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246 France Dore, Funji Kawwagucki et Saburt Aoki cen lui-méme la présence du co-locuteur. Aussi la forme de suggestion polic tabe-mashé (manger + masu a la forme de suggestion : mangeons!) he peut-elle étre utilisée dans le soliloque comme pourrait l’étre labeyé (si je mangeais), non parce qu’on ne saurait étre poli vis-a-vis de s0i méme, mais parce que le soliloque, s'il peut faire intervenir un co- énonciateur, ne fait pas, par définition, intervenir de co-locuteur. Ce phénoméne pourrait étre considéré comme un procédé secondaire de la langue, permettant de marquer, si besoin en est, des rapports sociaux, Ce serait une ioriture en quelque sorte. Or il n’en est rien. La présence ou labsence de co-locuteur, le rapport poli ou non son égard sont des paramétres qui ne peuvent étre neutralisés, La forme talent n’est pas neutre vis-a-vis de la politesse, lle marque en elle-méme Pabsence de politesse (politesse 0). Elle ne peut étre utilisée que dans des situations de familiarité ou encore dans les types de proposition oit le co-locuteur n’a pas de position, EN GUISE DE CONCLUSION La catégorie de la personne peut étre saisie a travers, d'une part, les pronoms personnels, les noms des « réles » sociaux et dautre part les formes du prédicat. Nous nous sommes intéressés & oes der- nitres, car sans indicateurs de personne, certains types de prédicat —les prédicats subjectifs, la forme de suggestion et la forme impé- rative—, gardent des traces précises de personne, Nous avons vu quiils étaient indissociables des instances énonciatives. Et les rela- tions inter-énonciateurs se voient régulées par les particules finales, qui apportent au prédicat des contraintes spécifiques, Enfin, nous avons insisté sur limportance primordiale de la recon naissance de la présence vs absence du co-locuteur qui conditionne toute énonciation, France Dhome, Université Aoyama Gakuin, Junji Kawaguchi, Université Keio, Saburd Aoki, Université de Tsukuba LEFFET AORISTIQUE par Sarah de Vogiié Dans son article de 1978, « Valeurs aspectuelles et opérations énonciatives: Vaoristique», Antoine Culioli forge un concept nouveau : celui d'aoristique. L’aoriste existe deja, hérité des Stoi- ciens, et réinvesti par différentes traditions grammaticales pour dési- gner certains paradigmes verbaux. L’emploi du terme suppose une catégorie générale dont procéderaient identiquement ces paradigmes : il se heurte donc aux diverses spécificités locales de chacun (« Paoriste albanais n'est pas laoriste grec »). Il faut saisir la qualité commune par dela les singularités des formes qui Vinstancient. L'invention procéde alors d'un bricolage dérivationnel des. plus classiques Vemploi nominal d’un dérivé adjectival. Laller-retour, d'un nom a Vautre via Padjectif, suffit A abstraire 1a catégorie de ses diffé rentes_instanciations Le coat de Popération est minime : un léger déplacement termi- nologique. Mais effet empirique est considérable. La valeur aoris- tique, une fois désolidarisée des morphologies dites aoristes, va savérer assembler un ensemble beaucoup plus large et passablement hé roclite de fonctionnements interprétatifs, non seulement & travers les langues, mais au sein méme d'une langue donnée. Pour le fran- » Seront concernés outre le passé simple que 'on donne généra- ee 248 Sarah de Vogié Jement comme étant l'aoriste du frangais, des formes aussi diverses que certains présents (le prévent historique, mais aussi le présent habituel, génétique ou gnomique), certains imparfaits, le futur, cer- tains passés composés, les performatifs, des marques de « change- ment (brusque) d'état » (ooild que, il » a, tens, .., des comnecteurs interpropositionnels comme quand, ou si dans certains de ses emplois; par ailleurs diverses constructions sont citées comme inversion stylis- tique (Arrive un messager gu, ..), diverses formes @hypothétiques (dont la construction que l'on retrouve dans Que le télephone sonne et le voila qui xe précpit, des injonctifs, des modaux de visée. ‘Toutes ces formes partageraient les traits interprétatifs qui sont donnés comme caractéristiques de laoristique : —la «termination»: le