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Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres

L'inscription punique de Pyrgi


James Germain Février

Citer ce document / Cite this document :

Février James Germain. L'inscription punique de Pyrgi. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, 109ᵉ année, N. 1, 1965. pp. 9-18;

doi : 10.3406/crai.1965.11792

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1965_num_109_1_11792

Document généré le 26/02/2018


l'inscription punique de pyrgi . 9

» Le site paraît avoir été abandonné lors de la chute du royaume


grec de Bactriane, survenue vers 130 av. J.-C, et n'avoir jamais été
réoccupé : la céramique et les fragments architecturaux grecs se
trouvent en surface. Cette circonstance ouvre aux chercheurs des
perspectives extrêmement prometteuses. En plein accord avec les
autorités afghanes la Délégation archéologique française se propose
d'entreprendre, dès l'automne de 1965, une grande fouille sur le site
de Aï Khanoum ».
L'Académie, sur la proposition du Bureau, décide de nommer
M. Alfred Merlin secrétaire perpétuel honoraire.
L'Académie fixe ainsi qu'il suit les dates pour l'élection d'un
académicien ordinaire en remplacement de M. Jules Marouzeau
décédé : choix des disciplines le 29 janvier, exposé des titres le
12 février, élection le 19 février.
M. James Février communique à l'Académie une inscription
punique de Pyrgi en Étrurie.

COMMUNICATION
L'INSCRIPTION PUNIQUE DE PYRGI, PAR M. JAMES FÉVRIER

L'inscription punique qui fait l'objet de cette communication


a été trouvée le 8 juillet dernier au cours des fouilles du site étrusque
de Pyrgi. Elle est gravée sur une feuille d'or rectangulaire, longue
de 19 centimètres et large de 9 ; son épaisseur est d'environ un demi-
millimètre. Lors de sa trouvaille elle se présentait sous la forme
d'un petit rouleau aplati, qu'on a pu développer sans difficulté
majeure et sans dommage. Mais elle était destinée à être exposée
sur toute sa surface, puisque les bords de la feuille sont percés de
dix trous en vue de sa fixation. On sait que deux autres feuilles
d'or, portant des textes étrusques, ont été retrouvées en même temps.
Dans cette communication je me tiendrai strictement sur le
terrain punique. Les problèmes fort importants soulevés tant du point
de vue archéologique que du point de vue de la langue étrusque,
échappent à ma compétence. Mon seul but est de fournir aux étrus-
cologues une traduction aussi exacte que possible du texte punique.
J'ai disposé seulement de la photographie figurant (planche xxxvn)
dans le fascicule intitulé Scavi nel santuario etrusco di Pyrgi, que
M. Giovanni a eu la grande courtoisie de m' offrir dès sa parution ;
mais la photographie est si belle qu'il me paraît inutile, sauf peut-
être dans un cas peu important, de se reporter à l'original.
L'inscription comprend onze lignes en écriture punique (et non
pas néo-punique) extrêmement soignée. Les mots ou les groupes de
mots sont séparés par des points, selon le vieil usage phénicien.
10 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Dans un cas au moins le point est remplacé par une petite barre
verticale, pour séparer deux phrases et non plus deux mots. Subtilité
grammaticale rare, mais qui se retrouve au milieu du ixe siècle sur
la stèle de Mésa, roi de Moab. L'écriture est encore très proche de
l'écriture phénicienne ; elle rappelle la graphie de deux inscriptions
puniques gravées sur des trônes de pierre (n08 5684 et 5685 du
CIS, i) et qu'on attribue aux environs de 500 avant notre ère. Le
texte a déjà été étudié par deux éminents sémitisants italiens,
MM. Levi délia Vida et Garbini. J'ai pu omettre de les citer aussi
souvent qu'il aurait été nécessaire, je les prie de m'en excuser.

LR.BT Ita tnita-lcac . (u.-


1 '5 f-l W'S YTN tam.a.s va- vatttvt . d
TBRY'- WLNS MLK H. u.niola.itxts ■ Qcmia.-
KY$R1' BYKH ZbH Sa. iw.iv . &uXol. Qi^ù.-
titt vt£ian.a.s . saH. tuUa-i . 5tUXtt. v-
Tw- <eÏTRT. 'Rj-fi Ct«.vcaia.J. taxit- «.tat ■ t"m.i a£. a—

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LMLKY JnT JlJ III ce.- nuLni.sta.6 . duva5
RH KRfc &Yf\ Q&K t . pu.Cu.rn.yv-
'Lrt WÎNT
»»TY SNT ICM tt-iiantlt .
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.

