You are on page 1of 3

Ainsi, la question des homoparentalités conduit à être comprise en lien avec celle vécue en tant

interroger les places et les fonctions symboliques que fils. Contrairement à la distance que les
de la parentalité telles que la psychanalyse les a pères gays ont pu ressentir à l’égard de leur
posées. Dans La question du contre-transfert du propre père, ils contrastent, en partie, avec ce
psychanalyste confronté au désir d’être parent modèle de paternité. Ils sont davantage dans la
chez une patiente homosexuelle, François recherche d’une proximité relationnelle avec
Pommier, professeur de psychologie clinique, met leur enfant. Ainsi, procédant à une reconfigura-
en garde contre l’enfermement de l’analyste dans tion de la paternité avec des éléments empruntés à
des frontières morales ou éthiques. Considérer le la maternité, à la paternité contemporaine, voire
fait d’avoir un enfant dans un cadre homosexuel aussi traditionnelle, la paternité des gays « invite
comme une forme de transgression pourrait à une redéfinition des rapports entre père et fils,
induire un biais dans la pratique thérapeutique. entre père et enfant » (p. 62).
En outre, le psychologue Alain Ducousso-Lacaze, Tout le mérite de ce numéro, à dominante psy-
montre dans Homoparentalité et coparentalité : chanalytique, est de montrer à travers la parole de
réflexion métaphysique que le devenir parent ces parents une réalité qui interroge sur la défi-
pour des homosexuels réactualise les enjeux œdi- nition traditionnelle de la famille. Car, c’est bien
piens et rend possible la permutation symbolique de cela dont il est, au bout du compte, question.
des places pour l’enfant. Cet article, qui expose Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Geneviève
deux cas de coparentalité, prolonge les recher- Delaisi De Parseval, l’une des premières psy-
ches de l’auteur déjà menées sur des couples chanalystes à avoir questionné l’homoparen-
lesbiens. talité, souligne à juste titre dans son article Pour
Dans la même logique mais avec une approche introduire le débat. À propos d’une histoire
de sociologue clinicien (sociologie articulant sa d’adoption homoparentale qu’il faudrait proposer
pensée avec les théories psychanalytiques), une définition « plus large et plus souple de la
Emmanuel Graton (Quand la paternité s’égaye...), famille » (p. 19).
se place du côté des pères gays qui ont eu un
enfant par adoption, à partir d’une gestation pour
Cyril Desjeux
autrui ou dans un cadre coparental. Pour Doctorant en sociologie au CADIS/EHESS.
l’auteur, l’expérience de la « paternité gay » peut Lauréat des bourses doctorales CNAF 2006.

Sophie Ponthieux
Le capital social
2006, Paris, La Découverte, collection Repères, 121 pages.

L’engouement entretenu depuis une dizaine est bâti en six chapitres, chacun présentant l’une
d’années autour du concept de « capital social », des facettes de ce concept protéiforme.
en particulier aux États-Unis, justifie sa ré-interro- Pour l’économiste Sophie Ponthieux, J. Coleman
gation, tant ses utilisateurs y mettent des contenus est à l’origine de ce concept visant à unifier les
différents. De fait, ce concept suscite une abon- approches économiques et sociologiques, dans
dante littérature critique dans laquelle s’inscrit cet l’objectif de démontrer que des phénomènes
ouvrage qui repose sur l’analyse des contenus observables au niveau macrosocial pouvaient
véhiculés. Le concept de « capital social », qui résulter d’actions individuelles. Pour cet auteur,
jouit d’une double paternité, elle-même objet de « le capital social est défini par sa fonction. Il ne
débats – James Coleman et/ou Pierre Bourdieu – a s’agit pas d’une entité unique, mais d’un ensemble
été popularisé par Robert Putman dans son d’entités qui ont deux caractéristiques communes :
ouvrage Bowling alone publié en 1995. Il s’agit elles relèvent toutes d’un aspect de la structure
d’un concept qui vise à relier le social à l’écono- sociale, et elles facilitent les actions des individus
mique et inversement, dont le contenu est à la au sein de la structure. La fonction qu’identifie le
croisée des relations conflictuelles qu’entre- concept de capital social est la valeur des aspects
tiennent ces deux sciences humaines. L’ouvrage de la structure sociale que les acteurs peuvent utiliser

