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DIVERSIFICATION ET SÉPARATION DES PATRIMOINES

Notariat et mécénat

16 - Expression de solidarités différentes :


fonds de dotation, mécénat en compétence

Intervention de Fabienne JOURDAIN-THOMAS, notaire à Paris


et Sophie SCHILLER, professeur à l'Université Paris-Dauphine

1. La création des fonds de dotation par la loi LME du 4 août 2008 s’inscrit dans un mouvement
général d’évolution du comportement de l’État et en particulier vis-à-vis du mécénat. Ces dernières
années, les pouvoirs publics ont souhaité se désengager de certaines missions qui ne sont pas au
cœur de leurs prérogatives régaliennes, afin de réduire le domaine public. Etant soumis à une
demande de solidarité croissante, ils ont tenté de transférer ces secteurs délaissés à des structures
privées, gérées et financées par des fonds privés. Dans ce but, ils ont multipliés les outils juridiques
permettant de recevoir des fonds privés destinés à des actions de mécénat. Ont ainsi été créées les
fondations d’entreprise, les fondations de coopération scientifique, universitaires, partenariales etc.
La création du fonds de dotation se situe dans la continuité de ce mouvement en permettant, sans
aucune restriction quant au domaine d’activité, d’affecter dans de très bonnes conditions, tant
juridiques que fiscales, des fonds destinés à une cause caritative. Ce désir de désengagement de
l’État ne rencontre pas toujours un souhait d’engagement croissant du public. L’un souhaite se
retirer, mais l’autre n’a pas réellement envie de s’avancer. Alors que les montants tout à fait
spectaculaires affectés aux fonds de dotation américains sont dans tous les esprits1, aucun
mouvement de cette importance ne peut être constaté sur le sol français. Pourquoi les Français se
montrent-ils moins généreux ? Plusieurs explications ont été avancées et en particulier les habitudes
liées à une tradition protestante qui seraient à l’origine de la générosité anglo-saxonne. Au-delà de
ces justifications, il est certain que la réticence des Français à donner est certainement causée par un
sentiment de participer déjà très fortement à l’effort de solidarité en payant des impôts élevés.
Compte tenu de la pression fiscale française, beaucoup ont l’impression d’avoir « déjà donné ».
Cette réaction est en partie injustifiée, car le régime fiscal applicable aux opérations de mécénat
permet pour l’essentiel de substituer les dons au paiement d’impôts et non de rajouter un versement
supplémentaire.
1
La fondation Bill et Melinda Gates dispose d’un budget de 40 milliards de dollars, le fonds Harvard de 37 milliards
de dollars, la National Wildwife Fondation de 125 millions de dollars,,,
1
2. Aujourd’hui, les entraves à la générosité sont en train de se réduire. Le fonds de dotation a été
doté d’un régime juridique et fiscal tout à fait favorable et il permet de réaliser des actions de
mécénat dans des conditions très intéressantes. Conjointement à une adaptation de l’outil, on assiste
à une évolution des mentalités. Tant les héritiers de fortune que les créateurs d’entreprise ressentent
le besoin de ne pas consacrer leur vie à une simple accumulation de richesses. Ils souhaitent affecter
une partie de leur patrimoine à une cause, en créant une personne morale qui leur permettra non
seulement de décider précisément de l’utilisation des fonds plutôt que de les verser à une structure
dont ils ne maîtrisent ni l’organisation ni l’objectif, mais également de survivre après leur décès,
répondant ainsi à une certaine recherche d’immortalité. L’évolution de la demande des utilisateurs
ainsi que les outils proposés explique le succès de plus en plus grand des fonds de dotation. Au 3
juillet : 341 fonds de dotation ont été créés, 91 (soit 26%) concernent le domaine culturel (pratique
culturelle et artistique + préservation du patrimoine), 52% ont été créés en Ile de France, mais très
peu ont été créés par des entreprises. Les fonds de dotation deviennent ainsi un instrument important
de la gestion de patrimoine. Les notaires sont donc particulièrement concernés par ce nouvel outil,
d’autant plus qu’ils seront souvent présents lorsque sera décidée la création du fonds (I) et
forcément présents en cas d’apport d’un immeuble au fonds constitué (II).

