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En France, les historiens d'art en sont restés au discours psycho- logique, litéraire et philosophique, hétité du x1x" siécle. Ou bien, dans une sorte de volontarisme théorique, ils récupérent hitive. mene les concepts marxses ct freudens, sans Gaye leurs spécu. GEORGE KUBLER Tations par une connaissance approfondie de histoire de Vare , George Kubler, dans Formes du Temps, critique le noyau méme , ddu discours acidémique des adorateurs de la viclle culture, la notion de « style >, sans tomber pour autant dans les exces des théoriciens. I étend son approche méthodologique a Ia totalité des ‘objets produits par homme, en tenant compte des vestiges des cultures extracuropéennes et en montrant Jes limites du-mythe central de histoire de Tare: le culte de l'individu ceéateur en Occident. George Kubler cst un éléve de Focillon, Specialiste de are récolombien, il enscigne i 'Université de Yale. Formesdu Temps est son premier ouvrage traduit en France. REMARQUES SUR CHISTOIRE DES CHOSES OWPLBE ¥ Titre original : The Shape of Time are history of things ‘Traduit de Paméricain par ‘Yana Komel et Carole Naggar © Yale University Press, New Haven, ‘Connecticut, 1962/George Kubler ditions Champ Libre, Paris, 1973 oe DON (wm ezaee aM TABLE DES MATIERES Pour une nowvelle méthodologie Préambule : Symbole, Forme et Durée 1. Lhistoire des choses Les limites dela biographie engagement de Phistorien La nature de Pactualte Signaux autonomes et signaus interméidlicires I. La classification des choses ‘Séquences formelles Objets premiers et répliques Position serielle, ge et changement TL. La propagation des choses Invention et variation Répliques Rejet et conservation TV. Quelques types de durée Evénements lenis, événements rapides Formes du temps Concinsion Linvention finie Liéquivalence de ta forme et de Vexpression Index PREAMBULE : SYMBOLE, FORME ET DUREE La détinition partille de Vat comme langage sym- Dolique donnée par Cassirer a dominé les Gtudes sur art de notre sitcle. Une nouvelle histoire de la cal- ture, basée sur Poruvre d'art en tant qu‘expression symboligue, a pris naissance. On est ainsi parvenu & rolice art au reste de histoire. ‘Mais & quel prix! Tandis que nous portions notre attention sur les Gtades de signification, nous négli- gions complétement de voir dans Yart’un systtme de relations formelles, ce qui importe plus que Ia recherche du sens. De méme, la parole importe plus ‘que Técritue, car elle Ia préctde, ot cell-ci nen est qu'une forme particulitre, La définition de Part comme forme reste démodée, bien que toute personne raisonnable admette comme vérité évidente qu’aucune signification ne peut étre transmise sans forme. Toute signification cxige un support, un relts, ou un contenant, Ce sont eux Jes porteurs de ta signification, et sans eux aucune signification ne passerait de moi & vous, ou de vous 4 moi, ou de toute partic de Ia nature’ & n'importe quelle autre. Les formes de communication sont faciles 8 sépa- ret de tonte transmission signifiante, En Hinguistique, les formes sont les sons paris (phontmes) et les unités grammaticales (morphémes). En musique, ce 2 sont les ates et es interval; en architecture et ‘eras, ls pli et es vide en eine, Jes tone tls valeurs. Teme ea ru ee ee amment Je in sigaiiaton. Nows savone . Entre les deux se trouve le terrain familier des styles» historques = cultures, nations, dynasties, gnes, régions, période, atisanats, per- sonnes of objets. Une désignation non systémaique, selon des principes bindmes (syle minoen moyen, siyle Frangis T*), donne Tusion dun classement ordonné. Mais cete organisation est instable. Syl, le mot i, a diférents sens, méme dans notre contexte Dindme Timité, puisguil désigne partos le déoomi- natear commun d'un groupe d'bjes, et datres