You are on page 1of 20

Jacques Houdaille

Alfred Sauvy

L'immigration clandestine dans le monde


In: Population, 29e année, n°4-5, 1974 pp. 725-742.

Citer ce document / Cite this document :

Houdaille Jacques, Sauvy Alfred. L'immigration clandestine dans le monde. In: Population, 29e année, n°4-5, 1974 pp. 725-742.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1974_num_29_4_16340
Résumé
Même lorsqu'elles se déroulent en pleine légalité, les migrations sont, de toutes les variations
démographiques, celles qui se prêtent le moins bien à la mesure, même au simple dénombrement.
Sans être nécessairement clandestines, les sorties échappent d'ailleurs souvent à toute statistique.
Depuis l'entre-deux-guerres et, plus encore, depuis la seconde, l'immigration de travailleurs est
étroitement réglementée. Bien que la sécurité sociale facilite l'application, les infractions à la législation
sont nombreuses, en divers pays, posant divers problèmes économiques, sociaux et politiques. MM.
Jacques Houdaille et Alfred Sauvy présentent et commentent ici quelques donné, sur la législation et
les situations qui se présentent en divers pays.

Abstract
SUMMARY Throughout the world, international migrations flow from poor countries to industrialized
ones. Because of difference in wage levels and working-conditions, migratory pressures are strong; this
makes the application of laws protecting national labour very difficult and leads to illegal migration and
irregular situations. There is a trade in human lives which gives rise to cruelties. It is impossible to give a
global account of illegal immigration throughout the world, but the phenomenon exists in several
countries where there is immigration, especially in France and the U.S.A. The situation is further
confused by a change in the attitude traditionally adopted by public opinion and trade unions. For
various reasons, but mainly because the migrants go in to occupations spurned by native workers,
opposition to free or illegal entry has become somewhat less strong. From a wider point of view, illegal
migration is only one of the consequences of the contrast between the growing wealth of industrialized
countries and the relative accentuation of underdevelopment, a contrast which is also leads to forms of
pressure at other points.

Resumen
RESUMEN Hoy en dia las migraciones internacionales en todo el mundo, se producen desde los
países pobres hacia los países industriales . Debido a las diferencias de salarios y las condiciones de
trabajo se ejerce una intensa presión en las fronteras, ello dificulta la aplacación de leyes que protejan
el trabajo nacionál; como consecuencia de ello se producen migraciones clandestinas , asi como otřas
situaciones irregulares, résulta de esto un tráfico humano que da lugar a crueles abusos. Frente a la
imposibilidad de establecer un balance mundial de las inmigraciones clandestinas , el fenómeno ha
sido descrito en muchos países de inmigraclón, en particular Francia y Estados Unidos. El cambio de
posición en la opinion publica y de los sindicatos háce aun más confusa la situación tradicional. Рог
diver sas razones la o posición a la libre llegada о a la entrada clandestina ha perdido intensidad, sobre
todo por el hecho de que los migrantes son dirigidos hacia actividades abandonadas por los nativos.
Visto desde un piano general, las migraciones clandestinas consti- tuyen una de las consecuencias del
contraste entre la riqueza — en aumento — de los países industriales y la acentuación proporcional del
subdesarrollo.
L'IMMIGRATION CLANDESTINE

DANS LE MONDE

Même lorsqu'elles se déroulent en pleine légalité, les mi


grations sont, de toutes les variations démographiques, celles
qui se prêtent le moins bien à la mesure, même au simple
dénombrement. Sans être nécessairement clandestines, les sor
ties échappent d'ailleurs souvent à toute statistique. Depuis
l' entre-deux-guerres et, plus encore, depuis la seconde, l'immi
gration de travailleurs est étroitement réglementée. Bien que
la sécurité sociale facilite l'application, les infractions à la
législation sont nombreuses, en divers pays, posant divers
problèmes économiques, sociaux et politiques.
MM. Jacques Houd^:1 t.e et Alfred Sauvy présentent et
commentent ici quelques donné*, sur la législation et les situa
tions qui se présentent en divers pays.

I. — INTRODUCTION

Le passage d'une frontière par une personne n'est jamais totalement


libre et suppose, tout au moins, un contrôle de police. Même lorsque le
droit de séjour est très libéralement accordé, il reste la question du
permis de travail. Dès l'instant que des règles existent, des situations
irrégulières peuvent se présenter, en particulier :
— individus entrés en échappant aux contrôles des frontières. Ce
sont les immigrants clandestins;
— individus autorisés à séjourner, mais prolongeant leur séjour
au-delà du temps prévu;
— individus autorisés à séjourner et travaillant contre rémunération
sans y être autorisés;
— individus autorisés à travailler selon un contrat, mais débordant
ce contrat soit en continuant au-delà du délai prévu, soit en exerçant
une profession non autorisée dans le contrat.
Il n'en a pas toujours été ainsi; avant 1914, les mouvements dans
le monde étaient à peu près totalement libres; un contrôle de simple
police existait souvent, mais le travail n'était pas soumis à réglementation.
726 IMMIGRATION CLANDESTINE

Après la guerre, les Etats-Unis ont voté pour la première fois une
loi restrictive (1er juillet 1924, remplacée depuis par la loi du 3 octobre
1965); la France et d'autres pays ont institué la carte de travail.
La tendance générale dans le monde a été de protéger la main-
d'œuvre et de réduire une cause possible de chômage en distinguant
de plus en plus nettement les touristes qui viennent dépenser de l'argent
et les travailleurs qui désirent en gagner.

