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Le processus d’indépendance de la Catalogne :

mouvement national ? mouvement nationaliste ?

(27 janvier 2018, Centre Pompidou, Paris)

Edgar Straehle

MUHBA/UOC/ADHUC (UB)

edgarstraehle@gmail.com

J’aimerais souligner d’abord que le rapport qu’il y a entre le processus


d’indépendance de la Catalogne et la question de la nation est une question très
compliquée ; une question qui est pleine d’ambivalences, d’ambiguïtés et de paradoxes
qu’ici je ne peux que survoler. En plus, il faut prendre en compte qu’il s’agit d’un
phénomène politique qui est actuellement en cours, qui n’a pas encore fini, et c’est pour
ça que toute remarque est condamnée à être provisoire et peut-être contredit par les faits
futurs. Or, c’est justement pour cela que c’est aussi une très bonne occasion pour
observer et analyser un phénomène qui est encore ouvert aux changements et qui
montre ses conflits et contradictions.

Pour de nombreux observateurs et surtout pour ses détracteurs, ce processus


d’indépendance n’est qu’un autre mouvement nationaliste typique qui, à l’image
d’autres précédents, serait anachronique, ethniciste, identitaire et, assez souvent, aussi
intolérant.1 Par contre, dans mon discours j’ai l’intention de mettre en question et de

1
Ici ce n’est pas possible d’expliquer la longue histoire du nationalisme catalan. Pour une introduction à
cette histoire, voir Els precedents del catalanisme : catalanitat i anticentralisme : 1808-1968 (2000) de
Père Anguera, Cultura nacional en una sociedad dividida : Cataluña, 1833-1868 (2003) de Josep Maria
Fradera, La reconstrucció nacional de Catalunya, 1939-2012 (2013) d’Andrew Dowling, La formació
d’una identitat : una història de Catalunya (2014) de Josep Fontana et El llarg procés : cultura i política
a la Catalunya contemporània, 1937-2014 (2015) de Jordi Amat. Pour une approche très critique, voir La
cultura del catalanisme : el nacionalisme català en els seus orígens (1996) et Nacionalisme espanyol i

1
problématiser ce point de vue simpliste. A mon avis, ces interprétations identifient trop
vite le processus indépendantiste avec une nouvelle parution de nationalisme
(identitaire), analysent ce nationalisme sous la perspective des nationalismes classiques
ou traditionnelles et n’observent pas les nombreux détails d’une réalité qui est assez
plus complexe, plurielle et ambigüe.

Comme c’est souvent le cas le point de vue que je veux problématiser (mais pas
rejeter totalement) a une part de vérité qu’on ne peut pas négliger. Il ne faut pas oublier
que dans la Catalogne il y a eu une longue et connue histoire d’un nationalisme qui s’est
basé sur les valeurs de l’identité catalane ou la soi-disant « catalanité », qui a voulu se
distinguer de la société et de la culture espagnole et qui, par exemple, n’a pas reçu pour
ainsi dire cordialement la nombreuse migration espagnole (1,4 millions de personnes)
qui est arrivé pendant le franquisme et qui, d’après ces nationalistes, constituaient une
menace pour la survie de la culture et la langue catalane. 2 Toutefois, il faut ajouter
d’abord que l’indépendantisme était alors une option assez minoritaire. Le but
majoritairement poursuivi était plutôt de lutter en faveur d’un plus grand degré
d’autonomie.3

Sans doute, il faut ajouter que les vestiges de ce nationalisme catalan disons
classique existent encore actuellement, un nationalisme qui parfois est encore
actuellement ethniciste, chauvin et même xénophobe. En raison de cela, aujourd’hui je
voudrais parler de l’autre côté, une côté qui est moins connue et qui se mélange avec
l’autre. C’est très important de souligner qu’il ne faut pas identifier l’indépendantisme
avec le nationalisme : d’abord parce qu’il y a un très bon nombre d’indépendantistes qui
ne sont pas nationalistes, mais aussi parce qu’il y pas mal de nationalistes catalans qui
ne sont pas indépendantistes (comme c’est le cas des anciens représentants du parti
conservateur catalan Unió Democràtica de Catalunya mais aussi les racistes et

