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1 Le Bien et le Bonheur
Comment connaître ce qui est bien ? S¶agit -il des ³biens´, de ce que l¶on voudrait
acquérir pour soi-même, voire pour le partager avec d¶autres (altruisme) ? S¶agit -il de
³bien faire´ ce que l¶on a à faire, ce qui définit proprement la ³vertu´ (stoïcisme) ?
Auquel cas les biens paraissent aussi nombreux que les activités sont diverses.
S¶agit-il de l¶´Idée du Bien´, le bien ³en soi´ comme fin ultime et unique de toute
activité possible (Platon) ? Mais celui -ci semble bien abstrait et bien éloigné de
l¶action des hommes où sa présence serait précisément la plus souhaitable ! Comme
le dit Aristote :?
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En fait, comment définir le bien en dehors de la notion de bonheur, fin suprême de
toute activité humaine ? Pour Aristote, il faut le définir comme une fin collective et
non pas seulement individuelle, car ?
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(Aristote).
L¶EUDEMONISME (du grec
: heureux) est cette doctrine pour qui le Bien
suprême est constitué par le bonheur. On peut y voir une conséquence de la
conception (antique) de la philosophie comme sagesse, comme art de vivre. Chez
tous les philosophes anciens, le bonheur, fin de l¶action, apparaît c omme un accord
entre l¶homme et les choses, entre l'homme et la Nature Les eudémonistes divergent
seulement sur les moyens de parvenir au bonheur et à la complète satisfaction; ils
divergent aussi dans leur conception de la Nature !
Ë Le Bonheur et la vertu
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A, dit simplement Aristote. Habitude qui confine à la
fois au sérieux, au talent, et à une certaine légèreté ou spontanéité de l¶action. On
voit qu¶initialement, la vertu peut s¶appliquer à toute action bonne et pas se ulement
aux ³bonnes actions´, au sens strictement moral du terme. Bref, la vertu, au sens
grec, est l¶
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Le bonheur consiste donc dan s l¶activité la plus parfaite de l¶homme,
c¶est-à-dire dans la vie contemplative. Ce qui fait la dignité de la connaissance, et sa
supériorité sur les simples plaisirs, c¶est sa constance ou sa durée.
Epicurisme et stoïcisme sont deux doctrines rivales, ég alement eudémonistes. Le
sage épicurien veut réaliser un accord et une harmonie avec un monde purement
matériel et formé d¶atomes, alors que le sage stoïcien accepte l¶ordre des choses, qui
est aussi bien la Nature comprise comme une unité organique, Dieu ou la Raison. Il
s'agit d'un ApanthéismeA (Dieu est dans tout, tout est en Dieu). ?
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? ??? (Sénèque). Pour les
stoïciens, la recherche du plaisir ne conduit pas au bonheur, car le pl aisir est à la fois
inconsistant (décevant) et éphémère (trompeur) :
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(Sénèque).
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!??c écrit Diogène Laërce. Au fond, le stoïcisme se
présente moins comme une recherche du bonheur que comme une recherche en soi
de la vertu : il y a une nuance. Ce qui nous rapproche un peu d'une autre doctrine,
religieuse celle-ci, qui allait radicalement bouleverser cette conception du bonheur et
du Bien : le christianisme. Le bonheur va accréditer l'idée selon laquelle le bonheur
ici-bas n'existe point. Mieux vaut la félicité éternelle par Dieu à toute
âme du péché originel. A condition d'être obéissant (dit l'Eglise), à condition
de faire son devoir (dit le philosophe). Quel devoir ? Qu'est -ce donc que la moralité ?
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? ? (Pascal), il sµen faut de beaucoup
qu¶ils s¶accordent sur une définition commune du bonheur. «
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? ? ? ?? (Kant). Kant fait remarquer que
le bonheur n¶est qu¶un idéal de l¶imagination, et qu¶au mieux la ³morale du bonheur´
ne contient pas des règles mais des conseils (facultatifs et non normatifs), et tout au
plus des impératifs techniques portant sur les moyens et jamais sur les fins.
Il faut donc retrouver le sens évident et simple de la moralité. Partant du mot de
Pascal : ? ?
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, Lalande explique : ? ?
