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Revue des Études Grecques

14. Boudon-Millot (Véronique), Galien de Pergame. Un médecin


grec à Rome
Édouard Felsenheld

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Felsenheld Édouard. 14. Boudon-Millot (Véronique), Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome. In: Revue des
Études Grecques, tome 126, fascicule 1, Janvier-juin 2013. pp. 271-277;

http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_2013_num_126_1_8125_t10_0271_0000_2

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La sélection des articles est le fruit d’une collaboration entre J. Jouanna et
Ph. van der Eijk. Les critères de ce choix ont été déterminés par l’intérêt d’un
public plus large que les seuls philologues et selon des contraintes de traductibi-
lité. Sont ainsi absentes les études purement lexicographiques ou philologiques.
Le thème du livre a aussi écarté les articles sur la tradition manuscrite ou l’his-
toire des textes. Le livre ne contient pas non plus les remarquables contributions
sur Foës, Coray ou Littré. Il ne reflète pas non plus les investigations de l’auteur
sur la tragédie grecque. Il ne rend donc justice qu’à une partie de l’œuvre du savant
philologue1. Les articles traduits forment seize chapitres classés dans un ordre
plutôt chronologique depuis les débuts de la médecine grecque jusqu’à l’Anti-
quité tardive. Ils couvrent trente ans du travail de J. Jouanna, pour une grande
part quand il enseignait à la Sorbonne (1981-2004) et qu’il tenait le mardi son
séminaire de médecine grecque.
Le volume est divisé en trois parties. La première comporte six textes qui mettent
en relation la médecine hippocratique avec le contexte plus large de l’époque
classique : la médecine égyptienne, la politique, la rhétorique, la tragédie ou la
religion. La deuxième partie compte également six chapitres. Ces textes mettent en
lumière les idées saillantes de la médecine hippocratique et ses connexions avec
la pensée médicale et philosophique. La dernière partie, avec quatre sections, est
consacrée à la réception de la médecine hippocratique, essentiellement l’éthique et
la théorie des humeurs, chez Galien et dans l’Antiquité tardive.
Ce livre s’adresse au public anglophone, ce qui inclut aussi plus généralement
tous les lecteurs du monde qui liraient mieux l’anglais que le français. Cette
collection d’articles a le mérite de montrer la cohérence d’une œuvre, le carac-
tère foisonnant et novateur d’une recherche tout comme la force d’une méthode
philologique. J. Jouanna a joué un rôle pionnier en introduisant la médecine
grecque dans le paysage universitaire français et en formant de nombreux disciples.
Comme Hippocrate et Galien, auquel il a consacré ses travaux et ses jours, il est
aujourd’hui traduit dans la langue devenue véhiculaire, pour que sa pensée et
son œuvre innervent de nouveaux territoires qu’elles n’auraient pu gagner en
français.
Antoine PIETROBELLI

14. BOUDON-MILLOT (Véronique), Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome,


Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 2012, in-8°, 404 p.
Ce livre de V. Boudon-Millot constitue la première et l’unique biographie
scientifique de Galien. Il vient approfondir les 110 pages biographiques qui
ouvraient déjà en 2007 le tome I des œuvres de Galien dans le Collection des

1
Personnellement, j’aurais également ajouté à cette sélection l’article « Le sommeil
médecin (Sophocle, Philoctète, v. 859 âle®v Àpnov) », paru dans Théâtres et spectacles
dans l’Antiquité (Actes du colloque de Strasbourg, 5-7 nov. 1981), Leyde, Brill, 1983,
p. 49-62. On trouvera une bibliographie complète de l’auteur, du moins jusqu’en 2007,
dans V. Boudon-Millot, A. Guardasole, C. Magdelaine (éd.), La science médicale antique.
Nouveaux regards. Études réunies en l’honneur de Jacques Jouanna, Paris, Beauchesne,
2007, p. 1-18. Soulignons que depuis, cette bibliographie, qui comptait 180 titres, s’est
encore considérablement accrue.