catalanitat (1789-1859) : cap a una revisió de la Renaixença (2017), les deux de Joan-Lluís Marfany.
Pour une introduction à l’histoire de ce nationalisme à partir de la perspective de ses penseurs, voir La
ideologia nacionalista a Catalunya de Norbert Bilbeny (1988). Pour une revendication de ses origines
populaires, voir Les arrels populars del catalanisme (1999) de Josep Termes.
2
Surement, le pire représentant de cette tendance a été le démographe Josep Anton Vandellós (1899-
1950), auteur de Catalunya, poble decadent (1935) et La immigració a Catalunya (1935). Autres lectures
intéressants sur cette question sont : La immigració a Catalunya i altres estudis d’història del
nacionalisme català (1984) de Josep Termes, La quiebra de la ciudad popular : espacio urbano,
inmigración y anarquismo en la Barcelona de entreguerras, 1914-1936 (2008) de José Luis Oyón ou le
très récent Clase antes que nación (2017) de José Luis Oyón (ed.).
3
En fait, le parti le plus proche à ce nationalisme traditionnel et conservateur (Unió Democràtica de
Catalunya) s’est positionné contre l’indépendance de la Catalogne et est allé aux dernières élections avec
le PSC, la filiale catalane du PSOE (Partido Socialista Obrero Español).

2
xénophobes de Plataforma per Catalunya et son leader Josep Anglada). En plus, il ne
faut pas oublier qu’il y a aussi un nationalisme espagnol qui a joué aussi un rôle non
négligeable dans le conflit catalan. 4

Pour commencer j’aimerais poser l’attention sur une expression, ou une fiction
pragmatique consciente, qui constamment s’utilise en Catalogne pour désigner le peuple
catalan : c’est la divise « Catalunya, un sol poble » (en français « Catalogne, un seul
peuple »). Beaucoup de journalistes et de politiques ont critiqué l’usage de cette
expression et l’ont identifié directement avec d’autres divises nationalistes
traditionnelles, liés par exemple au Volk allemand. Cette divise serait alors la parfaite
exemplification d’un nationalisme identitaire, intolérant et excluant.

Or, alors s’oublie que le sens originaire de cette divise était justement le
contraire. Elle a été lancée dans les années 60 par un politicien communiste catalan,
Josep Benet (1920-2008), justement afin de répondre et lutter contre la rhétorique
identitaire du nationalisme catalan de l’époque et inclure de cette façon les immigrés du
reste de l’Espagne comme des catalans à part entière. 5 La divise visait donc contre
l’exclusivisme et la xénophobie du nationalisme conservateur et voulait repenser le
catalanisme comme un moyen (ou une stratégie) de favoriser l’intégration et de
promouvoir aussi la transformation politique et sociale. Les deux objectifs devaient aller
de pair.

Pour cette raison, un écrivain très populaire de l’époque, Francisco Candel


(1925-2007), a rédigé dans la même époque un bouquin très important, Les autres
catalans. Avec le titre de ce livre, lequel est devenu un des succès majeurs de la
littérature catalane, il se referait aux immigrés, comme lui-même, qui provenaient du
reste de l’Espagne. Le but était de resignifier et d’élargir les frontières du mot
« peuple » et de faire inclusive, hétérogène, pluriel et même bilingue la notion de peuple
catalan. De cette façon, parler de la Catalogne serait parler en même temps d’une
Catalogne métisse et « impure », descendant aussi des immigrés espagnols.

4
Pour approfondir dans ce sujet, voir España reinventada : nación e identidad desde la transición (2007)
de Sebastian Balfour et Alejandro Quiroga et Inventar la nació : cultura i discursos nacionals a
l'Espanya contemporània (2017), édité par Ferran Archilés. Pour une perspective plus historique, voir La
invención de España (1997) d’Edward Inman Fox.
5
Pour approfondir dans cette figure historique très complexe et dans cette question concrète, voir le livre
de Jordi Amat, Com una pàtria : vida de Josep Benet (2017).

