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Cahiers de Fanjeaux
Publication annuelle d’histoire religieuse
44
du Midi de la France au Moyen Âge

Moines et religieux
dans la ville
(XIIe-XVe siècle)
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Cécile CABY
Cépam (UMR 6130), Université de Nice-CNRS / Institut universitaire de France

Couvents et espaces religieux


chez Géraud de Frachet et Bernard Gui :
une topographie légendaire
des origines dominicaines1 ?

L’objectif de cette contribution est de proposer une


relecture des Vitae fratrum de Géraud de Frachet (et
notamment du chapitre quatre de la première partie) et
du De fundatione et prioribus conventuum provinciae
Tolosanae ordinis praedicatorum de Bernard Gui,
comme autant de discours construisant – à des époques et donc
dans des contextes différents de l’histoire de l’institutionnalisation
de l’ordre dominicain – la mémoire et la représentation des espaces
de vie dans l’ordre des frères prêcheurs2. Mon point de vue se situe
donc sur le plan des constructions théoriques et des représentations
collectives, plus que sur celui de leurs actualisations concrètes, non
que j’entende opposer les unes aux autres, ni encore moins accor-
der aux unes ou aux autres une plus ou moins grande validité histo-
rique : nul doute en effet que cette ou ces représentation(s) soient
soutenue(s) par des couvents bien concrets et qu’elle(s) préside(nt)
à leur tour à des fondations tout aussi concrètes3.
Dans ce cadre problématique, mon propos est double. D’une
part, tenter de cerner l’image ou les images que les frères prêcheurs
ont et entendent donner de leurs lieux de vie, dans des contextes
précis séparés par un petit demi siècle – les années 1250-1260 pour
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Géraud de Frachet, les toutes premières années du XIVe siècle pour


Bernard Gui –, au cours duquel l’ordre des frères prêcheurs a pro-
gressivement forgé sa propre identité et conquis sa place au sein de
l’Église et de la société chrétienne. D’autre part, mesurer l’impor-
tance que ces images du lieu de vie occupent dans la définition de
l’identité dominicaine4.
Si ce type de questionnement a récemment attiré l’attention des
spécialistes de l’ordre des frères mineurs5, il n’a guère retenu
l’attention en ce qui concerne les Dominicains6, dont les couvents
ont avant tout fait l’objet de travaux d’histoire de l’art ou de
l’architecture7. Il me semble qu’une telle différence historiogra-
phique peut en partie s’expliquer par les histoires respectives des
deux ordres. On connaît notamment le caractère nettement moins
conflictuel de l’ancrage des frères prêcheurs en des lieux propres8
– conséquence de leur conception de la pauvreté et de la place
qu’ils lui accordent dans la définition de leur identité et de leur
mission –, mais aussi le choix plus immédiatement urbain de ces
lieux, qui contraste avec l’alternance primordiale des frères
mineurs – et son instrumentalisation dans les débats internes à
l’ordre – entre solitude rurale et apostolat urbain9. Or, c’est précisé-
ment ce choix plus immédiatement urbain des lieux de vie domini-
cains, ainsi que le succès dont les textes de Géraud de Frachet et
Bernard Gui ont de longue date bénéficié dans l’historiographie
des couvents dominicains et des villes du Midi français, qui m’ont
convaincue de proposer cette relecture dans le cadre d’une ren-
contre sur les religieux dans la ville.

I. STRATÉGIES MÉMORIELLES ET CONSTRUCTIONS


DISCURSIVES DANS L’ORDRE DOMINICAIN

En effet, bien que (ou parce que) connus de tous pour être
fréquemment cités au détour de monographies urbaines ou
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conventuelles, la nature complexe de ces deux textes mérite que


l’on revienne, en premier lieu, sur leur typologie discursive et leur
contexte d’élaboration. Grâce aux travaux d’Alain Boureau et de
Luigi Canetti, à la thèse d’Anne Reltgen, aux recherches de
Markus Schürer sur les exempla et surtout aux recherches encore
en cours de Simon Tugwell, le texte de Géraud de Frachet est
désormais bien encadré dans une stratégie de construction mémo-
rielle de l’ordre des Prêcheurs visant à exalter collectivement la
famille dominicaine, au moyen de procédés discursifs en partie
hérités de la tradition exemplaire cistercienne10. Le De fundatione
et prioribus conventuum provinciae Tolosanae ordinis praedicato-
rum, bien que fréquemment cité et utilisé, me semble en revanche
pâtir du peu d’intérêt porté à sa typologie extrêmement complexe.
À quelques rares exceptions, concernant par exemple le couvent de
Prouille – dont les enjeux historiographiques de la fondation et
donc de la commémoration n’ont pas échappé aux historiens de
l’ordre11 –, et, récemment, le couvent de Millau auquel Géraldine
Paloc a consacré une très belle étude où elle n’hésite pas à parler à
propos du récit que fait Bernard Gui de cette fondation de « légen-
de dorée » ou d’histoire d’une fondation idéale12, l’historiographie
– aussi bien de l’ordre dominicain que des villes de la France méri-
dionale – a largement puisé au texte de Bernard Gui sans toujours
se soucier d’en définir les logiques propres. L’auteur lui-même, en
raison notamment de son obsession documentaire bien connue,
invitait la postérité – surtout à propos de couvents aux fonds
d’archives, à dire peu, décevants – à utiliser son travail comme un
gisement de documents et d’informations. Et, pourtant, tout comme
les historiens du premier Moyen Âge ont souligné le caractère cen-
tral de la fonction mémorielle des cartulaires monastiques et ses
conséquences sur leur élaboration13, nous devons nous interroger
sur la nature et la fonction de ce texte polymorphe dont on ne trou-
ve – à ma connaissance – aucun équivalent pour aucune autre pro-
vince de l’ordre des frères prêcheurs14.
La réponse est loin d’être aisée. Rappelons que le De fundatio-
ne n’est qu’une partie – la troisième – d’une compilation historique
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en cinq parties, dans laquelle se succèdent : un catalogue des


maîtres généraux, les notices concernant les provinciaux des pro-
vinces de Provence et de Toulouse, l’histoire des couvents de ces
provinces (divisées en cours de rédaction de l’œuvre), la liste des
couvents et monastères de l’ordre en 1277 et 1303 et, enfin, les
textes des chapitres généraux et provinciaux de la province de
Provence15. Sous ses aspects de vaste compilation documentaire,
cette œuvre, et notamment la partie qui nous intéresse ici, dissimu-
le évidemment une opération historiographique articulée, à la gloi-
re de l’ordre : une fonction, qui ne peut évidemment pas être pas-
sée sous silence, pas plus d’ailleurs que d’autres fonctions
connexes. Je pense par exemple à une fonction quasi-liturgique liée
à la ritualité des réunions capitulaires dont l’ordonnancement – à
savoir la disposition des différents prieurs dans l’espace – est réglé
en fonction de l’ordre chronologique de la fondation des
couvents16. La liste des couvents qui ouvre le de fundatione est
d’ailleurs organisée en fonction de la répartition spatiale des
prieurs in dextro ou in sinistro choro, tandis que l’ordre même
d’exposition décrit un va-et-vient entre le côté droit et le côté
gauche, qui dessine spatialement, lors de la célébration du chapitre
provincial, le déroulement chronologique des fondations17. On
s’explique mieux, dans ces conditions, l’importance accordée dans
le corps du texte à la chronologie relative de la fondation des cou-
vents, une chronologie parfois assez étalée dans le temps et qui va
de l’arrivée des premiers frères à la position définitive et approuvée
d’un couvent. Ainsi, à propos de la place respective des couvents
de Carcassonne et d’Agen, l’auteur précise-t-il que si les deux cou-
vents ont bien été regulariter instituti par le chapitre de
Montpellier, le fait que les frères aient été présents d’abord à
Carcassonne puis à Agen et que le couvent de Carcassonne soit
nommé avant celui d’Agen dans les actes du chapitre montpellié-
rain suffit à conférer au couvent de Carcassonne locum et gradum
prioritatis 18. De ce point de vue, le De fundatione renvoie en
quelque sorte au genre des catalogi abbatiarum, genre à la fois lit-
téraire et administratif élaboré entre les XIIe et XIIIe siècles par les
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Cisterciens pour enregistrer la succession chronologique des fonda-


tions abbatiales et leurs conséquences sur les ordres de préséance
dans l’ordre19.
Dans le détail de sa composition, le De fundatione suit un
schéma assez uniforme faisant se succéder une notice générale
(plus ou moins développée) sur les étapes de la fondation et une
liste des prieurs qui reprend d’ailleurs certains éléments de la noti-
ce introductive, tout en rendant aux hommes la préséance sur les
lieux et à l’itinérance liée à la temporalité des fonctions20 le dessus
sur une sédentarisation qui semblait l’avoir emporté. On peut
reconnaître, dans le détail de ces « fiches », les suggestions issues
de différents types documentaires. Certains sont en usage ailleurs
dans l’ordre des frères prêcheurs – telles les listes nécrolo-
giques 21 –, d’autres ne sont attestés que très rarement, tels le
presque cartulaire de Prouille 22 ou le registre de Guillaume
Pelhisson — tractatus de emptione et adquisitione secundi loci fra-
trum praedicatorum — rassemblant les instrumenta ayant trait aux
achats du couvent de Toulouse23. Certains leur sont spécifiques,
comme les définitions capitulaires, d’autres attestent de l’influence
des pratiques documentaires des villes méridionales – notamment
l’importance de l’instrumentum notarial comme principal moyen
de conservation des negotia24 – ou encore du poids des traditions
locales. À ce propos, le cas le plus emblématique est celui du cou-
vent de Limoges, à propos duquel Bernard Gui a recours à un
Libellum de fondatione conventus Lemovicensis qui ibidem
habetur25. Mais on peut également mentionner l’ajout, dans la noti-
ce sur Périgueux, d’une narration de la reconnaissance des reliques
de la tête de Denis l’Aréopagite dans le choeur de l’église reçue par
les Prêcheurs. Il s’agit certes d’un ajout postérieur à la rédaction
principale, non attribuable à Bernard Gui et attesté exclusivement
dans le manuscrit Bordeaux 780 du De fundatione, mais il y fait
très naturellement suite à une allusion de l’auteur à l’antiquité du
lieu et à la présence in loco d’une ancienne abbaye autrefois détrui-
te par les barbares26. En somme, tous ces éléments tendent à inscri-
re la fondation de Périgueux, comme celle de Castres27, dans une
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logique de refondation assez topique des récits de fondation béné-


dictins28 mais, surtout, à mettre en évidence – ici, comme on pour-
rait le faire à propos du Liber Vitae Fratrum – l’articulation com-
plexe entre universalité de l’ordre et identités locales29.

