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GÉNÉRATIONS

Editorial

Les générations à la peine


La France préfère les vieux. Tel est le sentiment qui se répand depuis quelques années chez un nombre
croissant d'observateurs. Ce jugement est discutable et masque ...
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Repères

Les mots des générations


Quelques définitions...
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Quatre idées reçues


Baisse démographique, autonomie des jeunes, santé des seniors, vieillissement de la population...
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Etat des lieux

La confusion des âges


A quel âge finit la jeunesse ? Quand commence la vieillesse ? Sous l'effet d'évolutions multiples, les
parcours de vie se sont profondément transformés, sans que les pouvoirs publics en tirent les conclusions
qui s'imposent.(€)
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Lutte des classes... d'âge ?


Les inégalités de salaire et d'emploi sont particulièrement marquées entre jeunes et seniors. Toutefois, elles
sont autant liées à la qualification et au sexe qu'aux générations.(€)
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Transferts entre générations: qui gagne, qui perd ?


Les plus de 65 ans sont les premiers bénéficiaires des transferts publics. Cela ne suffit pourtant pas à établir
l'existence d'une rupture d'équité entre les générations.(€)
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L'inexorable privilège du vieillissement


Le vieillissement des populations européennes devrait se poursuivre au moins jusqu'à l'horizon 2050.
Principalement dû à l'allongement de l'espérance de vie, il est autant un privilège qu'un problème.(€)
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Avoir 20 ans par temps de crise


La crise met à l'épreuve les modèles européens d'intégration de la jeunesse et, par ricochet, les formes de
solidarité familiale.(€)
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Comprendre
Chômage: jeunes et seniors en première ligne
Principales victimes de la dégradation du marché du travail, les jeunes et les seniors font les frais d'une
politique qui privilégie l'insertion dans l'emploi des salariés d'âge intermédiaire.(€)
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Le système de retraite est-il équitable ?


Pour mesurer l'équité intergénérationnelle du système de retraite, la comparaison des niveaux de vie entre
actifs et retraités est utile, mais insuffisante. Explications.(€)
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La dépendance, le nouvel enjeu


Mal prise en charge par la collectivité, la dépendance semblait appelée à devenir le "cinquième risque"
couvert par la Sécurité sociale. Une option qui ne semble plus à l'ordre du jour.(€)
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Travailler plus longtemps, mais à quel prix ?


Usures physiques, stress, troubles musculo-squelettiques..., la pénibilité perdure au sein des entreprises.
Une réalité qu'il faudrait enfin prendre en compte à l'heure d'une nouvelle réforme des retraites.(€)
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Pauvreté : le chassé-croisé jeunes/vieux


Avec la montée en charge des systèmes de retraite et la dégradation du marché du travail, la pauvreté, qui
touchait hier essentiellement des personnes âgées, concerne aujourd'hui surtout des jeunes.(€)
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Famille, je vous aide


Les aides en temps et en argent entre générations sont considérables. Et contrairement à une idée reçue,
cette solidarité est d'autant plus forte que l'Etat-providence se montre généreux.(€)
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Les générations face au logement


Les jeunes, et plus encore ceux dont la famille ne peut donner de coups de pouce, et les plus âgés non
propriétaires sont particulièrement touchés par la crise actuelle du logement.(€)
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Plus on vieillit, moins on consomme


Alimentation, logement, santé..., la répartition des dépenses des ménages a évolué depuis cinquante ans.
Et elle varie selon le niveau de revenu, mais aussi en fonction de l'âge et de la génération de naissance.(€)
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La France pingre avec sa jeunesse


De la petite enfance à l'université, dans les investissements et les enjeux éducatifs, la France manque
d'ambition pour sa jeunesse. Un mauvais calcul pour l'avenir.(€)
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Vote : l'effet d'âge existe-t-il ?


Les jeunes pencheraient à gauche, les vieux à droite ? La réalité est beaucoup moins tranchée que cela.(€)
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Controverse

Une jeunesse déclassée


L'emploi qualifié continue de se développer, mais le déclassement des générations qui arrivent sur le
marché de l'emploi n'est pas un fantasme.(€)
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La génération 68, une génération bénie?


