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Zbornik radova Vizantolo{kog instituta Hß, 2003.

Recueil des travaux de l’Institut d’etudes byzantines Hß, 2003.

UDC: 355.331:321.1Š(497.17)“13”+801.313.1

VASSILIKI N. VLYSSIDOU

JEAN Ier TZIMISKÈS ET BARDAS SKLÈROS: LE CAS D'UNE


SURVEILLANCE DISCRÈTE
Selon l'avis de l'auteur, Jean Ier Tzimiskès eut recours aux services de Bardas
Sklèros uniquement pour annuler la politique de Nicéphore II envers les Russes et pour
éviter le danger d'un éventuel retour des Phocas au pouvoir. Ces deux buts semblent avoir
été les seules ambitions politiques partagées en commun par Tzimiskès et son stratèlate;
tout en scellant cet accord politique, l'accomplissement de ces deux ambitions, lui imposait
un terme inévitable. Au terme de l'accord politique de principe entre Tzimiskès et les
Sklèroi, devrait-on attribuer la disgrâce de Bardas Sklèros pendant deux ans au moins et son
activité militaire succédannée au front oriental sous une surveillance discrète.

Bien que les Sklèroi paraissent dans les sources dès les premières années du IXe
siècle, ils étaient pourtant, au point de vue chronologique, les derniers parmi les
familles illustres du Xe siècle qui ont joué un rôle prépondérant à la scène politique de
l'Empire. À en juger par le haut titre du magistre de Théodore Sklèros qui participa au
synode de 869/870,1 les Sklèroi semblent s'être rangés aux premiers partisans du
changement dynastique de 867; pourtant, ils étaient employés par les empereurs Basile
Ier et Léon VI d'une manière éventuelle et, comme leurs ancêtres,2 à des postes et à des
opérations dans la péninsule balkanique,3 un fait qui a rendu leur promotion à la
hiérarchie militaire plus tardive que celle des Phocas, des Argyroi et des Doukai, tous
actifs en Asie Mineure et à de postes de responsabilité très élevés.4 À la carrière

1 W. Seibt, Die Skleroi. Eine prosopographisch-sigillographische Studie ‰Byzantina


Vindobonensia 9Š, Vienne 1976, 23–24, qui a identifié ce haut fonctionnaire à un certain Sklèros,
mentionné dans une lettre de Photios; cf. Photii Patriarchae Constantinopolitani Epistulae et
Amphilochia, éd. B. Laourdas – L. G. Westerink, III, Leipzig 1985, no 292, p. 155.
2 Seibt, Skleroi, 19–21. Cf. aussi Fr. Winkelmann, Studien zum 8. und 9. Jahrhundert in Byzanz
‰Berliner Byzantinistische Arbeiten 51Š, Berlin 1983, 124–127. L'idendification des deux Sklèroi,
mentionnés en 805 et 811 comme stratèges du Péloponnèse, propose D. Turner, The Origins and Acces-
sion of Leo V (813–820), Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik 40 (1990) 181–186.
3 Seibt, Skleroi, 24-27.
4 Analytiquement cf. Vassiliki Vlyssidou, Aristokratikej oikogeneiej kai exousia (9oj–10oj
ai.). Ereunej panw sta diadocika stadia antimetwpishj thj armeno-paflagonikhj kai thj
kappadokikhj aristokratiaj, Thessalonique 2001, 57–81 et 176–178, où toutes les références.
20 Vassiliki N. Vlyssidou

impressionnante que les deux premiers empereurs de la dynastie macédonienne ont


réservée aux Phocas on pourrait, peut-être, attribuer les débuts de la fameuse rivalité
entre les deux familles et la raison pour laquelle les Sklèroi se sont ralliés à Romain Ier
Lécapènos. À une époque pendant laquelle les Phocas ont été exclus de tout
commandement notable,5 les Sklèroi ont été enfin promus à des postes militaires
importants en Asie Mineure: avant d'être nommé domestique des Scholes en 944,6 le
parent de Lécapènos et père du rebelle Bardas, Panthèrios Sklèros,7 a dû, selon toute
vraisemblance, avoir exercé les fonctions du stratège de Lykandos et du stratège des
Thracésiens.8 La rivalité entre les Phocas et les Sklèroi ne pouvait qu'être renforcée
sous le règne de Constantin VII Porphyrogénète, lorsque le commandement de l'armée
avait été confié aux Phocas et les Sklèroi, avec leur rejeton Bardas, n'apparaissent que
juste à l'automne de 956 au modeste poste du stratège de Kaloudia.9 Le mariage de
Constantin Sklèros avec Sophie, fille du curopalate Léon Phocas, est le seul lien entre
les deux familles et date de la fin du règne de Constantin VII.10 Mais la rivalité
antérieure s'est avérée beaucoup plus puissante que leur alliance matrimoniale récente;
les Sklèroi n'ont pas soutenu Nicéphore Phocas à revendiquer le pouvoir suprême en
963 et ils ne sont mentionnés dans les sources qu'en 970. L'avis que sous le règne de
Nicéphore II Bardas Sklèros avait derrière lui une longue carrière à plusieurs hauts
postes militaires11 nous paraît peu probable; par contre, si on se rend compte de l'atti-
tude de Nicéphore Phocas envers Jean Tzimiskès,12 Michel Bourtzès ou Isaac

