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Paru dans le journal Libération.

Imaginez que de l'autre côté du périphérique parisien l'on parle fl amand, et


qu'à Boulogne-Billancourt, qui compterait 80% de Fancophones, il soit interdit à
ces derniers de parler français au conseil municipal, sous peine de poursuites.
Imaginez que les Francophones de Boulogne n'aient le droit d'aller dans une
école francophone de Boulogne, qu'en maternelle et en primaire. Que ces écoles
soient gérées par le gouvernement des Flamands, et qu'il soit interdit au maire,
sous peine de suspension, de s'adresser à un instituteur francophone en...
français (sauf hors du cercle professionnel).
Imaginez que les Flamands y auraient supprimé les chaînes télévisées Arte, FR3
et TF1 au profit de chaînes anglophones.
Imaginez qu'il y soit interdit d'envoyer aux Francophones des convocations
électorales en français , sous peine de suspension.
Et que Boulogne-Billancourt soit appelée une «commune à facilités».

En gros c'est cela, la question linguistique en Belgique aujourd'hui.

Ah oui. Imaginez enfin que les Francophones aux droits si limités seraient
installés là depuis deux, trois, quatre ou cinq générations. De vrais immigrés,
en quelque sorte. Mais dans leur propre pays.

Oiges nous donne un bel exposé, où le mot «racisme» apparaît plusieurs fois. Il
s'agirait du racisme des Francophones envers les Flamands.
C'est étrange, parce que les seuls Flamands qui font état de ce racisme
habitent... en Flandre. Je n'ai jamais entendu un Flamand habitant la Wallonie
se plaindre d'une telle chose.
C'est étrange, parce que les Francophones ont été sortis de Flandre (notamment
de l'Université de Louvain) sous le slogan «Walen Buiten», que l'on trouve
aujourd'hui encore sur beaucoup de murs en Flandre.
C'est étrange, parce qu'en réponse à cela, j'ai lu, pour la première fois, le tag
«Flamands dehors» voici un mois, sur le parlement flamand, situé à Bruxelles, à
85% francophone, mais « capitale de la Flandre ».
Un tag, aussitôt effacé par un ouvrier flamand. Les tags «Wallons dehors» ne
sont, eux, presque jamais effacés. Efficacité avant tout. Quant aux panneaux «...
Là où les Flamands sont chez eux» qui ornent l'entrée de plusieurs communes
flamandes, quelquefois même des ponts entiers, et ce, sur les ordres de
l'autorité locale, il ne sont pas considérés comme racistes. C'est une simple
précision.
Vous sortez du périph pour aller à Asnières, et à la sortie, on vous
assène «Asnières, là où les Flamands sont chez eux» . Et ce n'est pas raciste.
Ensuite, sur un blog, on vous dit : « Vous, les Francophones, vous êtes des
racistes ».

Ce n'est pas du surréalisme belge, c'est tout simplement la vision fl amande


d'aujourd'hui, et c'est tout simplement atterrant.

Raciste, le wallon?
C'est bizarre, parce que le site « Wallonie.be » existe en 6 langues, alors que le
site « Flandres.be » n'existe qu'en néerlandais et en... anglais.
Si on veut la version francophone, on tombe sur une page qui dit que c'est en
construction, et qu'en attendant, on doit aller sur l'une des deux autres
versions.
C'est même très bizarre, parce que pour qui parle couramment le néerlandais
(ce qui est mon cas), il y a sur le site « Vlaanderen.be » tout un chapitre qui
explique aux habitants de Flandre quand ils ont le droit (ou pas) de parler une
autre langue que le néerlandais, alors que sur le site wallon, rien de tel.
Pourtant, il y a des communes à facilités en Wallonie aussi, et là, il n'y a pas de
loi anti-flamands.
C'est même terriblement bizarre, quand on sait que l'extrême-droite,
ouvertement raciste, est le premier parti au gouvernement fl amand, que celui-
ci assimile les francophones aux «autres allochtones» : paresseux, profi teurs,
étrangers.
Alors qu'en Francophonie, le FN doit se contenter d'un siège, obtenu tout juste.

Mais bien sûr, il y a l'histoire.