foi 4a marque individuelle 'un artiste ou un souversia, Dans te premier des ca, le style est chronologiquc- ‘ent imi : le dénominateur commun peut appa- ratte en des lieux et des époques ints Goignts, ‘menant au « gothique maniévste > ou au « baroque hellfisique >. Dans fe deurime cas, le syle est limits dans le temps, mais non dans le conten, Gant 28 donné que a vie d'un attste embrasse souvent pli- sieurs «styles», individu et le style ne sont nullement des unités concomitantes. Le « style Louis XVI » ‘comprend les décennies avant 1789, mais cette dést- agnation omet de spécifier Ia varété et les transfor. ‘ations de ta pratique artistique sous le rogne de ce ‘monarque. Limmense littérature sur Vart prend ses racines ‘dans Je réseau labyrinthique de I notion de style Ses ambigultés et ses inconsistancesreflatent activité ‘esthétique comme un tout, Le style décrit plutét une forme spécifique dans espace qu'un type d'existence dans le temps? ‘Au 20° sitele, sous T'impulsion de Tinterprétation de Hexpérieace ‘en termes symboliques, une autre ‘orientation d'étude a pris forme, Crest celle des types lconographiques en tant qu'expresions symboliques du changement historique, sous une rubrique appa- ‘ue au 30m" siele et rétablic aujourd’hti comme + iconologie >. Plus récemment encore, les épstémo- Togues ont réuni les idées et let choses dans une enquéte sur les conditions de ta découverte, Ils ont pour méthode de reconstrure les moments heuristi- ‘ques de histoire de 1a science, et de décrire ainsi les événements depuis leur point de depart, Les moments de la découverte et leurs transforma- tions successives en tant que comportement tradi- tionnel se retrouvent comme matiére étude dans histoire de la science et dans les études iconologi- (ques. Mais ces quelques pas ne font qu’esquisser les ‘debuts ot les principales articulations da contenu de Vhistoir. Beaucoup d'autres sujets possibles se pré- Sentent 2 attention és que nous admettons Tidée ‘que ce contenu posséde une structure dont les divi- 2 Meyer Schapiro, «Style», Anropoloy today (Ch 285, 195), p. AT 312, pam on seve es Wosipare Soa. Gt Ret ei sto ee da hie Wrote toujorsterfer une dose de ale ao ax proline peyote thetic 2» ot son pees evens — peters tt : passé humain a réelle~ Ja plus tangible que l'ancien qumain & aah as mene sap op lope Non ue hse deco Sut» «vied, Sei ipancat odin me « déctin pence parlons des possibilités d'un ‘ei ne ate deb eet ote see's Tete Dapeng at TeaPTENR cate tte Copp ses soat san pope po ego ee STG catnane) ov page @ ge ea (Ge Baroque romain ») d'une manitre grossitrement Sones Shtle Stn brane tie eon LES LIMITES DE LA BIOGRAPHIE La vie des artistes est devenue un genre litéraire (en frangais dans le texte, N.D.T.) depuis que Filippo ‘Villani a recucili des anecdotes en 1381-1382. Les textes et les documents ont, dans notre sitle, haussé 1a biographie artistique jusqu’a des proportions énor- mes, comme ne étape nécessaire dans la préparation du grand catalogue des personnes et des ceuvres, Les gens qui éerivent Phistoire de Tart biographique supposent que le but final de Phistorien est de recons- tinuer Pévolution de la personne de artiste, d'authen- tifer les cuvres qui lui sont attributes, et de discu- tet de leur signification. Bruno Zevi, par exemple, cconsidtre la biographie artistique comme un instru- ‘ment indispensable & la formation des jeunes artists *, 3. Zev un des chefs de fie des jeunes hisoient urchi- ‘este on Tal, remargue dane son ate « Latches > 30 Lihistoire d'un probleme artistique, et Phistote de 1a résolution individuelle un tel problime par Par ‘iste, trouvent ainsi une jastification pratique, qui &duit toutefois Ia valeur de Vhistoire de Mart & une question de pure utlité pédagogique. A tong terme, Jes biographies et les catalogues ne sont que de petites ‘apes dans lesquelles on perd faclement de vue Ia ‘continité dela tradition artistique. De courtes unités biographiques ne peuvent suffice &triter correctement ces traditions. La biographie n'est qu'une manitre pro- Visoire d'étudier Ia substance artistique, mais elle ne ‘uaite méme pas de la place de Phistoire dans Ia vie des artistes, qui est toujours la question de leur rap- Port avec ce qui a précédé et ce qui a suivi. Enurées individueles Dans toute série biographique, la vie d'un artiste cet a juste titre une unité étude, Mais en faire ‘Vunitéc’étude principale dans Phistoire de art revien- drait & discuter d'un réseau de chemin de fer dans Jes termes de Pexpérience d'un seul voyageur sur plusieurs lignes. Pour décrire les voies ferrées avec ‘cxactitude, il ne faut pas considérer les personnes et es états, car seules les voies ferrées sont T6lément de ‘continuité, et non pas les voyageurs ou les fonction- aires: du ail loge avec le train nous offre une formulation ‘tile pour discuter des artistes, Lieuvre de la vie (Brcreopedia of World ar, 1, New York, 1959, eal. 63. {86} gue la réente talon eave iol de Fart etl aval 4 dde chaque homme est 6galement une ceuvre dans ta série qui le dépasse dans une direction, ou les deux, ‘selon Ia position qu'l occupe. Ea plus’ des coordon. ‘nes habituelles, déterminant la position d'un indi vida, son caractire et sa formation, ily 9 aussi le ‘moment de son enirée, esti-dire le moment dans la tradition — primitt, moyen, tardit — avec lequel colncide sa présence biologique. Bien str, un individu ‘eut changer les traditions, et il les change, surtout dans le monde pour trouver une meilleure ‘entrée, Sans elle il isque de perdre son temps comme ccopiste, indépendamment de son caractére et de +8 formation. De ce point de vue, nous pouvons consi Aérer le « génie universe » de la Rensssance comme tun individu qualifé, empruntant un grand nombre de voies nouvelles de développement un moment propice de cette grande rénovation de Ia civilisation Occidentale, et parcourant sx distance dans plusieurs systémes, sans les exigences de rigueuc et de raison- nement discursf exigées dans les périodes suivantes Une ¢ bonne > ou une « mauvaise » entrée est plus qu'une question de postion dans Ia séquence. Elle dépend aussi de Tunion des dons personnels et de la position spécitique. Toute position est pout ainsi dite accordée 8 Taction d'un certain genre de tempé- ‘ament. Lorsqu'un tempérament particulier coincide ‘veo une postion favorable, Y'ndivida peut tirer de Ia situation wn enrichissement aux conséquences wa la méme per. sonne a un moment diffrent. Ainsi peut-on imaginer ‘toute naissance comme une mise en jeu sur les deux ‘ous du destin: Pune gouverne Pattibation du tem- érament, autre détermine son entrée dans. la séquence, Talent et génie Alnsi, les grandes differences entre les artistes ne sont pas tant le talent que Tentrée et la. position 2 dans une séquence, Le talent est une prédisposiion. Un éléve dows commence plus tt; i domine”plus vite ta tradition ; ses inventions viennent plus sisé- ‘ment que celles de ses compagnons moins doués, ‘es talents inconnus abondent tout aussi bien parm Jes jeunes dont P'éducation n'a pas tenu compte de leurs capacités, de méme que parmi des gens dont 4es capacités ont &té méconnues malgré leur talent Les prédispostions sont sans doute beaucoup plus ‘nombreuses que ne nous le nist supposer let voca tions réalisées. La. qualité que pattagent les gens ddoués est une question de genre plut6t que de degré, ‘ar les degrés d'un talent ont moins de sens que sa présence. Test absurde de savoir si Léonard était plus doué que Raphaél. Tous deox avaient du talent, Bernardo Luini et Giulio Romano eux aussi avaient du talent, Mais les suiveurs nvont pas eu de chance. Ils sont arivés trop tard, quand