5 Cf. J.-Cl. Cheynet, Les Phocas, dans G. Dagron – H. Mihaescu, Le traité sur la Guérilla (De
velitatione) de l'empereur Nicéphore Phocas (963–969), Paris 1986, 298.
6 Theophane Continué (Theophanes Continuatus, éd. I. Bekker, Bonn 1838), 429, 15–16. La
mention du domestique Panqhr à l'attaque des Russes de l'an 941 (Vie de Basile le Jeune, éd. A. N
Veselovskij, Razyskanija v oblasti russkago dukhovnago stikha, Sbornik Otdelenija Russkago Jazyka
Imperatorskoï Akademii Nauk 46 ‰1889Š 67; S. H. Cross – O. P. Sherbowitz-Weltzer, The Russian Pri-
mary Chronicle, Laurentian Text, Translation and Edition, Cambridge Mass. 1953, 71–72) constitue un
anachronisme évident. Cf. H. Grégoire, Saint Théodore le stratélate et les Russes d'Igor, Byzantion 13
(1938) 298.
7 Cf. J.-Cl. Cheynet, Notes arabo-byzantines, dans Afierwma ston N. Sborwno, I, Rethymnon
1986, 145–147.
8 J. Nesbitt – N. Oikonomides, Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg
Museum of Art, 3, Washington, D.C. 1991, 2.48–49; Vassiliki Vlyssidou – Eleonora Kountoura-Galake –
S. Lampakes – T. Lounghis – A. Savvides, H Mikra Asia twn qematwn. Ereunej panw sth
gewgrafikh fusiognwmia kai proswpografia twn buzantinwn qematwn thj Mikraj Asiaj
(7oj–11oj ai.), Athènes 1998, 214 n. 104, 475.
9 Seibt, Skleroi, 30. Cf. N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe
siècles. Introduction, texte, traduction et commentaire, Paris 1972, 267,22, 359.
10 Puisque la fille du couple et future épouse d'Otton II, Théophanô, est née en 959/960; cf. O.
Kresten, Byzantinische Epilegomena zur Frage: Wer war Theophano?, dans A. Von Euw – P. Schreiner
(éds.), Kaiserin Theophanu. Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends,
II, Köln 1991, 407.
11 Seibt, Skleroi, 29: œFür die Regierungszeit des Nikephoros (963–969), wahrscheinlich auch
schon davor, sind für ihn mehrere höhere militärische Kommandos anzunehmen, mindestens im Rang
eines patrikiojŒ.
12 Léon Diacre V, 7 (Leonis Diaconi Caloënsis Historiae libri decem, éd. C. B. Hase, Bonn
1828), p. 88; Skylitzès (Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum, éd. I. Thurn ‰CFHB 5Š, Berlin – New
York 1973), 279, 89–91. Cf. J.-Cl. Cheynet, Pouvoir et contestations à Byzance (963–1210) ‰Byzantina
Sorbonensia 9Š, Paris 1990, 327 n. 34.
Jean Ier Tzimiskès et Bardas Sklèros: le cas d’une surveillance discrète 21

