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VUES

SUR L'ENSEIGNEMENT

DE

LA PHILOSOPHIE.

<
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
VUES

SUR L'ENSEIGNEMENT

DE

LA PHILOSOPHIE;

Par Georges-Gabr1el MAUGER,


Professeur de Philosophie au Collège royal de Henri IV à Paris ,
et Chevalier de la Légion d'honneur.

SECONDE EDITION,

REVUE ET AUGMENTÉE. /V.

Kecth sapere.

A PARIS,
Chez Deterv1lle , Libr. , rue Hautefeuille , n° 8 ■
Et Delaunay, Libr., Galerie de bois, Palais-Royal.

1818.
AVANT-PROPOS.

L'opuscule qu'on a publié, sans nom d'auteur,


il y a deux mois , et dont on donne aujourd'hui
une seconde édition , est le discours prononcé à
l'ouverture du Cours de philosophie, en 1816, au
Collège royal de Bourbon, et en 1817 au Collège
royal de Henri IY , à Paris. Livré par goût à l'étude
de la philosophie, et appelé à la professer , l'auteur
de cet opuscule , sans dédaigner les traités élémen
taires suivis anciennement dans l'Université de
Paris , a cru devoir donner plus d'étendue à l'en
seignement de celte science, et en disposer les
parties dans un ordre un peu différent de celui qui
était adopté. Il lui a semblé que les principes déve
loppés au Cours d'histoire de la philosophie mo
derne , à la Faculté des lettres de Paris, pendant
les années 1812, 1813, 1814, conduisaient au
système d'enseignement philosophique le meilleur
et le plus complet. Ces principes , et ceux du doc
teur Reid , professeur de philosophie morale à
Glascow, ont servi de base aux leçons de l'auteur: ils
ont leur source dans les^écrits de Descartes et de
plusieurs métaphysiciens français ; et leur exposition
récente n'est même pas entièrement inconnue du,
public , puisqu'il existe des traductions d'une partie
des ouvrages de Reid et de M. le professeur Dugald-
Stewart, ainsi que plusieurs discours et traités publiés
.
<*)
en français sur la doctrine de l'Ecole écossaise (1).
Mais c'est la première fois que ces principes ont été
réduits à la forme d'un enseignement élémentaire , et
professés dans les Lycées ou Collèges royaux.
L'auteur a tâché d'être clair : cet avantage, joint
à celui de l'ordre et de l'enchaînement des partjes,
est tout ce qu'il a cherché à pbtenir. Ou sait qu'jl
n'en est pas des sciences intellectuelles comme des
sciences physiques. Dans celles-ci, de nouveaux
faits ou de nouvelles expériences font connaître
souvent des vérités nouvelles , et donnent lieu à de
nouvelles théories : dans la métaphysique . et la
morale, les vérités sont aussi anciennes que la civi
lisation ; et c'est moins le fond que l'exposition des
théories, qu1 a besoin de recevoir de temps à autre
certains changemens , destinés à rendre la science
plus intelligible aux générations qui se succèdent.
Encouragé par d'honorables suffrages, l'auteur
pourra publier les leçons qu'il a écrites en 1816 et
1817 pour le cours de philosophie dont il a été
chargé, leçons dont cet opuscule est le plan pu
l'introduction, et qui pourraient former 2 yol. in-f a,
ou 1 vol. j«-8°.
On n'a point fait de changemens à cet opuscule :
cette seconde édition contient seulement quelques
notes de plus que la première.
Paris. Juillet 1&8.
(1) Voyez les discours prononcés par M. Je conseiller-d'état ,
Rorer-Unllard , professeur d'histoire de la philosophie moderne
à la Faculté des lettres de Paris , à l'ouverture de ses Cours ; le
discours de TM . Cousin , professeursuppléant pour la m éme chaire;
et les ou?rage»de M. Prévost, professeurde philosophie a Genève.
. VUES

SUR L'ENSEIGNEMENT

DE

LÀ PHILOSOPHIE.

fiectè ,saperç.

Depu1s quelques années on a beaucoup


écrit sur l'instruction publique ; mais tous
les opuscules qui ont paru , et dont plu
sieurs se distinguent par la justesse des
pensées , autant que par l'élégance du
style , ont pour objet l'éducation en géné
ral , la composition du corps enseignant et
la discipline des écoles , plutôt que la ma
tière de l'enseignement. Peut-être est-ce
pour n'avoir pas d'abord suffisamment dis
cuté ce dernier point , qu'on n'a pu encore
s'accorder sur ce qui concerne les premiers.
J'essayerai de remplir cette lacune pour l'ehr
seignement de laphilosophie. Je me propose
d'examiner : ce qu'était cet enseignement
en France avant 1789; la nature et 1'$$'$
(4)
de la science qu'on nomme philosophie; sa
définition , sa division , et l'analyse des idées
fondamentales qui la constituent ; comment
se compose l'enseignement de la philoso
phie dans les principaux États de l'Europe;
enfin , comment il parait convenable de le
composer aujourd'hui en France.

§. Ier. De l'enseignement de la philosophie


en France avant 1789.

En France ,jusqu'en 1789,1e cours de phi


losophie (1), dans le» Collèges, comprenait
des élémens de logique , de métaphysique ,
de morale , et de physique , auxquels on
joignait quelques notions de mathématiques
nécessaires pour l'intelligence des principes

(1) On sait que, d'après l'étymologie grecque, le


mot philosophie signifie amour de la sagesse , c'est-
à-dire de la science des choses divines et humaines s
le mot logique signifie art du raisonnement ï le mot
physique veut dire science de la nature ou des choses
naturelles ; et le mot métaphysique , science des
choses surnaturelles ou dont on traite après la phy
sique. Le terme morale , dérive du latin , signifie
science des mœurs ou des habitudes de Idme.
(5)
et des expériences de la physique. L'ordre
dans lequel on faisait succéder ces études
n'était pas toujours précisément tel que nous
venons de l'énoncer : la métaphysique , que
nous avons nommée la seconde , était queU
quefois placée la quatrième ; et le tout occu
pait les deux dernières années du cours com
plet des études scolaires.
Mais les progrès des sciences physiques ,
le goût des mathématiques devenu plus gé
néral , obligèrent bientôt les chefs de l'en
seignement à donner plus d'extension à ces
deux branches des connaissances humaines,
qui formèrent enfin un corps à part. Il y
eut donc dans l'instruction publique, le
cours des sciences proprement dites , divisées
en sciences mathématiques , sciences phy
siques; et le cours des belles-lettres, com
prenant l'étude de la grammaire , des hu
manités , de la rhétorique , et l'étude de la
philosophie, qui se trouva réduite alors à
la logique , la métaphysique , et la morale.
Dans les dernières années du cours sco
laire , l'enseignement des sciences et celui
des belles - lettres étaient simultanés ; et
l'étude de la philosophie proprement dite
térhïmàit Vè cdttrs. C'ést ÏI, satif qfâelqnes
différences1 dans les déhdtninytidrts , ce q"ùr
£ composé l'énseîgnétn'ènt SCïenfrfîqùë ét
littéra'iré dans les Écoles centrales, dans1 les"
JjyCéès, et ce qui lè cdmpoSe encore âujoùr-
&h.m dans les Côlléges royaux.
La phiîdstophie fut donc classée dans la
grande division des Belles- lettres , ét ce n'est
pas sàtîs fondement; car, si pair là nature
âë son dbfët èt par $â méthode elle tient
air* séiërices physiques ét matfiémàtiquëfc;
lé but principal qu'elle àè propose fa rap
proché encore davantage1 dés béHéà-lettrefc.
Ge bût est le perfectionnement de rtOs'fà-
ëhltéS Wtéîlectuéllès5, -ftl : cultûré de ntwl
sentimens «iôraiïx, et là1 direction dé nos"
penchâris. &r , les études littéraires , dùtrë
le sentiment du beau , développent ericorë
en nous lé goût du 4>rdi et du bon; elles
hotib ëti offrent îëê plus pàrfâits hïodëlëS
dans l*s écrivains de Fàrftiqillté. ' :
Dans lés Facultés académiques, ou degrés
sùpériëtifrd de Timtruetidfr, renseignement
de la philosophie occupe lë même rang; il
est cohipris dans la Faculté des lettres qui,
avec là Fâéu'Ifé'des sciërices , rëmplacë aù
( 1 )
jourd'hui la Faculté des arts des anciennes
Universités. Chaque Faculté des lettres ,
comme chaque Collège royal , a un profes
seur de philosophie , chargé d'ertseigner la
logique, la métaphysique, la morale j et
l'histoire des opinions des philosophes ,
avec cette différence que le professeur de
philosophie, dans les Facultés , doit faire Un
cours approfondi de ce qui n'a été enseigné
que d'une manière élémentaire dans les
Collèges royaux, et que dans la Faculté des
lettres de Paris , il doit y avoir pour la phi
losophie deux professeurs , dont l'un est
chargé spécialement d'exposer l'histoire de
cette science. ) ■ ■ ■
Cette composition de l'enseignement phi
losophique a paru , à quelques personnes ;
renfermée dans des bornes trop étroites.
D'autres l'ont trouvée trop étendue , et au
raient désiré voir supprimer tout-à-fait les
chaires de philosophie : comme si la science
qu'on enseignait dans la Grèce et à Rome ,
chez les Arabes, dans les cloîtres même et
dans les écoles du moyen âge, et qu'on en
seigne aujourd'hui dans tous les États de
l'Europe, pouvait être une chose entière
. ( 8 )
ment vaine , et ne méritait pas d'occuper
une place dans l'instruction publique en
France. Mais essayons de faire connaître
la nature de la science qu'on nomme phi*
losophie; nous pourrons ainsi apprécier le
degré d'utilité de son enseignement.