la f&te était fini, sans que ce fit de leur faute, Le mécanisme de la glore est {el que le talent de leurs prédécesseurs est exalt, et le leur diminué, alors que le talent en lui-méme ‘est qu'une prédisposition relativement courante, sans ‘grande. possibilité de_différenciation. Moments et ccasions diffrent davantage que le degré de talent. Evidemment, bien autres conditions doivent ren- forcer Ie talent. L'énergie, une bonne sant, Ia capa it6 de concentration, sont quelques-ans dee dons du Sestin dont Fatiste a le plus d'intéret a etre pourva, Mais nos conceptions du génie romantique sont pas. Sées par des transformations si insensées depuis Pago ‘ie romantique du xn sitele que nous confondows encore sans réfléchir le « génie > avec une dispo- sition congénitale, a hheureux de dispositions et de situations, formant un tout exceptionnellement efficace. Tl n'y a aucune Dreuve que le « génie > soit transmissible, Le cas enfants adoptés élevés dans des familles de musi ‘iens professionnels permet de voir dans le-¢ sea 33 un phésoméne dapprenissage plutdt que de généti- ‘Cependant, cette métaphore approximate recon alt Ia récarrence de certains types d'événements, et elle en offre au moins une explication provisoire, lieu de traiter chaque événement comme un uaicum sans précédent et ne devant jamais se répéter. Le moddle biologique n'était pas celui qui conve rit le mieux A une histoire des choses. Peut-étre ‘qu'un systtme de métaphorestiré des sciences physi- ‘ques aurait 46 plus adéquat,surtont si nous adions dans art Ia transmission d'une certaine forme d’éner- i, des impulsions, des centres gfnérateurs, et des points de relas, avec des acquisitions et des pertes fen cours de route, avec des résstances et des trans- formations. Ea bref, le langage de I'lectrodynamique ‘surat peut-dtre micux convenu que le langage de Ia botanique, et Michaél Faraday surat peut-étre 46 un meilleur mentor que Linné pour Tétude de histoire des choses. [Notre choix du terme « histoire des choses » fait plus que remplacer Tinélégance de celui de « culture matérille ». Ce terme est utilisé par les anthropo- Jogues pour distinguer les idées ou ¢ culture intel lectuelle », et les objets fagonnés. Mais I « histoire des choses > tend 2 réunic les idées et les objets sous Ja rubrique de formes visuelles. Le terme com- prend les objets fagonnés et les euvres art, tes répliques et les exemplaires uniques, les outils et les expressions, toutes les matidres travailées parla main do homme sous Pégide d'idées lifes entre clles et développéee dans une méme séquence temporelle ‘De tout cela émerge une figure orientée dans le temps et un portrait visible de Tideatié collective, tibu, lagse ou nation, prend forme. Cette image de soi 6fléchie dans les choses est un guide et un point de référence pour le groupe dans Tavenir dont jl Te temps historique, par contre, est interment et ‘arable Tote actin et pls intermitente que con- fin, t les imervales qu sépreat les actions sont intniment yacable en dure et en conten, La fin a précédé toutes les méthodes physi- ues; elle est dune exactitude presque aussi grande, t elle eat plus rigoureuse que les nouvelles horloges absolues, qui: nécessitent souvent une confirmation ‘par des moyens culturels. Cependant, Thorloge culturelle fonetionne surtout rice a des débris récupérés dans les tas de déchets tle cimetires, les villes abandonnées et les villages enfous. Seuls les arts plastiques ont survécu, De la 38 ‘musique et de Ia danse, de la tangue et des rites, de tous les arts expression temporelle, on ne sait pratiquement rien, stuf dans le monde méditerra- nen, ou A travers des traditions qui ont survécu dans des groupes isolés. Cest pourquoi nos preaves de Texistence de presque tous les peuples anciens sont ordre visue, et elles existent plutot dans la ‘matiére et dans Vespace que dans le temps et le son Pour une connaissance plus étendue du. passé ‘humain, nous dépendons surtout du produit visible de Tactivité de Thomme, Supposons qui y ait une fagon de relier Tutt absolue et art absolu, Les ‘deux extrémes nexistent que dans notre imagination car les. productions de homme comprennent tou- jours Tutt et le plaisir esthétique dans des propor- ‘tions qui varient, et aucun objet n'est concevable sans ‘un mélange des deux. Les études archéologiques déga- gent ginéralement Taspect utiltaire comme source informations sur Ia civilisation, les études artstiques ‘mettent en relief les questions qualitative pour dévoi- ler la signification intrinsique de Vexpérience propre- ‘ment humaine. Les divisions des arts La distinction acedémique du xvitr sitele entre beauxarts et arte utlitares est passée de mode il ya prés d'un sitcle, A partir de 1880 environ, Te notion de « beaux-ars » est considérée comme bour- secise, Aprés 1900, on estime que Tart populare, Jes styles provinciaux et Vartisanat rustique méritent ‘un rang égal A clu des styles de cours et des écoles ‘métropolitaines, cela sous V'nfluence de 'épanouisse- ‘ment des idéaux démosratiques. Sur une autre ligne attague, Je mot « beaur-arts > fut mis hors dusage vers 1920 par les interpetes des modtles industrels qui pronaient 1a nécessité des modéles de bon godt universe, et qui proposalent de considérer selon le rméme point de vue les ceuvres dart et les objets utilities. Ainsi Tide unité esthétique en vint 2 40 cenglober tous es objets fagonnés, au liew den ento- blir certains aux dépens des autres. Cette doctrine artistique égalitareefface néanmoins ‘beaucoup de difiérences importantes. Architecture et cemballage tendent, dans cos nouvelles écoles, & se retrouver ensemble sous la rubrique « conditionne- ‘meat », Ia sculpture englobe toutes sortes de petits soldes et de réipients, la peinture s'étend aux formes plates et aux plans, tels que le tssage ou Vimpres- sion. Avec ce sysitme géométrigue, tout art visvel peut étre classé comme conditionaement, solide ou plan, sans aucune considération d'utlité, en un sys- ‘me qui ignore Ia distinction traditionnelle entre le < beau > et le « mineur », ou I ¢ inutile » et Te utile » Pour ce qui nous intéresse, il nous faut ajouter deux distinctions indispensables. ‘D'abord, il existe une ‘grande différence entre V’éducation artsanale tradi- Yionnelle et le travall artistique. La premitre ne demande que des actes répéitfs, tandis que la ‘seconde veut des actions qui sorteat de la routine Léducation artisanale, cest Tacivté de groupes di professeurs effectuant des actions identiques, tandis ‘que Tinvention artistique exige lee efforts dindivi- dus soltaires, I faut retenr cette dstintion, car des artistes travaillant dans différents artisanats ne peu- vent parler entre eux des questions techniques, mais Seulement de Vaspect artistique de leurs travaux. Un tiserand a son métier 8 tssern’apprend rien en étu- Giant le four d'un potier; son apprentissage doit repo- ser sur les instruments de son métier. Ce n'est que lorsgul posséde le contrble technique de ses instru- ‘ments que les qualiés artstiques d'un autre travail ourront le mener & trouver de nouvelles solutions dans Ie sien, La seconde distinction, qui découle de la premiare, concerne 1a nature utiitsre et esthétique des difé: rentes branches de production artistique. En archi- tecture et dans tes artisanats qui s'y rattachent, la Structure est lige une formation technique tradi- a tionnelle et elle est rationnelle et utilitaire, aussi auda- cieuse que soit Ia recherche de formes a des fins expressives, En sculpture et en peinture, également, toute ceuvre a see formules et ses pratiques qui sup ‘posent les combinaisons expressives de formes. Mais Ja peinture et la