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DE PRODUCTION ASIATIQUE
par Hélène ANTONIADIS - BIBICOU
dégagent des articles parus dans les nos 114, 117 et 122 de La Pensée. Disons
plutôt que nous allons essayer, dans cette première approche, de voir dans quelle
mesure les structures fondamentales de Byzance correspondent, en tant que réalité
concrète — bien que dégagée de tout détail —, au modèle du mode de produc-
tion asiatique '.
4. Les renvois au Capital sont faits à l'édition française, K. MARX, Le Capital, Paris,
Editions Sociales, 1950, 8 vol. Idem, Formen die der Capitalistischen Produktion vorher-
yehen (Berlin, 1953), à la traduction anglaise, K. MARX, Pre-capitalist Economie Forma-
tions, Londres, 1964 (avec la très importante introduction d'E. J. HOBSBAWM); cité désor-
mais: Pre-capitalist Formations. Fr. ENGELS, L'origine de la famille, de la propriété privée
et de l'Etat, Paris, Editions Sociales, 1954 ; cité désormais : L'origine de la famille.
Le livre de K. WITTFOGEL, Le despotisme oriental, Paris, 1964 (avec un excellent avant-
propos de P. VIDAL-NAQUET) n'est pas cité dans cet exposé pour deux raisons : sa thèse
générale nous paraît tendancieuse et conçue dans un esprit mécanique ; en ce qui con-
cerne Byzance, nous la considérons erronée à la base, il n'y a pas donc lieu de s'y référer,
la discussion des points précis serait longue et peu constructive. G. OSTROGORSKY, Ges-
chichte des liyzantinischen Staates (3° édition, Munich, 1963), les renvois sont faits, pour
plus de commodité, à la traduction farnçaise, Histoire de l'Etat byzantin, Paris, 1956 ;
cité désormais : Histoire. Idem, Pour l'histoire de la féodalité byzantine, Bruxelles,
1954 ; cité désormais : La féodalité byzantine. Idem, « La commune rurale byzantine »,
dans Byzanlion, t. 32 (1962), pp. 139-166 ; cité désormais : « La commune rurale ».
E. STKIN. Histoire du Bas-Empire (284-565), Paris, Bruxelles, Amsterdam, 1949-1959,
2 vol. ; cité désormais : Histoire du Bas-Empire.
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5. K. MARX, The British rule in India (édition de Moscou, 1960), p. 16. Idem, Le
Capital, livre 1, t. 2, p. 188, note 1 : « La distribution des eaux était aux Indes une des
bases matérielles du pouvoir central sur les petits organismes de production com-
munale... ».
6. Il est, par exemple, peu probable que le passage du socialisme au communisme,
pour qualifier ces deux catégories de société dans le sens d'un système de production,
soit marqué de façon déterminante par des raisons d'ordre géophysique.
7. K. MARX, Le Capital, livre 1, t. 2, pp. 186-188. L. FEBVRE, Pour une histoire a
part entière (Paris, S.E.V.P.E.N., 1962), pp. 145-179. F. BRAUDEL, La Méditerranée et le
Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (Paris, 1949 ; cité désormais : La Médi-
terranée), pp. 1-304.
8. Je me demande même, au sujet du M.P.A., s'il ne faut pas apprécier de façon
nuancée le rôle du facteur géographique, en distinguant une société actuelle d'une
société des siècles antérieurs, auxquelles ce mode s'applique ; loin de donner à l'his-
toire universelle la seule mesure des pays développés et bien que les sociétés tribales
d'aujourd'hui continuent, dans leur isolement, à vivre dans des conditions analogues à
celles de certaines sociétés primitives, antiques ou médéviales, il est peut-être utile
— du moins dans les premières étapes de la recherche — de leur assigner une notion
de « vie à court terme », puisqu'elles-mêmes et le milieu naturel dans lequel elles
évoluent sont passibles de modifications immédiates, du fait que, dans d'autres endroits
de la terre, existent objectivement les possibilités techniques et économiques de leur im-
poser, d'une manière ou d'une autre, des changements radicaux ; dans quelle mesure
ce fait influe-t-il sur leur propre développement ? Malgré leur isolement, ces sociétés
ne subissent-elles pas une sorte d'« osmose » ? Quelle est la valeur de l'étanchéité des
limites entre sociétés de degré de développement différent ?
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nous obligent les limites de cet exposé, l'étude, approfondie à plusieurs niveaux,
de la géographie byzantine ne saurait modifier sensiblement les données fonda-
mentales des lignes qui vont suivre.
La configuration géographique du pays B, surtout ses masses forestières, n'ont
favorisé ni des sécheresses excessives ni des inondations catastrophiques, à une
fréquence qui impose de grands travaux régulateurs de l'eau et, par la suite, la
recherche de formes nouvelles de technologie et l'accroissement du pouvoir de
l'Etat organisant et réalisant ces travaux. Malgré l'aridité de la plus grande
partie des sols byzantins (sols méditerranéens à proprement parler), nous nous
trouvons, dans l'ensemble, devant une agriculture « pluviale » et non pas d'irri-
gation, car le climat tempère l'aridité originelle d'une grande partie des terres
cultivables et les cultures elles-mêmes, et les plantes, se sont adaptées à la séche-
resse. Certes, il ne faut pas non plus penser que les Byzantins n'étaient pas
préoccupés par tous les probèmes que pose une distribution rationnelle des res-
sources naturelles en eau, surtout pour d'autres cultures que celle des céréales
et pour le fonctionnement des moulins 10 ; mais ces entreprises non organisées,
demeurées au stade empirique de la vie quotidienne, n'avaient en principe qu'une
importance locale ; c'est du moins l'impression qui se dégage à la lecture de
quelques documents d'archives ayant conservé trace de litiges, au sujet, par
exemple, de ruisseaux revendiqués par deux ou plusieurs propriétaires à la fois,
ou au sujet de détournements abusifs des courants d'eau, — litiges qui se ter-
minent dans la plupart des cas par des compromis et des réconciliations. Il ne
faut pas non plus assimiler le cas de l'Egypte, de la Syrie et de la Mésopotamie
à celui des Balkans et de l'Asie Mineure, puisque — comme on sait — la régu-
lation des eaux et les travaux hydrauliques jouaient un rôle bien plus important
dans le premier cas que dans le second ; mais outre que l'Egypte fut détachée
très tôt de l'Empire byzantin et que la Syrie et la Mésopotamie n'en faisaient
partie que partiellement et par intermittences, elles ont toujours été des régions
périphériques d'après lesquelles on ne peut pas définir géographiquement l'en-
semble de l'Empire. Même si cela était, une autre remarque s'impose : la mise
en place de l'Etat byzantin proprement dit s'est faite à un moment où l'infrastruc-
ture hydraulique de ces régions existait déjà, pour avoir été construite, par les
Romains, entre autres. Cela ne signifie point, cela va sans dire, qu'il faut ignorer
la réalisation ultérieure de constructions supplémentaires, même importantes, et
de travaux d'entretien ; cependant, l'essentiel de l'entreprise qui aurait pu mar-
quer, éventuellement, la formation du mode de production, remonte à des époques
pré-byzantines.
