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Politiques publiques

Leçon 1 : Politique publique et analyse des politiques publiques


Laurie BOUSSAGUET

Table des matières


Section 1 : D'où vient l'analyse des politiques publiques ? Retour sur l'histoire d'une discipline..................... p. 2
§1 : La genèse dans les années 1950................................................................................................................................................p. 2
§2 : Le basculement dans les années 1960-1970.............................................................................................................................. p. 2
§3 : Les évolutions récentes................................................................................................................................................................p. 3
Section 2 : Qu'est-ce qu'une politique publique ? Tentative de définition............................................................p. 4
§1 : 3 tentatives infructueuses.............................................................................................................................................................p. 4
§2 : Un construit social et un construit de recherche..........................................................................................................................p. 5
§3 : Les 5 éléments constitutifs d'une politique publique.................................................................................................................... p. 6
Section 3 : Etat et politiques publiques................................................................................................................... p. 8
§1 : Les différents types de politiques publiques (différentes façons de faire pour l'Etat)...................................................................p. 8
§2 : Evolution des politiques publiques et transformation de l'Etat..................................................................................................... p. 9

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Section 1 : D'où vient l'analyse des
politiques publiques ? Retour sur
l'histoire d'une discipline
§1 : La genèse dans les années 1950
L'analyse des politiques publiques fait son apparition dans les années 1950 aux États-Unis ; il y a à ce moment-
là une forte articulation entre analyse et pratique : les premiers analystes sont en même temps des praticiens
de l'action publique (universitaires consultants pour l'administration). Ex : Merriam, universitaire et directeur du
National Ressource Board dont l'objectif est d'optimiser l'utilisation des ressources publiques.

>>> C'est le développement des policy sciences (Cf. ouvrage fondateur de Lerner et Laswell en 1951). Le but
de cette nouvelle discipline = produire des connaissances applicables à la résolution des problèmes de l'action
publique. Il s'agit d'améliorer l'efficacité des politiques publiques en rationalisant l'action étatique. C'est donc
une science de l'action publique et pour l'action publique, opérationnelle, qui vise à aider la prise de décision.
Ex : élaboration d'un outil de planification budgétaire : le planning programming budgeting system (PPBS),
mis en œuvre au niveau fédéral américain dans les années 1960. C'est un projet simultanément politique
et scientifique (rationnaliser l'action publique), qui se développe dans l'Etat. En France, cela se traduit par
exemple par la mise en place du Commissariat au Plan et le développement de la procédure de rationalisation
des choix budgétaire (RCB).

Dans cette première période, on se focalise essentiellement sur la décision publique et l'analyse repose sur
deux postulats principaux : la rationalité de la décision ; et le caractère non problématique de la mise en œuvre
(qui est d'ailleurs l'objet d'une attention très limitée). Le contexte de l'époque est très particulier : croissance
économique forte et forte légitimité de l'Etat. Mais les choses vont changer dans les décennies suivantes.

§2 : Le basculement dans les années


1960-1970
Tournant de la discipline dans ces deux décennies (surtout les années 1970) pour 3 séries de raisons :

• Des raisons pratiques : les dispositifs qui ont été développés dans la première phase de la discipline
sont couteux et connaissent des échecs relatifs. Ex : la guerre du Vietnam durant laquelle l'armée
américaine a tenté de rationaliser son action; ou le début de la crise de la planification à la française.
C'est aussi le moment où démarre la crise économique (suite aux chocs pétroliers des années 1970),
qui révèle l'incapacité de l'Etat à répondre à la stagflation (progression concomitante du chômage et de
l'inflation) et entraîne la contraction des dépenses publiques. Petit à petit, une conception plus modeste
de l'action publique se fait jour.
• Des raisons idéologiques : c'est le tournant libéral (conception libérale de l'économie et de l'Etat
qui devient dominante). On passe d'un paradigme keynésien en matière économique (ex : politiques
de relance budgétaires qui jouent sur la demande) à un paradigme néo-libéral qui prône la rigueur
(dérégulation, privatisations, démantèlement progressif des monopoles étatiques). Cela s'accompagne
d'une redéfinition générale du rôle de l'Etat (délégitimé et qui se rétracte). Cf. célèbre citation de Reagan
à son arrivée au pouvoir à la présidence américaine : « si l'Etat ne peut répondre à vos problèmes, c'est
peut-être que l'Etat est le problème ».
• Des raisons théoriques : l'APP fait un détour par la sociologie des organisations qui devient une
discipline incontournable dans les années 1960 (Cf. travaux de Lindblom, March ou Wildawsky aux
USA ; Crozier en France) ; cela contribue à remettre en cause les deux postulats sur lesquels reposaient