sculpture transmettent des messages plus listbles que ceux de Parchitecture. Ces messages, ‘ou thtmes iconographiques, forment Ia structure de ‘toute rélisation esthétique, Ainsi structure, technique ct iconographic font-lles partie du substrat non atis- fique des « beaux-arts >. ‘Le plus important, c'est que les cuvres dart ne sont pas des outils, quoique beaucoup d'outils pussent partager avec elles la beauté des formes. Nous sommes en présence d'une ceuvre d'art seulement lorsque ce fest pas son caractére instrumental qui domine, et ue ses fondements techniques et rationnels ne sont ‘pas prédominants. Lorsque organisation technique ‘et Fordre rationnel d'une chose accaparent notre at- tention, c'est un objet utilitare. Sur ce point, Lodoli précéda les fonctionnalistes doctrinares de notre sidcle fen déclarant au xvin*sitele que seul T'tile est beau (Cependant, Kant a dit plus justement que le néeessaie re peut étre jugé beau, mais seulement bon ou logi- que". En bref, une cuvre dart est aussi inutile qu'un ‘out est utile. Les cuvres d'art sont aussi uniques et Imemplagales qe ls outils sont répandos ot dipo- 6 Voir Bol Kaulmana, Archie in the Age of Regan Cabri, Mas 153), 98.108 Peal Monsey Kan Aerie in liver Browctang, ‘Bern, Ki fr Genicatwssonsnten, thre an ten, 1950, 2 LA NATURE DE L/ACTUALITE « Le passé ne sert qu’d connattre Pactualitf, Mais Vactualité m’échappe. Questce donc que Factua- lie? > Pendant des années, mon maitre Henri Focil- Jon a 6 obsédé par cette question — question ultime et eapitale de sa vie — surtout dans les jours noirs de 1940 1943, année od il mourut 2 New Haven. Depuis lors, cette question sest gravée dans mon ‘esprit, et jignore encore la solution de Wénigme, & moins de suggérer que la réponse est négative. ‘Liactuaité, c'est quand le phare rentre dans Vobs- curité entre deux éblouissements, c'est V'instant entre Je tice e tac d'une monte, cest un intervalle vacant lssant indéfiniment a travers le temps, la ruptare entre passé et futur, Tintervalle vide aux pbles d'un champ magnétique tournant, infnitésimal mais réel 2a fin, cest la pause dans une chronique, le vide entre lee événements. Pourtant Fnstant de Tactualité est Ia seule chose ‘que nous puissions jamais connate directement, Le esi du temps n'émerge que sous forme de signaux ‘qui nous sont alors retransmis par dinnombrables éta- eset par des porteurs imprévus. Ces signaux sont comme de Ténergie cinétique accumulée jusqu'at ‘moment de sa manifestation, lorsque Ia masse des- cend jusqu’au centre du systime de gravitation. On peut se demander pourquoi ces signaux ne sont pas actuels, La nature d'un signal, cst que soa mes- sage n'est ni ici ni maintenant, mais li-bas et alors Si cest un signa, cest une action passée, qui n'est plus comprise dans le « maintenant » du présent. La perception d'un signal a lien « maintenant », mais son impulsion et sa transmission ont eu lien « alors >. ‘Dans tout événement, Mnstant préseat est le plan sur lequel les signaux de toutes les existences sont proje- ‘és, Aucun autre plan de durée ne nous rassemble universelement dans le méme instant de devenic, Les signaux que nous revevons du passé sont tts a faibles, et les moyens dont nous disposons pour retrouver leur signification sont encore ts imparfaits, Les plus faibles et les moins clairs de tous, ce sont les signaux provenant des moments qui commencent et terminent toute séquence «'événements, car nous ne ‘sommes pas srs de pouvoir diviser le temps de fagon cobérente. Les commencements sont beaucoup plus flous que les fins, od nous pouvons au moins déter- ‘mines action eatastrophique d’événements extéricurs. La segmentation de Ihistoie est pourtant azbitraire et conventionnelle, puisqu'lle n'est régie par aucune conception vétifiable et mesurable denttés histori ques. Maintenant, comme