Professional Documents
Culture Documents
Felsenheld Édouard. 14. Boudon-Millot (Véronique), Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome. In: Revue des
Études Grecques, tome 126, fascicule 1, Janvier-juin 2013. pp. 271-277;
http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_2013_num_126_1_8125_t10_0271_0000_2
1
Personnellement, j’aurais également ajouté à cette sélection l’article « Le sommeil
médecin (Sophocle, Philoctète, v. 859 âle®v Àpnov) », paru dans Théâtres et spectacles
dans l’Antiquité (Actes du colloque de Strasbourg, 5-7 nov. 1981), Leyde, Brill, 1983,
p. 49-62. On trouvera une bibliographie complète de l’auteur, du moins jusqu’en 2007,
dans V. Boudon-Millot, A. Guardasole, C. Magdelaine (éd.), La science médicale antique.
Nouveaux regards. Études réunies en l’honneur de Jacques Jouanna, Paris, Beauchesne,
2007, p. 1-18. Soulignons que depuis, cette bibliographie, qui comptait 180 titres, s’est
encore considérablement accrue.
Universités de France. Nul galéniste ne saurait désormais s’en passer, et tout ama-
teur d’histoire y trouvera une mine d’informations, qu’il soit helléniste, latiniste,
médecin, pharmacien, philosophe ou simple particulier.
La seconde partie du titre Un médecin grec à Rome ne doit pas être lue comme
une restriction de la perspective biographique : V. Boudon-Millot s’intéresse
non pas seulement à la carrière romaine, mais bien à toute la vie de Galien. Le
livre, scrupuleusement tenu dans des dimensions raisonnables, balaye l’ensemble
de cette existence hors du commun, qui trouva son plein épanouissement à
Rome, capitale impériale que Galien voyait comme un modèle réduit du monde
habité. Or l’ouvrage de V. Boudon-Millot possède lui aussi un tel pouvoir de
condensation, puisqu’il donne le sentiment de contenir à lui seul toute la matière
galénique : outre la vie de l’homme qui est racontée et analysée étape par étape,
les doctrines du penseur y sont évoquées au fil des pages avec beaucoup de
clarté, avant qu’un ultime chapitre synthétique n’en présente le contenu et la
méthode. Le livre de V. Boudon-Millot est donc plus encore qu’une biographie :
c’est un concentré de galénisme. En voici la structure détaillée, fondée globale-
ment sur trois parties — un avant-propos, le cœur de l’ouvrage et des annexes.
Dans un Avant-propos de 5 pages, V. Boudon-Millot expose les difficultés
et la méthode de son entreprise. Sa biographie présente une singularité notable,
due à l’état de nos sources : elle se fonde essentiellement sur le seul témoignage
du corpus galénique, « véritable continent » dans lequel Galien se livre parfois
de façon précise, mais avec un art de la mise en scène qui suscite la méfiance.
Or V. Boudon-Millot s’efforce aussi d’utiliser d’autres témoignages pour conforter
ses analyses et notamment consolider ses hypothèses de datation : les opportuni-
tés ne sont pas si rares, car V. Boudon-Millot sait les créer et les exploiter avec
vitalité, par exemple lorsqu’elle se réfère à la tradition arabe, à une inscription
latine, aux Vies d’empereurs romains, aux textes de savants grecs ou latins, voire
aux expertises médicales les plus modernes.
Le cœur de l’ouvrage est constitué de neuf chapitres biographiques, qui par-
courent chronologiquement les grandes étapes de la vie de Galien, depuis sa nais-
sance en Asie en 129 jusqu’à sa mort autour de 216 dans un lieu et des conditions
très hypothétiques ; puis l’ensemble se clôt sur une synthèse de la pensée galé-
nique, rassemblée dans un dixième et dernier chapitre non biographique. Regrou-
pées en fin d’analyse, 62 pages de notes donnent enfin les références des pas-
sages cités, traduits ou commentés, ainsi que des précisions sur les points
d’érudition les plus débattus, à propos notamment des problèmes de datation.
Le chapitre I « Une enfance au parfum d’Asie », consacré aux jeunes années
de Galien, dresse un superbe tableau de la vie asiatique de Pergame et dépeint
avec chaleur la famille de Galien. L’essentiel à retenir est que Galien bénéficia
à cette époque de l’influence morale et des premiers enseignements théoriques
de son père architecte, lui-même fils de géomètre ; inversement, sa mère, qu’il
dépeint comme une créature colérique, eut peu d’influence sur lui.
Le chapitre II « De l’école des philosophes à celle des médecins » synthétise
la formation philosophique puis médicale que Galien suivit à Pergame entre 14
et 16 ans. Ses quatre premiers maîtres de philosophie, successivement stoïcien,
platonicien, péripatéticien et épicurien, lui apprirent surtout la logique, mais le
déçurent beaucoup, notamment à cause des contradictions auxquelles ils étaient
eux-mêmes confrontés dans leurs propres écoles ou bien avec les lois de la phy-
sique. Tenté un temps par le scepticisme, Galien décida finalement de prendre
de datation laissent un vide entre l’été 161, où Galien quitte Pergame, et l’été 162,
où Galien arrrive à Rome ; de façon très habile, V. Boudon-Millot choisit donc
de remplir cet intervalle en y plaçant une série de voyages scientifiques, souvent
évoqués par Galien sans précision chronologique.
