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Les fêtes amérindiennes dans l’écriture

de Le Clézio
María Ángeles CAAMAÑO PIÑEIRO
Universitat Rovira i Virgili

Real, E.; Jiménez, D.; Pujante, D.; y Cortijo, A. (eds.), Écrire, traduire et représenter la
fête, Universitat de València, 2001, pp. 519-526, I.S.B.N.: 84-370-5141-X.

L’ensemble d’essais que J. M. Le Clézio a consacrés au Mexique préhispani-


que et contemporain semble ne pas susciter l’intérêt de la critique puisqu’il
n’existe pratiquement pas d’études portant sur ce sujet. Tout se passe comme si
ce corpus n’était considéré que comme une écriture épisodique, marginale, le
contrepoint mineur d’une écriture romanesque plus développée, qui, elle, par
contre, retient l’attention de nombreux spécialistes. Il nous semble pourtant que
les textes «américains» de Le Clézio constituent le noyau central d’une écriture
qui s’abreuve, de manière réitérée, aux sources des civilisations traditionnelles,
qui prend tout son élan et son amplitude à partir d’une lente réflexion et d’un
long travail historiographique visant à atteindre une régénération individuelle et
collective au moyen d’une anamnèse généralisée.
Toute l’œuvre de Le Clézio témoigne, en effet, de sa découverte des cultures
traditionnelles et dessine un dualisme profond entre celles-ci et notre monde
occidental contemporain, industrialisé, développé, assoiffé de progrès, tourné
vers le futur, oublieux de ses racines, amputé de ses origines.
Les essais et les romans de Le Clézio signalent jusqu’à la satiété la fracture
que notre société a introduite dans l’histoire des civilisations : seul l’Occident
moderne et contemporain a conçu la pensée comme scission entre le sujet et
l’objet, entre l’homme et le monde, seul l’Occident vit de et dans l’abstraction,
dans le solipsisme, submergé dans la matière artificielle, dans une image et une
parole incitant à la possession, à la domination de l’Autre et du monde ; seul
l’Occident vit dans un temps linéaire, unidimensionnel, entropie vertigineuse
où Le Clézio lit la dernière menace de notre civilisation, les signes avant-
coureurs d’une apocalypse imminente (La Guerre).

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On n’a jamais remarqué, à ma connaissance, que l’un des fils thématiques


fondamentaux qui parcourent les textes lecléziens et rendent compte de leur
cohérence et de leur unité n’est autre que la dénonciation du colonialisme, de
l’impérialisme occidental. Si dans une première étape de sa production,
l’écrivain s’acharne à décrire et à dénoncer les effets pervers d’un monde, d’une
culture, d’une société contemporaine complètement déboussolée (Le procès-
verbal, La Guerre, Les géants, Le livre des fuites), dans l’étape suivante, Le Clézio
met systématiquement en scène une culture traditionnelle sur le point de suc-
comber ou déjà anéantie sous la pression coloniale exercée par l’Europe sur le
continent africain. Désert, Le chercheur d’or, Onitsha, La Quarantaine, Poisson
d’or montrent tous le déracinement des populations autochtones, la spoliation
de leurs terres, l’exploitation de leurs ressources naturelles et surtout leur dépé-
rissement culturel, cette abolition des traditions indigènes qui confèrent un sens
à la vie, à la mort, à la destinée des peuples. Etoile errante, de son côté, met en
scène l’horreur du vieux continent déchiré par le nazisme, la persécution du
peuple juif et le conflit palestinien.
Si les essais de Le Clézio sur le Mexique sont particulièrement intéressants et
dessinent un itinéraire qui permet de cerner l’unité de son œuvre, c’est bien
parce qu’ils mettent en évidence les origines et le développement, les causes et
les effets de notre civilisation contemporaine, de ce qui est désigné aujourd’hui
comme la pensée unique. Dans ces textes, Le Clézio lie inextricablement la
découverte et la conquête de l’Amérique à la naissance de l’Europe moderne
dont notre contemporanéité n’en est que la conséquence directe, son prolon-
gement naturel. Pour Le Clézio, L’Europe naît et se transforme en puissance
économique, politique et culturelle dans la mesure où elle impose son hégémo-
nie sur l’Autre, dans la mesure où elle affirme son identité par l’anéantissement
de l’Altérité. Puissance, argent, progrès technique seront donc mis au service
d’une entreprise inédite dans l’histoire des civilisations visant à l’asservissement
général sinon à l’extermination totale de ce qui n’est pas elle.
A l’univers des sociétés traditionnelles, religieuses, mythiques, mystiques, au
royaume des grandes traditions transmises séculairement que l’anthropologie du
XXe siècle découvre, aux cités, aux temples et aux tombeaux que l’archéologie
découvre de nos jours, succède le monde du gain et du profit, du pouvoir et des
fortunes rapidement amassées. C’est ainsi que dans le bûcher qui consomme les
livres sacrés des Mayas du Yucatán, Le Clézio lit la naissance de l’Europe mo-