Brachamios,13 on aurait beaucoup de mal à accepter que Bardas Sklèros avait une
présence continuelle ou alors pas entravée aux champs de bataille entre 963 et 969.14
À la carrière de Bardas Sklèros à des postes militaires sans influence décisive
pour le contrôle de l'armée15 mit fin sa nomination à la nouvelle fonction de stratèlate,
créée en 970,16 qui, pourtant, était loin de conférer à ce gendre de Jean Ier Tzimiskès
toute puissance. Les événements tendent à confirmer le fait que, dès le début de son
règne, Jean Tzimiskès avait pris toutes les précautions, afin que les Sklèroi ne puissent
pas réaliser leurs ambitions, qui devenaient d'autant plus inquiétantes par le fait que le
nouvel empereur n'avait pas de descendants, même pas de frère vivant.
Une première remarque que l'on pourrait faire sur ce sujet, est que Jean Tzimiskès,
tout en envoyant contre les Russes et leurs alliés Petchénègues et Hongrois Bardas
Sklèros et son frère, le patrice Constantin,17 leur désignait comme secteur de leur activité
militaire les Balkans, c'est-à-dire la même région où avaient été actifs leurs ancêtres du
début du IXe siècle jusqu'au règne de Léon VI; en même temps, il leur confiait la tâche
d'annuler les conséquences fâcheuses de la politique de Nicéphore II Phocas, qui avait
engagé les Russes comme alliés de l'Empire contre la Bulgarie.18
Le danger russe provisoirement écarté, Bardas Sklèros fut envoyé en Asie
Mineure pour tenir en échec Bardas Phocas qui, s'étant enfuit d'Amasée, avait
regagné la Cappadoce et rassemblé une armée à Césarée.19 Aussitôt après
l'arrestation du rebelle, Jean Tzimiskès ordonna l'exil de Phocas dans l'île de Chios
et le passage de son stratèlate en Europe, où il devait passer l'hiver.20 Cette mention

13 J.-Cl. Cheynet, Trois familles du duché d'Antioche, dans J.-Cl. Cheynet – J. F. Vannier,
Études prosopographiques ‰Byzantina Sorbonensia 5Š, Paris 1986, 19 et 58.
14 On pourrait, peut-être, songer et à une demi-digrâce des Sklèroi après la destitution de Jean
Tzimiskès vers 965; cf. Vlyssidou, Aristokratikej oikogeneiej, 181.
15 Cheynet, Pouvoir, 325.
16 Léon Diacre VII, 3, p. 117; Skylitzès, 288, 11–12; Zônaras XVII 1, 20 (Ioannis Zonarae
Epitomae Historiarum libri XIII–XVIII, éd. Th. Büttner-Wobst, Bonn 1897): III, p. 523. Cf. Oikonomidès,
Listes, 332. En ce qui concerne la promotion de Bardas Sklèros au rang du magistre sous le règne de
Nicéphore II (cf. Seibt, Skleroi, 29), par les sources citées il s'ensuit qu'il était déjà magistre, lorsqu'il fut
nommé stratèlate au printemps 970, mais la possibilité qu'il fût honoré avec ce titre juste après
l'avènement de Jean Tzimiskès ne doit pas être exclue.
17 Léon Diacre VI, 11–13, pp. 107–111; Skylitzès, 288, 23–291 ,4.
18 Léon Diacre IV, 6, p. 63; Skylitzès, 277, 27–37. Cf. aussi Yahya (Histoire de Yahya-ibn-Sa'id
d'Antioche, Continuateur de Sai'id-ibn-Bitriq, éd. et trad. par I. Kratchkovsky – A. Vasiliev, Patrologia
Orientalis 18 ‰1924Š), 833 ‰désormais Yahya IŠ. La politique purement hostile de Nicéphore Phocas
envers la Bulgarie se manifesta pendant l'hiver 966/967, lorsque l'empereur maltraita les ambassadeurs
bulgares (Léon Diacre IV, 5, p. 62). Les missions diplomatiques byzantino-bulgares de 968 (Liudprandi
relatio de legatione Constantinopolitana XIX ‰éd. J. Becker (Scriptores rerum Germanicarum in usum
scholarum ex Monumentis Germaniae Historicis separatim editi), Hannover – Leipzig 19153 (réimpr.
1993)Š, pp. 185–186) et de 968/969 (Léon Diacre V, 3, pp. 79–80) ont eu lieu, lorsqu'après la trahison de
Kalokyros (Skylitzès, 288, 96–5), les Russes devinrent l'ennemi commun et fort menaçant pour les deux
états. Cf. J. Karayannopoulos, Oi buzantino-boulgarikej sceseij sta eth 963–969 (Cronologikej
parathrhseij), Diptuca 4 (1986–1987) ‰= ©dh. Afierwma eij Giuseppe SchiròŠ 183–199.
19 Léon Diacre VII, 1, pp. 112–113; Skylitzès, 291, 5–292, 16.
20 Léon Diacre VII, 8, p. 126: ..., ej thn Eurwphn dia tou Ellhspontou diapervn,
ceimeriounta proj ta ekeise ceimadia, ... .
22 Vassiliki N. Vlyssidou