I. Intervention lors de la création du fonds de dotation

3. Le fonds de dotation peut être créé par une personne en vie ou à titre posthume, soit par legs,
soit par testament, deux actes qui sont susceptibles d'intéresser un notaire. Cela justifie de les
connaître d'autant plus que ce nouvel instrument présente deux avantages par rapport à ceux qui
existaient jusqu'alors : d’une part, sa souplesse et sa simplicité (A) et, d’autre part, son efficacité
(B).
A. Souplesse et simplicité des fonds de dotation

4. La souplesse et la simplicité distinguent les fonds de dotation des outils de mécénat assortis
d’une fiscalité avantageuse qui existaient auparavant (fondation, association reconnue d’utilité
publique). Ces deux caractères se retrouvent dans plusieurs éléments du régime des fonds de
dotation : les buts autorisés, la création et le fonctionnement.

5. La loi prévoit deux possibilités pour le fonds d’utiliser ses ressources2. Un fonds d’action directe
ou opérationnel peut poursuivre la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général. Un

2
Loi 2008-776, art, 140-I.
2
fonds relais ou de distribution peut les redistribuer à une personne morale à but non lucratif dans
l’accomplissement de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général. Le caractère très général des
objectifs autorisés a permis de constituer des fonds de dotation dans des domaines très divers. Le
premier fonds de dotation créé a été le fonds THOIRY CONSERVATION POUR LA
BIODIVERSITE ET LE DEVELOPPEMENT DURABLE, déclaré en préfecture des Yvelines le 24
février 2009 et publié au Journal Officiel le 14 mars 2009. Il s'agit d'un fonds qui a pour objet tant
de développer des actions que de soutenir des organismes dans le domaine de la protection de la
biodiversité et du développement durable. Quelques semaines plus tard, un cabinet d’avocats créait
un fonds destiné à financer des associations et projets centrés autour du développement de la
personne, entreprenariat, insertion etc. pour « refléter les valeurs du cabinet qui met l’homme au
centre de toute son action »3. Depuis, ont été créés des fonds très divers. Deux exemples
particulièrement symptomatiques peuvent être cités. Tout d’abord, le « Louvre 2020 » créé grâce
aux 400 millions d’euros apportés par l’émirat d’Abou-Dhabi pour développer un musée sur le
modèle du Louvre sur son territoire. L’affectation de cette somme à une personne autonome
présentait deux avantages : elle permettait de les « sanctuariser » pour empêcher tout autre
utilisation immédiate éventuelle et elle ouvrait à terme les ressources issues du projet vers d’autres
institutions culturelles susceptibles de profiter des fruits engendrés4. Dans un tout autre domaine,
l’assemblée générale de Danone a décidé, le 23 avril 2009, à 98,36 % des voix, d’apporter à titre
gratuit et irrévocable 100 millions d’euros (qui seront abondés à partir de 2010 d’un montant jusqu’à
1% du résultat net chaque année, et ce pour une période de 5 ans) à un fonds ayant pour objet « de
renforcer et développer en France et à l’étranger des activités d’intérêt général dans l’écosystème de
Danone. L’écosystème de Danone est constitué des parties prenantes situées dans l’environnement
économique, social et territorial de Danone et ses filiales (…) comme des programmes de
développement de compétences chez nos fournisseurs, des créations d’activités en lien avec nos
métiers, ou encore des programmes de formation et d’insertion à l’emploi autour de nos usines ».
Ces divers exemples montrent la diversité des objectifs et des créateurs possibles (personne
physique ou morale, particuliers ou entreprises).

6. La souplesse se retrouve également dans le processus de création. Le rapport présenté au Sénat


lors de la discussion sur la Loi de modernisation de l’économie soulignait que « malgré leur grand
mérite, les outils existant actuellement dans le droit français peuvent décourager certaines initiatives
en raison d’un excès de rigidité. Ainsi, s’il n’est évidemment pas question de les remettre en cause,

3
F. Perrotin, Fonds de dotation, un dispositif qui rencontre son public, Petites Affiches 24 juillet 2009, p. 4.
4
www.economie.gouv.fr/.../daj/fondsdedotation/.../lme_081119_hloyrette.pdf
3
il apparaît que les fondations reconnues d’utilité publique sont encadrées par des règles très
contraignantes ». Contrairement à ces outils rigides, un fonds de dotation peut être créé pour une
durée déterminée ou indéterminée, par simple déclaration accompagnée du dépôt de ses statuts ainsi
que des noms, prénoms, date de naissance, lieu de naissance, profession, domicile et nationalité des
administrateurs auprès de la préfecture du département du ressort de son siège. L’acquisition de la
personnalité morale est concomitante à sa publication au journal officiel.