Heureux soixante-huitards ! Après avoir évolué dans un contexte économique plus favorable, ils
bénéficieraient aujourd'hui à plein d'une retraite à 60 ans. Pas aussi simple.(€)
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Enjeux

Inégalités entre les générations: la France n'est pas un modèle à suivre


La France est, avec l'Espagne et l'Italie, l'un des pays d'Europe où les inégalités entre générations sont les
plus visibles. Les plus jeunes y sont confrontés en particulier à de graves difficultés d'intégration.(€)
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"Il faut féminiser les parcours de vie des hommes"


Les dispositifs de protection sociale ne sont plus adaptés aux nouveaux parcours de vie des individus. Et ce
sont les femmes qui en payent le prix, dans l'entreprise comme au sein de la famille ou lors de la retraite.(€)
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La génération des émeutes


Le chômage, massif et sélectif, ne permet pas d'expliquer à lui seul le malaise de la jeunesse qui s'est
exprimé dans de nombreuses banlieues françaises lors des émeutes de 2005.(€)
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Générations actuelles et générations futures


Le souci du bien-être des générations futures est bien sûr légitime, mais il ne peut suffire à définir les
politiques à mener aujourd'hui. Explications.(€)
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Bibliographie

Générations : bibliographie
Livres, sites Internet,...
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Frédéric Gaussen, «Qu'est-ce qu'une génération?», Le


Monde , 15 novembre 1981
Frédéric Gaussen a été journaliste au Monde de 1964 à 1994.

Qu'est-ce qu'une génération ? Qu'est-ce qui fait que toutes les personnes d'un même âge se
sentent quelque chose en commun, quelle que soit leur origine sociale ou régionale ? Il y a
plusieurs façons d'entendre le mot « génération ». Il peut désigner les gens ayant eu une
expérience historique commune particulièrement frappante. Ainsi parle-t-on de la guerre de
1914 ou de la Résistance ou de Mai 1968. On peut aussi identifier la génération à une classe
d'âge : tous les gens ayant eu vingt ans dans les années 1950 ou 1970. On peut enfin penser à
l'expérience familiale : la génération des enfants, par opposition à celle des parents et des
grands-parents. Trois approches qui entraînent en fait des définitions et des contenus bien
différents.

Pour qu'un événement crée une génération il faut qu'il ait un caractère global (qu'il touche
pratiquement tous les individus d'un même âge), qu'il soit assez prolongé pour avoir le temps
de marquer et suffisamment éprouvant pour que chacun ait de bonnes raisons de s'en
souvenir. C'est pourquoi une guerre fait particulièrement bien l'affaire. Mais ces conditions ne
sont pas suffisantes. Il faut aussi que « cet événement fondateur » fasse l'objet ensuite d'une
célébration collective, que le souvenir en soit entretenu et magnifié1. C'est l'interprétation
posthume de l'événement qui fait une génération, plus que l'événement lui-même. Aussi peut-
on parler de génération pour les acteurs de la guerre de 1914, mais non pour la guerre de
1939-1945 (sauf pour la tranche très minoritaire de ceux qui ont participé à la Résistance) ou la
guerre d'Algérie. Dans les deux derniers cas, la mauvaise conscience nationale provoquée par
ces événements a entraîné un effet d'oubli, de gommage volontaire. Loin de se regrouper pour
exalter les souvenirs communs, les survivants s'évitent et se taisent.

Ceci montre que l'histoire n'est jamais une succession neutre d'événements, mais une
reconstruction opérée par une collectivité humaine, en fonction d'objectifs particuliers. La
constitution d'un « effet de génération » répond à un programme précis : effacer les différents
sociales ou les rivalités politiques ; forger l'unité d'un groupe autour d'un grand mythe original
; détourner les ressentiments que pourraient susciter les souffrances endurées en exaltant
l'héroïsme des survivants ; affermir le pouvoir d'un clan et écarter les assauts de prétendants
illégitimes (parce que n'ayant pas reçu l'acte de baptême de l'événement fondateur).

De même, si l'on peut - à la rigueur - parler d'une « génération de Mai 1968 », ce n'est
évidemment pas en raison de l'effet politique immédiat de l'événement ou de l'importance
numérique des gens qui y ont participé directement, mais parce qu'il fut pris pendant les dix
années qui ont suivi comme référence symbolique par les médias et par une partie importante
de l'opinion pour désigner un profond mouvement de transformation sociale.

