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Dana-Luminiţa TELEOACĂ
Institut de Linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti », Bucarest, Roumanie.
1
Nous précisons que les exemples qui constituent le support de notre recherche ont été fournis par
une version biblique moderne en ligne, à savoir La Bible en français courant (voir la Bibliographie).
Dans ce contexte, pour des raisons comparatives, nous avons inclus dans notre discussion également
d’autres versions bibliques, à savoir des textes français et non pas seulement (voir la Bibliographie).
2
Pour une discussion détailleé des aspects concernant l’interaction spécifique des diverses
fonctions de la langue, dans le cadre discursif esthétique des Psaumes, voir Teleoacă 2012 : 242 sq.
susceptibles d’être valorisés comme les repères d’une analyse discursive, qui est en
dernière instance une étude sémiotique3. La remarque formulée équivaut à
reconnaître une subordination spécifique de la stylistique à la sémiotique ; dans ce
contexte, l’analyse des diverses structures stylistiques démontrera sa pertinence à un
niveau plus profond, à savoir celui des valeurs élémentaires de signification4
(élémentaires étant à interpréter ici avec son acception « essentielles »), ce qui
correspond en fait au champ de recherche de la sémiotique. À travers une pareille
démarche, les phénomènes stylistiques deviennent des indices d’une réalité spatio-
temporelle et culturelle spécifique : ils constituent, au cours du temps, les témoins
d’un certain univers mental, dans la mesure où ces phénomènes synthétisent « le
trésor sémiotique d’une communauté » (Bardin 1991 : 38 sq.). Autrement dit, la
création et l’interprétation des structures figuratives apparaissent comme des
processus qui renvoient à une codification préalable des analogies opérées en
conformité avec un système culturel particulier ; en fait, il s’agit du soi-disant
univers de discours (Eco 1997 : 79 sqq.). La nature sui generis de la substance qui
fait l’objet de la connaissance spécifique au texte religieux, à savoir l’élément
transcendental, réclame des lois et des stratégies particulières, y compris au niveau
esthétique. Dans cet ordre d’idées, on a théorisé à propos de la soi-disant alternative
stylistique de l’approche du divin, contexte dans lequel l’analogie constitue la
méthode théologique conformément à laquelle la connaissance de Dieu devient
possible grâce aux comparaisons et aux métaphores5. En fait, dans les limites d’un
pareil cadre discursif, la démarche circonscrite à la problématique figurative
correspond parfaitement à la nature sémantique indéfinie du texte sacré – un texte
considéré par certains auteurs (voir, par exemple, Gordon 2008), comme étant
représentatif de l’espace littéraire de la philosophie ; il en résulte que ce type
d’approche représente une manière adéquate pour l’institution du dialogue avec le
Sacré. L’affirmation de l’analogie comme une prémisse et comme une méthode
gnoséologique correspond en réalité à la fonction que possède la croyance dans le
processus de la réception cognitive de l’élément transcendantal. La foi se définit, par
conséquent, comme un état affectif par excellence religieux, mais également
esthétique et cognitif ; le ‘poétique’ naît d’une émotion à part, que nous pouvons
désigner comme l’émotion de la foi ou l’émotion religieuse.
Pour renvoyer à la force significative des mots, certains auteurs (voir,
par exemple, Augustin 1991 : 81) ont utilisé le syntagme uis uerbi. Le concept se
justifie parfaitement surtout pour ce qui de la métaphore (dans son hypostase de
figure conceptuelle6) ; dans ce contexte, il est significatif que, dans la bibliographie
3
Autrement dit, la figuralité participe à la mise en discours d’un certain message/contenu.
4
Le syntagme appartient au père fondateur de la sémiotique, Algirdas-Julien Greimas (voir
Greimas, Courtès 1993 [1979] : 331). Voir, dans le même ordre d’idées, Molinié (1989 : 67), qui
théorisait sur les structures fondamentales de la représentativité, ou Ghiglione (2011 : 47 sq.) qui
insiste sur le rôle des images langagières de faciliter l’accès à la vérité ultime, ce qui suppose une
démarche herméneutique, de type anagogique, menant à la gnose. D’ailleurs, il ne fait aucun doute que,
parmi les tropes, la métaphore représente par excellence la structure figurative qui relève d’une
heuristique de la pensée (Ricoeur 1975 : 32).
5
Dans ce contexte, on ne pourra pas ignorer « el sentido t e o l ó gi c o de la metáfora » (Darder
2012) dans le cadre discursif des Psaumes.
6
Ce type d’approche est spécifique surtout aux études élaborées sous les auspices de la sémantique/
sémiotique cognitive (voir, par exemple, Lakoff, Johnson 1985, Kleiber 1993 ou Klinkenberg 1999).
208
Dans cette perspective, le processus métaphorique est placé à un niveau conceptuel ; il s’agit, plus
exactement, de la prise en considération des manifestations « hors langue » des conceptualisations
actualisées par les métaphores, ce qui équivaut, cognitivement parlant, à fonder les structures
sémantiques sur celles du « réel » (dans notre cas, le « réel » de l’univers sacré). Les deux termes de
l’équation cognitive seront désignés par les syntagmes concept-source et concept-cible.