Bien sûr, il y a eu cent ans de domination francophone.
Mais cette discrimination tenait avant tout de la ségrégation de classe : ces
Francophones qui ont brimé les Flamands étaient en réalité des bourgeois et
des nobles... flamands.
La preuve ? Ils portaient des noms flamands. N'allez pas me dire que Woeste ou
Van de Berghe sont des noms français!

Bien sûr, les Wallons ont eu un sort plus confortable que les Flamands pendant
la grande guerre... c'est dans une langue proche de leur dialecte qu'on leur
expliquait comment se faire charcuter sur le champ de bataille. Alors que les
Flamands sont morts pour n'avoir pas compris les ordres. Tout de même, après
trois ou quatre ans de guerre, on peut supposer que la plupart d'entre eux
étaient suffisamment intelligents pour comprendre le français ? Mais plus
sérieusement, oui, il faut le reconnaître, impérativement : il y a eu de graves
injustices envers les soldats flamands pendant la grande guerre, comme avec
les Bretons bretonnants, les Germanophones ou les Corses en France, comme
avec les Harkis plus tard ou comme avec les tirailleurs Sénégalais.
Et évidemment, les épitaphes en français pour des soldats flamands étaient une
infamie.

Mais c'était en 1914.

De 1940 à 1945, bien des nationalistes flamands se sont associés aux nazis pour
défendre leur «cause» (alors que depuis 1930, il y avait des bataillons fl amands
et des bataillons francophones). Et bien des Francophones sont morts en stalag
ou sous la torture de ces gens. De cela, les Flamands ne vous parleront jamais.
Pire : très récemment, le patron de la NVA (nationaliste de droite non
extrémiste), Bart De Wever a cru nécessaire de faire un tout petit peu de
révisionisme en critiquant les excuses que le maire d'Anvers venait de faire aux
Juifs pour les exactions de sa police, de 1940 à 1945. (Bart de Wever s'en est
excusé en petit comité devant les Juifs d'Anvers, mais a «oublié», comme il
l'avait promis, de diffuser ces excuses dans la presse, suite à quoi les Juifs
d'Anvers, très modérés, ont dit refuser ces excuses si privées.)

L'histoire n'est pas simple. L'histoire de Belgique moins encore. Alors revenons
à l'actualité : il y a quelques signes qui ne devraient tromper personne, et qui
sont autant de signaux d'alarme que l'ambiance complexe du pays et le double
langage de certains rendent presque imperceptibles, au point qu'aucune presse
ne les relève.
Il y a de quoi s'alarmer.
Oui: s'alarmer ! Quand tous les partis flamands, socialistes inclus votent, avec
les néo-nazis anti-francophones du Vlaams Belang, un projet de loi visant à
supprimer la possibilité pour les Francophones de «Boulogne» ou d' «Asnières»
d'être jugés dans leur langue ou de voter pour des partis francophones - eux qui
sont installés là depuis quelquefois quatre ou cinq générations. (je précise
toutefois que les verts flamands se sont abstenus... mais n'ont pas voté contre)

S'alarmer, quand les sociaux-chrétiens applaudissent avec les néo-nazis, se


félicitent ensemble, pour le bon tour qu'ils ont joué aux Francophones. Ce n'est
pas Sarkozy serrant la main de Le Pen, non. En Belgique, c'est carrément
Bayrou qui danse la gigue avec Mégret ou Golnisch.

S'alarmer! Quand le Vlaams Belang, toujours lui, veut mettre une loi à l'agenda
de la chambre. Cette loi exige la séparation immédiate du pays. Le préambule
de 30 pages est une véritable diatribe anti-francophone.
Dans tout pays occidental, tous les partis démocrates voteraient contre.
En Belgique, non : même des chrétiens démocrates fl amands, des libéraux
flamands, des indépendantistes démocrates fl amands se croient obligés, en
pleine négociation gouvernementale avec les Francophones, de s'abstenir, plutôt
que de se lever d'une voix contre l'extrême-droite.
On vous expliquera que la démocratie, en Flandre, c'est de laisser libre cours à
l'expression des idées fascistes (et authentiquement fascistes) de l'extrême-
droite, au nom de la liberté d'expression. Ce sont ces mêmes partis qui,
interrogés par une presse étrangère, affi rment haut et fort qu'ils sont
absolument contre une éventuelle séparation du pays.