Le chapitre V « À la découverte du monde » présente donc l’ensemble des
voyages scientifiques faits par Galien dès l’âge de 31 ans. Perpétuant la tradition
hippocratique du médecin périodeute, Galien organisa avant tout ces déplace-
ments pour se procurer lui-même les meilleurs remèdes possibles et donc éviter
l’intermédiaire des marchands de drogue. Après une prudente mise au point sur
la chronologie relative de ces voyages, V. Boudon-Millot synthétise dans un
ordre purement indicatif l’apport de chacun d’entre eux : le voyage à Chypre
laissa à Galien des souvenirs précis, par exemple le tableau saisissant d’une
armée d’esclaves nus travaillant dans les vapeurs d’une mine de cuivre ; le voyage
en Lycie fut un échec relatif, puisque Galien en revint sans avoir trouvé la pierre
qu’il y cherchait ; les voyages en Syrie et en Palestine furent concluants et per-
mirent à Galien de découvrir l’étonnante flottaison des baigneurs en Mer Morte ;
enfin, les voyages à Lemnos apportèrent leur lot de cocasseries : Galien fut d’abord
débarqué à un autre endroit que celui qu’il avait espéré, puis, à la recherche
d’une mystérieuse recette dont il avait appris l’existence dans un livre, il fut
mortifié en découvrant que sa source était farfelue et que, de toute façon, seule
une prêtresse était autorisée à confectionner le remède.
Le chapitre VI s’intitule « Rome, à nous deux maintenant ! ». Inspirée par le
Rastignac de la Comédie Humaine, V. Boudon-Millot raconte comment Galien,
entre 32 et 37 ans, parvint à conquérir la capitale romaine. L’épisode comporte
en effet son lot de matière romanesque. Facilement intégré dans cette ville four-
millante où tout est accessible, Galien se constitua rapidement une clientèle se
faisant l’écho de ses compétences. Ces premiers succès le propulsèrent d’emblée
dans les tourments de la concurrence, alimentée notamment par les écoles
méthodique, empirique et dogmatique, dont Galien resta toujours indépendant.
Grâce à Eudème, philosophe péripatéticien originaire de Pergame qui l’introdui-
sit dans la haute société romaine, Galien put acquérir une clientèle d’élite dans
l’entourage même de l’empereur Marc Aurèle. Cette gloire fut encore accentuée
par une série de querelles, que Galien affronta parfois en public lors de dissec-
tions ou de vivisections animales. L’activité littéraire de Galien est enfin dépeinte
avec vigueur : commentaires hippocratiques, livres répondant à la demande
d’étudiants ou d’amis, traités de recherche fondamentale virent alors le jour,
grâce à la coopération de tachygraphes entraînés à écrire sous la dictée. Dans ce
chapitre très riche, V. Boudon-Millot mêle judicieusement les récits d’interven-
tion médicale et les exposés théoriques mettant aux prises Galien et ses rivaux.
Effrayé par ce climat haineux et désireux sans doute d’échapper à une épidé-
mie de variole pour laquelle l’empereur eût fini sans doute par le mobiliser,
Galien décida de rentrer à Pergame. V. Boudon-Millot analyse très finement les
raisons de ce départ précipité, qui donne au personnage de Galien une épaisseur
très intrigante.
Le chapitre VII « Exil volontaire et retour en grâce » s’intéresse à la période
où Galien a entre 37 et 40 ans. Après deux années passées à Pergame, où
il s’adonna à la pratique médicale et à la révision de plusieurs ouvrages, Galien,
alors âgé de 39 ans, fut rappelé par les deux empereurs Marc Aurèle et Lucius
Verus, installés à Aquilée avec leurs armées en guerre contre les Germains.
vit alors se succéder les empereurs Marc Aurèle, qui l’apprécia beaucoup sans
pour autant parler de lui dans ses Écrits, et Commode, qui l’estima peu sans pour
autant le persécuter.
Le chapitre IX « Maladies et mort d’un médecin » s’intéresse aux dernières
années de la vie de Galien, depuis ses 50 ans environ jusqu’à sa mort, probable-
ment à 87 ans. Le chapitre commence par une habile rétrospective des maladies
que Galien connut durant sa vie et que lui-même décrivit à la fin de son existence :
naturellement peu robuste, quoique bien entretenu par un régime ajusté, Galien
fut surtout éprouvé par les fièvres et les troubles digestifs ; plus ponctuellement,
son corps fut mis à l’épreuve de la palestre, du somnambulisme et de tests phar-
macologiques, sans compter la fatigue quotidienne de l’activité médico-philoso-
phique. Devenu âgé, Galien connut enfin les maux de la vieillesse, comme les
insomnies ou les rages de dent.