La même remarque s'applique, globalement, au problème des réseaux rou-
tiers lI : cette affirmation constitue même un lieu commun pour celui qui foule
« l'industrie », par conséquent une vie urbaine développée 15. Il me semble donc
que l'examen des fondements juridique et économique du M.P.A. sera plus ins-
tructif que l'évocation du facteur géographique que nous venons de faire.
Aspects juridiques
19. Pour une première orientation sur tout cela, cf. E. STEIN, Histoire du Bas-Em-
pire, t. I, pp. 45 et 421, notes 131 à 133 .L. BRÉHIER, Les institutions, pp. 248, 265-267,
269-270, 518. G. OSTROGORSKY, Histoire, p. 55. Sur les biens de la couronne pendant la
moyenne époque byzantine, voir entre autres sources, les Basiliques, livre 50, titre 13,
chapitre 2 [= Peira (collection du milieu du XI* siècle), titre XXXVI §§ 2, 5 (dans J. et
P. ZÉPOS, Jus Graeco-romanum, Athènes, 1931, 8 vol. ; cité désormais : Jus, t. 4), pp. 142
et 144].
20. G. OSTROGORSKY, Histoire, p. 58.
21. Cf. une liste commode des collections de lois byzantines classées dans l'ordre
dans lequel il faut les consulter, dans H. ANTONIADIS-BIBICOU, Recherches sur les douanes,
pp. 11-13.
22. Curieuse hypercritique de facilité à l'égard de ces sources, qui met au compte du
hasard et non pas d'un choix justifié la reproduction dans un recueil, par un juriste,
de lois antérieures, et qui néglige une loi fondamentale de la législation byzantine :
« Les lois antérieures se prolongent jusqu'aux lois postérieures, et les plus uécentes sont
interprétées et comprises par rapport aux lois plus anciennes dans la mesure où elles
ne sont pas en contradiction manifeste avec celles-ci ». [Les Basiliques, livre 2, titre 1,
chap. 36-38 (éd. H.-J. SCHELTEMA, N. VAN DER WAL, D. HOLWERDA, Grôningen, 1953), t. 1,
p. 19 = Peira, titre LI, § 32, dans ZÉPOS, Jus, t. 4, p. 219]. Il est donc évident qu'il faut
chercher, avant d'écarter une loi ancienne, les lois ou les autres données solides qui la
contredisent sérieusement.
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23. ZÉPOS, Jus, t. I, pp. 1-3 : Oude georgoi, oude misthôtai, oude emphyteutai, oute
mèn kektèmenoi. Fr. DOLGER, Regesten der Kaiserurkunden der ostrômischen Reiches
(:~>65-13il), Munich, 1924-1960, fasc. 1, n° 4. P. LEMERLE, Esquisse pour une histoire
agraire de Byzance : les sources et les problèmes, dans Revue historique, t. 219 (1958).
pp. 48-49 [t. 219 (1958), pp. 32-74, 254-284 et t. 220 (1958). pp. 43-94 ; cité désormais :
Esquisse pour une histoire agraire (A, B)].
24. E. STEIN, « Paysannerie et grands domaines dans l'empire byzantin », dans
Recueil de la Société Jean Bodin, t. 2 (1937), pp. 123-133. G. OSTROGORSKY, ibidem, t. 4
(1949\, pp. 35-50. IDEM, Histoire, p. 55. IDEM. « La commune rurale», pp. 140-141. G.
ROUILLARD, La vie rurale, pp. 11-46, bien que l'auteur n'y étudie que le cas de l'Egypte.
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25. Sur la commune villageoise, je pense en particulier aux travaux des historiens
russes du siècle dernier et du début du XXe, les premiers à s'occuper des problèmes
agraires de l'Empire byzantin (cf. l'essentiel de la bibliographie dans G. OSTROGORSKY,
La féodalité byzantine, surtout pp. XI-XVI), et à ceux des byzantinistes soviétiques dont
on trouvera une mise au point dans Gorod i derevnja v visantii v IV-XII vv. (La ville
et le village à Byzance du IVe au XII« siècle), rapport principal présenté au XII" Congrès
International des Etudes byzantines, Belgrade-Ochride, 1961 (avec les rapports complé-
mentaires de P. Lenyrle, P. Charanis, D. Angelov) ; aux divers travaux de G. Ostro-
gorsky, et tout particulièrement à la mise au point, claire et commode, qu'il en a faite
dans « La commune rurale » ; enfin, à l'étude de P. LEMERLE, excellente pour cette
partie, Esquisse pour une histoire agraire, A, pp. 49-69.
26. Sur la définition de chorion et klèsis, ainsi que sur celle de agridion (habitat
des paysans ayant transporté leur résidence loin du chorion, tout en restant de son res-
sort) et de proasteion (point d'habitation pour les esclaves et les salariés travaillant
sur place la terre du seigneur), voir le traité fiscal du Marcianus graecus n° 173 (X«
siècle), dans Fr. D?>LGER, Beitrâge zur Geschichte der byzantinischen Finanzverwaltung
besonders des 10 und 11 Jahrhunderts [Leipzig-Berlin, 1927 (Byzantinisches Archiv, N° 9)
réimprimé en 1960, cité désormais : Beitrâge], pp. 114-115 et 125-136.