7. Le fonctionnement du fonds respecte également des principes de liberté et simplicité. Le


législateur n’a imposé ni système de collège, ni contrôle spécifique lors de la phase de création. Est
seulement prévue la présence d’un conseil d’administration composé d’au moins trois membres
nommés, la première fois, par les fondateurs, et dont la composition sera fixée par les statuts. Ce
conseil administrera le fonds et définira sa politique d’investissement, sur proposition d’un comité
d’investissement chargé également d’en assurer le suivi, dès lors que la dotation est d’un montant
supérieur à 1 million d’euros. Cette libéralisation de la gouvernance s’accompagne d’un
renforcement du contrôle du fonctionnement du fonds qui doit chaque année rendre ses comptes
avant de les publier sur le site Internet de la direction des journaux officiels et qui doit également
faire intervenir un commissaire aux comptes lorsque ses ressources dépassent 10 000 € en fin
d’exercice. La surveillance financière est complétée par une surveillance administrative. Le préfet
du département dans lequel le fonds de dotation situe son siège social autorise les appels à la
générosité publique et s’assure de la régularité du fonctionnement du fonds5. Cette double
surveillance a posteriori est beaucoup moins contraignante que les contrôles a priori auxquels sont
soumises les fondations et les associations reconnues d’utilité publique. Néanmoins, si le fonds
souhaite solliciter la générosité du public, il doit alors veiller à conforter la confiance du public. Ces
dernières années, certaines structures caritatives ont fait l’objet de scandales retentissants. Le public
doit être rassuré sur l’utilisation des fonds, ce qui impose de prévoir des contrôles au sein du fonds.
Dans ce but, les structures de mécénat peuvent choisir de respecter volontairement certaines
contraintes d’organisation, afin de pouvoir de prévaloir de ce choix dans leur communication. Des
labels, comme le Comité de la charte du don en confiance, délivrent un agrément aux organisations
qui s’engagent à respecter leurs règles et leurs contrôles6. Bien que les fonds de dotation se
soumettent parfois à ces contraintes destinées à rassurer la confiance du public, ils bénéficient d’un
régime légal leur conférant une liberté beaucoup plus grande que celle accordée aux instruments de
mécénat antérieurs, tout en leur faisant bénéficier d’une efficacité comparable.

5
F. Sauvage, L’émergence des fonds de dotation dans le paysage du mécénat français, Bull. Joly 2009, p, 620 et s.
6
N. Raimon, Stratégie des philanthropes autour des fondations, Actes pratiques et stratégies patrimoniales, avril mai
juin 2009, p. 47.
4
B. Efficacité des fonds de dotation

8. Grâce à leur régime juridique ainsi que leur régime fiscal, les fonds de dotation constituent des
outils très efficaces. A l’image des associations reconnues d’utilité publique et à l’inverse des autres
associations, ils bénéficient d’une large capacité juridique qui leur permet de détenir tous types de
bien. Ils peuvent recevoir des biens de toute nature, que ce soient des sommes d’argent, des
instruments financiers, des immeubles, des droits de créances, des objets d’art, des droits d’auteurs
etc., en pleine propriété ou démembrés, lors de leur création ou ultérieurement. La grande capacité
des fonds de dotation les autorise également à disposer de toutes ressources que ce soient des
revenus de sa dotation, des produits des activités autorisées par ses statuts, des produits de
redistribution pour services rendus ou encore de dons issus de la générosité publique sous forme de
dons manuels, de donations et de legs7. Néanmoins, leur capacité connaît deux limites : ils ne
peuvent pas recevoir de fonds publics, de quelque nature que ce soit, et ils ne peuvent pas disposer
de leurs dotations en capital, sauf dispositions statutaires les y autorisant qui entraînent alors la perte
des avantages fiscaux.

