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Alimentation

L'huile de « solja »
Chaque huile alimentaire à ses défauts... L'huile de soja est riche en acides gr
as « essentiels », mais résiste mal à la cuisson, l'huile de tournesol résiste a
u chaud mais elle est pauvre en acide oléique nécessaire à une bonne alimentatio
n ; l'huile d'olive est riche en cet acide mais elle est chère... Un « cocktail
» d'huiles de soja, de carthame et de deux tournesols se rapproche de la formule
idéale.
par Marie-Laure MOINET
Une nouvelle huile sort sur le marché. Son originalité ? Au lieu d'être extraite
d'une seule espèce (soja, arachide, tournesol ou colza, etc.), c'est un mélange
d'huiles savamment dosé pour que le résultat ait une bonne résistance à la cuis
son, tout en présentant une teneur en acides gras conforme aux souhaits des nutr
itionnistes. Ces derniers estiment, en effet, qu'une alimentation optimale devra
it nous apporter le tiers de notre énergie sous la forme de matières grasses, ré
parties en 25 % d'acides gras saturés (sans double liaison dans leur molécule, c
omme l'acide stéarique), 50 % d'acides gras monoinsaturés (à une double liaison,
comme l'acide oléique) et 25 % environ d'acides gras polyinsaturés (deux double
s liaisons ou plus, comme l'acide linoléique et l'acide linolénique). Ces dernie
rs sont essentiels, car notre organisme ne sait pas les fabriquer, et ils sont p
récurseurs des prostaglandines et de facteurs antithrombotiques (la thrombose es
t la formation de caillot dans un vaisseau sanguin).
La nouvelle huile, nommée « Equilibre 4 » et lancée en avril dernier par Lesieur
, contient environ 12 % d'acides gras saturés, 42 % de monoinsaturés, et 46 % de
polyinsaturés (45 % d'acide linoléique et 1 % de linolénique). La molécule de c
elui-ci, à trois doubles liaisons, est plus instable à la cuisson ; en s'oxydant
, elle génère notamment des odeurs de poisson, d'où sa limitation réglementaire
en France à moins de 2 % dans les huiles de friture. La composition de la nouvel
le huile semble judicieuse. En effet, les acides gras saturés (nombreux dans les
graisses animales et les graisses « cachées » de notre régime), ont tendance à
augmenter notre taux de cholestérol tandis qu'au contraire, l'acide linoléique l
'abaisse ; quant à l'acide oléique, il augmente le taux des HDL (high density li
poproteins), particules qui évacuent le cholestérol de nos vaisseaux sanguins.
A titre de comparaison, l'huile d'arachide est plus riche en acides gras saturés
(21 %), l'huile d'olive est plus pauvre en polyinsaturés (7 %), l'huile de tour
nesol est plus pauvre en acide oléique (20 %) et l'huile de soja plus riche en a
cide linolénique (8 %). Quant à l'huile de colza (10 % de saturés, 60 % de monoi
nsaturés et 21 % de polyinsaturés), elle ne se remet pas des rumeurs qui l'accus
aient de favoriser des lésions cardiaques (chez le rat). Bien que l'acide gras q
ui se trouvait mis en cause, l'acide érucique, ait été totalement éliminé des no
uvelles variétés, l'huile de colza n'a toujours pas la côte auprès des Français,
alors qu'elle est la mieux équilibrée et la moins chère, et que le colza est cu
ltivé en France. Les Canadiens, par exemple, ne la boudent pas, mais c'est grâce
à une ruse des sélectionneurs, qui ont appelé les nouvelles plantes sans acide
érucique « canola » et non plus colza !
Pour obtenir Equilibre 4, Lesieur a utilisé dans son mélange de l'huile de tourn
esol, de l'huile de soja et de l'huile de carthame (1). Cela fait « Equilibre 3
», direz-vous... Non, car deux huiles de tournesol ont été utilisées. La premièr
e vient du tournesol classique, la seconde, nommée Oléisol, d'un nouveau type de
tournesol sélectionné en Espagne, dans la station de recherches de la société K
oipesol (2), et qui se caractérise par une haute teneur en acide oléique (60 à 8
0 % contre 20 % pour le classique). Ce tournesol nouveau à son origine dans un i
nstitut de sélection végétale soviétique, le VNIIMK à Krasnodar ; en 1976, un ch
ercheur, K. Soldatov, y avait provoqué des mutations sur les tournesols, augment
ant leur richesse en acide oléique.
