le développement participatif, des échanges
d’expériences Sud-Sud, et des réflexions sur un
modèle alternatif de développement.
Ainsi naquit en 1974 la revue « environnement
africain » où fut introduit le concept d’éco-
développement, situant Jacques Bugnicourt et
Enda Tiers Monde parmi les précurseurs de ce
qui sera officialisé pendant la conférence de Rio
sous le terme de « développement durable ».
Le 5 juin 1986, un prix sera décerné à cette
revue à l’occasion de la célébration de la Journée
Mondiale de l’Environnement pour avoir
procuré « au cours des dix dernières années
une tribune pour l’échange d’information sur
des sujets traitant de l’environnement et du
développement en Afrique ». D’autre part, la
participation active de Jacques Bugnicourt à la
bataille des idées pour un autre développement
l’amènera à croiser sur son chemin des dizaines
de personnalités de rang mondial, mais aussi une
foule de héros anonymes du développement
« à la base ».
Les années 1980 eurent comme priorité la lutte
contre la pauvreté. Dans une Afrique ébranlée
par les Plans d’Ajustement Structurel », ces
années-là virent se lancer des initiatives tout
azimut : l’économie populaire comme réponse à
la pauvreté urbaine, la communication à la base,
les technologies de première ligne, l’agriculture
urbaine, l’assainissement alternatif, les plantes
médicinales, les énergies populaires, la défense
des droits des jeunes travailleurs, la lutte contre
le sida (dont Enda fit une priorité dès 1986),
la prévention des violences urbaines, etc.
Autant d’intuitions qui se concrétisèrent en
formation d’équipes qui vinrent enrichir une
institution foisonnante. Parallèlement, le réseau
Enda se mondialisait et essaimait en Afrique,
en Asie et en Amérique Latine où une quinzaine
d’antennes furent créées. En 1990, Enda devint
membre d’APC et fut l’une des premières
institutions au Sénégal à entrer dans l’ère de la
communication électronique. Les bases venaient
ainsi d’être posées qui permirent à Enda de
changer d’échelle.
En 1992, la conférence de Rio sur l’environnement
et le développement verra la reconnaissance
des positions défendues par Jacques Bugnicourt
depuis 20 ans. Enda y enregistra des succès
importants notamment avec le lancement d’une
montgolfière (« la goutte de l’espoir ») et la
publication de la revue « Vivre Autrement » sous
forme de quotidien pendant toute la conférence.
La revue sera également publiée pendant les
autres grandes conférences des Nations-Unies
qui s’en sont suivies (Beijing, Istanbul).
A l’instar de Rio sur le plan international,
l’inauguration à Dakar de l’Ecopole Ouest
Africaine le 13 avril 1996 en présence des
Présidents sénégalais et malien, fut une
consécration au Sénégal. Et ce fut encore une
inspiration de Jacques de transformer une
vieille usine désaffectée en un lieu de créativité
populaire et de formations. La même année,
Enda acquiert un statut consultatif général
auprès du Conseil Economique et Social
(ECOSOC) des Nations-Unies.
C’est à la fin des cycles des grandes conférences
des Nations Unies que Jacques Bugnicourt
commença à annoncer son intention de quitter
la direction d’Enda pour consacrer son énergie
sur quelques dossiers. Sa silhouette devenait
alors encore plus familière aux habitants des
bidonvilles, notamment de Rail et de Baraka.
En 1999 il devint membre du Haut Conseil de
la Coopération Internationale et son pouvoir
d’influence s’exerçait dans de nombreuses
institutions (du propre aveu de son président
Michel Rocard, la Commission du développement
et de la coopération du parlement européen
a ainsi voté plusieurs résolutions « dont
l’inspiration venait largement d’Enda »), et à la
veille de sa mort, il a participé à un déjeuner de
« Afrique Initiatives » dont il était le fondateur
et où il imaginait avec quelques investiseurs
l’apport que pourraient avoir certaines grandes
entreprises pour le continent.
Le 16 avril 2002, Jacques Bugnicourt meurt
foudroyé sur un trottoir parisien, quelques
heures seulement après avoir rencontré le pilote
M. Schumacher pour plaider encore une fois la
cause des populations des quartiers déshérités
de Dakar.
Né le 19 mars 1930 à Warsy, un village de Picardie,
en France, Jacques Bugnicourt intègre Sciences
Po Paris en 1947, dans la même promotion
que Jacques Chirac. Il y rencontre également
Michel Rocard avec qui il noue une amitié
jamais démentie. A sa sortie de Sciences Po, sa
sensibilité tiers-mondiste l’incline tout
naturellement à choisir l’Ecole Nationale de
la France d’Outre-Mer où il se lie d’amitié avec
Cheikh Hamidou Kane et où il marque son
passage par la publication d’un brulot intitule
«l’empire colonial est mort» ; il se distingue
aussi par le lancement, avec d’autres, d’une
pétition contestant l’enseignement de l’ENFOM,
en demandant à être initié non pas à des
fonctions d’administrateurs coloniaux, mais
comme Conseillers auprès de gouvernements
ayant vocation a être indépendants, s’attirant
ainsi les foudres du Ministre de la France
d’Outre Mer, au point d’être menacé d’exclusion.