3
En raison du succès de ce mouvement, le nationalisme catalan conservateur,
hégémonique en Catalogne pendant les années 80 et 90 et représenté par le politicien
Jordi Pujol (président de la Generalitat, le gouvernement de la Catalogne, entre 1980 et
2003), a utilisé aussi une notion inclusive de peuple catalan et a défini les catalans
simplement comme celles personnes qui habitaient et travaillent en Catalogne, sans
vouloir faire référence à leur origine ou leur langue. Le but déclaré était d’éviter la
division de la Catalogne en deux peuples différents, ce qui aurait difficulté la
convivialité entre eux et aurait favorisé une ségrégation. Par cette raison, ce
gouvernement a impulsé rapidement une immersion linguistique avec la Loi de
normalisation linguistique de 1983, laquelle a été initialement promue par le PSUC
(Partit Socialista Unificat de Catalunya) et a été approuvé par 105 députés et une seule
abstention.6

Au cours de derniers vingt ans il y a eu beaucoup d’initiatives ou de penseurs


(comme Xavier Rubert de Ventós et Montserrat Guibernau) qui ont repris l’idée de
dépasser une conception strictement identitaire de la Catalogne.7 Ils ont essayé de
repenser le problème de la nation et de la redéfinir dans une perspective plurielle,
interdépendante, impure, métisse et même, pour utiliser leurs propres termes,
cosmopolite. Ils soutiennent que c’est absurde de promouvoir une lutte basée sur une
identité fixe, déterminée et concrète dans une époque qui est marquée par la diversité,
par les migrations (internes mais aujourd’hui aussi transfrontalières) et aussi par la
globalisation. C’est pour ça qu’ils essaient de relier le concept de nation avec celui de
citoyenneté, en défendant un modèle inclusive qui connecte la lutte pour l’indépendance
avec un projet de rénovation sociale et politique ; avec une réforme de la démocratie
qu’ils ne voient pas possible en Espagne, quand même dans un avenir proche, et qui
aussi s’associe avec l’instauration d’une république. Le problème ne serait pas tant une
séparation de l’Espagne comme pays ou en général, mais (pour ainsi dire) de l’Espagne
comme un état où le parti hégémonique dans les derniers vingt ans est une formation de
droite, le Partido Popular ou Parti Populaire, qui est vue comme un parti conservateur,
néolibéral, corrompu et représentant d’un nationalisme espagnol qui serait incompatible

6
Cette loi sera modifie et élargie en 1998, avec la Loi de politique linguistique , promue par le
gouvernement de Jordi Pujol et CiU. Pour une bonne analyse du pujolisme et de la question linguistique,
voir Nacionalisme i autogovern. Catalunya, 1980-2003 (2008) de Paola Lo Cascio.
7
Voir Catalunya: de la identitat a la independència (1999) de Xavier Rubert de Ventós et El
nacionalisme català: franquisme, transició i democracia (2002) de Montserrat Guibernau. Voir aussi El
nou catalanisme (1999) de Norbert Bilbeny i Àngels Pes (eds.).

4
avec le développement désiré de la culture catalane. Pire encore, le Partido Popular est
vue comme un parti catalanophobe qui crée et instrumentalise avec succès des conflits
avec la Catalogne à des fins électoralistes. 8

Pour comprendre le conflit catalan, il est très intéressant de constater l’évolution


du nombre croissant de partisans de l’indépendance. En 2006, juste avant de la dure
campagne médiatique du Parti Populaire contre l’approbation du nouveau Statut
d’autonomie de la Catalogne, selon les résultats du CEO (le Centre d’Estudis d’Opinió)
il y avait qu’un 13% de catalans qui se déclaraient en faveur de l’indépendance. Quatre
ans après, en 2010, quand le Tribunal Constitutionnel a annulé 14 articles de ce statut
d’autonomie à la requête surtout d’un Parti Populaire qui a fait de cette question un
problème national, le chiffre de partisans a augmenté jusqu’à un 25%. Deux ans plus
tard et un an après l’arrivée au pouvoir du Parti Populaire, mais aussi dans un contexte
de crise économique très grave et après l’échec du mouvement des indignés, le chiffre a
atteint le 47%.9