<xt-i« tel taux . ax.ita.iv.

de l'inscription
LRBT L'STRT *SR QDS
*Z *S P'L W'S YTN
TBRY* WLNS MLK *L
KYSRY BYRH ZBH
sms [sic] bmtn' bbt wbm
tw k'strt 'rs bdy
lmlky snt sls 3 by
rh krr bym qbr
'lm wsnt lm's 'lm
bbty snt km hkkbm
'L
l'inscription punique de pyrgi 11

Traduction.

« A la Dame, à Astarté, ce « lieu saint » qu'a fait et qu'a donné


T(i)b(e)rie wlns, régnant sur Kisrie, dans le mois du sacrifice du
Soleil (ou des Soixante ?), en don, dans le temple et son (= du
temple) haut lieu.
Parce qu'Astarté a été épousée par ses soins (ou : par lui ?),
l'année trois de son règne, dans le mois de Karar, dans le jour de
l'ensevelissement (ou : du tombeau ?) de la divinité.
Et les années depuis que la divinité (est) dans son temple sont
autant d'années que ces étoiles ».

Commentaire.

Comme on le voit, la traduction que je propose comprend trois


parties bien distinctes : 1° une dédicace à Astarté, avec sa date,
commémorant l'érection d'un « lieu saint » pour la déesse ; 2° la
mention de la célébration du hieros gamos de la déesse, comportant
dne autre date ; 3° une indication chronologique relative à l'entrée
ue la déesse (c'est-à-dire de sa statue) dans le sanctuaire.
1. La dédicace. — Elle offre peu de difficultés grammaticales ou
lexicographiques. Le 'sr qds ou « lieu saint » était vraisemblablement,
d'après le contexte, une sorte de chapelle ou de Saint des Saints,
comme à Jérusalem, abritant sans doute la statue de la déesse. En
akkadien asru signifie « sanctuaire ». Ce terme de « lieu saint » se
retrouve dans une inscription carthaginoise (CIS, i, 3779) et
précisément à propos d'Astarté. Il s'agit d'une dédicace faite par un
certain Saphot, « esclave du temple d'Astarté [dans] le lieu saint ».
Il ne s'agit pas, selon moi, de l'ensemble du temple, y compris tout
le territoire sacré, le mâqôm : sa mention n'aurait aucun sens dans
ce dernier texte. C'est un endroit particulier du temple, saint entre
tous. Ce « lieu saint » a-t-il été construit en même temps que le
temple et le haut lieu sur lequel celui-ci est édifié ? C'est probable,
encore que l'inscription ne le dise pas expressément. J'ai suivi
l'interprétation de M. Garbini pour les mots bmtn' ou bmtn « en
don » et bmt « haut lieu ». Dans les inscriptions carthaginoises, à la
place du mot bmt, on rencontre au moins une fois le mot hr «
montagne » (CIS, i, 3914, 1. 4) ; cette « montagne » était entourée d'un
péribole. Le suffixe pronominal waw de la 3e pers. sg, qui accompagne
le mot bmt, est différent du suffixe yod employé dans le reste de
l'inscription, mais il n'y a point lieu de s'en étonner. J'ai montré
autrefois qu'il y avait en punique trois formes différentes de ce
12 COMPTES RENDUS DE L* ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