terme désigne «soit Pachévement soit accomplissement selon la notion prédicative en jeu» : dans Il ourit la porte, par opposition & I marait la porie non aoristique, Paction est donnée comme achevée; dans I! parla, elle est donnée comme accomplie; la succession : dans une séquence comme Il prit la parole. La salle fi silence, Venchainement sinterpréete comme une succession, ce qui n'est pas Ie cas dans II prit la parole. La salle fsa silence; Ja «non-adjacence »; & la différence de Il a mangé, la séquence 1 mangea ne peut siinterpréter comme construisant un état résultant dans le présent de l'énonciation, Gette multiplication des données constitue Pun des traits les plus marquants de article. Ge nest pas le seul effet. On peut considérer que ce texte marque un tournant, dont les conséquences vont étre décisives sur Yordon- nancement du modéle théorique élaboré'. Crest ce que je m’atta- cherai 4 montrer, en explicitant certaines réorientations qui me parais- sent suivre des considérations qui sont développées dans article. Ce faisant, je serai amenée & proposer une réinterprétation de ce 1. Cela ne sigue pas nécesanement que ce texte ait marqu wt umant dane I chro nologe réclle: I rage d'un tourna epinemagique, et prutetre ead ime dame chaca des teres de Cubs Cet & Mhtorien dele eres Pewee mime le tourvant ext cit (Bs Te départ dans ba pensée de Cub. Tout ce que je peux monten c'est qve dats cet fide un wavail Fopete qul nonce les axpects lr plas feeens dela théore Gd reperage Lidjet aoristique 249 concept daoristique, assez différente des interprétations classiques qui en sont données, mais qui me parait plus conforme la logique méme du texte. Je soutiendrai en particulicr qu'il n'est pas simple- ‘ment un moyen de rendre compte de fonctionnements langagicrs diversifiges, qu'il y a lA une authentique découverte empirique, qui affecte la conception méme du langage et des langues. UN TOURNANT CONCEPTUEL : V'ENONCIATION EST AFFAIRE DE DETERMINATION Lordonnancement. du modéle Le modéte qu’élabore Culioli depuis le départ de sa théorie, met en jeu des opérations de repérage énonciatif, des opérations de prédication et des opérations de détermination. Une version que Von pourrait dire rudimentaire du modéle, autonomiserait et ordon- nerait ces trois types dopérations les uns par rapport aux autres: sur un schéma notionnel premier, opére d’abord un réseau de déter= minations, puis s'établit un calcul prédicatif, au terme duquel se met en place un systéme de repérage par rapport au repére énor ciatif dorigine. Avec aoristique, une relation est posée entre repé- rage énonciatif (Vaoristique est rapporté A un repérage en rupture) ¢t détermination (le terme méme d'aoriste étant renvoyé & son sens origine! ott il signifie l'indétermination, Vaoristique est mis en rela tion avee opération dite dextraction.associée traditionnellement au déterminant wi), Il faut alors concevoir un modéle dans lequel les niveaux ne soient pas séparés, mais puissent interagir. Lienjeu est important : cette interaction des niveaux a des consé~ ‘quences immédiates sur la fagon dont le repérage énonciatif devra étre_congu. Si c'est dans laprés de la constitution de la relation prédicative que celui-ci opére, l’énonciation est un en plus, qui ne remet pas en cause un traitement autonome (sémantico-syntaxique) de la pré- dication et de la détermination. Une théorie de l’énonciation s'en tiendra & rendre compte de insertion discursive des phrases, la 250 Sarah de Vagité construction de cellesci étant gérée par d'autres modules théori- (ques: une syntaxe et une sémantique, Si en revanche le repérage énonciatif est induit dés le départ de la chaine, s‘inscrit déja dans les modes de détermination, il s'ensuit que toute la chaine dopérations est énoneiative A supposer que lon admette quand méme la réduction de la pro- blématique de 'énonciation a la question de Vinsertion discursive, il faut alors que celle-ci soit en jeu d’un bout & autre de la construc. tion d'un énoncé, aussi bien dans les shifters que dans les détermi nants et que dans la constitution de la relation prédicative. La théorie de Fénonciation n'est pas complémentaire d'autres approches