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Rousseau : «
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L¶impératif catégorique
Cet impératif moral, Kant le nomme impératif catégorique. Le pur devoir a priori
commande catégoriquement. Il faut, en effet, distinguer l¶impératif catégorique ² qui
seul est proprement moral ² de l¶impératif hypothétique, qui nous représente une
action comme nécessaire pour parvenir à une certaine fin. Tels sont les impérati fs de
l¶habileté ou de la prudence. Alors que l¶impératif hypothétique nous dit «faites ceci,
si vous voulez obtenir cela», I¶impératif moral n¶exprime nullement la nécessité
pratique d¶une action comme moyen d¶obtenir autre chose, mais il commande
inconditionnellement «Faites ceci». En quoi consiste précisément l¶impératif
catégorique? Kant nous le présente comme soumis à trois conditions, qui sont aussi
trois formulations du même principe.
UNIVERSALISER LA MAXIME DE NOTRE ACTION (première formule). La pre mière formule
du devoir obéit à l¶exigence d¶universalisation. Au moment de l¶action, il faut toujours
se demander : et si tous en faisaient autant? Il n¶est pas d¶autre critère possible de la
morale et du devoir. Ainsi, nous dit Kant, le suicide dans une situation difficile est
impossible, car je ne puis universaliser sans contradictions la maxime de mon action.
Une nature dont ce serait la loi de détruire la vie serait contradiction avec elle -même.
Voici donc cette première formule : ???
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LE RESPECT DE LA PERSONNE (seconde formule). La morale est fondée sur le respect
de la raison. Or celle-ci entraîne le respect de l¶homme conçu comme être
raisonnable. Par conséquent, I¶être humain possède seul une valeur absolue, il
représente une fin en lui -même. Les autres êtres vivants ont une valeur
conditionnelle, mais l¶homme a une valeur inconditionnelle : c¶est une ³personne´,
une fin en soi. Voici donc la seconde formule de l¶impératif : ??
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L¶AUTONOMIE (troisième formule). La troisième formule de l¶impératif catégorique
souligne l¶autonomie de la volonté. Si l¶être raisonnable est une fin en soi, il en
résulte qu¶il ne peut être soumis à la loi morale, mais qu¶il doit au contraire en être
l¶auteur. En somme, l¶être humain ne peut recevo ir la loi morale de manière purement
externe ; il se l¶impose librement à lui-même. En somme, l¶autonomie de la volonté
ne désigne rien de moins que la faculté de s¶obliger soi -même. Par la raison,
l¶homme est aussi bien l¶origine (l¶auteur) de la loi morale que sa fin. Et cette loi ne
dépend de rien d¶autre. A l¶inverse, dan s l¶énonciation des impératifs ³hypothétiques´,
la raison est dite ³hétéronome´ car elle dépend d¶autres facteurs, d¶autres conditions.
Par exemple, une morale telle que celle du bonheur exprime l¶asservissement de la
raison à l¶intérêt. La formule est don c la suivante : ! ? ?
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LE RESPECT DE LA LOI . On peut maintenant énoncer la définition du devoir selon Kant :
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. Le respect est
dû à la loi elle-même en tant que telle, et non à tel ou tel objet concerné par l¶action :
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1 Un idéal de l¶imagination
Le devoir concerne la raison, toujours universelle ; tandis que le bonheur n¶est qu¶un
idéal de l¶imagination, et en ce sens, il reste lié à l¶expérience singulière et empirique.
D¶où la sorte de flou, voire de contradiction qui entoure l¶idée du bonheur : ?
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Donc le bonheur est un idéal de
l¶imagination. Cela veut dire que l¶on projette dans l¶absolu des satisfactions dont
nous avons fait l¶expérience. mais cet idéal est aussi deviers et subjectif que le sont
ces expériences elles-mêmes. 1° Le bonheur n'est pas un idéal de la raison, mais de
l¶imagination, donc il n¶est pas universel mais toujours personnel. 2° Dans la mesure
où Kant sépare résolument la raison pratique (cad le devoir) et l¶idéal du bonheur, ce
dernier se trouve ramené à une satisfaction plus ou moins aléatoir e de nos désirs.
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?'? (Kant,
RCP). Le danger de cette position, c¶est justement de placer le bonh eur en-dessous
du devoir ; il devient quelque chose que l¶on obtient par hasard (cf. étymologie),
plutôt que ce que l¶on recherche vraiment ; il est subjectif au sens où un plaisir est
subjectif, mais il échappe fondamentalement au sujet. Mais n¶est -ce pas alors courir
le risque de la voir échapper à la raison et à l¶esprit ? N¶est -ce pas en faire quelque
chose de purement physique et matériel ? Après tout, une
même
imaginaire, même idéale, n¶est -elle pas par définition intéressée?
