de, « a souffert plus de malheurs Le principal concept de la pensée
que durant plusieurs siècles précé- du docteur Reich, qui se veut révo-
Sexe
à gauche!
* Pour le docteur Reich,
les premiers, jeux sexuels
dei enfants
déterminent leur orientation
politique
LA REVOLUTION SEXUELLE
par Wilhelm Reich,
traduction C. Sinelnikoff.
Pion éd., 307 pages, 28,35 F.
te
Ou en est la situation
sexuelle et politique ? La
masturbation reste - t - elle
« bloquée » (?) et mal pra-
tiquée ? Les « hypocrites sexuels en
haut lieu » ont-ils toujours le pouvoir ?.
Telles sont quelques-unes des ques-
tions intéressantes posées par le doc-
teur Reich dans « la Révolution
sexuelle », publiée jadis à Vienne en
1930, aujourd'hui traduite et publiée
par les éditions Plon pour l'édifica-
tion et la-distraction du public fran-
/ bation impossible — on ne voit que
çais.
Wilhelm Reich, ami de Marcuse et
d'Adorno, comme eux tôt émigré
aux Etats-Unis (où il se fera empri-
sonner), s'était spécialisé, quant à
lui, dans l'étude des formes sexuelles
de la répression. Il fonde, en 1928, la
e Société socialiste d'Information et
de Recherche sexuelles ». Ainsi dé-
bute le grand combat du docteur
Reich. Combat qui se veut d'inspi-
ration à la fois marxiste et freu-
dienne (Reich avait connu Freud à
Vienne). L'idée d'allier la psychana-
lyse au marxisme n'était pas nou-
velle, même en 1930 : Freud, dans
une lettre à Ferenczi du 24 janvier
1932, jugeait qu'une telle fusion
« culminait dans la déclaration ab-
surde selon laquelle l'instinct de
mort est un produit du régime capi-
taliste ». 11 est certain, en effet,
qu'une telle philosophie freudo-
marxiste, telle du moins que l'ont
pratiquée la plupart de ses adeptes
(Reich, Adorno, Marcuse et d'au-
tres), a invariablement versé dans
des formes de « pensée » aussi éloi-
gnées de Marx - que de Freud. Mais
aussi dans des formes de délire assez
réjouissantes. Qu'on en juge.
Une poignée de bandits
Tout commence, chez Reich, avec
l'intuition d'un désastre généralisé,
d'un cataclysme universel caractéri-
sant la modernité. Jadis, tout allait
bi-en; aujourd'hui, tout est détraqué,
par la faute d'une « poignée de ban-
dits assoiffés de pouvoir ». Il n'y a,
en particulier, plus aucune vie
sexuelle véritable : cela, toujours par
la faute des bandits. D'où la déca-
dence complète de l'humanité qui,
dans la première moitié du xxe siè-
Page 34 Lundi 12 janvier 1970
vivre selon l'économie sexuelle, il ne
suffit pas que la jeune fille ait une
dents ». Alors, quittant son cabinet
médical florissant, le docteur Reich
a entrepris de lutter contre la « dé-
tresse biologique » des « masses hu-
maines à structures caractérielles
autoritaires ».
Le docteur Reich fait alors une
découverte capitale, appelée à des
développements infinis : si vous em-
pêchez un enfant de s'adonner à la
masturbation, il virera, politique-
ment, à droite ! En revanche, si vous
le laissez sans contrainte, le dévelop-
pement harmonieux de ses facultés
sexuelles l'inclinera spontanément
vers la gauche. Qu'on laisse donc
l'enfant libre de se masturber tran-
quillement : alors seulement il
pourra « prendre au sérieux les
idéaux démocratiques ». Reich pres-
sent ainsi, dès 1928, une loi struc=
turale bien connue aujourd'hui : on
ne fait bien l'amour qu'à gauche ;
à droite on, est tout rabougri, égoïste
et vicieux.
Gens bien >> et pas bien »
On comprend l'épouvante de cer-
tains devant la portée politique de ces
découvertes. Les bandits s'émurent
aussitôt et entreprirent une guerre
féroce contre la diffusion des idées
du docteur Reich. Il s'en trouva
même pour recourir à des mesures
atroces, telles qu'attacher les mains
des enfants pour rendre la mastur-
trop à quelles fins politiques. Mais en
agissant ainsi, on fabriquait en
chaîne des petits Hitler. D'où l'ur-
gence d'une « révolution sexuelle »,
si l'on veut éviter le pire; Mais le
combat est dur. Qui chantera les
victimes de cette épopée du xx° siè-
cle ? « Ce que nous sommes en train
de •vivre, c'est une véritable et pro-
fonde révolution de la vie culturelle.