La pression La liberté qui existait au début du siècle se justifie


sur les frontières. ou, du moins, s'explique, non seulement par le
fait que le souci de protéger la main-d'œuvre
était beaucoup moins accentué qu'aujourd'hui, mais aussi parce que les
mouvements étaient moins importants, du moins en Europe et que la
pression sur les frontières était moins forte.
La pression actuelle sur les frontières des pays riches résulte, en
effet, de divers facteurs :
— la différence de niveau de vie entre pays de développement inégal
s'est accentuée; depuis la guerre, en particulier, l'expansion rapide des
pays industriels se fait à des rythmes allant de 3 à 6 % par an, inconnus
jusque-là, de façon durable, le rythme de progression de la production
par habitant ne dépassant pas jusqu'alors 1 ou 2 % par an.
Chaque année, la différence s'accentue entre pays développés et pays
peu développés, en particulier sur les salaires et les conditions de vie.
— les communications sont bien plus intenses. Non seulement existe
une amélioration physique (nombre et vitesse des avions, par exemple)
mais la connaissance des possibilités est bien plus répandue.
— la population s'accroît, dans les pays peu développés, à un
rythme inédit avoisinant souvent 3 % (Maghreb et particulièrement
l'Algérie, Mexique, Amérique centrale, Turquie, etc.), d'où difficultés
importantes d'emploi.
— les travailleurs des pays riches abandonnent de plus en plus
largement les métiers les plus pénibles ou les plus mal rémunérés, ce qui
crée des vides, d'un côté de la frontière.
— enfin la sécheresse de ces dernières années en Afrique a encore
accru le besoin des populations sinistrées.
Ainsi, le passage des frontières est de plus en plus avantageux et de
plus en plus réglementé.

Le sens du mouvement. La plupart des migrations internationales se


font aujourd'hui du pays le moins riche vers
le plus riche. Le phénomène est à peu près général dans le monde.
DANS LE MONDE 727

— En Europe, non seulement une telle migration est ou a été


intense, dans les pays industriels d'Europe occidentale, mais elle s'observe
aussi, depuis une date plus récente, dans les quatre pays non socialistes
d'Europe du Sud, sous des formes et à des titres divers (Noirs du Cap
Vert au Portugal, Algériens en Espagne, Tunisiens en Italie, Egyptiens,
Soudanais et même Ethiopiens en Grèce). Ces pays n'en restent pas
moins des pays d'émigration, vers des pays plus riches.
— En Afrique, le mouvement s'observe, en particulier dans les cas
suivants :
En Côte-d'Ivoire, affluent des Voltaïques, Dahoméens, Maliens,
Guinéens et même Ghanéens.
En Libye, entrent des Tunisiens et des Egyptiens, depuis l'impor
tancedu pétrole.
En Afrique du Sud, un courant de migrations est observé du Bots
wana, du Lesotho et même de Tanzanie, pays indépendants et aussi du
Transkeï (république d'une certaine autonomie), vers le Transvaal.
— En Amérique, deux pays principaux d'immigration, en dehors
du Canada :
En Argentine, les immigrants ne viennent plus d'Europe, mais du
Paraguay, du Chili (avant même le coup d'état), de Bolivie et d'Uruguay.
Aux Etats-Unis, l'immigration de provenance mexicaine et centre-
américaine (en dehors même de Porto-Rico) est fortement freinée, comme
nous le verrons plus loin.
— En Asie, Koweit et Singapour reçoivent des immigrants, attirés
les uns par la richesse du pétrole, les autres par l'industrie. Sans l'inte
rdiction prononcée, une immigration importante aurait lieu vers le Japon
(Hong-Kong, Corée du Sud, Formose).
— En Australie, les migrants viennent de pays européens, d'un
niveau économique plus bas, mais l'immigration est sévèrement régle
mentée.

II. — L'IMMIGRATION CLANDESTINE EN FRANCE

Jusqu'en 1932, l'entrée et le séjour en France sont restés libres, en


dehors de quelques formalités de police. A ce moment, le chômage
croissant a provoqué une réaction contre l'établissement en France des
travailleurs étrangers et des mesures de protection et de restriction ont
été prises :
— dans les diverses branches de l'industrie et du commerce, ainsi
que dans l'exécution de marchés de travaux publics, une certaine pro-
728 IMMIGRATION CLANDESTINE

portion d'étrangers fixée par décret, ne doit pas être dépassée (loi du
10 avril 1932). La loi du 27 avril 1940 a substitué des arrêtés aux
décrets :
— l'étranger doit obtenir une carte d'identité de travailleur (décrets
du 6 février 1935, du 2 et du 14 mai 1938) délivrée par le ministère
du Travail, aux seuls étrangers pourvus d'un contrat de travail. L'autori
sationde travailler ne vise qu'une profession et est délimitée géogra-
phiquement.

L'Office National Après la guerre, une double tendance s'est mani-


d'Immigration. festée l'une pour apporter aux immigrés des
gements divers, l'autre, venant principalement des
syndicats, pour soustraire l'immigration à l'autorité patronale et créer
un organisme d'Etat.
L'immigration clandestine, en provenance d'Espagne et d'Italie, avait
déjà pris une certaine intensité. De temps en temps étaient même signalés
des drames de personnes ou de familles ayant péri dans la neige, sans
atteindre leur but.
L'ordonnance du 2 novembre 1945 (venant neuf jours après celle
qui a créé Ylnstitut National d'Etudes Démographiques) a visé à régu
lariser l'immigration. Ses principales dispositions sont :
— dissociation du titre de séjour et de l'autorisation de travailler
professionnellement;
— création d'un Office national d'immigration, rattaché au ministère
du Travail.
La création effective de cet office résulte du décret du 28 mars
1946.
L'autorisation de travailler donnée à un étranger ne porte que sur
une profession ou un groupe de professions déterminées. L'étranger
qui entre en France doit avoir, au préalable, été autorisé, par VOffice
National d'Immigration, qui s'assure de l'attribution d'un emploi.

Evolution depuis 1946. Le principe de l'immigration sous le


trôle de l'ONI a été maintenu, mais deux
importantes dérogations ont été consenties après 1960 :
— les ressortissants du marché commun peuvent entrer et travailler
librement;
— l'entrée des travailleurs venant d'Algérie et de certains pays
d'Afrique est réglementée par des accords directs avec les gouvernements.
En dehors de ces deux cas, la procédure, assez lourde et souvent
longue, de l'Office National d'Immigration a été de plus en plus évitée
dans la pratique; l'immigration clandestine, qui n'avait jamais totalement
DANS LE MONDE 729

cessé, est devenue plus importante, en particulier d'origine portugaise.