Cet exemple montre que l'effet de génération peut jouer - sur une échelle réduite -pour
désigner des groupes souvent très minoritaires, mais ayant une influence intellectuelle ou
politique décisive.

La génération à caractère sociologique est, à l'inverse, beaucoup plus vaste et englobe, à la


limite, tous les individus nés à la même époque et ayant eu les mêmes expériences scolaires
et enfantines. Plus tard, ils s'apercevront en effet qu'il y a entre eux une relation invisible faite
du même air respiré, d'émotions partagées à l'écoute des mêmes airs, au souvenir des mêmes
danses et des mêmes coiffures. « De notre temps... », c'est-à-dire lorsque nous étions jeunes
ensemble, lorsqu'on vibrait aux mêmes choses, qu'on pleurait devant les mêmes visages. Ce
sont des souvenirs ténus, impalpables, mais plus importants que toutes les professions de
foi. Ceux auxquels on tient plus que tout, parce qu'ils nous ont fait ce que nous sommes.

L'homogénéisation des sociétés modernes — avec la prolongation de la scolarité, la


génération des médias, le rapprochement des sexes... — ne peut évidemment que renforcer
cet effet de génération-là. Le phénomène du « yé-yé2 » a marqué peut-être la naissance de ces
générations à l'échelle planétaire. Transportés par les médias à travers les frontières, les mots
de passe et les signes de connivence réunissent les jeunes du monde entier dans les
émotions communes. Mêmes airs, mêmes danses, mêmes vêtements, mêmes révoltes, mêmes
rêves...

© Le Monde
1.Glorifier.
2.Yé-yé: phénomène de mode des années 1960 inspiré par la musique américaine (rock, twist).

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Publié par Le Haut Parleur à l'adresse 06:50 0 commentaires

Libellés : Génération(s)

Politiques 11/02/2010 à 00h00

«Les jeunes sont toujours mobilisés, mais autrement»


Interview

Anne Muxel, chercheuse, explique ce que signifie la politique pour ceux qui ont 20 ans
aujourd’hui.

63 réactions

Recueilli par charlotte rotman







Ce sont «les enfants du désenchantement». Ceux qui ont 20 ans ont hérité d’une forme de
désillusion à l’égard de l’action politique. Mais sont-ils désintéressés pour autant ? Inactifs ?
Muets ? Dans Avoir 20 ans en politique (1), la politologue Anne Muxel, directrice au
Cevipof, raconte, à rebours des idées reçues, comment cette génération réinvente sa propre
expérimentation de la politique.

Les jeunes sont-ils dépolitisés ?

On a l’idée que les jeunes sont dépolitisés par rapport à un avant, supposé être le temps de
l’engagement. La mesure étalon correspond à un modèle mythique de la jeunesse des
années 1960. En fait, les jeunes ne sont pas dépolitisés, mais ils sont politisés autrement. Si
on scrute le niveau d’intérêt des jeunes d’aujourd’hui pour la politique il est équivalent à ce
qu’il était il y a trente ans et correspond à peu près à celui du reste de la population. Mais il
est vrai que le lien à la politique se joue dans un nouveau triptyque : la défiance, un rapport
intermittent au vote et des formes de protestation plus actives.

Sont-ils plus abstentionnistes ?

Aujourd’hui, les jeunes qui ne votent pas sont la majorité. Par exemple, seuls 30% des moins
de 30 ans ont voté aux quatre tours de scrutin (présidentielle plus législatives) de 2007. Aux
dernières élections européennes, 7 jeunes sur 10 n’ont pas voté… Mais 6 Français sur 10 ne
se sont pas déplacés non plus.

Quels autres terrains politiques occupent les jeunes ?

Leur politisation se fait par le biais des valeurs. Depuis deux décennies, beaucoup de
mobilisations, ponctuelles, se concrétisent pour la défense de certaines valeurs : l’égalité, les
droits de l’homme, le pacifisme, l’antiracisme. Avant, l’engagement se faisait au travers des
organisations et des appareils politiques, avec le carcan des grandes idéologies. Le modèle de
l’engagement a changé.

Les jeunes sont-ils plus à gauche ?