27. H. ANTONIADIS-BIBICOU, Villages désertés, pp. 348-349.
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35. La Loi agraire. §§ 2, 9, 10 à 21, 84. dans ZÉPOS, JUS, t. 2, pp. 65-66 et 71.
36. Ibidem, §§ 31, 81, 82, pp. 67 et 70-71. G. OSTROGORSKY, « La commune rura-e »,
p. 145 ,note 2.
37. La Loi agraire, §§ 8, 32, 82, dans ZÉPOS, JUS, t. 2, pp. 65, 67 et 71. P. LEMERLE,
Esquisse pour une histoire agraire, A, pp. 59-62. G. OSTROGORSKY, « La commune ru-
rale », pp. 144-145 et 150-151.
38. La Loi agraire, §§ 18, 19, dans ZÉPOS, Jus, t. 2, p. 66.
39. Lettre de Marx à Engels (14 mars 1868) ; lettre de Marx à Véra Zassoulitch (8
mars 1881) ; dans Fr. ENGELS, L'origine de la famille, pp. 289-290 ; 293, 296-297 .
40. K. E. ZACHARIÂ VON LINGENTHAL, Geschichte des griechisch-rômischen Rechtes
(3" édition, Berlin, 1892), pp. 253 et suiv. G. OSTROGORSKY, Histoire, p. 165. note 1. IDEM,
« La commune rurale »,pp. 146-174. P. LEMERLE, Esquisse pour une histoire agraire,
é, p. 59.
41. C'est dans ce sens que vont en particulier les travaux de E. LIPSIC,
« La paysan-
nerie byzantine et la colonisation slave, principalement d'après les données de la Loi
agraire », dans Vizantijskij Sbornik (1945). pp. 96-143 (en russe). IDEM, < La commune
slave et son rôle dans la formation du féodalisme byzantin ». dans Vizantisjskij Vre-
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quement slave aurait été introduit à Byzance à l'époque des invasions slaves (fin
du VIe siècle-vnr2 siècle).
Il ne nous appartient pas de discuter ici l'importance et les conséquences de
ces invasions, problème abondamment débattu depuis le siècle dernier " : disons
seulement que leur apport dans le domaine de la démographie rurale et de
l'économie est maintenant bien établi, mais que leur influence sur le cadre
juridique de la société rurale ne peut pas être attestée dans l'état actuel de la
recherche.
Certes, pendant les premiers temps de l'invasion slave, le bouleversement
de l'habitat rural fut vraisemblablement suivi de la désarticulation de la forme
de propriété préexistante (d'où, entre autres, la régression de la grande pro-
priété) et de l'occupation collective du sol par les envahisseurs qui instaurèrent
spontanément un régime communautaire, sinon propre à eux, du moins répon-
dant aux besoins de leur première installation dans le pays colonisé. Cependant,
la portée de ce fait est limitée aussi bien dans le temps que dans l'espace : tout
d'abord, l'invasion des Slaves ne toucha que la partie balkanique de l'Empire,
notamment la campagne de l'Hellade, les villes ayant beaucoup moins souffert ;
•au VIIe siècle, la colonisation de l'Asie Mineure par des cultivateurs et même par
des stratiotes slaves était organisée et contrôlée par le gouvernement central4S, qui
a dû leur imposer, de toute évidence, le statut juridique qui lui convenait. Il en
fut, logiquement, de même avec les tribus slaves de la partie balkanique, à partir
du moment (disons grossièrement, les deux dernières décennies du vne siècle) ou
la reconquête remettait en place l'administration byzantine. D'autre part, l'ins-
lallation des Slaves dans les campagnes grecques n'implique pas la disparition
complète, dans les premiers temps de l'invasion, de l'élément indigène et de son
mode de vie ; une adaptation du système communautaire tribal au régime agraire
du pays est bien possible ; quoi qu'il en soit, le passage de cette propriété com-
munautaire, au demeurant simplement hypothétique, à la propriété privée est
mennik t. 1 (1947), pp. 144-163. Cf. cependant la partie du rapport sur la ville et le
village de Byzance (cité supra, note 25) de la fin du VI* siècle à la première moitié du
IX* siècle. Cf. aussi M. V. LEVCENKO, « Matériaux pour servir à l'étude de l'histoire de
l'Empire romain d'Orient au V" et au VIe siècles », dans Vizantijskij Sbornik (1945),
pp. 2-95 (en russe). M. Ja. SJUZJUMOV, « Le caractère et l'essence de la commune byzan-
tine d'après '.a Loi agraire», dans Vizantijskij Vremennik, t. 10 (1956), pp. 27-47 (en
russe). IDEM, « La lutte pour les voies du développement des relations féodales à By-
zance». dans Vizantijskie OCerki (Moscou, 1961), pp. 34-63 (en russe). A. P. KAZDAN,
féodale
« Sur les caractères particuliers de la propriété à Byzance au VIIP-X" siècles »,
dans Vizantijskij Vremennik, t. 10 (1956), pp. 48-65 (en russe).
42. Voir entre autres P. LEMERLE, « Invasions et migrations dans les Balkans,
depuis la fin de l'époque romaine jusqu'au VIII" siècle », dans Revue historique, t. 211
(1954), pp. 265-308. Il faut verser au même dossier les résultats d'un travail de ces der-
nières années que les historiens n'ont pas encore utilisé : A. POULIANOS, L'origine des
Grecs. Problèmes d'anthropologie, Moscou, 1960, éditions de l'Institut d'Ethnographie de
l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. (en russe) ; traduction grecque, Athènes, 1961.