de Léon Diacre précise que la révolte de Bardas Phocas fut matée vers l'automne
970; Bardas Sklèros se trouvait donc dans les Balkans avant novembre de la même
année,21 tandis que les nouvelles hostilités avec les Russes ne commencèrent que
quelques mois après, en avril 971.22 Il est hors de doute que le danger russe était
particulièrement alarmant23 mais, peut-être, pas une raison suffisante ou alors aussi
impérative pour justifier le rappel immédiat de Sklèros d'Asie Mineure. À ceci il
faudrait rappeler que des hostilités avec les Arabes avaient éclaté à la frontière
orientale de l'Empire pendant l'hiver de 970/971,24 mais l'empereur avait confié la
conduite de la guerre au stratège du thème de Mésopotamie et au fort expérimenté
patrice Nicolas, l'un de ses plus fidèles eunuques.25 Stratopédarque d'Orient ou alors
domestique des Scholes d'Orient,26 Nicolas était le chef suprême des troupes
orientaux; sa nomination, juste après le passage de Sklèros en Europe, dévoile d'une
façon plus ou moins claire la décision de Jean Tzimiskès de ne plus confier le
commandement de l'armée micrasiatique qu'à de personnes nouvelles qui étaient
loin à revendiquer le pouvoir.
Au soupçon que la menace des Russes et la nécessité urgente de leur
refoulement hors de Balkans ne dominaient point au choix de personnes par Jean
Tzimiskès peut être ajoutée l'énumération des illustres fonctionnaires, cités à l'occa-
sion des campagnes menées en Occident. Mis à part l'ancien serviteur de Nicéphore
Phocas, le patrice et stratopédarque Pierre,27 le proèdre et parakoimomène Basile

21 Date du mariage de Jean Tzimiskès avec la porphyrogénète Théodora, un fait mentionné


aussitôt après la repression de la rébellion de Phocas; cf. Léon Diacre VII, 9, p. 127; Skylitzès, 294, 94–2;
Zônaras XVII 2, 15: III, p. 527. Cf. aussi Yahya I, 830.
22 Cf. Fr. Dölger, Die Chronologie des grossen Feldzuges des Kaisers Johannes Tzimiskes gegen
die Russen, Byzantinische Zeitschrift 32 (1932) 292; H. Grégoire, La dernière campagne de Jean
Tzimiskès contre les Russes, Byzantion 12 (1937) 267–276.
23 Léon Diacre VII, 9, p. 126: Outoi gar, thn apo thj Eurwphj tou strathlatou Barda
diagnontej aparsin, ..., ta megista Rwmaiouj esinonto, aifnidiouj epexelaseij poioumenoi, kai
thn twn Makedonwn lhizomenoi kai dhountej afeidwj¶ .. .
24 Cf. M. Canard, Histoire de la dynastie des H'amdanides de Jazîra et de Syrie, Paris 1953, 837;
P. E. Walker, A Byzantine Victory over the Fatimids at Alexandretta (971), Byzantion 42 (1972)
431–440. Cf. aussi W. B. P. Saunders, The Aachen Reliquary of Eustathius Maleinus, 969–970,
Dumbarton Oaks Papers 36 (1982) 215.
25 Léon Diacre VI, 8, p. 103: thn de ge ormhn twn Agarhnwn tV twn EJwn strateumatwn
parataxei anecaitise, Nikolaou tou Patrikiou strathgountoj¶ osge oikeioj wn spadwn tJ ba-
silei, empeirian ek pollhj melethj twn pollwn agwnwn ekekthto. Skylitzès, 287, 85–87: epemye de
arconta tou olou stratou meta kai dunamewn allwn ton patrikion Nikolaon, ena onta twn
Jkeiwmenwn autJ eunoucwn. Cf. R. Guilland, Recherches sur les institutions byzantines, I, Berlin –
Amsterdam 1967, 172.
26 La possibilité que Nicolas était stratopédarque d'Orient peut être confirmée par la présence de
l'eunuque Pierre à cette époque-là au front balkanique comme stratopédarque de l'Occident. Mais aussi
l'hypothèse de H.-J. Kühn (Die byzantinische Armee im 10. und 11. Jahrhundert. Studien zur Organisa-
tion der Tagmata ‰Byzantinische Geschichtsschreiber. Ergänzungsband 2Š, Vienne 1991, 147–148) que
Nicolas fut promu domestique des Scholes d'Orient, fonction jusqu'alors inaccessible aux eunuques
(Oikonomidès, Listes, 135, 9–10), est renforcée par la nomination de Pierre au domesticat des Scholes de
l'Occident peu après; cf. note suivante.
27 Selon I. Jordanov (Molybdobulles de domestiques des Scholes du dernier quart du Xe siècle
trouvés dans la stratégie de Preslav, Studies in Byzantine Sigillography 2 ‰1990Š 203–206), en 971, au
Jean Ier Tzimiskès et Bardas Sklèros: le cas d’une surveillance discrète 23