suffixe : yod, aleph (avec valeur o) et mêm (avec valeur -im). Ma thèse
(Revue d'assyriologie, xlvi, 1952) a été adoptée et reprise par le
grand grammairien du punique, Joh. Friedrich (ZDMG, 1957,
p. 290-292). Nous avons affaire ici à une graphie archaïque pour o ;
elle est déjà attestée dans l'inscription de Yehimilk au xe siècle à
Byblos. Donc le temple était édifié sur un haut lieu et contenait
lui-même le « lieu saint ».
Au début de la ligne 2 le démonstratif 'z est écrit avec un aleph
prosthétique. G. Levi délia Vida a signalé avec raison cette
particularité à Chypre, mais elle se retrouve dans le monde punique et y a
persisté jusqu'à l'époque néo-punique (NP 54).
La fin du nom de Tiberie, comme celle de Kisrie (= Caere) est
écrite en orthographe phonétique. L'emploi de Y aleph comme mater
ledionis avec valeur e me paraît être spécifiquement punique,
encore que Mark Lidzbarski semble l'admettre en certains cas en
phénicien (Ephemeris, n, p. 9-10)1. La transcription punique du
mot Tiberie, à savoir T(i)b(e)rie, a beaucoup intrigué M. Pallottino.
Dans les deux textes étrusques nous avons defarie, avec un thêta
et un f. Le problème est de savoir si nous avons affaire à une
véritable transcription phonétique ou à une simple translittération,
plus ou moins arbitraire. En tout cas la forme punique implique
que le taw n'est pas spirantisé puisqu'il est à l'initiale. Pour le bet
je n'ose rien affirmer, mais je serais étonné qu'il l'ait été à aussi
haute époque.
L'expression mlk *l kysry' « roi sur caere » a embarrassé les
commentateurs : la formule « roi sur » (et non pas : « roi de »)
pourrait indiquer, suggèrent-ils, que notre Tiberie n'était pas un roi
véritable, mais une sorte de « tyran » au sens grec du mot. On peut
supposer aussi que mlk est ici un participe « régnant sur Caere »,
construction très correcte. La date nous est donnée simplement
par l'indication du mois : « dans le mois du sacrifice du Soleil » ou
à la rigueur : « du sacrifice au Soleil ». M. G. Levi délia Vida a corrigé
sms « soleil » en ssm « soixante ». Dans cette inscription le mêm ne
diffère du shin que par l'adjonction d'une haste oblique ; dans
l'inscription de Mesa, ligne 4, il faut sans doute aussi corriger slkn,
qui n'a aucun sens, en mlkn « rois ». Clermont-Ganneau comparait
le mois du « sacrifice des Soixante » à Y Hekatombaiôn grec et voulait
en faire le premier mois de l'année phénicienne (RAO, ni, p. 16,
n. 1). Mais il est possible que le mois du « sacrifice au Soleil » se
retrouve dans une inscription phénicienne de Chypre (CIS, i, 13).

1. On pourrait encore alléguer, en faveur de l'emploi de Yaleph à Chypre comme


mater lectionis avec déjà la valeur e, un vieux texte chypriote (ixe siècle ?) dans lequel
on trouve le démonstratif masculin Z' (= hébreu zè(h) ?). Voir A. M. Honeyman,
Iraq, VI, 1939, p. 106 sq.
l'inscription punique de pyrgi 13

Pour en terminer avec cette première partie, notons que seul le


nom du mois est indiqué ; nous devons nous attendre à trouver plus
loin l'indication de l'année.