Il s'agit d'une thèse pour le doctorat en biologie de l'Université de Moscou, dans la-
quelle l'auteur traite entre autres de l'influence des types anthropologiques orientaux
et nordiques sur la formation des types anthropologiques du sud-est de l'Europe, et
cela à partir d'une analyse anthropologique de 3.364 personnes, complétée par les don-
nées de la linguistique et de l'histoire ; mais ce sont aussi et surtout les historiens qui
doivent profiter de cette étude originale et suggestive.
43. P. CHARANIS, « The transfer of population as a policy in the Byzantine Empire »,
dans Comparative Studies in Society and History, t. 3, II (1961), pp. 140-154.
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déjà accompli avant la fin du vir5 siècle, la Loi Agraire en témoigne ; la trans-
mission héréditaire de la terre des paysans sera la première cause des inégalités
des fortunes foncières 44, que nous constatons par la suite à l'intérieur de la
commune rurale à Byzance. Celle-ci s'apparente donc aussi bien à la commune
de type antique qu'à celle de type germanique ".
5°) La commune rurale byzantine remonte, pour ce qui est de ses traits
essentiels, à la fin du 111e siècle : elle est, évidemment, bien antérieure à cette
date en tant qu'unité d'habitat et en tant que cadre juridique pour ses terres,
faisant coexister la propriété privée et la propriété collective des communaux ;
mais c'est seulement à cette date que fut appliqué sur tout le territoire de l'Em-
pire 4S le système de Vépibolè (adiectio sterilium) ; analogue au principe de la
solidarité fiscale qui liait les membres de la commune rurale, il consistait à
attribuer de force à des propriétaires fonciers particuliers des terres de l'Etat ou
des terres individuelles abandonnées, avec l'obligation de les cultiver et d'ac-
quitter, à la place des cultivateurs déguerpis, l'impôt qui leur correspondait.
C'est encore au Bas-Empire romain que nous ramènent les origines des biens
militaires, une forme de propriété terrienne conditionnée qu'il faut évoquer
brièvement, car elle était très répandue à l'époque ici considérée. L'Etat attri-
buait des terres à des particuliers à titre héréditaire, contre l'obligation d'un
service militaire également héréditaire, de l'un des membres de la famille ; c'est
en cela que l'institution appelle le rapprochement avec les limitanei des époques
romaine et proto-byzantine ". Sans entrer dans une étude détaillée du système,
il importe de retenir deux points importants, car ils ont déterminé, par la
suite, l'évolution de certaines structures : a) outre la rémunération de soldats
par des distributions de lopins de terre en propriété conditionnée, les lots stra-
tiotiques (stratiote = soldat), peuvent avoir une autre origine, à savoir le
désir d'un propriétaire foncier d'obtenir le statut de stratiote pour lui-même et
pour sa terre, avec les obligations, mais également avec les privilèges que cela
comporte, comme par exemple la dispense des charges annexes et des servitudes
fiscales qui accompagnent l'impôt foncier de base ; b) le service exigé du déten-
teur d'un bien militaire par l'Etat n'est pas toujours personnel, mais il peut
correspondre seulement à l'entretien d'un combattant sur les fonds produits par
ce bien.
Si nous avons tellement insisté sur la définition du régime de la terre au
point de vue strictement juridique et si nous lui donnons même, en l'occurrence,
la priorité par rapport à l'économique, c'est parce que l'absence de propriété
44. Cette inégalité est déjà attestée dans la Loi agraire, §§ 8, 18, dans ZÉPOS, Jus,
t. 2, pp. 65-66.
45. K. MARX, Pre-capitalist Formations, pp. 71-78. IDEM, Lettre à Véra Zassoulitch (8
mars 1881), dans Fr. ENGELS, L'origine de la famille, pp. 292-297.
46. Sur Vépibolè voir, surtout : H. MONNIEH, Etudes de droit byzantin : Vépibolè,
dans Nouvelle revue historique de droit français et étranger, t. 16 (1892), pp. 125-164,
497-542, 637-672 ; t. 18 (1894), pp. 433-486 ; t. 19 (1895), pp. 59-103. G. OSTROGORSKY,
* Das Steuersystem im byzantinischen Altertum und Mittelalter », dans Byzantion.
t. 6 (1931), pp. 229-240. E. STEIN, Histoire du Bas-Empire, t. 1, pp. 28-29. P. LEMERLE,
Esquisse pour une histoire agraire, A, p. 37, note 3 (avec bibliographie), et p. 62.
47. E. STEIN, Histoire du Bas-Empire, t. 1, pp. 62-63 ,123-124, 181 ; t. 2, pp. 86-87, 197-
198. G. OSTROGORSKY, La féodalité byzantine, pp. 9-16. IDEM, Histoire, pp. 125-127, 164. P.
LEMERLE, Esquisse pour une histoire agraire, B, pp. 43-70. H. ANTONIADIS-BIBICOU,Etudes
< La commune rurale », pp. 149-152.
BYZANCE ET LE M. P. A. 61
48. Cette contrepartie varie suivant les accords passés entre les deux parties con-
tractantes ; cf. quelques formulaires de contrats concernant des cas où le propriétaire
est un particulier dans C. SATHAS, Bibliothèque médiévale (en grec), t. 6 (Venise-Paris,
1877), pp. 620-625 : le fermier s'engage dans certains cas à donner la moitié de la pro-
duction au propriétaire (vignes) ; dans d'autres cas, seulement le tiers de la produc-
tion constitue le aèmoron (céréales) ; vu les conditions sus-indiquées, il semble bien
que le propriétaire devait supporter les charges fiscales du sol. Les formulaires ci-
dessus mentionnés n'épuisent évidemment pas tous les cas des modalités de l'exploi-
tation de la terre (il suffit de penser également à son exploitation par des parèques). Les
terres d'Etat cédées à des exploitants le sont dans des conditions variées mais définies ;
retenons entre autres la catégorie des « biens militaires » (cf. supra) et de la pronoia,
importante et riche en conséquences.
49. L'achat des offices et des dignités était, comme on sait, largement autorisé, à
l'exception de certaines périodes où les empereurs essayaient d'épurer l'administration
en recrutant ses membres d'après leurs capacités et leur dévouement au trône [Cf. G.