On peut voir qu’il ne s’agit pas d’une évolution linéaire, graduel et purement
progressive, comme si cela pourrait s’expliquer simplement comme le résultat d’un
processus de nation-building ou d’endoctrinement, surtout aux écoles.10 Par contre, il
s’agit plutôt d’un changement assez abrupt et radical, un augment d’un 270% en
seulement six ans, qui est le résultat d’une série d’éloignements, divergences,
déceptions, désillusions et aussi d’un problème que j’appellerai (en voulant remarquer le
lien avec un des causes de l’émergence du mouvement des indignés espagnols) une
sorte de crise de représentation. Il faut prendre en considération que, du moins jusqu’il y
a peu, le problème du rapport entre la Catalogne et l’Espagne était plus politique que
sociale (excusez-moi si cette distinction est assurément quand même un peu forcée et
artificielle) : c’est-à-dire, le problème était non principalement avec l’Espagne comme

8
Quelques historiens et politiciens catalans ont dénoncé l’existence d’une catalanophobie en Espagne :
voir par exemple Catalanofòbia : el pensament anticatalà a través de la història (2000) de Francesc
Ferrer i Gironès. Même si je considère que cette thèse a été assez exagérée, c’est important de remarquer
que la justification de l’indépendance ne se présente pas dans ces cas comme inconditionnelle et que, par
contre, elle se base, implicitement ou explicitement, sur la croyance d’une sorte d’incompatibilité entre la
Catalogne et l’Espagne. C’est aussi pour ça que l’histoire (et aussi la pseudo -histoire) joue un rôle très
importante dans ce conflit.
9
Pour l’évolution des partisans de l’indépendance, voir :
https://ca.wikipedia.org/wiki/Estudis_del_suport_social_a_la_independ%C3%A8ncia_de_Catalunya#/m
edia/File:Ceo_onades.png
10
Gabriel Tortella a insisté sur cet endoctrinement à Cataluña en España (2017) et même, en faisant une
comparaison implicite avec la dictature de Franco, a parlé d’une formation d’esprit national(iste).

5
société (après tout, deux tiers de catalans ont de parents ou de grands-parents d’origine
espagnol) mais plutôt avec l’Espagne comme État. 11

Au-delà des arguments nationalistes et économiques, qu’il convient de rappeler


qui existent et ont une influence pas négligeable sur la population, un des plus
importants problèmes tient au fait qu’un grand nombre de catalans ne se sent pas
représentés à Madrid.12 Il faut prendre en compte que le Parti populaire, le plus grand
parti politique en Espagne, n’a jamais dépassé le 13% de suffrages aux élections
catalanes (par contre, il faut ajouter qu’aux élections espagnoles est arrivé une fois, en
2000, à un 22%). En fait, il y a un mois, aux élections du 21 décembre 2017, ce parti a
été puni aux élections et n’a obtenu qu’un très pauvre 4%. Pour cette raison, beaucoup
de catalans ont vu les mesures prises par ce parti comme une sorte d’imposition
extérieur (c’est-à-dire, espagnole et centraliste) et regrettent ne pas avoir une vrai
possibilité d’influencer au niveau national. Cela ne se passe pas seulement parmi les
partisans de l’indépendance, mais aussi parmi un bon nombre de citoyens catalans et
non nationalistes, généralement de gauche, qui ne voient pas la possibilité d’impulser
une régénération politique en Espagne et même pas, d’après eux, de changer une
constitution vieille et avec laquelle il ne serait pas possible de se confronter avec les
défis actuels.