Recherches et Prévisions n° 90 - décembre 2007


122 Comptes rendus de lectures
comme des ressources pour atteindre leurs objec- connaissance et d’inter-reconnaissance. Le volume
tifs » (*) (1998:98-99). Dit autrement, le capital de capital social d’un individu dépend donc de
social découle d’organisations sociales qui rendent l’étendue des liaisons qu’il peut mobiliser et du
possible la réalisation d’objectifs difficilement volume du capital possédé par chacun de ceux
atteignables en dehors. Il se concrétise par des auxquels il est lié.
obligations et des attentes (renvois d’ascenseurs) S. Ponthieux met bien en évidence les connexions
et repose essentiellement sur l’information, à la entre l’acception anglo-saxonne du concept et
fois la détention de celle-ci et sa transmission. celle de P. Bourdieu, qui, en quelque sorte, en
Toutefois, son plein épanouissement nécessite des constitue une synthèse. Toutefois, ce dernier enra-
structures sociales stables et relativement fermées, cine l’usage du concept dans une vision marxiste
à savoir des communautés. La production du de la société – existence de classes sociales et
capital social est le fruit de relations qui se nouent domination de classes – alors que les auteurs
au sein d’une structure sociale. Il ne résulte pas anglo-saxons privilégient une vision de la société
d’une intentionnalité et revêt un caractère collectif. comme une communauté d’individus.
Il n’est ni divisible ni cessible. Pour S. Ponthieux, L’auteur de référence pour ce concept reste certaine-
J. Coleman ne se soucie pas des mécanismes inhé- ment le politologue R. Putman, qui définit le
rents à la formation de ce capital particulier. C’est capital social comme les caractéristiques de
pourquoi elle considère qu’il ne s’agit en rien d’un l’organisation sociale, telle que les réseaux, les
capital au sens économique du terme, rejoignant normes et la confiance, qui facilitent la coordina-
ainsi d’autres auteurs qui reprochent à ce concept tion et la coopération pour un bénéfice mutuel. Il
son imprécision. contribuera à ce que ce concept soit érigé comme
Une autre approche du capital social, celle des outil de politique publique repris par des organi-
réseaux sociaux, repose sur la notion d’« encastre- sations telles que l’OCDE, la Banque mondiale ou
ment », en particulier des actions économiques le Fonds monétaire international, donnant égale-
dans les relations sociales. Ici, les ressources ment lieu à une abondante littérature critique.
sociales constituent l’élément central du capital Tirant le constat, à partir d’une recherche menée
social qui, lui-même, résulte de l’investissement sur l’Italie, que les régions les plus civiques et les
consenti par l’individu dans ses relations avec plus coopératives sont également les plus riches,
d’autres. Pour Ronald Burt, la quantité de capital R. Putman en déduit que cette distinction résulte
social détenue par un individu est d’autant plus de la capacité de coopération des individus, qui
élevée qu’il dispose d’informations que les autres repose sur l’existence de réseaux et des normes
n’ont pas, ce qui le met en position de force. Les de réciprocité qui s’y développent : le capital
acteurs sociaux se trouvent, dans ce cadre, en social. Le politologue accorde une forte impor-
concurrence et non plus en coopération comme tance aux collaborations entre les individus, favo-
dans l’acception de J. Coleman. Le capital social risées par des structures, tels que les clubs par
dépendrait alors des ressources (informations) exemple. Selon lui, le fait de s’associer est un
détenues par les acteurs et de la structure de leurs acte fondamental, davantage que la raison pour
relations dans un réseau. laquelle on le fait.
Le sociologue français P. Bourdieu se démarque S. Ponthieux présente l’ensemble des critiques
nettement de ses pairs anglo-saxons. De fait, il adressées à R. Putman et qui mettent en lumière
n’est que peu cité dans la littérature traitant de la grande fragilité de son édifice conceptuel.
ce sujet alors qu’il constitue probablement le Considérant que les territoires, où les populations
père de ce concept qu’il mentionne dès 1972. Le sont fortement dotées de capital social, sont moins
relatif ostracisme dont il pâtit de la part des Anglo- sujets à la violence et à la déshérence écono-
Saxons tient essentiellement au cadre conceptuel mique et sociale, le politologue invite les pouvoirs
auquel il se réfère. P. Bourdieu, pour qui la « socio- publics à soutenir le développement des commu-
logie est un sport de combat », inscrit ce nautés : organisations religieuses, sportives, cho-
concept dans le cadre des relations de domi- rales, etc. Depuis 1995, il s’est lancé dans la des-
nation sociale, le capital social contribuant aux cription des mécanismes du déclin du capital
mécanismes de reproduction des positions de social qui aurait débuté, selon lui, vers 1970. Ce
pouvoir, dont la mise en évidence constitue déclin se manifeste par l’essor de l’individua-
l’essence de son œuvre sociologique. Au contraire, lisme : augmentation de l’abstention aux élections,
les Anglo-Saxons cherchent à évacuer la question baisse de la pratique religieuse, baisse du taux de
de l’inégalité entre les acteurs ou les conflits syndicalisation, baisse des licenciés des ligues de
d’intérêts. P. Bourdieu définit le capital social bowling, fragilisation des liens familiaux, etc. Et
comme l’ensemble des ressources liées à la pos- parmi les causes de ce déclin, il cite l’augmen-
session d’un réseau durable de relations d’inter- tation de l’activité des femmes, l’accroissement de

(*) Coleman J., 1988, Social capital in the creation of human capital, American Journal of Sociology , vol. 94,
supplément:95-120.