KOLIAS, Amter- und Wiirdenkauf im frùh- und mittelbyzantinischen Reich, Athènes,
1939, Texte und Forschungen zur byzantinisch-neugriechischen Philologie, n" 35. Lei
nombreux et utiles travaux de R. Guilland sur les dignitaires ; cf. sa bibliographie dans
Byzantion, t. 18 (1958), pp. VII-XIII. Et aussi, H. BIBICOU, « Une page d'histoire diplo-
matique de Byzance au XI0 siècle : Michel VII Doukas, Robert Guiscard et la pension
de dignitaires », dans Byzantion, t. 29-30 (1959-1960), pp. 43-75, surtout pp. 68-73]. On
sait d'autre part que les grandes fortunes de Byzance étaient des fortunes à base prin.
cipalement terrienne et immobilière.
50. Cf. l'exemple du grand propriétaire Philocalès ; on peut bien suivre le pro-
cessus ci-dessus indiqué, dans une novelle de Basille II (A. 996), ZÉPOS, JUS, t. 1, pp. 262-
272, surtout p. 265.
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Aspects économiques
51. Cf. surtout le passage consacré à la commune, par K. MARX, Le Capital, livre I,
t. 2, op 46-48 ; et aussi livre 1. t. 1, pp. 145-146 ; livre 3, t. 6, p. 340 ; t. 8, pp. 173-174
et 176. IDEM, Pre-capitalist Formations, pp. 70-71, 108-109. Fr. ENGELS, L'origine de la
famille, p. 104. V. LÉNINE, Brouillon sur la correspondance Marx-Engels, 18H-1883 (Mos-
cou, 1959), p. 263.
52. Sur les métiers à Byzance, outre les travaux consacrés au Livre du Préfet (X°
siècle) déjà bien connus, voir les études d'E. FRANCÈS, « L'état des métiers à Byzance »,
dans Byzantino-Slavica, t. 23 (1962), pp. 231-249 (avec références aux travaux des byzan-
tinistes soviétiques). IDEM, « La disparition des corporations byzantines », dans Actes
du XII" Congrès International des Etudes Byzantines, t. 2 (Belgrad, 1964), pp. 93-101.
P. TIVCEV, Sur les cités byzantines aux XI' et XII" siècles, dans Byzantino-Bulgarica, t. I
(1962), pp. 145-211 (avec références aux travaux des historiens slaves).
53. On aura une idée du nombre élevé des villes byzantines en jetant un coup d'oeil,
entre autres, sur : E. HONIGMANN, Le Synekdèmos d'Hièroklès et l'opuscule géographique
BYZANCE ET LE M. P. A. 63
54. H. ANTONIADIS-BIBICOU, Recherches sur les douanes, pp. 50-57, 142-144, 214.
55. K. MARX, Le capital, livre 3, t. 8, p. 25.
56. E. STEIN, Histoire du Bas-Empire, t. 1, pp. 74-76, 441-443, et les références, d'après
l'index, s.v. : annona, capitatio ; t. 2 ; pp. 199-203. G. OSTROGORSKY, Histoire, pp. 67 et
166. On trouvera dans ces deux travaux l'essentiel des problèmes et de la bibliographie
sur la capitatio et la jugatio. Sur les questions de la fiscalité foncière à une époque plus
tardive, voir entre autres Fr. DÔLGER. Reitrôge. N. SVORONOS, Recherches sur le cadastre
byzantin et la fiscalité aux XI" et XII" siècles : le cadastre de Thèbes, Athènes-Paris
1959.
57. G. OSTROGORSKY, Histoire, p. 166.
58. Cf. un texte passé inaperçu jusqu'à présent, la novelle 144 (a. 572), dans C.J.C.
t. 3, pp. 709-710, reproduite dans les Basiliques, livre 1, titre 1, ch. 52 (édition citée ci-
dessus, note 22), t. 1, pp. 11-12).
59. C'est du moins l'hypothèse que nous sommes autorisé à formuler dans l'état
actuel de la recherche qui, précisons-le, n'a pas avancé dans le sens que nous venons
d'indiquer. H. ANTONIADIS-BIBICOU, Recherches sur les douanes, p. 249.
BYZANCE ET LE M. P. A. 65
Enfin, les impôts étaient acquittés soit en espèces, soit en nature, soit partie
en espèces et partie en nature, suivant les besoins de l'Etat et aussi suivant les
possibilités des contribuables 6° ; ceci explique en partie pourquoi les structures
sociales étaient moins stables dans la campagne byzantine que dans celle des
pays orientaux 61 où le M.P.A. est la forme économique et sociale incontestée ;
à Byzance, la commune villageoise a été une unité de base certes importante,
mais fragile et non immuable, inapte à « une stagnation séculaire ».
Il y a là un des caractères fondamentaux de l'économie byzantine, les
autres étant parmi les plus importants la forme de la rémunération du travail
ou du service rendu, la nature monétaire ou de troc des transactions commer-
ciales, la forme des paiements de l'Etat byzantin à l'étranger. L'économie byzan-
tine est monétaire, et l'Empire disposait, jusqu'au deuxième quart du XIe siècle ",
d'une monnaie d'or saine et quasiment stable ; Marx 63, dans une analyse des
conditions du passage du féodalisme au capitalisme, cite Rome et Byzance comme
deux exemples d'une grande accumulation de richesses monétaires, mais « qui
appartiennent à la pré-histoire de l'économie bourgeoise », puisque l'existence de
ces richesses monétaires, ou même leur « apparente prédominance », ne produi-
sent pas un développement capitaliste. C'est justement cette « apparente prédo-
minance » qui doit être étudiée et analysée de façon systématique "*. J'ai été
amenée à signaler ailleurs °5 l'intérêt que présenterait une telle entreprise ; à
Byzance, peuvent coexister deux économies, l'une « monétaire » et l'autre « natu-
relle », coexistence qui ne correspond pas forcément au schéma « ville-économie
monétaire/campagne-économie naturelle », mais elle peut aller en profondeur
avec une intensité variant, évidemment, suivant la conjoncture.