7
Autrement dit, « el texto va más allá, de aquello que su autor quiso expresar. En otra persona que
lo lea, el salmo puede despertar sentimientos diferentes y más amplios de lo que las palabras en sí,
quieren decir. Por esto, se afirma que la palabra es mucho más amplia que el texto » (Da Silva 2003 :
11). Voir aussi Gunkel 1983.
8
Voir aussi Tábet 2003 : 98 sq., Parmentier 2004 : 178 sqq. ou Giroud, Panier 2008 : 43 sqq.
9
Dans cette perspective, une condition sine qua non pour accepter un paradigme culturel consiste
en ce que les valeurs en question aient dépassé les limites strictes de l’œuvre qui les a véhiculées pour
la première fois, autrement dit, qu’elles soient devenues des faits culturels.
209
10
La Bible a été définie en ce sens comme « un tissu de figures étroitement tissées entre l’Ancien et
le Nouveau Testament » (Pénicaud 2001 : 387).
11
En réalité, pour ce qui est du texte religieux, il s’agit d’une fonction (liturgico-)théologique (voir
à ce propos Teleoacă 2013b).
210
3. La métaphore
En tant que structure stylistique essentielle, la métaphore – une figure
microtextuelle13 – se trouve à la base d’autres figures sémantiques14, telles que la
personnification, l’allégorie, la métonymie, la synecdoque ou l’épithète. Le caractère
« essentiel », de figure fondatrice, fut remarqué dès l’Antiquité (voir Aristote, La
poétique), cette particularité étant reconnue et approfondie par les auteurs modernes
(voir, par exemple, Jakobson 1956). Dans la perspective de cette valorisation,
l’opinion conformément à laquelle l’état de la réception et de l’achèvement poétique
connaîtrait le niveau maximum lorsque le rapport syntaxique contient des structures
métaphoriques, est parfaitement légitimée. C’est justement parce que les structures
métaphoriques sont l’expression la plus aiguë de la tension qui naît entre l’univers
réel et l’univers imaginaire (Irimia 1999 : 219). Ou, autrement dit, dans la
terminologie coserienne (Coşeriu 1994 : 36), la métaphore constitue un exemple
éloquent de suspension de la norme de la congruence15 en faveur des normes de
l’adéquation connotative. Dans beaucoup d’études, les métaphores poétiques sont
considérées comme des synonymes sui-generis, étant donné qu’elles « créent de
l’image » (Tohăneanu 1976 : 57), ou comme des synonymes impropres, mais dont
l’impropriété est parfaitement transparente pour les récepteurs (ibidem : 66). Cette
« impropriété » implique une coexistence à part du sens connotatif et du sens
primaire, ce dernier ayant généré dans une certaine mesure le premier. En fait, c’est
justement cet aspect-ci de la coexistence mentionnée qui distingue une figure de
style (telle que la métaphore) d’un simple changement sémantique. L’aspect a été
également remarqué dans d’autres études de spécialité. Dans ce contexte, Ortega y
Gasset, par exemple, faisait les remarques suivantes: « Para que haya metáfora es
preciso que nos demos cuenta de esta duplicidad. Usamos un nombre
impropiamente a sabiendas de que es impropio » (Ortega y Gasset 1924 : 391).
12
Les exemples que nous citons par la suite peuvent justifier la remarque formulée ci-dessus : « Il a
tendu vers moi une oreille attentive » (BFC 116 : 2); « Prends ma cause en main et charge-toi de moi »
(BFC 119 :154) ; « Tu as un cœur plein d’amour, Seigneur » (BFC 119 : 156) ; « Que ta main soit là
pour me venir en aide » (BFC 119 : 173), etc. Ce sont des métaphores traitées dans la bibliographie de
spécialité comme des figures révélatrices anthropomorphiques (voir, par exemple, Grigore 2001 : 95),
ayant une double fin : d’une part, faciliter la compréhension de Dieu et aider l’homme à savoir ce que
Dieu attend de lui, d’autre part, concilier l’anthropomorphisme avec la transcendance de Dieu (Hochner
2008 : 10 sqq.). Dans ce contexte, il faut préciser que les images anatomiques ne sont jamais les
uniques indices de l’humanité de Yahvé : l’Écriture parle de Dieu comme d’une personne humaine et
lui prête un grand nombre d’attributs sur le plan physique, mais aussi dans le domaine des émotions,
comme la colère, la vengeance, le ressentiment, l’amour, l’orgueil, la jalousie (voir aussi Teleoacă
2013a : 199). Mais tous ces traits anthropomorphiques renvoient souvent à des significations
théologiques et philosophiques, ce qui équivaut à reconnaître que le langage de la Bible se référant à
Dieu est éminemment de nature métaphorique (Hochner, ibid ; voir aussi Journault 2002 : 9 sqq.).
13
Voir la dichotomie (microtextuelle versus macrotextuelle) de Molinié 1986 : 149 sq.
14
Dans une perspective sémiotique, le trope fut rebaptisé métasémème (voir, par exemple,
Rhétorique générale du G μ, Paris, Seuil, 1982, p. 34).