Il faut souligner que le processus indépendantiste catalan n’est pas seulement un


processus nationaliste, même pas exclusivement catalaniste. En réalité, il est caractérisé
par une pluralité et une transversalité complexe, même contradictoire, où on trouve
éléments de gauche et de droite, progressistes et conservateurs, nationalistes et pas
nationalistes. Dans ce sens, le processus d’indépendance catalan rassemble des
personnes qui ne lutteraient jamais ensemble dans un autre contexte. En plus, il faut dire
qu’à présent l’espagnol est encore la langue la plus parlée et la plus connue en
Catalogne, particulièrement dans les villes les plus importantes du territoire comme
Barcelone et surtout dans ses alentours. D’un autre coté, on ne peut pas oublier qu’un
bon nombre des politiciens et des figures le plus représentatives de l’indépendantisme,

11
Pour voir trois perspectives différentes sur le rapport entre la Catalogne et l’Espagne, voir Cataluña y
España : encuentros y desencuentros (2010) de José Enrique Ruiz Domènec, España y Cataluña (2014)
de Henry Kamen et Anar de debò : els catalans i Espanya (2016) de Borja de Riquer.
12
Comme anecdote on peut dire que le dernier président catalan de l’Espagne a été Francesc Pi i Margall
(1824-1901), en 1873, justement un des pères du fédéralisme espagnol. Paradoxalement, il ne faut pas
exclure que le catalan Albert Rivera, qui s‘est positionné très durement contre l’indépendance de la
Catalogne, soit bientôt le suivant président, presque un siècle et demi plus tard de l’antérieur.

6
même ou spécialement de l’indépendantisme le plus engagé et radical, ne cachent pas
qu’ils ont une origine non catalane. Il n’y a pas longtemps, avec la désignation de José
Montilla comme président de la Generalitat en 2007, cela n’a pas été comme ça.

Selon les données d’une enquête très récent, d’il y a trois mois, et qui a été faite
par le CEO (le Centre d’Estudis i d’Opinió), seulement le 19% de la population catalane
se sent exclusivement catalane. 13 On peut aussi ajouter qu’il y a un an et demi, aux
élections générales espagnoles du 26 juin 2016, la formation politique la plus votée en
Catalogne, avec un 30% plus de suffrages que le deuxième parti, a été Podemos, une
formation espagnole de gauche qui par contre n’a obtenu que des résultats très pauvres
aux élections catalanes en 2014 et à nouveau en 2017. C’est-à-dire, beaucoup de
personnes qui sont en faveur de l’indépendance de la Catalogne ne votent pas les partis
catalanistes ou indépendantistes aux élections espagnoles, mais un parti espagnol dans
le but d’impulser une transformation politique dans tout l’État.14 C’est pour cela, par
exemple, que, quand Podemos était très populaire et il semblait possible de changer le
modèle d’État et économique en Espagne, le nombre de partisans pour l’indépendance
est descendu considérablement et que les mouvements le plus indépendantistes ont
essayé de discréditer cette nouvelle formation, en la comparaissant avec une nouvelle
version du lerrouxisme, le mouvement populiste anticatalan de la première moitié du
siècle XX. Dans ce contexte, il faut ajouter que l’actuelle maire de la ville la plus
importante de la Catalogne, Barcelone, est Ada Colau, justement une dirigeante de la
section catalane de Podemos. Cela peut étonner, mais il faut prendre en considération
que selon une enquête récente du CEO, d’il n’y a que deux mois, seulement un 9% de
partisans de l’indépendance a déclaré baser sa position politique dans ce conflit sur les
sentiments identitaires.

Avec ce petit nombre de données on peut déjà deviner la complexité d’un


problème catalan qu’on ne peut pas analyser avec les rigides catégories historiques du
siècle XIX. Est-il le processus d’indépendance un processus nationaliste ? Partiellement
oui, c’est évident. On ne peut pas nier ça. Mais la question à demander et dont nous

13
Pour les enquêtes du CEO, voir http://ceo.gencat.cat/ca/inici.
14
En réalité, ce n’est pas une nouveauté en Catalogne, où traditionnellement le vote aux élections
catalanes a été majoritairement dominé par la droite nationaliste de Jordi Pujol et après Artur Mas, tandis
qu’aux élections générales espagnoles a été dominé par la gauche espagnole (d’abord le PSC-PSOE et
après Podemos).

7
n’avons pas la réponse devrait être : Dans quelle mesure est nationaliste ? et on entend
quoi par nationaliste dans ce contexte ?