9. Lorsqu’il est accordé, le régime fiscal est très intéressant. Il suppose que le fonds soit éligible au
mécénat, ce qui lui impose de choisir entre deux alternatives8. Il peut prendre la forme d’un fonds
opérationnel dont l’activité non lucrative doit être à la fois exercée directement au profit d’un cercle
restreint de personnes et inclue dans une liste d’objectifs d’intérêt général établie par le Code des
impôts (activités philanthropiques, éducatives, scientifiques, sociales, humanitaires, sportives,
culturelles etc.). Il peut également être un fonds relais à la condition que sa gestion soit
désintéressée et qu’il reverse ses fonds au profit d’organismes éligibles au mécénat. Si le fonds est
éligible à ce régime fiscal de faveur, les personnes physiques qui leur font des dons bénéficient
d’une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des sommes (prises dans la limite de
20 % du revenu imposable). Le particulier, qui donne 1000 € à un fonds de dotation, peut déduire
660 € de son impôt sur le revenu. Les dons effectués aux mêmes types de fonds de dotation par une
entreprise ouvrent droit à une réduction d'impôt égale à 60 % du montant des versements (pris dans
la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires) effectués par les entreprises assujetties à l'impôt sur le
revenu ou à l'impôt sur les sociétés. Si l’entreprise donne 10 000 € à un fonds de dotation, elle peut
déduire 6 000 € de son impôt.

7
L, 2008-776, art, 140-III.
8
Art. 200, 1, g du CGI, précisé par l’instruction d’une 9 avril 2009, BOI 4, C-3-09.
5
10. A côté de ces dispositifs qui permettent de réduire les impôts du donateur, les fonds
bénéficiant du régime fiscal de faveur peuvent recevoir des dons et legs exonérés de droits de
mutation à titre gratuit9. Exemple : un donateur souhaite donner au fonds de dotation un portefeuille
de titres d’une valeur de 300 000 €. Un tel don ne sera soumis à aucun prélèvement fiscal et le fonds
recevra 300 000 €. Cette exonération est plus large que celle qui s’applique aux fondations
reconnues d’utilité publique. En effet, seules certaines bénéficient d’une exonération totale de droits
de mutation à titre gratuit : celles dont les ressources sont exclusivement affectées à des œuvres
scientifiques, culturelles ou artistiques, à ces œuvres d’assistance, à la défense de l’environnement
naturel ou à la protection des animaux ; celles ayant pour objet le soutien à des œuvres
d’enseignement scolaire et universitaires régulièrement déclarées. Les autres se voient appliquer les
droits applicables entre frères et sœurs (soit 35 % sur la fraction des biens transmis n’excédant pas
23 299 € et 45 % au-delà). L’exonération applicable aux fonds de dotation est donc beaucoup plus
large.

11. La fiscalité des revenus du patrimoine et de l’activité des fonds de dotation est également
intéressante. Les fonds qui ne consomment pas leur dotation en capital ne sont soumis à aucune
fiscalité sur les revenus du patrimoine. Ce type de fonds, ainsi que ceux qui n’ont pas d’activité
lucrative, sont exonérés de l’impôt sur les sociétés, de la taxe à la valeur ajoutée et de la taxe
professionnelle. Si leur activité lucrative est accessoire, ils bénéficient d’une franchise d’impôt sur
les sociétés de 60 000 €. Au-delà de ce seuil, les revenus sont soumis aux impôts commerciaux. Les
fonds de dotation qui n’exercent pas une gestion désintéressée et qui ont une activité lucrative
prépondérante supérieure à 60 000 € par an sont soumis aux impôts commerciaux.

12. Les gestionnaires de patrimoine imaginatifs et en particulier les notaires, sauront


certainement utiliser ce nouvel outil pour combiner don et optimisation patrimoniale. A titre
d’exemple, le donateur pourra réaliser une donation temporaire d’usufruit d’un bien au profit du
fonds de dotation. Il transmettra ainsi le droit aux fruits et à l’usage du bien tout en bénéficiant d’un
impact fiscal intéressant : exonération de l’ISF sur ce bien dont il n’est plus nu-propriétaire et baisse
de ses revenus qui ne reçoivent plus ceux produits par le bien. Même s’il n’est pas optimisé dans le
cadre de montage complexe, ce régime fiscal est globalement tout à fait avantageux. Néanmoins, il
présente deux faiblesses. Tout d’abord, il est privé d’un élément intéressant, car le législateur a
refusé d’étendre aux fonds de dotation la réduction d’ISF de 75 % applicable aux dons effectués à
certaines organisations de mécénat. Par ailleurs, il manque de fiabilité en raison de l’incertitude

