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1936-1937
(La guerre dévore la révolution).
w.somnisllibertaris.com/libro/
637/index06.htm
http://www.somnisllibertaris.com/libro/esp
agne3637/index06.htm
Henry Paetcher
(1938).
INDICE
NOTE DE DANIEL GUERIN
DE LA RÉVOLUTION
CHAPITRE PREMIER
En effet, il y avait pour six soldats un officier qui vivait dans une
complète oisiveté. Une réforme s’imposait. Azana proposa de mettre à la
retraite, moyennant indemnité, nombre d’officiers. Cela ne suffit pas
pour transformer l’armée en un instrument de la République. Encore y
avait-il la Guardia Civil, organe mercenaire de la réaction. Cédant aux
demandes populaires, Azana créa une seconde force policière, les
Guardias de Assalto qui devaient se recruter parmi les adhérents des
syndicats et des partis de gauche ― un ersatz de milice républicaine.
Après cinq jours le mouvement est écrasé, que ce soit par manque
d’organisation ou du fait que les socialistes n’ont pas bougé. La défaite
ne décourage pas les anarchistes, et de la Catalogne, un grand
mouvement vers l’unité se répand: l’Alliance ouvrière, issue d’un
stratagème de propagande pour attirer les ouvriers vers l’UGT, devient
bientôt une arme formidable du prolétariat. Les Alliances réussirent à
forger un bloc de toutes les organisations de classes laborieuses en
dehors du PC et de la CNT si fort que ces dernières se virent obligées
d’y adhérer. Ce fut la première ébauche et l’épine dorsale du futur
Front populaire.
Ses ligues paradent dans les quartiers ouvriers; la police ferme les
maisons du peuple et les Ateneos, elle arrête des centaines de militants
ouvriers, des pistoleros menacent la vie des chefs syndiqués. Caballero
prépare un contre-coup d’Etat. La grève générale est déclarée à
Madrid.
Enfin, le 4 octobre 1934, la CEDA accède au pouvoir; bien qu’encadrée
par des radicaux vieux style espagnol, la nomination d’un ministre qui ne
veut pas prêter serment à la Constitution équivaut à un coup d’Etat; les
ouvriers relèvent le défi. Le signal est donné par la Catalogne où une
insurrection confuse et bouffonne est montée par deux officiers: Badia,
préfet de police, et Dencas, directeur au ministère. En même temps, les
métayers catalans sont aux prises avec l’administration madrilène sur
la question de leurs baux*. Le Catalan moyen se dresse contre
l’arbitraire de la capitale. Les anarchistes, invités à rejoindre le
mouvement, demandent la libération de leurs camarades détenus dans
la prison de la Generalidad, condition qui est rejetée; sur quoi les
anarchistes se mettent à forcer les portes des prisons et à ouvrir leurs
maisons syndicales mises sous scellés par Dencas depuis dix moix. Les
Alliances ouvrières déclarent la grève générale, tandis que des ouvriers
anarchistes refusent de «débrayer sur la demande de la police». En face
de l’effervescence ouvrière, Dencas et Badia abandonnent la lutte...
pour se ruer sur les ouvriers. La farce se termine par la fuite de Dencas
chez... Mussolini, et par la condamnation à tort, commuée en prison à
perpétuité, de Companys, celui-ci ayant, à sa manière chevaleresque,
assumé toutes les responsabilités.
Toutes les sympathies se tournent maintenant vers ceux qui ont lutté
pour la liberté: les 35 000 prisonniers. Devant les signes d’un tournant
dans l’opinion publique, le gouvernement incapable agonise.
Le Front populaire.― La question de l’amnistie groupait tout le peuple
démocratique autour des Alliances; il s’agissait de reconquérir les
libertés républicaines. Un grand mouvement démocratique surgit,
cimenté par le nouveau mythe Azana d’une part, par une inlassable
activité de grèves et d’actions directes de la classe ouvrière d’autre
part. Azana définit la nouvelle idéologie: organiser la liberté, faire
fonctionner l’administration démocratique, appliquer intégralement la
Constitution et les lois de réforme votées en 1932. Notre expérience nous
a montré que l’avènement de la République n’était qu’un premier pas. Pour la
première fois, les communistes collaborent avec les républicains et
prennent une part active dans la formation de la nouvelle coalition;
pour la première fois, les anarchistes abandonnent leur
abstentionnisme antiparlementaire, dans l’intérêt de leurs camarades
emprisonnés. Car l’amnistie figure sur le programme électoral. Ce
document, signé le 16 janvier 1936 par les communistes, les socialistes,
l’UGT, les Jeunesses socialistes, le POUM, l’Union républicaine, la
Gauche républicaine et l’anarchiste dissident Pestana, fut le premier
manifeste de la coalition du Front populaire.