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Universités de France. Nul galéniste ne saurait désormais s’en passer, et tout ama-
teur d’histoire y trouvera une mine d’informations, qu’il soit helléniste, latiniste,
médecin, pharmacien, philosophe ou simple particulier.
La seconde partie du titre Un médecin grec à Rome ne doit pas être lue comme
une restriction de la perspective biographique : V. Boudon-Millot s’intéresse
non pas seulement à la carrière romaine, mais bien à toute la vie de Galien. Le
livre, scrupuleusement tenu dans des dimensions raisonnables, balaye l’ensemble
de cette existence hors du commun, qui trouva son plein épanouissement à
Rome, capitale impériale que Galien voyait comme un modèle réduit du monde
habité. Or l’ouvrage de V. Boudon-Millot possède lui aussi un tel pouvoir de
condensation, puisqu’il donne le sentiment de contenir à lui seul toute la matière
galénique : outre la vie de l’homme qui est racontée et analysée étape par étape,
les doctrines du penseur y sont évoquées au fil des pages avec beaucoup de
clarté, avant qu’un ultime chapitre synthétique n’en présente le contenu et la
méthode. Le livre de V. Boudon-Millot est donc plus encore qu’une biographie :
c’est un concentré de galénisme. En voici la structure détaillée, fondée globale-
ment sur trois parties — un avant-propos, le cœur de l’ouvrage et des annexes.
Dans un Avant-propos de 5 pages, V. Boudon-Millot expose les difficultés
et la méthode de son entreprise. Sa biographie présente une singularité notable,
due à l’état de nos sources : elle se fonde essentiellement sur le seul témoignage
du corpus galénique, « véritable continent » dans lequel Galien se livre parfois
de façon précise, mais avec un art de la mise en scène qui suscite la méfiance.
Or V. Boudon-Millot s’efforce aussi d’utiliser d’autres témoignages pour conforter
ses analyses et notamment consolider ses hypothèses de datation : les opportuni-
tés ne sont pas si rares, car V. Boudon-Millot sait les créer et les exploiter avec
vitalité, par exemple lorsqu’elle se réfère à la tradition arabe, à une inscription
latine, aux Vies d’empereurs romains, aux textes de savants grecs ou latins, voire
aux expertises médicales les plus modernes.
Le cœur de l’ouvrage est constitué de neuf chapitres biographiques, qui par-
courent chronologiquement les grandes étapes de la vie de Galien, depuis sa nais-
sance en Asie en 129 jusqu’à sa mort autour de 216 dans un lieu et des conditions
très hypothétiques ; puis l’ensemble se clôt sur une synthèse de la pensée galé-
nique, rassemblée dans un dixième et dernier chapitre non biographique. Regrou-
pées en fin d’analyse, 62 pages de notes donnent enfin les références des pas-
sages cités, traduits ou commentés, ainsi que des précisions sur les points
d’érudition les plus débattus, à propos notamment des problèmes de datation.
Le chapitre I « Une enfance au parfum d’Asie », consacré aux jeunes années
de Galien, dresse un superbe tableau de la vie asiatique de Pergame et dépeint
avec chaleur la famille de Galien. L’essentiel à retenir est que Galien bénéficia
à cette époque de l’influence morale et des premiers enseignements théoriques
de son père architecte, lui-même fils de géomètre ; inversement, sa mère, qu’il
dépeint comme une créature colérique, eut peu d’influence sur lui.
Le chapitre II « De l’école des philosophes à celle des médecins » synthétise
la formation philosophique puis médicale que Galien suivit à Pergame entre 14
et 16 ans. Ses quatre premiers maîtres de philosophie, successivement stoïcien,
platonicien, péripatéticien et épicurien, lui apprirent surtout la logique, mais le
déçurent beaucoup, notamment à cause des contradictions auxquelles ils étaient
eux-mêmes confrontés dans leurs propres écoles ou bien avec les lois de la phy-
sique. Tenté un temps par le scepticisme, Galien décida finalement de prendre