Néanmoins - cela sera plus positif - peut-on sérieusement parler d'un idéal égoïste,
ou même personnel ? Tout idéal n'est -il pas par définition humaniste ? N'avons -nous
pas besoin des autres pour être heureux ? Le bonheur serait -il par définition collectif
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A. Ce dernier associe expressément la recherche du
bonheur à l¶organisation rationnelle de la vie commun autaire. Dans la mesure où l¶on
en fait un ³idéal´ et un but, l¶on est obligé de généraliser et d¶´humaniser´, donc de
politiser la recherche du bonheur. Si tous les hommes recherchent également un
maximum de plaisir pour une moindre peine, alors le bonheu r de l¶individu doit être
considéré comme solidaire de la prospérité générale. Telle est d¶ailleurs la position
de l¶´Utilitarisme´ : la satisfaction des plaisirs ne conduit au bonheur que dans la
perspective de l¶intérêt général. L¶UTILITARISME est la doctrine (Bentham, J. Stuart Mill)
qui envisage le bonheur d¶un point de vue à la fois matériel et collectif, et qui rabat le
Bien sur l¶ensemble des biens qu¶il est possible d¶obtenir : A ( ?
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(Bentham) On semble proche de la position épicurienne, puisque A ?
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(Mill). Mais ce qui en fait un idéal, c¶est que ce bonheur est
selon une
stratégie collective et repose en grande partie sur la croyance au techno-
économique.
Sans compter l¶aspect purement moral de la question, car
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? (La Bruyère) Cela devient
même un élément de la philosophie du Droit et, historiquement, un enjeu essentiel
de la Révolution française. Il y est question d'un D ROIT AU BONHEUR ! En affirmant
A?
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?c , Saint-Just fait du bonheur un bien non
pas donné mais au contraire un bien à conquérir ; il en fait la finalité même de la
politique, du droit, de la démocratie. D¶ailleurs le droit au bonheur est clairement
énoncé : A? ??
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(Déclaration des Droits de l¶homme et du citoyen, article premier).
L¶OPTIMISME de ceux qu¶on a appelés au 18è ³les Philosophes´ a placé le bonheur
dans le développement des ³Lumières´, c¶est -à-dire dans le développement de la
connaissance et de l¶intelli gence. D¶abord affranchir les individus de toute
oppression, puis avoir confiance en l¶avenir, au ³progrès´. Cette confiance repose sur
une confiance encore plus fondamentale en la bonté de l¶homme, comme c¶est le cas
chez Rousseau. On insistera surtout sur la valeur d¶une bonne
, laquelle a
pour but de rendre l¶enfant heureux. Dans l¶Emile, Rousseau développe sa
conception : on doit laisser l¶enfant se développer conformément à sa
?nature :
sports, jeux, promenades et travail contribueront à un sain épanouissement.
Donc il s¶agit bien d¶un idéal, d¶une « idée », quelque chose à conquérir, mais ?
? ?? valoir pour tout le monde« Or il se produit une sorte de glissement«
de l¶humanisme vers l¶utilitarisme, puis vers le matérialisme, puis vers
l¶individualisme« Voyons comment. J¶avais déjà évoqué l¶utilitarisme, cette doctrine
qui rabat le Bien sur l¶ensemble des biens qu¶il est possible d¶obtenir : A ( ?
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? (Bentham) C¶est un fait que si tous les hommes recherchent également
un maximum de plaisir pour une moindre peine, alors le bonheur de l¶individu doi t
être considéré comme solidaire de la prospérité générale. L¶utilitarisme envisage le
bonheur à l¶échelle sociale, donc pour tous les hommes, bien qu¶elle rabat le Bien
sur l¶utile. Que veut dire utile » ? Au sens premier, c¶est ce qui permet à la
réalisation d¶un bien. On trouve la notion chez Epictète par exemple, ou chez
Spinoza (dont on parlera à la fin) : le sage se contente de rechercher l¶utile. L¶utile est
un moyen en vue d¶un bien. En soit, l¶utile ne connote rien de matériel ».
