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DECEMBRE 2008

SOMMAIRE
Editorial 2
Le coup de gueule 4
• Du déjeûner au dîner,
la publicité, on en a soupé ! 4

Dossier
sur les sans papiers 5
• De l’exploitation économique de la
misère du monde à son exploitation
idéologique 5
• Jusqu’où les sans papiers
payeront-ils la lâcheté
du gouvernement ? 9
• Réforme
du «visa étudiant» 10
• Un vol sur SN Brussels Airlines ?
Sans façons, merci ! 12
• Les CPAS et les sans-papiers
une histoire de courage politique… 13

Syndicalisme étudiant
• L’UNEF en lutte,
le cas du CPE 15

Economie & Société


• Pouvoir… d’achat 18
• La sécurité à Bruxelles 20
• «Un combat qui envisagerait
Editeur Responsable : Loris Junod, 131 Avenue Buyl, 1050 Ixelles

séparément l’écologie et le social


serait perdu d’avance» 22

QUAND L’ULB Les articles publiés dans


ce journal n’engagent que
leur auteur.
SOUTIENS R édacteurs : L oris J unod , B enjamin
J anssens , P ierre V an D amme , S ou -
LA CAUSE hail C hichah , M ateo A laluf , R enaud
M aes , G éraud H ougardy , A ntoine

DES M asquelin , P auline F orges , G illes


M aufroy , M ounir L aarissi

SANS PAPIERS
M ise en page : L oris J unod
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L’EDITO DU PRéSIDENT

Pénalité pour les sans droits,


immunité pour les escrocs ?
Par Loris Junod, président des Etudiants Socialistes

ments qu’hier elle ne pensaient l’intérêt général. Or, ce qui était


jamais devoir accomplir. L’Etat dénoncé depuis fort longtemps
pompier a fait son retour, les – et plus encore depuis que
sommes qui sont évoquées les Reagan, Tatcher, Blair et
sortent de l’ordinaire. Ainsi Bush ont mis en place la déré-
donc, pour autant que le com- gulation, processus encore en
merce soit mis en péril, des cours avec les futurs libéralisa-
sommes comptant tellement tions du rail, de la poste – c’est
de zéros qu’elles ne signifient l’absurdité de cette croyance,
plus grand chose, peuvent et l’affirmation de la néces-
sortir du chapeau du trésor saire régulation pour contrain-

O
public. Le tour de magie im- dre les agents économiques
n a parfois peine à pressionne, mais n’y avait-il à agir sur le long-terme, et de
s’en rappeller, mais pas d’incendies plus meurtriés permettre aux citoyens par l’in-
la crise financière pour lesquels il aurait pu être termédiaire politique de définir
nous a frappé voici quel- exécuté ? cet intérêt général.
ques temps déjà. Est-elle
seulement solitaire, a-t-on Depuis la crise des subprimes Si la finance est désormais à
déjà oublié les ravages cau- de 2007, la morale a donc fait genou, l’économie réelle mon-
sées par les hausses des son retour, tout le monde s’ac- tre, elle, les signes de sa fai-
matières premières, la crise corde à penser que la finance blesse face aux manques de
alimentaire de ce printemps a perdu le sens de la mesure, crédits. C’est une situation on
dont on ne parle plus ? Son- les bonus et autres salaires ne peut plus favorable pour
ge-t-on aux conflits interna- mirobolants des patrons sont remettre les hommes d’affaire,
tionaux, à la fragmentation dans la ligne de mire des po- les mannagers cupides à leur
de la communauté interna- litiques. Certains appellent place. La politique ne devrait
tionale ? La guerre éclaire même à dénoncer les respon- pas oublier avec quel mépris
russo-géorgienne fut-elle sables de ces escroqueries. elle a été considérée par ces
trop courte pour nous faire C’est le jugement désormais derniers. Elle-même avait été
prendre conscience de la commun qui est porté sur ces contaminé par ce discours qui
violence qui peut encore pré- subprimes. Tout le problème la disqualifiait dans son rôle
valoir dans les relations en- est que rien ne permet de d’intervention dans l’écono-
tre Etats? Quid du réchauf- donner suite à cette soudaine mie.
fement climatique quand volonté de justice des politi-
les richesses virtuelles, ces ques. Ainsi donc ceux qui ont Il ne s’agit pas d’agir par ven-
escroqueries sophistiquées, fait flambé la bourse, dégrisés geance, car ainsi que nous
fondent comme neige au so- par leurs pertes soudaines, ne l’avons constaté, leur compor-
leil ? seront-ils pas inquiétés. tement a été encouragé par
le monde politique. La classe
La crise financière nous tient La légimité du laisser-faire re- politique doit se ressaisir, se
en haleine, la communauté posait sur le présupposé que la remettre en question. La gau-
internationale retient son souf- satisfaction des intérêt privés che gouvernementale est ici
fle face aux profonds change- permettait de réaliser au mieux particulièrement visée, coupa-
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ble (et le terme est bien faible) itoyen de ce monde, responsabilités, allumant de-
d’avoir cédé aux sirènes du ai-je dit, encore faut- ci, de-là des feux de joie, tel un
néo-libéralisme, d’avoir ac- il que chacun puisse pyromane que rien n’arrête.
cepté les processus de priva- être reconnu comme tel
tisations et de libéralisations, dans le lieu où il se trouve. Les différentes occupations qui
d’avoir renié l’idéal de coopé- Ce qui n’est pas le cas, ici ont été organisé depuis l’an-
ration pour celui dangereux ou ailleurs. Si l’ULB a repris nonce de cette promesse de-
de la concurrence à tout crin. son combat pour la cause puis jeté au oubliette, avaient
Il est temps pour cette gauche des sans papiers, en tolé- pour objectif de faire pression
de revenir au fondamentum, rant leurs présence, ce n’est sur le gouvernement, porté par
de rétablir l’équilibre en faveur pourtant pas la première l’espoir et la revendication de
des revenus du travail quand fois. Bien des membres de voir leur situation s’améliorer,
elle est au pouvoir. Elle doit l’Université Libre de Bruxel- d’être reconnu en tant que ci-
repenser cet intérêt général, les se sont engagés et s’en- toyen.
exercice auquel elle a renoncé gagent encore dans ce com-
depuis son renoncement aux bat si difficile à porter sur la Les événements ont depuis
idéaux du socialisme. Elle place publique en ce temps montré la difficulté de cette
doit aussi revenir sur la place de crise, d’arrière-fond de exercice de la citoyenneté, dif-
qu’elle accorde à l’économie, xénophobie qui ne dit pas ficulté qui provient du fait que
et sur les réformes structurel- son nom. cet exercice n’est pas consi-
les à y apporter. Car elle en a déré légitime, et auquel le sim-
les moyens, sinon à quoi bon Il est vrai que les autorités de ple fait de manifester se voit
être parvenu à placer à la tête l’ULB auront sur le plan sym- opposer les arrestations ad-
du FMI et à l’OMC deux «so- bolique pris position et rappelé ministratives qui finissent pour
cialistes» ? aux politiques leur devoir et beaucoup par un passage en
leur promesse. Elles ont prit centre fermé avant le renvoi
Bien des défis sont à relever l’engagement d’en étendre les dans le pays d’»origine». Sans
dans les prochaines décen- relais au sein de l’enseigne- la mobilisation étudiante, les
nies, auxquels les pouvoirs ment supérieur de Belgique arrestations auraient été bien
publics ne répondent pour lors du CA extraordinaire du 25 plus nombreuses.
l’instant que molement, quand novembre. La situation aurait
ils admettent leurs existences. pu être évitée si les politiques Face à ce triste constat, le cer-
Les dogmes actuels du néo- avaient pris les responsabilités cle des Etudiants Socialistes
libéralisme prescrivent le re- qui sont les leurs, les respon- tient à rappeler au gouverne-
cours au marché, agrégateur sabilités qu’ils ont décidé de ment et aux partis de la ma-
trompeur. C’est au fond un porter lors de la formation du jorité, leurs promesses et leur
refus des hommes politiques gouvernement fourni clé en responsabilité à tenir compte
en place d’affronter les problè- main à M. Leterme. de l’espoir qu’ils ont suscité,
mes, posture dramatique alors espoir légitime qui aurait dû
que le calendrier est si serré. La promesse d’une circulaire, conduire à un moratoire des
Se débarrasser de ces dog- comprenant la reconnaissan- arrestations et des renvois en
mes est nécessaire, agir est ce des attaches durables dans centre fermé comme dans les
un impératif qui réclame que les critères de régularisation, pays d’«origine».
l’Etat se donne les moyens à n’aura finalement été qu’un
la hauteur des défis auxquels feu de paille, les partis de la L’Université, quant à elle, joue
nous, citoyens de ce monde, majorité manifestant une très son rôle en attendant que le
sommes confrontés. sérieuse difficulté à dialoguer politique prenne enfin en main
et à négocier. A cela s’ajoute le sien. n
une posture qui se dédouane
des conséquences de leurs
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Coup de gueule
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Du déjeûner au dîner,
l a p ubl i c i t é , o n e n a sou p é !
Pierre Van Damme et Benjamin Janssens
il a besoin de produire un cer- sera de même pour lui lorsque
tain surplus, en terme de biens, celui-ci se sera emparé du pro-
pour acquérir, par le biais de duit. Mais la faute n’est pas seu-
l’échange, d’autres biens qui lement à rejetter sur la publicité
lui seront indispensables dans et sur les grosses industries.
la satisfaction de ses besoins.

D e l’enseigne au spot té-


lévisuel, la publicité est
partout et pas une journée ne
Ce surplus, l’homme va, pour
le vendre, devoir le mettre en
avant et, pour se faire, avoir re-
Chacun a sa part de responsabi-
lité.
Où est notre sens critique et
notre objectivité ?
s’écoule sans que l’on y soit cours à des mécanismes de dif-
confronté. Les publicitaires et fusions populaires, les médias. Le consommateur de base, en
les industriels nous assoment Bien sûr, ces médias n’ont pas général, laisse la publicité avoir
de cette propagande incessan- toujours eu autant d’impact l’effet qu’elle veut avoir, il ne
te à n’importe quel endroit, et et la publicité n’était dans le cherche pas à se renseigner
à n’importe quelle heure de la passé, pas aussi présente que sur le produit ni à savoir si il en
journée. Mais où est notre droit maintenant. Mais avec le dé- existe un meilleur sur le marché.
à la tranquillité dans ce monde veloppement de la société de Il pense implicitement pouvoir
où il est désormais impossible consommation et de la produc- assouvir ses besoins d’apparte-
de faire un pas dans la rue sans tion de masse, elle a acquit, ces nance et de reconnaissance en
être agressé par toutes ces «in- dernières années, une crois- consommant ce que la publicité
formations» criardes? sance exponentielle. lui a indiqué de consommer.