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derne ; dans l’ambivalence profonde attachée à la signification de l’or, métal


sacré, symbole de la divinité pour les cultures pré-hispaniques, butin de guerre
pour les Conquérants, Le Clézio lit le symbole majeur de la Conquête, la préfi-
guration de l’Occident contemporain.
Si Le Clézio reprend régulièrement depuis le début des années soixante-dix
cette thématique américaine, s’il la réélabore, l’élargit et la modèle continuelle-
ment, c’est parce que l’épisode de la Conquête constitue pour lui le point de
convergence de l’alpha et de l’oméga, des origines et de l’apocalypse, de la nais-
sance et de la mort, de l’usure entropique et de la régénération néguentropique.
La Conquête de l’Amérique marque, pour Le Clézio, le grand basculement de
l’histoire des civilisations, l’espace et le temps par excellence où se dévoile la
construction et la destruction du sens : crépuscule des civilisations traditionnel-
les du Nouveau Continent, aube obscure d’une Europe moderne ouvrant l’ère
d’un impérialisme planétaire.
On sait que l’écriture romanesque de Le Clézio se nourrit perpétuellement
des mythes du retour aux origines, d’une volonté inépuisable de ressourcement
visant à récupérer les temps primordiaux, l’espace intact d’une nature originelle,
la signification enfouie des traditions mourantes. Les essais mexicains signalent
parallèlement la cassure fondatrice par laquelle l’Europe inaugure la civilisation
de la pensée dualiste, de l’action forcenée qui sépare l’homme de l’univers et de
ses semblables, et d’un progrès technique et scientifique qui aboutit à la deshu-
manisation, à la solitude, à la perte irréversible du sens, à la dérive de l’être. En
voulant à tout prix se projetter unilatéralement vers un futur, aujourd’hui bien
compromis, l’Europe a négligé le passé, ces racines qui ancrent l’être dans le
monde, ces origines en dehors desquelles toute projection future chancelle faute
de fondement stable, faute de mémoire collective. Le passé de toute l’humanité,
les traditions oubliées, les origines culturelles de toute l’espèce humaine consti-
tuent ainsi, pour Le Clézio, l’ombre de l’Europe (l’ombre au sens jungien du
terme). L’Amérique dresse alors son image de double obscur, d’altérité refoulée,
elle devient la part scindée de notre moi collectif.
Les civilisations amérindiennes, les cultures aztèque, maya, porhépecha, inca,
livrent à Le Clézio le secret des origines, la matière fuyante, souvent confuse,
dégradéé, et même souillée qui jalonne les étapes d’un retour impérieux aux
sources de l’être, du monde, du temps. C’est pour cela que l’ensemble des textes
dont nous nous occupons (Hai, l’introduction et les versions des Prophéties du

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Chilam Balam et de la Relation de Michoacan, Le rêve mexicain, Diego et Frida,