C'est seulement après l'entrée en France et même la prise de l'emploi
qu'une demande était formulée auprès de l'office, le plus souvent par
l'employeur, pour régulariser la situation du travailleur.
D'autre part, des travailleurs sont restés en France, après l'expi
ration de leur autorisation, créant une nouvelle catégorie d'étrangers,
en situation irrégulière.
Les inconvénients de l'immigration clandestine, en dehors même des
risques de chômage ou des charges pour le pays d'accueil, ont été souvent
dénoncés :
— les passeurs (Espagne, Portugal, Afrique) demandent aux clan
destins des sommes très élevées, pour leur assurer le passage de la
frontière, terrestre ou maritime. On a signalé que des rabatteurs africains
exigent de 80 000 à 150 000 francs CFA soit de 1 600 à 3 000 francs
français, les passeports servant plusieurs fois. En outre, des carnets de
vaccination sont cédés aux migrants. Enfin, les conditions de passage
donnent lieu à des abus particulièrement criants;
— le travailleur en situation irrégulière entré clandestinement se
trouve sous la dépendance plus étroite de son employeur, qui en abuse
souvent, il ne bénéficie pas de la Sécurité sociale et n'est pas en règle
pour l'octroi d'un logement.
Le pourcentage des entrées irrégulières est passé de 26 %, en 1948,
à 82 % en 1968. Il était encore accru, pour les Portugais, par l'inte
rdiction de sortir de leur territoire.
La circulaire du 29 juillet 1968 a, en quelque sorte, codifié la
procédure de régularisation. Elle s'exprimait notamment ainsi :
« L'importance de l'immigration des travailleurs étrangers venus en
France par leurs propres moyens, pour y trouver un emploi, a continué
de s'accroître au point de représenter, pour les six premiers mois de
l'année 1968, 83 % de l'immigration totale.
« Cette situation ne peut être considérée comme normale... car elle
prive le service de la main-d'œuvre de tout moyen d'action réel pour
faire respecter la priorité du marché national de l'emploi et ne donne
au travailleur étranger qui se déplace aucune garantie de placement.

« Compte tenu de la situation de l'emploi dans chaque département


et région de programme, et notamment des prévisions d'embauchage ou
de licenciement, ainsi que des listes de chômeurs secourus et des demand
eurs d'emploi inscrits (travailleurs français et étrangers), il sera établi,
au moins une fois par trimestre, pour chaque département et après
consultation du directeur régional, une liste des métiers excédentaires
en main-d'œuvre, ne pouvant donner lieu à régularisation...
730 IMMIGRATION CLANDESTINE

« ...Cette communication... permettra au service des étrangers de


refuser les autorisations de séjour aux migrants n'ayant aucune chance
de trouver un emploi dans la circonscription.
« ...lorsque les besoins exprimés par les entreprises dans ces caté
gories ne pourront être satisfaits par la main-d'œuvre nationale, la régu
larisation doit être exclue ».
Suivent des instructions concernant la régularisation.
Le nombre de situations irrégulières n'en a pas moins augmenté
d'année en année.
La circulaire du 23 février 1972, dite « circulaire Fontanet », a visé
à revenir à l'application de la loi et prévu la régularisation des étrangers
en contravention avec elle ou du moins de certains d'entre eux.
Elle a rappelé notamment l'article 64 du livre II du Code du travail,
ainsi libellé :
« II est interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son
service un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité
salariée en France, lorsque la possession de ce titre est exigée en vertu,
soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou
accords internationaux ».
« II est également interdit à toute personne d'engager ou de con
server à son service un étranger, dans une catégorie professionnelle, une
profession ou une zone géographique autres que celles qui sont ment
ionnées, le cas échéant, sur le titre prévu à l'alinéa précédent ».
Les instructions données le 13 juin 1973, sur les étrangers en situa
tion irrégulière entrés en France avant le 1er juin 1973, prévoient, soit un
sursis de 3 mois, soit une possibilité de régularisation sous certaines
conditions (contrat de travail notamment).
Les instructions ministérielles du 26 septembre 1973 rappellent
l'objectif poursuivi : « il s'agit d'abord d'empêcher que se développe à
nouveau une immigration clandestine qui se trouverait encouragée par
les pratiques d'un certain nombre d'employeurs disposés à embaucher en
violation de la réglementation en vigueur, des travailleurs étrangers en
situation irrégulière.
« Mais il faut aussi protéger les travailleurs étrangers contre les
différentes formes d'exploitation dont ils peuvent faire l'objet, sur le
plan de la rémunération, des conditions de travail, de la protection
sociale et du logement. Les mesures transitoires ont pris fin le 31
octobre ».
La situation en 1973 est traitée de façon plus précise, dans la
chronique de l'immigration, dans ce même numéro.
Fin juin 1974, l'immigration des travailleurs étrangers a été
suspendue.
DANS LE MONDE 731

Nombre des entrées Ces nombres sont fort difficiles à évaluer. Le


clandestines et des recensement ne peut guère donner d'indication.
situations irrégulières. Non seulement il remonte à 1968, mais de
nombreux irréguliers ne doivent pas se faire
recenser. En outre, l'incertitude sur le nombre de départs rend vain un
calcul différentiel. D'autre part, un contrôle individuel est interdit et
couvert par le secret du recensement.
Le 19 février 1974 le Ministre du Travail, de l'Emploi et de la
Population a annoncé qu'environ 38 500 dossiers pour la régularisation
ont été déposés, venant des nationalités suivantes :

Tunisiens 48.2
Marocains 20.0
Portugais 12.8
Turcs 5.2
Yougoslaves 4,7
Divers 9.1
Total 100.0

11 972 habitaient la région parisienne et environ 13 000 la région


méditerranéenne. Un sondage a permis d'évaluer la répartition par
profession :
Bâtiment et travaux publics 50.2 Professions domestiques 0,6
Agriculture et forestage 22,1 Divers 11,2
Métallurgie 7.8
Total 100,0
Autres industries 8,1

Le nombre 38 500 est certainement très inférieur à la totalité des


travailleurs en situation irrégulière.