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ses distances avec la philosophie pour se consacrer à la médecine auprès de
quatre maîtres successifs, le dernier professant peut-être à Smyrne. Galien avait
16 ans quand il découvrit la médecine, ce qui est un âge assez normal pour
l’époque.
Le chapitre III « De Smyrne à Alexandrie en passant par Corinthe » retrace
les voyages d’études que Galien, après le décès de son père, fit successivement
à Smyrne, Corinthe et Alexandrie entre 19 et 28 ans. À Smyrne et Corinthe,
Galien suivit l’enseignement de plusieurs maîtres ; mais ces étapes de deux ou
trois ans chacune furent sans doute un peu décevantes. Quant au séjour alexandrin,
qui dura environ quatre ans, il est mieux connu, mais se solda lui aussi par un
bilan mitigé : certes, il y eut le prestige de passer par ce haut lieu de la médecine
occidentale, mais Galien minimise l’importance du savoir qu’il put acquérir lors
de ce séjour, peut-être pour laisser croire que lui-même avait déjà beaucoup de
connaissances à son arrivée en Égypte. La méfiance de V. Boudon-Millot envers
la déception de Galien est de bon aloi : elle dessine en creux le portrait d’un
homme conscient de son intelligence, qui juge sévèrement ses concurrents pour
se faire valoir. Galien dresse en tout cas un tableau peu élogieux de l’Égypte,
dont le climat et les coutumes lui déplurent beaucoup ; V. Boudon-Millot en
reconstitue les différents éléments avec beaucoup de saveur. De retour à Per-
game, Galien retrouva ses repères et ses habitudes, bonnes et mauvaises : une
indigestion lui valut ainsi une sévère affection, qu’il soigna habilement avant de
se soumettre à un régime strict ; dans deux écrits de fin de carrière, il attribua sa
guérison au dieu Asclépios, dont il s’était alors proclamé le « serviteur ». Cet épi-
sode, qui pourrait paraître insignifiant, est admirablement analysé par V. Boudon-
Millot : d’une part, on peut en déduire que, dans sa vieillesse, Galien eut ten-
dance à réévaluer le poids de la médecine sacrée ; d’autre part, faute de certitudes
sur le culte d’Asclépios à Pergame, on peut entendre le sacerdoce dont parle
Galien comme un engagement aussi bien privé qu’officiel.
Le chapitre IV « Dans l’arène des gladiateurs » s’intéresse à la mission que
Galien exerça, entre 28 et 32 ans, comme médecin des gladiateurs à Pergame.
Après une saisissante évocation des jeux de gladiateurs, V. Boudon-Millot tente
de donner les raisons qui poussèrent le grand-prêtre de Pergame à recruter
Galien : de toute évidence, le succès de ses démonstrations publiques, la qualité
de ses remèdes et, d’une manière générale, l’excellence de sa réputation durent
jouer en sa faveur. Que Galien ait exercé ou non cette fonction à plein temps, il
se vanta d’y avoir excellé tout en y ayant perfectionné ses connaissances anato-
miques et diététiques. V. Boudon-Millot ajoute que le régime végétarien, adopté
traditionnellement par les gladiateurs et critiqué par Galien, est confirmé par de
récentes analyses paléo-pathologiques menées sur des ossements exhumés à
Éphèse. Soulignant enfin l’étonnant paradoxe voulant que Galien « ne critique
nulle part ouvertement les jeux du cirque » alors même qu’il condamne très
violemment le genre de vie des athlètes, elle en donne une justification très
convaincante : « Manifestement, Galien fut pris dans un combat de loyauté entre
ses propres convictions philosophiques et ce qu’il devait au grand-prêtre qui
l’avait choisi comme médecin. » Après quatre années de service, Galien quitta
Pergame pour Rome. V. Boudon-Millot ne peut expliquer avec certitude les rai-
sons de ce départ, mais elle discrédite la thèse, souvent retenue, selon laquelle
Galien aurait voulu fuir Pergame à cause d’une guerre civile, laquelle est attestée
par les sources, mais pour une date ultérieure. Quoi qu’il en soit, les hypothèses