plus centralement syntaxiques ou sémantiques elle est concurrent. Maisil y a une autre conséquence, qui est justement que Pénoncia- tion ne soit pas sculement affaire de discours : elle concerne avant tout Ja construction méme de ’énoneé. Hy ala deux conceptions de 'énon- ciation qui vont s'opposer : une vise le processus par lequel un locu- teur s'énonce, l'autre postule qu'un énoncé est Ie licu d'une construc- tion, et désigne cette construction clle-méme. Dans cette seconde optique, le locutcur n'est qu'un paramétre externe, dont la théorie ne rend pas compte : 'énone¢ est une construction langagiére avant que «étre construit par un locuteur donné. Il n’y a alors plus grand chose le commun entre le modéle que va développer Culioli et ce qui s'appelle théorie de Pénonciation dans d'autres cadres conceptuels oit c'est la premiére acception du terme qui est retenue!. Si un énoncé se trouve mettre en jeu des repérages, ce n'est pas parce qu'il trouve son origine dans le locuteur qui le profére : c'est parce que le langage s’ordonne sur des opérations abstraites de repérage. Les repéres restent des para~ mitres abstraits : ils engagent sans doute le locuteur, embarqué dans son énoneé, mais ils sont construits indépendamment Vine théorie de la determination 1 y a aussi des conséquences sur la eatégoric de la détermina tion elle-méme, qui ne se réduit plus, comme on va le voir, & 1. Sur ces imerprétatons concurents du concept «énonciaton, voir de Vegi (1992 Lift aoristque 251 une probiématique de la délimitation et de Pidentification. Elle res- sortit d'emblée & la dimension énonciative, et done en particulier aux modes de prise en charge subjective de la construction, La trans- catégorialité (ici entre détermination et modalité) n’est pas seule- ment inscrite dans Jes données, qui embrouilleraient les paramétres que le langage discernerait : elle est intrinséque au modéle lui-méme et aux catégories langagiéres qu'il développe. Des classes instants et des domaines Dans article, cest d’abord avec le jeu des structurations aspec- tuelles que les opérations de détermination sont mises en relation = les. propriétés tapologiques de formetire, harnage et compa données comme caractéristiques de la configuration, quoique défi- nies sur des « classes d'instants »!, sont rapportées & une opération extraction. Plus généralement, «Vévaluation du degré Cintensité ow dextensité (achéverent) » est définie comme une opération de détermination, « quantitative/qualitative ». Ces corrélations sont possibles dans la mesure oit le domaine application de la détermination est largi, non plus seulement & Ja seule référence nominale, mais a toute «notion prédicative » : la distinction entre nominaux et verbaux étant remise en cause, la détermination va opérer aussi sur les occurrences de proces (occur rences de «casser une tasse » par exemple), et s'articulera des lors avec des opérations sur les classes instants (les instants ott ily eu effectivement occurrence de « casser une tasse »). Gelles-ci étant associées a différentes valeurs de Vopérateur de repérage (dans le ‘as de Maoristique, la valeur de rupture), le lien entre détermination, et repérage énonciatif s'en déduit. articulation entre occurrences de procés (le texte parle plus 1. CURel tin me sein Beat pin athe Wage semper pao gc ne our qu les instants qui repérent lex proces soent ordonnés wr tn axe (a mois de comoudse ‘emps linguisique et tps chronique) et parce que la Arcsin eat a Weng aust ‘spectuele que temporelle: agi non sclement un reperage par tapport 4 stant fngine le «préient, mas aus de In consructon intervals confespondants aux valeurs fapectuclles tenes 252 Sarah de Vogiié ‘généralement doccurrences sur un domaine notionnel) et classes dins- tants est done ici cruciale: « lorsqu’on représente un proces par un inter- valle, on doit, dans le cas le plus simple, opérer avec deux espaces topo- logiques (celui des domaines notionnels et celui des classes 'instants}.»» Avec les classes d'instants, on est dans une problématique de la loca- lisation : un proces se localise dans telle classe d'instants. Avec les occur- rences, on est dans la problématique de la