La fête chantée) constituent non seulement un corpus historiographique d’une
valeur indéniable mais aussi et surtout un travail patient d’anamnèse, la récupé-
ration d’un passé collectif, appartenant à toute l’espèce humaine. Ces textes
retracent la mémoire d’un écrivain contemporain qui, rongé par une conscience
aiguë de la dégénérescence progressive du temps et du sens, s’efforce de rebrous-
ser le chemin, de signaler ses impasses, ses fractures, ses limites, s’efforce enfin
d’atteindre les origines pour s’abreuver à ses sources :
La rencontre avec le monde indien, dit Le Clézio, n’est pas un luxe aujourd’hui.
C’est devenu une nécessité pour qui veut comprendre ce qui se passe dans le
monde moderne. Comprendre n’est rien : mais tenter d’aller au bout de tous les
corridors obscurs, essayer d’ouvrir quelques portes, c’est à dire, au fond, tenter de
survivre.1

Survivre, pour Le Clézio, revient donc à éclairer les zones obscures de notre
univers culturel, à regarder de face, pour l’intégrer, notre enfance individuelle et
collective, l’enfance de l’être, l’enface du monde ; survivre signifie aussi, pour Le
Clézio, interroger l’Autre sous la forme d’une altérité qui nous convoque du
fond du temps et de l’espace, cette altérité même que l’Europe a rejetée depuis
un demi-millénaire pour mieux affirmer son identité, pour mieux se poser et
s’imposer comme souveraine du monde. Survivre signifie enfin, pour Le Clézio,
une attitude d’écoute et de réceptivité vis-à-vis de l’Autre, de celui qui peut
encore, malgré la distance et l’oubli, faire parvenir jusqu’à nous la voix des ori-
gines, indiquer le chemin d’une régénération totale.
Ecrire, représenter et traduire les livres sacrés des mayas ou des porhépechas
et les chroniques d’Indes est donc une fête pour Le Clézio, une fête au sens le
plus anthropologique du terme, célébration et commémoration de ce qui fut, de
ce qui eut lieu, de ce qui dure, demeure, de ce qui revient toujours. Fête de
l’écriture mais aussi écriture de la fête, car les essais de Le Clézio actualisent
pour le lecteur contemporain les mythes et les rites, les croyances et les cérémo-
nies des sociétés indigènes de l’Amérique moyenne. Et il est justement une fête
dont nous voudrions parler ici parce qu’elle est sans doute la plus significative,
celle qui déploie le symbolisme le plus prégnant. Nous analyserons la fête aztè-

1
Le Clézio, J. M., Hai, Paris, Skira, 1971, p. 11.

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que de Toxiuh molpilia, le rituel par lequel l’être, l’univers et le temps se régénè-
rent.
L’anthropologie culturelle et l’histoire des religions ont mis en évidence deux
modalités dans la constitution et la perception de l’espace-temps qui sont à la
base d’une typologie des civilisations. L’écriture leclézienne illustre bien ces
deux images de la temporalité et en fait même un noyau central de sa thémati-
que. En effet, on sait que la représentation du temps qui correspond à la civili-
sation occidentale moderne et contemporaine est celle d’une ligne qui, partant
d’une origine ponctuelle, progresse inéluctablement vers une fin. Notre temps
passe, fuit (Le livre des fuites), notre temps est marqué par l’éloignement inévi-
table des origines, par l’approche non moins inévitable de la fin. Ce sont les
images classiques d’une temporalité définie par son caractère unidirectionnel,
irréversible. Ici le temps est usure, déperdition, dégénérescence croissante, en-
tropie et mort. Ici le temps est Chronos, Saturne qui dévore ses propres enfants.
On sait également que notre civilisation, à partir du XVI e siècle et surtout à
partir du XVIIIe siècle, a superposé à cette conception du temps, non seulement
linéaire mais de plus en plus profane, une mythologie qui semble contredire
ouvertement cette vision entropique de la temporalité : c’est la mythologie du
progrès, le modèle prométhéen qui proclame une amélioration constante de
l’être et de ses conditions de vie apportée par l’effort humain, par la volonté
individuelle et collective, par le développement poussé de la science et de la
technique. Le mythe prométhéen projette alors sa lumière sur un futur de plus
en plus prometteur, relègue le passé dans l’ombre. Les mythes progressistes,
valorisant ainsi constamment les temps à venir et dévalorisant parallèlement ce
qui est révolu, finissent par fonder un espoir sans mémoire, un avenir amputé
des origines.
Depuis ses premiers romans jusqu’à ses dernier titres, Le Clézio dénonce ou-
vertement l’imposture de cette mythologie prométhéenne, le mirage d’une civi-
lisation qui, tout en prônant le développement et l’expansion, court aveugle-
ment à sa perte. En effet, l’idée de progrès, telle qu’elle est apparue dans notre
civilisation, constitue pour Le Clézio, la face même de l’entropie, les forces de
dissolution qui menacent notre monde car nulle régénération ne s’ensuit de
cette obsession prométhéenne, nul sens ne parvient à se construire à partir de
cette course effrénée vers l’image trompeuse des lendemains riants. La notion et
l’expérience du progrès finissent donc par se confondre avec ce qu’elles étaient