Ils sont moins à gauche qu’avant, mais ils restent plus à gauche que les autres. Il y a
trente ans, 56% des 18-30 ans se situaient à gauche, en 2007, ils sont 40%. Ils sont moins à
gauche que leurs parents, car ce sont les enfants d’un désenchantement qui a décoloré
l’espérance de gauche. Les jeunes sont porteurs de cet héritage, ils restent plus à gauche que
l’ensemble de la population, mais ils sont aussi plus critiques, moins prompts à endosser toute
la panoplie d’une ligne ou d’un parti. Ils sont plus libres.

Croient-ils encore au clivage droite-gauche ?

En fait, si les filiations à la gauche se rétractent, ce n’est pas en raison d’une droitisation de la
jeunesse, mais à cause du refus de positionnement entre la gauche et la droite. Ce sont les
jeunes qui expérimentent en premier l’affaissement du clivage gauche-droite. Aujourd’hui ils
sont plus de 4 sur 10 à ne se sentir ni de droite ni de gauche. Il faut rappeler que 69% des
Français ne font confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner. Le climat de défiance
est très fort et les affiliations sont malléables. Au moment de la présidentielle, François
Bayrou a su rallier beaucoup de jeunes en jouant sur le ni droite ni gauche. Pour la gauche, il
y a un boulevard à reconquérir car les jeunes restent très réceptifs. Mais cela implique
d’impulser des choix politiques et de programmes différenciés.

L’écologie peut-elle devenir pour eux une idéologie de remplacement ?

La réponse écologiste par rapport à l’enjeu environnemental peut être une voie de
politisation. Mais pour l’instant, il y a eu peu de grandes mobilisations de jeunes : on n’a pas
vu de grands défilés sur la taxe carbone, le problème de l’eau et le réchauffement du climat.
C’est un enjeu que les jeunes ont incorporé, mais ils ne l’ont pas transformé en véritable
mode d’action politique.
Sont-ils plus protestataires ?

La protestation a gagné en légitimité dans la société. Près de 5 Français sur 10 se disent prêts
à descendre dans la rue pour défendre leurs idées. Pour les jeunes, la protestation est devenue
un outil d’expression politique. Et la manifestation, un rituel. Souvent, cela se joue sur les
enjeux éducatifs, que le gouvernement soit de droite ou de gauche. Il y a d’autres formes de
mobilisations, sur des enjeux plus ciblés, plus concrets, avec des moyens démonstratifs,
ludiques qui appellent une médiatisation. Je pense par exemple aux Enfants de Don Quichotte
sur le mal-logement, ou Génération précaire, sur les stages, les antipubs ou les intermittents
du spectacle… Mais cela se passe sur un temps court. On n’est plus dans l’engagement sur le
temps long : quand on s’engageait pour que nos enfants ou petits-enfants connaissent le grand
soir. Là, ces mobilisations appellent une réponse immédiate et utilisent Internet, les textos,
des outils dont les jeunes sont plus familiers. Pour les partis traditionnels, ces militants
peuvent représenter un vivier.

Comment se caractérise la politisation des jeunes Français par rapport aux jeunes Européens ?

Ils sont plus abstentionnistes que la moyenne, mais ils sont aussi plus protestataires. Il y a une
fracture entre l’Europe du Nord (Scandinavie, Allemagne) où les jeunes sont politisés de
façon plus conventionnelle et votent plus, et le Sud (Grèce, Italie, Espagne) où ils sont moins
présents sur la scène électorale mais plus dans la rue.

Que peut-on dire de leurs comportements pour les élections régionales ?

On ne peut pas extrapoler à partir du dernier scrutin. Mais le score d’Europe Ecologie (EE)
sera à suivre. Aux élections européennes, 18% des 18-24 ans ont voté EE, 22% des 25-34 ans
(contre, 16% pour l’ensemble de l’électorat). Selon un dernier sondage Ifop pour Paris
Match [réalisé les 21 et  22 janvier auprès de 853 personnes, ndlr], 22% des 18-24 ans
avaient l’intention de voter EE. L’attrait de ce mouvement chez les jeunes semble persister.
Pour le reste des 18-24 ans, toujours dans ce sondage, 28% pensaient voter PS, 17% UMP et
4% FN.

(1) Seuil, 239 pages. 19,50 euros.