§. II. De la nature et de l'objet de la


philosophie.

Comme il existe dans l'univers deux


grandes classes d'êtres distincts , les êtres
corporels ou matériels , et les êtres intelligens,
de même il y a deux grandes classes de
sciences différentes , les sciences physiques ,
qui ont pour objet la nature matérielle ,
et les sciences intellectuelles ou morales, qui
considèrent les êtres intelligens. La théorie
des belles - lettres , celle des arts libéraux,
et la science de l'histoire, se rapportent à
la division des sciences intellectuelles et
morales ; et les mathématiques , qui traitent
de certaines propriétés de la matière en
visagées sous un point de vue abstrait,
peuvent être rapportées à la division des
sciences qui considèrent les corps, à moins
qu'on ne préfère d'en former une classe, à
(9) »
part. Toutefois , il est une branche de con
naissances qui n'appartient qu'aux êtres in-
telligens , mais qui nous sert à pénétrer
dans le monde physique aussi - bien que
dans le monde moral ; je veux parler de la
connaissance des langues , connaissance pu
rement instrumentale , mais qui a une si
grande part dans le savoir et dans le pou
voir humain , que de tout temps et chez
tous les peuples elle a servi de base à l'in
struction. C'est par cette connaissance des
langues , et particulièrement des langues
anciennes, que commencent les études lit
téraires proprement dites. Ces études ser
vent de fondement aux sciences physiques
et aux sciences intellectuelles , mais surtout
à ces dernières , avec lesquelles elles sont
classées. Comme elles s'aident beaucoup
de la mémoire , et que cette faculté est une
'des premières qui se manifestent dans les
enfans , on a sagement fait de commencer
par ces études l'instruction de la jeunesse.
Le jugement se fortifie bientôt , l'usage de
la vie nous familiarise peu à peu avec les
objets divers qui nous entourent ; le sen
timent du beau et les affections morales se
'(«>)
développent : c'est alors qu'on enseigné lés
élémens des sciences mathématiques et phy
siques, qui doivent être précédées ou ac
compagnées de Yart du dessin et de Yêtudè
de l'histoire : enfin , le temps arrive d'ap-»
profondir les principes généraux du lan
gage ,. l'are d'écrire et dé persuader , toutes
les propriétés du style et les divers genres
de compositions littéraires ; c'est l'objet de
la rhétorique : et le cours d'études se ter
mine par l'analyse de nos facultés intel
lectuelles et moralës ; par la considération
de ce qu'il est permis à notre raison dé
connaître touchant l'existence et les attri
buts de la Divinité; par l'application de ces
mêmes facultés intellectuelles et morales
à Tàfrt de raisonner et de bien agir; c'est
l'objet dé la philosophie proprement dite.
Il nous semble qu'il n'y a Ici ni surabon
dance ni Mct1ne : ort a commencé l'instruc
tion de l'élève par les études qui ont le plus
d'analogie avec lés premiers développement
de son intelligence , et on l'a conduit gra
duellement jusqu'aux connaissances les plus
importantes et les plus difficiles. Qu'on dé-
Signe comme on voudra la science que nous
( *■ )
àvdhs appeléephilosophie, il n'est pas moins
Cônstant qu'après avoir familiarisé les jeunes
gens avèc la connaissance des langues , après
leur avoir enseigné les élémens des sciences
mathématiques et physiques, ceux de l'his
toire , et les principes de l'art d'écrire y il
faudra encore fixer leur attention sur la
nature et les propriétés de cette classe d'êtres
connus sous lé nom d'êtres intelligens et
motatix , sur leur propre nature comme
habitans de ce monde intellectuel, dont le
fflOnde physique a dû leur révéler l'existence.
Eriseignée plus tôt, la philosophie manque
rait y à cë qu'il nous semble , de qttelques-
Uhés des données qu'elle doit employer ;
silpprimée entièrement du cours d'études
scolaires , il en résulterait dans l'enseigne-
meïit des Facultés supérieures (la Théologie ,
le Droit, la Médecine, et les Écoles spécia
les), un vide et une obscurité notables.
Chacune de ces Facultés fonde son ensei
gnement sur Ûrié connaissance plus Ou
moins étendue de la nature des êtres in
telligens , et particulièrement de la nature
de l'homme. Il faudrait donc que chaque
Faculté commençât ses leçons par des èlè-
( w )
mens de philosophie, c'est-à-dire, qu'au lieu
d'un cours de philosophie dans un chef-
lieu d'Académie (1) , on en aurait trois ou
quatre.
Si l'on avait des doutes sur l'utilité des
études philosophiques pour l'enseignement
des Facultés supérieures dont nous venons
de parler, ce ne pourrait être qu'en ce qui
concerne la médecine et le droit; car cette
utilité est trop évidente pour la théologie.
Mais cette incertitude disparaîtra relative
ment à la médecine, si l'on fait attention
à ces liens merveilleux et invisibles qui
unissent le monde moral au monde phy
sique, à cette influence réciproque de l'âme
sur le corps et du corps sur l'âme, qui se
manifeste dans l'état de maladie comme dans
l'état de santé, et si l'on observe quHippo-

(1) On appelle Académie , dans l'instruction pu


blique , un certain arrondissement territorial corres
pondant , pour l'étendue , au ressort de chaque Cour
royale judiciaire, et qui renferme plusieurs Collèges
royaux et autres établissemens d'instruction , depuis
les Écoles primaires jusqu'aux Facultés de théologie ,
de droit, et de médecine, inclusivement. Les Académies
représentent les anciennes Universités de province.
( '3 )
crate et Galien ne furent peut-être les plus
grands médecins que parce qu'ils étaient de
grands philosophes. Quant à la jurispru
dence , ne sait-on pas que , dans notre Eu
rope , l'étude du droit civil d'un peuple est
fondée sur le droit romain et sur les cou
tumes de ce peuple; et que ces coutumes,
comme le droit romain , dérivent en grande
partie du droit naturel, qui s'appuie sur la
morale? Or, la morale est une branche de
la philosophie. Le droit politique , le droit
public et le droit des gens (1) , ont aussi pour
base le droit naturel , et certaines coutumes
ou conventions locales. Ainsi , nous retrou
vons toujours la philosophie comme étant

(1) J'entends par droit politique celui qui , dans


chaque État , a pour objet les rapports entre le gou-*
yernement et les citoyens; et par droit public, celui
qui résulte des traités de paix , d'alliance et de com
merce entre les nations. Dans quelques discours pu
blics , et dans plusieurs brochures récentes , on a
appelé droit public ce que je nomme ici droit poli
tique ; mais je crois la signification que je donne à ces
mots plus exacte : Montesquieu , Mably , et les autres
publicistes de l'Europe, appellent droit public celui
qui est fondé sur les traités entre les nations. ; ! -
( «A )
la source où les Facultés supérieures vien
nent puiser leurs principes fondamentaux.

