Professional Documents
Culture Documents
de Le Clézio
María Ángeles CAAMAÑO PIÑEIRO
Universitat Rovira i Virgili
Real, E.; Jiménez, D.; Pujante, D.; y Cortijo, A. (eds.), Écrire, traduire et représenter la
fête, Universitat de València, 2001, pp. 519-526, I.S.B.N.: 84-370-5141-X.
519
MARÍA ÁNGELES CAAMAÑO PIÑEIRO
520
LES FÊTES AMÉRINDIENNES DANS L’ÉCRITURE DE LE CLÉZIO
521
MARÍA ÁNGELES CAAMAÑO PIÑEIRO
Survivre, pour Le Clézio, revient donc à éclairer les zones obscures de notre
univers culturel, à regarder de face, pour l’intégrer, notre enfance individuelle et
collective, l’enfance de l’être, l’enface du monde ; survivre signifie aussi, pour Le
Clézio, interroger l’Autre sous la forme d’une altérité qui nous convoque du
fond du temps et de l’espace, cette altérité même que l’Europe a rejetée depuis
un demi-millénaire pour mieux affirmer son identité, pour mieux se poser et
s’imposer comme souveraine du monde. Survivre signifie enfin, pour Le Clézio,
une attitude d’écoute et de réceptivité vis-à-vis de l’Autre, de celui qui peut
encore, malgré la distance et l’oubli, faire parvenir jusqu’à nous la voix des ori-
gines, indiquer le chemin d’une régénération totale.
Ecrire, représenter et traduire les livres sacrés des mayas ou des porhépechas
et les chroniques d’Indes est donc une fête pour Le Clézio, une fête au sens le
plus anthropologique du terme, célébration et commémoration de ce qui fut, de
ce qui eut lieu, de ce qui dure, demeure, de ce qui revient toujours. Fête de
l’écriture mais aussi écriture de la fête, car les essais de Le Clézio actualisent
pour le lecteur contemporain les mythes et les rites, les croyances et les cérémo-
nies des sociétés indigènes de l’Amérique moyenne. Et il est justement une fête
dont nous voudrions parler ici parce qu’elle est sans doute la plus significative,
celle qui déploie le symbolisme le plus prégnant. Nous analyserons la fête aztè-
1
Le Clézio, J. M., Hai, Paris, Skira, 1971, p. 11.
522
LES FÊTES AMÉRINDIENNES DANS L’ÉCRITURE DE LE CLÉZIO
que de Toxiuh molpilia, le rituel par lequel l’être, l’univers et le temps se régénè-
rent.
L’anthropologie culturelle et l’histoire des religions ont mis en évidence deux
modalités dans la constitution et la perception de l’espace-temps qui sont à la
base d’une typologie des civilisations. L’écriture leclézienne illustre bien ces
deux images de la temporalité et en fait même un noyau central de sa thémati-
que. En effet, on sait que la représentation du temps qui correspond à la civili-
sation occidentale moderne et contemporaine est celle d’une ligne qui, partant
d’une origine ponctuelle, progresse inéluctablement vers une fin. Notre temps
passe, fuit (Le livre des fuites), notre temps est marqué par l’éloignement inévi-
table des origines, par l’approche non moins inévitable de la fin. Ce sont les
images classiques d’une temporalité définie par son caractère unidirectionnel,
irréversible. Ici le temps est usure, déperdition, dégénérescence croissante, en-
tropie et mort. Ici le temps est Chronos, Saturne qui dévore ses propres enfants.
On sait également que notre civilisation, à partir du XVI e siècle et surtout à
partir du XVIIIe siècle, a superposé à cette conception du temps, non seulement
linéaire mais de plus en plus profane, une mythologie qui semble contredire
ouvertement cette vision entropique de la temporalité : c’est la mythologie du
progrès, le modèle prométhéen qui proclame une amélioration constante de
l’être et de ses conditions de vie apportée par l’effort humain, par la volonté
individuelle et collective, par le développement poussé de la science et de la
technique. Le mythe prométhéen projette alors sa lumière sur un futur de plus
en plus prometteur, relègue le passé dans l’ombre. Les mythes progressistes,
valorisant ainsi constamment les temps à venir et dévalorisant parallèlement ce
qui est révolu, finissent par fonder un espoir sans mémoire, un avenir amputé
des origines.
Depuis ses premiers romans jusqu’à ses dernier titres, Le Clézio dénonce ou-
vertement l’imposture de cette mythologie prométhéenne, le mirage d’une civi-
lisation qui, tout en prônant le développement et l’expansion, court aveugle-
ment à sa perte. En effet, l’idée de progrès, telle qu’elle est apparue dans notre
civilisation, constitue pour Le Clézio, la face même de l’entropie, les forces de
dissolution qui menacent notre monde car nulle régénération ne s’ensuit de
cette obsession prométhéenne, nul sens ne parvient à se construire à partir de
cette course effrénée vers l’image trompeuse des lendemains riants. La notion et
l’expérience du progrès finissent donc par se confondre avec ce qu’elles étaient
523
MARÍA ÁNGELES CAAMAÑO PIÑEIRO
2
Le Clézio, J. M., Le rêve mexicain ou la pensée interrompue, Paris, Gallimard, 1988, p. 70.
524
LES FÊTES AMÉRINDIENNES DANS L’ÉCRITURE DE LE CLÉZIO
525
MARÍA ÁNGELES CAAMAÑO PIÑEIRO
526