La pression sur la frontière. La pression qui s'exerce sur la frontière


française résulte essentiellement :
— des différences de salaires entre la France et les pays d'immig
ration,
— de la possibilité de trouver du travail,
— des conditions mêmes du travail.
La mesure des seules différences de salaires est assez délicate. Si
l'on estime que les salaires français horaires sont, disons 8 à 10 fois
supérieurs aux salaires en Afrique du Nord (d'après les cours du change),
la prise en considération des prix dans les deux pays peut réduire quelque
peu ce rapport; mais cette différence des prix ne joue pas, pour la partie
du salaire que le travailleur entend rapatrier.
732 IMMIGRATION CLANDESTINE

La probabilité de trouver du travail entre aussi en ligne de compte,


que le travailleur soit urbain ou rural.
De toute façon, la différence est suffisamment forte pour provoquer
un vif désir de venir, suffisamment forte aussi pour donner aux passeurs
ou intermédiaires une importante possibilité de profit; ils font valoir, en
effet, aux clandestins désemparés que le prix du passage sera vite récu
péré.
Etant presque assurés de l'immunité, s'ils vivent à l'étranger et
frappés de peines assez légères s'ils vivent en France, les passeurs et
trafiquants exploitent les difficultés de ces travailleurs et leur désir
extrême de traverser la frontière. Ils font revivre, dans certains cas, des
conditions de transport très sévères que l'on pouvait croire d'un autre
âge.
Le nombre des hommes chargés de surveiller la frontière dans ce
domaine s'élève de 350 à 500. Des patrouilles circulent dans la montagne
et les gares donnent lieu à un filtrage assez rigoureux, mais néanmoins
imparfait.
Comme il arrive souvent, pour des trafics illicites, des accidents de
la route permettent, de temps à autre, de découvrir des filières de
passages clandestins, comme aussi les rigueurs que peuvent subir ces
hommes dépourvus de tout secours, qu'il s'agisse de transports par terre
ou par mer. Des noyades ont été signalées dans la Bidassoa. Les nouvelles
colportées à ce sujet sont cependant bien difficiles à vérifier.

Conflit de forces. L'opinion avant la guerre, et notamment les


dicats, ne voyaient qu'avec une certaine appréhen
sion l'entrée des travailleurs étrangers jugés susceptibles de créer du
chômage ou de faire baisser les salaires. En particulier, pendant les
années trente, marquées par la crise économique, les mesures de protec
tionprises ont contraint des centaines de milliers d'étrangers à revenir
dans leur pays, où cependant, les chances de trouver du travail étaient
problématiques.
Telles étaient la crainte du chômage et la méconnaissance des méca
nismes de l'emploi que lorsque 400 000 Catalans et autres Espagnols ont
franchi la frontière à la suite de la prise de Barcelone par les franquistes
en 1939, ces immigrants, clandestins par force, ont été placés dans
des camps, dans des conditions médiocres, et n'ont pas reçu l'autorisation
de travailler.
Du fait de l'évolution des esprits, et sans doute aussi, du climat
inflationniste, la situation est aujourd'hui profondément différente : l'appli
cation même de la législation, conçue en vue de protéger la main-
d'œuvre nationale, se heurte à une certaine opposition. Ce changement
DANS LE MONDE 733

résulte, pour une large part, du fait que les travailleurs étrangers sont
le plus souvent affectés à des tâches que les nationaux n'entendent plus
exercer.
L'épisode le plus caractéristique, peut-être, s'est produit en mars-
avril 1974 : des Pakistanais et des Mauriciens (400 et 1 500 respect
ivement selon le Comité de défense des droits et de la vie des travailleurs
étrangers, mais ces chiffres sont sans doute, très supérieurs à la réalité)
sont entrés par avion, sans titres réguliers, sur la foi de renseignements
très optimistes et après avoir payé à des passeurs des sommes très élevées.
Pour les premiers qui ne parlaient pas français, et guère plus souvent
l'anglais, il s'agissait d'annonces parues, plusieurs jours de suite,
dans le Pakistan Times, en février 1974. Après de vifs incidents, le
gouvernement a dû céder, en donnant aux clandestins le choix entre le
rapatriement gratuit et une autorisation de travailler en dérogation excep
tionnelle à la législation.
De façon générale, une opposition se manifeste à la législation venant
des organisations, nationales ou étrangères, défendant les immigrés (n
otamment le Comité de défense des droits et de la vie des travailleurs
immigrés et le Groupe d'information et de soutien aux travailleurs im
migrés (G.I.S.T.I.). Cette opposition se manifeste notamment à l'égard
du contrat de travail qui accroît la dépendance du travailleur, vis-à-vis
de l'entreprise. Ainsi à la pression extérieure exercée sur la frontière ne
répond plus comme autrefois, la pression intérieure traditionnelle. Nous
allons retrouver, de façon plus nette encore, une telle situation aux
Etats-Unis, à une échelle plus grande.