validation : les occurrences valident la notion prédicative en jeu ou ne la valident pas (on est dans Vintérieur p ou sur le complémentaire p’ du domaine notionnel (p, p’) Le point crucial est qu’au niveau référentiel, validation et locali- sation puissent ne pas coincider : en particulier, il ne suflit pas qu’un proces soit localisé relativement a une classe d'instants donnée pour quill soit par la-méme validé. C’est la le fait empirique sur lequel se fonde toute la problématique de aspect : la question de la termi= nation est bien celle-a (mais cela vaudrait aussi pour Vnchoation), puisquil sfagit Caller au «terme» du procés (par exemple celui ouvrir la porte) pour que la localisation débouche sur une.valida- tion (la porte est ouverte, il 'a effectivement ouverte), Dans la topo- logie mise en place dans Varticle, il faut qu’ait été construite une bore fermée a gauche (le « terme »), et que cette borne ait été passée. De ce point de vue, le mode de construction de ce que Fon appelle les états résultants! est particuligrement intéressant: la vali- dation ne s‘obtient qu'une fois la localisation effectuée, et c'est dans «V'aprés» de cette localisation qu'elle se situe (tant quill est encore a casser la tasse, il n'a pas cassé la tasse). Localisation et validation sont ainsi d'une certaine fagon complémentaires une de autre De cela il ressort que la détermination, en tant qu'elle opere sur les occurrences des domaines notionnels, procéde d'une forme de stabilisation qualitative (celle qui aboutit la validation, et qui sur les classes d'instants se marque par des bornes fermées), et ce au moins autant que d'un travail de délimitation qui, lui, concerne- rait essentiellement la construction des classes instants. Elle va dés lors pouvoir étre corrélée au repérage énonciatif & tun double titre : en tant qu’elle met en jeu de la localisation dunc 1. Leexemple que Yon cite généealement por sre le cance at résultats chi ‘du pase compost A valeur dachevement: Ne chr ai ss ere Ua ve, Lit aoristque 253 part, la classe d'instants devant alors étre repérée par rapport & Finstant-origine du processus énonciatif; en tant qu’elle met en jeu la validation dautre part, et donc la prédication de la propriété notionnelle correspondante (la tasse est effectivement cassée ou pas} Cette prédication induit nécessairement un point de vue subjectif, repérable en tant que tel par rapport au sujet-origine de V'énoncia- tion: le repérage prend JA une forme directement modale ‘A nouveau, les états résultants sont tout & fait révélateurs de cette implication subjective : la validation (la tasse est cassée) est rapportée une classe instants, qui done est complémentaire de la classe ott le proces se localise, et qui surtout va coincider avec le moment dott cette validation s'effectue. Concrétement cela donne le fait que état résultant s’interpréte comme un présent (est maintenant qurelle est cassée, et quill faut faire avec, ramasser les morceaux, en racheter tune autre, ou se passer de boire)'. C'est ce que Von appelle adja cence : Ie proces désigné, aussi « lointain » soit, devient comme adja cent au moment de Pénonciation, qu'l se trouve spécificr qualitative ment (on est dans le temps de la tasse cassée), Le « valideur » (ce point de vue d’oii s’effectue la validation) se voit ainsi impliqué dans ce qu'il valide. C’est 18 un fait dont il faudrait plus s'étonner : pour- quoi la validation vient-elle affleurer ainsi jusqu’au moment de Pénon- ciation, pourquoi ne se rapporte-t-elle pas seulement & cet «aprés » de la localisation, & un moment Ini aussi passé (pourquoi est-ce main- tenant que la tasse est cassée, et non pas seulement une fois qu'elle a &té cassée)? Précisément parce qu'elle met en jeu un valideur, et quelle Vimplique. Ou aussi parce qu'elle détermine un état (P « état » résultant), en tant que tel stabilisé, en tant que tel définitif (du moins Jusqu’a ce quil ait été a son tour bouleversé par un nouvel événe- ‘ment). Parce qu’en validant un procés, on le transforme en événe- ment, tel que M’état du monde en ait été changé. La théorie des domaines. notionnels: La théorie des domaines notionnels, qui commence & s'élaborer avec