Recherches et Prévisions n° 90 - décembre 2007


123 Comptes rendus de lectures
la mobilité géographique, la fragilisation de la un succès indéniable et une abondante littérature
cellule familiale (l’augmentation des divorces), le lui est consacrée. Il s’agirait d’un concept opé-
développement du commerce électronique, de la ratoire dans la conduite des politiques publiques.
télévision et des jeux vidéo, etc. À aucun moment Il a été adopté notamment par l’OCDE. Or, sa
R. Putman n’associe ce qu’il considère comme un mesure, tout comme celle de ses effets, reste pro-
déclin à l’accroissement des inégalités ou à la blématique. La relation entre capital social et iné-
récession économique qui frappe durement galité est difficile à établir. Néanmoins, les « succès »
certains territoires américains concomitamment à du concept sont indéniables au point de devenir
un resserrement des politiques d’aide sociale un instrument de conduite des politiques publi-
contraignant les acteurs sociaux à ces attitudes de ques. D’importants travaux sur le capital social et
replis ou de « désocialisation ». sur ses indicateurs de mesure sont, par exemple,
Malgré de vives critiques, les thèses de R. Putman en cours en Australie. Concept incertain sur le
ont pourtant connu un important succès. À l’orée plan théorique, « on peut alors suspecter que
des années 2000, il devient expert en capital privilégier, au niveau macro, une explication par le
social auprès de la Banque mondiale et de capital social risque de brouiller un certain nom-
l’OCDE. Il bâtira un indice synthétique de stock bre de pistes en faisant prendre un effet pour une
du capital social. En 1996, la Banque mondiale cause » (p. 103), tel que le souligne avec justesse
lance un programme d’évaluation de l’impact du S. Ponthieux.
capital social sur l’efficience des projets de déve-
loppement. Elle propose sur son site Web (en
Bernard Pélamourgues
anglais) des outils de mesure du capital social. CNAF – DSER
Depuis lors, la notion de « capital social » connaît Responsable du Pôle statistiques de gestion.

Hugues Lagrange (dir.)


L’épreuve des inégalités
2006, Paris, PUF, collection « Le lien social », 376 pages.

Cet ouvrage est un recueil de contributions sur la Hugues Lagrange, une menace pour la cohésion
question des inégalités, issues des travaux récents sociale – se veut être l’objectif de cet ouvrage en
des membres de l’Observatoire sociologique du deux parties : la première, intitulée « Inégalités
changement. Même si les résultats de ces recher- objectives, inégalités subjectives, mobilité et soli-
ches ont, pour la plupart, déjà fait l’objet de publi- darités », de portée théorique, vise à réinterroger
cations, le mérite de ce qui est présenté ici, la question des inégalités et son appréhension
comme une réflexion collective des membres du habituelle par les sciences sociales. La deuxième
laboratoire, est double : d’une part, mettre en partie, davantage empirique, est centrée sur la
lumière le creusement des inégalités sociales en ségrégation spatiale en Île-de-France.
France (de nature bien différente d’il y a un demi- La lecture de cet ouvrage, plus spécifiquement la
siècle) et, d’autre part, proposer des explications première partie sur laquelle portera le propos,
qui se combinent les unes aux autres. ouvre assurément plusieurs champs de réflexion.
Après des décennies de réduction des inégalités L’un des questionnements majeurs interroge la
sociales, en France, depuis les années 1980, on « disparition » des classes sociales comme le
s’est engagé dans ce que Pierre Rosanvallon et présente toute une littérature dans les années
Michel Fitoussi ont appelé un « nouvel âge des 1980 alimentée, entre autres, par le développe-
inégalités » : à côté d’inégalités structurelles se font ment de la classe moyenne, les transformations de
jour des inégalités dynamiques s’inscrivant dans le la condition ouvrière et l’effondrement du commu-
parcours des personnes, des situations transitoires nisme. Les propos d’auteurs comme Louis
(chômage, séparation) pouvant conduire à fragi- Chauvel ou Hugues Lagrange sont de montrer que
liser, parfois de manière durable, les individus. la perte de la conscience de classe n’a pas conduit
Expliquer le contexte particulier dans lequel on se pour autant à la fin des inégalités. L. Chauvel fait
trouve aujourd’hui (en tenant compte des compa- remarquer, avec justesse, dans La déstabilisation
raisons internationales) – et qui constitue, selon du système de positions sociales que les classes

Recherches et Prévisions n° 90 - décembre 2007


124 Comptes rendus de lectures

You might also like