Ancrée dans notre vie, Outre cet aspect qui peut paraî- Que devons nous faire pour
nous n’avons plus vraiment tre «ludique» de la publicité au sortir de se matraquage quoti-
conscience de son impact, de service du marché, elle joue, et dient? En tant que consomma-
sa fonction, de son but et des nous n’en avons pas toujours teur nous avons nos droits et
conséquences qu’elle a sur nos conscience, un véritable rôle de les armes en main pour mettre
achats et sur notre mode de vie. propagande : elle véhicule toute le hola, non pas dans le but
Et pourtant, jamais elle n’a eu sorte de messages qui peuvent de supprimer toute forme de
autant d’influence que mainte- avoir des répercutions très im- publicité mais de combattre le
nant. portantes notamment dans la matraquage quotidien dont il
dynamique de groupe. Les pu- est question.
Il n’en a pas toujours été ainsi. blicitaires vont en effet s’éffor-
La publicité, il est bon de le rap- cer de faire tourner la publicité C’est à nous de décider ce qui
peller, existe depuis que l’hom- autour des valeurs propres à est bon pour notre confort per-
me évolue dans un système où notre société. sonnel car c’est de notre argent
et nos vies dont il s’agit, ne
La publicité n’a pas été crée uni- l’oublions pas. Reprenont cette
quement dans un but d’informer liberté de choix qui caractérise
sur un produit. Elle n’est, en gé- l’homme dans son environne-
néral, pas le reflet de la réalité. ment et dans son parcour per-
La plupart du temps elle nous sonnel, ne laissont plus ces in-
ment, elle nous trompe. Elle dustriels peu scrupuleux nous
met le consommateur potentiel dire ce que nous devons faire
dans des situations de réussite ou ne pas faire, acheter ou ne
sociale, professionnelle, amou- pas acheter, ou pire, comment
reuse et laisse croire qu’il en vivre. n
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De l’exploitation économique de la misère du monde


à son exploitation idéologique Ou
De la vache à lait, du bouc émissaire et
du grand méchant loup
Publié dans l’ouvrage collectif «Parole d’exil» Souhail Chichah, Assistant en Economie Politique