D’autre part, n’était-ce pas son devoir national que d’empêcher Hitler
et Mussolini de s’emparer d’une position stratégique importante?
Or, cette hiérarchie a assisté à la conquête de la Mandchourie par le
Japon, à la guerre éthiopienne, à l’occupation de la Rhénanie, comme
elle soutient Mussolini en Italie, Salazar au Portugal, Hitler en
Allemagne et Franco en Espagne.
Pour détourner Azana des masses qui l’ont porté au pouvoir, les
Droites abandonnent le président Zamora. Azana, arrivé à la
présidence, cède sa place à Quiroga, qui se hâte de rappeler qu’il est
toujours l’homme de Casas Viejas, il télégraphie ses félicitations aux
gardes civils qui, à Yeste, le 28 mai, ont tué vingt-trois paysans et en
ont blessé plus de cent, donnant à entendre que les hobereaux n’ont
rien à craindre d’un gouvernement qui remet la réforme agraire à
l’année prochaine.
Alors, désabusés, les ruraux envahissent les champs; le mouvement
prit une telle envergure que les occupations durent être légalisées. Le
gouvernement est obligé de solliciter la participation de Prieto qui
préconise une coalition d’union nationale allant des socialistes aux
catholiques.
«Tout devait passer par Mola», raconte un des conjurés, «on prépara un
coup d’Etat assez passable.» Et l’on a tout lieu de croire que tout était
prévu...
D’après Gil Robles, on comptait jusqu’en juin 113 grèves générales, 228
grèves particulières et, hélas, 269 morts et 1 287 blesés; 59 sièges
d’organisations de droite furent assaillies et 36 églises brûlées; d’autres
estiment que les Gauches déploraient 109 morts et les Droites, 160,
proportion qui paraît vraisemblable étant donné que dans la rue les
ouvriers avaient l’avantage.
Le 14 avril, lors du défilé commémoratif [de la chute de la monarchie,
en 1931 ― NDLR], une bombe fut trouvée à la tribune présidentielle.
Trois jours après, l’enterrement d’un officier de police donna lieu à une
manifestation monarchiste qui dégénéra en bagarre; les officiers se
rendirent maîtres de la rue pendant trois heures, maltraitèrent les
ouvriers qui passaient et menacèrent de donner l’assaut au Parlement.
On peut certainement faire confiance à ces aveux, car il est vrai que les
communistes ont payé «tout prix», y compris l’abandon de leur
programme révolutionnaire, dans l’intérêt de leur conception de
politique extérieure.
Les rebelles ne peuvent citer aucune ville qui fut prise par un
soulèvement populaire contre le gouvernement et au nom des
nationalistes. Ils admettent sans ambage que tout ce qu’ils ont conquis
le fut par la force des armes ou par la ruse.
LA GUERRE IDÉOLOGIQUE
(Interrogatoire
d'un prisonnier
phalangiste par
les anarchistes.)
Il est hors de doute que les nationalistes avaient de leur côté une
idéologie des plus fortes. Ils s'étaient posés en défenseurs de l'Ordre de
l’Etat, de la Religion, de la Nation.
Commencons par la question religieuse qui a soulevé des dissenssions
multiples dans le monde catholique.
Départ de Madrid des tanks de la FAI pour le front Nord (22 octobre 1936).
(Institut international d´histoire sociale. Amsterdam.).
Les Galiciens, les Basques, les Navarrais, les Catalans, les Valenciens,
les Asturiens, les Andalous, les Castillans, cet ensemble de peuples
prisonniers d'un Etat gendarme, unifiés par la force, non de leur
propre volonté, n'ont jamais accepté la soumission à la race
orgueilleuse et despotique des Grands Castillans. Les classes
dirigeantes de ces pays ne sont jamais parvenues à se confondre avec
la classe dirigeante castillane, qui se réservait toutes les places dans
l'administration, l'armée et le gouvernement. Les Castillans, jaloux de
l'essor économique des pays basques et de la région catalane,
interdirent à la ville de Barcelone le commerce oriental, au XVII siècle,
et les statistiques royales du XX siècle turent le fait que cette ville était
devenue plus nombreuse que la capitale.
Le Tiers Etat n'a pas su élever sa lutte contre l'Etat à l'échelon d'une
lutte de la nation imbue d'aspirations générales. La cause de la liberté a
dû épouser la pensée régionaliste, tandis que le centralisme tombait en
fief à la réaction. On ne s'étonnera donc pas de voir renversée toute la
terminologie occidentale. Les traditions de la Nation sont combattues
par le pouvoir central qui n'a aucun lien direct avec la vie du peuple;
les forces démocratiques, en revanche, prétendent constituer le peuple
en nation fédérale.