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de datation laissent un vide entre l’été 161, où Galien quitte Pergame, et l’été 162,
où Galien arrrive à Rome ; de façon très habile, V. Boudon-Millot choisit donc
de remplir cet intervalle en y plaçant une série de voyages scientifiques, souvent
évoqués par Galien sans précision chronologique.
Le chapitre V « À la découverte du monde » présente donc l’ensemble des
voyages scientifiques faits par Galien dès l’âge de 31 ans. Perpétuant la tradition
hippocratique du médecin périodeute, Galien organisa avant tout ces déplace-
ments pour se procurer lui-même les meilleurs remèdes possibles et donc éviter
l’intermédiaire des marchands de drogue. Après une prudente mise au point sur
la chronologie relative de ces voyages, V. Boudon-Millot synthétise dans un
ordre purement indicatif l’apport de chacun d’entre eux : le voyage à Chypre
laissa à Galien des souvenirs précis, par exemple le tableau saisissant d’une
armée d’esclaves nus travaillant dans les vapeurs d’une mine de cuivre ; le voyage
en Lycie fut un échec relatif, puisque Galien en revint sans avoir trouvé la pierre
qu’il y cherchait ; les voyages en Syrie et en Palestine furent concluants et per-
mirent à Galien de découvrir l’étonnante flottaison des baigneurs en Mer Morte ;
enfin, les voyages à Lemnos apportèrent leur lot de cocasseries : Galien fut d’abord
débarqué à un autre endroit que celui qu’il avait espéré, puis, à la recherche
d’une mystérieuse recette dont il avait appris l’existence dans un livre, il fut
mortifié en découvrant que sa source était farfelue et que, de toute façon, seule
une prêtresse était autorisée à confectionner le remède.
Le chapitre VI s’intitule « Rome, à nous deux maintenant ! ». Inspirée par le
Rastignac de la Comédie Humaine, V. Boudon-Millot raconte comment Galien,
entre 32 et 37 ans, parvint à conquérir la capitale romaine. L’épisode comporte
en effet son lot de matière romanesque. Facilement intégré dans cette ville four-
millante où tout est accessible, Galien se constitua rapidement une clientèle se
faisant l’écho de ses compétences. Ces premiers succès le propulsèrent d’emblée
dans les tourments de la concurrence, alimentée notamment par les écoles
méthodique, empirique et dogmatique, dont Galien resta toujours indépendant.
Grâce à Eudème, philosophe péripatéticien originaire de Pergame qui l’introdui-
sit dans la haute société romaine, Galien put acquérir une clientèle d’élite dans
l’entourage même de l’empereur Marc Aurèle. Cette gloire fut encore accentuée
par une série de querelles, que Galien affronta parfois en public lors de dissec-
tions ou de vivisections animales. L’activité littéraire de Galien est enfin dépeinte
avec vigueur : commentaires hippocratiques, livres répondant à la demande
d’étudiants ou d’amis, traités de recherche fondamentale virent alors le jour,
grâce à la coopération de tachygraphes entraînés à écrire sous la dictée. Dans ce
chapitre très riche, V. Boudon-Millot mêle judicieusement les récits d’interven-
tion médicale et les exposés théoriques mettant aux prises Galien et ses rivaux.
Effrayé par ce climat haineux et désireux sans doute d’échapper à une épidé-
mie de variole pour laquelle l’empereur eût fini sans doute par le mobiliser,
Galien décida de rentrer à Pergame. V. Boudon-Millot analyse très finement les
raisons de ce départ précipité, qui donne au personnage de Galien une épaisseur
très intrigante.
Le chapitre VII « Exil volontaire et retour en grâce » s’intéresse à la période
où Galien a entre 37 et 40 ans. Après deux années passées à Pergame, où
il s’adonna à la pratique médicale et à la révision de plusieurs ouvrages, Galien,
alors âgé de 39 ans, fut rappelé par les deux empereurs Marc Aurèle et Lucius
Verus, installés à Aquilée avec leurs armées en guerre contre les Germains.