§. JII. Définition; division de laphilosophie ;


et analyse des idées fondamentales qui la
constituent.

Dans le tableau que nous avons tracé,


des connaissances humaines , et dans l'ex
posé des procédés successifs de l'enseigne
ment, nous avons, entre autres descriptions,
donné celle de la philosophie. Quoique les
nombreuses définitions qu'on en trouve
dans les auteurs grecs , romains , et arabes ,
puissent, étant bien entendues, faire naître
les mêmes idées que notre analyse , nous
croyons devoir adopter avec une légère mo
dification la définition du savant M. Wyt-
«tenbaeh(i), et dire que la philosophie esjt
la science des principes du vrai , du bon , et
du beau , par les seules lumières de la rai
son (2).

(1) Prcecepta philosophiez logicœ , ,1 vol. m- 12 ou


petit inS°.
(a) Le vrai, le bon, et le beau, sont ici cojwidére's
substantivement , et non comme de simples relations
( ?$ )
. La science des principes du vrai est la
philosophie théorique ou contemplative , qui
comprend1 la psychologie ou science de l'âme,
la théologie naturelle ou connaissance de

exprimées ordinairement par les mots vérité , bonté ,


et beaut^., Sous ce premier ppint de vue, qui est le
plus abstrait, et que certains philosophes appelleraient
transcendental , absolu, le vrai désigne ce qui est,
et que nous pourrions nous représenter comme un
tout dont les parties n'offrent entre elles aucune con
tradiction. Le bon et le beau ont cela de commun avec
le vrai , qu'ils réveillent l'idée de convenance , de
conformité à un but , à un modèle : pe but est , pour
le bon , la rectitude morale hors de laquelle il n'est
point d'utilité véritable , permanente ; et pour Je beau,
la satisfaction de l'âme à l'occasion de certaines im
pressions faites sur nous par les corps naturels , ou par
les chefs-d'œuvre des arts libéraux. Nous disons La
science des principes du vrai , etc. , et non la science
du vrai , etc. ; parce que cette dernière expression sem
blerait indiquer une connaissance encyclopédique de
tout ce qui est vrai , etc. ; tandis que la première ex
pression 'désigne seulemènt la connaissance des carac
tères , ou propriétés essentielles , des diverses classes
d'êtres , connaissance qui peut s'obtenir par l'étude
d'un nombre limité de faits ou d'observations partir
cubères.
( t« )
Dieu , et Yontologie ou connaissance de l'être
en général , et des propriétés générales de
tous les êtres. Ces trois théories compo
sent ce qu'on nomme métaphysique. La
science des principes du vrai renferme en
core : 1°. l'art de diriger notre esprit dans la
recherche et Yexposition de la vérité , art
distingué sous le nom de logique; a°. la phy
sique et les mathématiques : mais la lo
gique est une science pratique ; et , comme
nous l'avons dit , les sciences mathémati
ques et physiques forment aujourd'hui un
corps à part.
La science des principes du bon est la
philosophie active ou pratique, qui a pour
objet les actions et les passions de l'homme.
Elle comprend : 1°. la philosophie pratique
universelle , ou traité des principes de la jus
tice , de l'équité , et de l'obligation morale ;
a°. le droit naturel , ou traité des devoirs que
la nature prescrit à l'homme , soit dans ce
qu'on a appelé l'état de nature, soit comme
membre d'une famille, ou comme membre
d'un corps politique ; 3°. Yéthique ou morale
proprement dite, dont l'objet est de perfec
tionner, de diriger la volonté, et qui est à
( >7 )
la philosophie pratique ce que la logique est
à la philosophie contemplative.-
La science des principes du beau , dési
gnée souvent par les noms d'esthétique et
de critique , comprend la théorie générale
des belles-lettres et des Beaux-arts , ainsi
que l'examen des ouvrages qui s'y rappor
tent. . ■. .'. . .
Voilà comment on envisageait la philo
sophie en Allemagne et en Angleterre dans
les derniers temps : c'est encore ainsi qu'on
la considère aujourd'hui dans la première de
ces contrées; car la philosophie de Kant,
qui a introduit un nouveau système sur les
principes de ,1a connaissance humaine , a
conservé l'ancierine division des sciences
philosophiques. Mais en Angleterre , et par
ticulièrement dans les Universités d'Écosse ,
on a depuis, environ quarante ans consi
déré la philosophie sotis un autre point de
vue. Laissant toujours à part les théories
complètes et spéciales qui se rapportent aux
mathématiques et à la physique, on expose .
sous le nom de philosophie naturelle , les
principes généraux des sciences naturelles;,
ou les lois générales du monde matériel.;
( t* )
et sous le nom de philosophie de l'esprit hu
main , ou philosophie morale , les principes
généraux des sciences intellectuelles et mo
rales. .?
La philosophie de l'esprit humain , qui
est ici spécialement l'objet de nos réflexions,
comprend, suivant le système de l'École
écossaise , d'abord la psychologie et la théo-
logie naturelle ; puis la logique; et enfin la
morale ou philosophie morale proprement
dite. Les deux premiers traités composent
la partie théorique ou spéculative du corps
de doctrine ; les deux dèrniers en sont la
partie pratique ; et Yontologie , qui consti
tuait précédemment un traité séparé dans
la partie théorique , est réduite à une simple
explication de quelques termes sous la forme
de notions préliminaires. : . .:.-
Dans la psychologie , suivant ce système,
on considère d'abord les facultés de sensa
tion , de perception (i), et les autres facultés

(1) La sensation et la perception sont deux phe'no-


mènés intellectuels , ou modifications de l'âme dis
tinctes l'une de l'autre , et résultant des impressions
produites sur les organes de nos sens par les objets
( *9 )
intellectuelles de l'homme, désignées sou
vent par le nom de facultés de l'entende
ment; puis les facultés actives et morales,
ou facultés de la volonté ; et l'on établit l'im*
matérialité et l'immortalité de l'âme , ainsi
que la différence entre l'homme et les ani
maux.
La théologie naturelle traite de l'existence
et des attributs de la Divinité , en ce qui est
du domaine de la raison, réservant à la théo
logie révélée le soin d'établir une doctrine
complète sur une matière aussi grave..
La logique, qui a pour but le perfection
nement de nos facultés intellectuelles, si
nous l'envisageons dans toute son étendue
et suivant les principes de Bacon , com
prend l'art de découvrir la vérité , de fixer
dans la mémoire les vérités qu'on a décou
vertes , de les communiquer aux autres , et

extérieurs. Il est d'autant plus important de faire


cette distinction aperçue par Antoine Arnauld et éta
blie par Reid, que l'emploi d'un terme unique ( le mot
sensation adopté par Condillac, et le mot perception
ou idée adopté par Locke ) pour désigner ces deux phé
nomènes intellectuels , a introduit de la confusion dans
les théories de ces deux derniers philosophes.
(ao)
d'en porter un jugement d'après les règles
de Yévidence (1). Ce dernier emploi appar
tient spécialement à la dialectique , ou logi
que proprement dite : les autres fonctions
que nous venons d'énumérer sont du ressort
de la rhétorique , dont l'étude approfondie
suppose en effet la connaissance de la psy
chologie ou théorie des facultés de l'âme.
Jusqu'à ces derniers temps on considérait
l'évidence sous le rapport des objets aux
quels elle s'applique ; et l'on en distinguait
deux espèces, l'évidence mathématique , qui
comprend les axiomes et lesdémonstrations;
et l'évidence morale , qui s'appuie sur l'au
torité des sens , sur le témoignage des hom
mes , et sur l'analogie. Condillac {Art de rai
sonner et Logique) distingue trois espèces
d'évidence , qu'il appelle l'évidence de rai'
son, l'évidence de sentiment , et l'évidence
de fait, auxquelles il ajoute les conjectures
et l'analogie. Les philosophes de l'école écos-