Bien plus, aucune toi nationale n'a été reconnue par les régions et par
les classes sociales comme règle normalisant les relations des citoyens
entre eux, chaque groupe se réservant la faculté de recourir aux armes
pour arbitrer les différends politiques. L'Etat lui-même ne faisait pas
exception à cette règle, prouvant de cette façon qu'il n'était, lui aussi,
qu'une des nombreuses forces particulières agissant sur le territoire de
la Péninsule. L'anarchie était l'état normal de la nation, écrit
Madariaga.
(Revista de
Economia,
1935.)
En 1885, les chefs des deux partis conclurent un pacte formel grâce
auquel chacun devrait gouverner à tour de rôle. Ce pacte, qui fut
respecté pendant presque trente ans, assurait aux équipes des
prébendes limitées dans le temps et dépendant de la bienveillance des
chefs. C'est ainsi que ces derniers gagnaient la maîtrise absolue de
leurs partis. Le gouvernement devenait un super cacique.
Ce système rendait factice toute collaboration du peuple au
gouvernement. S'il est vrai que l'Etat se définit par la facon de
constituer le gouvernement, l'Etat espagnol n'était autre chose qu'une
sorte de monopole politico-financier.
C'est dire que les partis politiques de tout aloi n'ont que peu d'attaches
avec le paysan, le laboureur, l'ouvrier, qui, tous, n'ont jamais vu l'Etat
sous une autre forme que sous celle du cacique exploiteur ou du
gendarme qui protégeait sa domination. Aussi le sentiment de
l'Espagnol moyen à l'égard de l'Etat ne varie que de l'indifférence
absolue à l'hostilité. On ne s'étonnera pas de voir, le 19 juillet 1936, les
paysans tuer des représentants de l'Etat, comme s'ils avaient à
accomplir une vendetta. Si l'Etat était la propriété privée des caciques,
l'anarchisme était la philosophie politique tout indiquée pour ceux qui
en subissaient les conséquences.
Tandis que dans les autres pays même les partis d'idéologies
révolutionnaires ne sortent pas du cadre de la légalité et s'interdisent
de recourir à la violence en temps normal, l'Etat espagnol n'a jamais été
respecté comme cadre de la loi; voire, il ne dédaignait pas de se servir
pour ses buts de procédés illégaux. Il a été établi par des témoins de
haute autorité et des documents irréfutables que le gouvernement de
Madrid a fourni des fonds et donné toutes facilités politiques aux
organisations terroristes, prétendues de gauche, qui ont assassiné les
chefs du mouvement catalan. L'agent provocateur et le pistolero sont
des reguesites * de la politique gouvernementale.
On sait que toute constitution est tacitement amendée d'un article qui
établit l'indépendance de l'armée. Aussi l'organe du pouvoir suprême
qui en fin de compte décide de l'issue de chaque conflit constitutionnel
devait-il conserver son caractère de caste particulière. La classe
dirigeante, plus réaliste que les classes démocratiques, ne reconnaît
l'Etat que dans la mesure où ce pouvoir est intact. En cas de conflit, elle
se range instinctivement du côté de l'autorité et du centralisme, car,
pour elle, l'armée c'est l’Etat. Un gouvernement républicain, pour
solide que fût sa base constitutionnelle, devenait rebelle du fait qu'il
était en conflit avec l'armée. Si le caciquisme est la constitution secrète,
l'armée est son garant; quand le cacique suprême se trouvait destitué
conformément à la Constitution, l'armée devait se substituer à celle-ci;
si la loi ne pouvait être tournée, l'armée devait créer le Droit. Selon la
tradition espagnole, l'armée est le correctif qui, par ses
pronunciementos proverbiaux, sauve l'Etat de l'emprise des pouvoirs
étrangers à son esprit. Après sa défaite de 1898, plus encore après les
désastres de 1907 et 1921, l'armée, autrefois orgueil national, parfois
même instrument de mouvements populaires, toujours laïque et
proche des classes moyennes, et des centres intellectuels, était tombée
dans un état de malhonnêtete, d'oisiveté et d'orgueil de caste. Les
officines ne commandaient plus une institution respectée de la nation.
Ils étaient détestés par une population profondément antimilitariste et
pacifiste.