N
oël 2006. les autorités Ainsi dans le cas du Maroc, conséquence de raisons, tantôt
marocaines attestent l’UE n’hésite pas à détourner le politiques, le plus souvent éco-
une fois de plus de la principal outil de coopération nomiques. Malheureusement,
« manière exemplaire dont le financière du partenariat euro- cette part non négligeable de
Maroc traite les réfugiés sub- méditerranéen2 de sa vocation la population marocaine qui
sahariens »1 en déportant vers première, à savoir le développe- réside à l’étranger et dont la
sa frontière algérienne plu- ment économique et social du conscience sociale s’est forgée
sieurs centaines d’hommes, pays, en le subordonnant à l’en- au contact de l’exclusion et du
de femmes et d’enfants pris gagement marocain de jouer racisme n’a pas immunisé, loin
dans les filets de rafles noctur- un rôle de premier plan dans la s’en faut, le royaume chérifien
nes dans différentes villes du répression de l’immigration. Ce de la xénophobie. En effet, le
pays dont la capitale Rabat. faisant, le Maroc ouvre les yeux racisme à l’égard des étrangers,
sur une population qu’il n’avait dès lors qu’ils sont pauvres,
Ces rafles, qui ne sont pas sans jamais daigné considérer et qui s’exprime aujourd’hui de ma-
rappeler les pages noires d’une se terre dans les interstices de nière virulente dans toutes les
ère que l’on voudrait révolue, sa société, population désha- strates de la société marocaine,
ont pour justification officielle billée de toute protection de fait bien que fermement dénoncé
les engagements marocains ou de droit et, en conséquence, par nombres d’acteurs associa-
vis-à-vis de l’Union Européen- livrée à toutes les exploitations. tifs, académiques et politiques
ne. Il est en effet loin le temps locaux.
où, en 1992, le Parlement Euro- Pourtant, le Maroc, dont l’une
péen refusait de confirmer des principales ressources éco- Fondamentalement, les quel-
l’aide européenne à destination nomiques est le rapatriement ques 15 000 réfugiés subsaha-
du Maroc au motif du non-res- de devises de ses émigrés, est riens qui survivent tant bien que
pect des droits humains dans le bien peu crédible dans son rôle mal au Maroc se retrouvent au
royaume alaouite. de chien de garde de l’Europe. cœur d’un enjeu qui dépasse la
question de leurs droits et di-
Aujourd’hui l’Europe, une fois Par ailleurs, les migrants subsa- gnité pour nous interpeller tous
encore, se discrédite par l’ap- hariens ne représentent qu’une directement, nous, citoyens du
plication à géométrie variable fraction négligeable (0.05%) Maroc et d’Europe, sur notre
de ses valeurs civilisationelles, d’une population marocaine ordre social et sa légitimation.
bien qu’elle les déclame univer- dont 10% (!) vit à l’étranger, en
selles et inaliénables, en sous- En effet, il est entendu que l’Eu-
2 Le programme MEDA instauré par la
traitant à des régimes non-dé- rope ne peut accepter « toute la
conférence de Barcelone. Lancé en 1995, le
mocratiques la répression des misère du monde » et que l’Afri-
programme MEDA est défini par l’UE comme
flux migratoires et en contri- que doit porter sa part du far-
« le principal instrument financier de l’UE pour
buant ainsi par ailleurs à fragi- la mise en œuvre du partenariat euro-méditer-
deau migratoire. C’est donc au
liser les quelques avancées en ranéen et de ses activités. L’appui qu’il fournit nom de la sauvegarde de leur
matière de modernité politique à ces pays permet d’atteindre trois objectifs: modèle social que les démo-
de ces pays par la légitimation renforcer la stabilité politique et la démocratie craties européennes rappellent
et le financement de leur appa- dans un espace commun de paix et de sécurité; qu’elles ne peuvent être plus
reil répressif. créer une zone de prospérité économique hospitalières et généreuses que
partagée et soutenir la création d’une zone de raison. Face à l’invasion de
1 Déclarations faites par M. Boufous, Secré- de libre-échange entre l’UE et les partenaires la misère du monde, l’Europe
taire Général du Ministre de l’Intérieur, en pré- méditerranéens d’ici 2010; établir des liens plus se doit d’avoir une politique mi-
sence du Ministre de l’Intérieur marocain M. étroits entre les peuples de ces pays par l’in-
gratoire ferme mais humaine.
Ben Moussa lors d’un débat avec Al Monadara termédiaire de partenariats culturels, sociaux
Qui pourrait lui contester ce
à Rabat en 2006. et humains. ».
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droit d’ailleurs repris en cœur L’analyse de la politique migra- la moitié environ a été relâchée
tant par la gauche européenne toire belge, pays au cœur de dans l’année, et priée de quitter
que maghrébine ? l’UE et siège de ses principales le territoire endéans les 5 jours,
institutions, permet d’appor- se retrouvant ainsi livrée de
Toutefois, derrière l’apparence ter des éléments de réponse fait au marché du travail clan-
pernicieusement péremptoire qui peuvent être étendus aux destin. Seule une minorité des
de cette manière de cadrer la principaux pays européens. En personnes incarcérées dans
question de l’immigration se effet, bien avant le Maroc, la les centres fermés est effecti-
cache le caractère hautement Belgique s’est lancée dans une vement expulsée du territoire.
idéologique de sa représenta- politique de répression et de Les statistiques les plus récen-
tion. Il suffit pour s’en convain- criminalisation de l’immigration tes confirment que plus de 90%
cre d’en confronter notre per- clandestine et ce, alors que les des déboutés du droit d’asile ne
ception à quelques données personnes d’origine non-euro- sont pas expulsés du territoire
quantitatives qui font, bien trop péenne ne représentent que 2% belge. En réalité, bien plus qu’à
souvent, cruellement défaut de sa population active3 et l’im- expulser, ces centres fermés
dans ce débat. migration clandestine moins de ont pour principal objectif de
1% de sa population totale. De donner l’illusion de la mise en
Ainsi, les statistiques souli- plus, si l’on prend la perspecti- application d’un discours idéo-
gnent que seul 1% du total des ve des flux migratoires, le solde logique qui vise, avant tout, à
demandeurs d’asile et des ré- migratoire des non-Européens rassurer l’électeur par rapport à
fugiés dans le monde s’installe est en 2002 d’un peu plus de 30 l’étranger préalablement repré-
en Occident, à peine 0.05% 000 personnes… du même or- senté comme prédateur, tout en
en Europe. Le vieux continent dre, à l’échelle de la population participant de la criminalisation
est donc particulièrement mal belge, que le nombre de Belges de cet étranger, étape indispen-
placé pour rappeler le reste du qui ont choisi cette année-là de sable à son intégration et à sa
monde à son devoir de solidari- quitter leur pays pour s’installer ségrégation dans le marché du
té, au contraire des pays paupé- à l’étranger. travail clandestin.
risés qui supportent la quasi-to-
talité du « fardeau migratoire  » La politique migratoire belge, Ce travail clandestin est au
en tant que principales destina- incarnée par les centres fer- cœur de notre dynamique de
tions d’immigration. més4 présentés par Bruxelles production de « richesses ». Il
comme la «clé de voûte» de est en effet le pendant de la dé-
Par ailleurs, si l’immigration en sa «politique d’immigration», localisation de nos processus
provenance de l’Afrique subsa- prétend participer d’une ges- de production, c’est-à-dire de
harienne est quantitativement tion efficace et humaine des l’émigration de nos personnes
peu significative (moins de 3% flux migratoires. Cependant, morales, dans les pays à moin-
du total du flux migratoire an- les statistiques attestent de la dre normes salariales et envi-
nuel vers l’Espagne), elle n’en fonction purement symbolique ronnementales. Cette exploita-
est pas moins fortement mé- de ces centres qui sont autant tion de «la misère du monde »,
diatisée. Il en est de même pour de zones de non-droit au sein qui consiste à mettre en com-
l’immigration en général, pré- même d’un État qui se veut dé- pétition les cadres et niveaux
sentée dans les pays de l’Union mocratique. de vie de l’humanité, déstruc-
Européenne comme une mena- ture les économies locales et
ce pour son ordre social alors En effet, pour l’année 2000, condamne les pays paupérisés
qu’elle ne pèse pas même pour près de 450 personnes ont été à des «normes» sociales in-
1% de sa population totale. détenues dans ces centres, à compatibles avec l’émergence
savoir moins de 0.5 % du nom- de sociétés démocratiques,
Comment dès lors expliquer bre de sans-papiers estimés vi- ce qui en retour favorise cette
qu’une portion si infime « de vre sur le territoire belge, dont émigration qui ne devient sou-
la misère du monde » effraye dainement visible pour l’Europe
à ce point les responsables 3 La ségrégation des personnes d’origine que lorsque cette émigration se
européens au point de deve- extra-européenne, même naturalisées, dans transforme en (problème de)
nir un élément central de leur les segments d’activités les plus précarisés et l’immigration.
communication politique tant la discrimination dont ils sont victimes sur le
à destination de leurs voisins marché du travail belge ne sont plus à établir. Puisqu’il n’est pas toujours pos-
du pourtour méditerranéen que Il en est de même dans les principaux pays sible de découpler géographi-
vis-à-vis de leur propre opinion européens. quement notre consommation
publique? 4 Centres de rétention en France. de sa production, l’exploitation
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de la « misère du monde  » n’est employés de maison travaillent droits humains qui déshonorent
alors possible qu’en délocali- dans des conditions illégales. la Belgique et pour lesquelles
sant « sur place », c’est à dire elle fut quelques fois condam-
en recourant au marché du tra- Nous, citoyens des pays riches née par la communauté inter-
vail clandestin que la demande - pour ne pas dire pays enri- nationale ainsi que par sa pro-
structurelle de l’économie chis  - profitons tous de cette pre opinion publique comme
européenne génère automati- exploitation de la misère du dans le cas de la mise à mort de
quement par les conditions de monde, qu’elle se fasse sous Samira Adamu, étouffée lors de
travail illégales qu’elle impose nos toits ou plus loin de nos son rapatriement forcé en 1998.
dans des secteurs tels que le yeux, lorsqu’elle est le fait de Ainsi, comment accepter d’un
bâtiment, l’horeca, les soins à nos personnes morales émi- point de vue moral et éthique
domicile, le travail domestique grées, attirées par cette misère que des hommes, des femmes
ou l’agriculture saisonnière si profitable générant des sur- et des enfants soient détenus
pour ne citer que ces derniers. profits plantureux et inédits et humiliés dans ces centres
dans l’histoire. Effectivement, à seul fin de propagande poli-
Par ailleurs, la délocalisation seule une partie négligeable de tique… à destination de notre
«sur place» permet à nos éco- la valeur de notre production opinion publique6.
nomies de bénéficier de toute délocalisée rémunère le travail
une série d’avantages qui et les matières premières des Force est de conclure que les
vont du soutien de notre pou- pays paupérisés. L’essentiel de centres fermés n’ont qu’un rôle
voir d’achat5, au soutien de cette valeur irrigue notre éco- symbolique et qu’ils ne sont
la production (et donc l’em- nomie et les différentes strates donc, par conséquent, mobi-
ploi) locale (via le recours à la de notre société à des degrés lisés que pour la production
sous-traitance de segments divers. d’une communication politique,
de production connexes), en à destination de l’électeur bel-
passant par l’économie de dé- Exploitée économiquement, la ge, qui n’est autre qu’une ver-
penses sociales et éducatives misè re du monde, ou le sans- sion lissée du crédo de l’extrê-
(personnes formées à l’étran- papier qui n’est qu’une de ses me-droite : « dormez tranquilles
ger, notamment) ou encore la représentations, l’est tout autant bonnes gens, nous veillons sur
consommation des travailleurs idéologiquement. vous et vous protégeons de la
«clandestins». menace de l’altérité sur notre
En effet, reprenant le rôle du ordre social, source de tous nos
Ainsi, pour ne prendre que bouc émissaire traditionnelle- maux ».
l’exemple du travail domesti- ment dévolu dans toute société
que dans la région de la Vénétie en crise à sa caste d’intoucha- Grassement valorisée, la mi-
(Italie), le recours aux aides à bles et de parias, il peut avan- sère du monde offre un autre
domicile extra-européens, dis- tageusement être représenté avantage d’importance : celui
ponibles 24h sur 24h, fait ga- sur le plan politique comme la de légitimer la gestion de no-
gner au budget public vénitien cause exogène de la détério- tre société par l’austérité et le
plus de 180 millions d’euros par ration de notre niveau de vie et détricotage subséquent de nos
an - environ un quart de l’aide une épée de Damoclès mena- acquis sociaux. En effet, mis en
au développement annoncée çant en permanence nos acquis compétition ici et là-bas avec la
en 2006 par la Belgique ! - en sociaux. misère du monde, qui oserait
lui faisant économiser les frais refuser au capital les privilèges
de construction de maisons de Dans cette perspective, la mise et sacrifices grandissants que
retraite et de formation du per- en spectacle et l’exploitation ce dernier réclame pour prix
sonnel soignant. En Espagne, la médiatique de l’expulsion d’une du renom à sa liberté, entendue
grande majorité des travailleurs très faible proportion des sans- comme allant de soi en ce qui
domestiques est étrangère, papiers (rappelons qu’en Belgi- le concerne, de migrer (déloca-
originaire en grande majorité que, la grande majorité de ces liser) sans entrave ou contrôle
d’Amérique du Sud. Au niveau derniers est, de fait, condamnée aucun?
européen, jusqu’à 80% des à vivre dans la clandestinité) ne
peut prétendre, contrairement Dans le cadre d’une gestion
5 Grâce au salaire au rabais du travailleur « à ce que déclament nos diri-
clandestin », ce qui joue également en faveur
geants, d’une politique de ges- 6 Et non pas, comme d’aucuns prétendent, à
des employeurs dans la mesure où ils amé- tion des flux migratoires. Ce qui destination des sans-papiers. Que pèse en effet
liorent « illégalement » notre salaire réel sans rend d’autant plus inaccepta- la crainte d’être détenu en centre fermé com-
porter préjudice à la rentabilité du capital. bles les multiples violations des paré au calvaire de l’émigration clandestine ?
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par l’austérité de notre société, les geôles libyennes dans des migrants subsahariens est un
accompagnée d’une précari- conditions moyenâgeuses en excellent indicateur de l’évolu-
sation généralisée de l’emploi, attendant un hypothétique ju- tion vers l’Etat de droit tant at-
représenter l’étranger comme gement ou le rachat de leur li- tendu ? Qu’elle est un gage du
une menace pesant sur notre berté par leur famille. respect de leurs droits économi-
sécurité (emploi, sécurité so- ques et sociaux ? Qu’on ne peut
ciale, etc) tout en organisant Au Maroc, combien d’autres prétendre au développement
son exploitation et en le met- sont morts dans l’incendie par économique et à la modernité
tant en compétition avec les l’armée de la forêt de Ben You- politique en se désolidarisant
travailleurs indigènes est non nesch, près de Melilla, espace de son environnement régional
seulement inacceptable d’un naturellement toléré, dans un ? Qu’on ne peut se revendiquer
point de vue éthique et morale premier temps, pour le « cri- pleinement décolonisé et su-
mais surtout totalement incons- quet noir » ? Combien ont été bordonner le contrôle de ses
cient au regard de notre histoire violés lors des déportations frontières et d’une partie de sa
contemporaine. Est-il besoin de collectives vers le Sahara ou politique intérieure à l’agenda
rappeler que l’une des plus im- la frontière algérienne du nord de ses voisins européens ?
portantes formations politiques marocain dans des conditions
belge (en termes d’électorat) est - notamment climatiques - peu N’est-il pas urgent pour les ci-
fasciste ? Que l’extrême-droite clémentes ? toyens européens de refuser la
est un challenger politique re- mise en compétition avec la mi-
douté dans de nombreux pays Comment oser penser que les sère du monde et de compren-
européens quand elle n’est tout centaines de personnes relâ- dre que la meilleure manière de
simplement pas associée au chées menottées dans le désert préserver leur niveau de vie est
pouvoir ? aient une quelconque chance de l’exporter en payant équita-
de survie ? Dans quel état se blement les matières premières
Par ailleurs, il est tout aussi trouvent les centaines de per- et le travail que nous « impor-
inacceptable de confier à des sonnes honteusement raflées, tons » sous ses formes diver-
pays comme le Maroc, la fonc- à la veille de Noël 2006 pour ses7?
tion de « régulateur » de l’offre mieux les soustraire aux re-
excédentaire de main-d’œuvre gards des observateurs inter- Mis en concurrence avec des «
« clandestine » par rapport à nationaux et des consciences sans-droits », combien de temps
la demande constitutive de la marocaines ? … les citoyens européens pour-
délocalisation « sur place ». Il ront-ils préserver les leurs?
convient de rappeler que, si la Les quelques chiffres relayés
Belgique comme l’UE ne peu- par la presse internationale at- N’est-il pas temps de com-
vent prétendre avoir une réelle testent qu’il s’agit bien pour ces prendre que la défense de nos
politique migratoire, se conten- pays d’une véritable politique acquis sociaux passe par la
tant de communiquer sur la de répression aveugle et mas- protection des plus fragilisés
question à destination de leur sive des migrants africains en d’entre nous  ? L’intérêt bien
opinion interne, il en est tout violation de tout cadre légal tel compris n’impose-t-il pas l’al-
autrement des pays comme le que la Convention de Genève liance objective avec les victi-
Maroc ou la Lybie qui acceptent relative aux réfugiés pourtant mes de notre ordre socio-éco-
la sous-traitance de la répres- ratifiée par des pays comme nomique ?
sion effective de l’immigration. le Maroc ou l’Algérie. Ce que
En effet, dans ces états non- l’Europe ne peut tolérer chez
démocratiques, les candidats elle sous peine de voir s’effon- La solidarité ou la violence
à l’immigration s’exposent non drer les fondements de l’état comme base du rapport à
seulement à toutes les formes de droit, elle le délocalise dans l’autre ? Telle est la question
d’aliénations mais doivent en les pays du Maghreb en pous- qui est au cœur du débat sur
outre subir une répression féro- sant, parfois, la schizophrénie l’immigration. n
ce d’appareils d’état dont la sur- jusqu’à s’indigner du sort que
vie n’est due qu’à leur habilité à ces derniers réservent à ceux
réprimer toutes contestations qu’elle appelait autrefois le bois
sociales ou politiques qu’ils d’ébène.
ne peuvent contrôler. Ainsi par
exemple, ils sont des milliers N’est-il pas temps pour les
d’hommes et de femmes, dont citoyens marocains de com- 7 Délocalisation de nos processus de produc-
6 000 Marocains, à croupir dans prendre que la condition des tion, délocalisation « sur place », immigration
sélective et autres « body shopping ».
Dossier sur les sans-papiers THE
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TIM’ES
2 0 0 8 9 e c e m b r e

Jusqu’où les sans-papiers payeront-ils


la lâcheté du gouvernement ?