9
Art. 200, 1, g du CGI, précisé par l’instruction d’une 25 juin 2009, BOI 7, G-6-09.
6
quant à l’acceptation de ce régime de faveur. En effet, en l’absence de contrôle a priori, c’est a
posteriori que l’on saura si l’administration fiscale a accepté d’appliquer le régime du mécénat. Les
utilisateurs craignent une interprétation trop restrictive de ce domaine d’application causée par une
volonté de limiter les situations de non paiement d’impôts10. Un tel comportement semble peu
probable tant il serait contraire aux objectifs du législateur, mais l’incertitude règne et un avocat
craignait une remise en cause des avantages fiscaux du fonds créé par Danone, en soulignant qu’il «
ne semble pas que le fonds de dotation ait pour action l’aide à des organismes d’intérêt général
éligibles au régime du mécénat »11. Cette incertitude est le revers inévitable de la simplicité,
particulièrement développée dans tous les aspects du régime applicable aux fonds de dotation, mais
beaucoup moins présente lorsque le fonds reçoit un immeuble.

II. Intervention renforcée en cas d'apport d'un immeuble

13. À la différence des autres structures réalisant du mécénat, les fonds de dotation pourront
recevoir et gérer des immeubles pour réaliser leurs missions et l’intervention du notaire sera alors
renforcée. L’apport d’un immeuble à un fonds de dotation est soumis à un régime particulièrement
favorable par rapport aux possibilités antérieures (A) et il va donc certainement faire l’objet
d’utilisations nombreuses (B).

A. Régime applicable à l’apport d’un immeuble à un fonds de dotation

14. L’association ne peut posséder que les immeubles strictement nécessaires à la réalisation de
son objet statutaire si elle est déclarée12, et seulement nécessaires à son objet si elle est reconnue
d’utilité publique13. Les fondations peuvent acquérir ou vendre des immeubles, ou les accepter sous
forme de libéralités, dès lors que ces opérations ont été autorisées par leurs autorités de tutelle.
Ainsi, Brigitte Bardot a pu donner sa célèbre maison de la Madrague à sa fondation destinée à
protéger les animaux. Lorsqu’ils souhaitent détenir un immeuble, les fonds de dotation bénéficient
là encore d’un régime beaucoup plus libre et beaucoup moins contraignant. Ils peuvent recevoir des
« biens et droits de toute nature »14 ce qui englobe bien sûr les biens immobiliers, en pleine propriété
ou démembrés, a priori sans être soumis au droit de préemption en raison du caractère non onéreux

10
R. Blough, Le fonds de dotation : une définition légale confrontée à une interprétation fiscale, Petites Affiches 6 nov.
2009, p. 3.
11
L. Devic, Intérêt général et fiscalité : ne pas confondre mécénat, social business et RSE, Juris associations, 15 mai
2010.
12
Loi du 1er juill. 1901, art. 6.
13
Loi du 1er juill. 1901, art. 11.
14
L.2008-776, art. 140.
7
de la mutation, et en bénéficiant d’un régime fiscal tout à fait intéressant. La donation sera exonérée
de droits de mutation et de taxes à la publicité foncière, mais pas du salaire du conservateur des
hypothèques ni des émoluments du notaire, qui seront calculés sur la valeur de l’immeuble
transmis15. Comme pour les autres biens, le régime fiscal ne sera pas seulement avantageux lors de
la transmission de l’immeuble au fonds. Un bien immobilier sera particulièrement susceptible de
produire des revenus qui ne seront pas taxés, dès lors que les statuts ne prévoient pas la possibilité
de consommation de ce bien immobilier. Cet avantage était jusqu’alors réservé aux fondations
reconnues d’utilité publique16, le législateur ayant même refusé de l’accorder aux associations
reconnues d’utilité publique soumises à un taux réduit de 24 %17. Le régime applicable à l’apport
d’un immeuble à un fonds de dotation est une illustration particulièrement forte de la combinaison
réussie de la simplicité et de l’efficacité, qui caractérise ce nouvel outil. Cette particularité,
conjuguée avec le caractère tout à fait innovant de l’utilisation possible d’un immeuble dans une
opération de mécénat, ouvre des perspectives très intéressantes d’applications.