Gil Robles, lui aussi, avait compris qu'on ne pouvait plus gouverner
l'Espagne sans s'assurer l'appui des masses populaires. Il songeait à
organiser les classes moyennes pour en faire le piédestal d'un régime
hiérarchique. Si cette expérience a échoué, c'est que les classes
moyennes des deux Castille et du Léon sont rapides à s'enthousiasmer
pour un Etat qui leur est offert autoritairement, mais qu'elles ne
constituent guère de cadres politiques, soit qu'elles penchent plutôt
vers le caciquisme, soit que la rupture brusque de l'échelle sociale -
telle que nous la représenterons au prochain chapitre - ne permet pas à
la petite bourgeoisie de former ces noyaux d'organisation
démocratique qui imposent aux classes extrêmes le respect de la loi et
amortissent les contradictions sociales. La classe moyenne espagnole,
oisive et parasitaire, n'est pas comparable à ces classes moyennes
laborieuses qui, dans les pays occidentaux, sont le principal soutien de
l'Etat.
L'expérience Gil Robles ayant échoué, les autorités nationalistes n'ont
pas essayé de la renouveler; elles ont préféré construire leur Etat avec
le concours presque exclusif de personnages de l'ancien régime: Primo
de Rivera fils, des ducs, des généraux, et surtout, au fichier, Martinez
Anido, l'organisateur des pistoleros de Barcelone. Ce qui en sortira ne
sera même pas un Etat fasciste, faute de l'appui de classes moyennes.
(Borkenau,
The
Spanish
Cockpit.)
On ne saurait dire si cet idéal a fait naître les vertus de l'action directe
dans le mouvement ouvrier, ou s'il consiste à pratiquer ces vertus. Le
révolutionnaire espagnol tient toujours du Robin Hood, écrit
Bakounine. Robin Hood était un chevalier qui, écoeuré par la conduite
de sa classe, se faisait brigand pour aider les pauvres comme Don
Quichotte. Le noble brigand se distingue par la spontanéité de son
action, par son esprit de combattant, par son mépris de l'ennemi et par
l'amour de la mort; la solidarité et le sens de la dignité humaine lui
sont plus chers que l'avantage qu'il pourrait tirer de son action. Il se
pique d'honneur d'être un hors-la-loi dans une société qu'il méprise.
L'anarchiste qui fait la lutte de classe tient à être idéaliste; sa violence
se dirige contre le Mal; il combat, tel Don Quichotte, le Diable en la
personne de l'adversaire; il est capable d'une cruauté extrême et d'une
haine super-personnelle et désintéressée qui ne sauraient être
atténuées par la discipline quelque rigoureuse qu'elle fût ; mais,
d'autre part, il est disposé au sacrifice suprême de sa propre vie et de
celle de l'ennemi. L'humanisme rebelle de Don Quichotte a créé le
mouvement révolutionnaire en Espagne; l'homme rebelle affirme, par
la violence, la distance qui existe entre lui et l'oppresseur. La loi
commune des deux Espagnes est la violence, car dans les deux camps,
on trouve des Don Quichotte qui voient dans l'adversaire le Mal
personnifié. Ce fut la violence qui, en fin de compte, a forgé l'unité des
forces révolutionnaires.
C'est dans cet esprit que le peuple a accepté le Front populaire et le 19
juillet. Il songe moins aux institutions démocratiques qu'à l'esprit de la
démocratie, moins à la loyauté républicaine qu'à la lutte contre
l'ennemi éternel. La défense républicaine devenue révolution
démocratique doit mettre en mouvement toutes les forces libertaires.
GUERRE ET RÉVOLUTION
Ceux qui prennent les armes ne veulent pas la guerre civile, ils veulent
la révolution. Le pronunciamento une fois vaincu, ils veulent organiser
cette société qui, pour la première fois dans l'histoire, respire le souffle
de la liberté intégrale. Mais pour la protéger, il faut combattre l'ennemi
qui s'est rangé hors des murs de la cité - et hélas ! il y a trop d'hommes
qui regrettent le passé, qui préfèrent la guerre civile à la révolution.
Notre seconde partie raconte comment la guerre révolutionnaire se
transforme en guerre tripartite. Les événements qui se passent entre le
19 juillet et le commencement de décembre 1936 décident de
l'évolution future de cette guerre. Nous verrons surgir les forces
révolutionnaires qui ont sauvé la démocratie le 19 juillet et en même
temps nous verrons une nouvelle société s'organiser; nous verrons
comment les lois de la guerre se sont imposées à la révolution,
comment elles ont défiguré la révolution. Nous assisterons à la lutte
héroïque et tragique d'un peuple contre un ennemi doté d'un matériel
abondant et d'une technique de guerre perfectionnée. La Guerre
imposera ses lois à la Révolution.