J
Carte Blanche publiée dans le Soir du 24 septembre 2008 Mateo Alaluf, professeur à l’ULB
’ai décidé depuis le début «délocalisation sur place». Puis- critère de régularisation. Beaucoup
des années 1970 de soute- que toutes les activités, comme de sans papiers pris dans cette
nir la cause des migrants celles du bâtiment et des travaux tourmente folle ont déjà détérioré
illégaux, que l’on appelait alors publics, de l’hôtellerie et de la res- leur santé physique et parfois men-
clandestins et maintenant sans tauration, du nettoyage et des ser- tale à tout jamais. D’autres risquent
papiers. Il y eut à l’époque aussi vices aux personnes ne peuvent chaque jour leur vie. Ils se heurtent
des manifestations et des grè- être délocalisées, les sans papiers pourtant à un mur.
ves de la faim pour obtenir la ré- peuvent y pourvoir sur place aux
gularisation ainsi qu’un «statut», conditions de travail et de salaire Pourtant, toutes les études, celle
comme on disait alors, pour les du tiers monde. réalisée récemment à propos de
«travailleurs étrangers». Le ré- l’opération de régularisation de
sultat fut la première opération Prendre position consiste en 1999-2000 en Belgique, comme
de régularisation en 1974 et la conséquence à agir avec les sans celles menées à l’étranger, té-
loi de 1980 sur l’accès au terri- papiers pour faire reconnaître moignent de ses effets positifs en
toire et le séjour des étrangers. leur droit au séjour. Cette liberté termes d’intégration sociale et pro-
En même temps que la régula- d’aller et venir est profondément fessionnelle. L’exemple de l’Espa-
risation des «clandestins», on ancrée dans l’esprit des migrants gne est à cet égard exemplaire. De
avait décidé à l’époque, en rai- d’aujourd’hui. Ce droit fondamental 1995 à 2005 l’Espagne a accueilli
son de la crise et du chômage, de la personne humaine est aussi 3,3 millions de migrants. Le gou-
l’arrêt de l’immigration, à l’ex- le plus ancien des droits qui précè- vernement de M Zapatero, malgré
ception de certaines catégories de les droits politiques et sociaux. les critiques acerbes de son oppo-
d’étrangers. Il y a sans doute les principes et sition de droite, comme des mises
les modalités de son application. en garde de ses voisins français,
Depuis lors cependant, parado- On ne peut sans doute pas ouvrir a procédé en 2005 à la régularisa-
xalement, la migration n’a cessé purement et simplement les fron- tion de 600.000 migrants illégaux.
d’augmenter alors que la législa- tières. Encore ne faut-il pas fermer Pendant cette période, l’économie
tion se faisait de plus en plus res- les yeux alors que des personnes Espagnole a connu une croissance
trictive. La diminution de l’immigra- sont en train de se laisser mourir particulièrement élevée, le taux de
tion légale a été en fait largement dans notre quartier, notre ville, chômage a baissé de 18 à 8% et le
compensée par l’immigration illé- près de chez nous. déficit de la sécurité sociale a été
gale. La fonction latente de cette divisé par 2.
législation est apparue ainsi au Le monde a changé depuis les
grand jour. Contrairement à ses in- années 1970. Les capitaux, les Le gouvernement se ligote lui
tentions affichées, elle ne sert pas biens, les services, l’information même dans un Etat qui perd sa
à empêcher les migrants de venir. circulent sans entraves. Qui peut substance. Pris en tenaille par
Son effet n’est donc pas quantitatif encore penser que l’on peut as- la crise financière mondiale d’un
mais qualitatif. En accédant au ter- signer sur place des populations, côté et la crise communautaire de
ritoire, les migrants deviennent des surtout lorsqu’elles sont décimées l’autre il ne parvient pas à répondre
illégaux. Leur fragilité administra- par des guerres, des catastrophes à la diminution du pouvoir d’achat
tive les expose aux dénonciations. ou des famines ? En Belgique, de- et à l’appauvrissement d’une frac-
Privés de droits, ils sont soumis à puis l’accord politique de l’Orange tion de la population. Comme aux
tous les arbitraires et sont suscep- bleue, ensuite du gouvernement pires moments de l’histoire, la fer-
tibles d’être arrêtés à tout moment. Verhofstadt et enfin du gouverne- meté affichée à l’égard des sans
Ainsi se constitue un infra marché ment actuel des promesses ont été papiers, de ceux qui sont précisé-
du travail dans lequel oeuvrent des faites à des migrants en grève de ment privés de tout droit, paraît le
salariés sans droits qui réunit les la faim. Sous l’effet de promesses moyen le plus commode d’affirmer
conditions, de ce que l’anthropo- et d’espoirs chaque fois déçus la sa souveraineté. Au prix bientôt de
logue Emmanuel Terray appelle la grève de la faim est devenu le seul combien de morts ? n
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Dossier sur les sans-papiers
Réforme du « visa étudiant » :
Lorsque la politique xénophobe d’Annemie Turtelboom
tente de s’étendre à l’enseignement supérieur.
Renaud Maes
du «visa étudiant» pour les étran- lesquels il n’existe pas d’exigen-
gers non européens. ce linguistique – et dynamite en
un alinéa la logique d’accroisse-
Le prétexte sur lequel se fonde la ment de la mobilité internationale
Ministre pour revoir les conditions des étudiants étrangers hors UE
d’octroi du visa étudiant, qui est pourtant encouragée par des me-
censé permettre à un étranger sures «européennes» – et certes
non européen de séjourner sur philosophiquement contestables
le territoire tant qu’il y suit des – telles qu’Erasmus Mundus.
études, est l’adoption d’une di-
rective européenne établissant Ensuite, la Ministre insiste sur le

L
des dispositions «communes» fait que l’étudiant souscrive une
a Ministre Turtelboom aux pays membres de l’Union en assurance-maladie dans son pays
et avec elle, l’Open-VLD matière de séjour des étudiants. d’origine. Cette condition d’accès
dans son ensemble ont, Cependant, comme on pouvait est pour le moins problématique :
depuis son arrivée au Gouver- s’y attendre, la Ministre interprète dans de nombreux pays, le sys-
nement fédéral, décidé de faire cette directive dans le sens d’un tème d’assurance-maladie est
traîner la publication d’une durcissement de la législation entièrement privatisé. Dans ce
circulaire, pourtant prévue par belge, transformant les phrases cas, il est parfois loisible pour les
l’accord de gouvernement, de la directive commençant par sociétés d’assurance de refuser
visant à expliciter les condi- «le pays membre peut» en une un «client» et généralement, les
tions de régularisation pour les série de diktats. Renvoyant par coûts d’une police d’assurance-
sans-papiers. Mais, pendant ce ce procédé intellectuellement maladie sont prohibitifs.
temps, à quoi s’occupe Mme malhonnête à «l’Europe» les in-
Turtelboom ? terpellations sur son texte, elle De plus, l’étudiant devra désor-
dresse un écran de fumée autour mais provisionner les «frais de
La réponse est simple : Mme d’une proposition de loi aux re- retour» comme part intégrante
Turtelboom renforce méthodi- lents nauséabonds. du montant dont il doit démontrer
quement les barrières (virtuelles qu’il dispose pour pouvoir entrer
et physiques) empêchant l’ac- Quelles sont donc les mesures sur le territoire. Cette mesure,
cès au territoire du Royaume de envisagées ? Impossible de dres- voulue par la directive européen-
Belgique. Elle a ainsi annoncé ser ici un catalogue exhaustif ne, est ici interprétée dans son
une coopération accrue avec le des modifications voulues par la sens le plus strict : aucune déro-
Royaume-Uni pour lutter contre «protégée de Patrick Dewael» - gation n’est possible et le montant
l’immigration clandestine, coo- comme elle s’auto-définit, nous concerné n’est pas un forfait mais
pération qui se concrétisera par ne pourrons donc que soulever bien un montant correspondant à
l’intensification du transfert des les aspects les plus probléma- la réalité du prix d’un billet d’avion
données biométriques des im- tiques du texte. Tout d’abord, la (et donc, fonction de la distance à
migrants clandestins et, en par- Ministre envisage de demander parcourir) !
ticulier, des «Indiens» comme le aux candidats aux études de dé-
signale le site web de la Ministre. montrer leur connaissance de la Même lorsqu’un étudiant rentre
Le sheriff Turtelboom ne s’est langue du programme d’études dans l’ensemble des conditions
cependant pas bornée à chasser qu’ils désirent suivre. Ainsi, elle prévues par l’avant-projet (dont
les indiens : elle a aussi proposé introduit une claire distinction en- les 3 critères énoncés ci-dessus),
de durcir les conditions d’octroi tre étudiants européens – pour il n’est pas pour autant sûr d’avoir
Dossier sur les sans-papiers THE
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TIM’ES
2 0 0 8 11 e c e m b r e

accès au territoire : la Ministre Comme le souligne la position ture de la convention suffira à