II. RITES ET LÉGENDES DE FONDATION :


ENTRE ITINÉRANCE MENDIANTE
ET SACRALITÉS CONVENTUELLES

En effet, quel que soit leur ancrage local ou régional – immé-


diatement perceptible dans le De fundatione de Bernard Gui, évi-
demment moins net dans les Vitae Fratrum, sinon précisément au
quatrième chapitre du premier livre qui nous intéresse tout particu-
lièrement –, ces deux œuvres relèvent à la fois d’une injonction
officielle et d’une étroite surveillance des instances dirigeantes de
l’ordre : Humbert de Romans et son équipe dans un cas, Aymeric
de Plaisance et Bérenger de Landorre dans l’autre. Sans m’attarder
sur ces questions, je voudrais néanmoins souligner l’importance,
pour le thème qui nous occupe, du généralat d’Humbert de Romans
et notamment des années de rédaction des Vitae Fratrum (1250-
1260) qui coïncident avec une des phases cruciales de la querelle
entre Mendiants et séculiers30. En effet, l’une des accusations aux-
quelles les frères mendiants sont alors amenés à répondre est celle
d’être gyrovagues31, un travers gravissime au regard de l’idéal de
stabilité monastique, mais aussi au regard des formes de territoria-
lisation du sacré progressivement construites par l’Église depuis la
réforme grégorienne (les paroisses, les diocèses, les dîmaires etc.)
et qui tendent toutes à assigner à chacun un locus proprius32. Dans
les années 1250-1260, le Dominicain Thomas de Cantimpré
(v. 1200-1201/v. 1270), insère d’ailleurs dans le Bonum universale
de apibus (1256-1263), un exemplum ayant pour thème cette ques-
tion et s’achevant sur ces mots : « Ainsi donc frères, n’ayez pas
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honte d’être appelés ou d’être vraiment des gyrovagues : Paul, le


docteur des nations l’a été avant vous... Vos adversaires siègent
dans leur cloître comme dans une maison et plaise au ciel que ce
soit en compagnie de Marie ! »33. Quelques années plus tard et
dans un tout autre registre, Thomas d’Aquin fournit dans le cha-
pitre dix du Contra impugnantes une réponse articulée aux argu-
ments soulevés à ce propos, notamment par Guillaume de Saint-
Amour 34 . Indépendamment de cette accusation spécifique,
soulignons que c’est également à cette même inscription de l’Égli-
se dans une géographie sacrée, que se rattachent les critiques – plus
fréquemment citées et pour cause – sur la concurrence pastorale et
les effets perturbateurs de l’implantation des couvents mendiants
sur la topographie cultuelle des villes35.
Ce faisceau de critiques ayant trait à l’insertion des Mendiants
dans les divers espaces de la chrétienté, comme les autres critiques
soulevées par les séculiers, motivent chez les Mendiants un arsenal
de réponses, visant non seulement à légitimer leurs pratiques vis-à-
vis de l’extérieur, mais aussi vis-à-vis des exigences de leur identi-
té propre, notamment la pauvreté mendiante. C’est d’ailleurs en
raison de la nature profondément identitaire des enjeux du débat
sur les loca fratrum que celui-ci prend des accents aussi drama-
tiques et conflictuels chez les frères mineurs où, loin d’être une
question marginale, le lieu de vie fonctionne comme la vitrine du
propositum. Chez les frères prêcheurs, indépendamment des débats
entre théologiens, la question met en œuvre des enjeux sans doute
moins passionnés, mais elle n’en mobilise pas moins des réponses
plurielles. L’écho qu’elle reçoit dans le recueil exemplaire de
Thomas de Cantimpré est d’ailleurs assez caractéristique de l’atten-
tion que lui accordent les instances supérieures de l’ordre à
l’époque d’Humbert de Romans. Dans son commentaire aux
constitutions dominicaines, le maître général Humbert souligne
pour sa part que, si la plupart des ordres religieux s’attachent à
définir la plus grande uniformité possible non seulement dans leurs
observances mais aussi dans leurs traits extérieurs, à savoir l’habit
et les bâtiments, il doit admettre, à son grand regret, que son ordre
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s’éloigne de cet usage. En effet, ajoute-t-il, alors que les églises et


les dépendances de ces ordres ont la même forme et sont disposées
de la même façon, il y a au contraire, dans l’ordre dominicain, à
peu près autant de formes diverses de maisons ou de dispositions
d’églises et de dépendances que de maisons (domos)36. Ce texte me
semble important à deux titres : d’une part en raison du rôle qu’il
assigne aux lieux de vie (églises et officinae formant les domus)
dans la définition identitaire des frères prêcheurs (au même titre
que l’habit), d’autre part le fait que le critère principal que ces
lieux de vie doivent respecter soit un critère d’uniformité, au nom
duquel ils peuvent constituer, comme l’habit ou les autres obser-
vances de l’ordre, un élément de son identité. Plus loin, le maître
général Humbert revient sur ce thème à propos de l’articulation
entre unité de l’ordre et identité locale. En effet, commentant le
nom des frères prêcheurs, il souligne sa spécificité par rapport à
d’autres noms d’ordres dérivant soit de la maison mère
(Cisterciens), soit de la condition de ses membres (frères mineurs),
soit de leur mode de vie, alors que le nom des frères prêcheurs
dérive a fine. C’est pourquoi il lui est d’autant plus insupportable
que les frères de certains lieux soient désignés par le nom de leurs
couvents (et de citer les exemples des couvents de Paris et de
Bologne) au point qu’on ne sache plus qu’il s’agit de frères du
même et unique ordre et que certaines nations puissent ignorer
qu’il existe un ordre des frères prêcheurs37.
Il me semble que c’est dans ce même contexte idéologique que
l’on doit comprendre l’insistance sur les maisons de l’ordre (de
diversis domibus ordinis) dans le chapitre quatre du premier livre
des Vitae fratrum. Rappelons que ce premier livre a pour fonction
d’insister sur le caractère providentiel de l’apparition de l’ordre des
frères prêcheurs : dans cet ensemble, le quatrième chapitre propose
une série de révélations concernant la fondation de tel ou tel
domus. Ce chapitre permet, comme l’a déjà souligné A. Reltgen,
d’intégrer à la mémoire collective de l’ordre les événements mira-
culeux entourant la vie de tel ou tel couvent, selon une intention
constante de Géraud qui s’efforce ainsi d’intégrer à la mémoire
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collective les miracles de tel ou tel frère. Ce que je veux ajouter ici
est que ce chapitre fonctionne comme un véritable réservoir de
mythes de fondations, tout à fait insolites dans le contexte men-
diant, et qui contribuent à légitimer, sur un mode extrêmement
proche des récits de fondation monastiques, le rapport des frères
prêcheurs à leurs lieux de vie, un rapport remis en cause par la que-
relle avec les séculiers, tant en raison de la critique de la prédica-
tion itinérante que des effets déjà mentionnés de l’implantation des
couvents en matière de territorialité cultuelle des villes. Selon un
processus mémoriel bien mis en évidence pour les discours monas-
tiques 38 , ces récits s’efforcent de légitimer le choix du lieu
d’implantation des futures maisons par une révélation dont le vec-
teur principal est, en général, la vision ou le rêve soit de fidèles
pieux, soit, à l’inverse, d’hérétiques qui ne s’en convertissent que
plus rapidement. Les modalités de la révélation sont variables,
mais deux signes reviennent de façon récurrente. Il s’agit, d’une
part et sans surprise, de signes lumineux, mode par excellence de
l’irruption du ciel sur la terre, métaphore bien enracinée des
« hommes apostoliques » et élément important des rituels de dédi-
cace39 : à Bologne, « des vignerons virent beaucoup de splendides
lumières sur le site où sont maintenant les frères », à Côme, une
femme hérétique « vit dans une vision un grand feu venir du ciel
sur le lieu où les frères vivent aujourd’hui »40. Il s’agit, d’autre
part, de signes renvoyant métaphoriquement à la fonction évangéli-
satrice des Prêcheurs, comme les deux vases débordant de miel et
de vin ou la grande et claire fontaine irriguant l’ensemble de la
ville41. Je m’attarderai davantage sur un dernier type de révélation,
onirique ou visionnaire, faisant intervenir des hommes, en général
vêtus de blancs, évoluant en procession et parfois accompagnés de
choeurs angéliques (Bologne) : Géraud rapporte ce type de révéla-
tion à propos de la désignation des loca de Montpellier, de
Limoges ou de Viterbe42. Mais c’est dans un paragraphe ajouté,
après l’approbation de son œuvre par le chapitre de Strasbourg en
1260, par Géraud lui-même (1265-1271) que se trouve le récit de
fondation le plus articulé, mais aussi le plus surprenant par sa
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conformité avec les récits monastiques équivalents. Il s’agit de la


révélation du futur site du couvent de Lisbonne, fondé en 1241 par
les rois Sanche II et Alphonse III43 :

« Avant que nous n’eussions un couvent dans la cité de Lisbonne, nos


frères avaient coutume de prêcher à l’endroit où se situe désormais le
monastère. Peu de temps avant que n’y fut posé notre couvent, des
femmes qui vivaient à côté de l’église de la bienheureuse Vierge, située
sur la colline, au dessus de notre monastère, eurent une merveilleuse
vision de leurs yeux charnels. En effet, alors que ces femmes filaient au
clair de lune, comme c’est l’usage en été, tout à coup elles virent le ciel
s’ouvrir et une échelle d’une grande beauté, faite d’or et d’argent, des-
cendre vers un figuier, près duquel j’ai moi-même souvent prêché avant
que nous n’y eussions un couvent ; l’une des extrémités de l’échelle tou-
chait le ciel et l’autre le figuier. Ensuite, elles virent aussi trois hommes
descendant de cette échelle, vêtus d’or et d’argent et magnifiquement
ornés. Le premier semblait être un sous-diacre, qui portait une très belle
croix dans ses mains, le second semblait être un diacre, portant un encen-
soir, et le troisième était vêtu comme d’habits sacerdotaux. Les trois
mirent pied à terre et firent le tour de tout le lieu de notre monastère en
l’encensant. Puis, revenus à l’échelle, ils remontèrent et pénétrèrent dans
le ciel, tirant celle-ci avec eux jusqu’à ce qu’elle eut disparu aux yeux des
femmes. Nos frères ont vu ces femmes, mais moi je n’ai pas voulu les
croire, jusqu’à ce qu’ils m’eussent amené une veuve de sainte vie qui avait
été présente lorsque cette vision s’était manifestée ; et elle me raconta tout
l’enchaînement des faits. Peu de temps après, alors que j’étais prieur, j’ai
fait construire un monastère sur ce même site, par l’autorité du chapitre
général et provincial ; nos frères y servent le Seigneur jour et nuit ».