III. — L'IMMIGRATION CLANDESTINE AUX ETATS-UNIS (1)

On estime à 35 millions le nombre des Européens, qui, de 1800 à


1914, ont émigré vers les Etats-Unis, sans esprit de retour, attirés par
les hauts salaires et l'abondance des terres. L'entrée du territoire était
alors libre. Au lendemain de la première guerre, le mouvement a repris,

f1) Pour les Etats-Unis, ont été consultées les sources suivantes :
Richard Severo : The flight of the wetbacks dans The New York Times Magazine
10 mars 1974.
René Duchac : La sociologie des migrations aux Etats-Unis, Paris 1974.
Deborah P. Klein : Status of men missed in the census, Monthly Labor review, mars
1970, 26-48.
Anna Stina Ericson : Impact of commuters across the Mexican Borders, ibid,
août 1970.
Nous avons également consulté le numéro juin 1968 de cette même revue, sur
les travailleurs ruraux aux Etats-Unis et les Annuaires statistiques du Mexique
et des Etats-Unis.
734 IMMIGRATION CLANDESTINE

mais a été fortement réduit par l'application de la loi réglementant


l'immigration (3 juin 1921 et 1er juillet 1924). Dans les pays disposant de
larges quotas (Angleterre, Suède etc.), les individus ne cherchaient plus à
émigrer; dans les autres, la loi jouait de façon draconienne. Dans la
seule année 1926, 10 000 immigrants clandestins furent expulsés.
Aujourd'hui, malgré une moindre vigilance des autorités d'immig
ration, les Etats-Unis ont cessé d'être un pays d'accueil pour les Euro
péens besogneux.
En revanche, selon la loi observée dans le monde entier (le pauvre
va vers le pays industriel), ils attirent de plus en plus les voisins du
sud, Mexicains et habitants de l'Amérique centrale, lesquels se distinguent
d'ailleurs mal des Portoricains, dont l'entrée aux Etats-Unis n'est soumise
à aucune restriction.

Historique. 163 000 personnes nées au Mexique ou de parents mexi


cains ont été dénombrées en 1910 et 892 000 en 1950.
En 1970, il y avait 760 000 personnes nées au Mexique et 1 579 000
nées de parents mexicains.
Les estimations fondées sur les noms de consonnance hispanique,
dans les états du sud-ouest et du sud, dépassent 5 millions. Parmi ces
personnes, figurent, bien entendu, des descendants des Hispano-mexicains
établis dans les états annexés par les Etats-Unis en 1848, dont la popul
ation n'atteignait pas alors 500 000 habitants et ne comptait qu'une
minorité d'hispanophones (1).
L'écart de 3 millions entre le recensement et l'estimation fondée sur
les noms de famille témoigne de la forte fécondité des Mexicains aux
Etats-Unis, tout en indiquant que la longue frontière qui sépare le
Mexique des Etats-Unis est loin de constituer un obstacle infranchissable.
Jusqu'en 1921 d'ailleurs, elle n'était pas gardée. En 1924, l'application
de la loi réglementant l'immigration a comporté l'établissement de
patrouilles, 450 policiers étant chargés de surveiller la région frontalière.
La crise économique des années 30 provoqua le retour de nombreux
Mexicains vers leur pays, où les conséquences sociales de la Révolution
de 1910 commençaient à se faire sentir. Mais les fermiers du sud-ouest
des Etats-Unis appréciaient cette main-d'œuvre peu exigeante. Lors de
la seconde guerre, un accord entre les deux gouvernements a réglementé
l'entrée de « braceros » (ouvriers agricoles). Un premier convoi de 1 500
arriva en Californie en septembre 1942. Ces migrations de travailleurs

(1> Au début du xixe siècle, il y avait outre les Indiens, 20 000 habitants au
Nouveau Mexique, 4 000 au Texas et 3 000 en Californie. On comptait en outre
10 000 Indiens au Nouveau Mexique et 20 000 en Californie, ce chiffre n'incluant
pas ceux qui n'avaient pas été convertis au catholicisme. Voir C. Chapman, History
of California, New York 1921, p. 283.
DANS LE MONDE 735

saisonniers devaient prendre fin le 31 décembre 1947, mais à la demande


des employeurs, le gouvernement américain les autorisa jusqu'en 1964.
Dès le début cependant, le nombre de Mexicains désireux d'aller
travailler aux Etats-Unis dépassait largement les contingents autorisés.
Dans les années 50, furent constituées des équipes chargées d'appréhender
les « wetbacks » (« dos mouillés », ainsi appelés, parce que certains
franchissaient à la nage le Rio Grande).
La nouvelle loi sur l'immigration, votée en 1965, ne changea guère
cet état de choses. Les pays du continent américain sont autorisés à
fournir au maximum 120 000 immigrants par an. Au cours de 1972,
64 000 Mexicains seulement sont entrés légalement aux Etats-Unis. Il
s'agit surtout de travailleurs qualifiés et de personnes dont les enfants
sont nés aux Etats-Unis. Depuis longtemps en effet, de nombreuses
Mexicaines viennent aux Etats-Unis, pour y donner naissance à un de
leurs enfants, ce qui leur confère une situation privilégiée en termes
d'immigration ou de naturalisation. On évalue à 20 000 le nombre des
Mexicains nés aux Etats-Unis, ou dont les parents y naquirent, qui
viennent travailler chaque jour du côté américain, sans pour autant parler
anglais couramment.
En outre, quelque 50 000 frontaliers sont autorisés chaque jour à
passer la frontière, sur présentation d'une carte spéciale (carte verte).
D'après une enquête faite en 1967, la répartition professionnelle était la
suivante :
Agriculture 40
Manœuvres d'industrie 9
Commerce 8
Hôtellerie et restauration 6
Autres ou mal classés 37
Total 100

Dans les villes frontières, El Paso, Laredo, San Ysidro, les services
domestiques sont ainsi assurés, en grande partie, par des Mexicaines.

Les différences de salaires. Les différences de salaires entre les deux


pays expliquent le désir de nombreux
Mexicains d'aller vivre aux Etats-Unis. En 1965, le salaire horaire moyen
dans l'industrie mexicaine s'élevait à 6 pesos environ (soit 2,40 F), alors
qu'il dépassait en général 2 dollars et demi aux Etats-Unis (12,40 F).
Les salaires agricoles américains, moins élevés que dans l'industrie,
varient beaucoup d'une région à l'autre. A Mexico, une aide-ménagère
est « bien payée », lorsque nourrie et logée, elle gagne l'équivalent de
16 dollars par mois. En province, les salaires sont encore plus bas. Dans
736 IMMIGRATION CLANDESTINE

le Nord du Mexique, région socialement avancée, le salaire journalier


d'un ouvrier agricole ne dépasse guère 2 dollars et demi.