Pourtant la civilisation a évolué non seulement du côté de l¶utile, mais évidemment
du côté de l¶utile matériel. Le Bien se réduit aux biens (c¶est l¶utilitarisme), et les biens
se ramènent aux biens matériels (c¶est le matérialisme) Avouons que c¶était un peu
fatal ! On en est là ! Je répète donc ma question, comment est -on passé de
l¶humanisme au matérialisme (via l¶utilitarisme), comment en est -on arrivé à cette
idéologie du confort » ? Le bonheur, c¶est du confort ! Quel point commun entre les
valeurs humanistes, progressistes du 18è siècle, et le matérialisme ? Comme vous le
savez il y a deux grandes valeurs fondatrices : liberté et égalité. Mais la valeur
véritablement nouvelle, ce n¶est pas la liberté. On n¶a pas attendu les penseurs du
18è siècle pour chanter la liberté, surtout la liberté de penser ! Par contre
est
une notion vraiment nouvelle et quasiment scandaleuse. L¶idée qu¶un homme en
vaut un autre et que par conséquent tout homme a droit au bonheur, cette idée avait
de quoi surprendre dans une société encore hiérarchisée. Mais c¶est ?
l¶égalité est une valeur de référence (certains iront jusqu¶à dire : un mythe) que l¶idéal
du bonheur va plonger, presque inévitablement, dans le sens du matérialisme.
Pourquoi ? En effet, pour être compati ble avec l¶idée de l¶égalité, il faut que bonheur
soit partageable, et pour qu¶il soit partageable, il faut qu¶il soit mesurable ! Il faut que
ce soit du bien-être mesurable, bref, du confort.
Nous y voilà. Que faire avec cette idée ± si on peut appeler ça une idée, ou un idéal
± que le bonheur c¶est du confort ?! Ne manquer de rien. Comment philosopher avec
ça ? de plus tout ceci est extrêmement relatif. Si en France aujourd¶hui quelqu¶un qui
gagne à peine le SMIC manque assurément de confort, il passe po ur un riche aux
yeux de certaines populations du reste du monde Quant au bienfait de l¶utile, je
n¶insiste pas : l¶analyse a été faite par Rousseau en son temps. A force de chercher à
se simplifier la vie par des moyens, notamment techniques, on finit par crouler sous
le poids de l¶inutile et par se compliquer la vie !! Et comment, de toute façon, se
satisfaire du confort ? Le confort, la richesse, etc. n¶empêche ni la méchanceté, ni le
crime, ni la souffrance On retrouve ce dicton plein de bon sens selon lequel
l¶argent ne fait pas le bonheur
Mais il y a un autre problème, une autre dérive dont nous n¶avons pas encore parlé.
En effet l¶utilitarisme et le matérialisme entraînent l¶individualisme. Cet ensemble est
ce que nous appelons couramment la socié té de consommation ». Cette situation
entraîne un paradoxe considérable, inhérent à l¶individualisme.
Penser par soi-même, vous savez que c¶est l¶exigence philosophique elle -même. Ne
confondez pas cela avec de l¶individualisme. Mais commençons par la joie. Jusqu¶à
présent nous n¶avions pas abordé ce sujet parce que le bonheur nous sem blait un
idéal, donc finalement tout le contraire d¶un vécu. La joie au contraire est un vécu.
Mais nous avions défini le bonheur comme un état de satisfaction complète et
durable : cela ne définit pas spécialement la joie. La joie est bien un état, mais u n
état dynamique, non statique comme le bonheur. Un état qui ne dure pas bien
longtemps : à la limite, trop de joie fatigue (probablement parce qu¶il y a une espèce
de consanguinité entre la joie et le jouissance) ! Difficile d¶être en joie plus de
quelques heures ! Par contre la joie est concrète et bien réelle, alors que jusqu¶à
présent nous ne savons toujours pas (je vous le signale) ce qu¶est le bonheur, ni
même si le bonheur existe.
Alors demandons-nous au moins si la joie ne serait pas comme un ingré dient
déterminant du bonheur. La joie, si modeste, serait -elle le secret du bonheur, voire la
au problème philosophique du bonheur !? Pourquoi pas puisque ce
sentiment a le mérite de durer, non pas parce qu¶il s¶étale dans le temps mais parce
qu¶il se répète et s¶entretient. Une joie répétée ne fait -elle pas, en quelque manière,
un bonheur durable ? Alors que l¶idéal du bonheur réside dans un avenir plus ou
moins utopique, ou bien se terre dans un passé plus ou moins mythique, la joie
appartient au présent. Elle est tout entière présente parce qu¶elle tout entière vécue.