Ce récit réemploie à l’évidence un certain nombre d’éléments


caractéristiques des récits de fondation et des récits de consécration
tels qu’ils se développent en Occident, notamment à partir des
années 1040-115044. On reconnaît en effet la référence au modèle
biblique par excellence de tout récit de fondation, à savoir le récit
de l’échelle de Jacob et de la pierre de Bethel (Genèse 28, 10-22),
ayant pour fonction de mettre en évidence l’immanence du sacré
dans le paysage de fondation45. Mais à ce modèle se greffe celui
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des rituels de consécration tels qu’ils sont fixés dans les pontifi-
caux, notamment (pour notre période) ceux d’Innocent III et
Innocent IV et celui de Guillaume Durand. On y retrouve, en effet,
le caractère processionnel – auquel renvoient également un certains
nombre d’autres récits déjà cités –, l’usage des encensements qui,
comme les lustrations, constituent une étape importante du rite de
consécration, du signe de la croix, enfin, l’importance de la figure
du cercle, notamment la procession circulaire et sa logique de
sacralisation de l’espace. Cet écho ponctuel à des gestes ayant pour
fonction de sacraliser l’espace est d’autant plus intéressant que,
indépendamment de cet exemple, les Vitae Fratrum mettent à plu-
sieurs reprises en scène la bénédiction et l’aspersion de lieux de vie
communs – notamment le dortoir – en particulier par la Vierge ou
par des processions angéliques, comme pour mieux affirmer le
caractère sacré des lieux de vie, par-delà le moment inaugural de la
fondation46.

Le contexte d’écriture et la typologie du De fundatione suffi-


sent à expliquer que ce type de récits construisant par l’efficacité
du mythe la légitimité de la fondation et du lieu de fondation des
couvents n’y aient pas trouvé la même place que chez Géraud de
Frachet. Bernard Gui insiste davantage sur un autre type de légiti-
mation de nature institutionnelle – et qui peut, pour cela, nous sem-
bler plus réelle –, à savoir la réalisation d’enquêtes préalable (Riez,
Saint-Sever, Saint-Girons, Draguignan) à la recherche d’un locus
expediens, puis la succession en apparence mécanique et parfaite-
ment réglée des différentes formes d’approbation de l’ordre47. En
réalité, il me semble méthodologiquement dangereux d’opposer
une forme providentielle de légitimation des loca fratrum, à laquel-
le Bernard Gui ne méprise d’ailleurs pas de recourir48, et une forme
institutionnelle, deux vecteurs de légitimité qui ne s’excluent sans
doute pas aux yeux des hommes du Moyen Âge. Mais il faut sur-
tout replacer le texte de Bernard Gui dans un contexte très différent
du milieu du 13e siècle. Bernard Gui écrit à une époque où les cou-
vents de son ordre se sont largement déployés et monumentalisés
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– en témoigne la façon très naturelle avec laquelle il insère au cur-


riculum prioral la fonction de bâtisseur et de restaurateur des bâti-
ments conventuels –, à tel point que la papauté, en la personne de
Boniface VIII (lettre Cum ex eo), s’est souciée de réglementer les
nouvelles implantations mendiantes et notamment les éventuels
transferts de couvents49. Or, cette intervention pontificale contribue
d’ailleurs sans doute à expliquer le ralentissement du rythme des
positions de couvents dans le Midi, entre 1295 et 130550.
Il serait, en outre, erroné de négliger le poids accordé par
Bernard Gui aux gestes rituels destinés à sacraliser les lieux des
frères et à construire une cohésion de la société locale autour des
couvents51. De ce point de vue, il sera nécessaire d’approfondir la
surabondance des références, dans le De fundatione, aux divers
gestes et rituels de sacralisation des espaces conventuels52 :
– processions solennelles ;
– célébrations de la première messe dans une église trouvée en
place et éventuellement remaniée, dans une nouvelle église,
voire sans église53, en vertu notamment du privilège de dis-
poser d’autels portatifs reçu depuis 122154 ;
– poses de la première pierre : de l’église, du couvent voire
d’édifices particuliers, comme le chapitre ou encore la domus
de Brive (1276), abritant le réfectoire au rez-de-chaussée et
le dortoir à l’étage, objet d’une cérémonie particulièrement
solennelle au cours de laquelle se déroule d’ailleurs un
signum vel presagium futurorum longuement glosé par
l’auteur55 ;
– bénédictions des cimetières 56, d’autant plus importantes
compte tenu de l’importance de la pastorale funéraire des
Mendiants, mais aussi du rôle de l’ensevelissement des
défunts dans le processus de sédentarisation des communau-
tés mendiantes ;
– enfin consécrations des églises, somme toute secondaires au
regard de la célébration des premières messes.
Émerge ainsi un ensemble de gestes rituels, réalisés en présen-
ce de la communauté civique et par différents acteurs : des clercs
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surtout, mais aussi des laïcs, ceux que Bernard Gui nomme patrons
du lieu – en employant un terme dont il faudrait d’ailleurs appro-
fondir l’usage spécifique dans l’ordre57 – et qui procèdent très nor-
malement à la pose de la première pierre, conformément à un usage
très ancien que les pontificaux du XIIIe siècle avaient pourtant
cherché à écarter au profit de la cléricalisation de ces gestes.

Par ces remarques, je n’entends d’aucune façon réduire la part


d’innovation ni des ordres mendiants en général, ni de leurs pra-
tiques tout à fait particulières de l’espace. Ce que je veux souligner
est la façon dont ces pratiques, et plus encore les discours qui les
accompagnent, s’inscrivent dans des traditions à la fois textuelles
(les récits de fondation), liturgiques (les ordines de consécration)
mais aussi canoniques (le caractère perpétuel de la sacralité des
lieux consacrés et ses conséquences sur la reprise de lieux de culte
antérieurs), consciemment réélaborées en fonction des coordonnées
identitaires spécifiques au nouveau monachisme mendiant.
Soulignons, à titre d’exemple, la façon dont les récits de fondation
recueillis par Géraud de Frachet déplacent radicalement le cadre
des récits traditionnels, auxquels ils empruntent, au demeurant, un
certain nombre de schémas narratifs et de clichés. Ainsi, ce n’est ni
dans une forêt profonde, ni dans un lieu reculé, ni dans un paysage
rural que se manifeste la révélation divine du locus dominicain,
mais dans une parcelle de vigne (vinea) ou un jardin (ortum) carac-
téristiques des paysages suburbains, au détour d’une rue de
Bologne fréquentée par un père et son fils et si proche du monastè-
re urbain de San Procolo qu’ils croient entendre les chants des
moines, ou depuis une maison à étages de Viterbe de la fenêtre de
laquelle il est possible de voir au-delà des murs. Enfin, ce n’est pas
par le truchement d’un animal sauvage que le lieu saint est révélé,
mais par la vision d’une fontaine, semblable à celles que les com-
munes urbaines s’efforçaient alors de construire au nom du bien
commun58.
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370 CAHIERS DE FANJEAUX 44

III. HIÉRARCHIES ET TRANSFERTS DES LIEUX DE VIE


DOMINICAINS

Dans le même ordre d’idée, il aurait fallu tenter d’analyser la


façon dont nos deux textes mettent en scène les espaces des frères,
les rapports entre les différents lieux conventuels, leur hiérarchie
au sein de l’espace conventuel, qui s’expriment notamment par les
priorités accordées à tel ou tel bâtiments dans la gestion séquentiel-
le des chantiers, le tout en fonction des contraintes liées au cadre
urbain et à leur perception. Je me contenterai de souligner ici,
comme à propos des récits de fondation, les emprunts – particuliè-
rement évidents chez Géraud de Frachet – aux traditions cister-
ciennes et canoniales de réflexion symbolique sur les espaces
monastiques et de critique des superfluitates édilitaires au profit
exclusif de l’utilitas et du respect des observances communau-
taires.
Le paragraphe seize de la deuxième partie des Vitae fratrum,
consacrée à Dominique, est à ce titre emblématique59. Le texte met
en scène un dialogue entre Dominique et le diable qui – par une
sorte de rituel inversé – parcourt en cercle les espaces conventuels
pour en tirer tout le profit (lucrum) possible60. En réponse aux
questions de Dominique, le diable précise ce qu’il tire des tenta-
tions des frères dans les différents lieux composant le couvent : le
dortoir, l’oratoire, le réfectoire et le parloir. Mais il s’enfuit à la
seule vue du chapitre qui constitue, dit-il, son enfer car il y perd
tout le gain acquis ailleurs, ce qui explique qu’il haïsse cette pièce
plus que toute autre. Quelle que soit sa part d’originalité, cet exem-
plum renvoie clairement à une tradition d’exégèse symbolique des
lieux de vie monastique, particulièrement bien représentée dans la
littérature cistercienne du XIIe et du début du XIIIe siècle61, mais
également dans celle des chanoines réguliers de la même époque,
comme Hugues de Fouilloy, (mort en 1174) auteur d’un traité De
claustro animae dans la circulation duquel les Dominicains jouè-
rent un rôle déterminant. En effet, non seulement le traité est
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TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 371

conseillé à la lecture des novices par Humbert de Romans, mais


Vincent de Beauvais en insère un ample florilège dans le Speculum
historiale (lib. 27, cap. 18-57) – notamment un choix de textes
concernant la vie claustrale et ses caractéristiques, tirés du premier
livre du De claustro, ainsi que les abus et la signification symbo-
lique de certains édifices claustraux, tirés du livre III –, qu’il glose
afin d’en faciliter la lecture ou d’en actualiser le contenu62.

Le dernier aspect que je veux aborder en guise d’épilogue est


celui de la perception des transferts de lieux ou de couvents. Il
s’agit en effet d’autant de situations de rupture et de crise de la
délicate construction de l’espace des communautés religieuses,
dont la résolution et la mise en scène discursives me semblent en
mesure d’éclairer la représentation dominicaine des couvents et des
espaces de vie communautaire. Le texte de Bernard Gui a, en outre,
souvent été utilisé comme une source documentaire attestant de ce
mouvement centripète de déménagement des couvents en direction
des centres urbains, par ailleurs documenté, pour les frères prê-
cheurs tout comme pour les autres ordres, au détour des définitions
capitulaires, des chartes, des bulles pontificales voire des enquêtes
archéologiques63. Le point de vue est ici un peu différent puisqu’il
s’agit, comme précédemment, de nous attacher aux stratégies de
discours mises en œuvre par nos deux auteurs à propos de ces
transferts.
Les transferts de couvents, et donc l’abandon ou la reconver-
sion d’un lieu primitif, l’acquisition (par l’achat ou le don) d’un
nouveau lieu et son aménagement, provoquèrent très rapidement
des réactions inquiètes dans l’ordre des frères mineurs. Ainsi, à la
fin des années 1250, Thomas d’Eccleston déplore-t-il l’absence de
prévoyance des frères qui, en se contentant de lieux sordides et mal
bâtis, au nom de la pauvreté, finissaient par desservir cet esprit de
pauvreté, dès lors qu’il fallait très vite rebâtir à plus grand frais des
couvents devenus incompatibles avec la croissance démographique
de l’ordre et l’affirmation de sa mission pastorale64. Par ailleurs, les
instances dirigeantes de l’ordre, comme Jean de Parme et
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372 CAHIERS DE FANJEAUX 44