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les policy sciences. Sont en effet mis en avant les multiples dysfonctionnements de l'action étatique,
l'absence de rationalité de la décision publique, les difficultés de l'administration à mettre en œuvre
les décisions prises, l'autonomie des agents aux guichets (les street-level bureaucrats), les limites des
capacités de l'Etat à résoudre les problèmes qu'il affirme prendre en charge, la rationalité limitée des
acteurs (du fait notamment d'un accès limité à l'information), etc. C'est l'ère du pessimisme sociologique
(après l'optimisme rationalisateur de la première période). On prend désormais en compte les facteurs
organisationnels et institutionnels, les conflits entre acteurs et leurs caractéristiques sociologiques :
l'Etat n'est pas un acteur homogène et unitaire, mais il est composé d'une série d'acteurs souvent en
concurrence. Il s'agit d'un ensemble hétérogène, non cohérent et fragmenté.
>>> Pour l'ensemble de ces raisons, la discipline « analyse des politiques publiques » se transforme. Elle se
retire tout d'abord du champ de l'aide à la décision pour devenir progressivement une discipline académique et
universitaire à part entière, autonome, en tant que sous-discipline de la science politique – on assiste donc à un
changement de nature de la discipline. Pour cela – et c'est le 2ème élément de transformation, elle se nourrit
des autres courants de recherche existants (qui vont lui permettre d'accroitre sa scientificité) : la sociologie des
organisations bien sûr, mais aussi la sociologie de l'action collective et des groupes d'intérêt (on s'intéresse
désormais aux acteurs qui gravitent autour de l'Etat et participent aux processus de décision) et l'étude du
fonctionnement des institutions.

§3 : Les évolutions récentes


Cette dernière période – qui correspond aux 20 dernières années – se traduit par 3 évolutions majeures pour
la discipline :
• Son institutionnalisation définitive en tant que sous-discipline autonome de la science politique. Les
indicateurs de cette institutionnalisation : nombre de thèses soutenues en APP qui augmente ; des revues
spécialisées (PMP, JEPP, GAP, etc.) ; des manuels et dictionnaires ; le nombre de publications ; groupes
spécialisés au sein des associations de science politique ; etc.
• Sa « sociologisation » : on constate un intérêt de plus en plus grand pour les acteurs des PP et leurs
modes d'interaction et d'intervention. L'Etat n'est plus au centre de l'analyse ; on cherche à comprendre
les interactions existant entre acteurs publics et acteurs privés. Cf. concepts de « réseau de politique
publique » ; de « coalition de cause » ; etc. La démarche sociologique est privilégiée.
• Son ouverture au-delà du cadre national : on constate en effet une évolution des frontières de l'action
publique et le développement de PP non étatiques. Cf. politiques locales ; politiques internationales,
politiques européennes. On est ainsi passé d'une production étatique des politiques publiques à une
construction collective de l'action publique, sur plusieurs niveaux de pouvoir.