2. Le hieros gamos. — Ce passage de l'inscription est de beaucoup


le plus difficile. Je crois que mes prédécesseurs ont cédé à la tentation
de donner à k « parce que » un sens trop fort. Ils ont cherché dans
ce passage le motif pour lequel notre Tiberie aurait élevé un « lieu
sacré » à Astarté. A la vérité nous ne sommes même pas sûrs que ce k,
tout au moins dans les inscriptions puniques, corresponde toujours
au kî hébreu « parce que ». Des graphies néo-puniques, comme k' =
kâ, feraient penser plutôt à l'hébreu ko (h) « ainsi ». Dans mon
hypothèse on peut d'ailleurs légitimer le sens de « parce que ». Si
Tiberie a érigé un lieu saint, c'est parce qu'il voulait y célébrer une
cérémonie indiquée plus loin.
La ligne 6 constitue la clef de ce passage. On a d'abord k'strt
« parce qu'Astarté », puis un verbe 'rs, qui est à peu près
certainement une 3e pers. sg féminin du parfait (la désinence fém. -ai est
passée à -d dans ce cas dès la fin du ne millénaire) et enfin le mot
bdy qui signifie « dans la main » ou « par sa main, par son entremise »
ou encore « par lui ». On le retrouve dans les textes
d'affranchissement carthaginois bd 'dny « par la main de son maître, par son
maître ».
Comment interpréter le verbe 'rs ? Nous avons le choix entre
deux racines, dont l'une 'rs (avec un sin) signifie « payer une
rançon, acheter (une femme), épouser » et l'autre 'rs (avec un shin)
« désirer ». M. Levi délia Vida a opté pour la seconde racine et
traduit « perche Astarte scelse per mezzo di lui », c'est-à-dire : « parce
qu'Astarté a choisi au moyen de lui ». M. Garbini, partant de la racine
'rs, a interprété : « poiche Astarte ha innalzato (?) con la sua mano
al suo regno per tro anni », c'est-à-dire « parce qu'Astarté a exalté
(littéralement : racheté) par sa main à son règne pendant trois ans ».
Ce sont là, il faut bien l'avouer, des traductions désespérées : le
complément direct manque et les sens proposés ne conviennent
pas aux racines invoquées. En outre la traduction de M. Garbini
supprime l'indication de l'année dans la date qui suit.
Je crois que la forme 'rs (pour 'rs, l'écriture ne distinguant pas
le sin du shin) est tout simplement un puai, c'est-à-dire un intensif
passif, de la racine 'rs « épouser ». En hébreu la même forme est
employée pour parler d'une jeune fille qui est « fiancée ». Astarté
a été épousée, au cours d'un hieros gamos, par les soins du roi Tiberie,
soit que ce dernier tînt la place de l'époux divin, soit qu'il jouât
seulement le rôle d'officiant, qu'il se bornât à célébrer le mystère.
Vient ensuite la date de cette cérémonie, qui se place un certain
1965 2
14 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

temps après la dédicace du « lieu saint », car c'est sans doute dans
ce lieu saint que se célébrait le mystère. Cette date est indiquée
comme étant la troisième année du règne, dans le mois de Karar,
le jour de la sépulture du dieu. Assurément dans la première partie
de la formule on attendrait bsnt sls lmlky plutôt que lmlky snt
sls ; mais j'estime avec M. Levi délia Vida qu'il n'y a pas lieu de
s'arrêter à cette objection. Une autre objection, bien plus grave,
peut être faite : comment admettre que le mariage de la déesse ait
pu être célébré le jour même de l'ensevelissement de la divinité ?
Cette objection ne vaut que si on admet que le terme elim «
divinité » s'applique ici à Astarté ; auquel cas on pourra alléguer, avec
M. Levi délia Vida, qu'il existait à Paphos un tombeau d'Aphrodite.
Mais il est aisé de répondre que le mot elim « divinité » s'applique
aussi bien à un dieu qu'à une déesse. Il peut donc s'agir — et à mon
avis il s'agit — non point des funérailles de la déesse, mais de celles
du dieu mâle qui lui était associé. Aux environs de 500 la religion
carthaginoise était encore toute proche de celle de Tyr, métropole
de Carthage. On songe donc tout naturellement à Melqart, le « Roi
de la Ville », appelé « maître de Tyr » sur une inscription de Malte
(CIS, i, 122). Une onomastique extrêmement riche nous montre
quelle fut à haute époque la popularité de Melqart à Carthage
même. Or Melqart fut, selon l'expression d'un de ceux qui se sont
occupés de lui le plus récemment, un dieu « de la fécondation et de
la procréation ». C'était aussi un dieu « renaissant » : nous savons
par Ménandre, cité par Josèphe (Ant., vin, 5, 3) qu'on célébrait à
Tyr au mois de Peritios (mars) l'éveil d'un Héraklès, c'est-à-dire
de Melqart : tou 'HpaxAéouç è'yepatv ; cet éveil ou ce réveil ne pouvait
être que la suite d'une mort momentanée. Mais comment expliquer
le mariage d'Astarté avec son époux mort ? Il peut s'agir d'un
hieros logos proprement phénicien, mais une influence égyptienne
n'est pas exclue. On connaît des représentations figurées qui nous
montrent Isis, ayant pris la forme d'un faucon femelle, posée sur
le corps inerte d'Osiris et fécondée par lui (temple de Séti ier à
Abydos).

