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Cellar Door de Loris Gréaud au Palais de Tokyo : L’Expérience de l’immatériel

C’est d’abord par des chiffres que l’exposition Cellar Door tente de nous convier à sa
visite. Ainsi pour la première fois, les 4000 m2 du Palais de Tokyo seraient réservés à un seul
artiste, en l’occurrence un jeune français, de moins de trente ans de surcroit. Mais par delà cette
accroche mathématique, voir marketing, qu’y a-t-il à voir, ou à ressentir dans ce lieu dédié à la
création contemporaine ?

Artiste transdisciplinaire, passionné d’architecture, de mécanique quantique, diplômé en arts


graphiques et ancien élève de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Cergy, fondateur d’un
atelier de cinéma expérimental, producteur d’un label de musique électronique, chef d’entreprise,
Loris Gréaud fait déjà partie de l’écurie prestigieuse de la galerie Yvon Lambert, démultipliée à New
York et Paris, et reçoit le soutien de Claude Berri, grand collectionneur d’art contemporain. Il est donc
malgré sa jeunesse une valeur sure de l’art contemporain et cette exposition est un pas de plus dans la
promotion de son statut d’artiste émergent.

Selon Loris Gréaud lui-même Cellar Door (« porte de cave) est « un atelier qui rêve d’une
exposition» : l’artiste, invisible, y est comme un chef d’orchestre occulte. D’ailleurs dans une salle de
contrôle vitrée, un ingénieur anime sons et lumières pour toute l’exposition, tel un démiurge qui
jouerait avec les créatures nées de l’imagination de l’artiste. Pour entrer dans « Cellar Door », il faut
passer une porte, un sas, métaphore de l’entrée dans un autre monde ou le temps et l’espace produisent
d’autres formes et d’autres images. L’ambition initiale de l’artiste est donc de recréer non pas
physiquement son atelier, mais de le transposer de façon métaphorique comme lieu de production de
concept, d’idées d’images. Voyons concrètement comment cela se traduit.
Une première œuvre se compose d’un assemblage de néons tordus comme froissés, présentés à
la verticale d’un miroir. D’emblée l’installation donne un sensation de vertige avec les multiples
reflets de lumière se diffractant dans toute la pièce. On pense à Dan Flavin qui aurait dans un
mouvement d’énervement aurait rejeté le minimalisme. Et puis on lis le cartel d’explication. Loris
Gréaud a en fait modélisé les plans du musée et les a compactés comme une boule de papier pour n’en
retenir que des lignes de néons. L’espace, ainsi distendu, perd ses repères. De pures formes
architecturales, il crée un système complexe de lumière. Mais séparé à la fois des origines et des
conditions qui l’on produite on risque de laisser voir bien peu de chose des formes d’expérience qui
l’ont engendrée. En somme on peut facilement ne voir dans les exercices de Greaud qu’un pur jeu de
formes et y rester insensible. Il faut ainsi choisir, déambuler dans la pénombre , car l’exposition est
volontairement, très faiblement éclaire, ou se pencher sur les explications et en tirer la petite
satisfaction narcissique « ah , je vois, je comprends ».
Une autre section, ou bulle dans le vocabulaire de Gréaud, présente des fleurs, poussant hors
sol, dans une dialectique connue entre le naturel et l’artificiel, puis une sculpture faite de formes
globulaire molle , entourés de photos de l’expo elle-même dans une relation de miroir.
On trouve aussi, une petite section ou un film s’interrompt automatiquement lorsqu’un visiteur
entre dans l’espace et redémarre en l’absence totale de regardeur ; réflexion amusante sur l’art et sa
relation au spectateur qui poursuit l’œuvre de Duchamp.
L’un des points forts de l’exposition est la partie où l’on retrouve une forêt d’arbres calcinés au
clair de lune créant le décor d’une aventure qui reste à inventer. Cette partie nous renvoie à un
imaginaire cinématographique romantique, voir gothique, le tout baigné dans une pénombre triste.
Ironie de la chose, les arbres sont faits de poudre à canon agglomérés. Quand le sait on ne peut
s’empecher de voir ses arbres comme les vestiges d’un théâtre de guerre. D’autant que pour terminer
l’exposition on assiste à un combat de paint-ball, organisé toutes les demi-heures dans une sorte de
cage cubiste, le Stadium, où des guerriers futuristes se battent à coups de «couleur de l’immatériel», le
fameux « International Klein Blue ». Car Gréaud est fasciner par l’expérience de l’immatériel ainsi on
peut aussi retrouver dans cette exposition le bonbon sans goût Celador, disponible dans des
distributeurs, procurant la sensation unique du rien, du vide, des sculptures composés de tubes
fluorescents dont le gaz lumineux a été remplacé par du propane, qui exploserait en cas de connexion
électrique ou enfin l’empreinte d’un feu d’artifice tiré en sous sol. Pour être complet, un opéra a été
composé en parallèle de l’exposition et l’on retrouve des fragments de partition tout au long de la
visite.
En un sens, Cellar Door, pousse au plus loin tous les tics de l’art contemporain : ambiance de
hangar désaffecté, référence post moderne à Klein, Duchamp et même Pierre Huygues, œuvres
opaques par volonté de conceptualisation, mais crée dans le même temps une forme d’expérience
nouvelle entre la poésie et la science, entre le mystère et l’ennui. Face à ces œuvres, il y a comme une
pulsion de joie, on ne comprends rien parfois, alors on voit le musée comme un expérience déroutante,
une pure consommation d’image. Pour se réapproprier le lieu on ne prends plus des photos des
œuvres, mais de nous même au milieu de cet ambiance étrange. Cellar Door est une exposition
d’ambiance, mais à mis part la sculpture de néon et la reconstitution crépusculaire de la foret en
poudre en canon, les œuvres semblent trop opaques pour être mémorables. La matérialité d’une œuvre
doit être à la hauteur de son concept pour procurer une sensation esthétique, même si ce mot semble
abandonné par l’art contemporain.

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