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Section 2 : Qu'est-ce qu'une politique
publique ? Tentative de définition
Dans nos sociétés contemporaines, les politiques publiques sont omniprésentes. Cf. politiques de l'emploi ;
règlementations européennes sur les OGM ; réforme de l'assurance-chômage ; plan d'urgence pour les
banlieues ; nouvelles règles de concurrence de l'OMC ; réforme des retraites ; mesures de protection de
l'environnement ; durcissement de la répression en matière de délinquance sexuelle ; etc.
>>> Mais comment définit-on une politique publique ?

Remarque
On distingue généralement 3 sens du mot « politique » en anglais – qui correspondent à 3 articles/
déterminants différents en langue française :
• LE politique, ou polity, qui renvoie au sens le plus général (régulations du monde social, « art du
commandement social » d'Aristote, régime politique, Etat).
• LA politique, ou politics, qui renvoie à la vie politique (tout ce qui gravite autour du pouvoir politique et
a trait à la conquête de ce pouvoir : partis politiques, débats politiques, élections, etc.).
• LES politiques, ou policies, qui renvoient à l'action publique, à ce qui est produit par le système. C'est
ce 3ème sens qui est au cœur de ce cours.

§1 : 3 tentatives infructueuses
Une politique publique est un objet difficile à définir car il varie dans le temps et dans l'espace :
• Dans le temps : aujourd'hui, l'action publique recouvre des domaines d'intervention beaucoup plus larges
qu'il y a 30 ou 40 ans. Ex : la protection de l'environnement.
• Dans l'espace : on ne trouve pas la même conception de l'intervention de l'Etat suivant les pays. Ex :
aux États-Unis, les niveaux des politiques publiques (mesurés par exemple avec les prélèvements
obligatoires) sont beaucoup moins élevés qu'en Europe – l'action publique prend surtout la forme de
règlementations (et non pas de grands programmes dépensiers).
Comment dans ces conditions, trouver une définition valide et cohérente qui rende compte de cette diversité ?
Plusieurs tentatives peuvent être citées – mais aucune n'est véritablement satisfaisante.

Définition 1 : Laswell en 1936 : « who gets what, when and how ? », c'est à dire qui obtient quoi, quand et
comment?
Les politiques publiques sont d'abord pour lui des choix de clientèles (et par contrecoup, des victimes). L'intérêt
de cette définition est de souligner le ressort social des politiques publiques (elles constituent des ressources
ou des contraintes pour les individus et certains acteurs ont des intérêts dans le développement des politiques
publiques), et le fait qu'elles ont un impact, un effet (ce n'est pas quelque chose sans conséquence).

Toutefois, il s'agit d'une « définition » très imprécise ; on ne sait pas qui fait quoi ? Qui sont les acteurs des
politiques publiques ? Quelles sont les spécificités par rapport à d'autres actions sociales ? etc. Cadrage
beaucoup trop flou pour être satisfaisant.

Définition 2 : Dye en 1976 : « tout ce qu'un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire ».
Le point intéressant de cette définition est qu'elle donne une vision extensive de l'action publique en incluant
l'immobilisme (le fait de « ne pas faire ») dans la définition – cela fait partie à part entière d'une politique
publique. Et la dimension « publique » de la politique apparaît avec la figure du gouvernement.
Toutefois, elle contient de nombreuses limites :

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• Elle minore l'importance des acteurs non publics (c'est-à-dire privés) qui peuvent intervenir dans
l'élaboration d'une politique publique. Ex : experts, associations, professionnels, groupes d'intérêt,
citoyens, entreprises, etc.
• Elle postule l'homogénéité interne du gouvernement et sous-estime les tensions et conflits qui peuvent
exister en son sein (entre ministères, entre acteurs politiques et administratifs, etc.) : le gouvernement
n'est pas un acteur unitaire et homogène.
• Elle méconnaît les différents niveaux de gouvernement et les autres « puissances » publiques qui
produisent aujourd'hui des politiques publiques, autres que l'Etat national. Cf. les collectivités territoriales,
l'Union européenne, les organisations internationales, etc.
• Elle insiste sur la notion de choix, ce qui signifie que derrière toute politique publique, il y aurait des
motivations et des objectifs... Or rien n'est moins sûr ; cela soulève la question de la rationalité des
décideurs. Parfois, ils ne choisissent pas. Ex : héritage des politiques passées.