Lécapènos, le magistre et peut-être stratège de Macédoine Jean Kourkouas et le


patrice Romain Lécapènos combattent avec Bardas Sklèros et son frère Constantin
contre les Russes.28 Il est donc clair que les Sklèroi, les Lécapènoi et les Kourkouas
combattent ensemble dans les Balkans et, par conséquent, ils sont tous absents du
front oriental. C'est tout autrement que se déroulait l'affaire en ce qui concerne
quelques autres partisans de Tzimiskès, récemment parus sur la scène politique; il
s'agit de Michel Bourtzès et d'Isaac Brachamios, qui ne sont point mentionnés dans
les expéditions contre les Russes et dont l'activité militaire sous le règne de
Tzimiskès se situe à Antioche et dans le thème de Chaldée.29
Plus le temps passait, plus les choix politiques de Jean Tzimiskès devenaient
clairs et concrets, doit-on croire, car on aurait beaucoup de mal à les attribuer à des
causes fortuites ou à les considérer comme imposés par les seules circonstances; la
décision de Tzimiskès de ne pas permettre aux anciennes familles nobles une activité
prolongée en Asie Mineure est confirmée une fois de plus par le déroulement des
événements, lorsqu'à l'automne de 972 l'empereur en personne se met à la tête d'une
expédition contre les Arabes30 et jusqu'en été de 973 à la frontière orientale se bat un
autre fidèle serviteur de Tzimiskès, le magistre et domestique des Scholes d'Orient,
l'arménien Mélias, sous les ordres duquel se trouve une nombreuse armée.31 Pendant
la même époque – qui s'étend de l'été 972 au printemps 974 – Bardas Sklèros semble
être tombé en disgrâce; une mention de Skylitzès, comme quoi Sklèros eût comploté
contre Tzimiskès32 doit être en relation avec une mention de Léon Diacre, selon
laquelle le patriarche Basile dit Skamandrènos fut accusé d'avoir comploté pour
remplacer l'empereur par un rejeton d'une grande famille;33 l'on a tenté d'identifier

début de la campagne de Jean Tzimiskès en Bulgarie, Pierre était domestique des Scholes de l'Occident.
Par le fait que Skylitzès (p. 300, 79–80), à l'occasion de l'attaque contre Dristra, semble traduire d'une
façon précise la fonction de Pierre – stratopedarchj meta Qrvkwn kai Makedonwn, c'est-à-dire
stratopédarque de l'Occident –, il est plausible qu'il soit promu au domesticat des Scholes de l'Occident
peu après, lorsque Tzimiskès est rentré à Constantinople, laisssant ses stratèges achever les opérations
occidentales. Cf. Letopis Popa Dukljanina, éd. F. [i{i}, Belgrade – Zagreb 1928, 449–451. Cf. aussi Lj.
Maksimovi}, Organizacija vizantijske vlasti u novoosvojenim oblastima posle 1018. godine, ZRVI 36
(1997) 35; S. Pirivatri}, Vizantijska tema Morava i œMoravijeŒ Konstantina VII Porfirogenita, ZRVI 36
(1997) 173–176.
28 Analytiquement cf. Seibt, Skleroi, 33–34.
29 Cf. Cheynet, Trois familles, 15, 20. En ce qui concerne Isaac Brachamios, connu comme
stratège de Chaldée par un seul sceau (cf. Cheynet, ibidem, 59), nous croyons que sa participation au
complot fomenté par Tzimiskès contre Nicéphore Phocas rend assez plausible la possibilité qu'il ait été
nommé à ce poste par Jean Tzimiskès. Cf. Vlyssidou, Aristokratikej oikogeneiej, 184, 194 n. 89.
30 M. Canard, La date des expéditions mésopotamiennes de Jean Tzimiscès, Mélanges Henri
Grégoire, II. Annuaire de l'Institut de Philologie et d'Hist. orient. et slaves 10 (1960) 101–107 ‰= Idem,
Byzance et les musulmans du Proche Orient, Variorum Reprints, Londres 1976, no XIIIŠ.
31 Yahya (éd. et trad. par I. Kratchkovsky – A. Vasiliev, Patrologia Orientalis 23 ‰1932Š),
353–354 ‰désormais Yahya IIŠ; Matthieu d'Edesse (Chronique de Matthieu d'Edesse continuée par
Grégoire le prêtre, trad. par E. Dulaurier, Paris 1858), 12–13. Cf. H. Grégoire, Notes épigraphiques. VII:
Melias le Magistre, Byzantion 8 (1933) 79–88. Cf. aussi Canard, H'amdanides, 842; Nicole Thierry, Un
portrait de Jean Tzimiskès en Cappadoce, Travaux et Mémoires 9 (1985) 477–484.
32 Skylitzès, 314, 62–64.
33 Léon Diacre X, 2, p. 163.
24 Vassiliki N. Vlyssidou