CHAPITRE VII
Du pronunciamiento á la guerre
Les insurgés peuvent choisir le point d'attaque, leur armée n'est pas
fixée en un lieu, ils n'ont aucune considération sentimentale pour la
population ; ils peuvent opérer comme s'ils étaient en pays ennemi : ce
ne sont pas leurs femmes qu'ils font marcher devant leurs troupes
d'assaut pour se couvrir. Ils n'ont rien à espérer en cas de défaite, alors
que la défense républicaine est gravement entravée par des
considérations politiques.
Les 13-14 août, Badajoz tombe aux mains des insurgés. Le gouverneur
se réfugia en territoire portugais, après avoir conduit la défense d'une
façon singulière : il lança à l'encontre de l'armée insurgée un petit
détachement de miliciens aussitôt détruit, il se replia dans l'enceinte de
la ville devant une colonne d'avant-garde, il se fit enfermer et capitula
sans offrir un combat de barricades dans les rues. C'était le premier de
ces cas d'incompréhension et d'incompétence volontaire frisant la
trahison dans le camp gouvernemental*. Le RioTinto passe à 1045 à la
Bourse de Paris. La liaison est faite, le train de Burgos à Séville reprend
son service, Cabanellas assiste au défilé des troupes marocaines à
Valladolid. La joie des réactionnaires français n'est pas assombrie par
la nouvelle, publiée le 16, selon laquelle le général Yaguë a fait
mitrailler 200 prisonniers dans le Cirque de Badajoz.
Outre le sabotage prémédité, il y eut cet autre sabotage, pour ainsi dire
involontaire, découlant de l'incompréhension qui régnait entre les officiers
professionnels et les miliciens, On en trouve des exemples dans presque
chaque reportage du côté gouvernemental. On cite de nombreux cas où des
officiers sont passés dans les rangs nationalistes. Le plus grave est celui du
constructeur du « Ceinturon » de Bilbao.
* Les insurgés mentent. Il n'y avait que huit « cadets » à l'Alcazar, les autres
ayant été convoqués à Madrid le 17juillet. L'Alcazar, assiégé par 400
miliciens, fut défendue par 650 gardes civils, 150 gardes du 14e Tercio de
Madrid et 130 officiers.
De plus, l'armée madrilène est devenue plus nombreuse que celle des
insurgés. Elle se chiffre maintenant à 60 000 hommes face à 15 000 du
côté rebelle. Et les volontaires antifascistes continuent d'affluer de
l'étranger. Rien ne saurait être comparé à l'effet moral qu'ont exercé à
Madrid les défilés des Brigades internationales et de la troupe catalane
bien disciplinée qui revenait de l'expédition manquée à Majorque, au
moment le plus critique. Le « miracle » du redressement républicain
s'annonce.
Dès le mois d'octobre, l’UGT engage une lutte contre la négligence des
officiers. A défaut de bons instructeurs, elle réunit 600 vieux militants
et les envoie au front comme « commissaires ». La CNT en fait autant.
Le commissaire sera dorénavant l'âme de la troupe ; il l'organise, il
s'occupe du ravitaillement, du moral de la troupe, de l'armement, de la
discipline. Tout d'un coup, les griefs des miliciens s'évanouissent. Il
reste toujours bien des improvisations ; Caballero se rendant compte,
lors d'une visite au front, que les miliciens manquent d'eau, met la
main sur un dépôt d'eau minérale et l'envoie à la Guadarrama.
Niaiserie ? Peut-être, mais c'est justement cette sorte de choses que les
officiers ne savent pas faire. Le ravitaillement de la troupe, ressort de
sa valeur combative, se fera mieux sous la direction des organisateurs
syndiqués ; plus tard, lorsque les communistes créeront leurs
commissaires politiques, ils leur donneront pour première tâche de
s'occuper du ravitaillement. Les organisations ouvrières ont découvert
ce secret au troisième mois de la guerre seulement. Mieux vaut tard
que jamais.
La guerre ne s'arrête pourtant pas. Si elle n'est plus menée au front, elle
se fait sentir à l'arrière, et encore, elle se mène dans les rangs des
combattants mêmes. L'arrêt des hostilités donne l'occasion aux deux
adversaires de poursuivre l'œuvre de réorganisation, Devant la
menace d'une guerre totale, les deux adversaires doivent se préparer
en s'adaptant aux conditions de la nouvelle situation. C'est pendant ces
mois de trêve que les deux camps réalisent la militarisation de leurs
milices. Dans le camp fasciste, les organisations extrémistes sont
éliminées de la direction. Le chef phalangiste est jeté en prison, les
Requetes sont transformés en police auxiliaire. L'influence des officiers
allemands et italiens prend le dessus. Dans le camp républicain, la
guerre dévore la révolution. Les organisations ouvrières s'affaiblissent
tandis que les autorités militaires et la bureaucratie de l'Etat renforcent
leurs positions. L'armée populaire est transformée en armée régulière.