les distinctions entre p et 6’, donnera les outils pour envisager 1. Aver les temp commponés autres que le passé cmp utmtmne, ce nest pas eeepc ‘origine qui et concern, mait le repere dou la construction sellecue 254 Sarah de Vegi une articulation effective des deux problématiques de ta localisation et de la validation. Le complémentaire p’, construit comme la fronti¢re topologique de f, correspond non pas aux occurrences qui invalident f (qui vali- deraient non-p, ou pour prendre une glose plus exacte, « vraiment pas p>), mais aux oceurrences non stabilisées (qui ne valident pas «vraiment p»): p’ définit donc sur le domaine lui-méme le lieu occurrences participant seulement d'une localisation (Ja notion se vérifie, mais elle n'est pas validée). Une correspondance peut alors étre établie entre la structure topologique des classes d'instants d'une part, et celle du domaine diautre part: dans le cas de la termination, le passage de la borne fermée gauche coincide avec le passage dep’ a p. Les proprictés aspectuelles regoivent ainsi un éclairage nouveau : la topologie des intervalles prend un statut opératoire quand elle est mise en relation avec la question dela validation, et on peut alors dépasser les descriptions classiques, en termes de durée, ou de ponctualité, trop liges & la notion méme diintervalle, et dont oon connait les limites. L’exemple cité par Culioli & plusieurs reprises : 1 plut pendant 4;oars, iMtustre bien le probleme. Bien quill y ait lurée, les bornes tant fermées, la valeur est stabilisée, et la. construc- tion référentielle procéde d'une termination. D’oit le passé simple : ‘en tant qu’occurrence du domaine, l'intervalle sinterpréte comme tun point, Il faut ne garder des instants que leur valeur de coupure virtuelle, et travailler au niveau des domaines, en termes doccur- rences, Jai proposé d’appeler occurrences situationnelles, les occurrences simplement localisées (dans une classe d'instants, qui leur sert de site), et de réserver le terme doccurrences notionnelles aux occur- ences stabilisées (qui valident 1a propriété notionnelle)!. Les opé= rations de détermination consistent alors a articuler diversement occur- rences situationnelles et occurrences notionnelles : elles procédent done bien par quantification (délimitation/localisation) et qualifica- tion (stabilisation). La valeur aspectuelle s'en déduit. Et les repérages temporels ou modaux s'y relient. 1. Vole de Vogue, 1987 Left corstique Enonciation et ditermination On assiste ainsi & un ultime retournement : ’énonciation toute entiére va étre ramenée & une alfaire de détermination, Telle est la position actuelle de Culioli. On est loin de la problématique de Tembrayage, oi il s'agissait simplement de repérer un énoncé par rapport & sa situation de locution, L’enjeu est tout autre: on a at départ des notions instables, non instanciées ct non délimitées, et il Sagit de les stabiliser en les validant et de les instancier en les localisant. C'est sur les domaines notionnels que cela se joue. En derniére analyse, le repérage énonciatif se trouve procéder dopéra- tions de qualification et de quantification sur les domaines. LTAORISTIQUE COMME MODE DE DETERMINATION Te fait-étnement Que désigne alors le concept daoristique, dans cette reconstruc: tion du modéle que Particle amorce? (On a rappelé en introduction les trois effets empiriques auxquels Clioli rapporte la catégorie qu'il prétend reconstituer : termination, non-adjacence, succession. Ce sont de ces effets quill Sagit de rendre compte. On sait que Culioli définit Paoristique par Popération de rupture Mais il donne aussi d'autres caractéristiques, en particulier topologi- ques (on a construction dintervalles fermés, bornés, compacts), qu'il travaille & articuler avec Popération de rupture. C'est ce travail d'arti- culation qui Paméne & rapprocher détermination et aspect, et & recon- sidérer Vorganisation interne du modéle. Je proposerai done une autre caractérisation, qui me parait compatible avec celle de Gulioll, et qui sinscrit dans la perspective décrite ci-dessus : ce qui fonde Peffet aoristique est que T'instance de validation coincide avec celle de localisation. Cela