Les voies d’un engagement

Les jeunes et la politique l’héritage


de 1968
Denis Pelletier
Juillet 2008

Les enjeux du présent l’emportent toujours sur l’héritage du passé. La


protestation des jeunes a pris de nouvelles formes, moins
communautaires. Elle exprime d’autres clivages et rencontre sans
doute moins d’attention collective qu’en 1968.
S ’interroger sur la relation entre les jeunes et la politique ne va pas de soi. La
démarche impose d’identifier un groupe d’âge dont les caractéristiques communes
sont suffisamment significatives pour qu’il soit possible d’en faire un acteur de la vie
collective. Or ce groupe d’âge, « les jeunes », n’a pas toujours existé et, surtout, son
émergence comme partie prenante de la vie politique est historiquement datée.

Cette émergence supposait en effet une unification suffisante des rapports à l’action
collective pour que l’effet d’âge l’emporte sur les écarts qui pouvaient séparer un
jeune agriculteur d’un jeune ouvrier ou d’un étudiant issu des classes moyennes
urbaines. Longtemps, notre société industrielle a pensé que les collectifs qui
comptaient étaient d’origine strictement sociale : qu’il s’agisse des « métiers » dans la
France ancienne, des « classes nouvelles » de Gambetta, de la « classe ouvrière » ou
des « paysans » dans la France du premier XXe siècle, on pensait le politique à partir
de groupes sociaux qui transcendaient les effets de génération. L’unité de la jeunesse,
l’Église catholique en avait mesuré les limites lorsqu’elle avait opté, à la fin des
années 20, pour un apostolat d’Action catholique spécialisée par milieux. Et les
évêques ne concevaient pas que ces jeunes puissent faire de la politique, pas plus
d’ailleurs que la très grande majorité de la société française. Pour que « les jeunes »
deviennent des acteurs politiques, il fallait qu’un événement leur permette
d’échapper au statut de minorité civique qui les avait longtemps maintenus à l’écart,
un peu comme il en avait été pour « les femmes » jusqu’à la généralisation du
suffrage universel en 1944.

Sous cet angle, la date clé fut, le 3 juillet 1974, la promulgation de la loi abaissant de
21 à 18 ans l’âge de la majorité civile. Cette loi, qui fit entrer environ 2,4 millions de
jeunes gens dans le corps électoral, était issue d’une promesse du candidat Valéry
Giscard d’Estaing. Elle était surtout la conséquence de l’irruption des « jeunes » au
cœur du débat politique depuis le milieu des années 60, irruption dont les
événements de mai 1968 furent un révélateur et un moment de cristallisation. Le
conflit des générations fut un moteur de ces événements comme il ne l’avait sans
doute pas été en France depuis le temps de la Restauration, lorsque les jeunes
révoltés du romantisme s’étaient bruyamment opposés, dans les salons, les salles de
spectacle et les gazettes, aux vétérans de la Révolution et de l’Empire. Comment
comprendre ce conflit central des années 68, et quelle en est l’ombre portée sur la vie
politique française depuis lors, c’est la question à laquelle j’aimerais répondre dans
les pages qui suivent. La « génération 68 » a en effet joué un rôle central dans la
manière dont s’est défini en France le rapport des jeunes gens à la politique. Mais il
n’est pas sûr que les conditions qui ont alors conduit les Français à penser que « les
jeunes » étaient devenus des acteurs majeurs de la modernisation de la société soient
encore d’actualité quarante ans plus tard.

La génération des sixties


Les jeunes des sixties appartiennent à la génération du baby-boom. Au cours des
années 30, il naissait en France environ 600 000 enfants par an ; ce chiffre est passé
en moyenne à 800 000 entre 1945 et 1964. Le phénomène s’explique par l’élan de la
Libération, que prolonge la politique familiale volontariste de la IVe et de la Ve
République. C’est ainsi qu’au milieu des années 60, les moins de 20 ans représentent
environ 35 % de la population totale de la France, une proportion inconnue depuis
bien longtemps.