l'illustre complice du patriarche – qui demeure toutefois anonyme – avec Bardas


Sklèros.34
Même dans le cas où nous considérons comme véridique la version, selon
laquelle Sklèros avait été trempé dans l'affaire du patriarche, le fait que la déposition
de Basile Skamandrènos eut lieu à la mi-août 97335 tandis que la disgrâce de Sklèros
avait commencé un an antérieurement36 nous permet de rechercher ailleurs la cause
majeure de la déchéance de Sklèros. À notre avis, l'éloignement suivi par la rupture
entre l'empereur et son stratèlate peuvent avoir pour cause le fait que, une fois
délivré de la menace des Russes mais aussi des Phocas, Jean Tzimiskès mit à nu le
motif, pour lequel il avait eu recours aux services de Sklèros en dévoilant sa décision
de ne plus confier aux Sklèroi le commandement de nombreuses et importantes
troupes micrasiatiques, qui pourraient, certes, devenir un appui sinon un renfort à
leurs ambitions. Ainsi quelques choix de personnes qui, au début du règne de Jean
Tzimiskès semblent avoir été imposés par les circonstances, s'avèrent à partir de l'an
972 comme absolument conscients sur le plan politique et bien élaborés d'avance.
En ce qui concerne la restitution de Bardas Sklèros à la fonction de stratèlate
d'Orient, il est à remarquer qu'elle a eu lieu après le printemps de 974, c'est-à-dire
après que Mélias mourut en captivité;37 en plus, dans les deux expéditions menées
contre l'Arménie et la Mésopotamie et contre la Syrie, en 974 et en 975
respectivement, en tête de l'armée était l'empereur en personne.38 Selon toute
vraisemblance, après une absence de presque cinq ans du front oriental, Bardas
Sklèros participa à la seconde campagne en tant que commandant suprême après
l'empereur,39 mais les précautions prises par Tzimiskès afin que Sklèros ne
s'emparât pas de l'armée sont évidentes. À une période pendant laquelle l'empereur
avait perdu quelques uns de ses fidèles serviteurs, comme Mélias, et en puisant,
peut-être, des leçons utiles à sa propre expérience du temps où lui-même était tombé
en disgrâce sous Nicéphore Phocas, c'est-à-dire à une époque où ce dernier était
dénudé de ses appuis, si puissants jadis dans l'armée byzantine,40 Jean Tzimiskès
préféra que Bardas Sklèros, toujours suspect de fomenter une révolte,41 fût actif au