Ces perspectives de recherche suffisent à montrer combien l'économie byzan-
tine, fondée sur l'or, très évoluée et qui ne peut pas se définir uniquement d'après
la production villageoise, ne saurait être utilement étudiée dans le cadre du
M.P.A.
Aspects sociaux
La division sociale et la structure de classe du M.P.A. se pré-
sentent d'une façon originale : elles sont très évoluées et très primi-
60. Ibidem, pp. 189-190 ; on y trouvera la position du problème, l'état de la question,
en réalité peu avancée pour le moment, et quelques références aux sources auxquelles
il faut ajouter la novelle de Justinien 128, I, (a. 545), dans C.J.C., t. 3 ,p. 636. Il va sans
dire que nous incluons la corvée, dont le rôle est, dans l'économie byzantine, moins
important que dans l'économie de l'Occident médiéval, dans la catégorie « prestations
en nature ».
61. K. MARX, Pre-capitalist Formation, p. 83.
62. Cf. Ph. GRIERSON, « The debasement of the bezant in the eleventh century »,
dans Byzantinische Zeitscrift, t. 42 (1954), pp. 379-394.
63. K. MARX. Pre-capitalist Formations, pp. 109-113, et p. 46 de l'excellente intro-
duction d'E. HOBSBAWM.
64. Les trouvalilles monétaires, source extrêmement importante, ne sont pas suf-
fisantes pour une étude correcte de ces problèmes. Voir surtout J. SOKOLOVA, C Les tré-
sors des monnaies byzantines comme source historique » (en russe), dans Vizantisjskij
Vremennik, t. 15 (1959), pp. 50-63. Et aussi H. ANTONIADIS-BIBICOU, Recherches sur les
douanes, pp. 253-255. Parmi les instruments de travail, le très important ouvrage de
V. KOPROT'KIN, Les trésors des monnaies byzantines sur le territoire de l'U.R.S.S. (en
russe), Moscou, 1962 (avec plusieurs cartes).
65. H. ANTONIADIS-BIBICOU, Recherches sur les douanes, pp. 246-255.
66 HELENE ANTONIADIS-BIBICOU
les autres privilèges 7l dont il bénéficie. La situation d'un dignitaire était avan-
tageuse, ne serait-ce que par son prestige social, qui lui conférait une puissance
complémentaire ; tout cela devait compenser largement ses obligations, quand il
avait un office déterminé, ainsi que les restrictions imposées dans le domaine de
ses activités professionnelles, qu'il fût ou non chargé d'une fonction ". La réalité
sociale et, à la longue, l'évolution des structures de l'Etat montrent combien les
interdits, qu'on trouve abondamment dans la législation byzantine, contre les
fonctionnaires et les dignitaires, surtout de haut rang, pour protéger le public de
l'accroissement de leur puissance qui dégénérait en exactions, ont été inefficaces.
.Nous trouvons, dans la société byzantine, toutes les contradictions classiques que
renferme une société de classe, ces contradictions qui finissent par la perdre.
Il existe une hiérarchie entre les titres nobiliaires, définie avec précision,
mais dont le degré de rigueur n'est pas toujours constant ; l'évolution de la
société y apporte automatiquement des modifications, mais la volonté de l'Empe-
reur, ses rapports avec les individus sont ici le fait décisif. La noblesse byzantine
est une noblesse palatine, qui comprenait l'ensemble des officiers en exercice, en
disponibilité ou honoraires ; divisés en trois classes (clarissimi, perfectissimi, egre-
gii) durant les premiers siècles de l'Empire ", ils seront répartis, à la fin du IXe
siècle '*, en deux grandes classes : a) les possesseurs des dignités (axiai) purement
honorifiques, conférées par des insignes, et qui sont fixes et viagères ; elles sont
divisées, à leur tour, en deux catégories, sénatoriales et processionnelles, b) Les
possesseurs des dignités conférées par un édit, obligés d'exercer une fonction active
dans l'Etat ; ces dignités étaient toujours révocables. En réalité, même les digni-
tés purement honorifiques étaient révocables ", selon le bon plaisir de l'Empereur.
La grande masse de la population, juridiquement libre mais dépourvue de
dignités (axiai), se différencie selon trois critères : la nature des occupations des
personnes, le statut personnel des exploitants de la terre et le régime de celle-ci,
l'importance des biens des individus.
La valeur du premier critère est assez relative : pour s'en rendre compte,
il suffit de songer à l'immense propriété foncière de l'Eglise qui déterminait dans
une large mesure les occupations temporelles des ecclésiastiques ; au lien, tantôt
direct et fort, tantôt lâche et indirect, qui existait, jusqu'au XIe siècle, entre la
fonction militaire et l'agriculture 76 et, surtout, à cette insuffisante division du
travail que nous avons évoquée plus haut. Mais il est également certain que la
diversité des professions exercées dans les première et deuxième zones d'habitat,
malgré leurs rapports étroits avec la zone trois, laisse entrevoir, même avant le Xe
siècle, les éléments (artisanat, commerce, marins, changeurs-banquiers, etc.) qui
71. Comme, par exemple, en matière de procédure dans les affaires de justice ou
pour ce qui concerne la liberté de fixer sa résidence où il veut, sans autorisation préa-
lable. Sur les avantages matériels, voir H. BIBICOU, « La pension des dignitaires » (cité
supra, note 49).
72. Cf., à titre d'exemple, Basiliques .livre 6, titres 1, 2 (édition citée supra, note 22),
t. 1, pp. 150-168 ; il concerne les archontes et le rang des dignitaires, ainsi que les
privilèges dont ils jouissaient.
73. L. BRÉHIER, Les institutions, pp. 102-103.
74. D'après le Clétorologe de Philothée, cité supra, note 69.
75. R. GUILLAND, « La collation et la perte ou la déchéance des titres nobiliaires à
Byzance », dans Revue des Etudes Byzantines, t. 4 (1946), pp. 24-69.