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V. Boudon-Millot montre qu’il est difficile d’évaluer le caractère injonctif de
cette convocation ; mais une chose est sûre : Galien ne se réjouit pas de ce rap-
pel, qui l’exposait à soigner une épidémie de variole puis à suivre les armées en
campagne. Or, à peine arrivé à Aquilée, Galien vit finalement les deux empe-
reurs quitter les lieux suite à la retraite ennemie : contre l’avis de Marc Aurèle,
ce départ avait été décidé par Lucius Verus, qui mourut aussitôt après. Galien,
sans doute lors d’une entrevue à Rome, obtint finalement de Marc Aurèle de ne
pas le suivre en campagne, arguant du fait qu’Asclépios lui avait ordonné le
contraire. Manœuvre ou dévotion de Galien ? V. Boudon-Millot plaide plutôt
pour la seconde hypothèse. Toujours est-il que Galien se vit alors confier en
échange la santé de Commode, le jeune fils de l’empereur. L’analyse de cet épi-
sode charnière est aussitôt suivi d’un tableau saisissant de la variole ayant valu à
Galien son rappel en urgence : V. Boudon-Millot croise ici de nombreuses sources
avec le témoignage de Galien, qu’elle montre en lutte contre une pestilence hiver-
nale difficile à enrayer.
Le chapitre VIII « Au chevet des empereurs » s’intéresse au second séjour
romain de Galien, à partir de ses 40 ans. Tout d’abord, durant sept ans, Galien
suivit le jeune Commode dans ses villégiatures. Parallèlement à son activité
d’écrivain, il continua de s’illustrer brillamment dans la pratique de la médecine,
prioritairement mise au service des notables. V. Boudon-Millot souligne le carac-
tère feuilletonesque de ses récits de guérison : fièvres d’un jeune noble, coliques
de Marc Aurèle, amygdalites de Commode, hémorragies spectaculaires, rien ne
semble avoir résisté au talent pronostique et thérapeutique de Galien. Ces succès
lui valurent, outre des jalousies et des haines accrues, l’admiration de Marc
Aurèle, qui lui confia la préparation de sa thériaque, panacée addictive et robo-
rative. V. Boudon-Millot montre cependant que Galien, malgré son attachement
au palais, garda une certaine indépendance à l’égard de la cour impériale, dont il
redoutait et méprisait les violences.
Vient ensuite le portrait de Galien professeur, placé sous le signe d’un para-
doxe : soucieux de toucher le plus grand nombre et conscient de la nécessité
d’une pédagogie progressive, Galien écrivit certes pour les débutants et la posté-
rité, mais les textes qu’il nous a laissés donnent souvent le sentiment que ses
élèves formaient plutôt un cercle restreint de savants aspirant à se perfectionner.
V. Boudon-Millot dépeint également Galien en maître de maison. Résidant
sans doute dans un quartier central de Rome, où il pouvait croiser et recevoir
patients et amis, Galien possédait également un dépôt sur la Voie Sacrée, où il
conservait entre autres ses livres de médecine. Il disposait aussi d’une résidence
en Campanie, sans compter sa propriété de Pergame. V. Boudon-Millot brosse le
portrait d’un homme modéré, soucieux d’entretenir de bons rapports avec ses
esclaves, formés notamment à la prise de notes pour l’aider dans son travail
d’écrivain, de praticien, mais aussi de chercheur, puisque certains de ses domes-
tiques lui servaient de cobaye. Vient enfin le portrait de Galien écrivain. Bien
loin de dresser un catalogue des ouvrages écrits par Galien à cette époque,
V. Boudon-Millot montre les enjeux biographiques de son activité littéraire :
révision et correction de ses ouvrages pour lutter contre le plagiat, rédaction de
nouveaux traités ou de commentaires destinés à des publics divers qu’il fallait
aussi convaincre dans des conférences publiques, copie et annotation de textes
anciens issus de toute la littérature antique, réécriture de traités perdus après
l’incendie du dépôt de la Voie Sacrée, telles furent les occupations de Galien qui