(1) Évidence signifie proprement vue claire et


prompte, connaissance nette et sûre d'une chose. On
dit ordinairement que l'évidence est le critérium,
c'est-à-dire la marque caractéristique de la vérité.
( a» )
saise , considérant plutôt la manière dont
se forment nos jugemens que les objets
auxquels ils se rapportent , ont distingué
d'abord det1x espèces générales d'évidence ,
savoir l'évidence intuitive, qui a lieu lors
que nos jugemens sont formés aussitôt que
nous comprenons le sens des termes qui les
expriment, et l'évidence déductive , qui a
lieu lorsque nos jugemens ne sont pas im
médiats. Ils subdivisent ensuite l'évidence
intuitive en évidence d'axiomes ou de pure
intellection , évidence de la conscience ou du
sens intime , et évidence du sens commun ou
des principes de la croyance humaine. A la
première subdivision de l'évidence intui
tive se rapportent les vérités premières dans
les mathématiques et dans les autres scien
ces : à la seconde , se rapportent nos sensa
tions et perceptions , en tant qu'elles sont des
modifications actuelles de notre âme , sans
prononcer sur la réalité de leur objet; nos
souvenirs } considérés sous le même point
de vue ; la certitude de notrepropre existence;
nos sentimens réfléchis et moraux , etc. : à la
troisième subdivision se rapportent le prin
cipe de causalité , ou la croyance que tout ce
( )
qui commence d'exister a une cause; la notion
de causefinale , et de l'existence de ce qu'on
nomme intelligence dans l'univers; le prin
cipe d'induction, ou la croyance à l'unifor
mité et à la constance des lois de la nature ;
le principe d'extériorité ou la croyance à
l'existence des corps , et d'esprits autres que
nous-mêmes , etc.
L'évidence déductive , qui s'applique aux
jugemens dont la vérité ou la certitude (1)
n'est sentie que par l'intermédiaire d'autres
jugemens , se subdivise en évidence démon
strative et évidence morale , suivant qu'elle
résulte d'idées abstraites et des rapports
invariables des choses , ou qu'elle a pour
objet des faits, et des rapports actuels mais
variables. La première s'applique à toutes

( 1 ) Le mot certitude se rapporte ordinairement à


l'état de notre esprit, et signifie conviclionoa croyance
ferme. Quelquefois cependant il désigne , comme le
mot vérité , la qualité ou propriété de nos jugemens ,
qui produit en nous cette conviction ou croyance. On
distingue : la certitude métaphysique , qui comprend
la certitude mathématique ; la. certitude physique ;
et la certitude morale , qui a pour objet des faits , ou
qui est fondée sur le témoignage des autres hommes.
( *3 )
les sciences mathématiques, à une partie
de la métaphysique , de la logique et de la
morale ; elle nous conduit à ce qu'on nomme
science, et a pour objet les vérités néces
saires. La seconde espèce d'évidence déduc-
tive s'applique à la plupart des objets mo
raux , à l'histoire , et à la rhétorique ; ses
résultats portent dans certains cas le nom
de certitude morale , et dans certains autres
cas le nom d'opinion ; et elle a pour objet
les vérités contingentes (1). Elle admet des
degrés , tandis que l'évidence démonstrative
ou scientifiques n'en admet aucuns. Les élé-
mens de l'évidence morale qu'ils nomment
aussi évidence probable, sont : 1°. Yexpé
rience, qui est le produit des sens et de la
mémoire; i°. Yanalogie, qui est une expé
rience indirecte fondée sur une ressem
blance éloignée; 3°. le témoignage des hom
mes, qui sert de base à l'histoire, nous fait
apprécier le passé comme l'expérience nous
fait conjecturer l'avenir , et dont le domaine
^ , ; #
(1) On nomme contingent ce qui peut être ou ne
pas être. Contingent est l'opposé de nécessaire , qui
signifie ce dont le contraire implique contradiction.
(»4)
propre est la philologie , la jurisprudence ,
et la religion révélée , en tant qu'elle peut
être considérée comme un sujet de recher
che historique et critique (1). A ces trois
élémens de l'évidence morale , on peut en
ajouter un quatrième, qui a un caractère
différent , et qui est une application de l'évi
dence démonstrative à la détermination des
degrés de force qui existent dans l'évidence
morale proprement dite : ce quatrième élé
ment résulte du calcul des probabilités ou
des hasards , théorie fort curieuse r et qui

(1) La foi , proprement dite , ne se rapporte ni à


l'évidence intuitive , ni à l'évidence démonstrative ,
mais à l'évidence morale. Elle produit la persuasion ,
et s'appuie sur un principe de notre nature , je veux
dire la déférence à l'autorité et au témoignage. .
J'ajouterai que , quoique l'évidence intuitive et
l'évidence démonstrative soient les deux flambeaux
de notre, rai$pn , elles ne laissent pas d'être dans une
sorte de dépendance de l'évidence morale ou certitude ;
nous avpns. besoin d'être certains de l'évidence ;
ou, en d'autres termes, lorsque nous donnons notre
Assentiment soit à un axiome , soit à une démonstra
tion , nous avons besoin d'être assurés que nous sommes
dans l'état de Veille , et que notre mémoire ne nous
trompe pas : ici , comme partout , nous retrouvons
l'imperfection de là nature humaine.
( =5 )
a , comme l'on sait , les applications les plus
importantes dans les matières politiques et
dans les affaires ordinaires de la vie (1). Les
philosophes écossais ne disent presque rien
de plus sur la logique; et quoique l'on
puisse rattacher à ce traité de l'évidence la
plupart des théories logiques , il nous sem
ble que ces philosophes se sont laissé en
traîner trop loin par leurs mépris pour la
doctrine des scolastiqu.es. Les subtilités pé
ripatéticiennes qui étaient l'abus d'une sa
gacité ingénieuse , devaient être élaguées
sans doute; mais il ne fallait pas tout pros
crire , et frapper du même arrêt la théorie
des propositions et du syllogisme , en même
temps que la doctrine des entités et des quid-
dités. Il y a , sous ce rapport , une lacune no
table dans l'enseignement de la philosophie
en Écosse depuis quarante ans. Les Univer
sités allemandes etfrançaises , qui ont con
servé ces parties essentielles de la logique

(1)Les décisions et les votes dans les assemblées;


le rapport des naissances , mariages et décès , avec la
population ; les rentes et les tontines , les assurances ,
les loteries , les jeux de hasard , etc.
( »6 )
scolastique, nous paraissent avoir agi plus
sagement.
Les parties de la philosophie morale , dans
le système des philosophes écossais , sont :
1°. Yéthique, ou morale proprement dite,
qui traite de la rectitude des actions hu
maines , et dont le droit naturel est une dé
rivation (1); a0. Yéconomique , qui a pour
objet le gouvernement de la famille ; 3°. la
politique qui considère la société civile ou le
corps politique ; les devoirs et les droits des
citoyens , les uns à l'égard des autres , d'où
résulte le droit civil ; les rapports entre le
gouvernement et ces mêmes citoyens , d'où
résulte le droit politique ; et les rapports des
nations entre elles, d'où résultent le droitpu-
blic et le droit des gens (2).