Bonaventure, tentèrent de discipliner ces pratiques en les soumet-


tant à l’autorisation préalable du ministre général65. Je n’ai pas,
dans l’état actuel de mes recherches, repéré dans les constitutions
une telle attention de la part des instances dirigeantes de l’ordre
dominicain, mais la question n’en était pas moins sensible, comme
le souligne un exemplum de Géraud de Frachet mettant en scène,
sur fond de conflit avec les séculiers, les menaces proférées par les
puissances diaboliques contre l’ordre dominicain : « Deux de nos
plus grands princes sortiront contre vous. Le premier afin que les
prélats et les princes s’élèvent contre vous. Le second pour vous
bloquer et vous perturber par des changements de lieux, de bâti-
ments et d’opinions ». Les mutationes locorum et edificiorum ne
sont donc rien d’autre qu’un des effets des persécutions diabo-
liques contre l’ordre66.
Dans le chapitre quatre du premier livre, le thème apparaît au
détour de trois courts paragraphes, ajoutés après 1260 et visant à
justifier le très nécessaire transfert de la maison de Strasbourg
(summe necessariam translationem domus Argentinensis). Il s’agit,
sans surprise, d’un transfert de l’extérieur à l’intérieur de la ville,
datant de 1251, soit presque trente ans après la première installa-
tion. Le premier lieu – à propos duquel l’auteur se garde de rappor-
ter le moindre récit de révélation – est extérieur aux murs et jugé
impropre à l’habitat ; le second est optimus voire eminentissimus,
mais son acquisition est semé d’infinita impedimenta que seule la
confiance dans les signes concédés par Dieu permet de
surmonter67. Ailleurs, Géraud évoque une autre mutatio dont il fut
l’un des principaux acteurs, en tant que prieur de Limoges, à
l’époque où la communauté abandonna le premier lieu propter
multas ineptitudines et se transféra en un locum novum, désigné par
des signes providentiels et acquis grâce à la très miraculeuse assis-
tance financière de la Vierge en personne68.
Bernard Gui mentionne pour la province de Toulouse huit
mutationes de communautés d’un locus à un autre – dont celle de
Limoges à propos de laquelle il cite d’ailleurs les Vitae fratrum69.
Le phénomène était sans doute plus diffus encore70. S’il est assez
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TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 373

disert sur les nouveaux lieux d’implantations, Bernard Gui ne dit rien
ou presque rien des sites abandonnés, alors que la législation cano-
nique, reprise d’ailleurs par Boniface VIII, ne laissait pas au hasard
le sort des lieux consacrés (en particulier les églises et les cimetières)
et interdisait notamment que ces lieux soient abandonnés à des
usages profanes 71. On apprend de fait, au détour d’une rapide
remarque, que, à Toulouse, les maisons de Pierre Seilhan, reçues en
1215 et abandonnées pour le site de Saint-Romain, ne furent pas
totalement délaissées puisque l’Inquisition y fut installée en 130372.
C’est d’ailleurs en qualité d’inquisiteur que Bernard Gui y habita
entre 1307 à 1324, s’efforçant sans doute alors d’y raviver et d’y per-
pétuer les souvenirs de la fondation de l’ordre et du séjour de saint
Dominique73. Quant au site de Saint-Romain, abandonné en raison
de son étroitesse après environ quinze ans de résidence, son église y
fut totalement délaissée par les frères, au grand regret de Bernard
Gui (prefatam ecclesiam patri nostro gratis collatam et confirmatam
filii improvide penitus deserentes) mais aussi en contradiction avec le
droit ecclésiastique 74. Dans un autre cas, celui de Montauban,
Bernard Gui évoque à regret l’abandon des dépouilles d’un prieur
sur le premier site perturbé par une crue du Tarn75, soulignant a
contrario l’usage de transférer les cimetières et l’importance de ces
espaces funéraires dans la sédentarisation des communautés, une
importance déjà signalée à propos de l’exubérance rituelle dont ces
espaces font l’objet. Ajoutons au passage que les inondations étaient
précisément un des motifs évoqués par le droit canon pour légitimer
le déplacement des cimetières76. À l’inverse, à Lectoure, on apprend
incidemment que le premier site, bien qu’abandonné, était resté entre
les mains des frères. En effet, alors que le conventus de Lectoure
avait été officiellement institué depuis 1287, sur un site occupé
depuis l’année précédente, en 1296, le prieur fait transférer sa com-
munauté infra villam77. Mais dix ans plus tard, les frères reviennent
sur le premier site en raison de l’étroitesse et sans doute des intru-
sions laïques dans le site du centre urbain78.
Bernard Gui n’évoque pas toujours les motifs explicites de ces
transferts et plus rarement encore les éventuelles difficultés de tous
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374 CAHIERS DE FANJEAUX 44

ordres qu’ils engendrèrent, si ce n’est au travers de la lenteur des


chantiers. Quand il le fait, il invoque souvent des motivations pas-
torales, liées aux difficultés des va-et-vient entre extérieur et inté-
rieur des centres habités : un motif qui contraste avec l’idéal du
prédicateur itinérant sans lieu propre et qui souligne une fois enco-
re le degré avancé de la sédentarisation des communautés de
Prêcheurs dans les premières années du XIVe siècle. Il invoque
aussi des facteurs environnementaux, comme le caractère inon-
dable ou insalubre de zones trop proches des fleuves ou des marais
(Carcassonne et Montauban)79. Ces facteurs renvoient, sans nul
doute, à des aspects concrets de l’hydrographie méditerranéenne ou
du développement urbanistique des centres habités qui, dans les
années où les Prêcheurs se présentaient à leurs portes, ne dispo-
saient plus guère d’espaces libres dans leurs centres. Mais il me
semble que ces explications n’épuisent pas la question. Là où
Bernard Gui ne mentionne pas de motifs spécifiques – soit par
manque d’information, soit parce qu’une telle motivation n’est pas
jugée nécessaire à la logique de son discours –, il oppose systéma-
tiquement des lieux caractérisés par l’ineptitudo et l’inconvenientia
et des lieux honestiores. Or, les termes employés par Bernard Gui
sont ceux-là mêmes que l’on retrouve dans les chartes et dans les
bulles pontificales et qui renvoient aussi bien à des aspects maté-
riels – comme l’étroitesse des terrains ou leur distance vis-à-vis des
centres urbains –, qu’à des aspects symboliques – comme le plus
ou moins grand prestige social qui fait de certains espaces des lieux
optimi voire eminentissimi dans l’espace urbain –, voire juridiques
– la législation canonique sur les mutationes loci. Or, ces différents
aspects – notamment le matériel et le symbolique – ne parviennent
pas toujours à être combinés harmonieusement, tant du point de
vue des frères, que transmet Bernard Gui, que de celui des commu-
nautés urbaines, que d’autres types de sources éclairent occasion-
nellement80. Ainsi, à Toulouse, où, en raison de son étroitesse, le
site de Saint-Romain se révèle rapidement incompatible avec la
nécessaire expansion des frères, ou à Lectoure où cette même étroi-
tesse a finalement raison du site infra muros, qui, pourtant, avait un
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TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 375

temps été perçu comme plus valorisant au point qu’on avait choisi
de s’y transférer.
Reste que Bernard Gui – qui écrit après l’intervention du pape
Boniface VIII visant entre autres à discipliner les transferts, dont
l’exemple de Millau montre toute la charge conflictuelle dont ils
étaient potentiellement porteurs, dans des villes dont les centres
étaient déjà densément construits – entend donner de ces muta-
tiones une image apaisée, aussi bien du point de vue de l’ordre
– d’où leur insertion sans heurt dans la succession des prieurs et
l’insistance sur la motivation pastorale des transferts –, que de
l’institution ecclésiale ou des communautés d’accueil. C’est en ce
sens qu’il faudrait d’ailleurs approfondir l’insistance de notre
auteur sur les rituels accompagnant ces transferts – comme les pro-
cessions solennelles, à des dates apparemment choisies pour leur
valeur symbolique –, autant de gestes créateurs d’un espace et
d’une communauté sociale unifiée autour du couvent81.

CONCLUSION

On peut avoir, à l’issue de ce parcours, la sensation d’être resté


sur sa faim. Point d’études de cas – alors qu’il en manque encore
ou qu’il faudrait reprendre certaines –, point de relevé topogra-
phique de la présence conventuelle dans le tissu urbain, point
d’analyse de l’impact économique des chantiers conventuels, de
leurs abandons, de leurs reprises ailleurs. Tel était le risque – à mes
yeux nécessaire – de cette approche, pour ainsi dire propédeutique,
ici limitée à deux textes fondamentaux pour la compréhension de
l’implantation méridionale des Prêcheurs. Une approche se situant
en amont de l’enquête proprement dite et destinée à tenter de réper-
torier, de définir et de comprendre d’une part les stratégies discur-
sives entourant – c’est-à-dire précédant ou, plus souvent, traduisant
dans le champ du discours des pratiques expérimentées de façon
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376 CAHIERS DE FANJEAUX 44

pragmatique – le choix (et l’éventuel transfert) du lieu de vie par


les communautés religieuses, d’autre part l’articulation entre ces
stratégies discursives et celles qui visent à la définition du genre de
vie religieux dont ces mêmes communautés se réclament.

Notes

Sigles et abréviations

Sources
– Bullarium Franciscanum : Johannes Hyacinthus Sbaralea, Bullarium francis-
canum, Rome : Typis Sacrae Congregationis de Propaganda Fide, t. II, 1761,
et t. IV, 1768.
– De fundatione : Bernardus Guidonis De fundatione et prioribus conventuum
provinciarum Tolosanae et Provinciae ordinis Praedicatorum,
éd. Paul Amargier, Rome (Monumenta ordinis fratrum predicatorum historica,
24), 1961.
– Humbert, Opera de vita regulari : Humbert de Romans, Opera de vita regula-
ri, éd. J. J. Berthier, t. II, Rome : A. Befani, 1889.
– Vitae fratrum : Géraud de Frachet, Vitae fratrum ordinis Praedicatorum,
éd. Benedictus Maria Reichert, Rome, Stuttgart, 1897 (Monumenta ordinis
fratrum predicatorum historica, 1).