B. Applications possibles de l’apport d’un immeuble à un fonds de dotation

15. Le plus souvent, l’immeuble reçu par un fonds de dotation, comme tout immeuble détenu,
lui permettra de se loger ou de percevoir des revenus. Au-delà de cette utilisation traditionnelle,
toutes sortes de montages pourront être réalisés et deux seront décrits, car ils correspondent a priori
à des besoins certains des utilisateurs et devraient donc faire l’objet d’applications nombreuses.

16. L’immeuble est susceptible d’être apporté en pleine propriété ou démembré. Aussi bien
l’apport de la nue-propriété que de l’usufruit pourront se révéler tout à fait intéressants. L’apport de
la nue-propriété est autorisé, bien qu’il pose une difficulté intrinsèque puisque, normalement, aucun
revenu de cette dotation ne sera perçu. Cependant, il permet une transmission successive :
l’apporteur conserve l’usufruit sa vie durant ou pendant une période définie, avant que la pleine
propriété ne soit reconstituée au profit du fonds de dotation. C’est exactement l’opération réalisée
par Brigitte Bardot, bien que cette opération ne soit pas si courante. Le plus souvent, le
démembrement sera destiné à apporter l’usufruit de l’immeuble au fonds de dotation. Ce montage
présente deux avantages. Tout d’abord, il permet de faire une affectation temporaire du bien au
profit du fonds, alors que la loi interdit en principe à un apporteur de récupérer son bien lorsqu’il l’a
transmis à un fonds de dotation en bénéficiant du régime fiscal favorable. Par ailleurs, il permet au

15
V. Roussel, Aspects immobiliers des fonds de dotation, JCP N 2009, 1227, § 16.
16
Loi 2004-1484, 30 déc. 2004, article 20, JCP N 2005, 1033.
17
Article 206-5 du CGI.
8
donateur de réduire l’assiette de son impôt en retirant de son patrimoine l’usufruit du bien, sans que
cette opération soit frappée d’un caractère définitif18.

17. Une autre application qui devrait connaître un grand succès est la transmission d’un
immeuble à un fonds de dotation qui le gérera au profit d’une association privée de cette possibilité.
La validité de ce montage est tout à fait certaine, le fonds de dotation étant alors un « fonds relais »
qui sert à financer une structure de mécénat, en l’espèce l’association. Jusqu’à présent, les
associations détournaient leur interdiction de posséder des immeubles en transmettant ce type de
biens à des sociétés civiles immobilières dédiées. L’utilisation d’un fonds de dotation plutôt qu’une
SCI permet d’éviter la fiscalité rattachée à l’acte d’apport, ainsi que celle applicable aux revenus de
l’immeuble. Au-delà de cette organisation assez basique, il est également possible de mettre le bien
immobilier en valeur dans des conditions très intéressantes, en utilisant un bail à construction ou un
bail emphytéotique19. L’apport d’un immeuble à un fonds de dotation fera certainement l’objet de
nombreuses autres applications, grâce à l’imagination très riche des praticiens et du régime
favorable accordé à cette opération par le législateur.

18. Outil simple et souple doté d’un régime efficace, tant sur le plan juridique que fiscal, le
fonds de dotation a déjà rencontré son public. Il connaît un succès grandissant ces derniers mois et il
devrait faire l’objet d’utilisations de plus en plus nombreuses dans les années qui viennent. Deux
raisons permettent de prévoir un tel succès. En premier lieu, cette nouvelle structure offre de
nombreuses perspectives en matière de gestion de patrimoine et il est certain que les utilisateurs
souhaiteront en tirer profit. En second lieu, elle correspond à une demande qui devrait être de plus
en plus forte face à l’évolution des mentalités. En effet, les jeunes sont aujourd’hui beaucoup plus
que leurs aînés friands de missions humanitaires et de démarche altruiste. Pendant leurs années
d’études, ils donnent leur temps, mais il est prévisible que cette génération choisira de poursuivre sa
démarche en donnant des biens lorsqu’ils auront moins de temps et plus de patrimoine, étant alors
particulièrement soucieux de pouvoir contrôler le fonctionnement ainsi que l’objet de la structure
qui les recevra. Par ailleurs, ils seront très sensibles à privilégier les entreprises qui adopteront la
même démarche qu’eux, ce qui poussera les personnes morales à créer des fonds de dotation sur
lesquelles elles pourront communiquer. En 1951, Ripert décrivait la société anonyme comme le «
merveilleux instrument du capitalisme moderne »20. Peut-être que le fonds de dotation sera le
merveilleux instrument du capitalisme de demain.