15
C’est un concept qui, dans le système théorique coserien, englobe les règles générales de la
pensée, mais également les règles concernant l’acte de parole.
211
212
langue. Ce langage – qui fait irruption dans la vie quotidienne – se base, selon
Anderegg (1985 : 123), sur la transformation des habitudes. En fait, il s’agit de
certaines combinaisons inhabituelles de mots et d’images qui n’obéissent pas à des
conventions. Cependant, la transformation de ce qui est habituel s’effectue sans la
négation de l’aspect concret, d’où il en résulte que le caractère ouvert (« imprécision
productive ») et vivant (« plasticité »), propre au langage poétique, reste conservé.
Par conséquent, la tentative de restaurer l’ordre linguistique et sémiotique, originaire
– qui représente, en dernière instance, une tentative culturelle de restaurer le
caractère motivé du signe linguistique – peut être admise dans ce cas de façon
similaire. La position privilégiée qu’occupe la métaphore dans l’économie du texte
des Psaumes se fonde en outre sur le fait qu’au même concept correspond souvent
une multitude d’images métaphoriques20 ; par conséquent, la relation de
« synonymie poétique » s’actualise entre tous les synonymes métaphoriques d’un
même terme dénotatif21. Ainsi, nous pouvons affirmer que la totalité des champs
synonymiques métaphoriques22, retrouvables à ce niveau discursif, sont susceptibles
d’offrir une image complexe et éloquente d’un univers poético-sémiotique tout à fait
particulier. L’aspect mentionné n’exclut toutefois pas la possibilité d’identifier
certaines « constantes », valorisées dans le processus de désignation poétique d’un
concept ou autre et qui, sans doute, doivent être interprétées comme des arguments
de l’organicité, de la cohésion et, implicitement, de l’unité stylistique des poèmes
bibliques en question23. Les structures figuratives récurrentes d’un poème à l’autre et
voire au niveau de plusieurs types de textes bibliques ou généralement religieux
plaident en faveur des affirmations formulées, prouvant à la fois leur pertinence vis-
à-vis du caractère profondément intertextuel du texte sacré.
*
* *
En nous plaçant dans ce cadre théorique, dans la seconde partie de cette étude,
nous nous proposons de discuter les principales isotopies métaphoriques24 identifiables
20
Dans ce contexte, il faut préciser qu’il y a un certain nombre de situations dans lesquelles nous
avons aussi pris en considération (voir Teleoacă, Figures de style (II)) quelques structures comparatives
ou à épithète, notre option s’expliquant par la remarquable charge métaphorique des constructions en
question. D’ailleurs les opinions des spécialistes convergent pour reconnaître, au moins pour ce qui est
de la métaphore et de la comparaison, l’appartenance à un mode de perception et de pensée similaire
(voir Suhamy 2006 : 29).
21
Dans de pareils cas, Munteanu (2007 : 69) admet une soi-disant synonymie d’inventaire, tout en
prenant en considération que les synonymes apparaissent dans des textes différents. À notre avis, le
syntagme synonymie systémique semble mieux couvrir le concept en question (voir aussi supra, sous 3,
le point de vue coserien vis-à-vis des phénomènes figuratifs considérés comme des faits de système).
22
Et – pourrions-nous ajouter – également des champs métaphoriques d’antonymes. La structuration
dichotomique des contenus est d’autant plus significative que notre recherche porte sur un texte sacré, un
niveau discursif pour lequel de pareilles distributions semblent avoir une relevance à part.
23
Nous pouvons mentionner à ce propos, par exemple, les termes circonscrits autour de l’aire de
« l’aquatique » (termes sélectionnés pour définir la condition humaine dérisoire) ou toute une série de
métaphores zoologiques, valorisées constamment afin d’évoquer la sphère ontologique du mal (voir
notre discussion détailleé dans Teleoacă, Figures de style (II)).
24
Dans une approche sémiotique, l ’ i s o t o p i e renvoie à un ensemble redondant de catégories
sémantiques qui rend possible « la lecture uniforme du récit, telle qu’elle résulte des lectures partielles
des énoncés et de la résolution de leurs ambiguïté qui est guidée par la recherche de la lecture unique »
(Hénault 1993 : 91). Autrement dit, il s’agit de regrouper les énoncés métaphoriques en fonction des
213
dans le cadre discursif des Psaumes. Dans ce contexte, les champs conceptuels
qui seront inclus dans notre discussion pourront être considérés comme présentant
de l’intérêt pour ce qu’on a appelé métaphore ontologique – dans la terminologie de
Davidson (1993 : 71 sq.) – la structure figurative constituée autour des grands
thèmes existentiels : la vie, la mort, le temps, le cosmos, la Divinité, le mal, etc.
Autrement dit, il s’agira de toute une série de structures qui construisent un soi-
disant monde métaphorique, ayant une existence parallèle par rapport au monde
référentiel (ibidem). Notre prochaine étude représentera à la fois une occasion pour
vérifier à quel degré la valorisation de l’approche sémiotique prouve son efficacité
dans le contexte d’une pareille recherche appliquée au champ discursif sacré.
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