Travaux
– AFP : Archivum fratrum Praedicatorum.
– CF : Cahiers de Fanjeaux.
– CF 16 : Bernard Gui et son monde (1261-1331). CF 16, 1981.
– CF 36 : L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale. CF 36,
2001.
– Caby, « Il costo dell’inurbamento » : Cécile Caby, « Il costo dell’inurbamento.
Monaci e frati a confronto », dans L’economia dei conventi, 295-338.
– Construction de l’espace : Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques
et représentations. Actes du XXXVIIe Congrès de la SHMES (Mulhouse, 2-4
juin 2006), Paris : Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiéva-
le, 96), 2007.
– Delisle, Notice : Léopold Delisle, Notice sur les manuscrits de Bernard Gui,
Paris : Imprimerie nationale, 1879.
– L’economia dei conventi : L’economia dei conventi dei frati Minori e
Predicatori fino alla metà del Trecento. Atti del XXXI Convegno internaziona-
02/2° PARTIE 221-388 25/05/09 20:08 Page 377

TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 377

le della Società internazionale di studi francescani e del Centro interuniversi-


tario di studi francescani (Assisi, 9-11 ottobre 2003), Spolète : Fondazione
CISAM, 2004.
– Kaeppeli, Scriptores : Thomas Kaeppeli, Emilio Pannella, Scriptores Ordinis
Praedicatorum Medii Aevii, Rome : Typis polyglottis Vaticanis, 1970-1994,
4 vol.
– Lauwers, Naissance du cimetière : Michel Lauwers, Naissance du cimetière.
Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris : Aubier, 2005.
– Meerssemann, « L’architecture dominicaine » : Gilles Gérard Meerssemann, «
L’architecture dominicaine au XIIIe siècle. Législation et pratique », AFP, 16,
1946, p. 136-190
– MÉFRM : Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge.
– Paloc, « Millau » : Géraldine Paloc, « Les frères Prêcheurs et la ville :
l’exemple de Millau », CF 36, p. 81-98.
– Reltgen, La mémoire d’un ordre : Anne Reltgen, La mémoire d’un ordre : les
«hommes illustres » de la tradition dominicaine (XIIIe-XVe siècle), thèse de
doctorat de l’université Paris X – Nanterre, novembre 1999, à paraître.
– Remensnyder, Remembering : Amy G. Remensnyder, Remembering Kings
Past : Monastic Foundation Legends in Medieval Southern France, Ithaca,
Londres : Cornell University Press, 1995.
– Vicaire, Les Prêcheurs : Marie-Humbert Vicaire, Les Prêcheurs et la vie reli-
gieuse des Pays d’Oc au XIIIe siècle, Toulouse : Privat (Cahiers de Fanjeaux,
Hors-série, 1), 1998.
– Volti, Les couvents : Panayota Volti, Les couvents mendiants et leur environ-
nement à la fin du Moyen Âge. Le nord de la France et les anciens Pays-Bas
méridionaux, Paris : CNRS, 2003.

[1] Ce titre s’inspire librement de celui de Maurice Halbwachs, La topogra-


phie légendaire des Évangiles en Terre Sainte. Étude de Mémoire collective,
Paris, 1941. Tous mes remerciements vont à Agnès Dubreil-Arcin pour ses sug-
gestions et à Michel Lauwers, sans l’inspiration duquel je n’aurais sans doute
jamais imaginé cette contribution. – [2] Sur les représentations de l’espace
comme objet historique, voir Alain Guerreau, « Il significato dei luoghi
nell’Occidente medievale : struttura e dinamica di uno ‘spazio’ specifico », dans
Arti e storia nel Medioevo. I. Tempi. Spazi. Istituzioni, dir. Enrico Castelnuovo,
Giuseppe Sergi, Turin : Einaudi, 2002, 201-239 ; id., « Structure et évolution des
représentations de l’espace dans le Haut Moyen Âge occidental », dans Uomo e
spazio nell’alto medioevo, Spolète : CISAM (Settimane di studio del Centro ita-
liano di studi sull’alto Medioevo, 50), 2003, 91-115 ; Jérôme Baschet, La civili-
sation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris : Aubier,
2004, 319-353 ; Construction de l’espace. Sur le rôle de l’espace dans la
construction mémorielle des ordres religieux, voir les quelques suggestions
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378 CAHIERS DE FANJEAUX 44

réunies dans Cécile Caby, « Fondation et naissance des ordres religieux :


Remarques pour une étude comparée des ordres religieux au Moyen Âge », dans
Mittelalterliche Orden und Klöster im Vergleich. Methodische Ansätze und
Perspektiv, éd. Gert Melville, Anne Müller, Münster : LIT (Vita regularis, 34),
2007, 115-137. – [3] D’une manière générale, je ne renverrai donc pas en note
aux études monographiques de couvents, auxquelles on accédera grâce aux
contributions de Nelly Pousthomis et François Guyonnet dans ce volume, qui
signalent les enquêtes historiques et archéologiques les plus récentes. – [4] Sur
ce type d’approche, voir en dernier lieu Gert Melville, « Unitas e diversitas.
L’Europa medievale dei chiostri e degli ordini », dans Europa in costruzione. La
forza delle identità, la ricerca di unità (secoli IX-XIII), éd. Giorgio Cracco,
Jacques Le Goff, Hagen Keller, Gherardo Ortalli, Bologne : Il Mulino (Annali
dell’Itituto storico italo-germanico in Trento. Quaderni, 69), 2006, 357-384 :
373-378. – [5] Voir en particulier Grado Giovanni Merlo, Au nom de saint
François : histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du
XVIe siècle, trad. fr. Paris : Le Cerf, 2005, 57-66 ; Jacques Dalarun, « Les mai-
sons des frères : matériaux et symboliques des premiers couvents franciscains »,
dans Le village médiéval et son environnement. Études offertes à Jean-Marie
Pesez, dir. Laurent Feller, Perrine Mane et Françoise Piponnier, Paris :
Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale, 48), 1998, 75-95,
rééd. dans Les espaces sociaux de l’Italie urbaine (XIIe-XVe siècles) : recueil
d’articles, Paris : Publications de la Sorbonne (Réimpressions, 8), 2005, 245-
265 ; Gisèle Besson, « Locus et conventus : un état des ‘lieux’ franciscains chez
Salimbene de Adam », Médiévales, 48, 2005 [disponible en ligne : http ://medie-
vales.org/documents844.html]. – [6] Voir toutefois les remarques très sugges-
tives à propos de la perception de l’espace dominicain à l’échelle des provinces
ou des territoires de prédication dans Bernard Montagnes, « Un arbitrage entre
les prêcheurs de Fanjeaux et de Revel (7 août 1397) », AFP, 65, 1995, 305-314 ;
Simon Tugwell, « The Evolution of Dominican Structures of Government. II.
The First Dominican Provinces », AFP, 70, 2000, 5-109, et Paul Bertrand,
Ludovic Viallet, « La quête mendiante : espace, pastorale, réseaux », dans
L’Historien en quête d’espaces, dir. Jean-Luc Fray, Céline Pérol, Clermont-
Ferrand : Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004, 347-369 : 355-366. Pour
comparaison, voir Sylvain Excoffon, « Les chartreuses et leurs limites », dans
Construction de l’espace, 87-101. – [7] Les deux approches non seulement se
rencontrent sur de nombreux points et ont sans doute tout à gagner d’une com-
munication accrue. Au sein d’une production pléthorique, je me contente de
signaler : Meerssemann, « L’architecture dominicaine » ; La naissance et l’essor
du gothique méridional au XIII e siècle. CF 9, 1974 ; Richard A. Sundt,
« Mediocres domos et humiles habeant fratres nostri : Dominican Legislation
on Architecture and Architectural Decoration in the 13th Century », The Journal
of the Society of Architectural Historians, 46, 1987, 394-407 (qui renvoie à la
02/2° PARTIE 221-388 25/05/09 20:08 Page 379

TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 379

bibliographie antérieure) ; id., « The Jacobin Church of Toulouse and the Origin of
Its Double-Nave Plan », The Art Bulletin, 71, 1989, 185-207. Pour élargir aux
autres Mendiants : Wolfgang Schenkluhn, Architettura degli Ordini mendicanti :
lo stile architettonico dei Domenicani e dei Francescani in Europa, Padoue,
2003 ; Volti, Les couvents (très stimulant malgré les limites imposées par la
faible disponibilité des sources régionales), et ead., « L’explicite et l’implicite
dans les sources normatives de l’architecture mendiante », Bibliothèque de
l’École des chartes, 162, 2004, 51-73 ; Caroline Bruzelius, « The Dead Come to
Town : Preaching, Burying, and Building in the Mendicant Orders », dans The
Year 1300 and the Creation of a New European Architecture, éd. A. Gajewski,
Z. Opacic, Turnhout : Brepols, 2007, 203-224, qui renvoie notamment à l’infinie
bibliographie italienne (je remercie André Vauchez et Nicole Bériou de m’avoir
facilité l’accès à cet article). – [8] Marie-Humbert Vicaire, Dominique et ses
Prêcheurs, Fribourg, Paris, 1977, 222-265, et id., « Povertà. Predicatori », dans
Dizionario degli Istituti di Perfezione, Rome, 1983, 310-318 ; Florent Cygler,
« L’économie des frères prêcheurs dans la législation de l’ordre (XIIIe-début
XIVe siècle) », dans L’economia dei conventi, 77-118. – [9] Giulia Barone,
« L’ordine dei predicatori e le città. Teologia e politica nel pensiero e nell’azio-
ne dei Predicatori », MÉFRM, 89, 1977, 2, 609-618 ; C. Caby, « Les implanta-
tions urbaines des ordres religieux dans l’Italie médiévale. Bilan et propositions
de recherche », Rivista di Storia e Letteratura Religiosa, 1999, 151-179 (avec
renvois bibliographiques). Sur le rôle du contexte languedocien dans ce choix
urbain originel, cf. Jean-Louis Biget, « Saint Dominique, la société du
Languedoc, les bons hommes et les vaudois (1206-1217) », dans Domenico di
Caleruega e la nascita dell’ordine dei frati predicatori. Atti del XLI Convegno
storico internazionale (Todi, 10-12 ottobre 2004), Spolète : CISAM, 2005, 131-
179, ici 153-158. – [10] Par ordre de parution, voir Alain Boureau, « Vitae
Fratrum, Vitae Patrum. L’ordre dominicain et le modèle des pères du désert au
XIIIe siècle », MÉFRM, 92/1, 1987, 79-100 ; Luigi Canetti, L’Invenzione della
memoria. Il culto e l’immagine di Domenico nella storia dei primi frati
Predicatori (1221-1260), Spolète, 1996 ; Reltgen, La mémoire d’un ordre ; ead.,
« L’historiographie des Dominicains du Midi : une mémoire originale ? »,
CF 36, 395-414 ; S. Tugwell, « L’évolution des vitae fratrum. Résumé des
conclusions provisoires », ibid., 415-418 ; Markus Schürer, « Mémoire et histoi-
re dans l’ordre des Prêcheurs vers le milieu du XIIIe siècle », dans Écrire son
histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Saint-Étienne :
Publications de l’Université de Saint-Étienne (CERCOR, Travaux et Recherches
18), 2005, 147-169 ; en revanche je n’ai pas pu consulter du même auteur Das
Exemplum oder die erzählte Institution. Studien zum Beispielgebrauch bei den
Dominikanern und Franziskanern des 13. Jahrhunderts, Münster : LIT (Vita
regularis 23), 2005. Des précisions utiles sur le parcours de Géraud dans
Régis Rech, « Géraud de Frachet : l’engagement d’un historien au XIIIe siècle.
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Édition de sa chronique universelle », dans Position des thèses de l’École natio-