3. L'indication chronologique. — La formule finale a pu être


interprétée grâce aux efforts combinés de MM. Garbini et Pallottino.
Je m'écarte cependant quelque peu de la traduction de M. Garbini.
Celui-ci a traduit : « e gli anni délia statua délia divinità nel suo
tempio ». Dans lm's il reconnaît donc le mot m's « statue » ; or c'est
seulement à une époque relativement basse que ce mot est écrit
avec une mater lectionis aleph ; la construction est d'ailleurs un
peu lourde. Je préfère voir dans lm's une conjonction formée avec la
préposition lm signifiant « depuis » (cf. inscription de Kilâmu,
l'inscription punique de pyrgi 15

1. 12 : lmn'ry « depuis sa jeunesse ») et du relatif 's. Le sens en serait


donc « depuis que ». Quant au mot 'lm, proprement « divinité », il
peut s'appliquer également à la statue de la divinité. Par exemple
dans l'inscription néo-punique de Bir Bou Rekba (KAI, n° 137,
1. 4 et 5) il est dit : b' h'lnm 'l 'lt hmqdsm 'l « ces statues divines
entrèrent dans ces sanctuaires ».
Reste enfin à expliquer la mention des « étoiles ». M. Garbini,
arguant du fait qu'on a retrouvé dans la fouille des clous à tête
d'or, a supposé avec beaucoup de vraisemblance que le mot « étoiles »
désignait ces clous. Partant de là, M. Pallottino a rappelé que
d'après une antique coutume romaine (Tite Live, vu, 3) le praetor
maximus en exercice enfonçait chaque année, aux ides de septembre,
un clou dans la paroi du temple de Jupiter Capitolin et que la même
coutume était pratiquée dans le temple de la déesse étrusque Nortia
à Volsinii. Il suffisait donc à l'avenir de compter les clous pour savoir
depuis quand la déesse Astarté habitait le temple.

En résumé j'estime que Tiberie Velianas, roi de Caere, a érigé


à Pyrgi un « lieu saint » à Astarté. Peut-être y avait-il déjà un
temple d'Astarté avec son haut lieu ; peut-être a-t-il été construit
à cette occasion pour abriter le lieu saint. La statue de la déesse y
a été amenée et le roi a célébré un hieros gamos, à la suite de quoi
il a planté un clou dans la paroi du temple ; la cérémonie devait être
renouvelée chaque année.

♦*♦

M. André Dupont-Sommer souligne l'intérêt de la communication


de M. J.-G. Février et l'importance du document étudié, et il
présente les observations suivantes :
1° Au début de l'inscription, les mots 'sr qds 'z 's sont à traduire
non pas « au lieu saint que... », mais « ce lieu saint, c'est ce que... »,
étant donné la présence du démonstratif 'z et l'absence de toute
préposition locative. D'autre part, l'expression 'sr qds « lieu saint »
ne semble pas ici désigner « un endroit particulier du temple, saint
entre tous », « une sorte de chapelle », mais bien tout l'ensemble du
sanctuaire, tout le territoire sacré (ro lepov), à l'intérieur duquel
était édifié le temple (ô vaoç) ; à la ligne 5, l'inscription précise
justement que la pieuse donation du roi étrusque consistait « dans le
temple (bt) et son haut lieu (bmtw) », et à la ligne 11, que la statue
de la déesse résidait « dans son temple » (bbty). Dans l'inscription
carthaginoise à laquelle se réfère M. Février (CIS, i, 3779), il est dit
que le dédicant, un certain Saphot, était « esclave du temple d'As-
tar[té dans] le lieu saint » : « le lieu saint » ('sr hqds) désigne ici
16 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