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censées nier : le progrès coïncide avec l’usure, avec l’épuisement, l’effondre-


ment, le progrès est toujours une image du temps entropique, dévastateur, dé-
vorateur.
La découverte des cultures traditionnelles met devant les yeux de l’homme
contemporain une tout autre image du temps, celle qu’Eliade a décrite dans Le
mythe de l’éternel retour, celle que Gilbert Durand a intégrée dans Les structures
anthropologiques de l’imaginaire sous la rubrique de régime nocturne dissémi-
natoire. Le Clézio explore justement dans ses essais sur le Mexique cette autre
conception du temps, cyclique cette fois-ci, qui, comme le taoïsme chinois,
conjugue l’expansion et la concentration, des phases ascendantes et des phases
descendantes, l’aspect entropique de la temporalité et sa capacité de néguentro-
pie.
La fête des feux nouveaux dans la culture maya, la fête de Toxiuh molpilia
(nos années se lient) chez les Aztèques représentent, symbolisent et ritualisent
cette conception cyclique du temps caractéristique des civilisations amérindien-
nes. Pour Le Clézio, Toxiuh molpilia est «la fête la plus belle, la plus tragique, la
plus chargée de sens aussi»2 et c’est pour cela qu’il l’écrit, la représente, la donne
à voir dans Le rêve mexicain d’abord, dans La fête chantée ensuite, d’après le
témoignage de Bernardino de Sahagún dans sa chronique Las cosas generales de
la Nueva España. Si, pour Le Clézio, la beauté et le tragique s’allient dans cette
célébration, c’est parce que Toxiuh molpilia marque le passage, toujours dange-
reux, toujours angoissant, du temps révolu, déchu, épuisé, au temps nouveau de
la régénération : Toxiuh molpilia est le moment crucial de l’éternel retour, de la
transmutation de l’aspect entropique du temps en néguentropie restauratrice, le
point qui signale la synchronicité avec les origines. Cette célébration a lieu tous
les 52 ans, l’équivalent d’un siècle dans le calendrier aztèque. Elle marque ainsi
l’accomplissement d’un cycle temporel et l’inauguration du cycle suivant.
En se basant donc sur la chronique du franciscain espagnol, Le Clézio recréé
cette cérémonie : un décor de rêve enfoui au cœur de l’Amérique centrale où
une procession de prêtres et de satrapes quitte le grand temple de Mexico-
Tenochtitlán pour se diriger et atteindre le sommet d’une montagne voisine
nommée Uixachtecatli. C’est la nuit la plus fermée, tous les feux de la Nouvelle
Espagne ont été éteints. En haut de la montagne sacrée une grande multitude