par le passé, a plupart de ‘gens vivent d'idées empruntées et de traditions acco- ‘mules, et pourtant la trame est dfaite& tout moment et une nouvelle est tssée pour remplacer Tancienne, cependant que, de temps & autre, Tédifce tout enter tremble et s€croule pour prendre de nouvelles for- ‘mes et un nouveau plan. Ces transformations se pro- . Comme Tastronome, Vhistorien sest attaché a repeésenter le temps. Les écheles sont différentes. Le ‘temps historique est trés court, mais Tistorien et TTastronome transposent tous deus, réduisent, compo- sent, et colorent un fac-similé qui décrt la forme ‘du temps. Le temps historique pout effectivement ‘ccuper tune place presque centrale sur Mechelle pro- portionnelle des grandeurs possibles du temps, homme lui-méme tant une grandeur physique située A mi-chemin entre le soleil et Patome, au centre pro- Portionnel du systéme solace, tant en grammes de ‘masse qu'en centimétres de diamétre*. ‘Les astronomes, comme les historiens, recuillent Harlow Shepley, Of tors and Men (New York, 1958, ‘Ganciens sigaaux pour en faire des théories impé- ratives sur les distances et lordre des choses, La ‘postion de 'stronome, c'est la date de Phistorien, 62 Vitesse, est notre séquence, Les orbites somt comme les durées, Jes perturbations sont analogues ux acci- ‘dents, ’astronome et Ihistoren s'occupent tous deux évéoements passés pergus dans le présent, Ici Je paralléle ne convient plus, car les événements futurs ‘de Tastronome sont physiques et récurrents, alors (que ceux de Thistorien sont humains et imprévisi- bes. Les analogies qui préoident sont cependant uti Jes dans la mesure od elles nous incitent & examiner ‘de nouveau les preuves historiques, c'est-d-dire & nous assurer de la justesse de nos divers modes de claso- ment, Signaus ‘On peut considérer les événements pasiés comme {des commotions d'ampliude variable dont Toccur- rence est signalée par des signaux incorporés analo- ‘gues a ces énergics cinétiques enfermées dans des ‘masses qui ne peuvent pas tomber. Ces énergies subisseat diverses transformations entre I'événement originel et le présent, Linterprétation présente d'un Gvénement passé n'est bien str qu'une étape de plus ‘dans 1a perpétuation de Timpulsion originelle, Notre imtérét s'attache particulitrement a la cat6gorie des Gvénements substantcls, Gvénements dont le signal ‘st transmis par la matiére ordonnée en un schéma perceptible encore aujourd'hui. Dans cette catégore, ‘nous sommes moins intéressés par les signaux natu ‘els des aclences physiques et biologiques que par les signanx fabriqués de Thistoi, et parmi ees demiers Jes instruments et les documents nous intérescent ‘moins que Tes moins utiles des objets fabriqués, les eaves dart. Tous les signaux substantcls peuvent étre consi- dérés aussi bien comme des reais que comme des ‘commotions initiates, Par exemple, une cuvre d'art 47 transmet un certain modo de comportement de I'as- tise, et elle srt aussi, comme un relais, de point de départ 2 des impulsions qui atteigeent souvent une amplitude extraordinaire dans ta transmission posté- ‘eure, Nos lignes de communications avec le passé ‘ont done eu leur origin dans des signaux, qui sont devenus des secousses émettant d°autres signaux, en ‘une séquence ininterrompue oi alternent é¥éaement, signal, événement recréé, signal renouvelé, etc. Les Gvénements célébres ont parcouru ce eycle des mil- lions de fois & chaque instant de leur histoire, comme la vie de Jésus commémorée dans les innombrables pritres quotidicnnes des chrétiens. Pour nous attein- fre, Tévénement originel doit parcourir le cycle au moins une fois, dans 'éyénement originel, son signal et notre agitation consécutve, L'iméductible minimum de Vévénement historique exige done seulement un Evéncment et son signal, et une personne capable de reproduire