Il faut tenir en considération que si ce conflit est devenu aussi grand et important
c’est parce qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’indépendantistes qui ne proviennent pas du
nationalisme traditionnel, mais des déceptions d’un fédéralisme non nationaliste et
même d’un mouvement sociale ou politique comme les indignés. Une fois que les
tentatives de reformer la démocratie espagnole ont échoué, un bon nombre de citoyens
catalans se sont ralliés au processus indépendantiste sous la condition de le convertir en
un projet post-nationaliste de transformation sociale et de démocratisation. Leur but
serait d’impulser en Catalogne ce qui serait impossible de mener en Espagne. Par cette
raison, ils voient l’indépendance comme une occasion de changer les choses et, même,
pour utiliser une expression de Marina Subirats, comme une sorte « d’utopie
disponible ».15 Une utopie, bien entendu, pas dans le sens traditionnel, comme une sorte
de monde ou société idéale, mais plutôt comme une possibilité de changer quelque-
choses (quand même de déposer la monarchie) et d’encourager un vrai projet
constituant. C’est pour cela, parce que ce côté ne se correspondait pas avec le
nationalisme classique, qu’il a été invisibilisé ou sous-estimé par la presse et les
politiciens contraires à l’indépendance de la Catalogne.

Un des points le plus intéressants à observer des dernières années est comment le
mouvement indépendantiste s’est laissé influencer, au moins en apparence ou
provisoirement, par ces programmes de transformation, a utilisé des discours, des
divises et des stratégies de mouvements qui sont associés au indignés (comme la CUP)
et, même, a organisé des actes massifs de désobéissance civile. 16 Sans doute, le plus
important d’entre ces actes de désobéissance civile a été le référendum illégal du 1er
octobre, lequel a été réprimé par le gouvernement espagnol et a contribué à éloigner les
deux positions opposées dans le conflit.

Maintenant, c’est impossible de deviner comment sera exactement le


mouvement indépendantiste dans l’avenir. Cela dépendra du déroulement des
événements et de l’intensité d’un conflit qui, jusqu’à présent, au moins n’a jamais

15
https://www.eldiario.es/catalunya/Marina-Subirats-catalanes-independencia-
recambio_0_298520147.html
16
Une des contradictions d’aujourd’hui est que le parti qu’en Catalogne était le représentant traditionnel
de l’ordre et la stabilité, même la répression contre les indignés, est devenu un des représentants de la
désobéissance à l’État espagnol.

8
dérivé en violence. En plus, on peut observer que les deux côtés du conflit préfèrent
éviter la prononciation du mot nationalisme : tandis que le mouvement indépendantiste
préfère parler de république et de démocratisation, le côté appelé « unioniste » base
officiellement sa position sur la légalité et la constitution.

C’est pour cela que, en dépit que l’existence d’un « nationalisme banal » comme
l’exposé par Michael Billig est indéniable, je crois que quand même on peut assurer
que, dans l’avenir, le mouvement indépendantiste ne sera pas majoritairement ethniciste
ou xénophobe. En Catalogne, le métissage est déjà un fait quotidien, accepté et
majoritaire (en fait, je suis un très bon exemple de ça) et aujourd’hui la nation ne peut
faire référence qu’à une réalité nécessairement pluriel et hétérogène. C’est là justement
où on peut trouver un des paradoxes historiques du processus indépendantiste catalan:
auparavant, le nationalisme traditionnel avait peur des vagues migratoires qui pouvait
poser en risque la survie de la culture catalane ; aujourd’hui, une fois que les
descendants de ces immigrés ont grandi, c’est quand le problème de l’indépendance est
vraiment devenu un problème de premier ordre et une possibilité réel.

Toutefois, on pourrait ajouter un autre paradoxe : de toute façon on n’a pas pu


éviter en Catalogne une fracture sociale qui actuellement est plus forte que jamais
auparavant. L’idée d’un sol poble sonne actuellement comme un mythe ou un idéal
impossible, non à cause des questions identitaires mais à cause de la radicalisation d’un
conflit qui, en apparence, a fait impossible les solutions intermédiaires et a démoli les
ponts de dialogue. La distance entre les unionistes et les indépendantistes est plus
grande que jamais et, maintenant, il paraît impossible de trouver une solution que soit
capable de satisfaire à tous.

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