La menace cependant est grave. Contre la guerre totale que Franco est
résolu à faire, il faut un matériel à la hauteur des exigences de la
situation. Avec angoisse, le gouvernement voit les miliciens se sacrifier
pour couvrir de leur corps la capitale. Il supplie le gouvernement
soviétique de lui fournir les armements nécessaires. A Barcelone, les
bateaux russes ne déchargent pas leur cargaison. Ils attendent jusqu'à
ce que le gouvernement se soit conformé aux demandes moscovites.
Ce ne sera qu'après certains changements politiques, intervenus en
décembre, que l'aide russe deviendra efficace.
L'ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE
(Marx
.)
Ce fut à Madrid que l'Etat récupéra le plus vite tout son pouvoir. Le
passeport syndical fut supprimé dès le 26 juillet, le service de la police
régulière fut rétabli le 27. Les syndicats organisaient l'enrôlement des
milices et leur ravitaillement, mais leurs fonctions dérivaient d'une
délégation gouvernementale. La proximité de la Guadarrama écartait
toute pensée de révolution intégrale. Combattre l'ennemi d'abord, faire
la révolution après, tel fut le mot d'ordre de Madrid. Les ouvriers se
contentaient du rôle exécutif, Ils occupèrent les petits comités de
village et les postes administratifs abandonnés par les caciques.
Mais les milices et les syndicats ne veulent pas voir reparaître l'ancien
divorce entre la société et l'Etat ; ils tiennent à contrôler l'œuvre
d'unification. Ils s'installent dans les services des ministres, comme ils
contrôlent déjà les usines. L'appareil de l'Etat fonctionne sous ce contrôle
et en marge des fonctionnaires et des ministres. Le ministère Giral est
devenu une superstructure inutile. En face du danger qui menace Madrid,
il cède le pouvoir au socialiste Caballero ; celuici forme, le 4 septembre,
un cabinet composé de tous les partis appartenant au Front populaire,
y compris les Basques. Tous les ministères importants sont aux mains
des socialistes ; les communistes obtiennent l'Agriculture et
l'Education publique. Caballero pourratil asseoir la défense sur de
nouvelles bases et faire comprendre aux miliciens les nécessités de
l'heure ?
Dans son ouvrage, Del Vayo révèle la raison qui poussa les socialistes à
inviter les anarchistes à entrer au gouvernement : si dans la situation
critique de Madrid, on n'avait pas permis aux anarchistes leur part de
responsabilité, ils auraient profité du départ pour Valence, déjà
envisagé, pour former leur propre junte à Madrid. En effet, les
ministres anarchistes s'opposaient au départ du gouvernement.
CHAPITRE IX
ECONOMIE DE GUERRE
OU SOCIALISME NAISSANT ?
(Companys
.)
Comment subvenir à des besoins accrus par la guerre avec des moyens
réduits ? Une hausse des prix était fatale, la monnaie n'ayant aucune
valeur en face d'une disette imminente. Les banques ne remplissaient
plus leurs fonctions, l´Etat ne percevait pas de taxes. Les fortunes
énormes qu'on avait saisies dans les églises, dans les couvents, dans les
maisons des factieux, ainsi que l'or de la Banque d'Espagne, pouvaient
être utilisés pour financer la guerre, mais cet argent s'en allait et ne
revenait pas dans les caisses de l'Etat. Dans le secteur privé, les
thésaurisations d'un côté, le manque de pouvoir d'achat de l'autre,
devaient amener un désastre financier ; tout le réseau monétaire et
financier était rompu. Puisqu'il n'y avait plus de circulation, la raison
d'être de la monnaie était mise en question. L'Etat devait débourser, les
usines contrôlées et socialisées, les syndicats et les municipalités
devaient faire autant, sans que l'argent sorti remplît sa fonction
d'animer le trafic des marchandises. D'un côté, la circulation était
arrêtée, de l'autre, la monnaie circulait avec une vitesse
invraisemblable. Les prix exerçaient une pression à la hausse et la
peseta risquait de s'effondrer.
L'oubli le plus grave, à notre avis, était qu'on laissait entière liberté aux
banques ; Juan Peiro se plaint de ce que le Credito Industrial retenait
une commission de 20% sur une somme versée par son intermédiaire
au ministre de l'Industrie sur l'ordre du ministre des Finances. La
Banque d'Espagne était contrôlée, mais conservait son indépendance
administrative.
Mais qui allait organiser les résidus de l'ancien régime? Quel moyen
employer pour encadrer le commerce libre dans l'économie dirigée,
alors qu'il résistait aux invitations d'adhérer aux coopératives ou aux
syndicats? L'importance de ce secteur privé a nécessité l'intervention
de l'Etat, comme garant de la légalité; entre l'organisation
révolutionnaire et l'organisation « étatiste », le choix du petit
propriétaire est fait. Voilà qui lie l'Etat à la propriété privée!