Définition 3 : Howlett et Ramesh en 1995 : « un ensemble de décisions reliées entre elles, pris par un acteur
ou un groupe d'acteurs, avec pour caractéristique fondamentale de définir des buts à atteindre ainsi que les
moyens nécessaires pour remplir les objectifs fixés ».
Cette définition ajoute des dimensions à l'analyse (absentes dans la définition précédente) :
• Elle récuse la coupure public / privé, ce qui permet d'intégrer le rôle de l'action collective et des groupes
d'intérêt (par exemple) dans l'action de l'Etat.
• Elle souligne le caractère pluraliste d'une politique publique (« ensemble de décisions »).
• Elle souligne deux dimensions importantes des politiques publiques : elle intègre tout d'abord l'idée de
« moyens » (c'est-à-dire prise en compte des instruments d'action publique) ; mais aussi les « objectifs »
ou « buts à atteindre », c'est-à-dire l'ensemble des éléments cognitifs qui sous-tendent l'action publique.
Toutefois, des problèmes subsistent encore :
• Quels sont les liens entre les décisions ? Une telle définition contient en effet l'idée de cohérence implicite
entre les décisions et on peut se demander pourquoi.
• Elle laisse dans le silence le problème des buts et des moyens : comment sont-ils définis ? Par qui ? etc.
• Qui sont les acteurs ?
• En quoi est-ce « publique » ? Cette définition pourrait s'appliquer aux décisions prises à l'intérieur d'une
association (ex : la politique d'Amnesty International), mais s'agit-il pour autant de politique publique ?
>>> Les essais de définition sont souvent infructueux et insatisfaisants (il y a toujours quelque chose qui ne va
pas, une dimension manquante, une imprécision...). Le problème commun aux définitions 2 et 3 notamment est
qu'elles cherchent trop à substantiver le contenu des politiques publiques et à limiter les politiques publiques
à leur contenu. Or il faut sortir de cette focale si on veut saisir au mieux ce qu'est une politique publique.

§2 : Un construit social et un construit de


recherche
Cf. Muller et Surel en 1998 : « un construit social et un construit de recherche ».

On a tous intuitivement une idée de ce que peut être une politique publique. Par exemple, si on cherche
à définir les contours de la politique de l'environnement, on pourra par exemple commencer par recenser
l'ensemble des textes législatifs et règlementaires qui concernent ce secteur. Mais en fait, ce n'est pas aussi
évident que ça : l'action du ministère de l'environnement ne se limite pas à la production de textes ; une
simple déclaration du ministère, mettant en cause telle ou telle catégorie de pollueur, constitue un acte fort qui
peut avoir un impact social et politique important. Et il peut exister des politiques en l'absence d'une structure
ministérielle spécialisée (les politiques de l'environnement existaient en France avant la création du ministère
dans les années 1970). Enfin, quand un ministère existe, son action ne recouvre pas la totalité du domaine
dont il est responsable : de nombreuses autres administrations et ministères mettent en œuvre des actions
qui concernent de près ou de loin le champ de l'environnement.
>>> Les contours d'une politique publique ne doivent pas être considérés comme un donné – d'où la difficulté
de circonscrire le terme « politique publique » dans une définition unique et définitive. Cf. Jones : une politique