18
V. supra, § 12.
19
V. Roussel, Aspects immobiliers des fonds de dotation, art. préc.
20
G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ 2ème éd. , 1951, n° 21, p, 55.
9
***

En suite de ce brillant exposé, ce sont quelques applications pratiques de mécénat que je souhaite
vous présenter : un rappel des règles du mécénat, le mécénat en nature ou en compétence et
quelques exemples de mécénat dans lesquelles le notariat a été actif.

QUELQUES RAPPELS CONCERNANT LE MECENAT

Qu’est-ce un mécène ?
Un mécène est une personne physique ou morale qui apporte un soutien matériel sans contrepartie
directe, à une fondation ou une personne pour l'exercice d'activités présentant un intérêt général.
Pour reprendre les termes de notre ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, « le mécénat est
autant affaire de passion que de raison. Il associe le désir de culture, de solidarité, de respect de
l'environnement et de construction d'un avenir durable, avec les logiques propres aux entreprises ».

Le mécénat est une démarche à portée de tous, personnes physiques ou morales.


Il permet de réduire l'impôt sur le revenu des donateurs pour un montant égal à 66 % du montant
du don dans la limite de 20 % du revenu imposable, qu'il s'agisse d'une somme d'argent ou d’un
don en nature. Mais le rabot fiscal va peut-être légèrement modifier ce régime.
Si le don excède les 20 % du revenu imposable, l'excédent peut être reporté pendant cinq ans.
Ce don peut être fait au profit d'un organisme public ou privé dont la gestion est désintéressée,
ayant pour activité principale la présentation au public d'œuvres du spectacle vivant aux
expositions d'art contemporain à condition que les versements soient affectés à cette activité.

Le mécénat peut aussi prendre la forme d'une transmission temporaire d'usufruit.


Une fondation, une association reconnue d'utilité publique, des établissements d'enseignement
supérieur ou artistique à but non lucratif peuvent bénéficier d'un tel don. La durée d’une
transmission temporaire d'usufruit est limitée à 25 ans.

En matière d'ISF il est possible de réduire cet impôt dans la limite annuelle de 50.000 € en prenant
75 % des dons en numéraire faits à des fondations ou les établissements de recherche ou

10
d'enseignement supérieur ou l'établissement artistique public ou privé d'intérêt général à but non
lucratif.

Mais ce sont deux formes méconnues de mécénat que je souhaite vous rappeler : le mécénat en
nature et en compétence.

MECENAT EN NATURE OU EN COMPETENCE.

Le mécénat en nature ou en compétence consiste à apporter des moyens (produits ou services) à la


cause soutenue par une fondation, une association ayant la grande capacité ou un fonds de dotation.
Les critères d’éligibilité à ce mécénat sont les mêmes que pour un versement en numéraire.
Le maçon qui restaure la fontaine du village pourra créer un fonds de dotation et déduire dans les
conditions de l’article 788 du CGI le cout des sacs de ciment au prix de revient et le cout salarial
(salaire + charges) du salarié qui aura procédé aux travaux.

La question de la valorisation de cette prestation est la plus importante : elle est bien définie dans
les textes, notamment dans l’instruction BOI 4C-5-04 du 13 juillet 2004 :
Le prêt de main d’œuvre par une société, un prestataire de service, seront valorisés selon le cout
salariale du personnel qui aura œuvré au titre de ce mécénat : ce sont le salaire et les charges
sociales.