(1) Le droit naturel , en prescrivant des règles à nos


actions , a pour objet spécial les rapports de l'homme
avec ses semblables.
(2) Le droit des gens est le droit naturel appliqué
aux nations , dont chacune , dans ses rapports avec
les autres , est comme un seul homme dans ses rap
ports avec un autre homme. Le droit public, que nous
avons défini plus haut , est le droit des gens positif,
spécial, résultant des traités entre les peuples ; il e6t
( *7 )
Les philosophes de l'École écossaise sont
les premiers, parmi les modernes, qui aient
rattaché les principes du beau tout à la fois
à la psychologie et à la morale. Le goût , cet
arbitre souverain dans la littérature et les
beaux-arts, a, comme le sentiment du juste
et de l'injuste , sa source dans la constitution
humaine; chacun d'eux dérive d'une faculté
de notre esprit. Ces facultés, qui leur sont
propres , sont en quelque sorte deux sens
internes , l'un connu sous le nom de sens du
goût intellectuel , l'autre sous celui de sens
moral ou instinct moral : le premier est aussi
appelé sens du beau et du sublime , et le se
cond /acuité morale ou conscience. L'éduca
tion, les circonstances de la vie, et l'étude,
peuvent modifier ces facultés : mais tous les
hommes bien organisés, les enfans même,
n'en sont jamais totalement dépourvus ; les
principes sur lesquels elles reposent sont
universels et immuables. On peut même
dire que ces facultés, qui sont les deux
pivots du monde intellectuel et du monde

au droit des gens universel, ce qu'est le droit civil au


droit naturel.
( *8 )
moral , se prêtent un mutuel appui : la vertu,
suivant l'expresssion d'un écrivain célèbre ,
est la perfection de la beauté, et le goût du
beau augmente l'attachement à la vertu (1).
Ajoutons que le sens du goût intellectuel et
le sens moral sont toujours secondés par
une autre faculté, encore plus générale peut-
être dans l'homme , et qui le distingue prin
cipalement des animaux, je veux dire par
la raison ou faculté de juger , et de distin
guer le vrai du faux. Cette faculté, qui se
manifeste la dernière dans le développe
ment de notre intelligence , s'exerce tou
jours avant ou après chaque acte des deux
autres facultés, c'est-à-dire que çhaque opé
ration du goût ou de la conscience est tou
jours précédée ou suivie d'un jugement (2).

(1) Platon dit que le beau est l'éclat du bon : Pul-


chrum splendor boni.
(a) Il résulte de ces dernières considérations que
la logique , ou l'art de la raison , a une sorte de surin
tendance , même à l'égard de nos facultés morales.
Ce sont les principes de celte logique supérieure qu'il
conviendrait peut-être de développer, et d'inculquer
aux jeunes gens destinés à exercer les grandes profes
sions de la société , et aux élèves des diverses Écoles spé-
(*>■)

Il est encore important de remarquer trois


autres facultés, que l'on passe presque sous
silence dans les cours de philosophie; ce
sont : la faculté de parler ou de se créer un
langage artificiel ; la sympathie ou faculté de
participer aux peines et aux plaisirs de nos
semblables ; et la faculté limiter, ou de ré
péter et reproduire tout ce qui nous frappe
vivement. Ces facultés sont à la fois intellec
tuelles et sociales , et forment des caractères
distinctifs qui nous séparent des animaux :
car, en ce qui concerne la manifestation des
sensations, les animaux n'ont de commun
avec nous que le langage d'action ou les
gestes et les accens des passions ; leur faculté
d'imitation est extrêmement bornée ; et ils
paraissent entièrement privés de la sympa
thie.
Nous avons donné quelques développe-
mens à la théorie de Yévidence , ainsi qu'aux
principes métaphysiques du goût et de la

ciales. Ce cours de logique aurait pour base un petit


nombre de principes psychologiques non contestes ,
et serait une extension du cours de philosophie suivi
dans les Collèges royaux.
:

( 3o )
morale, parce que ce sont des points capitaux
dans l'enseignement de la philosophie, et
parce qu'ils forment l'un des caractères qui
distinguent l'École écossaise dont nous ana
lysions la doctrine (1).
On prévoit aisément que cette manière
d'envisager l'entendement et le cœur de
l'homme a dû influer sur les théories poli
tiques des philosophes de cette École, et
qu'ils n'ont pas dû arriver aux mêmes con
clusions que Hobbes , ou que Milton et Al-
gernon Sidney (2). Ils se montrent en effet,

(1) Depuis un certain nombre d'années il a paru en


français , sur quelques points de psychologie , des trai
tés et des discours qui annoncent dans leurs auteurs
autant de sagacité que de lumières. Mais la théorie
de la perception et de la mémoire , les principes sur
l'autorité du sens intime et de la croyance , ont reçu
spécialement un nouvel éclat et une nouvelle force
dans les leçons du profond métaphysicien qui a fait le
Cours d'histoire de la philosophie moderne à la Fa
culté des lettres de Paris, pendant les années 1812,
1813 et 1814.
(2) On sait que la tendance des écrits de Hobbes est
en faveur de la monarchie absolue , tandis que celle
des écrits de Milton et d'Algernon Sidney est en faveur
des principes républicains.
( 3» )
dans leurs écrits , amis d'une liberté sage et
d'une monarchie tempérée.
Quoique les sciences philosophiques n'aient
jamais cessé d'être cultivées en France , et
que les autres nations reconnaissent la su
périorité de la nôtre au dix-septième siècle,
où nous possédions Descartes et Malebran-
che , Pascal et Arnaula\ Bossuet et Fénelon,
on ne peut disconvenir que l'esprit de sys
tème , et l'envie de tout généraliser, ont
égaré plusieurs des philosophes français qui
Sont venus après eux. Il faut nous reporter
aux ouvrages des grands maîtres que je viens
de citer , pour y puiser une partie des prin
cipes de la philosophie , et surtout pour y
saisir le point de vue élevé d'où il convient de
contempler l'homme. Les écrits de Hobbes,
de Toland , de Mandeville , Bolingbrocke ,
Hume , etc. , attestent qu'en Angleterre les
systèmes philosophiques sont loin d'être à
l'abri de tout reproche : mais quelques écri
vains, et principalement les professeurs de
l'Ecole d'Ecosse , semblent avoir les premiers
reconnu les écarts des nouvelles doctrines ,
et s'être replacés dans les limites de la vraie
méthode Baconienne, en rectifiant les théo»
( 3* )
ries de Locke , et en essayant de faire pour
les sciences intellectuelles et morales ce que
Newton avait fait pour les sciences phy
siques.

§. IV. Composition de l'enseignement philo


sophique dans les principaux États de
l'Europe.

Dans les États de l'Allemagne protestante


l'enseignement de la philosophie a beau
coup d'étendue , et les cours en sont suivis
par les étudians de toutes les Facultés. Les
Gymnases et les Collèges n'ont pour la phi
losophie qu'une chaire , où les élémens de
la logique , de la psychologie et de la morale,
sont exposés par un ou deux professeurs.
Mais dans les Académies ou Universités pro
prement dites , il y a quatre ou cinq pro
fesseurs qui , sous le titre de professeurs
ordinaires, professeurs extraordinaires ,- et
de professeurs adjoints , enseignent d'une
manière complète et approfondie toutes les
parties de la philosophie , savoir : la psycho
logie ; l'ontologie ou métaphysique géné:
raie ; la théologie naturelle ; la logique , le
calcul des probabilités , et la théorie des


(33)
méthodes ; l'esthétique et la critique , ou
théorie des principes du beau dans la litté
rature et les arts; enfin la morale, le droit
naturel , et les principes généraux de la lé
gislation et de la politique. Telle est aussi la
substance de l'enseignement dans les Gym
nases et Universités du Danemarck , de la
Suède, de la Russie, de la Suisse, et de la
Hollande. Dans les États catholiques de l'Al
lemagne, l'enseignement de la philosophie
est moins étendu ; il se borne à un cours
de logique, de métaphysique , et de morale ,
qui est confié à un ou deux professeurs seu
lement. Il en est de même dans les États
du midi de l'Europe , où l'on prend en gé
néral pour base de cet enseignement la lo
gique péripatéticienne , à l'exception toute
fois des royaumes de Naples et de Portugal ,
dans lesquels, vers le milieu du dix-huitième
siècle , les professeurs Genovesi et Antoine
Verney (1) ont introduit la doctrine de Locke.