S'alarmer, donc, quand la complaisance envers les idées du parti néo-nazi le


plus puissant d'Europe (qui n'est rien de moins que le premier parti au
parlement flamand...) a inondé les cénacles et la presse. Non pas par peur de
leur violence, mais par peur de l'opinion publique.

S'alarmer quand un membre de ce parti diffuse sur son site la « liste des
Mauvais Flamands», soit celle des signataires d'une pétition pour la
solidarité entre les deux communautés, nom, prénom, adresse.
Celui qui a connu Vichy devrait, à la lecture de cette dernière phrase,
commencer à trembler. Mais bien sûr, c'est du passé, tout ça!

Noir tableau que celui que je dresse là ? Oui, noir, à dessein, et par la force des
choses. Mais ce sont des faits que je reprends ci-dessus, pas des discours, des
simples faits, authentiques, vérifiables, précis.
Autre fait : en 1999, le Parlement flamand a voté une série de lois qui
définissaient l'avenir de la Belgique. Ceci devrait convaincre : 60% de la
population a décider de l'avenir de 100% de la population, sans consulter les
40% restants. C'est un peu comme si les Suisses allemands décidaient de tout et
imposaient ensuite leurs décrets aux Suisses francophones. Pardon, ce n'est pas
«un peu comme si», c'est «exactement comme si».
Aujourd'hui, les représentants de ce parlement «négocient» avec les
francophones pour faire passer leurs décrets unilatéraux, qui comprennent
notamment la scission de la sécurité sociale. Et pour mieux faire «accepter» ces
idées, ils expliquent à qui veut l'entendre (et ils l'écrivent) que c'est à l'avantage
des francophones et que ceux d'entre ces derniers qui votent «non» les
«humilient» (c'est le terme exact utilisé par Bart De Wever, président d'un des
partis qui négocient le futur gouvernement avec les Francophones.)

Ils disent aussi que « le Francophone est un profiteur » et que « Bruxelles


s'enrichit de l'argent flamand ».
Bruxelles ? C'est 85% de Francophones, un PIB par habitant proche du double
de celui de la Flandre. Sans doute la seule vraie région très riche du pays.
Bruxelles à qui l'on ne rétrocède qu'un quart des produits fi scaux qu'elle
génère. Mais cela, on oubliera de vous le dire, parce que pour tous les partis
flamands, Bruxelles, 1.200.000 personnes, dont un million de francophones, est
la capitale de la... Flandre.

Ceux qui n'auront pas compris que la Flandre veut prendre tout ce qui
l'intéresse et abandonner tout ce qui n'est pas assez riche pour elle sont
aveugles.
Ceux qui n'auront pas considéré le décalage entre l'électeur fl amand, lorsqu'il
se dit modéré, Belgicain, non-séparatiste, et le même, qui a voté à 65% pour des
partis ouvertement confédéralistes (en imaginant la future Belgique comme
l'association de deux états) et à 30% nationalistes purs et durs (dont 20%
d'extrême-droite), ceux-là sont des utopistes. Mais le problème de l'extrême
droite est soigneusement laissé de côté dans la presse fl amande autant que
dans la politique.

Mauvaise image. Oulaaah! La mauvaise image! Pourtant, en Flandre, c'est


avéré, Le Pen fait mieux que Sarko. Et manifestement ça ne dérange personne.
Tache d'huile : le journal le plus lu de Flandre n'utilise déjà plus le terme
« régions », qui correspond à la définition légale dont on peut penser qu'elle
intéresse les journalistes. Non il utilise plus généralement le terme « états
fédérés », qui correspond à sa vision et à celle des partis fl amands . Or deux
états fédérés sont bien deux états distincts.

Une presse qui se détache à ce point de la sémantique nationale (belgicaine) ne


fait plus du journalisme, elle fait du militantisme. Oui, « militantisme », pas
« propagande ». Je n'ai pas écrit « propagande », parce que seuls 80% des
journaux flamands en sont vraiment déjà là. Et pour cette dernière phrase, je
reconnais que j'ai pêché : ce chiffre n'est pas vérifi able.

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