76. H. ANTONIADIS-BIBICOU, Etudes d'histoire maritime, pp. 113-114.
68 HELENE ANTONIADIS-BIBICOU
formeront, aux x^xr2 siècles, cette classe « prébourgeoise » désignée, dans les
sources Tr, comme astikoi et même comme astoi.
En raison de la prédominance de l'agriculture, la distinction entre exploi-
tants indépendants et exploitants dépendants, entre paysans libres et paysans
attachés à la glèbe, entre ceux qui travaillaient leur propre terre et les parèques
(« colons »), est capitale ; elle se traduit par la possibilité ou non de disposer
librement de surplus naturels ou monétaires et, de ce fait, d'être riche, aisé,
moyennement aisé ou pauvre ; à cette dernière catégorie appartenaient, les per-
sonnes qui n'avaient pas une fortune supérieure à 50 nomismata ".
En définitive, tous les éléments évoqués ci-dessus convergent progressive-
ment et se cristallisent autour de deux pôles '*, les puissants (dynatoi) et les
faibles (pénètés-ptôchoi), dont la lutte aiguë couvre toute le Xe siècle et le premier
quart du XIe siècle ; les mécanismes étatique et social de Byzance nous autorisent à
identifier, en simplifiant, les grands propriétaires fonciers avec les riches, pos-
sesseurs de dignités d'un rang moyen ou supérieur ; ce sont eux les « puissants »,
ils tirent leur force de la terre et de l'Etat.
Aspects étatiques
77. J. SKYLITZÈS, Excerpta (Bonn, 1839), p. 733. N. CHONIATÈS, Historia (Bonn, 1835),
pp. 66 et 88.
78. 1 nomisma = 1/72 de la livre d'or. Cette base à partir de laquelle on définis-
sait un pauvre (aporos = indigent) est restée stable pendant de longs siècles ; il ne
s'agit certainement pas d'une reproduction mécanique d'un texte juridique, mais il ne
nous appartient pas d'en parler davantage ici.
79. G. OSTROGORSKY, La féodalité byzantine, pp. 15-16. IDEM, « La commune rurale »,
pp. 153-154. P. LEMERLE, Esquisse pour une histoire agraire, A, pp. 268-280.
80. FR. ENGELS, Anti-Dûhring (Paris, Editions Sociales, 1950), p. 213 ; aussi, pp.
BYZANCE ET LE M. P. A. 69
nistratives les plus importantes ; elle renforça le contrôle impérial sur l'ensemble
du pays ; les stratèges (gouverneurs des thèmes), choisis et nommés par l'Empe-
reur et révocables à tout moment, n'avaient pas intérêt à se prêter aux manoeuvres
ou aux exigences éventuelles des aristocraties locales, qui s'opposèrent, à maintes
reprises tout au long de l'histoire de Byzance, au gouvernement central. De ce
fait, hormis quelques tentatives de courte durée, ni l'unité de l'Empire ni son
aspect centralisateur n'en furent affectés.
Cependant, cette autocratie n'est pas faite d'une seule pièce. L'Eglise,
l'armée et le sénat sont trois éléments constitutifs de l'Empire ; la force même
des deux premiers est bien connue. Le rôle du sénat " s'affaiblit sous Justinien
pour retrouver son éclat au VIIe siècle ; après un nouveau déclin sous les empe-
reurs de la dynastie macédonienne, son autorité devient importante au XIe siècle ;
il joua toujours un grand rôle lors des changements de souverains, surtout dans
des cas de successions « illégales » au trône. Le peuple de Constantinople, orga-
nisé en dèmes 86, était également capable d'une action politique efficace.
Ainsi, outre le respect que doit l'Empereur à la loi divine, son pouvoir,
absolu en théorie, est fait aussi d'une part de compromis. Pour reprendre la
formule de Ch. Diehl, nous avons à Byzance « une autocratie tempérée par la
révolution et l'assassinat » ".
En réalité, derrière les formes institutionnelles, les éléments qui pondèrent
en profondeur l'absolutisme des empereurs byzantins, se situent au niveau des
forces économiques et sociales, seules capables à entretenir le dialogue avec le
monarque. Elles n'étaient pas négligeables dans un Empire issu de Rome, et dont
le peuple était christianisé sur la base de l'hellénisme, et dont le système de pro-
duction était fondé sur la propriété privée, et dont l'économie était peut-être la
plus évoluée de son époque. En définitive, dans la lutte entre « le despotisme
oriental » et les grands propriétaires fonciers, entre le pouvoir absolu de l'Etat
et la terre, c'est la dernière qui l'emporta et imposa de nouveaux rapports de
production et de nouvelles formes étatiques ; elles conduiront l'Empire au féoda-
lisme à partir du XIe siècle.
Aspects historiques
Assigner au M.P.A. un ordre défini dans le schéma évolutif des
sociétés qui est consacré depuis longtemps, signifie dans une très large
mesure qu'on tranche en faveur de l'hypothèse d'une universalité du
M.P.A. On a même dit que c'est ce que Marx lui-même a fait ; l'affir-
mation repose sur le passage déjà cité du Capital : « Après que la
société orientale... se fut dissoute et avant que l'esclavage ne se fut
emparé... de la production », sur l'analyse des formes de propriétés asia-
tique, antique et germanique présentée dans Formen et, surtout, sur le
passage bien connu de la préface de la Critique de l'économie politique :
« Dans l'ensemble, les modes de production asiatique, antique, féodal
et bourgeois contemporain peuvent être considérés comme des époques
85. C. CHRISTOPHILOPOULOU, Le sénat dans l'Etat byzantin, Athènes, 1949 (en grec),
Aussi, CH. DIEHL, « Le sénat et le peuple byzantin aux VIIe et VIII» siècles », dans
Byzantion, t. 1 (1924), pp. 201-213.
86. G. OSTROGORSKY, Histoire, pp. 95-98 (avec bibliographie),
pp. 112-113.