(1) Louis-Antoine Verney, archidiacre d*Évora ,


a publié en latin un ouvrage , traduit en français , sous
le titre d'Essai sur les moyens de rétablir les sciences
et les lettres en Portugal , 1762, 1 vol. in$° ; un
3
( 34)
Le célèbre professeur de Kœnigsberg, Em
manuel Kant , a, comme nous l'avons dit,
publié un nouveau système sur les prin
cipes de ki connaissance humaine. Sa théo
rie a produit la plus grande sensation en
Allemagne, et même en Europe. Mais, outre
que son Ecole s'est divisée dès le berceau,
son néologisme et le rappel des formes de
la scolastique répandent plus ou moins d'ob
scurité sur cette doctrine, et nous semblent
la rendre peu propre à servir de base à un
enseignement philosophique hors de l'Alle
magne.
En Angleterre et en Ecosse l'enseigne
ment de la philosophie a beaucoup d'éten
due. Dans les Académies, qui correspondent
aux Collèges particuliers ou grandes insti
tutions en France , et aux Gymnases d'Alle
magne , un ou deux professeurs font des
cours de logique et de morale. Mais dans les

Traité de logique ; un Traité de métaphysique ; une


Introduction à la théologie , et d'autres écrits , qui
décèlent tous beaucoup de pénétration et de savoir.
Les ouvrages de Genovesi sont plus connus en
France.
( 35 )
Universités , qui représentent les Facultés et
les grands Collèges en France, il y a plu
sieurs cours et plusieurs professeurs pour
la philosophie , savoir : un cours de méta
physique et de logique ; et un cours de mo
rale ou plutôt de philosophie morale, confié
à deux ou trois professeurs , qui enseignent
d'une manière approfondie les diverses bran
ches de la philosophie de l'esprit humain ,
et des sciences morales et politiques. Telles
furent les chaires occupées avec tant de dis
tinction parle docteur Hutcheson, par Adam
Smith, et par le docteur Reidà. Glascow; les
docteurs Gérard, Campbell, et Beattie , à
Aberdeen ; et par les professeurs Adam Fer-
guson et Dugald Stewart , à Edimbourg. A
l'Université ROxford la philosophie d'Aris-
tote a toujours servi et sert encore de base
à l'enseignement ; tandis qu'à celle de Cam
bridge on suit assez généralement la doc
trine de Locke, Mais, en Ecosse, on ne s'at
tache exclusivement à aucun de ces deux
maîtres, et l'on y emploie mieux la mé
thode de Yinduction Baconienne (1). C'est

(1) La méthode à.'induction consiste à rassembler


(36)
dans cette contrée surtout que la philoso
phie a pris un caractère moral , d'où elle
tire maintenant sa dénomination , et qui
sert à la distinguer des autres enseignemens :
c'est là, spécialement, qu'on a tenté de rat
tacher à un tronc commun les principes du
vrai, du bon, et du beau. Des sociétés litté
raires composées des professeurs les plus
célèbres et des citoyens les plus éclairés ,
ont développé ces principes à Glascow, à

un grand nombre de faits , ou observations parti


culières , et à affirmer du tout ou de l'espèce ce
que l'on a reconnu être vrai de chaque partie ou
de chaque individu observés. Ainsi , ayant vu un
certain nombre de pierres tomber, c'est-à-dire
se rendre vers la terre , nous jugeons que toutes les
pierres tomberaient si elles étaient abandonnées à
elles-mêmes , ou, en d'autres termes , qu'elles sont
pesantes. Nous induisons , nous mettons dans toutes
les pierres la propriété que nous avons observée dans
plusieurs. Le chancelier Bacon est le premier , parmi
les modernes , qui a démontré que Yinduction est la
vraie méthode à suivre dans l'étude des sciences phy
siques. On peut dire même que , jusqu'à certain point ,
cette méthode doit s'appliquer aux autres sciences.
Elle a , comme l'on voit , beaucoup de rapport avec
ce qu'on nomme analyse ou méthode analytique.
( 37 )
Aberdeen , à Edimbourg ; et de la même
École qui eut pour fondateur Hutcheson ,
pour maîtres , dans la philosophie et les
belles-lettres, Adam Smith , Reid , et Fergu-
son , sont sortis des historiens et des prédi
cateurs, des médecins et des magistrats, de
la plus haute distinction , les Robertson , les
Hugues Blair et les Erskine , les Grégori et
les Cullen , les Mansfield , lesKaimes et les
Monboddo. Toutefois on remarquera , sans
qu'il soit besoin de le dire , que cette École
aune origine encore plus ancienne, elle
remonte à Platon et Socrate ; et la France
lui a fourni Descartes , Bossuet et Fénelon ,
comme l'Allemagne lui a fourni Leibnitz.
En résumé , l'enseignement de l'Angleterre
se partage aujourd'hui entre la doctrine de
Locke modifiée par Hartley et Priestley (1) ,

(1) Tout le monde connaît les ouvrages ou le nom


du docteur Priestley , célèbre par ses découvertes en
chimie et en physique. David Hartley , docteur en
médecine , a publié un ouvrage ingénieux et savant ,
intitulé : Observations sur l'homme , dont une par
tie a été traduite en français par l'abbé Jurain , sous
le titre d'Explication physique des sens, des idées
( 38 )
et la doctrine de Reid, qui compte un beau
coup plus grand nombre de partisans.

§. V. Comment ilparait convenable de com'


poser, en France, l'enseignement de laphi
losophie.

Quelle doit donc être aujourd'hui la com


position de l'enseignement philosophique
en France? nous ne pensons pas qu'on veuille
rétablir purement et simplement celui qu'on
faisait , en latin , dans la plupart des Collèges
avant la révolution , et qui consistait, ainsi
que nous l'avons rappelé , dans un abrégé
de logique , de métaphysique et de morale.
Les institutions philosophiques connues
sous le nom de philosophie de Lyon , la phi
losophie de Toul, les institutions philosophi
ques de Séguj, et celles qu'on attribue à Ri-
vard , ne sont pas dépourvues de mérite ,

et des mouvemens , tant volontaires qu involontaires ,


2 Vol. ÎH-I2.
Ces deux écrivains , recommandables par leurs
mœurs , en partant des principes de Locke , sont arri-
ve's à une sorte de matérialisme et de fatalisme qu'ils
exposent avec franchise , et qu'ils prétendent conci
lier avec la morale et la religion.
( 39 )
soit sous le rapport du style , soit pour le
fond des choses. On exerçait les jeunes gens
à l'emploi du syllogisme , ce qui n'est pas
sans utilité ; on les habituait ainsi à une
sorte <?e gymnastique intellectuelle : mais le
cours dephilosophie était trop peu substan
tiel ;^Jes faits psychologiques et moraux qui
doivent lui servir de base , étaient remplacés
par des distinctions subtiles ou des prin
cipes ontologiques , qui n'étant précédés
d'aucunes notions expérimentales, ne pou
vaient être pleinement compris. Le livre de
Locke n'est pas propre non plus à servir
d'élémens , quoique ce soit un excellent re
cueil d'observations ingénieuses et souvent
profondes : car, outre qu'il est un peu diffus,
il n'a pas été parfaitement et uniformément
entendu , même en Angleterre. Il a fait naître
chez nous les ouvrages de Condillac , où
l'on ne trouve ni athéisme ni matérialisme ,
comme l'ont prétendu quelques personnes ,
mais qui n'offrent qu'une psychologie su
perficielle et incomplète. L Essai analytique
sur les facultés de l'âme, par Charles Bon
net , est plus exact et meilleur. Les théories
de Condillac ont enfanté à leur tour les écrits