34 Seibt, Skleroi, 35. Cf. Kalliopè Bourdara, Kaqosiwsij kai turannij kata touj mesouj
buzantinouj cronouj. Makedonikh dunasteia (867–1056), Athènes 1981, 91.
35 Chronologie établie par J. Darrouzès, Sur la chronologie du patriarche Antoine III Stoudite,
Revue des Études Byzantines 46, 1988, 55–60.
36 Sinon plus tôt, puisque la dernière information dont nous disponsons concernant son activité
militaire date de la fin de juillet 971. Cf. Seibt, Skleroi, 34.
37 Yahya II, 354. Cf. Canard, H'amdanides, 842.
38 Léon Diacre X, 1–2, 4–6, pp. 160–163 et 165–168; Matthieu d'Edesse, 15–23. Cf. D. N.
Anastasievi}, Die Zahl der Araberzüge des Tzimiskes, Byzantinische Zeitschrift 30 (1929/30) 400–405.
Cf. aussi Canard, Expéditions mésopotamiennes, 101–108.
39 Cf. Seibt, Skleroi, 35.
40 Léon Diacre attribua l'assassinat de Nicéphore Phocas à l'hybris de ceux qui s'étaient
distingués aux champs de bataille. Cf. Léon Diacre V, 3, p. 80: hdh gar tinej eupragiaij epibantej kai
kata taj macaj eudokimhsantej, qeouj aneipein autouj ouk enarkhsan, eij authn thn pronoian
exubrisantej.
41 Skylitzès, 314,61–62: ... Bardan magistron ton Sklhron, aei tV basileiv efedreuonta
kai dia pantoj thn apostasian wdinonta ... .
Jean Ier Tzimiskès et Bardas Sklèros: le cas d’une surveillance discrète 25

front oriental sous une surveillance discrète; ceci valait mieux que de lui imposer une
attitude ouvertemnet hostile.
En guise de conclusion et tenant compte de l'activité militaire de Bardas
Sklèros entre 970 et 976, nous croyons que Jean Tzimiskès eut recours aux services
des Sklèroi uniquement pour pouvoir annuler la politique de Nicéphore II envers les
Russes et, par la même tactique, éviter le danger d'un retour des Phocas au pouvoir.
Ces deux buts étaient les seules ambitions politiques que Jean Tzimiskès et son
stratèlate partageaient en commun; leur accomplissement scella leur accord politique
en lui mettant une fin en même temps.
S'étant proclamé empereur conjointement avec les fils de Romain II, Basile II
et Constantin VIII,42 et ayant épousé la porphyrogénète Théodora,43 Jean Tzimiskès
n'aspirait pas uniquement à la légitimité dynastique. Son attitude envers les illustres
représentants de l'aristocratie militaire de province et, plus particulièrement, envers
les Sklèroi, c'est-à-dire les plus menaçants des militaires pendant cette période, le
rangea parmi ceux qui cherchaient à restaurer la dynastie macédonienne au pouvoir.
Mais une telle perspective ne coïncidait, certes, avec les ambitions politiques des
Sklèroi, empressés de jouer le même rôle que les Phocas, comme il fut établi par la
suite. À ce désaccord politique de principe entre Tzimiskès et les Sklèroi, devrait-on
attribuer la disgrâce de Bardas Sklèros pendant deux ans au moins et son activité
militaire succédannée au front oriental sous une surveillance discrète.
À la décision plus ou moins consciente de Jean Tzimiskès de ne pas permettre à
son stratèlate une activité prolongée en Asie Mineure, doit être attribué le fait que
Bardas Sklèros n'acquit dans l'armée byzantine que des appuis bien modestes.
Malgré les mentions des sources que Sklèros était bien aimé par l'armée44 et la
prétention de Skylitzès que Basile Lécapènos était celui qui essaya d'affaiblir son
autorité en le nommant duc de Mésopotamie en janvier 976,45 le fait qu'il a dû avoir
recours au soutien arabe et arménien pendant sa rébellion46 et qu'il dut combattre

42 Léon Diacre VI, 1, pp. 93–94; Skylitzès, 284,93–1.


43 Cf. plus haut, n. 21.
44 Skylitzès, 315,90–91: upo pantoj, wj epoj eipein, tou stratou filhqeij, ...; Psellos,
Chronographie I, 5 (Michel Psellos, Chronographie, éd. É. Renauld, Paris 19672): I, pp. 4–5 = (Michele
Psello, Imperatori di Bisanzio ‰CronografiaŠ, éd. S. Impellizzeri, ‰MilanŠ: Fondazione L. Valla 1984) I, p.
14: kai to stratiwtikon apan sunneuon ecwn proj to ekeinou boulhma. Cf. aussi Zônaras XVII 5, 9:
III, pp. 539–540.
45 Skylitzès, 314,67–69: ... sumferon einai tV basileiv kai asfalej enomise ‰Basile
LécapènosŠ to polu thj dunamewj akrwthriasai kai asqenesteron auton ‰Bardas SklèrosŠ
apofhnasqai proj thn upopteuomenhn apostasian. Avec sa nomination comme duc de Mésopotamie
Bardas Sklèros fut sans doute dégradé mais non pas affaibli en ce qui concerne sa puissance réelle dans
l'armée byzantine. Contrairement, en l'envoyant au berceau de sa famille, à la région unique où il
disposait et pouvait facilement trouver des appuis puissants, Basile Lécapènos fournissait à Sklèros tous
les prétextes nécessaires, que jusqu'alors il n'avait pas, pour se révolter. Cf. Vlyssidou, Aristokratikej
oikogeneiej, 191–200.
46 Skylitzès, 316,10–27; Zônaras XVII 5, 12: III, p. 540; Yahya II, 398. Cf. N. Adontz, Études
Armeno-byzantines, Lisbonne 1965, 150 et 232; Seibt, Skleroi, 37–38. Cf. aussi Hr. Bartikian, Les
Gaurades à travers les sources arméniennes, dans L'Arménie et Byzance. Histoire et culture ‰Byzantina
Sorbonensia 12Š, Paris 1996, 22.
26 Vassiliki N. Vlyssidou