La teneur en acide oléique est d'ailleurs, en règle générale, tributaire des tem
pératures en cours de culture : plus elles sont élevées au moment de la maturati
on des graines, plus la teneur en acide oléique augmente. Les chercheurs de Koip
esol ont obtenu, après 7 ans de sélection, des hybrides ayant fixé ce caractère
« haute teneur en oléique ». Pour le tournesol, comme auparavant pour le mais, l
'avènement des hybrides, à partir de 1975, a permis d'intensifier les cultures e
n apportant de meilleurs rendements et une teneur en huile accrue. Les hybrides
ont été obtenus grâce à un système de sélection très spécifique, mettant en oeuv
re la « stérilité mâle cytoplasmique », une propriété de certains tournesols, dé
couverte en 1967 par un chercheur de l'Institut national de la recherche agronom
ique. Les hybrides de Koipesol ne sont pas en vente libre (ils ne sont pas encor
e inscrits officiellement au Catalogue français), aussi sont-ils cultivés actuel
lement par des agriculteurs sous contrat avec Lesieur.
L'Oléisol est donc presqu'aussi riche en acide oléique que la précieuse huile d'
olive, qui en contient 80 %. On pourrait même envisager de substituer cette huil
e raffinée (donc inodore, incolore et sans saveur) au suif pour fournir l'acide
oléique, matière première recherchée par l'industrie des détergents et des lubri
fiants. A l'avenir, l'obtention d'un taux déterminé d'acides gras dans les plant
es oléagineuses serait possible par manipulations génétiques. Connaissant les ré
actions enzymatiques qui donnent naissance aux acides gras mono et polyinsaturés
, on peut concevoir d'en isoler les gènes, de les transférer dans des cellules v
égétales, d'en amplifier l'expression ou au contraire de l'atténuer. La régénéra
tion en plante de cellules transformées génétiquement est d'ores et déjà réalité
pour le soja ou le colza ; elle est plus difficile pour le tournesol.
En attendant, l'Oléisol est pauvre en acides gras saturés (10 à 12 %) et relativ
ement pauvre en acide linoléique (17 à 28 %), ce qui n'a rien d'étonnant puisque
celui-ci se forme dans la graine aux dépens de l'acide oléique. Mais sa faible
teneur en acide linolénique (moins de 0,1 %) en fait une huile qui résiste à la
chaleur. Dans Equilibre 4, l'acide oléique apporté par l'Oléisol est complété pa
r l'acide linoléique provenant du tournesol classique, du carthame et du soja, q
ui en contiennent respectivement 69 %, 75 % et 52 %.
Cette huile est conditionnée dans une bouteille de forme nouvelle, en plastique
transparent de poly-éthylène-téréphtalate (PET). Les bouteilles sont fabriquées
dans l'usine de raffinage de Lesieur, à Coudekerque (Pas-de-Calais), qui fabriqu
e ses propres bouteilles depuis 25 ans. Le génie de Georges Lesieur, qui fonda l
a société en 1911, fut d'ailleurs d'avoir eu l'idée le premier, en 1925, de comm
ercialiser l'huile alimentaire au détail ; c'était alors de l'huile d'arachide e
t la bouteille était en verre. Les bouteilles sont « soufflées » - aux alentours
de 100 °C -, sur des chaînes automatiques, à partir de « préformes » fabriquées
en Italie.
Le lancement de cette nouvelle huile aura nécessité au total environ 50 millions
de francs d'investissements. Lesieur peut en assumer les frais : le chiffre d'a
ffaires de cette société est de 2,3 milliards de francs pour un effectif, réduit
ces dernières années par l'automatisation des lignes de raffinage qui ne dépass
e pas 1000 personnes (3).
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(1) Le carthame est une composée qui pousse dans les régions sèches. Ses fleurs
renferment une matière colorante jaune qui sert à fabriquer un ersatz de safran.
(2) Koipesol est une filiale de Lesieur, elle même filiale du groupe Ferruzi dep
uis 1988.

(3) Lesieur lance par ailleurs, par le biais de Vedial, une filiale commune avec
la laiterie Saint-Hubert 41, le Fleurier, un « corps gras allégé en matières gr
asses » (65 % de MG) : composé de beurre et d'huile de tournesol, il peut être c
hauffé ou tartiné, au choix.
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Science & Vie N°862, Juillet 89, page 104


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