!
(4o)
d'Helvètius , où des paradoxes et des erreurs
graves sont cachés sous un style élégant ;
et les ouvrages attribués au baron d'Hol
bach, tels que le Système de la nature, le
Système social, etc., qui renferment une
foule de paralogismes , et de doctrines aussi
funestes qu'absurdes.
Descartes n'a pas laissé de traité élémen
taire sur toutes les parties de la philosophie;
et quoiqu'on trouve dans ses écrits , ainsi
que dans ceux de Bossuet , du père Buf-
fier (1), et de l'abbé Fleury (2), la plupart

(y) Introduction à la philosophie , ou de la Connais


sance de Dieu et de soi-même , ouvrage composé par
Bossuet pour l'éducation du Dauphin , 1 vol, in-12.
Traité des premïeresvérités, parle P. Buffier, 1 vol.
in-12. Cet auteur est loin, sans doute, de pouvoir être
placé à côté de Descartes et de Bossuet : mais on trouve
dans l'écrit que je viens de citer, et dans quelques autres
traités de son Cours de sciences, 1 vol. in-folio , plu
sieurs points importans d'une doctrine saine , et des
vues lumineuses.
(2) Traité du choix et de la méthode des études ,
par Claude Fleury , sous-précepteur des enfans de
France , et auteur de l'Histoire ecclésiastique , 1 vol.
in-12: Fleury était imbu de la philosophie de Platon ,
et l'on trouve dans ses écrits la même pureté de goût et
(41 )
des idées fondamentales adoptées , et fécon
dées un siècle plus tard , par les philosophes
de l'Ecole écossaise , on ne pourrait prendre
pour base d'un enseignement aucun de ses
ouvrages. Ce sont des fragmens admirables
qui attestent l'élévation et la puissance de
son génie, mais qui ne peuvent dispenser
d'entreprendre la construction d'un édifice
complet. En attendant que la méditation
des écrits de, ce grand homme , de ceux de
Pascal, de l'illustre évècjue de Meaux , et
de quelques au très philosophes, aitfait éclore
en France de bons élémens de philoso
phie (1) , je pense qu'on ne saurait mieux

de doctrine , avec plus d'élévation et de profondeur


que dans ceux de Rollin.
(1) On doit mettre au nombre des ouvrages à con
sulter : les Elémens de philosophie qui font partie des
Mélanges de littérature, d'histoire et de philosophie ,
par Dalembert , 5 vol. in-12 ; l'Art de penser, connu
sous le nom de Logique de Port-Royal , 1 vol. in-12;
la Recherche de la vérité, par Malebranche , 4 vol.
in-12 ; le Traité des vraies et desfausses idées , par
Antoine Arnauld, 1 vol. in-12 ou in-S" ; la Logique de
M. Wyttenbach , intitulée Prœcepta philosophiœ
logicœ , 1 vol. in-12 ou i'rt-8°; les Élémens de logi
( te )
faire que de prendre pour base la doctrine
de l'École écossaise , et principalement les
écrits du docteur Reid , où une méthode
exacte et circonspecte est réunie à la
clarté (1)1 Nous le pouvons , sans que l'a
mour - propre national ait à souffrir : car ,
si l'Angleterre a eu son Newton , et l'Alle
magne son Leibnitz , la France a. eu son Des
cartes qui a paru avant eux ; et les profes
seurs de l'École écossaise avouent qu'ils ont
puisé dans les ouvrages de ce dernier, et dans
ceux du père Buffier , plusieurs de leurs

que et de métaphysique , par Genovesi , en latin et


en italien , plusieurs vol. in-8°. ; et les Nouveaux
Essais sur Fentendement humain , par Leibnitz, 1 vol.
in-lf. '
(1)Le docteur Reid prend pour sujet de ses études
psychologiques , l'homme fait, dont les facultés sont
développées , et non pas une statue que l'on revêt
successivement des organes sensitifs , comme l'ont
imaginé Condillac , Bonnet et Bujfon. Le témoignage
du sens intime et celui de nos semblables fournissent
au métaphysicien écossais tous ses matériaux , tandis
que , dansl'hypothèse de Condillac, quelque ingénieuse
qu'elle paraisse , on est forcé de procéder par la voie
des conjectures.
( 43 )
doctrines fondamentales. L'illustre Leibnitz
même doit à Descartes le caractère de sa
philosophie, et les théories de Kantne sont
peut-être aulje chose qu'un commentaire
obscur des principes de Leibnitz. Tous ces
écrivains , à l'exception du père Buffier , qui
admettait le principe péripatéticien sur l'ori
gine des idées , appartiennent , au reste ,
comme nous l'avons déjà remarqué , à une
École beaucoup plus ancienne , je veux dire
à YÉcole de Platon, qui , avec celle <$Aris-
tote , s'est partagé et se partagera toujours le
monde philosophique. Dans l'École d'Aris-
tote , en ce qui concerne le principe de la
connaissance humaine , nous avons Gas
sendi qui a précédé Hobbes et Locke , et
dont un écrivain distingué a depuis peu re
tracé la doctrine , et réhabilité les titres à
l'estime des philosophes.
On a composé , dans les Universités d'Alle
magne , un grand nombre de manuels ou
abrégés élémentaires, pour l'enseignement
de la philosophie : mais ces ouvrages sont la
plupart fondés sur la doctrine des scolas-
tiques ; ou sur celle de Locke ; où enfin sur
celles de fFolfet de Kant , dont la première
(44)
a dénaturé les idées de Leibnitz en les dé
layant , et dont la dernière est trop peu in
telligible (1).
Pour revenir à l'objet spé§jal de ces con
sidérations, je pense que, jusqu'à la publi
cation d'un ouvrage philosophique élémen
taire, qui obtienne la sanction du conseil
de l'Université et l'approbation générale,
un abrégé des écrits du docteur Reid pour
rait, avec avantage, servir de base à l'en
seignement de la philosophie dans les Col
lèges royaux et les Collèges communaux ,
en y joignant un petit traité sur la mé
thode de la discussion philosophique, ou
la deuxième partie de l'introduction de
s'Gravesande, qui a pour objet la logique.