De cette période, Jacques sortira bardé de
diplômes, et aussi de solides convictions.
Diplômé de Sciences Po, Docteur en droit,
diplôme de l’ENFOM, diplôme de la Hochschule
fur pilotis de Berlin, diplôme de l’Institut
d’Etudes supérieures de droit rural, docteur en
économie, géographe... Une véritable boulimie
de connaissances qui a fait dire à Michel
Rocard, lors de la cérémonie d’hommages
organisée en son honneur à l’Unesco le 29 avril
2002, que c’est l’un des hommes les plus diplômé
qu’il connaisse.
En même temps qu’il menait de si brillantes
études universitaires, il a également été un
militant actif des mouvements de jeunes,
d’abord à la Jeunesse Etudiante Chrétienne et
ensuite des Jeunesses Socialistes dont il devint
le Secrétaire National en 1956, c’est-à-dire
le numéro 1.
En 1957, Jacques part faire son service militaire
en Algérie.
Dans le cadre de ses fonctions d’Officier SAS
chargé de la réforme agraire, il découvre
avec stupeur la politique de déplacement des
populations rurales tendant à parquer dans
des camps de regroupement des centaines de
milliers de personnes. Il en informe son ami
Michel Rocard dès son arrivée en Algérie en
1958. Son ami Cheikh Hamidou Kane (alors Commissaire préfacé en 1971 par le prix Nobel d’économie
au Plan du gouvernement de Mamadou Jan Tinbergen.
Celui-ci en fit rapport au Délégué Général, et les
Dia) qui s’est lancé dans une expérience de La conférence sur l’environnement de
fuites qui s’en suivirent dans la presse ont failli lui
développement autocentré et d’animation Stockholm, en 1972, lui donnera alors
coûter son poste, mais eurent le mérite d’arrêter
rurale, et qui lui confie le premier poste de l’opportunité de poser la première pierre de
ces pratiques monstrueuses dont la finalité était,
Directeur de l’Aménagement du Territoire (qu’il ce qui sera l’œuvre de sa vie : la construction
selon une révélation faite par Michel Rocard,
occupera jusqu’en 1963). Il sillonnera le Sénégal d’une ONGI du Sud pour l’environnement,
de permettre à l’armée de tirer plus à l’aise au
de long en large, de l’estuaire du fleuve Sénégal le développement et la lutte contre la
napalm dans les zones de Maquis. L’histoire ne
aux berges des fleuves Gambie et Casamance, pauvre qu’il dénommera Enda tiers-monde.
le dira pas, mais Jacques Bugnicourt a, par-là,
jusqu’aux confins sénégalo-guinéens du Sénégal Créé d’abord comme un programme de
évité la perte de nombreuses vies, et à la France
Oriental où il fut, avec son ami M. Rocard, les formation pour l’environnement,commun au
de commettre un crime de guerre. Chargé de la
premiers blancs à être conviés à une cérémonie PNUE, à l’ASDI (Coopération suédoise) et à
réforme agraire, il a souvent négocié avec le FLN
d’initiation Bassari. Il accompagna ensuite Ben
au grand dam de ses supérieurs. l’IDEP, Enda sera reconnu par le gouvernement
Madi Cissé dans la création de l’Ecole Nationale
Et ce fut le Sénégal, en 1961, pour participer à la sénégalais comme Organisation internationale
d’Economie Appliquée où il fut professeur et qu’il
construction du jeune état indépendant. à caractère associatif et à but non lucratif le
dut quitter en 1968 sous la menace d’expulsion 27 juillet 1978, et Jacques Bugnicourt en
du Sénégal pour avoir pris position en faveur des assuma le poste de Secrétaire Exécutif jusqu’à
étudiants pendant les événements de mai 1968. son décès le 16 avril 2002.
En 1966, il avait déjà rejoint l’IDEP, dirigé par Après quelques sessions de formation tenue
Samir Amin, pour y enseigner l’aménagement par-ci par-là en Afrique, la première grande
du territoire. Ces années lui permirent de bataille d’Enda survint dans les années 1973-
développer une activité multiforme, dispensant 1974 avec la période de sécheresse la pire que le
des cours dans des instituts au Sénégal, en Sahel ait connue.
France et au Maroc, participant à de multiples
Un rapport intitulé « un peuple privé de son
colloques internationaux, et collaborant avec
environnement » sortira de ce processus dont de
plusieurs revues.
larges extraits seront publiés en 15 langues dans
C’est également dans cette période qu’il publia le « Courrier de l’Unesco ». Plusieurs programmes
sa thèse de doctorat sur « disparités régionales furent ensuite lancés dont le plus important fut
et aménagement du territoire en Afrique » « le programme CHODAK » pour promouvoir