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vit alors se succéder les empereurs Marc Aurèle, qui l’apprécia beaucoup sans
pour autant parler de lui dans ses Écrits, et Commode, qui l’estima peu sans pour
autant le persécuter.
Le chapitre IX « Maladies et mort d’un médecin » s’intéresse aux dernières
années de la vie de Galien, depuis ses 50 ans environ jusqu’à sa mort, probable-
ment à 87 ans. Le chapitre commence par une habile rétrospective des maladies
que Galien connut durant sa vie et que lui-même décrivit à la fin de son existence :
naturellement peu robuste, quoique bien entretenu par un régime ajusté, Galien
fut surtout éprouvé par les fièvres et les troubles digestifs ; plus ponctuellement,
son corps fut mis à l’épreuve de la palestre, du somnambulisme et de tests phar-
macologiques, sans compter la fatigue quotidienne de l’activité médico-philoso-
phique. Devenu âgé, Galien connut enfin les maux de la vieillesse, comme les
insomnies ou les rages de dent.
Les dernières années de la vie de Galien sont ensuite évoquées de façon suc-
cincte : citant d’autres sources pour reconstituer cette époque où se succédèrent
quatre empereurs, V. Boudon-Millot est contrainte de se limiter aux quelques
allusions du corpus galénique. Galien condamne discrètement Commode, qui le
mit à l’écart durant douze années de persécutions ou de famines ; il ne nous
apprend rien sur Pertinax ni sur Caracalla ; mais il nous donne quelques infor-
mations sur Septime Sévère, qui, dans la lignée de Marc Aurèle, fut lui aussi
un grand consommateur de thériaque. Enfin, V. Boudon-Millot laisse à la mort
de Galien son halo de mystère : ce décès eut peut-être lieu à Pergame, où il est
certain que Galien retourna de temps à autre dans la dernière partie de sa vie ;
la date retenue, longtemps placée en 199 suite à une mauvaise interprétation de
la Souda, est aujourd’hui repoussée à l’année 216, sur le témoignage de sources
arabes du IXe siècle. Il est enfin fait état de deux traditions arabes fantaisistes
situant la mort de Galien respectivement en Égypte, après une expédition sur les
traces de l’opium, et en Sicile, au cours d’un voyage à destination de la Sainte
Jérusalem.
Le chapitre X « La médecine galénique : contenu et méthode » propose une
série de synthèses très utiles sur la pensée de Galien en matière de pédagogie, de
sphygmologie (la science du pouls), d’anatomie, de physiologie, de pathologie
et de thérapeutique. Viennent ensuite d’éclairantes mises au point sur l’activité
de Galien vu comme commentateur, polémiste, épistolier et observateur de la
société de son temps. Enfin, on peut lire une brève notice sur la postérité du
système médical galénique.
En annexe, 5 pages de repères chronologiques résument, à la manière d’une
frise, tous les événements décisifs de la vie de Galien ; puis on trouve une carte
du bassin méditerranéen, où figurent tous les lieux ayant accueilli Galien à un
moment ou un autre de sa vie. Viennent ensuite 24 pages très utiles qui énu-
mèrent les œuvres de Galien conservées en grec, en latin ou en arabe, classées
par ordre chronologique et datées au moins de façon relative : pour chaque
traité, V. Boudon-Millot donne une traduction du titre en français, les références
de l’édition la plus récente et, le cas échéant, celles de traductions en langues
modernes. On trouve ensuite 19 pages de bibliographie qui répertorient tous
les travaux utiles à l’examen de la biographie galénique, en particulier ceux de
V. Nutton, d’H. Schlange-Schöningen et, bien sûr, ceux de V. Boudon-Millot
elle-même. Enfin, un index des noms propres facilite les recherches ciblées et
tout type de lectures transversales.