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publique est simplement une « catégorie analytique » ; elle est construite par le chercheur qui s'intéresse à
elle et par les acteurs politiques qui la font vivre (elle est le produit de l'action des acteurs) :
• Un construit social : une politique publique est en effet le produit des acteurs sociaux, de leurs
interactions ; et c'est aussi une catégorie que les acteurs appliquent. Par exemple, ils parlent de
« politique de la ville » pour donner une cohérence à tout un ensemble de dispositifs. En somme, une
politique publique n'est pas un donné, mais ce qu'en font et ce qu'en disent les acteurs.
• Un construit de recherche : le but de l'analyse des politiques publiques est de comprendre cette
construction, c'est-à-dire comment une politique publique est devenue un construit social ; pour cela,
on construit aussi la politique publique comme un objet de recherche. Ex : la politique de lutte contre la
pédophilie n'existe pas en tant que telle – elle n'apparait pas dans les textes officiels ; c'est le chercheur
qui la construit comme un objet particulier, intersectoriel, qui regroupe des mesures et dispositifs à cheval
entre la protection de l'enfance et la répression de la délinquance sexuelle, et dont l'objectif est la limitation
et la répression du phénomène des abus sexuels sur mineurs.
Pour pouvoir faire cela, c'est-à-dire construire la politique publique comme un objet de recherche, il y a une
étape préalable nécessaire : c'est la recherche des éléments constitutifs d'une politique publique.

§3 : Les 5 éléments constitutifs d'une


politique publique
Cf. Mény et Thoenig, en 1989 : les 5 éléments constitutifs de toute politique publique sont un contenu, un
programme, une orientation normative, un facteur de coercition et le ressort social.

• Le contenu : il s'agit des actes concrets, des éléments matériels d'une PP. Il peut s'agir d'un texte de
loi, d'une subvention, de la création d'une agence, etc. ; mais il faut aussi tenir compte des éléments
symboliques, comme les discours ou les campagnes d'information (ex : lutte contre l'alcoolisme ou le
tabagisme).
• Un programme : il s'agit du cadre général d'analyse, qui comprend des frontières plus ou moins
objectives (découpage ministériel par exemple). Il faut alors s'intéresser aux logiques sociales qui ont
défini ces frontières. Un exemple précis de programme = la politique de lutte contre la toxicomanie, qui
englobe une politique curative, une politique de sanction, etc. qui relèvent de ministères différents.
• L'orientation normative : il y a toujours des objectifs derrière les politiques publiques ; on parle d'action
publique finalisée. Ces objectifs sont parfois faciles à analyser car ils sont explicites, mais ils peuvent
aussi être implicites. A ce niveau-là, ce sont les valeurs et les préférences idéologiques des acteurs qui
entrent en compte. Exemple : le tournant néo-libéral.
• Le facteur de coercition : toutes les politiques publiques ont en effet une nature coercitive (Cf.
conception Wébérienne de l'Etat, mais élargie) ; l'action publique contraint le comportement des acteurs,
qu'ils soient publics ou privés. Exemple de la politique de l'environnement : normes et règlements
qui limitent l'utilisation du parc automobile, qui incitent à changer d'équipements, etc. Dans le cas
des politiques redistributives, l'action gouvernementale tend à constituer des ayants droits, c'est-à-dire
qu'elle modifie l'environnement juridique des individus en créant des bénéficiaires et des victimes des
réglementations.
• Le ressort social : « l'ensemble des acteurs publics et privés qui concourent plus ou moins directement
à la production et à la mise en œuvre des politiques publiques » = tous les acteurs (hommes politiques,
administration, associations, syndicats, individus, professionnels, etc.) qui participent aux interactions
donnant naissance aux PP. Exemple : la politique du logement en France a été lancée en France dans les
années 50 par un comportement individuel (Abbé Pierre). Mais il faut aussi ajouter dans cette dimension
« ressort social » les ressortissants des PP, c'est-à-dire le public des PP (ou les bénéficiaires).
Remarque
Si on relit attentivement ces 5 éléments constitutifs d'une PP, on s'aperçoit que 3 variables explicatives
centrales se dessinent pour l'analyse des politiques publiques : les intérêts (ou les acteurs et leurs stratégies) ;
les idées (ou les orientations normatives) ; et les institutions. C'est ce qu'on appelle les « 3i » (idées, intérêts,
institutions).