Le mécanisme du passage. Le passage clandestin de la frontière est


devenu plus difficile du fait de l'amélio
rationdes systèmes de détection. Les Mexicains et les citoyens de pays
d'Amérique centrale s'adressent le plus souvent à des contrebandiers
spécialisés dans ce trafic. Le prix du passage peut atteindre plusieurs
centaines de dollars. L'immigrant voyage en camion, dissimulé sous des
marchandises ou dans la malle arrière d'une voiture.
Les peines prévues contre les contrebandiers de nationalité améri
caine ne dépassent pas, en général 3 mois de prison. Il est, en outre
difficile de trouver des témoins à charge. Un magnat de la contrebande
humaine a cependant été condamné à 5 ans de prison.
Pour les migrants clandestins, le passage de la frontière n'est pas
sans risque. Lorsqu'ils sont pris, ils sont simplement reconduits à la
frontière, mais non sans vexations, ni même sévices. Certains contreband
iers abandonnent d'ailleurs leurs passagers en rase campagne, s'ils
apprennent qu'ils sont repérés par la police. Certains « braceros », dit-on,
partent pour les Etats-Unis sans les atteindre et sans revenir.

Importance Selon le président du syndicat des


de la migration clandestine. vailleurs agricoles, sur 250 000 emplois
dans l'agriculture en Californie, 20 % au
moins sont occupés par des immigrants clandestins. Pour la récolte des
pommes de terre, en Idaho, la main-d'œuvre est mexicaine à 100 %.
Les Mexicains en séjour illégal ne travaillent d'ailleurs pas tous dans
l'agriculture. Les autorités d'immigration estiment à 100 000 le nombre
de ceux qui sont occupés dans les hôtels et les restaurants à Los Angeles,
ville où leur arrestation provoquerait probablement la fermeture de bien
des restaurants réputés.
Pour estimer le nombre des « wetbacks » qui réussissent à s'établir
aux Etats-Unis, on ne peut s'appuyer que sur celui des arrestations pour
séjour illégal. En 1967, le nombre a atteint 200 000 pour les Mexicains.
Parmi eux, figuraient 80 % de personnes entrées sans papier et 14 %
avec un visa temporaire non renouvelé.
M. G. Rochecau du Secours Catholique aux migrants a estimé à
2 millions le nombre de personnes vivant aux Etats-Unis sans autorisation
régulière. Mais d'après le ministère de la Justice, le nombre des étrangers
établis illégalement aux Etats-Unis serait un peu inférieur à un million,
dont un demi-million de Mexicains. Dans ce chiffre sont inclus bien des
personnes entrées avec un visa de touriste ou d'étudiant, mais qui ne sont
DANS LE MONDE 737

pas retournées dans leur pays d'origine, à l'expiration du visa. Il n'est


donc pas étonnant que, malgré les perfectionnements techniques qu'ils
utilisent, les recensements américains sous-estiment la population réelle.
Pour celui de 1960, on évaluait à 98 % la proportion des Blancs recensés,
alors que pour les non-Blancs ce pourcentage tombait à 90 % .

Les attitudes. Les syndicats si puissants aux Etats-Unis sont, dans


l'ensemble, moins nettement hostiles à cette forme
d'immigration qu'à celle des Européens du Sud, il y a une cinquantaine
d'années ou, tout au moins, ils sont plus divisés qu'alors. Un certain
nombre de syndicalistes influents sont d'ailleurs d'origine mexicaine, ce
qui doit les rendre plus compréhensifs. « Pourquoi fermer les frontières
aux hommes, si elles sont ouvertes aux marchandises », a dit l'un d'eux.
Tous n'ont pas cette indulgence, car l'afflux des Mexicains dans certaines
industries (poterie ou matériel de plomb) empêche toute revendication
syndicale. Ce problème se pose d'ailleurs moins pour les ouvriers agri
coles. Du fait de l'exode rural, les patrons sont toujours prêts à accueillir
cette main-d'œuvre, sans laquelle ils devraient abandonner les cultures
(celles des melons en particulier) qui nécessitent une cueillette rapide. Peu
d'Américains sont disposés à s'échiner du lever au coucher du soleil, pour
gagner 2 dollars de l'heure, alors qu'à quelques dizaines de kilomètres
vivent des Mexicains qui en gagnent au maximum 2 ou 3 par jour.
Les syndicats accusent parfois les autorités d'immigration d'un
certain laxisme, lorsqu'il s'agit des immigrés mexicains ou plus générale
ment latino-américains. Il n'est pas impossible que certains hauts fonc
tionnaires considèrent que ces humbles travailleurs, habitués à se content
er du minimum méritent quelques indulgences à une époque où le taux
d'accroissement naturel des Noirs est plus élevé que celui des Blancs. Le
refoulement de tous les Mexicains en séjour illégal entraînerait d'autre
part, de grandes difficultés économiques et sociales au Mexique. Quelques
communistes de ce pays prétendent que la meilleure manière de déclen
cherune révolution générale en Amérique latine est d'encourager les
policiers américains à se montrer plus vigilants.
Il serait probablement assez facile de démasquer les travailleurs
clandestins en ville, puisque l'inscription à la Sécurité sociale est à peu
près automatique aux Etats-Unis, sauf pour certains travaux saisonniers
agricoles. Dans de nombreuses entreprises, par exemple celles de conser
ves de fruits, les cotisations syndicales sont même prélevées, sans consulter
le travailleur sur ses préférences. Naturellement, les immigrés clandestins
ne protestent guère contre ces procédés. En raison du rapide accroisse
ment de la population au Mexique, il faut s'attendre à une continuation
du mouvement, surtout si des forces se manifestent de l'intérieur en sa
faveur.
738 IMMIGRATION CLANDESTINE

IV. — AUTRES PAYS

II est d'autant plus difficile de dresser ou même d'esquisser un bilan


de l'immigration clandestine que, le plus souvent, les autorités officielles
ne risquent aucune estimation. D'autre part, le fait que l'immigration soit
plus ou moins tolérée, selon les pays, rend délicates, dès le départ, les
questions de définitions. Nous nous bornons ici à quelques informations
partielles.