prévoit la possibilité d’exiger des de l’ULB sur ce texte, il prévoit infirmer.
documents administratifs com- implicitement que «le Ministre ou
plémentaires à l’étudiant. Elle son délégué ait un contrôle sur Les institutions d’enseignement
augmente par là la complexité et les présences (fréquentation des supérieur (tant francophones que
l’arbitraire d’une procédure déjà cours) des étudiants étrangers flamandes) se sont exprimées
fort complexe. au sein des institutions d’ensei- à l’unisson pour dénoncer un
gnement supérieur.» Cette ingé- avant-projet de loi qui, selon l’avis
Élément sans doute particuliè- rence dans l’organisation interne du Conseil interuniversitaire fran-
rement choquant : l’avant-projet des institutions et des universités cophone, «durcit excessivement
de loi (dans sa version actuelle) en particulier est clairement un les conditions d’accès imposées
n’envisage pas d’autoriser le sé- précédent dangereux par rap- aux étudiants étrangers et parti-
jour sur le territoire des étudiants port à leur autonomie. De plus, culièrement à ceux issus de pays
inscrits à horaire décalé et, pire le texte prévoit de fait de sanc- en voie de développement pour
encore, les étudiants inscrits en « tionner l’étudiant victime d’un re- qui il sera difficile, sinon impossi-
année passerelle ». tard administratif dont l’institution ble dans la pratique, d’envisager
d’enseignement supérieur dans de poursuivre un cursus acadé-
Ajoutons à ces éléments le fait laquelle il est inscrit est respon- mique en Belgique.»
que le renouvellement du visa sable, principe pour le moins cho-
restera conditionné au fait de pro- quant ! Face à cette levée de bouclier,
gresser « suffisamment » dans les
la Ministre a proposé une réu-
études. L’avant-projet prévoit une Dernière mesure posant certai-
nion «de concertation» tout en
consultation des établissements nement question, issue quant à
annonçant en parallèle qu’il se-
d’enseignement supérieur qui se elle directement de la directive
rait «inimaginable» d’amender le
verraient chargés de rendre un européenne, pour être admis sur
texte dans le sens d’un assouplis-
avis «tenant compte, notamment, le territoire : si l’avant-projet était
sement. Quel sera donc l’impact
des études entreprises, des ré- adopté en l’état, un certificat
des institutions d’enseignement
sultats obtenus dans d’autres constatant l’absence de condam-
supérieur face à la logique xéno-
établissements, des absences in- nations pour crimes ou délits de
phobe d’une droite flamande flir-
justifiées et des abandons.» Et de droit commun serait exigé pour
tant continument avec les partis
préciser : «ces informations sont tous les candidats étudiants
communiquées à l’établissement étrangers de plus de 18 ans d’extrême-droite ?
par le Ministre ou son délégué.» (contre 21 ans dans la législa- Au travers de cette question, une
Pour transmettre leur avis, les tion actuelle). Il semble pourtant autre se pose, bien plus angois-
institutions disposeraient d’un dé- inconcevable de tenir compte de sante : les intellectuels ont-ils
lais d’un mois, après quoi le Mi- condamnations qui concerne- encore la capacité à endiguer la
nistre (ou son délégué) pourrait raient l’étudiant à l’époque où il progression dans notre pays des
décider seul. était mineur d’âge lorsque le pays idées nauséabondes aux efflu-
dont il est originaire ne respecte ves de peste brune ? Au vu du
Cette dernière disposition pose pas la Convention internationale nombre restreint d’interventions
question en termes de liberté des droits de l’enfant du 20 no- parlementaires sur le thème et de
académique. L’université et, plus vembre 1989. Mais l’on sait que leur ton relativement conciliant,
largement, les institutions d’en- la Ministre a une compréhension on peut craindre une capitulation
seignement supérieur sont en ef- étrange des droits de l’enfant : du politique. Si les institutions
fet les plus à mêmes de juger de on se souviendra que pour Mme d’enseignement supérieur figu-
la progression des étudiants dans Turtelboom, enfermer un mineur rent effectivement parmi les der-
leur cursus. Le texte actuel ne ga- d’âge coupable d’aucun crime et niers barrages contre la montée
rantit pourtant nullement – et pour sans procès devant une juridic- en puissance du racisme comme
cause – qu’un étudiant autorisé à tion spécialisée pour les mineurs politique, ne serait-il pas temps
s’inscrire par les autorités acadé- n’est pas contraire aux droits de qu’elles organisent la résistan-
miques ne soit pas expulsable. l’enfant – ce qu’une simple lec- ce  ? n
12 THE
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Dossier sur les sans-papiers
SN B r u s s e l s A i r l i n e s ?
S a n s fa ç o n s , m e r c i !
Géraud Hougardy
étouffaient ses cris avec un cous- Mais peu après, ceux-ci revien-
sin lors de son expulsion. C’était nent et choisissent trois passa-
en 1998. La semaine qui avait gers qui avaient exprimé leur
suivi, des milliers de personnes désapprobation. Serge Nga-
manifestaient leur indignation à jui Fosso est de ceux là. Il est
l’encontre de ce crime d’Etat. descendu de l’avion, menotté,
frappé et maintenu en détention
Par chance pour Ebenitzer Fole- pendant que ses valises volent
fack, dans l’avion aussi il y avait vers Douala.
des personnes capables de
s’indigner. Des passagers refu- Une dizaine d’heures plus tard,
sent donc de voyager dans ces notre héros finit par être libéré. Il

S
conditions et la Police doit an- apprend de la part de SN Brus-
amedi 26 avril 2008, à nuler l’opération. Monsieur Fole- sels Airlines que pour prix de son
l’aéroport de Bruxelles- fack est renvoyé au centre fermé action citoyenne, son ticket ne
National, des fonction- de Merksplas. Quatre jours plus sera pas remboursé et qu’il sera
naires de la puissance pu- tard, il est retrouvé pendu dans lui-même interdit de vol sur cette
blique s’apprêtent, « comme une cellule d’isolement. En plus compagnie pendant six mois.
d’habitude », à expulser par la de la détresse psychologique
contrainte une personne « il- dont on peut mesurer l’inten-
Vendredi 16 mai 2008, même
légale ». Il s’agit d’Ebenitzer sité au résultat : un suicide ; son
compagnie aérienne, vol SN 353
Folefack et du vol SN0351 de corps témoignait des violences
Y. Dans le fond d’un avion, un
Brussels Airlines. physiques qu’il avait subies lors
sans-papiers est ligoté, il a du
de la tentative d’expulsion.
mal à respirer et hurle pour de-
Arrivé en Belgique en 2005 pour
mander de l’aide. Un passager,
demander l’asile, il avait de réel- Samedi 26 avril 2008, à l’aé-
madame Rigaud, est témoin de
les chances de voir sa situation roport de Bruxelles-National,
cette scène d’expulsion qu’elle
régularisée si la circulaire pro- Serge Ngajui Fosso prend lui
mise par Annemie Turtelboom aussi le vol SN0351 de Brus- décrit comme étant particulière-
était venue concrétiser l’accord sels Airlines à destination de ment cruelle. Elle réagit. Après
de gouvernement. Il s’agissait Douala au Cameroun. Pour lui, une brève discussion, elle est
de la deuxième tentative d’ex- ce voyage est volontaire. En fait, plaquée au sol, le policier lui fait
pulsion. A la seconde tentative, il part simplement en vacances. une douloureuse clé de bras et
la Police belge a le droit de faire Mais dans l’avion, tout au fond, fait mine de l’étrangler. Un peu
usage de la violence nécessaire quatre policiers sont en train de plus tard, la compagnie lui signi-
à l’éloignement d’une personne rudement réprimer les protesta- fie une interdiction de voler sur
visée par un ordre de quitter le tions d’une personne qui refuse ses lignes.
territoire. d’être expulsée : en l’occurrence
un certain Ebenitzer Folefack. Monsieur Ngajui Fosso et ma-
Monsieur Folefack ne voulait Serge Ngajui Fosso et d’autres dame Rigaud ont fait usage de
pas être renvoyé au Cameroun. passagers annoncent qu’ils ne la liberté de manifester leurs opi-
Il crie, se débat, proteste. veulent pas voyager dans ces nions. En rétorsion, SN Brussels
conditions. Suite à cela, les poli- Airlines les a mis sur liste noire.
Rappelons qu’en Belgique une ciers abandonnent et l’expulsion
femme de vingt ans est morte est avortée. Eh bien, retournons lui la polites-
asphyxiée par des policiers qui se…n
Dossier sur les sans-papiers THE
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TIM’ES
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Les CPAS et les sans-papiers


une histoire de courage politique…
Renaud Maes
ou une autre aide sociale indivi- faisant les occupations et grèves
duelle en nature». Cette disposi- de la faim. En réponse, les pré-
tion reste valable dans le cas où sidents des CPAS concernés ont
l’étranger ferait appel au Conseil renvoyé un signal clair indiquant
d’état contre son éloignement. que leurs interventions étaient
Concrètement, l’appréciation de légitimes pour des raisons sim-
ce que recouvre la notion d’aide plement humanitaires et ont
médicale urgente demeure du condamné de concert l’inaction
ressort du CPAS, même si en ministérielle en matière de régu-
théorie, seul le médecin est larisation.
habilité à apprécier l’urgence
de l’aide médicale. Ainsi, en Marie Arena (PS), Ministre de
fonction des communes, le type l’Intégration sociale et donc

L
d’interventions diffère fortement, compétente pour amender la lé-
ors des occupations ré- certains CPAS refusant systé- gislation qui concerne les CPAS,
centes en région bruxel- matiquement le remboursement a plus d’une fois affirmé son
loise, les CPAS ont tenu de soins de santé de nature souci de lutter contre le « défi
un rôle clé : fournissant une préventive – et ce en dépit de la quotidien que représente la pré-
assistance médicale, éven- législation. carité des sans-papiers »1. Elle a
tuellement du matériel (mate- désormais l’opportunité de faire
las, lits), une aide alimentaire De plus, depuis un amendement sauter la cangue que consti-
minimale, ils sont apparus à la loi organique des CPAS tuent des mesures législatives
comme le «bras armé» per- proposé par le Ministre Chris- dénoncée par les présidents de
mettant aux communes d’as- tian Dupont (PS) en décembre CPAS progressistes – dont un
surer leur soutien aux sans- 2007, si le candidat à l’asile est bon nombre issus de son propre
papiers. inscrit dans un centre d’accueil parti.
de l’Agence fédérale pour les
Pourtant, les CPAS sont claire- demandeurs d’asile (Fedasil), il Choisira-t-elle, à l’instar de ses
ment bridés en matière de sou- ne peut pas bénéficier de l’aide prédécesseurs, de renforcer en-
tien aux sans-papiers : en effet, sociale en dehors du centre core l’arsenal législatif permet-
l’article 57 de la loi organique d’accueil où il est inscrit. tant d’opprimer les sans-papiers,
des CPAS tel que modifié en dans une logique de participation
1996 par la Ministre Magda De En offrant une aide matérielle à gouvernementale malsaine, ou,
Galan (PS) prévoit que l’aide des sans-papiers «illégaux» tout au contraire, restera-t-elle fidèle
aux «étrangers séjournant illé- comme en offrant l’aide médicale à ses engagements politiques
galement dans le Royaume» urgente à des sans-papiers ins- antérieurs en amendant un texte
ne puisse consister qu’en l’aide crits dans les centres de Fedasil, de loi devenu inhumain ?
«médicale urgente». Et de pré- plusieurs CPAS ont clairement
ciser qu’un «étranger séjourne fait à plusieurs reprises acte de Encore une fois, tout n’est ici
illégalement dans le Royaume» «rébellion» contre le carcan lé- qu’une question de courage
lorsque sa demande d’asile a été gislatif qui entrave leur mission politique. n
rejetée et qu’un ordre de quitter de permettre à chacun de mener
le territoire exécutoire lui a été une vie conforme à la dignité hu- 1
Carte blanche de Marie Arena,
notifié. En d’autres termes, pour maine. A cette occasion, la Mi- Ministre-Présidente de la Commu-
les «illégaux», l’aide sociale ne nistre de l’Immigration, Annemie nauté française, publiée notamment
peut pas être «une aide finan- Turtelboom (Open-VLD) a ac- sur http://www.terredasile.be/index.
cière, la fourniture d’un logement cusé ces CPAS de favoriser ce php?2008/01/25/78-carte-blanche-de-
marie-arena
CONFERENCES
14 THE TIM’ES
N o v e m b r e 2 0 0 8

LA C R IS E
G LO B A LE
E C O L O G IQ U E S O C IA L E
F IN A N C IE R E E C O N O M IQ U E

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Je a n -M a r c N O LLE T
(p o r t e -p a r o le d E C O LO )

C él i C
neA U D R O N
(p o r t e -p a r o le d e la LC R )

O R G A N IS E PA R :
A TTA C
U .L .B .
SYNDICALISME éTUDIANT THE
D
TIM’ES
2 0 0 8 16 e c e m b r e

L’ U N E F en lu t t e

le c a s d u C P E
Antoine Masquelin
solidarité, même si sur ce point ils que je n’ai appris que quelques
ne peuvent égaler les cercles et mois plus tard, c’est que quelques
bureaux d’étudiants de Belgique. minutes après la déclaration de
D’ailleurs il suffit d’imaginer un De Villepin, un des présidents
Cercle qui aurait des locaux dans d’une des branches de l’UNEF
toutes les universités de Belgique demandait déjà au Grand Chef
mais qui aurait les activités d’un quand nous serions tous dans la
cercle folklorique, politique et de rue. Le lendemain matin, des syn-
bureaux des étudiants. dicats de tous bords reçoivent des
appels, et l’unanimité est faite  : Le
Mais il est temps de revenir à CPE est une insulte faite à la jeu-
notre sujet principal… le 16 Jan- nesse !