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Section 3 : Etat et politiques publiques
Il s'agit de deux notions qui vont bien ensemble : regarder les politiques publiques permet de dire des choses
sur l'Etat ; on peut en effet analyser l'Etat par le biais de son action (le « faire de l'Etat » suivant les termes
de Jean Leca). Les PP, c'est « l'Etat en action » (titre d'un ouvrage célèbre de la discipline, de Bruno Jobert
et Pierre Muller, 1987).

§1 : Les différents types de politiques


publiques (différentes façons de faire pour
l'Etat)
La typologie la plus utilisée est celle de Théodore Lowi, élaborée dans les années 1960. Elle combine deux
dimensions – les instruments d'action publique et les destinataires des politiques publiques – et se décline à
partir de deux paramètres : le type de ressortissant (individuel ou collectif) et le type de contrainte qui s'exerce
(directe ou indirecte).

Les différents types de politiques publiques.

1. L'action publique consiste à édicter des règles obligatoires qui s'appliquent à tout individu dans une
situation donnée – l'Etat oblige ou interdit. Ex : limitations de vitesse pour les automobilistes ; règles
fixes pour protéger l'environnement (taux d'émission de gaz à effet de serre par exemple). Ces politiques
s'appuient sur du droit contraignant (sanctions possibles en cas de non respect).
2. L'action publique repose sur l'attribution d'autorisations ou de prestations particulières. Ex : attribution
de permis de construire ou de prestations sociales soumises à des conditions spécifiques. L'Etat alloue
des ressources matérielles ou juridiques sans obligation – on parle aussi de politiques allocatives. Elles
ont une dimension facultative.
3. L'action publique opère des transferts entre groupes, souvent dans une logique de solidarité. Ex :
assurances sociales (maladie, vieillesse, etc.) ; politiques fiscales.
4. L'action publique consiste à édicter des règles sur les règles ou sur le pouvoir ; elles fixent en quelque
sorte des procédures à suivre que doivent respecter les acteurs des politiques publiques. Ex : réformes
constitutionnelles ; création de nouveaux cadres institutionnels ; développement des procédures de débat
public ; etc.
Cependant, cette typologie n'est pas exhaustive :
• Elle ne tient pas compte des situations dans lesquelles le rapport entre l'Etat et les destinataires d'une
PP ne relève pas de la contrainte. Deux cas de figure : 1) quand les autorités publiques interviennent

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directement, en se substituant à des acteurs privés – c'est-à-dire les politiques d'intervention directe
(nationalisations, politiques d'infrastructures...). 2) quand les autorités publiques n'ont pas recours à la
coercition mais à la persuasion – c'est-à-dire les politiques incitatives (campagnes de prévention dans
le domaine de la santé publique – obésité, tabagisme, alcoolisme, etc. – et le recours à l'étiquetage des
produits par exemple) et les politiques fortement symboliques (notamment les politiques d'affichage, qui
disent plus qu'elles ne font).
• Pour un même enjeu, plusieurs types de PP coexistent. Ex : la politique de lutte contre la tabagisme
en France est à la fois règlementaire (interdiction de fumer dans les lieux publics), redistributive (par
l'existence de taxes sur les tabacs), et incitative (campagnes de sensibilisation du public sur les méfaits
du tabac). Il faut donc toujours intégrer une dimension temporelle et ne pas se limiter à une mesure
particulière : une politique publique est un enchainement de décisions et d'effets en interaction ; il s'agit
donc d'un processus dynamique.

§2 : Evolution des politiques publiques et


transformation de l'Etat
L'idée est de faire une histoire de l'Etat à travers les politiques publiques qu'il développe. Ce travail a été mené,
dans le cas français, par Rosanvallon (1990).