Les dernières années de la vie de Galien sont ensuite évoquées de façon suc-
cincte : citant d’autres sources pour reconstituer cette époque où se succédèrent
quatre empereurs, V. Boudon-Millot est contrainte de se limiter aux quelques
allusions du corpus galénique. Galien condamne discrètement Commode, qui le
mit à l’écart durant douze années de persécutions ou de famines ; il ne nous
apprend rien sur Pertinax ni sur Caracalla ; mais il nous donne quelques infor-
mations sur Septime Sévère, qui, dans la lignée de Marc Aurèle, fut lui aussi
un grand consommateur de thériaque. Enfin, V. Boudon-Millot laisse à la mort
de Galien son halo de mystère : ce décès eut peut-être lieu à Pergame, où il est
certain que Galien retourna de temps à autre dans la dernière partie de sa vie ;
la date retenue, longtemps placée en 199 suite à une mauvaise interprétation de
la Souda, est aujourd’hui repoussée à l’année 216, sur le témoignage de sources
arabes du IXe siècle. Il est enfin fait état de deux traditions arabes fantaisistes
situant la mort de Galien respectivement en Égypte, après une expédition sur les
traces de l’opium, et en Sicile, au cours d’un voyage à destination de la Sainte
Jérusalem.
Le chapitre X « La médecine galénique : contenu et méthode » propose une
série de synthèses très utiles sur la pensée de Galien en matière de pédagogie, de
sphygmologie (la science du pouls), d’anatomie, de physiologie, de pathologie
et de thérapeutique. Viennent ensuite d’éclairantes mises au point sur l’activité
de Galien vu comme commentateur, polémiste, épistolier et observateur de la
société de son temps. Enfin, on peut lire une brève notice sur la postérité du
système médical galénique.
En annexe, 5 pages de repères chronologiques résument, à la manière d’une
frise, tous les événements décisifs de la vie de Galien ; puis on trouve une carte
du bassin méditerranéen, où figurent tous les lieux ayant accueilli Galien à un
moment ou un autre de sa vie. Viennent ensuite 24 pages très utiles qui énu-
mèrent les œuvres de Galien conservées en grec, en latin ou en arabe, classées
par ordre chronologique et datées au moins de façon relative : pour chaque
traité, V. Boudon-Millot donne une traduction du titre en français, les références
de l’édition la plus récente et, le cas échéant, celles de traductions en langues
modernes. On trouve ensuite 19 pages de bibliographie qui répertorient tous
les travaux utiles à l’examen de la biographie galénique, en particulier ceux de
V. Nutton, d’H. Schlange-Schöningen et, bien sûr, ceux de V. Boudon-Millot
elle-même. Enfin, un index des noms propres facilite les recherches ciblées et
tout type de lectures transversales.
15. Miguel Herrero de Jáuregui, Ana Isabel Jiménez San Cristóbal, Eugenio
R. Luján Martínez, Raquel Martín Hernández, Marco Antonio Santamaría
Álvarez, Sofía Torallas Tova, [éds.], Tracing Orpheus, « Studies of Orphic frag-
ments, In Honour of Alberto Bernabé », Berlin / Boston, Walter de Gruyter
(« Sozomena » 10), 2011.
En hommage à Alberto Bernabé qui fêtait ses soixante-cinq ans en 2011, six
de ses anciens étudiants de l’Université Complutense à Madrid ont entrepris
de réunir soixante-cinq courtes études sur l’orphisme. Avec son édition des frag-
ments et témoignages orphiques parue en trois volumes chez Teubner (2004,
2005 et 2007), Alberto Bernabé a en effet renouvelé le champ des études dans
ce domaine, notamment par l’intégration dans son ouvrage de textes encore
inconnus à l’époque des précédentes éditions, comme le Papyrus de Derveni,
une série de lamelles d’or et les tablettes d’os trouvées à Olbia. Les éditeurs de
ces soixante-cinq études réunies en son honneur ne prétendent pas donner à
celles-ci une cohérence artificielle, leur but étant avant tout festif et informatif.
Après avoir reproduit la bibliographie complète de leur maître, ils présentent les
contributions de manière thématique, consacrant ainsi une première partie de
leur livre aux fragments orphiques et les suivantes successivement aux fragments
de Musée et de Linus, au Papyrus de Derveni et aux hymnes orphiques — tous
textes ajoutés dans son édition par Alberto Bernabé. Le recueil s’achève de
manière originale par l’évocation de la vision d’Orphée à l’époque moderne et
de la poésie orphique d’origine espagnole. On ne pourra que saluer cette géné-
reuse entreprise qui donne au lecteur un aperçu très diversifié des recherches en
cours sur l’orphisme, et ce de manière extrêmement efficace, les articles ne com-
portant pas plus de quatre pages chacun.
Fabienne JOURDAN