(1) Chrétien TVolf, mort en 1754, chancelier de


l'Université de Halle , après avoir été professeur de
mathématiques , de philosophie , et du droit de la na
ture et des gens , dans plusieurs Universités d'Alle
magne , a joui pendant sa vie d'une grande célébrité
dans sa patrie , et même en Europe. Il a publié sur les
élémens des mathématiques et sur la philosophie ,
22 vol. j'n-4°. en latin , et 7 vol. in-8°. en allemand.
On a traduit en français sa petite Logique allemande,
et sa Psychologie empirique ou expérimentale.
(45)
Cet abrégé de Reid peut être fait par chaque
professeur ; et il conviendrait , pcjur la distri
bution des matières , de suivre la division
ancienne en logique , métaphysique et mo
rale , avec un seul changement qui consiste
à placer la métaphysique avant la logique,
c'est-à-dire , l'étude des facultés de l'âme
avant la science qui nous apprend à diriger
et appliquer ces facultés. Il paraît, en effet,
naturel de chercher à observer et connaître
un instrument, avant de prescrire des règles
pour son emploi. Cette disposition des par
ties du cours de philosophie avait été en
trevue dans l'ancienne Université de Paris :
car , un de ses membres ( M. l'abbé Béguin ,
licencié en théologie et professeur de philo
sophie au Collège de Louis-le-Grand), dans
un livre intitulé Principes de philosophie gé
nérale , imprimé en 1782, s'efforce de dé
montrer qu'il faut commencer l'étude de la
philosophie par la physique et les mathé
matiques , qui faisaient alors partie du cours,
la continuer par la métaphysique , et ne pas
débuter par la logique. M. Béguin s'appuie
de l'autorité du chancelier Bacon , et de celle
de Duhamel, premier secrétaire perpétuel de
(46)
l'Académie des Sciences , auquel on doit un
Traité de l'Esprit humain , et un Cours de
Philosophie , aussi remarquables par la jus
tesse des pensées , que par l'élégance du
style (1). Le célèbre s' Gravesande , commen
tateur de Newton , et professeur de mathé
matiques et de philosophie à Leyde , dans
son Introduction à la philosophie , ouvrage
publié en latin en 1736, et traduit l'année
suivante en français , place la métaphysique
avant la logique : on regrette seulement qu'il
n'ait point commencé la métaphysique par
la psychologie , au lieu de la commencer par
l'ontologie ; et qu'il n'ait pas donné , dans
une section séparée , un abrégé de théologie
naturelle , ou de ce qu'il est permis à notre
raison de connaître concernant l'existence
et les attributs de Dieu. Enfin , si l'on veut
examiner les meilleurs traités de logique,
on verra qu'ils ne sont intelligiblesqueparce
qu'ils contiennent, comme préliminaires,
des notions élémentaires sur les opérations
et les facultés l'âme, c'est-à-dire un
abrégé de psychologie. Pourquoi donc n'en-

(1) Duhamel , De mente liumand , lib. 1 , n° 6.


(47)
seignerait-on pas avant la logique une science
sur laquelle la logique s'appuie ?
Si l'on ne croyait pas devoir laisser à cha
que professeur le soin de rédiger ses leçons
en prenant pour base la doctrine de Reid ( 1 ),
et si l'on voulait dès à présent mettre dans
les mains des élèves un livre imprimé , on
pourrait , puisque le grand ouvrage de Reid
est trop volumineux pour des élémens et
n'est encore publié qu'en anglais, on pour
rait, dis-je, adopter provisoirement : soit les
Institutions ou Abrégés de logique , de méta
physique et de morale publiés en latin par

(1) Thomas Reid a professé la philosophie pendant


quarante-cinq ans avec la plus haute distinction ,
d'abord au Collège du roi à Aberdeen , puis à l'Uni
versité de Glascow , où il remplaça Adam Smith,
l'auteur de la Théorie des sentimens moraux et du
Traité sur la richesse des nations. Il a publié en 1763
ses Recherches sur l'esprit humain , 1 vol. in-8". ; et
en 1785 et 1786 , son grand ouvrage intitulé Essais
sur les facultés intellectuelles et sur les facultés
actives et morales, 2 vol. z'n-40 ou 3 vol. in-8". Une
traduction française des Recherches sur l'esprit hu
main a paru en 1768, 2 vol. in-1a.
Le docteur Reid est mort en 1 796 , âgé de 87 ans.
( 48 )
Hutcheson à l'Université de Glascow; soit
YIntroduction à la philosophie de s'Grave-
sande, en y joignant, pour la compléter, les
Institutions de philosophie morale de Hut
cheson , ou le Traité de morale de Malebran-
che ; soit les Élémens de philosophie in
strumentale, de philosophie théorique et de
philosophie pratique par J.-Fr. Buddeus , pro
fesseur de philosophie à Halle; ou les Élé
mens de philosophie rationnelle et de philo
sophie morale , par le savant jurisconsulte
Heineccius ; soit enfin les Institutions de
philosophie morale , traduits de l'anglais du
professeur A'dam Ferguson , 1 vol. in-i i , quoi
que cet ouvrage , écrit dans de très-bons
principes , ne suive pas formellement la
division indiquée pour le Cours , et ne con
tienne pas de traité spécial sur la logique.
Ces ouvrages élémentaires nous semblent
les meilleurs , parmi tous ceux qui ont paru
en Europe depuis cent ans. Chaque profes
seur, en développant les principes de celui
des livres indiqués qui serait adopté, y ferait
les rectifications nécessaires sur certains
points de doctrine. Les écrits du célèbre pro
fesseur napolitain , ' Genovesi , sont ingé
(49)
nieux et souvent profonds; mais ils ne nous
paraissent pas contenir une théorie aussi
solide et aussi saine. Il existe , en français ,
des ouvrages récemment publiés sur les élé
ment de la philosophie , dont quelques-uns
se distinguent par plus d'un genre de mé
rite, et dont l'un nous vient d'un professeur
aussi habile qu'éloquent : toutefois $ ces
écrits ou ne sont pas encore terminés * ou
ne paraissent pas offrir des éléméns aussi
complets qu'on peut le désirer
Dans les Facultés des lettres , l'enseigne
ment de la philosophie doit prendre- à la
fois plus d'étendue et plus de profondeur :
on s'y propose de reculer les limites de la
science ; et le développement de toutes ses
parties , s'il était confié à un seul professeur,
ne demanderait pas moins de quatre ou cinq
ans, tandis que l'enseignement philosophi
que des Collèges royaux doit être plus res
treint. Quoiqu'il soit à désirer qu'on y con
sacrât deux ans , on conçoit néanmoins la
possibilité de donner dans le cours d'une
seule année } les notions élémentaires de la
métaphysique , de la logique , et de la mo-
4
(5o)
raie, à des élèves qui connaîtraient déjà les
élémens des mathématiques et des sciences
physiques. Une première instruction dans
ces sciences est nécessaire : autrement le
professeur de philosophie , pour se faire
bien comprendre, serait obligé de la don
ner aux élèves en faisant son cours; et cette
circonstance , retardant sa marche , rendrait
insuffisante la durée d'une seule année pour
Yenseignement de la philosophie. Il est une
mesure indispensable d'où paraît dépendre
l'achèvement des bonnes études , ce serait
qu'on ne pût prendre aucune inscription aux
Écoles de droit et de médecine , ni être ad
mis à l'École royale polytechnique et aux
Écoles spéciales , sans prouver qu'on a fait
son cours de philosophie dans un Collège
royal. - .
Je crois avoir exposé l'objet de la science
qu'on nomme philosophie , et avoir fait sen
tir son utilité pour l'exercice des grandes
professions , auxquelles on est introduit par
l'enseignement des Facultés supérieures (la
théologie, le droit, la médecine, l'École po
lytechnique, et les Écoles spéciales). Tou
( Si )
tefois , je suis loin de prétendre qu'absolu
ment parlant, l'homme ne puisse bien agir
et bien raisonner, ou même se livrer aux
études qui dépendent de ces Facultés supé
rieures , sans avoir fait un cours de philo
sophie ; nous avons tous une logique na
turelle, comme une morale naturelle, et
l'usage de la vie nous apprend, jusques à
un certain point, les propriétés des êtres qui
nous environnent. Mais , d'une part la psy
chologie, et la logique nommée quelquefois
logique artificielle, augmentent la puissance
de la raison que nous tenons de la nature ;
et d'autre part , l'étude de la morale vient
à l'appui de la conscience, en nous dévoi
lant la cause de nos fautes ou de nos imper
fections, et nous prescrivant des règles pour
les corriger. Les théories philosophiques
suppléent à nos forces naturelles.
Je n'ai pas besoin de remarquer que
l'homme est fait pour agir encore plus que
pour penser ; qu'ainsi , la morale est plus
importante que la logique proprement dite ;
et je ne crois pas donner à conclure l'inuti
lité de la philosophie, en avouant qu'une
( Sa )
bonne éducation domestique et une religion
pure sont nos meilleurs guides , pas plus
qu'on ne prouverait l'inutilité des gouver-
nemens et des lois , en reconnaissant l'auto
rité de la conscience sur nos actions.

FIN.

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