La jeunesse devient donc un marché, vers lequel s’orientent un certain nombre


d’industries et de médias. Au cours des années 1960, deux secteurs servent de théâtre
à l’émergence d’une sorte de « contre-culture » jeune. La mode : blue-jeans et
minijupes, T-shirts et cheveux longs jettent le trouble dans les familles tout en
marquant la présence d’une classe d’âge dans l’espace social. La musique, aussi.
Pendant longtemps, la variété française a été dominée par les deux modèles du
chanteur de charme, style Jean Sablon ou Luis Mariano, et du « type » régional à
l’image de Tino Rossi le corse, de Maurice Chevallier le titi parisien ou de l’ouvrier
marseillais Yves Montand. La génération des sixties se reconnaît, elle, dans de très
jeunes interprètes qui se tournent vers les modèles musicaux anglais et américains, le
rock’n roll puis le rock, et évoquent dans un style réaliste leurs inquiétudes
quotidiennes et leurs espoirs.

Le mouvement est porté par la presse et la radio : l’émission Salut les copains est
lancée en 1959 sur Europe1 par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, puis relayée en
1962 par un hebdomadaire qui tire à plus d’un million d’exemplaires l’année
suivante. Il est indissociable d’un certain nombre de progrès techniques, comme la
miniaturisation des transistors et l’invention du « pick-up », qui permettent aux
adolescents d’écouter le « hit-parade » dans l’intimité de leur chambre, à l’écart du
vieux poste de TSF qui continue de diffuser au centre du salon une culture familiale
sans âge. Dans la genèse de mai 1968, la bande des « yé-yé », celle de Johnny
Hallyday et Françoise Hardy, de Sylvie Vartan et Richard Anthony, d’Antoine et
Jacques Dutronc, joue un rôle essentiel en trouvant les mots pour exprimer l’écart
entre la génération de la Résistance et de la reconstruction, d’une part, celle des
sixties et de l’entrée dans la société de consommation, de l’autre.

Un retournement se trame, à la même époque, au sein des familles et à l’école. En


1955 est paru, sous le titre L’art d’être parent, la traduction française du livre du
docteur Spock, Common sense Book of Baby and Child care, publié aux États-Unis
en 1946. En 1965, Laurence Pernoud fait paraître J’élève mon enfant, dont les
éditions successives vont servir de bible éducative à plusieurs décennies de jeunes
parents. Lentement, un nouveau modèle commence à s’imposer en France. À
l’éducation conçue comme une relation d’autorité centrée sur l’inculcation de la loi
par les adultes, se superpose un modèle plus affectif, qui insiste sur l’apprentissage
de l’autonomie par les enfants et sur la nécessité d’une relation attentive au respect
de leur personnalité propre. Sans doute les choses ne changent-elles pas aussi vite
qu’on pourrait le croire avec près d’un demi-siècle de recul. Mais ce nouveau modèle
d’éducation fait aussi son entrée à l’école, via l’abaissement de l’âge de la
scolarisation et le premier essor des classes maternelles. En 1950, on ne comptait
encore qu’un million d’enfants scolarisés de moins de quatre ans ; en 1975, ils seront
2,6 millions.

Scolarisés plus tôt et dans un cadre qui devient plus attentif à leur spécificité
d’enfants ou d’adolescents, les jeunes des années 1960 restent plus longtemps dans le
système scolaire. Depuis 1959, l’enseignement est obligatoire jusqu’à 16 ans. Le
nombre d’adolescents dans l’enseignement secondaire passe d’1,5 million en 1950 à
3 millions en 1960, puis 4,5 millions en 1970. Et c’est une minorité plus importante
qu’auparavant qui peut continuer ses études dans l’enseignement supérieur : la
France comptait 215 000 étudiants en 1960, elle en a 650 000 en 1970. Plus
nombreux, plus autonomes, mieux formés, les « jeunes » des années 1960 sont aussi
mieux armés pour formuler des revendications nouvelles, et prendre en charge,
consciemment ou non, les transformations culturelles provoquées par vingt années
de croissance économique accélérée et par l’entrée dans la société de consommation.