Ne créons-nous pas de cette manière une sorte de disposition permanente au
bonheur ? Peut-on faire de la joie une sorte de principe éthique ? Ce n¶est pas qu¶il
existe un devoir d¶être joyeux (ce serait quand même un peu fort !), mais quand on a
connu la joie on n¶a aucune raison de ne pas souhaiter son retour et donc de tout
faire dans ce sens. Faire quoi ? Qu¶est -ce qui met en joie ?
Le savoir. Tout simplement, la connaissance. C¶e st-à-dire la vraie liberté. Voyons ce
que Spinoza dit de la joie et en même temps de la vertu, afin de nous convaincre que
l¶éthique et la recherche du bonheur sont une seule et même chose. «Autant que le
comporte la vertu humaine [l¶homme libre] s¶efforce ra de bien agir et d¶être dans la
Joie » (Eth. IV, 50, sc ) .). Ce « bien agir » est la recherche de ce que Spinoza
nomme « l¶utile propre », il ne s¶agit pas de biens empiriques, imaginaires et
aliénants comme « les plaisirs, les honneurs et les richesses . L¶utile propre est au
contraire un bien qui accroît réellement la puissance d¶exister de l¶individu. C¶est le
rôle de la raison de définir de tels biens. C¶est la connaissance qui rend possible la
réalisation de soi selon son Désir. Le niveau le plus int ense de cette joie est la «
satisfaction de soi », elle est « la joie qu¶accompagne l¶idée d¶une cause intérieure »
(Eth. III, 30). Cela définit proprement l¶autonomie, la vraie liberté.
Spinoza écrit « « un homme libre [« ] désire directement le bien« » (E th. IV, 67),
l¶homme libre n¶est pas conduit par la crainte de la mort, au contraire «« il désire
agir, vivre, conserver son être sur le fondement de la recherche de l¶utile propre ; par
suite il ne pense à rien moins qu¶à la mort et sa sagesse est une méd itation de la vie
». L¶existence autonome, joyeuse et rationnelle est donc sa propre récompense, elle
n¶est pas le fruit d¶un calcul, elle est l¶expression même de l¶individu lorsqu¶il a atteint
la meilleure réalisation de soi et la plus haute satisfaction : « La Béatitude n¶est pas
la récompense de la vertu mais la vertu même ; et nous n¶en éprouvons pas la joie
parce que nous réprimons nos désirs sensuels, c¶est au contraire parce que nous en
éprouvons la joie que nous pouvons réprimer ces désirs » écrit Spinoza en Eth. V,
42. C¶est l¶ultime proposition de l¶Ethique, sa conclusion.
En effet, la joie qui est atteinte est le plus haut sommet de la joie et se déploie
comme une sagesse constante : la béatitude. L¶homme libre accède donc à la
perfection car il se réalise pleinement et aussi parce que sa joie n¶est plus
susceptible de s¶accroître : « Et si la Joie consiste dans le passage à une perfection
plus grande, la Béatitude doit certes alors consister, pour l¶Esprit, à posséder la
perfection même » (Eth. IV, 33, sc)
Cette recherche de l¶utile propre est également éloignée de l¶égoïsme. Spinoza
accorde en effet une place prépondérante à autrui. L¶accord avec autrui fait partie de
la félicité. Cet accord sera instauré par la raison et donc seule une éthique r ationnelle
en est capable. C¶est dire que la vertu est également générosité : « Le bien que tout
homme recherchant la vertu poursuit pour lui -même, il le désirera aussi pour les
autres« » (Eth. IV, 37).
Ainsi joie, vertu et connaissance sont -elles étroitement liées. Ensemble, elles forment
le bonheur. Ensemble, elles forment la sagesse.
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Alors, morale du devoir ou éthique du bonheur ? Aucune des deux ! Plutôt une
éthique du désir« Parce que « le désir est l¶essence de l¶homme » (Spinoza), seul le
Désir, inséparable de la connaissance, peut réconcilier le bonheur et le devoir. Nous
avions distingué morale et éthique d¶une façon volontairement provisoire, en sachant
bien qu¶il serait possible d e construire une éthique plus englobante et plus
fondamentale que le simple eudémonisme. Ce n¶est pas pour rien que Spinoza a
intitulé son œuvre principale :
c . Avec lui nous pouvons réconcilier le devoir et
le bonheur dans la liberté de penser. Pa rce que si la liberté de penser est un droit,
une chance, un bonheur, elle est aussi un devoir et une exigence.
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