correspond bien avec ce qui est soutenu dans Particle, quand il est dit qu’on a une « iden- 256 Sarah de Vogue tification stricte de I'intervalle fermé (de la localisation] et de Yoccur- rence Tl [point de validation} » On obtient ainsi, par validation, une stabilisation qualitative : le fait localisé est construit comme un événement, renvoyant & une certaine transformation du monde. C'est ce qui se manifeste dans la propriété de termination. Simplement P’événement ne se mesure pas a un état effectif (localisé) qui en résulterait : certainement pas & un état impliquant Vénonciateur (d’oit Veffet de rupture), mais non plus & quelque état localisé que ce soit. Cela signifie en parti- culier que la validation ne va plus correspondre & la construction d'un complémentaire sur les classes instants («le complémentaire est vide»), On a IA T'effet de non-adjacence. On aboutit ainsi & une configuration ott le fait lniaméme se donne comme un événement. Un procts est localisé, un fait est « extrait », et il advient qu’ll se valide Iui-méme; une occurrence situationnelle est construite, et il faut Penregistrer comme une occurrence notion- nelle, Parce qu'il n'y a plus de problématique de Padjacence (et done plus de complémentaire}, il n'y a que des points, des fermés bornés, es événements, sans transitions correspondant aux états qui en résul- teraient, sans points d’accumulation qui viendraient en donner Je sens. On obtient alors un «recouvrement fini point & point » de Pespace aoristique, qui détermine le troisiéme effet aoristique noté : celui de succession, Comment une telle configuration se produit-elle? C'est une autre histoire. Il y faut certes quelque opération de rupture, pour déta- cher le proces de la sphére de Pénonciateur: mais ce peut n’étre qu'un effet et non une condition préalable. Il y faut une qualité intrinstque du procés (ou plus généralement de la notion): qu'il soit doté d'une borne d'accomplissement qui sullise & inférer une stabilisation’. Mais cela peut se construire par des moyens divers?. Tl faut un effet de coupure, entre avant et aprés: quelque chose 1. I faut ce que on appelle maintenant wn fonctionnement discret. Voir Franchel, Pile Jared 1902, et de Vogue, 189, 2 Las dicrev ne forment pas une clase, is corespondent 8 un made foncionne= ‘ment: vir Franck, Pallard, 1092, de Voge 1991 efit aoristique 257 arrive, une prédication d’existence. Pour chaque forme Ia question doit se reposer. On ne sait toujours pas exactement comment sobtient Vaoristique. On sait quiil y en a, cest déja beaucoup. Dhistore Il fant revenir sur la propriété de succession. Le terme méme nen donne pas une description suffisamment précise: il insiste sur le caractére discret des proces qui sordonnent les uns & la suite des autres (Cest le recouvrement point & point), mais la spécificité dle la succession aoristique est aussi que ces proces doivent s‘enchainer les uns aux autres. Autrement dit, la notion de suite doit étre prise dans son sens le plus fort: chaque événement va étre dans (et non ppas seulement 4) la suite de ceux qui le précédent, Les constructions aoristiques, telles qu’on les observe par exemple avec le passé simple (mais pas seulement), mettent en jeu une forme d'ordonnancement, qui Sinscrit dans une logique de la nécessité: il ne s'agit pas forcé- ment d'une nécessité causale, mais de celle du déroulement de Vhis- toire rapportée. La notion d'autovalidation (le proces se valide lui- méme) va permettre d’en rendre compte. Dans le cas des états résultants, on a vu que la validation se site dans «T'aprés» de la localisation. Ici, Pautovalidation fait qu'il n'y a pas d’aprés. Il n'y a qu'une suite: les autres points qui vont suivre. Mais les propriétés qui président au concept d'état résultant restent pertinentes, méme si elles ne se manifestent pas dans la construction d'un état localisé: il s'agit toujours de passer d'une loca- lisation a une validation, que celles-ci se trouvent ou non coin On aura donc d'une part un effet de stabilisation (le procés induit un changement ’état, une transformation, ce pourquoi on parle cPévénement). Et on aura aussi une forme de «résultance » > si y a changement