C
vier 2006 au soir, un vent glacial
e n’est qu’en 2003 que s’étend sur toute la France. J’étais Les jours qui suivirent sont encore
j’ai fait connaissance dans mon kot à 20h regardant un peu flous pour moi, tellement
avec l’Union Natio- les infos où passait le premier il y eu de choses à faire, je fus
nale des Etudiants de France ministre de l’époque Dominique immédiatement rappelé à mon
(UNEF), qui était alors sous le de Villepin. En fait je n’avais rien université, étant un des membres
règne de Yassir Fichtali, prési- d’autre à faire, ayant fini mes exa- du comité de la section locale de
dent de l’UNEF réunifiée très mens. Il annonce alors la création mon université Paris VIII. L’UNEF
récemment. Il ne faut pas voir du Contrat Première Embauche, était déjà un véritable champ de
l’UNEF comme un cercle étu- où une personne est engagée bataille: avec quelques querelles
diant comme on l’entend dans pour une période d’essai de deux intestines, je me trouvais plutôt à
nos contrées du nord, mais ans, après laquelle l’employeur militer à Paris I.
bien comme un syndicat d’étu- n’est pas tenu de l’embaucher
diants. et avec un salaire frôlant le mini- Croyant avoir encore quelques
mum légal. De plus, le postulant jours de vacances je me trom-
Ca peut paraître ennuyeux, mais peut se faire renvoyer du jour au pais lourdement. Je me trouvais à
pour bien la comprendre mieux lendemain sans motif. Dans ces faire des tracts et à les distribuer,
vaut d’abord la présenter. L’UNEF conditions, il est donc impossible mais il s’avéra que très vite, bien
est avant tout la première organi- de faire des projets d’avenir. Je ne qu’étant encore en période d’exa-
sation étudiante de France indé- me souviens pas avoir réagi tout mens pour la plupart, la demande
pendante de tout organisme et de de suite mais je savais que j’allais dépassait largement l’offre. Au
partis politiques. Elle est présente connaître un nouveau grand mou- niveau national, il était déjà prévu
à tous les niveaux de la vie univer- vement social depuis celui du pro- une manifestation à Paris le 7 Fé-
sitaire, scientifique, ou encore de cessus de Bologne en 2003-2004. vrier, après de rudes négociations
la gestion de la vie universitaire, Mais je n’imaginais pas que ce se- avec les autres syndicats. En ef-
ce qui fait d’elle une puissance rait une si grande aventure… fet, les syndicats désiraient que
sur laquelle il faut savoir compter. l’on se mobilise plus tôt mais les
Elle informe les étudiants dans En ce temps là, le président de étudiants étaient encore en plein
tous les domaines, défends leurs l’UNEF était Bruno Julliard, élu examen jusqu’au début du mois
droits et va même jusqu’à plaider lors du congrès de l’UNEF de de Février.
devant le rectorat, et organise la 2005, donc fraîchement élu. Ce
17 THE
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2 0 0 8
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SYNDICALISME éTUDIANT
du mouvement. Nous essuyons avec les mouvements les résul- de répondre : « Je ne sais pas
aussi des attaques de l’extrême tats seraient faussés. Cela s’est si le président à des problèmes
gauche dont les étudiants sont révélé exact d’autant plus qu’il d’audition, en tout cas il nous a
venus plusieurs fois dans le but était impossible de trouver les pas entendus. »
de saccager nos locaux et ça se bureaux de vote, je me souviens
transforme parfois en batailles avoir passé je ne sais combien Pour la petite histoire nous fu-
rangées dans certaines univer- d’appels afin de trouver ces bu- mes submergés d’appels de
sités. Ce fut aussi le point de reaux de vote pour pouvoir faire personnes demandant pourquoi
départ des grèves d’universités mon devoir mais impossible de nous nous attaquions aux per-
où dans 5 universités françai- savoir ou se trouvaient-ils. Les sonnes ayant des problèmes
ses la grève fut votée par les élections seront annulées quel- d’audition suite à cette remar-
étudiants. A  Poitiers les étu- ques mois après le mouvement que.
diants durent aller dans le stade et l’UNEF retrouvera sa place
de rugby voisin, car il n’y avait d’antan avec même une avance Le 4 Avril, même chiffre,
pas d’amphi assez grand pour de 20%. 3.000.000 de personnes dans
tenir les assemblées générales. les rues ! Le 10 Avril nous som-
Ce qui marque un véritable inté- Le 29 Mars, 500.000 étudiants mes tous rappelés dans nos
rêt des étudiants pour le CPE, dans les rues et 69 universités sections où nous apprenions le
même les non-grévistes ve- bloquées donnent tout de suite retrait du CPE, la fête pouvait
naient à ces assemblées dans le ton. Les hommes politiques commencer. Mais cela ne si-
le but de faire entendre leur voyant aussi leurs élections gnifiait pas qu’il faille relâcher la
voix, ce qui se faisait dans le approcher (présidentielles et lé- pression, du moins pas avant le
calme. gislatives), ce mouvement était vote parlementaire du 12 Avril.
une source de voix à prendre. De plus les universités devaient
800.000 jeunes dans les rues Que ce soit François Bayrou voter d’elles mêmes la fin du
de Paris le 7 Mars, et le 10 ce ou encore Olivier Besancennot mouvement. Le 12, les mem-
sont 45 universités en grève qui prétend avoir le mouve- bres du Bureau National de
dont Paris IV – Sorbonne. Mais ment avec lui et veut même le l’UNEF se rendirent au Parle-
cette dernière fut prise d’assaut diriger. Ségolène Royale arriva ment pour assister au vote, cer-
par les CRS après des combats même au Bureau National en tains députés n’hésitèrent pas à
de couloirs avec des tables compagnie de plusieurs camé- insulter Bruno Julliard en pleine
renversés faisant guise de bar- ras. Nicolas Sarkozy fit aussi séance. Le 13, à Matignon ou
ricades la Sorbonne fut perdue parler de lui en affirmant qu’il ne se trouve les bureaux du pre-
en une nuit. M. De Villepin ré- soutenait pas le CPE ni même mier ministre nous recueillîmes
pondra : « j’entend ceux qui ma- les décisions du gouvernement des propos qui nous ramenaient
nifestent, mais j’entend aussi dont il faisait alors partie. à notre statu de vainqueurs  :
ceux qui ne manifestent pas ». « Vous avez gagnés, nous
En gros parler pour ne rien dire, Je reviens en arrière pour parler avons perdus, maintenant il faut
d’autant plus que les autorités du 28 Mars… 3.000.000 de per- voir ce que nous faisons par la
compétentes firent semblant de sonnes dans les rues, 3 millions suite…  »
ne pas nous entendre. ce n’est pas rien. C’était digne
d’un cortège de Saint V avec Restait le processus de déblo-
500.000 jeunes le 16 Mars, puis les chars, la musique et le reste cages des universités qui fut
1.5 millions le 18 Mars et une mixé à un défilé du 21 Juillet plus ou moins long, Rennes II
opinion publique favorable font avec les flots de drapeaux di- fut mobilisée encore un mois
que le gouvernement ne peut vers et variés. Le sentiment après la victoire, pour ma part
plus être sourd, mais dans un d’invincibilité nous gagnait. Le j’assistais à la démobilisation de
même temps il sait aussi que 31 Mars, le président Chirac nos nombreux membres. Mal-
les élections ne sont pas loin. décide de promulguer la loi sur gré les règlements de compte
Dans un même temps, le 21 le CPE mais tout en ajoutant avec les extrémistes de gauche
Mars, ce sont aussi les élec- qu’elle ne doit pas être appliqué. et de droite qui finirent encore
tions syndicales étudiantes, or Ce qui n’empêche pas Julliard durant quelques semaines en
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batailles rangées, la paix revint


pour un bon moment jusqu’au
prochain mouvement. Pendant
plusieurs semaines nous fêtions
aussi notre éclatante victoire et
notre fierté d’appartenir à un tel
mouvement.

Certes la France à une tradition


de « frondeuse » mais parfois il
faut savoir défendre ses droits
et non jouer la carte de la rési-
gnation. Beaucoup disent : « je
ne suis pas concerné… », Mais
la réalité est toute autre, bien
entendu que le CPE concernait
tout le monde. On peut ne pas
être d’accord avec les moyens
de l’action mais il faut combat-
tre unis, et lancer des réflexions
diverses.

Si tout le monde reste dans


son coin, on ne peut pas faire
avancer les choses, si c’était le
cas dans l’Histoire les grandes
avancées sociales, intellec-
tuelles et politiques n’auraient
jamais eu lieues, que ce soit la
Révolution Française avec les
droits de l’Homme, l’abolition de
l’esclavage ou encore la lutte
contre les grands régimes tota-
litaires du XXème siècle, et bien
d’autres choses.