Pour éviter tous problèmes d’évaluation postérieure et permettre un contrôle de cette contribution,
les parties, mécène et bénéficiaire du mécénat, devront déterminer préalablement les conditions
exactes de la prestation avec le détail des travaux, des personnes intervenant sur le site avec les
jours travaillés.
Pour les produits fournis, de la même manière, seront déterminés avec précision les produits
fournis avec leur valeur en stock, valeur tenant éventuellement compte des dépréciations déjà
passées en comptabilité. Un produit totalement amorti ne peut donner lieu à aucune déduction pour
du mécénat au titre des réductions d’impôts de l’article 238 bis car la valeur fiscale et comptable
est égale à 0.

Aussi dans une hypothèse de mécénat de compétence, voici les précautions indispensables à
respecter :

11
- Un cahier des charges très précis doit être établi entre mécène et bénéficiaire du mécénat. Cette
convention va définir l’objet de l’action de mécénat, la description précise de la prestation fournie,
le délai de réalisation de la prestation ou de la fourniture des matériaux ou produits, la valorisation
de ces produits et prestations à la valeur comptable nette, ainsi que les éventuelles garanties qui
doivent être légalement fournies, en fonction de la prestation (par exemple une garantie dommage-
ouvrage dans le cadre d’une opération de construction ou rénovation lourde),
- Une demande de rescrit fiscal est fortement conseillée dès lors que l’évaluation de la prestation
peut présenter une difficulté (voir à ce sujet le BOI 13 L-5-04 n° 164 du 19 octobre 2004)

QUELQUES EXEMPLES DE MECENAT

Enfin je souhaite vous présenter rapidement quelques projets où les notaires ont été
particulièrement actifs :

- le ministre de la culture et le président du conseil supérieur du notariat ont signé le 9 juin 2010
la seconde convention nationale en vue de la promotion du mécénat. Cette convention est prévue
pour cinq ans,

- le 3 mai 2010 Maître CALLIER, notaire à Besançon a remis l'inventaire complet des œuvres du
peintre Gustave Courbet aux archives départementales,

- pour la première fois en France, une convention pour le développement du mécénat culturel local
a été signée par quatre entités le 28 janvier 2009 : l’Etat (Ministère de la culture et de la
communication, Direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon), la Chambre
de commerce et d’industrie de Perpignan et des Pyrénées-Orientales, la Chambre départementale
des notaires des Pyrénées-Orientales, et la Chambre départementale des experts-comptables des
Pyrénées-Orientales.
Ces 4 institutions se sont engagées à collaborer étroitement pour mettre en place les moyens les
plus appropriés pour promouvoir le mécénat de proximité dans le territoire des Pyrénées-
Orientales,
La première action concrète de la convention départementale a été la création de la Fondation
Mécènes Catalogne et notre consœur Me Lamarque a pris une large part à ce projet.

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- La chambre des notaires du Vaucluse met, depuis plusieurs années, parties de ses locaux à la
disposition du festival « off » d'Avignon. De jeunes troupes peuvent alors se produire dans les
jardins de la Chambre.

Dans de nombreuses régions, des projets sont initiés avec des confrères et vous pouvez prendre
contact avec les directions régionales des affaires culturelles et les notaires correspondant pour le
mécénat afin vous investir dans ces projets culturels.

Nous avons tous parmi les clients de nos offices, des chefs d'entreprise, des particuliers qui
souhaitent s'investir autrement que dans une démarche commerciale.

Dans une action de mécénat, le retour sur investissement est important par la notoriété ainsi
conférée aux mécènes tant à extérieur pour une entreprise que vis-à-vis de ses collaborateurs.

Nous connaissons mal ces mécanismes mais en tant que notaire nous nous devons de proposer ces
possibilités aux clients de nos offices et avant de finir, je souhaite vous faire part d’une
expérience… datant de plusieurs siècles :
A la renaissance, les œuvres d’art, tableaux, sculptures, faisaient l’objet de commandes par acte
notariées : ainsi le conservateur de musée de la renaissance a pu retrouver dans nos archives qui
avait commandé telle statue , le nom de l’artiste, les délais pour livrer et le matériau utilisé. Les
liens entre notariat et mécénat sont donc très anciens !

Merci pour l’attention que vous avez porté à notre exposé.

Quelques liens utiles :


www.mecenat.culture.gouv.fr
www.bretagne-mecenat.fr
www.mecenat.picardie.net
www.perpignan.cci.f

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