1ère étape : l'Etat régalien. Comme l'a montré Elias, l'Etat nait de la monopolisation de la force physique et des
ressources fiscales sur un territoire donné par un centre politique. Ce double monopole permet d'enclencher
les 3 processus constitutifs de l'Etat : la centralisation territoriale ; la différenciation du pouvoir politique par
rapport à la société ; et l'institutionnalisation de celui-ci sous la forme de l'administration. Jusqu'au 18ème
siècle, l'Etat conduit principalement 3 PP : les politiques de maintien de l'ordre ; les politiques fiscales et les
politiques militaires. Il s'agit de PP d'intervention directe – l'action étatique s'appuie avant tout sur la mise en
place d'instruments administratifs (police, armée, justice, administration territoriale, etc.).

2ème étape : l'Etat nation. La multiplication des politiques d'intervention directe forme en effet le socle
sur lequel se construit l'Etat nation – qui connait son apogée au 19ème siècle en Europe. D'autres PP
se développent alors : transports (routes, canaux, chemins de fer) ; communication (poste, télégraphe,
téléphone) ; aménagement du territoire (dans une optique d'intégration visant à raccourcir les distances) ;
enseignement (unification de la culture nationale, imposition d'une langue unique, inculcation du patriotisme).

3ème étape : l'Etat providence. Il se développe à la fin du 19ème et correspond à l'apparition de PP d'un
nouveau type : celui des politiques redistributives ; elles traduisent le passage d'une conception individuelle de
la responsabilité à une conception collective. Cf. mise en place des systèmes d'assurance collective pour les
accidents du travail (1871 en Allemagne, 1897 en Angleterre, 1898 en France) : la responsabilité de l'accident
du travail ne relève plus de l'ouvrier ou de l'employeur à titre individuel ; il est pensé comme le produit de
la société industrielle et c'est donc à l'Etat d'assumer les risques liés à l'essor du travail industriel. C'est le
développement d'une société assurantielle garantie par l'Etat et différents risques sont progressivement pris
en charge (travail, maladie, vieillesse, chômage). Les transferts de responsabilité et les transferts financiers
deviennent une dimension essentielle des PP. Remarque : la place des politiques redistributives s'accroit sous
l'effet des 2 guerres mondiales.

4ème étape : l'Etat producteur. La crise économique des années 1930 et la 2nde guerre mondiale mettent
en évidence la nécessité d'une intervention de l'Etat (Cf. théories de Keynes). Après 1945, les nécessités de
la reconstruction expliquent l'apparition de la planification et l'accroissement de l'intervention économique de
l'Etat (nationalisations, soutien à la demande, programmes d'équipements, etc.). + extension des systèmes de
protection sociale (c'est-à-dire accentuation de l'Etat providence).

5ème étape : l'Etat régulateur. Les politiques redistributives et d'intervention directe sont remises en
cause depuis les années 1970, ce qui a conduit à l'affirmation croissante des politiques constitutives (ou
procédurales), des politiques règlementaires et des politiques incitatives. L'Etat intervient désormais plus
indirectement que directement et fait faire, plus qu'il ne fait lui-même ; il agit donc de plus en plus en interaction

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avec d'autres acteurs, non étatiques (Cf. Hassenteufel, 2007) : les politiques publiques sont de plus en plus
construites collectivement par une grande diversité d'acteurs.

6ème étape : l'Etat dépassé. L'autre mutation décisive des dernières années (concomitante à l'étape
mentionnée précédemment) est le dépassement du cadre national pour le développement de l'action publique.
Cf. internationalisation, transnationalisation, européanisation des PP. L'Etat n'est plus qu'un acteur parmi
d'autres, un simple maillon dans la chaine complexe de production des PP. Cf. « De l'Etat-nation aux sociétés
ingouvernables » décrit par Le Galès et Lascoumes ; et apparition de nouveaux concepts comme celui de
« gouvernance » pour tenter de décrire ces nouvelles configurations d'acteurs qui fabriquent les PP « en
interactions ».

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