les signaur. ‘Les événements originels reconsttués & partir des signaux sont le principal produit de la recherche his- torique. Cest la tiche de homme de science de véri- fcr et 6 éprouver tous les témoignages. En principe, ile sinéresse pas aux signaux autres que les témoi- gnages, ni aux effets quis produisent, Les différen- ‘es commotions sont, par contre, le champ spécifique de la psychologic et de Testhétique. Ce qui nous intéresse surtout, ce sont les signaux et leurs trans- formations, car cest dans ce domaine que surgissent 16 problémes traditionnels dont la trame relic This- toire des choses. Par exemple, une ceuvre d'art n'est ‘pas seulement le résidu d'un événement, mais est son ropre signal, qui incite directement autres auteurs 3 reproduire ou améliorer sa solution. Dans le domaine es arts vsuels, In série historique tout entidre est ainsi traduite par des choses tangibles, contrarement AThistoire écrte qui conceme des événements perdus A jamais, au-deld de toute découverte physique, et signalés seulement par des textes de fagon indirect, 48 Relais ‘La connaissance historique consiste en des retrans- missions dont 'émetteu, le signal et le récepteur sont tous des éléments variables qui affectent Ia stabilté ‘du message. Comme le récepteur d'un signal devient son émetteur dans le cours normal de la transmission historique (par exemple, celui qui déeouvre un docu ‘ment en devient généralement éiteur), nous pou- vons traiter ensemble les émetteurs et les réeepteurs sous le ttre de reais. Choque relais déforme le signal” ‘originel. Certains détails peuvent paraite insignifiants ct sont abandonnés par Je reais; d'autres ont une ‘importance qui leur vient de leur relation avec des vénements qui se passent A 'époque du reais et sont ‘xagérés. Un relais peut tre entralné par son carac- ‘Gre & souligner les aspects traditionnels du signal, ‘un autre & mettre accent sur leur nouveauté, Méme YPhistorien soumet son jugement a ces déformations, bica quil setforce de retrouver le signal primitit. (Chaquerelais déforme délibérément ou non le signal selon sa propre position historique, Le relaistransmet un signal complexe, composé en partie seulement du ‘message tel quil 'a regu, et en partic d' apportées par le relais Ini-méme, Un rappel histo- rigue ne peat jamais étre complet, pas plus quil ne peut étre entigrement juste, & cause des relas succes- Sils qui déforment le message. Cependant, les condi- tions de transmission ne sont pas défectueuses. au Point de rendre impossible la connaissance historique, Les événements actuels provoquent toujours des sen- timents violents que le message inital enregisre en sénéral. Une série de relais pourra provoquer la. dis- prition progressive de la force vive susitée par 'év6~ ‘nement. Le despote le plus hal est le despote vivant ancien despote appartient désormais a Ja petite histoire, Bt les nombreux documents objestifs ou les instruments de_ travail de Thistorien, comme les tableaux chronologiques des événements, ne peuvent rs dire déformés faclement. On en trouve des exem- 49 ples dans In persistance a travers de longues pétio- es de certsines formes d'expresson religieuses, et dans les eéries de fortes pressions qui les transfor- iment, Ainsi, les mythes rajeunissent lorsqu'une trop ‘ancienne version finit par devenir incomprehensible. ‘Une nowelle version, refondue en termes contem- ‘porains, vient remplir 1a méme fonction explicative (que Ja présédente* ‘La condition essentiele de In connaissance histo- rique est que Pévénement doit tre & notre porte, {qu'un signal doit prouver son existence passée. Les temps anciens contiennent de longues pétiodes sans ‘aucun signal encore visible aujourd'hui, Méme les ‘événements des quelques heures pessées sont 8 peine

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