7 Le système fiscal n'a guère changé, mais les revenus imposables ont
diminué et les collectivités résistent au percepteur. D'autre part, les
dépenses de l’Etat vont augmentant, du fait de la guerre, des
subventions payées aux entreprises en difficulté, des travaux publics,
du gaspillage inévitable en temps de changement de régime; l’Etat en
est réduit à deux expédients: dépenser l'or de la Banque d’Espagne et
augmenter la circulation monétaire. La peseta ne vaut que le tiers de
son ancienne valeur, les prix non réglementés sont en hausse
continue, encore entretenue par la fuite générale devant la monnaie.
10. Une nouvelle industrie de guerre est créée qui, sous la direction
de techniciens étrangers, donne des résultats satisfaisants.
11. Une grande œuvre de progrès civil est accomplie: des milliers
d'endroits obtiennent l'adduction d'eau potable, l'irrigation est
améliorée ou nouvellement créée sur une superficie de quelque 100
000 hectares; les canaux sont cimentés pour économiser l'eau; les
milliers de puits à pompe sont forés; le réseau de routes a été étendu et
amélioré; l'électrification des chemins de fer a été commencée et la
génération d'électricité à l'aide de la houille blanche fait des progrès;
la rationalisation est poussée très loin.
CHAPITRE XII
LA RECONSTRUCTION DE L'ETAT
(Général
Mola.)
«Les vrais révolutionnaires sont ceux qui créent une armée puissante
au plus vite possible et qui s'occupent d'accroître la production. Pour
cette raison, notre parti a lancé le slogan d'en finir avec le chaos
économique et à commencer à niveler, diriger et coordonner la
production. Notre parti exige que les tentatives de socialisme dans les
mains des syndicats et des comités soient supprimées une fois pour
toutes.»
L'Etat n'est pas une arme qu'on peut diriger sur n'importe quel objectif,
ni un pardessus fourré qu'on peut porter retourné. Il se développe
selon des lois qui lui sont inhérentes. Son action est déterminée par les
organismes qui le constituent et non par ceux qui le contrôlent.
Le «vide» qui existait dans l'organisation nationale fut donc rempli par
l'ancienne bureaucratie, les représentants de l'Etat fossile, les hommes
d'hier, bref, par ce qu'on appelait, à Madrid et à Barcelone, «Valence».
Quatre mois plus tard, après la chute de Bilbao, on verra une troisième
levée de cet ordre. La République était assez forte dans le coeur de la
population pour que la défaite ne décourageât plus les masses, mais
les encourageât, bien au contraire, à redoubler leurs efforts au front et
à l'arrière et à renforcer l'autorité de la République. C'est là l'œuvre
merveilleuse du jacobinisme à la tête d'une révolution démocratique
dans une guerre nationale révolutionnaire ; on a vu chose pareille en
France en 1793 et en Russie en 1918.
A Madrid, les charges les plus graves pouvaient être formulées contre
Gazorla, délégué communiste au Conseil de Défense. Garcia Oliver
écrit :
Krivitsky reconnaît qu'en mars déjà, Slutski lui avoua que la terreur de
la Guépéou était insupportable et que la conduite des Russes était celle
de conquérants en pays colonisé. D'après le même auteur, Stachevki et
Berzine auraient demandé à Yégov la révocation d'Orlov connu pour
ses méthodes brutales. Mais l'épuration russe frappa les premiers et
bénéficiera au dernier.
Nation, Etat, classes. - Ce n'est donc pas le hasard qui fit affluer vers le
parti communiste les classes moyennes. En effet, bien que ses cadres
fussent toujours les ouvriers qui l'avaient construit, le visage du parti
devint de moins en moins prolétaire. C'est au nom de ses nouveaux
adhérents que le parti communiste se fit le Champion de la défense de
la propriété et de l'Etat. Le parti communiste devenait le porteparole
de ceux qui demandaient « un gouvernement qui gouverne et qui
interprétaient la guerre comme "guerre nationale" ». Ces classes, il est
vrai, ne participent à la collectivité que par l'Etat et par leur sentiment
national ~ leur dynamisme ne s'exerce que par le truchement de
l'exécutif abstrait de la société. Rien donc n'est plus naturel que cette
alliance des classes moyennes avec les communistes ; les communistes
étaient les conservateurs sincères de cette République qui leur
permettait de faire la guerre nationale et qui permettait l'accès au
pouvoir aux militants communistes au fur et à mesure que l'Etat «
neutre » se transformait en République antifasciste. Les communistes
lui acquéraient les sympathies de tous les Espagnols qui pensaient
comme eux ; c'est ainsi qu'ils pouvaient se vanter d'avoir convaincu de
leur cause l'ancien secrétaire des phalanges fascistes de Valence et
d'autres représentants de l'étatisme de droite petit bourgeois. En effet,
les classes moyennes et leurs représentants n'avaient guère à changer
d'esprit pour passer de l'étatisme de droite à l'étatisme de gauche ; le
dénominateur commun des idéologies fasciste et communiste était
l'Etat organisateur, ce jacobinisme non-révolutionnaire et hostile aux
revendications corporatives des ouvriers, susceptibles d'entraver
l'organisation de la guerre, s'oppose à l'action spontanée des masses.