Le « moment 68 » de la société française


Sur le plan politique, les signes avant-coureurs de la contestation sont apparus très
tôt. Pendant la guerre d’Algérie, dans une armée française où toute organisation
politique est interdite, c’est au sein des mouvements de jeunesse chrétiens que la
protestation des appelés contre les abus de la répression trouve un relais à partir de
1956. L’année suivante, la publication par Témoignage chrétien des carnets de
l’ancien scout Jean Müller, récemment mort au combat, provoque une crise profonde
au sein de la Route et de la Jeunesse étudiante chrétienne. Jean Müller y dénonce la
torture et les violences militaires contre les populations algériennes. Les
mouvements chrétiens se veulent apostoliques et non politiques, mais ils prétendent
aussi former des élites citoyennes : leurs jeunes dirigeants peuvent-ils se taire devant
la torture ? Dans la première moitié des années 1960, des conflits analogues se
nouent, parfois autour de la guerre du Vietnam, plus souvent sur les terrains de
l’engagement politique et de l’Université : l’Union des étudiants communistes, la
Jeunesse étudiante chrétienne, les jeunes protestants de la revue Le Semeur y
affrontent leurs aînés, les enjeux politiques et institutionnels prennent déjà la forme
d’un affrontement entre générations.

Le gauchisme s’est nourri de ces conflits à répétition, il est au cœur des années 68.
Un de ces traits caractéristiques est la manière dont il formule sur un registre
hyperpolitisé une mutation des systèmes de valeurs et des modes de vie dont les
jeunes issus du baby-boom sont les véritables acteurs. Université, école, famille,
religion, toutes les institutions porteuses de sens collectif, tous les enjeux du
quotidien aussi, se chargent d’un contenu politique, souvent révolutionnaire.
Pendant quelques années, qu’ils soient trotskistes, maoïstes, anarchistes ou chrétiens
révolutionnaires, les jeunes gauchistes travaillent à la politisation de la vie
quotidienne, et croient par là redonner sens au mythe du grand soir et de la
révolution. Le gauchisme est certes ultraminoritaire en France. Mais ses leaders, un
Daniel Cohn-Bendit à la tête du Mouvement du 22 mars, un Daniel Sauvageot à la
tête de l’Unef, etc., parviennent à cristalliser les inquiétudes et les revendications
d’une classe d’âge qui trouve dans leurs discours et leurs slogans un écho à ses
préoccupations.

Il y a bien sûr du jeu dans cette « révolution », et cette dimension ludique crée du
lien entre les groupes politisés, la masse des jeunes gens et le reste de la société
française. Une des premières manifestations étudiantes sur le campus universitaire
de Nanterre a été l’envahissement joyeux de la résidence universitaire des jeunes
filles par les étudiants à l’occasion de la Saint-Valentin de 1967. Dans les universités
occupées, la prise de parole s’accompagne d’un sentiment inédit de liberté. « Sous les
pavés, la plage », « il est interdit d’interdire » : les slogans de 1968 vont dans le sens
de la fête révolutionnaire, au regard de laquelle les brutalités policières et les
discours du pouvoir semblent d’un autre temps. Mai 1968 ne se réduit certes pas à un
mouvement de jeunes, mais il est ressenti comme tel, ce qui revient finalement au
même. Pour la classe politique, pour la société française, c’est une révolte de la
jeunesse, qui se poursuit par une agitation universitaire de quelques années.

Dès 1973 pourtant, alors que lycéens et étudiants descendent dans la rue pour
protester contre la loi Debré réformant le service national, le gauchisme s’épuise. Les
dernières grandes grèves étudiantes datent du printemps 1976, et le
désenchantement vient ensuite. Il s’explique par le vieillissement des acteurs, qui
jettent un regard critique sur leurs engagements passés ; par la crise économique qui
fait monter le spectre du chômage ; par la découverte des camps chinois, du génocide
cambodgien, de la dictature communiste au Vietnam, qui précipite la « crise des
utopies ». Mais ce désenchantement lui-même participe d’une recomposition de
l’espace politique sur la base du conflit des générations. Nourris par un combat
contre le gaullisme et contre le parti communiste qu’ils assimilaient l’un et l’autre à la
génération des pères, les anciens gauchistes et ceux qui se sont reconnus en eux vont
grossir tout au long des années 1970 les rangs du nouveau Parti socialiste, préparant
ainsi la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1981. Le lien
entre la « génération 68 » et la « génération Mitterrand », qui émergera autour des
grèves étudiantes de 1986 et de mouvements de sociétés dont SOS Racisme est
l’archétype, est indissociable de l’irruption des jeunes au cœur du débat politique.