Si nous n’avions pas bougés,


les choses auraient été bien dif-
férentes et actuellement les étu-
diants français se plaindraient
de notre inaction, car cette lutte
fut avant tout une victoire déci-
sive et superbe prouvant que
les étudiants peuvent faire plier
des gouvernements. n
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éCONOMIE & SOCIéTé
P o u v o i r . . . « d ’ a c h a t » ?
Pauline Forges et Gilles Maufroy
les syndicats d’engager plus levée par le capital pour garan-
vigoureusement le rapport de tir le profit. Le remplacer par le
forces avec le gouvernement pouvoir d’achat équivaut à nier
et le patronat. Nul ne sait en ce cette dimension de rétribution
début de novembre si ce sera légitime, et à la faire passer
le cas. Mais avant même d’agir, pour un «pouvoir»!
il faudrait remettre en cause
cette appellation de «pouvoir Promettre d’augmenter le pou-
d’achat» qui ne conduit pas à voir d’achat n’oblige pas à pro-
conscientiser les travailleuses/ mettre une augmentation des

A
la radio, à la télé, dans eurs et la jeunesse et est récu- salaires- car augmenter le pou-
les journaux, les pro- pérée avec facilité par les do- voir d’achat des uns est aussi
grammes politiques, minants. possible par l’endettement (ce
à gauche, à droite... Partout, qui nous mène à la crise des
les mêmes mots: «pouvoir Acheter représente-t-il un «subprimes») ou en baissant le
d’achat». Et le même men- quelconque pouvoir? Telle est prix des produits, donc en s’at-
songe. la question. Acheter des soins taquant aux salaires des autres!
de santé, un toit pour vivre, des C’est d’ailleurs ce que font en
Le 6 octobre, les syndicats ont livres pour étudier... Peut-on ce moment même les patrons
organisé une journée d’action sincèrement tout mettre dans de la grande distribution en
nationale pour le «pouvoir le même sac sous le vocable Belgique, suscitant d’ailleurs
d’achat» à destination du gou- du pouvoir d’achat? Si l’on des grèves chez Carrefour, qui
vernement Leterme-Reynders. veut se nourrir, se loger, se nous bombarde pourtant d’af-
Ce n’était pas une grève géné- vêtir, il s’agit d’une nécessité, fiches promotionnelles qui ga-
rale comme en 2005 mais les en dehors de toute perspective rantissent que cette firme nous
grèves étaient couvertes par marchande. De nombreux lin- donne un plus grand...pouvoir
un préavis national. Cet entre- guistes s’accordent à constater d’achat.
deux était le fruit du compromis qu’un changement de voca-
entre les directions syndicales bulaire induit un changement Le fait que cette expression ait
de la FGTB et de la CSC (tra- dans la vision des choses. Et été lancée par la publicité mon-
ditionnellement plus «molle», que désigne exactement le tre d’ailleurs bien l’incitation
au niveau national). Les reven- pouvoir d’achat? Assaisonné à à la consommation que repré-
dications étaient notamment toutes les sauces, il masque en sentent ces deux mots accolés.
la diminution de la taxe sur les fait une série d’autres notions Ils exercent une fascination sur
produits énergétiques de 21 à bien plus claires, comme le sa- les gens, leur donnent envie de
6%, une hausse des allocations laire ou la pauvreté. Surtout, et posséder...pour augmenter leur
sociales et le remboursement c’est en cela que c’est utile aux «pouvoir». Remplacer le pou-
des frais de transports. On se riches et aux puissants, il éva- voir du peuple par le pouvoir
souvient qu’en juin dernier ce cue la question de la répartition d’achat, c’est une des phases
sont 100000 travailleurs qui des richesses...et du pouvoir. ultimes de la réduction de no-
ont manifesté dans toute la tre société à la consommation.
Belgique: ces manifestations Le pouvoir d’achat, il y a quel- Pour certains, tout s’achète,
décentralisées n’ont pas eu ques années, n’était encore même le pouvoir: il suffit de
plus d’effet que les actions du qu’une formule de slogans pu- jeter un oeil sur la politique de
6 octobre. Aujourd’hui, la crise blicitaires ou d’économistes. Berlusconi ou de Bush... Et si
du capitalisme financier, illus- De quoi parlait-on avant? Du Nicolas Sarkozy de Nagy-Böc-
trée de manière spectaculaire salaire, par exemple, qui consti- sa n’est pas, comme il l’avait
dans les mass media, et les tue la rémunération de la force promis, le «président du pou-
négociations pour le prochain de travail, incomplète puisque voir d’achat», c’est parce que
accord interprofessionnel sont l’autre partie des richesses pro- réaliser cette promesse serait
sans doute l’occasion pour duites par le travailleur est pré- contraire à son programme et
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très riches, les pauvres très Suez-Eletrobel ) et a effectué


pauvres, et les revenus inter- une série de régularisations...
médiaires ressentent de plus des fraudeurs fiscaux. Il a aussi
en plus la pression de ce mou- créé une série de déductions
vement et la précarité qui en fiscales favorables aux plus ri-
découle. La Commission euro- ches. Et tout cela avec l’accord
péenne s’est ainsi récemment du Parti «socialiste» (que nous
inquiétée de la répartition de rebaptiserons PT- parti des
la richesse entre le «capital» Tartuffes), au gouvernement
(actionnaires, propriétaires, depuis 1988. Les possédants
rentiers et investisseurs) et le les remercient.
«travail» (allocataires sociaux
et salariés). Depuis trente ans, Les salaires sont indexés en te-
cette répartition se fait du se- nant compte d’un coût de la vie
cond vers le premier. «standard». Mais, outre le fait
qu’il n’inclut pas les prix de
En Belgique, au début des an- l’essence et du tabac, ce coût
nées ‘70, les revenus du travail n’accorde pas une importance
représentaient 68% du Pro- réaliste aux biens dont dépen-
duit Intérieur Brut (22% pour dent les plus pauvres (le loge-
le capital, 10% pour l’Etat). ment compte pour 6% dans
aux intérêts qu’il défend.
Aujourd’hui, ils comptent pour la répartition théorique des
moins de 60% (35% pour le dépense des ménages prise
«Le pouvoir d’achat diminue».
capital, 5% pour l’Etat). Cela en compte pour calculer l’in-
Traduction: les inégalités et la
représente un transfert de près dex!). Les salaires ne suivent
pauvreté s’aggravent.
de 40 milliards d’euros de l’Etat pas. Logique. Mais celui ou
et des salariés/allocataires vers celle qui gagne 4000 euros par
Que les prix augmentent, c’est
le capital. Tout cela grâce à mois et possède son logement
logique et habituel. Tant que
une politique fiscale ultralibé- ne souffre pas vraiment de ce
les salaires et allocations socia-
rale favorable aux nantis. La phénomène. Il peut s’acheter
les suivent, à la limite: «pas de
conséquence saute aux yeux des produits de marque...voire
problème». Mais ces dernières
lorsque nous nous balladons de luxe.
années, ce n’est plus le cas: ils
dans Bruxelles: actuellement,
n’augmentent plus autant que
«en Belgique, 1 personne sur 7 La notion de pouvoir d’achat
les prix, voire baissent comme
est pauvre (14,7%). La pauvreté concerne les riches et le sa-
en Allemagne. Les Egyptiens
concerne les personnes isolées laire comme moyen de survie
s’entretuent pour du pain, les
dont les revenus ne dépassent concerne les travailleurs, tou-
Mexicains manifestent à cause
pas 822 euros par mois et les jours plus pressés comme des
du prix des tortillas... La bais-
ménages (2 adultes et 2 enfants) citrons par les directions des
se des revenus est une réalité
ayant des rentrées inférieures à ressources «humaines». Qu’on
pour les travailleurs des pays
1.726 euros par mois», selon se le dise. La spéculation sur le
du Nord et du Sud. Pourtant,
un rapport récent du SPF Eco- prix de l’énergie, du logement,
jusqu’ici nous connaissions la
nomie (service public fédéral) achève de grossir les poches
croissance économique (ça ris-
. Et la moitié des travailleurs des traders du «capitalisme
que fortement de changer dans
gagne moins de 1500 euros de casino», co-responsables
les mois qui viennent), au ni-
nets par mois. La Belgique n’a avec les gouvernements néo-
veau mondial, se situant autour
pas diminué sa taxation glo- libéraux de ces 25 dernières
de 2% par an en Europe. Nous
bale. Reynders, «l’homme qui années de la crise économi-
étions donc, à vue de nez, de
parlait à l’oreille des riches» (à que, sociale et écologique
plus en plus «riches». Alors, où
moins que ce ne soit l’inverse),  mondiale. Le capitalisme noie
est passé tout cet argent?
comme ses prédécesseurs, a l’immense majorité dans des
diminué l’impôt sur les socié- calculs d’apothicaires dont ils
C’est malheureusement très
tés (surtout en faveur de trans- se passeraient bien. n
simple: dans la poche des plus
nationales prédatrices comme
aisés. Les riches deviennent
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Compte-rendu commenté de la conférence-débat


L a s é cur i t e
à B ru x elles
organisé par les JS de Jette et le Cercle des Etudiants Socialistes de l’ULB le 29 octobre
2008 dans la salle de spectacle du centre culturel de Jette

Mounir Laarissi
et les jeunes issus de l’immigra- cette problématique. Les politi-
tion. ques, au lieu de s’attaquer aux
causes de l’insécurité, se com-
La question de la responsabilité plaindraient dans des réponses
des jeunes a été au centre de faciles et peu constructives qui
son discours. Les jeunes sont-ils répondent artificiellement au
responsables de leurs dévian- problème. De fait, le débat est
ces ? Pour sa part, la réponse souvent réducteur et les solu-
était clairement négative. Elle tions offertes étroites comme
déterminait comme causes à la question des caméras de
cette irresponsabilité une série surveillance qui ne règle pas le

N
de facteurs sociologiques com- problème mais le déplace seu-
ous avons eu l’immen- me un taux de chômage juvénile lement.
se plaisir d’inviter Carla énorme qui les empêcherait de
Nagels, docteur en cri- s’intégrer normalement dans la Enfin, Carla Nagels a voulu pro-
minologie, professeur à l’Uni- société et la longévité quasi obli- voquer le public (ou éveiller les
versité Libre de Bruxelles et gatoire du temps d’étude ame- esprits ?) en expliquant que la
auteur de « Jeune et violence nant les jeunes à dépendre de délinquance n’existe pas. Elle
» et « Jeune à perpète ». Cette plus en plus longtemps de leurs serait une construction sociale
conférence a été l’occasion parents. Dès lors, comment la due à l’édification de normes
pour une centaine de person- société pourrait exiger la respon- légales et matérialisée via l’en-
nes de participer, réagir et sabilité de leurs actes si elle ne registrement de plaintes dans le
comprendre une problémati- leur donne pas les moyens de système pénale. En clair, sans
que très présente dans nos les assumer. norme, pas de délinquance.
médias et habituellement mo- La relation fusionnelle « droits- Pour terminer, elle explique que
nopolisée par la droite. devoirs » ne pourrait valoir dans la violence a traversé toutes les
ce cas car sa condition d’exis- époques et des actes considérés
De très nombreux thèmes ont tence, la responsabilité citoyen- comme délinquant aujourd’hui
été abordés tels que le faux rap- ne, fait cruellement défaut. La ne l’étaient pas forcément hier
port entre jeunes et délinquance, dualité « droits-devoirs» n’aurait et ne le seront peut-être pas de-
le rôle important de la banalisa- de sens que dans une optique main.
tion de la violence au travers des tridimensionnelle: «droits-de-
médias sur les comportements voirs-responsabilités». Cette conférence fût suivie d’un
déviants et l’amalgame réalités/ riche débat où la morale princi-
fictions qui, chez les jeunes, in- Le rapport à l’offre politique sur pale tournait autour d’un choc
duit une perte de repères désta- ce thème a également été discu- générationnel inévitable si des
bilisante. Elle a également défait té. La délinquance et l’insécurité mesures n’étaient pas, dès
certains préjugés comme celui seraient des sujets de prédilec- maintenant, mises en place pour
d’une montée inconditionnelle tion pour le monde politique car assurer la transition du retourne-
de la violence juvénile ou encore tous le monde aurait déjà été ment progressif de la pyramide
le lien entre la petite délinquance confronté personnellement à d’âge.
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La conférence comme à son


habitude se termina autour d’un
verre et de débats passionnés
entre nous, avec notre invitée
et nos nombreux hôtes venus
assistés à la conférence.