87. CH. DIEHL, « The Goverment and Administration of the Byzantine Empire
dans The Cambridge Médiéval History, t. IV, (Cambridge, 1936), p. 729. »,
BYZANCE ET LE M. P. A. 71
fait que toute la terre était propriété du sultan, à cause également de la forme
du la commune villageoise), on pourrait étudier ici un cas de régression d'un
mode de production, dans les conditions précises d'une conquête ; c'est sur les
terres byzantines qu'a eu lieu l'adaptation d'une société évoluée à des formes
économiques et sociales moins évoluées, importées et imposées par le conquérant.
Car il est évident que le mode de production asiatique s'applique à des sociétés
de tradition et de civilisation plus primitives que celles du monde byzantin.
L'historien de Byzance se demanderait alors si l'Empire byzantin n'a pas été
aussi, un peu, la victime de cette vue indirecte à travers l'image de l'Empire
ottoman et si l'Empereur n'a pas été trop facilement assimilé avec son successeur
présumé, le Sultan.
Ces deux despotes orientaux sont déterminés, dans l'exercice de leurs fonc-
tions, par des facteurs historiques différents : les uns ont participé, avec origi-
nalité, mais avant l'heure, à la préparation de l'avènement du monde capitaliste ;
les autres, contemporains de celui-ci, n'ont fait que rester en marge du système
de production moderne.
Comme on le voit, l'étude concrète de cas comme celui de l'Empire byzantin
ne va pas dans le sens de l'hypothèse qui attribue au concept du M.P.A. une
valeur universelle ; parmi les nombreux facteurs déterminant la formation d'un
mode de production, la superstructure étatique — bien qu'elle reflète, dans une
certaine mesure, d'autres conditions fondamentales — ne suffit pas, à elle seule,
pour caractériser un mode de production ; encore moins à Byzance, où cette
superstructure est complexe et tempérée.
Mais, à une époque où les efforts des historiens doivent tendre de plus en
plus à faire de l'histoire une « science » et essayer d'établir le maximum des
rapports possibles entre des faits isolés, privés de sens dans leur premier état
empirique, l'interprétation ne peut pas se faire loin des règles et même des lois ;
les classifications, après analyse systématique de la totalité des éléments dispo-
nibles, sont inévitables et nécessaires. Dans ces conditions, Byzance a sa place
dans l'ensemble du féodalisme médiéval, avec, toutefois, de nombreuses parti-
cularités locales ; l'une des plus importantes est, en effet, qu'une longue période
pré-féodale, durant laquelle les éléments socio-économiques de féodalisation sont
estompés, précède la période féodale. On voudra bien nous excuser d'avoir utilisé
ce terme, qui soulève tant de discussions quand il est appliqué au monde
byzantin ; cependant, il nous paraît être le plus conforme au sens vrai de l'évo-
lution économique et sociale
— et même politique, à une époque tardive — de
l'Empire. Quand les mathématiciens se réfèrent à « des relations d'ordre stric-
tes » 90 et à « des relations strictes ou larges », j'espère qu'on ne nous accusera
pas ni de manque de rigueur ni de manque d'esprit scientifique à cause de
l'emploi des termes féodalisme et féodalité, qui peuvent en fin de compte ne pas
être tout à fait heureux, mais dont la double acception, a stricte et large », est
de fait depuis longtemps établie.
COMITE DIRECTEUR
COMITE DE PATRONAGE
COMITE DE REDACTION
Gilbert BADIA, Guy BESSE, Pierre BOI- NY, Roger MAYER, Paul MEIER, Gérard
TEAU, Jean BRUHAT, Jean CHESNEAXJX, MILHAUD, Charles PARAIN, Michel RIOU,
Eugène COTTON, DESNE Roland, Jean Albert SOBOUL, Jean VARLOOT, Claude
GACON, A.-G. HATJDRICOURT, J.-F. LE WILLARD.
LA PENSÉE
SOMMAIRE
DU NUMERO 129 (SEPTEMBRE-OCTOBRE 1966)
André Langevin :
Paul Langevin et les congrès de physique Solvay 3
Jean Chesneaux :
Où en est la discussion sur le mode de production asiatique ? (II) 33
Hélène Antoniadis-Bibicou :
Byzance et le mode de production asiatique 47
Jean-Yves Pouilloux :
L'esthétique dans le « Neveu de Rameau » 73
CHRONIQUES
Jeannette Colombel :
Sartre et Simone de Beauvoir vus par Francis Jeanson 91
André Daspre :
Anatole Frajice est-il notre contemporain ? 101
Roger Maria :
Regard critique sur une saison théâtrale. Paris, 1965-66 104
Roland Weyl :
Sur la Justice :
deux livres et un colloque 110
Maurice Bouvier-Ajam :
L'égalité des droits et l'égalité des chances dans les controver-
ses et délibérations de la Révolution française 117
Jean Bouvier :
Journées franco-soviétiques d'histoire 130
LES REVUES
Lucette Vigier :
L'enfance handicapée (numéro spécial d'Esprit) 132
LES LIVRES
Sciences :
Etiemble : Le jargon des sciences 141
Colonialisme :
Jacques Arnault : Du colonialisme au socialisme. — Kwamé
N'Krumah : Neo-colonialism, the last stage of imperialism 143
....
Afrique :
Jules Chômé Moïse Tschombé et l'escroquerie katangaise. —
:
Eno-Belinga : Littérature et musique populaires en Afrique noire.
— Chefs-d'oeuvre de l'art guinéen et africain. — P. Couty : Notes
sur la production et le commerce du mil dans le département de
Diamaré. — J.-P. Emphorux : Un site de proto et pré-histoire au
Congo - Brazzaville. E. Andriantsilaniarivo et G. Donque :
Madagascar
—
146
Grande-Bretagne :
Pierre Nordon : Histoire des doctrines politiques en Grande-
Bretagne 149
Littérature :
Bollème, Ehrard, Furet, Roche, Roger : Livre et société dans la
France du XVIIIe siècle. Gustave Flaubert : Souvenirs, notes
— Vargaftig
et pensées intimes. — B. : Chez moi partout. — Pio
Baroja : Paradox, roi. Suzanne Arlet : Le pain de la tendresse.
—
— Pierre Brandon : Le sang et le ciment 150
Religion :
Swami Nityabodhananda : Silence du Yoga 155
PAR