nale des chartes, 1993, 141-147, et id., « La diffusion de la Chronique universel-
le de Géraud de Frachet », dans Église et culture en France méridionale (XIIe-
XIVe siècle). CF 35, 2000, 391-422. – [11] Charles Peytavie, « Construction de
deux lieux de mémoire dominicaine : Prouille et Fanjeaux (XIIIe-XIVe siècle) »,
dans CF 36, 419-446 ; S. Tugwell, « For whom was Prouille founded ? », AFP,
74, 2004, 5-125. – [12] Paloc, « Millau », 81-98. – [13] Cf. Les cartulaires.
Actes de la table ronde organisée par l’École nationale des Chartes et le
GDR 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), éd. Olivier Guyotjeannin,
Laurent Morelle, Michel Parisse, Paris : École des chartes (Mémoires et docu-
ments de l’École des chartes, 39), 1993 ; et, pour le Midi, Pierre Chastang, Lire,
écrire, transcrire : le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc
(XIe-XIIIe siècle), Paris : CTHS, 2001 ; Les cartulaires méridionaux, dir. Daniel
Le Blévec, Paris : École des chartes (Études et rencontres de l’École des chartes,
19), 2006. – [14] Sur la typologie de la documentation produite dans l’ordre des
frères prêcheurs, on partira de Dino Puncuh, « Cartolari monastici e conventua-
li : confronti e osservazioni per un censimento », et Attilio Bartoli Langeli,
Nicolangelo D’Acunto, « I Documenti degli ordini mendicanti », dans Libro,
scrittura, documento della civiltà monastica e conventuale nel Basso medioevo
(secoli XIII-XV), dir. G. Avaracci, R. M. Borracini Verducci, G. Borri, Spolète,
1999, 341-380 et 381-415 ; A. Bartoli Langeli, Gian Paolo Bustreo, « I documen-
ti di contenuto economico negli archivi conventuali dei Minori e dei Predicatori
nel XIII e XIV secolo », dans L’economia dei conventi, 119-150. Les comparai-
sons possibles avec les chroniques conventuelles, fréquentes en Toscane, s’arrê-
tent assez vite : cf. Emilio Panella, « Cronica fratrum dei conventi domenicani
umbro-toscani (secoli XIII-XV) », AFP, 68, 1998, 223-294. En revanche,
quelques points de comparaisons intéressants avec le Liber privilegiorum provin-
cie Romane ordinis Predicatorum de Pérouse, cf. E. Panella, « Libri della provin-
cia Romana dei Predicatori ad uso dei frati », dans Livres, lecteurs et biblio-
thèques de l’Italie médiévale (IXe-XVe siècle). Sources, textes et usages, Rome,
Paris : ICCU-CNRS, 2001, 277-300 : 277-287. – [15] Pour une première
approche de ce texte, voir Delisle, Notice, 316-329 ; Paul Amargier, « Intro-
duction », dans De fundatione, V-XXII ; B. Montagnes, « Bernard Gui dans l’his-
toriographie dominicaine », CF 16, 183-204 : 184-187 ; S. Tugwell, introduction
à Bernard Gui, Scripta de sancto Dominico, éd. id., Rome (MOFPH, 27), 1998. –
[16] Sur l’attention de Bernard Gui aux logiques spatiales du rituel voir les
remarques de Anne-Marie Lamarrigue, « Un inventaire des saints du Limousin
par Bernard Gui », AFP, 68, 1998, 205-221, surtout 216-219. – [17] De fundatio-
ne, VI, 3-5 ; Delisle, Notice, 328 ; Kaeppeli, Scriptores, I, 220-221 (catalogues
des prieurs provinciaux et des couvents et liste des Priores provinciales sic
sedent in capitulo generali). Cette hypothèse rencontre celle de Dominique
Donadieu-Rigaud au sujet de la logique de l’ornementation de la salle capitulaire
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du couvent de Trévise, réalisée en vue du chapitre général de 1352, et notam-


ment de la réalisation – sur la base de listes comparables à celles que transmet
Bernard Gui – de trois rangées de médaillons, figurant dans le registre inférieur
d’un cycle d’hommes illustres de l’ordre. Les médaillons de la première rangée
énumèrent dix-huit provinces de l’ordre, comme autant de « cartons d’invitation
muraux » désignant la place de chacun des prieurs provinciaux ; ceux de la
seconde rangée (au nombre de trente-huit) reprennent ce type d’organisation à
l’échelle de la province de Lombardie inférieure et en vue de la réunion du cha-
pitre provincial : cf. Dominique Donadieu-Rigaud, « L’image d’un ordre en
pleine expansion, la salle capitulaire du couvent dominicain de Trévise », dans
Die Methodik der Bildinterpretation, dir. A. von Hülsen-Esch, J.-Cl. Schmitt,
Göttingen : Wallstein Verlag, 2002, t. II, 381-413 (je remercie l’auteur de
m’avoir facilité l’accès à cet article). Ce texte était déjà achevé lorsque j’ai pris
connaissance du dernier article de S. Tugwell, « The Evolution of Dominican
Structures of Government. V. Words and Names », AFP, 75, 2005, 29-94, qui
non seulement fait remonter l’organisation d’un ordo conventuum et d’un ordo
provinciarum au milieu du XIIIe siècle (61-79) et sa première attestation aux
Vitae fratrum de Géraud (61), mais en propose une analyse extrêmement pré-
cieuse – [18] De fundatione, 98. – [19] L. Janauschek, Originum Cisterciensium,
I, Vienne, 1877, XIII-XXVII ; Rinaldo Comba, « Da Tiglieto a Staffarda : gli esor-
di cistercensi nella regione ligure-subalpina », dans L’abbazia di Staffarda e
l’irradiazione cistercense nel Piemonte meridionale, éd. R. Comba et
G. G. Merlo, Cuneo, 1999, 65-81, ici 76-79. – [20] Sur la temporalité des
prieurs, cf. Yves Dossat, « Les priorats de Bernard Gui », CF 16, 85-106 : 89-
92, et S. Tugwell, « The Evolution of Dominican Structures of Government. IV.
Election, Confirmation and ‘Absolution’ of Superiors », AFP, 72, 2002, 27-159.
– [21] Cf. B. Montagnes, « Comment meurent les Prêcheurs méridionaux
d’après les Vitae fratrum », dans La mort et l’au-delà en France méridionale
(XIIe-XVe siècle), CF 33, 1998, 41-64 ; Jean-Loup Lemaître, « Mort et sépulture
des prieurs de la première province de Provence », CF 36, 123-198. –
[22] R. J. Loenertz, « Archives de Prouille », AFP, 24, 1954, 5-49, en particulier
5-10. – [23] De fundatione, 32-42 ; Delisle, Notice, 318-319 ; Vicaire, Les
Prêcheurs, 135-136. – [24] Bernard Gui y a fréquemment recours, notamment à
propos de fondations ayant fait l’objet de litiges. Je me contente de citer le dos-
sier très riche rassemblé à propos de Saint-Junien, au sein duquel figure un inté-
ressant instrumentum publicum de celebratione prime misse (De fundatio-
ne, 224-225). – [25] De fundatione, 58. – [26] De fundatione, 91. Sur cet ajout,
Delisle, Notice, 323-325 ; B. Montagnes, « Bernard Gui dans l’historiographie
dominicaine », CF 16, 183-187. – [27] J.-L. Biget, « Une abbaye urbaine qui
devient cathédrale : Saint-Benoît de Castres », dans Les Moines noirs (XIIIe-
XIVe siècles). CF 19, 1984, 153-192. – [28] Cf. Remensnyder, Remembering. –
[29] À ce propos, voir Reltgen, La mémoire d’un ordre, et la contribution
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d’A. Dubreil-Arcin dans ce volume. – [30] Sur Humbert de Romans, on partira