Allemagne fédérale. L'immigration en provenance d'Allemagne de


l'Est, extrêmement faible depuis la construction
du mur de Berlin, ne peut être appelée clandestine, dès l'instant que
l'entrée est acceptée, sinon même sollicitée. C'est, en ce cas, l'émigration
qui est clandestine. Le cas s'est longtemps présenté aussi, pour la Yougosl
avie avant la conclusion des traités internationaux.
Les estimations du nombre de travailleurs vivant en Allemagne
fédérale et entrés illégalement sans permis de travail, vont de 150 000 à
350 000, soit de 5 à 12 % du total des travailleurs étrangers.
Parmi eux, figurent de nombreux Turcs. Dans ce pays, le nombre
de candidats à l'émigration atteint le million. Les passages clandestins
donnent lieu, comme ailleurs, à un trafic d'autant plus rémunérateur qu'il
échappe à toute taxation et à toute règle, même d'hygiène. En avril
1974, a été trouvé, mort de froid, en France, un immigrant caché dans
la soute à bagages.
Les immigrants en situation irrégulière sont employés surtout dans
le bâtiment, l'hôtellerie et la restauration : la régularisation étant très
rarement accordée, ces travailleurs vivent sans protection sociale et dans
la crainte permanente d'être découverts et expulsés.
A la fin de novembre, en pleine crise du pétrole, le gouvernement
allemand a décidé l'arrêt de l'admission de travailleurs étrangers (sauf
bien entendu, des ressortissants de la Communauté Economique Euro
péenne), mesure qui a soulevé une vive émotion en Turquie et même
en Allemagne.

Belgique. Elle n'est devenue pays d'immigration que plusieurs années


après la guerre. Le cheminement a cependant été plus
rapide qu'en France, puisque la régularisation des clandestins a été
interdite dès 1967. Les étrangers en situation irrégulière vivent surtout en
Wallonie, région de faible natalité, et à Bruxelles, où leur nombre
s'élèverait entre 10 000 et 20 000. Le total, pour la Belgique est estimé
à 70 000.
DANS LE MONDE 739

Suisse. C'est le pays où l'immigration régulière de travailleurs


étrangers a été la plus importante. De ce fait, l'opposition à
leur admission légale a été plus forte que dans les autres pays (campagne
Schwarzenbach et référendum). Le nombre des travailleurs clandestins
paraît relativement faible, pour deux raisons :
— le contrôle est particulièrement sévère et efficace,
— la Suisse a fait surtout appel à des Italiens et des Espagnols;
or la pression est moins forte dans ces pays, parvenus à un stade de
développement plus élevé que celui de l'Afrique du Nord, du Portugal
et de la Turquie.
La clandestinité touche surtout les saisonniers, lesquels n'ont pas de
problèmes de logement, ni de résidence, ainsi que l'immigration familiale.
Il a été estimé que 10 000 enfants d'étrangers seraient entrés de cette
façon.

Grande-Bretagne. Devenu lui aussi un pays d'immigration, en dépit


d'un chômage important, le pays a eu depuis la
guerre, des difficultés, juridiques ou autres, avec les titulaires d'un
passeport britannique, au titre du Commonwealth. Un moment sollicitée,
l'entrée d'hommes de couleur a été freinée.
La frontière maritime étant plus facile à contrôler qu'une frontière
terrestre, le nombre de travailleurs clandestins ne paraît pas élevé. On
signale toutefois une contrebande en provenance des Pays-Bas, assortie
des rigueurs habituelles.

Argentine (1). Depuis 1860, la migration des pays limitrophes a aug


menté de 1 à 10. Au recensement de 1970, 571 914
immigrants de ces pays ont été recensés, auxquels s'ajoutent 350 000
en situation irrégulière, ce qui donne au total 900 000 personnes, soit
4 % de la population du pays.
L'immigration est généralement spontanée et en grande partie
illégale, situation qui, comme nous l'avons vu pour la France et d'autres
pays, conduit à une exploitation des travailleurs et une aggravation des
conditions de travail. Le décret du 11 janvier 1974 a décidé la régula
risation automatique de tous les travailleurs irréguliers entrés sur le
territoire, avant le 1er janvier 1974.
Voici les dispositions principales :
Article 1"' : Tout étranger natif d'un pays limitrophe, qui réside de
fait, sur le territoire national depuis une époque antérieure au 1er janvier

{1> Les renseignements concernant l'Argentine ont été obligeamment commun


iquéspar le Dr. Lelio Alberto Marmora, de la Direction nationale des migrations.
740 IMMIGRATION CLANDESTINE

1974 pourra obtenir le droit de s'établir définitivement dans la république,


sans qu'il soit tenu compte de la manière dont il y est entré.
Article 8 : Les étrangers nés dans les pays limitrophes qui sont
titulaires d'un permis de séjour provisoire accordé par la Direction
Nationale des Migrations, selon les termes de l'article 87 du règlement
sur l'immigration et dont la résidence remonte à une période antérieure
au 1er janvier de la présente année seront considérés comme établis
définitivement dans le pays.
Ce décret s'inscrit dans la ligne plus générale d'une politique populat
ionniste, qui réduit, notamment, l'usage de la pilule stérilisante.

Hong-Kong. Le nombre des passagers clandestins en provenance


de Chine s'élèverait à 400 par an.