eétat, ce qui suit sera dans la résultance de ce ‘changement. Simplement ce n’est pas un énonciateur qui vient sou- tenir le lien d'enchainement ainsi installé, Le lien est la, donné par la structure méme des événements, mais. sans qu’aucun point de ‘vue subjectif ne puisse le fonder. D’oit cette nécessité dans laquelle la succession va sinscrire : une nécessité qui n’a pas a étre causale, 258 Sarak de Vogit qui n’a méme pas & étre définie, et qui ne peut V'étre dans la mesure oir cela impliquerait un point de vue! Il apparait par conséquent que l’énonciateur est doublement absent? des configurations aoristiques : il est absent, parce qu'il ne valide rien; et il est absent aussi parce qu'il n’ordonne rien. Il s'en tient a enregistrer ordre des événements’. I suit, au fur et a mesure que Vhistoire se déroule’. On retrouve la description que Benveniste donne de la catégorie de Phistoire il nly a méme plus alors de narrateur. Les événements sont pposés comme ils se sont produits & mesure quils apparaisent & Thorizon de Phistoire. Personne ne parle ici; les événements semblent se raconter eux-mémes (p. 24 Mais Culioli va non seulement élargir le champ des construce tions concernées, il va aussi chercher explication de ce que Benve- niste se contente de décrire. Surtout, ce qui chez Benveniste est rapporté a une stratégie discursive, & un mode singulier appropri tion de la langue, va étre donné par Culioli comme une propriété générale des langues elles-mémes: une catégorie invariante. La vérité transmise La conception du langage se voit en effet transformée, quand parler ne procéde plus seulement du jugement ou du constat (Pun 1. Cull. parle de ncessié de ta eomtingence 2. Ga nes difile & admetre ques Ton confond énoncateur et oeweur ans doute te Joctcur tient toujours lr res: Encore qui pune Gtr priv dae Thinore quid raconte qui arsve gui rellace pour lier histoire parler. Non ps la rel sans doute, ‘aie Pistoire Quol quid en wit faut admetre ql pine se hee que Tésoncateur Ss ates pons de vue, aes descriptions et ser jagemen ne sien pas Te seul esos tds process énoncai sau a Fenoneer a ce qul lat la scicte de toutes les données ‘qe Culoll cauemblent an tite de la configuration soriqie 3. Das fe fue ees sksne Pn ca dese camera colton gaps aves Je tas ami Dans Yes hypothigues, une forme de nécessé logique qui est cele de la “eduction = SW pone, cs gui «des oa. Dans les proves eles nedriqes, a neste fe la générale 4 Voir les Temarques de Cli & propos des recenes de citing, des retransmissions de maths, ou aus des présens histonques Lift aoristque 259 ‘et Pautre centrés sur Ie point de vue qui les fonde), mais aussi de ‘cette forme de chronique oi Pénoncé s’en tient & enregistrer le dérou lement des événements'. Toute la question de la référence est ici en jew: Paoristique désigne un mode spécifique de référence oit le référent n'est plus cet extérieur inerte sur lequel le dire se projette, ‘oi il impose son sens que le dire entérine. Ce que le langage ins- taure ainsi, c'est un certain rapport au monde : quand létre parlant, maitre a bord de ses petites machines langagigres, s‘efface, écoute, et que la langue le paic en retour. On ne fait pas que dire la vérité du monde (sa vision de la vérité, son point de vue), il arrive parfois, dans la fiction aoristique, qu’on entende. Il serait inscrit dans le langage qu’ll y ait deux modes de vérité sla -vérité des sujets, et ce qui serait une vérité de Pévénement, que les sujets ne constatent pas, qu'ls transmettent. Sarah de Vogié, Université de Paris X. BuntiooRAPHE Benveniste E., 1959, Les relations de temps dans le verbe frangais, in Pro- biines de lingistique gérle, torne | Calioli A., 1978, Valeurs aspectuelles et opérations énonciath Aique, in Actes du collie sur la notion aspect, publiés par J. David et RU Martin, Metz, repris in S. Fisher, JJ Franckel (eds), Enonciation > aspects 4 dermination, Paris, ees. Franckel J.J., Paillard D., 1992, Discret, dense, compact: vers une typo logie opératoie, in Tran de inguistigu et piblog, Swasbourg, Klincksieck De Vogiee S., 1987, Aspect : construction occurrences, in T. 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