Je pense, pour ma part, que


les principales sources du «
sentiment d’insécurité » dont,
peu ou prou, nous sommes
victimes viennent directement
et indirectement de l’insécurité
sociale, (dans une nettement
moindre mesure) physique, et
d’un certain sentiment diffus
d’abandons des politiques et
plus largement encore de la
politique. La sécurité sociale et
économique des golden sixties
a laissé place à une relative in-
sécurité pécuniaire et, surtout,
à une peur de l’avenir.

Nous devrions garder à l’esprit


que nous avons tous des com-
portements déviants. Partant du
constat qu’on ne peut éradiquer
la délinquance totalement, ré-
primer de manière punitive les
actes de délinquance ne contri-
bue pas à réduire leur nombre
et de facto ne constitue pas
une réponse à long terme. La
logique punitive et l’accumula-
tion de mesures répressives ne
combattent en rien l’insécurité
globale. social entre les générations et lieu de vengeance sociale où le
les différentes couches sociales délinquant est plongé dans un
Je suis convaincu que c’est à tra- et une éducation qui intègre la univers encore plus violent et
vers l’amélioration de la vie des mixité sociale et culturelle dans plus destructeur que son milieu
gens et une logique préventive ses fondements éducatifs. d’origine. L’enfermement inten-
et éducative que des solutions sifie le malaise et la détresse qui
verront le jour et contribueront à Par ailleurs, tant que la prison sont des vecteurs des compor-
améliorer l’entente et l’harmonie restera la principale modalité tements déviants et défavorise
social en favorisant la réinté- d’exécution des peines, la répres- toute forme de réinsertion.
gration sociale des anciens in- sion accrue de la délinquance
carcérés et des exclus sociaux, ne fera qu’aggraver, sur le long La prison, dans les faits, prépare
les alternatives aux peines de terme, les actes délinquants. davantage à la récidive qu’à la
prison mais aussi le dialogue La prison est, aujourd’hui, un pacification des mœurs. n
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«Un combat qui envisagerait séparément


l’écologie et le social serait perdu d’avance»
Pauline Forges et Gilles Maufroy

plaçais comme objectif absolu j’ai trouvé ma première «ci-


le combat contre les inégali- ble»: le renouveau de l’indus-
tés sociales dans le monde. trie du charbon, une des pi-
J’ai compris que, quelles que res choses qui puissent nous
soient les actions en vue de ré- arriver. Comme la demande
duire les inégalités socio-éco- d’électricité augmente et le
nomiques, elles seraient tôt ou prix du gaz naturel aussi, on
tard annulées par le réchauffe- voit naître de plus en plus de
ment climatique. centrales d’électricité fonc-

M
artin O’Brien, 23 tionnant au charbon.
ans, est étudiant en Je m’explique: on entend tous
sciences politiques les jours que la température N’est-ce pas une ressource
à l’ULB. Très engagé pour la va augmenter de 5 degrés naturelle qui s’épuise égale-
cause écologique, il a décidé, dans les prochaines années, ment?
après beaucoup de réflexion, et on se dit qu’a priori, ça ne
de passer à l’étape supérieu- changera pas grand chose (il Il en reste moins que ce
re: militer de manière active y aura un peu de désertifica- qu’on dit, mais suffisamment
pour la sauvegarde de l’envi- tion, le niveau de la mer aug- pour détruire le monde qu’on
ronnement. Il vient de rentrer mentera légèrement,... bref connait ! Plutôt que d’investir
d’un séjour en Angleterre, où ce qu’on lit dans les journaux dans de nouvelles centrales à
il a participé à des actions tous les jours). Mais en réalité base d’énergies polluantes et
contre l’installation de nou- c’est bien plus grave que ça: amenées à disparaître, il serait
velles centrales d’électricité dans les décennies à venir, plus intéressant d’investir dans
au charbon. Entretien. le réchauffement climatique des énergies renouvelables, et
aura pour conséquences des surtout d’améliorer l’écono-
Comment as-tu commencé à sécheresses énormes, le ni- mie d’énergie (par l’isolation
t’investir pour l’écologie? veau de la mer augmentera de des habitats, par exemple).
manière dramatique, des inon- C’est pour ça que je suis parti
Il s’est écoulé plus ou moins dations seront beaucoup plus en Angleterre.
un an entre le fait de me dire fréquentes, etc.
«Il faut que tu te bouges» et Avec une organisation?
que je me bouge vraiment (ri- Phénomènes qui eux-mêmes
res). C’est difficile se savoir engendreront des famines, Non, tout seul, comme un
par où commencer. des déplacements énormes de grand ! (rires)
populations, et des conflits qui
Ma première grosse prise de éclateront dans des dizaines Et pourquoi en Angleterre?
conscience a été déclenchée de pays pauvres et déjà insta-
par quelques lectures-clé, bles. J’ai appris que des entreprises
comme celles de James Han- privées implantées en Angle-
sen, directeur de l’institut de Concrètement, que fais-tu ac- terre s’apprêtaient à ouvrir huit
climatologie à la NASA. Elles tuellement? nouvelles centrales au char-
m’ont fait me rendre compte bon. Même si ça représente
de la priorité de la question Après plus d’un an de lecture une goutte d’eau par rapport
climatique, alors qu’avant je et de réflexion sur l’écologie, à la Chine, qui en ouvre deux
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par semaine, il est essentiel Il y a aussi les médias, qui re- Les politiques actuelles de-
que l’Angleterre, et l’Europe, layent un regard relativement mandent de diminuer un peu
fassent le premier pas et mon- critique sur le sujet. Mais en la consommation des voitures
trent l’exemple. Sans quoi il même temps, les lobbies des par-ci, quelques petites taxes
serait impossible, et totale- centrales au charbon dispo- sur les énergies par-là. Ce
ment incohérent, de convain- sent d’un accès important au n’est pas sérieux ! La chose la
cre la Chine et les Etats-Unis gouvernement, et créent une plus importante à retenir si on
de signer un moratoire inter- véritable propagande en par- veut vraiment un monde sou-
national sur la construction de lant de «charbon propre», ce tenable, c’est qu’arrivé à un
nouvelles centrales au char- qui est totalement trompeur ! certain niveau de changement
bon. climatique, celui-ci s’auto-ali-
La technologie dont ils par- mente et est irréversible. On
Il existe une alliance de plu- lent, qui théoriquement pour- parle de centaines de millions
sieurs groupes qui militent rait prendre le CO2 émis par de victimes potentielles, non
contre ces projets, dont ces centrales et l’enfouir dans seulement si on ne fait rien,
Greenpeace, le World Deve- le sol, n’existera pas avant mais aussi si on ne fait pas
lopment Movement (WDM) et 20 ans. C’est beaucoup trop assez. Il est donc impératif
beaucoup d’autres. Je les ai tard. Cette propagande ne qu’une limite d’émissions de
rejoints, et j’ai travaillé avec sert qu’à tromper l’opinion CO2 soit fixée et que tout soit
eux pour organiser une mo- publique pour qu’elle accepte fait pour changer notre mode
bilisation autour du sujet. Cet la construction de nouvelles de vie.
été-ci (2008, NDLR), on orga- centrales au charbon classi-
nisera un campement près du ques. Economiser l’énergie (plan
lieu des futures centrales, ac- massif d’isolation), investir
compagné d’actions directes. Que penses-tu de l’écologie dans les énergies renouvela-
telle qu’elle est mise en avant bles, et relocaliser nos écono-
Est-ce qu’il y a de l’espoir en Angleterre mais aussi en mies (rapprocher le produc-
pour que ces centrales Belgique et en Europe en gé- teur du consommateur), sont
n’ouvrent pas? néral ? toutes des choses qu’il faut
faire maintenant.
On a peut-être une chance En général, dans les mondes
de remporter la bataille, pour politique et médiatique, et par C’est un réel effort de guerre
plusieurs raisons: le gouver- extension dans l’opinion pu- dont on a besoin, mais on n’y
nement anglais (travailliste) blique, on peut dire que l’éco- arrivera que si on tient compte
est actuellement déchiré en- logie est vue comme un élé- des inégalités sociales. Il faut
tre une image verte qu’il es- ment en plus à ajouter à notre que l’Etat soutienne les moins
saye de donner de lui-même monde préexistant, peignant aisés dans leur transition vers
et sa politique directe, com- celui-ci en vert sans devoir le une vie soutenable, sans quoi,
plètement à l’opposé de son changer. Le problème avec ce ces politiques ne recevront
discours. Comme sa popula- genre de point de vue, c’est jamais le soutien nécessaire
rité est en chute, il risque de qu’on essaie de réconcilier pour les mettre en œuvre.
perdre des voix au profit des deux réalités incompatibles :
conservateurs, qui ne valent d’une part, notre mode de vie Un combat qui envisagerait
pas mieux mais jouent aussi la actuel basé sur la croissance séparément l’écologie et le so-
carte verte. D’autre part, grâce perpétuelle de biens maté- cial serait perdu d’avance. n
au mouvement social, les ONG riels finis, qui est totalement
exercent tout de même une insoutenable, et d’autre part,
pression sur le gouvernement. un vœu pieux de rendre notre
mode de vie réellement écolo-
gique et renouvelable.
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CONTACT

Composition du Bureau
du cercle des étudiants Socialistes

Président Loris Junod


Vice-présidente Anastasia Demagos
Secrétaire politique Michael Gelender
Trésorier Antoine Masquelin
Coordinatrices Julia Goossens et Lyn Schmitz

Comment nous Joindre ?


Site web ? www.ulb.ac.be/students/es
Mail ? es@ulb.ac.be
Téléphone ? 25 28 (en interne uniquement)
0478/ 711 079 (président)
Adresse ? « Maison de l’Assoc’»
Avenue Buyl n°131
Campus du Solbosch - 1050 Bruxelles

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