de Edward T. Brett, Humbert of Romans. His Life and Views of Thirteenth-
Century Society, Toronto, 1984, et Kaeppeli, Scriptores, II, 283-295. – [31] Sur
cette accusation, voir Yves Marie-Joseph Congar, « Aspects ecclésiologiques de
la querelle entre mendiants et séculiers dans la seconde moitié du XIIIe siècle et
le début du XIVe siècle », Archives d’histoire et littérature du Moyen Âge, 28,
1961, 35-151, ici 82-83. Voir aussi Ramona Sickert, « Extra obedientiam evagari...
Zur zeitgenössischen Deutung der Mobilität von Franziskanern und
Dominikanern im 13. Jahrhundert », dans Sébastien Barret, Gert Melville,
Obœdientia. Formen und Grenzen von Macht und Unterordnung im mittelalter-
lichen Religiosentum, Münster : LIT (Vita regularis. Abhandlungen 27), 2005,
159-180, qui cite de nombreuses attestations de ces critiques. – [32] Sur les pro-
cessus de territorialisation du sacré, voir les travaux récents de M. Lauwers,
« Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques sur parochia dans les textes
latins du Moyen Âge », Médiévales, 49, 2005 [disponible en ligne :
http ://medievales.revues.org/document1260.html] ; id., Naissance du cimetière.
– [33] Thomas de Cantimpré, Les exemples du Livre des abeilles, présentation,
traduction et commentaire par Henri Platelle, Turnhout : Brepols, 1997, 125,
no 76 (II, 10, 14). Sur cette œuvre, voir Jacques Berlioz, Pascal Collomb, Marie-
Anne Polo de Beaulieu, « La face cachée de Thomas de Cantimpré. Compléments
à une traduction française récente du Bonum universale de Apibus », Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 68, 2001, 73-94. – [34] Thomas
d’Aquin, Contra Impugnantes Dei cultum et religionem, dans Opera Omnia,
XLI/A, Rome, 1970, chap. 10 : De hoc quod religiosi de loco ad locum discur-
runt. On peut reconnaître une réponse à ce même type d’accusation dans l’épiso-
de de la vie de Jourdain de Saxe inséré dans les Vitae fratum de Géraud de
Frachet, au cours duquel ce dernier répond aux doutes émis par certains
Cisterciens quant aux possibilités de survie d’un ordre sans ressources par
l’argument suivant : Tunc autem bene scitis, quod persecutores et tiranni illi
habundantes iniquitate auferent vobis bona vestra temporalia ; et tunc vos, qui
non consuevitis ire de loco ad locum et querere elemosinas, necessario deficie-
tis. Fratres autem nostri tunc dispergentur et facient fructum majorem sicut
apostoli, quando dispersi fuerunt tempore persecucionis ; nec ita terrebuntur,
immo ibunt de loco ad locum, duo et duo, et querent victum suum, sicut consueti
fuerant (Vitae fratrum, 139-140) ; cf. Anne Reltgen-Tallon, « Dominicains et
cisterciens en 1206 », Mémoire dominicaine, 22, 2008, 153-171. –
[35] Y. Dossat, « Opposition des anciens ordres à l’installation des mendiants »,
dans Les mendiants en pays d’Oc au XIIIe. CF 8, 263-306 ; M.-H. Vicaire,
« Prêcheurs et paroisse », désormais dans id., Les Prêcheurs, 161-175 ;
Luigi Pellegrini, « Mendicanti e parocci : coesistenza e conflitti di due strutture
organizzative della cura animarum », dans Francescanesimo e vita religiosa dei
laici nel ‘200, Assise, 1981, 129-167. – [36] Expositio super constitutiones, dans
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Humbert, Opera de vita regulari, 1-178, ici 5 : Sic nimirum invenitur quod
approbatas religiones ejusdem professionis, quod summam uniformitatem in
exterioribus praetendunt, non solum in observantiis, sed etiam in habitu et in
aedificiis et in aliis quibusdam. In quo cum gemitu quodam considerandum est
quantum in hoc adhuc distamus ab illis. Habent namque ecclesias et officinas
ejusdem formae et eodem modo dispositas ; nos autem fere quot domos, tot
varias formas et dispositiones officinarum et ecclesiarum habemus. – [37] Ibid.,
39 : Sed ordo noster trahit nomen suum a fine : melius enim nominatur una-
quaeque res a suo fine quam ab alio, sicut regula, licet aurea et ab optimo arti-
fice facta et rectissima, tramen melius trahit nomen a fine qui est regulare,
quam a materia, vel artifice, vel forma. Hinc patet quod valde sunt reprehensi-
biles fratres qui se vocant, vel vocari permittunt fratres S. Jacobi, vel S. Nicolai,
vel hujusmodi nominibus ; et magis reprehensibiles praelati qui circa istum
errorem consilium non apponunt. Ex hoc enim accidit quod in diversis locis
diversorum ordinum reputantur esse fratres diversi propter diversa nomina.
Item, accidit quod in multis nationibus nondum scitur esse aliquis Ordo fratrum
Praedicatorum. – [38] Remensnyder, Remembering ; Patrick Geary, La mémoi-
re et l’oubli à la fin du premier millénaire, traduit de l’anglais par J.-P. Ricard,
Paris : Aubier (Histoires), 1996. – [39] Cf. Catherine Vincent, Fiat lux : lumière
et luminaires dans la vie religieuse en Occident du XIIIe siècle au début du
XVIe siècle, Paris : Le Cerf, 2004, 283-290 et 312-324. – [40] Vitae fratrum , 21-
22. – [41] Vitae fratrum, 22-23 (à propos de Côme). – [42] Respectivement
Vitae fratrum, 23, 24-25 et 51. – [43] Vitae fratrum, 23-24 : Antequam in civita-
te Ulyxbonensi haberemus conventum, fratres nostri in eodem loco, ubi constitu-
tum est monasterium, consueverunt predicare. Et paulo antequam ibi poneremus
conventum, mulieres quedam, que iuxta ecclesiam beate Virginis (que in monte
sita est) super nostrum monasterium morabantur, mirabilem quandam oculis
carnalibus visionem viderunt. Cum enim (sicut mos est tempore estatis) mulieres
ille ad lune claritatem filarent, subito viderunt celum apertum et scalam quan-
dam mire pulcritudinis ex auro et argento constructam versus ad ficum quam-
dam descendentem, iuxta quam ego multociens predicavi, antequam ibi habere-
mus conventum ; una igitur extremitas scalae celum tangebat et alia ficum. Post
hanc autem scalam tres viros viderunt descendere in vestibus aureis et argenteis
mirabiliter addornatos ; quorum primus subdiaconus videbatur, qui crucem
mire pulcritudinis portabat in manibus, medius videbatur diaconus, hic portabat
thuribulum, tercius erat sicut sacerdotalibus vestibus adornatus. Hi tres descen-
dentes in terram totum locum monasterii nostri circuierunt thurificantes ipsum.
Postmodum vero redeuntes ad scalam, per eamdem progredientes introierunt in
celum, scalam interim attrahentes, et ab earum occulis est sublata. Mulieres
illas fratres nostri viderunt ; sed ego fratribus hoc ipsum credere nolui,
quousque michi viduam unam sancte conversationis adduxerunt, que ibi tunc
aderat, quum visio illa apparuerat : et hec michi totam facti seriem enarravit.
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Ego autem in brevi post hec qui habebam officium prioratus, in eodem loco
construxi monasterium authoritate generalis et provincialis capituli, in quo
fratres nostri die noctuque domino servientes. Pour comparaison, voir les récits
de consécrations miraculeuses cités dans Lauwers, Naissance du cimetière, 176-
186. – [44] Dominique Iogna Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale
de l’Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), Paris : Aubier, 2006 ; Mise en scène
et mémoires de la consécration de l’Église dans l’Occident médiéval, dir.
Didier Méhu, Turnhout : Brepols (Collection d’études médiévales de Nice, 7),
2007, en particulier la contribution de D. Méhu, « Historiae et imagines de la
consécration de l’église dans l’Occident médiéval », 15-50. – [45] Lauwers,
Naissance du cimetière, 67. – [46] Vitae fratrum 35-36 (anges bénissant le dor-
toir et les cellules) ; 43-44 (la Vierge accompagnée de saints passe dans le dor-
toir et bénit les frères) ; 52 (Vierge ad hostium dormitorii) ; 53-54 (la Vierge
purifie le couvent d’origine d’un apostat), 119 (la Vierge accompagnée de
jeunes filles per dormitorium euntem et aspergentem fratres et cellas eorum). –
[47] Sur ces étapes, Vicaire, Les Prêcheurs, 104-105. – [48] À propos de
Limoges, où il renvoie à un Libellum de fundatione, Bernard Gui mentionne
d’ailleurs la façon dont le second site a été miraculeusement acquis (de cujus
loci emptione et miraculosa solutione [...] plenius et diffusius est notatum in
libello de fundatione conventus Lemovicensis) : De fundatione, 58. Cf. le récent
article de J.-L. Lemaitre, « Un nouveau manuscrit des Flores chronicorum de
Bernard Gui et la bibliothèque des Dominicains de Limoges », AFP, 76, 2006,
79-101. Voir aussi De fundatione, 72-73 et 162 (à propos du miracle des abeilles
pendant la pose de la première pierre du couvent de Brive). – [49] Cum ex eo,
éd. Bullarium Franciscanum, IV, 424, no 105 (qui date la lettre de 1296). Sa tra-
dition n’est en réalité assurée que par son insertion dans le Liber sextus, 5, 6 (De
excessibus praelatorum) : Cum ex eo quod Praedicatores et Minores et religiosi
alii Mendicantes in civitatbus, castris, villis aut aliis locis ad habitandum domos
vel loca suscipiunt, seu olim suscepta dimittunt se ibidem ad alia transferentes,
diversa scandala quandoque proveniant et frequenter clamores ad sedem apos-
tolicam perferantur, nos super hoc providere volentes hoc perpetuo prohibemus
edicto ne...in aliqua civitate, castro, villa seu loco quocumque ad habitandum
domos, vel loca quaecumque de novo recipere seu hactenus recepta mutare vel
ea venditionis permutationis donationis aut cujusvis alienationis titulo quo-
cumque in alios transferre praesumant absque sedis apostolicae licentia
speciali. Cf. Maria Pia Alberzoni, « Bonifacio VIII e gli Ordini mendicanti »,
dans Bonifacio VIII. Atti del XXXIX Convegno storico internazionale, Todi, 13-
16 ottobre 2002, Spolète : CISAM, 2003, 365-412 : 385-388 ; Caby, « Il costo
dell’inurbamento », 295-338. Voir l’allusion à cette bulle à propos de la fonda-
tion de Saint-Girons, De fundatione, 231-232. – [50] Sur ce rythme et le contex-
te, voir Vicaire, Les Prêcheurs, 105-109. – [51] J’en veux aussi pour preuve la
réalisation par Bernard Gui d’une copie annotée et commentée du pontifical de
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Guillaume Durand (Toulouse, BM 118), cf. Jean-Marie Carbasse, R.


Feuillebois, « Bernard Gui évêque de Lodève 1324-1331 », CF 16, 346 et 352-
356, et Le Pontifical romain au Moyen Âge, éd. Michel Andrieu, III. Le pontifi-
cal de Guillaume Durand, Cité du Vatican : BAV, 1940, en particulier 269-283.
Mais aussi la compilation d’une histoire du rituel de la messe, certes en lien avec
sa fonction d’évêque de Lodève, mais non moins significative : cf. Doussot,
« Bernard Gui évêque de Lodève, son opuscule inédit De ordinatione officii
Missae », dans Mélanges de littérature et d’histoire religieuses publiés à l’occa-
sion du jubilée épiscopal de Mgr. de Cabrières, Paris, 1899, I, 351-377 ;
Kaeppeli, Scriptores, I, 207. – [52] Je me contente ici d’un premier relevé som-
maire qui méritera d’être approfondi dans un autre contexte. –
[53] À Montauban, la première messe est célébrée en février 1272 avant la
mutatio conventus (De fundatione, 123) ; à Brive, on célèbre, en juin 1263, les
deux premières messes in tentoriis parce qu’aucun bâtiment n’a encore été
construit (ibid., 160), ce qui fournit à Bernard Gui l’occasion de rappeler – à la
suite d’une longue tradition d’exégèse monastique de ce texte – l’exemple des
fils d’Israël demeurant dans des tentes ; à Saint-Girons (ibid., 232). –
[54] Vladimir J. Koudelka, Monumenta diplomatica sancti Dominici, Rome
(MOFPH, 25), 1966, no 162 : Postulatis a nobis, ut cum extra civitates et villas
frequentius existatis, nec vobis expediat per hujusmodi loca discurrere pro divi-
nis officiis audiendis, celebrandi vobis, ubi conventus de ordine vestro fuerit,
super altare portatile licentiam preberemus. Sur ce privilège, voir Meersseman,
« L’architecture dominicaine », 142 (note 13) ; Vicaire, Les Prêcheurs, 117 et
162 ; Pierre-Marie Gy, « Le statut ecclésiologique de l’apostolat des Prêcheurs
et des Mineurs avant la querelle des Mendiants », Revue des sciences philoso-
phiques et théologiques, 59, 1975, 79-88 : 83-84 ; récemment (mais qui ne fait
qu’effleurer le monde des ordres mendiants) Éric Palazzo, « Réforme liturgique,
spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origines de la liturgie itinérante
des ordres mendiants », dans Liturgiereformen. Historische Studien zu einem
bleibenden Grundzung des christlichen Gottesdienstes, Münster
(Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 88), 2002, I, 363-377, et
id., L’espace rituel et le sacré dans le christianisme. La liturgie de l’autel porta-
tif dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout : Brepols, 2008, 151-152. –
[55] De fundatione, 161-162. Voir aussi ibid., 198-199 (Albi). – [56] Par
exemple ibid., 58 (Limoges), 180 (Pamiers), 228 (Saint-Junien), 232 (Saint-
Girons). – [57] Pour se convaincre de la richesse sémantique de ce terme, on
consultera l’entrée patronus dans Novum Glossarium Mediae Latinitatis,
Luisant, 1990, 755-764. Pour l’emploi du terme par les Dominicains, Vicaire,
Les Prêcheurs, 110-112, qui cite une inscription limousine en vers léonins men-
tionnant le terme patronus. On signalera également l’attention au vocabulaire de
la fondation de Bernard Gui dans Jacques Paul, « Charles II et la fondation du
couvent royal de Saint-Maximin », Mémoire dominicaine, 8, 1996, 17-32 (21-24
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pour les termes dominus et patronus). – [58] Respectivement Vitae fratrum, 21,
51, 23. – [59] Vitae fratrum, 78-79 : De demone quem circumeuntem officinas
invenit. Alia vice invenit sanctus [Dominicus] dyabolum omnia loca domus cir-
cumeuntem. Cumque quereret, quare hoc fecerat, respondit : «Propter lucrum,
quod inde recipio ». Dixit ei : «Quid lucraris in dormitorio ? » Respondit :
«Facio eos nimis dormire, tarde surgere, sicque a Dei officio remanere, necnon
eciam, cum possum, carnis stimulum et illusiones immitto. » Inde trait eum ad
oratorium et ait : «Quid in tam sancto loco lucrarsi ? » Respondit : “O quot feci
tarde venire, et cito exire, et se interim oblivisci. » De refectorio quoque interro-
gatus, respondit : «Quis non plus, quis non minus ? » Hinc ad locutorium duc-
tus, respondit cachinnans : «Hic locus est totus meus ; hic veniunt risus, hic
rumores, et verba proferuntur in ventum. » Cum autem ultimo traxisset eum ad
capitulum, cepit fugere et horrescere, et ait : «Hic locus michi infernus est ; et
quidquid lucror alibi, hic totum perdo ; nam hic monentur, hic confitentur, hic
accusantur, hic verberantur, hic absolvuntur ; unde hanc domum super omnes
detestor ». Voir aussi ibid, 195, à propos d’un frère poursuivi par le diable dans le
couvent et qui se réfugie au chapitre : Frater autem intravit capitulum ; et tunc ait
ei dyabolus : «In talem locum intrasti, in quem te sequi », et 197 : Frater Petrus
de Albenacio, vir sanctus et devotus, cum esset in conventu Ianue et oracioni fer-
venter instaret, vidit quadam nocte, ut sibi videbatur, multitudinem demonum
super claustrum et officinas fratrum, qui multis et gravibus aspergebant sordibus
locum. Post hec vidit castra sanctorum angelorum accurrencium ad locum ad
expellencium demones cum suo fetore. Unus autem angelus subsequens cum turi-
bulo pleno odoramentorum omnia loca circuibat fetorem expellens demonum et
fumo suavissimo cuncta replens. – [60] Outre l’inversion diabolique du rituel de
consécration, on peut reconnaître dans le parcours du démon dans les différents
lieux conventuels une pantomime des inspections des circatores dont Humbert de
Romans définit en ces termes la fonction : « Celui qui est chargé de cet office doit
circuler par toute la maison, surtout à certaines heures, comme après le dîner, à
l’heure de la sieste, après les complies, avec ou sans lumière, selon le temps,
même à l’hospice et à l’infirmerie » (Humbert, Opera de vita regulari, 270 ; tra-
duction de Daniel-Antonin Mortier, Histoire des maîtres généraux de l’ordre des
frères Prêcheurs, I. 1170-1262, Paris : A. Picard, 1903, 488-489). – [61] Cf. par
ex. la lettre d’Hélinand de Froimont à un certain Gauthier (PL 212, c. 758) qui
souligne comment parmi les autres pièces du monastère in toto corpore ecclesiae,
praeter illum locum ubi altare constituitur, nullus locus sit sanctior capitulo, nul-
lius reverentia dignior, nullus diabolo remotior, nullus Deo proximior. Voir aussi
le sermon de capitulo monachorum (première décennie du XIIe siècle) édité par
Jean Leclercq, « Le sermon de Grossolano sur le chapitre monastique », dans
Analecta monastica. 3, Rome (Studia anselmiana, 37), 1955, 138-144 : Locus
sanctus est et venerabilis, et super omnes officinas monasterii ad aedificationem
est utilis animarum. Locus enim iste quasi pater et judex totius religionis […].
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TOPOGRAPHIE LÉGENDAIRE DES COUVENTS DOMINICAINS 387