vraisemblablement le grand sanctuaire de Carthage où se dressait


le temple d'Astarté dont Saphot était le serviteur, cette mention
du sanctuaire ayant apparemment pour but de spécifier de quel
temple d'Astarté il s'agissait au juste dans cette Carthage où
pouvaient exister plusieurs temples d'Astarté.
2° A la ligne 4, les mots byrh zbh sms sont bien à traduire « au
mois du sacrifice au Soleil », ainsi que fait M. Février. Il ne faut
sûrement pas corriger sms en ssm (« au mois du sacrifice des
soixante ») ; dans CI S, i, 13, c'est certainement lyr zbh sms qu'il
faut lire, ainsi que l'a fait Renan : la lecture n'est nullement douteuse.
3° A la ligne 6, est-il vraiment question d'un hieros gamos ? Dans
la phrase difficile k 'strt 'rs bdy, il est tout naturel de penser que
la conjonction k « parce que » introduit une proposition indiquant
la raison pour laquelle le roi étrusque a offert à la déesse un lieu
saint et un temple : dans de très nombreuses inscriptions
phéniciennes et puniques se rencontre de même une proposition causale
par laquelle le dédicant exprime sa gratitude à l'égard du dieu ou
de la déesse pour une faveur qu'il a reçue ; la formule la plus
courante est celle-ci : k smc ql « parce qu'il (ou : elle) a écouté sa voix ».
Dès lors, il faut chercher aux mots 'rs bdy un sens qui soit en
rapport avec ce contexte. Or, c'est dans l'inscription de Pyrgi que le
verbe 'rs apparaît en phénicien pour la première fois, en dehors
des noms propres phénico-puniques dans la composition desquels
cette racine entre fréquemment ; son sens est resté, jusqu'ici, très
discuté. On la rapproche volontiers de la même racine 'rs attestée
en hébreu, en ougaritique et en akkadien au sens de « désirer » ; il
semble qu'une évolution sémantique allant du sens de « désirer » à
celui d' « aimer », de « favoriser » (c'est-à-dire de manifester son
amour par une faveur ou par une grâce), soit assez plausible. En
cette hypothèse, le verbe doit être accompagné d'un complément
d'objet désignant la personne ainsi favorisée : dans la phrase de
l'inscription de Pyrgi, c'est le mot bdy qui, seul, peut jouer ce rôle.
Le mot bd, largement attesté dans l'épigraphie phénico-punique,
a longtemps été considéré par tous comme un substantif : « client,
fidèle » (cf. Zellig S. Harris, A Grammar of the Phoenician Lan-
guage [1936], p. 85), et ce sens semble convenir ici excellemment :
« parce qu'Astarté a favorisé son fidèle » (c'est-à-dire le roi lui-
même) : c'est à cause d'une grâce particulière de la déesse, de quelque
miracle accompli par elle en sa faveur, que le roi a fait don à sa divine
bienfaitrice du sanctuaire érigé en son honneur. M. Février, à la
suite de Garbini et de Levi délia Vida, voit, au contraire, dans le
mot bd une locution prépositionnelle équivalant à l'hébreu byd
« dans la main de, par l'intermédiaire de », conformément à l'expli-
l'inscription punique de pyrgi 17

cation qu'en a donnée J. Friedrich (Phônizische-punische Grammatik


[1950], §§ 63 a, 80 a, 252 a). Cette interprétation nouvelle semble
valable en certains cas, mais elle ne doit pas faire écarter
entièrement l'ancienne, qui semble s'imposer en d'autres cas. Peut-être
le sens du substantif : « client, fidèle », dérive-t-il étymologiquement
de la locution b(y)d « dans la main de » : n'emploie-t-on pas comme
substantifs telles locutions formées à l'aide d'une préposition, par
exemple un « en-cas », un « ex-voto » ? Quoi qu'il en soit de ce
problème d'étymologie, l'explication du mot bd au sens de « client,
fidèle » semble en bien des cas, et notamment dans l'inscription ds
Pyrgi, devoir être retenue. M. Février traduit : « parce qu'Astarte
a été épousée par ses soins », rattachant le verbe 'rs à la racine 'Ré
attestée en hébreu au sens de « fiancer » ; mais les fiançailles ne sont
ni les épousailles ni le hieros gamos. D'autre part, la date de la
prétendue hiérogamie se trouve indiquée dans l'inscription même :
« dans le jour de l'ensevelissement de la divinité » ; quelle que soit
la divinité qu'on ensevelit ce jour-là, il faut reconnaître qu'à tous
égards ce jour de funérailles convient mal à un mariage, ce mariage
fût-il une hiérogamie. Enfin, dans l'interprétation de M. Février,
la particule causale k perd toute signification réelle : on ne fait pas
don d'un sanctuaire à une déesse parce qu'on a fait célébrer une
hiérogamie (ce qui est un acte normal du culte), mais parce qu'on
veut la remercier d'une faveur qu'elle a accordée.
4° A la ligne 9, on lit lm's 'lm, ce que les savants italiens ont
traduit : « de la statue de la divinité ». La difficulté que signale
M. Février, à savoir que le mot phénicien « statue » est toujours
attesté sous la forme ms (sauf à l'époque néo-punique), est réelle,
mais elle ne semble pas insoluble : on peut supposer, en effet, que
m's, dans l'inscription de Pyrgi, représente une forme archaïque,
devenue plus tard ms, tout comme r's « tête » est devenu rs. Le
parallélisme avec l'expression m's 'lm dans une inscription néo-punique
(Tripol. 6), où le sens de « statue divine » n'est pas douteux,
déconseille tout autre essai d'explication, d'autant plus qu'il est tout
naturel qu'on fasse mention de la statue de la déesse en cette
inscription dédicatoire destinée à faire ressortir toute la pieuse
générosité de la donation royale : le lieu saint, le temple qui se dresse
à l'intérieur de ce lieu saint, la statue qui est abritée dans le temple»
5° Quant à l'ensemble de la dernière phrase, elle semble devoir
être ainsi comprise : « Et puissent les années où la statue de la Déesse
résidera dans son temple être des années aussi nombreuses que ces
étoiles-là !» On a là une proposition nominale à sens optatif, et la
signification en est très claire : que les années que durera le nouveau
temple soient aussi nombreuses que les étoiles du ciel, c'est-à-dire
18 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