Quarante ans après


Quarante ans plus tard, il est difficile à l’historien de mesurer avec exactitude la
portée du phénomène. Des débats qui ont entouré l’élection présidentielle de 2007 à
ceux qui accompagnent la commémoration de mai 1968, on retiendra que nombre
d’enjeux demeurent d’actualité, mais au prix d’une incertitude nouvelle sur leur
signification. La revendication d’autonomie individuelle des jeunes de 68 a-t-elle
débouché sur une société plus attentive à l’épanouissement des personnes qui la
composent, comme en témoigne la multiplication des métiers de l’accompagnement
individuel ? Ou s’est-elle retournée jusqu’à servir à l’imposition de nouvelles normes
sociales aux individus – souplesse, adaptation, épanouissement individuel, capacité à
gérer de manière autonome son itinéraire professionnel – qui ne seraient pas moins
contraignantes que celles auxquelles elles succèdent, et ne feraient que renouveler les
modalités de très anciennes procédures de domination sociale ? La critique des
institutions, qui fut au centre de la protestation en 1968, a-t-elle permis une
redéfinition des relations entre les individus et l’État, plus attentive aux droits des
personnes et à leur protection contre l’arbitraire, ou débouche-t-elle sur une crise
profonde de l’autorité qui, en déstabilisant en profondeur l’espace du politique,
menace de se retourner contre les plus faibles eux-mêmes ?

Au-delà d’interrogations qu’il serait facile de multiplier ainsi, on constate deux


choses. D’une part, la revendication d’émancipation des corps, qui se traduisit
concrètement, de 1968 à 1975, par le combat pour la contraception et l’avortement et
fit pour quelques années de l’émancipation des femmes un enjeu de la modernisation
de la société française, a transformé en profondeur les conditions mêmes du débat
politique. Qu’il s’agisse des manières de naître et de mourir, de la lutte contre les
violences conjugales et familiales ou des débats autour de l’homoparentalité, toute
une série d’enjeux actuels s’inscrivent dans le sillage de revendications qui ont été
portées par la génération 68 et qui concernent le croisement entre sphère intime et
sphère politique. D’autre part, les jeunes des années 68 ont été les premiers acteurs
d’une transformation considérable des manières de vivre ensemble. Le sociologue
Henri Mendras y voyait une « seconde révolution française », marquée par le passage
de la société industrielle à la société des individus. Cette mutation, qui modifie en
profondeur les systèmes de valeur, s’impose comme un décor obligé aux
engagements des générations suivantes : enjeux de l’information et de son
instantanéité, de la biodiversité et de l’écologie, des rapports nouveaux entre
l’individuel et le collectif, de la redéfinition des fondements anthropologiques du
vivre ensemble.

Autrement dit, les enjeux du présent l’emportent toujours sur l’héritage du passé. Les
années 68 ont été suivies d’une recomposition des manières de militer qui a
longtemps été analysée comme une crise de l’engagement parmi les nouvelles
générations. Les mouvements étudiants et lycéens de ces dernières années, tout
comme la protestation violente qui monte régulièrement des banlieues des grandes
villes, prouvent qu’il n’en est rien. La protestation des jeunes travaille toujours de
l’intérieur la société française du premier XXIee siècle. Est-elle aussi facile à identifier
qu’au cours des années 68 ? La réponse est rien moins qu’évidente. D’une part,
l’aggravation de la ségrégation urbaine et spatiale, le grippage de l’ascenseur scolaire
qui met à mal la capacité de l’École à unifier les comportements citoyens,
l’affaiblissement de la légitimité de la sphère politique au profit d’autres ressorts
identitaires, fabriquent de nouveaux clivages susceptibles de l’emporter sur la
communauté d’appartenance à une classe d’âge. D’autre part, il n’est pas sûr que la
protestation des jeunes, fût-elle encore identifiable comme telle, rencontre
aujourd’hui la même attention collective qu’il y a quarante ans. Ne doit-on pas
constater au contraire que, la retraite approchant, la génération 68 est en train
d’imposer la question des seniors comme une nouvelle clé de l’avenir de la société
française ? Si c’est le cas, le conflit de générations a certes encore de beaux jours
devant lui. Mais il n’est pas sûr qu’il tourne désormais à l’avantage des plus jeunes
comme ce fut le cas au cours des années 68.

Denis Pelletier,
Denis Pelletier est historien, membre de l’École pratique des

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