salima, « Du Gujurat à l’Ile de La Réunion : l’insertion économique et sociale des Indiens musulmans au
sein de la société réunionnaise, 1887-1946 », mémoire de maîtrise, Montpellier 3, 1996, 175 p., p.140
Houssen Reza, « Etude de la communauté musulmane à l’Ile de La Réunion dans les années trente » Université de
La Réunion, 1998, 117 p., p.57
xxii Fuma Sudel, Poirier Jean, La mémoire de l’esclavage : de l’ethno-histoire à l’anthropologie : pour de
nouveaux concepts, colloque « Esclavage et abolitions dans l’océan Indien, 1723-1860, 15 p., p.12