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Dans l’ensemble du livre, V. Boudon-Millot fait preuve d’un sens critique
stupéfiant. Interprétant avec finesse les propos les plus explicites, elle fait systé-
matiquement appel à plusieurs sources pour éclaircir les zones d’ombre ou les
contradictions ; on ne peut être que frappé de la rigueur avec laquelle elle trouve
une explication à tous les dossiers, même les plus épineux, sans renoncer jamais
aux élégances du style ni à la clarté.
Edouard FELSENHELD

15. Miguel Herrero de Jáuregui, Ana Isabel Jiménez San Cristóbal, Eugenio
R. Luján Martínez, Raquel Martín Hernández, Marco Antonio Santamaría
Álvarez, Sofía Torallas Tova, [éds.], Tracing Orpheus, « Studies of Orphic frag-
ments, In Honour of Alberto Bernabé », Berlin / Boston, Walter de Gruyter
(« Sozomena » 10), 2011.
En hommage à Alberto Bernabé qui fêtait ses soixante-cinq ans en 2011, six
de ses anciens étudiants de l’Université Complutense à Madrid ont entrepris
de réunir soixante-cinq courtes études sur l’orphisme. Avec son édition des frag-
ments et témoignages orphiques parue en trois volumes chez Teubner (2004,
2005 et 2007), Alberto Bernabé a en effet renouvelé le champ des études dans
ce domaine, notamment par l’intégration dans son ouvrage de textes encore
inconnus à l’époque des précédentes éditions, comme le Papyrus de Derveni,
une série de lamelles d’or et les tablettes d’os trouvées à Olbia. Les éditeurs de
ces soixante-cinq études réunies en son honneur ne prétendent pas donner à
celles-ci une cohérence artificielle, leur but étant avant tout festif et informatif.
Après avoir reproduit la bibliographie complète de leur maître, ils présentent les
contributions de manière thématique, consacrant ainsi une première partie de
leur livre aux fragments orphiques et les suivantes successivement aux fragments
de Musée et de Linus, au Papyrus de Derveni et aux hymnes orphiques — tous
textes ajoutés dans son édition par Alberto Bernabé. Le recueil s’achève de
manière originale par l’évocation de la vision d’Orphée à l’époque moderne et
de la poésie orphique d’origine espagnole. On ne pourra que saluer cette géné-
reuse entreprise qui donne au lecteur un aperçu très diversifié des recherches en
cours sur l’orphisme, et ce de manière extrêmement efficace, les articles ne com-
portant pas plus de quatre pages chacun.
Fabienne JOURDAN

16. POLTERA (Orlando), Simonides lyricus. Testimonia und Fragmente. Einlei-


tung, kritische Ausgabe, Übersetzung und Kommentar, Schweizerische Bei-
träge zur Altertumswissenschaft 35, Bâle, Schwabe Verlag, 2008, in-8°,
XII-664 p.
Ce livre est une thèse d’habilitation, soutenue en 2001 à Fribourg en Suisse.
L’auteur explique dans sa préface pourquoi il a fallu sept ans pour publier ce tra-
vail ; mais étant donné que ce compte rendu apparaît cinq ans après cette publica-
tion, on ne lui aurait demandé aucune justification. En fait, le livre était resté sur les
étagères aux Études Grecques pendant ces années. Comme il s’agit d’un livre beau,
important et méritant, il est souhaitable de le signaler ici au moins brièvement.

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