V. — VUE D'ENSEMBLE ET CONCLUSION

L'aperçu, nécessairement très incomplet, qui précède ne fait qu'im


parfaitement apparaître l'importance de la question de l'immigration
clandestine, compte tenu du cadre plus large dans lequel elle s'inscrit.
Pour les raisons indiquées plus haut, la pression exercée sur les
frontières va en croissant. La population des pays d'Afrique du Nord, du
Mexique, de Turquie s'accroit à un rythme correspondant à un double
menten une génération. En outre, si la sécheresse persiste en Afrique
et si comme l'estiment certains, le désert devait gagner régulièrement en
étendue, les populations refoulées chercheront plus encore à pénétrer en
Europe.
La dépression à l'intérieur pourrait aussi se poursuivre, l'abandon
des tâches pénibles par les nationaux devant normalement s'accentuer,
par la montée des jeunes générations. Cependant les restrictions d'énergie
ou de' matières premières pourraient entraîner un ralentissement de
l'activité.
Le facteur le plus incertain est l'attitude générale de la population
et celle des syndicats. L'animosité que soulève l'expulsion d'un étranger
en situation irrégulière n'est pas sans rappeler l'évolution qui s'est produite
antérieurement à propos du logement.
L'expulsion d'un occupant est, depuis la première guerre, devenue
de plus en plus difficile, même lorsqu'il est entré sans droit dans le
logement (squatter), à plus forte raison lorsqu'il a perdu le droit
d'habiter. En Pologne, après la guerre, lorsqu'une maison était évacuée
pour démolition avec relogement des habitants, une équipe de travailleurs
DANS LE MONDE 741

venait enlever le toit juste après le départ de ceux-ci, pour éviter


l'occupation immédiate par d'autres ménages, qui, du même coup,
auraient à leur tour, bénéficié d'une priorité de relogement.
De ce fait, il est largement préférable d'empêcher l'entrée des
migrants non autorisés; mais il est souvent difficile de distinguer le
touriste du travailleur, surtout dans les pays où le visa préalable du
passeport n'est pas nécessaire. La suppression de ce visa a souvent été
motivée, précisément par le souci d'attirer les touristes; récemment la
question a été posée de le rétablir pour certains pays.
Les pays socialistes d'Europe ne voient pas se poser ce problème,
du fait qu'ils n'admettent aucune migration internationale (étant très
prudents en cette matière, même entre pays socialistes) et qu'ils sont en
mesure de contrôler le travail et le séjour clandestin.
Une liberté générale de mouvement et surtout de travail, dans le
monde, liberté, qui n'est pas sans attraits, n'est envisagée en aucun pays
et ne tarderait pas à conduire à des situations très difficiles. L'arrivée de
ces populations démunies risquerait de provoquer des réactions xéno
phobes et des demandes de protection, poserait des problèmes d'hygiène
et de police, dans le meilleur sens du mot d'abord, et dans le moins bon,
dans la pratique. Les investissements à réaliser, économiques et sociaux
dépasseraient les capacités des pays les mieux pourvus. Le contrôle
répressif s'est exercé jusqu'ici surtout sur les étrangers eux-mêmes. Il a
été proposé de le faire porter davantage sur les employeurs et les passeurs,
dans la mesure où ceux-ci opèrent sur le territoire national. La question
qui se pose est de savoir dans quelle mesure la crainte de ne trouver
aucun employeur serait suffisante pour retenir les travailleurs dans leur
pays.
En tout état de cause, les migrations clandestines vers les pays
développés se poursuivront à un certain rythme. Elles s'inscrivent, ainsi
que les difficultés qu'elles soulèvent, dans le vaste problème, qui résulte
du contraste entre l'éloignement économique croissant (écart entre les
niveaux de vie des pays industriels et des pays pauvres) et le rapproche
ment des nations, par la rapidité des communications et les progrès de
l'organisation internationale. Ce grand problème se manifeste aussi par
d'autres voies.
Jacques Houdaille
et Alfred Sauvy
742 IMMIGRATION CLANDESTINE

SUMMARY

Throughout the world, international migrations flow from poor


countries to industrialized ones. Because of difference in wage levels
and working-conditions, migratory pressures are strong; this makes the
application of laws protecting national labour very difficult and leads to
illegal migration and irregular situations. There is a trade in human lives
which gives rise to cruelties.
It is impossible to give a global account of illegal immigration
throughout the world, but the phenomenon exists in several countries
where there is immigration, especially in France and the U.S.A. The
situation is further confused by a change in the attitude traditionally
adopted by public opinion and trade unions. For various reasons, but
mainly because the migrants go in to occupations spurned by native
workers, opposition to free or illegal entry has become somewhat less
strong.
From a wider point of view, illegal migration is only one of the
consequences of the contrast between the growing wealth of industrialized
countries and the relative accentuation of underdevelopment, a contrast
which is also leads to forms of pressure at other points.

RESUMEN

Hoy en dia las migraciones internacionales en todo el mundo, se


producen desde los países pobres hacia los países industriales . Debido a
las diferencias de salarios y las condiciones de trabajo se ejerce una
intensa presión en las fronteras, ello dificulta la aplacación de leyes que
protejan el trabajo nacionál; como consecuencia de ello se producen
migraciones clandestinas , asi como otřas situaciones irregulares, résulta
de esto un tráfico humano que da lugar a crueles abusos.
Frente a la imposibilidad de establecer un balance mundial de las
inmigraciones clandestinas , el fenómeno ha sido descrito en muchos
países de inmigraclón, en particular Francia y Estados Unidos. El cambio
de posición en la opinion publica y de los sindicatos háce aun más
confusa la situación tradicional.
Рог diversas razones la o posición a la libre llegada о a la entrada
clandestina ha perdido intensidad, sobre todo por el hecho de que los
migrantes son dirigidos hacia actividades abandonadas por los nativos.
Visto desde un piano general, las migraciones clandestinas consti-
tuyen una de las consecuencias del contraste entre la riqueza — en
aumento — de los países industriales y la acentuación proporcional del
subdesarrollo.

You might also like