2
Le Clézio, J. M., Le rêve mexicain ou la pensée interrompue, Paris, Gallimard, 1988, p. 70.

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rassemblée contemple, en silence et dans l’angoisse, le mouvement de rotation


de la voûte céleste. Elle attend jusqu’à ce que la constellation des Pléiades attei-
gne le milieu du ciel et, quand cela arrive, il est grande joie parmi la population
indienne car c’est bien le signe qu’une nouvelle ère commence et que le cycle
temporel poursuit sa marche. Un sacrifice humain a lieu à ce moment-là. C’est
l’un des plus vaillants guerriers qui est consacré aux dieux comme offrande de
vie dans cette cérémonie. Un prêtre introduit un bâton effilé à la hauteur de son
cœur, il le fait tourner rapidement entre ses mains et, lorsque la première étin-
celle jaillit, on allume une torche, signe redoublé pour la multitude que le cor-
tège du temps continue de tourner, que la lumière éclaire le monde. On allume
alors tous les feux nouveaux dans le territoire mexicain où il est grande fête
parce que l’on sait maintenant que l’univers entier a été régénéré, que le temps a
recommencé.
Ce qui fascine Le Clézio dans ce rituel amérindien, c’est justement la mise
en place d’une cérémonie permettant à toute collectivité de revenir périodique-
ment à ses origines une fois le temps épuisé, de plonger et de replonger dans la
néguentropie, après la consommation entropique de la temporalité. Vie, mort et
résurrection, telle est la pulsation rythimque qui règle la loi de l’univers et le
destin des hommes et cela correspond exactement au schéma des processus
initiatiques développés par Le Clézio dans ses romans. Ce qui fascine également
l’écrivain, c’est cette alliance étroite, littéralement mystique, entre l’homme et
l’univers qui est à l’origine de cette célébration. Car le temps des hommes, leur
vie, leur mort, leur destinée est effectivement donnée, mesurée, réglée par la
marche circulaire des constellations, il n’est pas d’existence humaine autonome,
indépendante de l’ordre de l’univers.
Le sacrifice humain, que Le Clézio analyse à plusieurs reprises dans ses essais,
s’inscrit aussi dans cette logique qui lie indissolublement l’être humain aux lois
de l’univers, autant dire aux lois prescrites par les dieux. La mort sacrificielle est
sans aucun doute l’un des rituels amériendiens qui a le plus choqué les Conqué-
rants espagnols, les chroniqueurs d’Indes et les évangélisateurs. C’est justement
à cause de la cruauté de ces pratiques religeuses, à cause de cette incompréhen-
sible exigence divine du sang des hommes, que l’Eglise voit dans ces cultures
indigènes la manifestation des forces maléfiques, voire sataniques. Le Clézio
s’attache donc à une analyse du sens de ces rituels, analyse d’autant plus pous-
sée, d’autant plus minutieuse, que ceux-ci suscitent le rejet instinctif, total, de la

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part du monde occidental moderne et contemporain. L’écrivain montre ainsi la


relation analogique existante entre cette image cyclique du temps, alternance
d’entropie et de néguentropie restauratrice, et l’offrande de la vie humaine aux
dieux, mort ritualisée, qui assure le renouvellement et la perpétuation de la vie
collective. Car dans l’univers, comme dans le sacrifice rituel, il est rigoureuse-
ment nécessaire de passer par la mort, l’angoisse, l’épuisement, pour qu’une
régénération complète se produise ; il faut une apocalypse, une fin, un terme
qui permette à nouveau de contacter avec les origines, ces origines qui sont les
seules capables de régénérer l’homme, le monde, le sens.
Le Clézio décèle justement dans notre culture occidentale une sorte d’usure
constante, accélérée, vertigineuse, une menace d’éclatement imminent et géné-
ralisé lié à une absence de forces auto-régénératrices, à l’absence de mécanismes
permettant d’atteindre un horizon néguentropique, restaurateur de l’usure et de
la dégénérescence.
Ce qui semble obséder Le Clézio, c’est moins le pressentiment d’un cata-
clisme, d’une destruction du monde actuel, que l’incapacité flagrante de notre
civilisation à prévoir des modes de régénération individuels et collectifs, notre
incapacité flagrante de revenir aux origines. C’est ce besoin incontournable de
ressourcement de l’être et du monde, cette aspiration à une régénération qui
passe inévitablement par la mort, ce que l’écrivain recherche et met en scène
inlassablement aussi bien dans les essais sur le Mexique que dans son écriture
romanesque.

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