puisse ce temple d'Astarté subsister à jamais ! Qu'on se rappelle


l'épisode de la Genèse (chap. xv) où Yahvé fait sortir Abraham de
sa tente et lui dit : « Regarde vers le ciel et compte les étoiles si tu
peux les compter : ainsi sera ta postérité ». La postérité d'Abraham
sera innombrable comme les étoiles du ciel, et de même seront
innombrables, comme les étoiles du ciel, les années de la durée du
nouveau temple. M. Février, suivant en cela Garbini, comprend
la phrase à l'indicatif : « Et les années depuis que la divinité (est)
dans son temple sont autant d'années que ces étoiles », et il suppose,
toujours avec Garbini, que la mention de « ces étoiles » se réfère aux
clous à tête d'or qu'on a retrouvés dans la fouille et que ces clous,
qu'on devait enfoncer chaque année dans la paroi du temple,
permettaient de compter le nombre des années écoulées depuis la
fondation du temple. Mais les clous, même à tête d'or, ne sont pas des
étoiles, et « ces étoiles-là », ce sont tout simplement et proprement
les étoiles du firmament, aussi nombreuses, aussi innombrables
dans le ciel de la Toscane que dans celui de la Palestine1.

M. André Piganiol souligne l'importance historique des textes


apportés par M. J. Février. La date n'en est point donnée par la
stratigraphie, mais par l'épigraphie : les commentateurs de
l'inscription punique et des inscriptions étrusques sont d'accord pour placer
leurs textes, d'après les caractères de l'écriture, un peu après
500 av. J.-C. Il est très intéressant d'y trouver le nom de Cisra
(pour Caere), connu seulement par une scholie à Virgile. Les
Étrusques de Caere ont adopté le culte d'Astarté exactement comme les
habitants du Palatin ont adopté le culte de Melkart-Hercule apporté
par les Phéniciens à Yara maxima. M. Piganiol se demande enfin
à quelle cérémonie rituelle se réfère le terme de pulnax, qui se
retrouve à la fin des deux textes étrusques.

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Son Ëminence le Cardinal Eugène Tisserant a la parole pour un hommage :
« J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie le deuxième volume
de la Bibliographie des Archives du Vatican, dont j'ai présenté le premier volume
le 25 janvier 1963. Ce volume contient les mentions d'articles et de livres publiés
à partir du 1er janvier 1921. Plus de 800 volumes ou articles ont été dépouillés ;
la reproduction des fiches en format réduit, avec les indices, remplit 850 pages.
Le troisième volume est en cours d'impression ».

1. Ces remarques présentées en séance par M. André Dupont-Sommer se trouvent


développées dans un article qu'il avait antérieurement rédigé et qui est paru dans le
Journal Asiatique, t. CCLII (1964), p. 289-302, sous le titre « L'inscription punique
récemment découverte à Pyrgi (Italie) ».

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