Unde merito vocatur capitulum, quia caput est omnium quae sunt in monasterio
officinarum. – [62] J’emprunte ces analyses à Franco Negri, « Il De claustro ani-
mae di Ugo di Fouilloy : vicende testuali », Aevum, 80, 2006, 389-421. Voir aussi
M.-H. Vicaire, « Positions scolaires et fonctions occasionnelles de Bernard Gui »,
dans Bernard Gui, 59-60 (désormais Vicaire, Les Prêcheurs, 179-180) qui cite
deux traités, dont un, réalisé pour la province de Provence en 1283 (éd.
Raymond Creytens, « L’instruction des novices dominicains au XIIIe siècle
d’après le ms. de Toulouse », AFP, 20, 1950, 114-193), passe allégoriquement en
revue les divers lieux conventuels, ce qui fait dire au Père Vicaire qu’il « reste
dans le sillage de l’allégorisme des moines et chanoines du siècle précédent ». –
[63] Outre Caby, « Il costo dell’inurbamento », qui renvoie à la bibliographie anté-
rieure, on trouvera de nombreux exemples de ces mouvements à l’échelle du Midi
dans les contributions de F. Guyonnet, Germain Butaud et Vincent Challet à ce
volume. Pour des comparaisons avec la France du nord, voir Volti, Les couvents,
94-96. – [64] Thomas d’Eccleston, Tractatus de adventu fratrum minorum in
Angliam, collatio X (§ 58-64), éd. Andrew G. Little, Paris : Fischbacher
(Collection d’études et de documents sur l’histoire religieuse et littéraire du
Moyen Âge, 7), 1909 : De mutatione locorum et amplificatione, en part. le § 58 :
Crescente in dies numero fratrum, non potuerunt sufficere multitudini domus et
areae, quae suffecerant paucitati : praeterea per providentiam Dei, tales intrabant
frequenter personae, quibus videbatur de iure honorificentius providendum. In
nonnullis quoque locis ita inconsiderate se collocaverat fratrum simplicitas, ut non
areas ampliari, sed ex toto domos amoveri oporteret. Hinc factum est, ut vivente
adhuc bonae memoriae fratre Agnello multa fieret tam domorum quam locorum
ampliatio… – [65] Voir la lettre encyclique de Bonaventure (23 avril 1257), interdi-
sant tout déménagement de couvent sans autorisation du maître général : Occurit
mutatio locorum frequens et sumtuosa cum quadam violentia et perturbatione ter-
rarum, cum nota inconstantiae, non sine preiudicio paupertatis... locorum vero
mutationem nullatenus concedatis alicui ante Capitulum generale. Nam de consilio
discretorum propter scandala vitanda iuxta praedecessoris mei mandatum hoc
mihi reservo, districte per obedentiam iubendo, ut nullus deinceps locum mutet sine
mea licentia speciali (Bonaventure, Opera omnia, VIII, Quaracchi, 1898, 469).
Cette décision est citée dans deux bulles pontificales (1257 et 1259) autorisant des
transferts de couvents (Bullarium Franciscanum, II, 248-249 et 309). Enfin, les
constitutions de Narbonne (1260) signalent la nécessité de la dispense des ministres
provinciaux pro edificiis construendis vel pro locis mutandis vel ampliandis...
(Constitutiones generales Narbonenses, III, 14 ; Constitutiones generales ordinis
fratrum minorum. I. Saeculum XIII, éd. Cesare Cenci, Georges Mailleux,
Grottaferrata : Frati editori di Quaracchi, 2007, 75). – [66] Vitae fratrum 198 (IV,
15) : Duo de magnis principibus nostris exierunt contra vos, unus ut prelatos et
principes conatet contra vos, alius ut vos mutacionibus locorum et edificiorum et
opinionum impediat et perturbet. – [67] Vitae fratrum, 21-22. – [68] Vitae fratrum,
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24-25 et 48-49. – [69] De fundatione, 47 (Toulouse), 58 (Limoges : séjour provi-


soire dans une domus ; installation définitive dans locum suum novum) ; 71
(Bayonne : Tempore sui prioratus mutaverunt se fratres de primo loco as decun-
dum, in quo nunc habitant, in festo B. Dominici processionaliter procedentes
a. D. MCCLXXIII) ; 76 et 78 (Cahors : Postmodum vero, a. D. MCCXXVII, fratres
transtulerunt se ad locum qui fuerat eis datus, ubi fecerunt aliqua edificia ad
manendum. Ubi longo post tempore fuit conventus fratrum ; Tempore prioratus
sui, a. D. MCCLXIV, in cathedra S. Petri, que contigit dominica prima in
Quadragesima illo anno, mutaverunt se fratres Caturcenses cum processione
solempni de primo loco antiquo ad secundum locum novum, ubi nunc habitant,
supra fluvium Oti) ; 98 et 100 (Carcassonne) ; 123 (Montauban : In primo vero
anno sui prioratus mutavit se conventus sollempniter de primo loco, qui denomi-
natur de Tescone, ad secundum locum, qui appellatur de Fossato, in festo
S. Andree ap. a. D. MCCLXXIV) ; 193 (Auvillar), 215 (Lectoure). – [70] Pour la
Province de Provence, B. Montagnes, Architecture dominicaine en Provence,
Paris, 1979, 27-36. Voir aussi la contribution de G. Butaud et V. Challet dans ce
volume. – [71] Voir par exemple Burchard de Worms (Decretorum libri XX, III,
19) reprenant le canon 24 du concile de Chalcédoine (451) : Quae semel dedicata
sunt monasteria consilio episcoporum qui civitates tenent, manere perpetuo
monasteria, et res quae ad ea pertinent, monasteriis reservari debere, nec posse
ea ultra fieri secularia habitacula. Qui vero hoc fieri permiserint, canonum sen-
tentiis subiacebunt. En général, voir Lauwers, Naissance du cimetière, 187-208. –
[72] De fundatione, 44 : In quibus domibus postmodum inquisitores hereticorum
habitaverunt. – [73] M.-H. Vicaire, « La maison de Pierre Seila à Toulouse, où
l’ordre fut fondé », Saint Dominique en Languedoc. CF 1, 1966, 159-166 : 163 ;
id., Les Prêcheurs, 110-112.– [74] De fundatione, 46. – [75] Ibid., 122-123 : Hic
fr. Poncius prior ibidem existens obiit sepultusque fuit ibidem in primo loco qui
appellatur de Tescone, ubi adhuc corpus ejus cum justis sanctam resurrectionem
expectat, quia non potuit inveniri quando fratres trasntulerunt corpora fratrum
defunctorum ibi ad locum secundum, ubi se postmodum mutaverunt, sicut audivi a
quodam fratre seniore. – [76] Lauwers, Naissance du cimetière, 32-39. – [77] De
fundatione, 215 : Hic mutavit primum locum et posuit conventum infra villam,
nimis in arcto. – [78] Ibid., 215-216 : Tempore prioratus sui redierunt fratres cum
conventu de secundo loco ad primum, dominica in Ramis Palmarum, que contigit
VI kal. Aprilis […]. Fuerunt enim in isto secundo loco arctari et infestati multipli-
cer annis decem. – [79] Ibid., 98 et 123. – [80] En particulier les sources produites
lors des procès, si nombreux dans les villes italiennes, mais également dans le
Midi français comme le souligne le bel exemple de Millau (Paloc, « Millau »). –
[81] Par exemple De fundatione, 58 (Limoges) : A. D. MCCXLI […] mutaverunt
se fratres de primo loco ad secundum solempniter ac devote processionaliter ince-
dentes, cum toto provinciali capitulo, comitante clero et populo necnon et religio-
sis viris cum cantitis et laudibus ; 78 (Cahors), 123 (Montauban).

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