sans cesse plus d'un an pour contrôler la majeure partie de l'Asie Mineure47
viennent justifier le jugement de Michel Psellos que Sklèros s'appuyait plutôt à son
génie militaire qu'aux effectifs de son armée.48 L'échec de Bardas Sklèros au cas où
il aurait aspiré au pouvoir suprême, avait été soigneusement préparé par Jean
Tzimiskès qui n'a pas donné à son gendre une seule occasion dans sa carrière pour
acquérir une influence décisive dans l'armée.

Vasiliki N. Vlisidu
JOVAN I CIMISKIJE I VARDA SKLIR:
SLU^AJ JEDNOG DISKRETNOG NADZORA
Prethodna karijera Varde Sklira, sa dostojanstvima bez odlu~uju}eg zna-
~aja za kontrolu vojske, zakqu~ena je wegovim imenovawem 970. godine u novi
~in stratilata. Ipak, iako magistar i zet Jovana Cimiskija, bio je daleko od
toga da postane svemo}an. Iz vojni~kog delovawa Varde Sklira izme|u 970. i
976. proizlazi da je Cimiskije poveravao Sklirima slu`be iskqu~ivo da bi
obesna`io politiku Ni}ifora II Foke prema Rusima i da bi poni{tio posle-
dice prethodnog zahvatawa vlasti od strane Fokâ. Ova dva ciqa bila su jedine
zajedni~ke politi~ke akcije Cimiskija i wegovog stratilata, ~ije je ispuwewe
ozna~ilo kraj wihove politi~ke saradwe.
Progla{en za cara zajedno sa sinovima Romana II, Vasilijem II i Konstan-
tinom VIII, i o`ewen porfirorodnom Teodorom, Jovan Cimiskije nije vodio
ra~una samo o dinasti~koj zakonitosti. Wegova odlu~nost da ne dozvoli daqe
ja~awe aristokratskih ku}a, koje bi im donelo komandu nad zna~ajnim malo-
azijskim vojskama, uvrstila ga je me|u one koji su se zalagali za uspostavqawe
vlasti Makedonske dinastije. Takva perspektiva, me|utim, sigurno nije bila u
saglasnosti sa politi~kim ambicijama Sklirâ, izuzetno spremnih da imaju
istu ulogu kao i Foke, {to se ubrzo i pokazalo. Ovom politi~kom nesaglasju
izme|u Cimiskija i Sklirâ treba pripisati i nemilost u koju je pao Varda
Sklir tokom vi{e od dve godine i, potom, wegovu vojni~ku delatnost u Maloj
Aziji, postavqenu pod diskretan nadzor.
U svesnoj odluci Jovana Cimiskija da {to je vi{e mogu}no ograni~i voj-
ni~ko delovawe svog stratilata u Maloj Aziji treba tra`iti uzrok nemo}i
Varde Sklira da obezbedi sna`nu podr{ku u redovima vojske. Tako je potowi
neuspeh Varde Sklira da se domogne vrhovne vlasti bio, u stvari, dobro pri-
premqen nekoliko godina ranije.

47 Du printemps 976 jusqu'à l'automne 977; cf. Cheynet, Pouvoir, 29, 330, 332 n. 61.
48 Psellos, Chronographie I, 24: I, p. 15 (Renauld) = I, p. 34 (Impellizzeri): Outoj toigaroun o
anhr, ei kai thj tou Fwka ceiroj kai dunamewj elattwn edokei, alla ta ge eij strathgikwtathn
boulhn kai parataxin deinoteroj ekeinou kai poikilwteroj egnwrizeto¶ ... .

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