Les classes moyennes, tellement soucieuses d'échapper à la force des
choses, arrivent, par leur action même, à traduire la force des choses et
leur ambiance dans le langage des hommes, L'humanisme du
prolétariat le fait s'insurger, le réalisme des classes moyennes les fait
s'exécuter quand les circonstances commandent. Cette subordination à
la matière, d'ailleurs, est accompagnée d'une idéologie préférant
l'abstrait, quelque idéalisme philosophique ou biologique, quelque
superstition religieuse ou politique, bref un idéalisme qui favorise la
domination de l'Etat sur le syndicat, du politique sur l'économique, de
la machine et de l'organisation sur l'homme. L'idéalisme étatiste des
classes moyennes qui s'accompagne de nationalisme trouvait une
expression et un outil adéquats dans l'organisation et l'idéologie du
parti communiste. Les partis de la vieille routine, le caciquisme des
chefs républicains, auraient été inaptes à contenter leurs besoins d'un
chiliasme réaliste. Les transfuges des anciens partis et les carriéristes se
tournèrent donc vers le communisme.
C'était la question de l'Etat qui séparait les classes. Pour les anarchistes,
le problème était de remplacer l'Etat par les organisations syndicales,
le POUM voulait lutter pour un Etat révolutionnaire, c'est-à-dire contre
la République ; mais pour le petitbourgeois, l'Etat républicain c'était la
sauvegarde de son faux-col, la barrière contre l'intervention des
organisations dans les affaires qu'il considérait comme sacrées. Nous
avons vu que même pour le grand capital, l'Etat tenait lieu de
conservateur de la propriété privée.
CHAPITRE XIII
LA CATALOGNE RÉVOLUTIONNAIRE
(Décret du
17 octobre
1936.)
Les ouvriers organisent des patrouilles de contrôle dans les rues et des
comités de contrôle dans les lieux de travail, équipent des milices,
séquestrent les entreprises et établissements d'intérêt public et
commencent à « incauter » les entreprises privées. Les paysans affluent
vers Barcelone pour collaborer de toutes leurs forces économiques et
syndicales - à la création de la nouvelle Catalogne.
CHAPITRE XIV
(Companys
.)
Les syndicats, eux aussi, sont soucieux de ne pas perdre leur influence.
CNT et UGT concluent un pacte en Catalogne, publient un journal
commun à Valence; elles s’opposent à la nationalisation et à la
municipalisation des entreprises qu’elles contrôlent.
Les anarchistes ont appuyé leur tactique sur cet argument grave: si
nous avions pris le pouvoir, isolés dans le monde et en face d’une
guerre sans quartier, nous aurions compromis notre œuvre. Nous
avons agi comme nous l’avons fait pour pouvoir developper notre
action sociale à l’abri d’une coalition démocratique dans l’action
militaire. En effet, les anarchistes ont essayé d’agir sur deux plans
différents, laissant l’entière liberté politique à toutes les tendances
révolutionnaires et poussant en avant l’organisation socialiste par la
prise du pouvoir économique. L’organisation syndicale devait se
développer librement et se substituer, en la délogeant, à l’organisation
politique devenue caduque. On ne peut guère qualifier ce
raisonnement de tactique, c’est une façon de penser, gràce à laquelle
les anarchistes sont arrivés à conserver leurs cadres et dans leurs
organisations, leur influence dans l’armée, l’esprit anti-étatiste de leurs
adhérents; c’était un parti gouvernemental qui n’était ni parti ni
gouvernemental, c’était une opposition qui offrit au gouvernement, en
toute sincérité, tous ses bons services.
Il n’en est pas ainsi: cette vieille machine s’avère difficile à manier; elle
a sa propre volonté; elle centralise, elle organise la guerre à sa façon,
elle impose sa façon d’être aux milices; bref, elle traduit l’esprit de la
guerre et fausse l’esprit de la révolution.