Elle se déroule sans parades, uni-
formes, roulements de tambour ou
d'artillerie ; .mais ses victimes ne sont
pas moins nombreuses que celles
. convenable, un homme bien, et une
des batailles des guerres civiles de
1848 ou de 1917. »
Le gai de ces élucubrations sur la
sexualité est qu'elles font paradoxale-
ment (et inconsciemment) l'éloge
constant de: toutes les formes de ré-
pression sexuelle. Reich, qui a en
vue une société sexuellement « libé-
rée », réinvestit aussitôt dans celle-
ci tous les tabous, tous les mythes,
tous les interdits sexuels : il s'agit
d'instaurer, -en matière sexuelle, une
« nouvelle moralité » qui supprimera
d'un même mouvement les impul-
sions « mauvaises » et les interdits
qui pèsent sur elles. Aussi la « libé-
ration sexuelle » du docteur Reich
aboutit-elle curieusement à jeter un
interdit moral sur toutes les formes
de « perversité », c'est-à-dire, fina-
lement, sur toutes les formes d'acti-
vité sexuelle. Dans la nouvelle so-
ciété sexuelle, plus de viol, plus
d'homosexualité, plus de désir (puis-
qu'il n'y aura plus d'interdit). On
fera l'amour moralement : « . mora-
lité naturelle » qui sera l'apanage
des « personnes sensées, honnêtes et
convenables ». Et plus loin : « Le dé-
sir de maternité est inné chez toute
femme de bien. s
lutionnaire, réside donc bizarrement
dans cette notion de « bien » et de
« convenable s. De même qu'il y a
des « gens bien » et des gens « pas
bien » (les bandits), il y a une sexua-
lité qui est « convenable » et une
autre qui n'est « pas convenable ».
La révolution sexuelle, telle que l'en-
tend Reich, consiste à revenir à des
formes décentes et convenables de
sexualité. De manière générale,
Reich propose, à la place de ce qu'il
veut détruire, exactement les mêmes
structures et les mêmes « valeurs »:
le problème étant seulement de les
affecter d'un coefficient d'« authen-
ticité morale » qui leur ferait actuel-
lement défaut.
Ainsi la famille : elle est, pense
Reich, à détruire parce qu'elle est
mauvaise;' à la place, Reich propose
une forme de famille « saine ». La
vie conjugale : elle est, sous sa forme
actuelle. mauvaise; on la remplacera
par une vie conjugale toute nouvelle
qui sera, à la différence de celle
qu'on connaît, bonne et authentique.
La masturbation : celle qui se pra-
tique, tant bien que mal, aujour-
d'hui, est mauvaise (pis que mau-
vaise : « son résultat, dans le meil-
leur des cas, est un trouble neuras-
thénique »); la révolution sexuelle
permettra l'avènement d'une mastur-
bation « sans problèmes », qui ramè-
nera, petit à petit, la nouvelle géné-
ration dans les rangs de la gauche
politique.
Le mot de la fin
Evidernment, c ett e révolution
sexuelle ne s'accomplira pas tout d'un
coup. Il faut d'abord, précise le doc-
teur Reich, que l'« économie
sexuelle » soit mise e en ordre de
marche » . En effet. Mais ce n'est
pas tout. Il faut aussi que soient
réunies de bonnes circonstances, que
les forces de droite s'ingénient à em-
pêcher; à savoir, une jeune fille
bonne chambre : « car, pour pouvoir
THEODOR
W. ADORNO
Mort de saisissement
WILHELM REICH
« Une révolution
sans roulements
de tambour »
sexualité génitale libérée, il lui faut
en outre une chambre calme, des
anticonceptionnels convenables, un
ami capable d'amour, c'est-à-dire
quelqu'un d'autre qu'un national-
socialiste ».
Tout cela laisse un peu rêveur ;
mais donne aussi à réfléchir. A la
lecture de semblables inepties, se
confirme une vérité que l'on subo-
dore déjà depuis quelque temps
qu'au nom de Freud, de Marx, de
Nietzsche, il est loisible de penser,
d'écrire, exactement n'importe quoi
(y compris, notamment, le contraire
explicite de la pensée dont on se re-
commande). Se confirme aussi que les
formes les plus méprisables, les plus
dégradées du moralisme de Rous-
seau sont aujourd'hui, plus que ja-
mais, à l'ordre du jour. D'ailleurs on
commence à murmurer, çà et là, que
la e folie » de Rousseau n'est qu'une
légende entretenue par les penseurs
réactionnaires Henri Guillemin ne
soutenait-il pas, dans son dernier li-
vre, que Rousseau fut réellement la
victime d'une inlassable conspiration
de la part de tous les hommes en vue
au xvilf siècle ? Nul délire de per-
sécution chez Rousseau, mais une
persécution réelle de la part des ban-
dits.
Pour en revenir à la « révolution
sexuelle », un récent petit drame en
livre, peut-être, le mot de la fin. Il y
a quelques semaines, Adorno, qui
continuait à prêcher allègrement aux
étudiants de l'université Colum-
bia, à New York, une libération
sexuelle de type reichien, se voyait
en proie à une persécution inatten-
due : l'irruption de quelques étu-
'diantes nues sur son estrade au dé-
but du cours, exigeant, de la part de
leur maître, une satisfaction sexuelle
immédiate. Le maître se cacha le vi-
sage derrière sa serviette et prit la
fuite. Rentré chez lui, il se mit au lit
et décéda quelques jours plus tard.
Ainsi mourut Adorno, l'adepte le
plus en vue de la révolution sexuelle
du docteur Reich.
ROGER CREMANT