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formation | recrutement | carrière

L’international
pour se lancer
Un premier poste
en Algérie,
au Royaume­Uni
ou en Colombie
L’emploi
des jeunes repart,
Macron réforme
Supplément du Monde n°22 798 daté 30avril2018

La ruée vers l’or numérique


Les pirates informatiques sont courtisés
par les entreprises françaises
/ Ingénieurs
/ Business Managers
/ Fonctions support

Un seul mot de vous peut vous


ouvrir un monde d’opportunités

3500 postes à pourvoir en 2018


ALTENRECRUTE.FR

STIMULATING INNOVATION
éditorial

« Big bang »

Q
uel lien entre Calvin, héros populaire de la bande dessinée américaine
ILLUSTRATION
DE COUVERTURE Calvin et Hobbes, et Emmanuel Macron ? Le goût de la rupture, de
LÉA CHASSAGNE
POUR
« LE MONDE »
l’innovation, de l’imagination ? Originaire de Picardie comme Jean
Calvin (1509­1564), dont s’est ironiquement inspiré le dessinateur
américain de bande dessinée Bill Watterson pour baptiser son héros
hyperactif et plein de fantaisie, le président Macron a, semble­t­il, aussi un point
SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE
Société Anonyme au capital de 124 610 348 €.
commun avec le célèbre théologien : le goût de la réforme. Formation profession­
Durée de la société : 99 ans à compter nelle, apprentissage, assurance­chômage, fonction publique et, bientôt, retraite
du 15 décembre 2000. RCS Paris.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS) sont au programme pour transformer radicalement le fonctionnement du mar­
Président du directoire, ché du travail. Jeunes diplômés : attention réformes !
directeur de la publication
LOUIS DREYFUS Alors que les belles perspectives de recrutement pour les jeunes diplômés, y com­
Directeur du « Monde », pris les moins expérimentés, auraient pu laisser espérer un retour de la sérénité à
directeur délégué de la publication, l’entrée du marché du travail en 2018, les repères qui guidaient jusqu’alors le par­
membre du directoire
JÉRÔME FENOGLIO cours professionnel, tels que les statuts d’emploi, l’accès à la formation, le dialogue
Rédaction social, la rupture du contrat, l’indemnisation­chô­
80, boulevard Auguste Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 mage, sont effacés par une succession de projets « IL Y A UNE CERTAINE
Tél. : 01­57­28­20­00
de loi destinés à adapter la société à la révolution URGENCE À
Directeur de la rédaction
LUC BRONNER technologique à l’œuvre. S’INTERROGER SUR LES
L’heure est à la rupture et à l’innovation. Une ré­ NOUVELLES MANIÈRES
Secrétaire générale de la rédaction
CHRISTINE LAGET cente étude de l’Organisation de coopération et DE FAIRE POUR
Coordination rédactionnelle de développement économiques (OCDE), « Auto­ PRÉPARER LE FUTUR »
ANNE RODIER
PIERRE JULLIEN matisation, compétences et formation », a évalué
Création et réalisation graphique l’impact de cette « révolution » sur l’emploi. Elle estime que les emplois de 66 mil­
CÉCILE COUTUREAU­MERINO
lions de travailleurs des trente­deux pays observés sont fortement automatisables,
Edition
CLAUDINE CARROUÉ soit 14 % environ du total. Et 32 % d’autres emplois exigeront de nouvelles compé­
tences pour 50 % à 70 % de leur activité.
Correction
SERVICE CORRECTION Le rythme de la formation professionnelle doit donc suivre pour assurer la trans­
DU « MONDE »
formation des métiers, intégrer l’intelligence artificielle et faciliter l’interdisci­
Illustrations
DENIS CARRIER, LÉA CHASSAGNE, plinarité. « Le défi pour le système de formation professionnelle des adultes est
JOSSELIN COLLAGES,
HUBERT POIROT BOURDAIN, considérable », souligne l’OCDE. Le sujet est donc à la fois pressant et sérieux.
QUENTIN VIJOUX
La réflexion est ouverte dans les entreprises. « On est dans une période particulière
Publicité de l’histoire. Il y a une certaine urgence à s’interroger sur les nouvelles manières de
BRIGITTE ANTOINE
Fabrication
faire pour préparer le futur. Car si la réinvention des métiers a déjà existé par le
ALEX MONNET passé, ce qui est nouveau c’est l’accélération portée par le numérique », soulignait le
JEAN­MARC MOREAU
11 avril Laurence Lehmann­Ortega, professeure de stratégie et politique à HEC
Imprimeur
ROTO FRANCE IMPRESSION Paris, lors du colloque « Comment et jusqu’où réinventer l’entreprise ? »
La reproduction de tout article est interdite Bref, les organisations inventent en marchant et voudraient marcher de plus en
sans l’accord de l’administration.
Supplément au Monde. plus vite. Et l’Etat leur emboîte le pas. Le gouvernement a lancé le « big bang » de la
Commission paritaire : 0722 C 81 975
formation professionnelle : un compte personnel de formation, 500 euros par an
Origine du papier : Suède. Taux de fibres
recyclées : 0 %. Ce magazine est imprimé et une application numérique dès 2019 pour déterminer son avenir en un clic…
par Maury, certifié PEFC. Eutrophisation :
PTot = 0.009 kg/tonne de papier
Même les indépendants y ont droit. Le statut cadre doit être redéfini et la fonction
publique réformée : elle recrutera davantage de contractuels, quitte à brouiller les
frontières entre privé et public. Le Calvin de Bill Watterson voit rarement l’embal­
lement de ses inventions avant le crash final, mais le très sérieux Jean Calvin n’a
jamais cédé à la tentation de la pensée magique.
anne rodier

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 3


#1 RégIoN
AUvErGNE-rhôNE-AlPEs
Et BOUrGOGNE-FrANChE-COmté

UN PRIX
pour récompenser
les nouveaux entrepreneurs
qui cherchent à combiner
aventure entrepreneuriale
& intérêt général.

Start-uppers et entrepreneurs
des Régions Auvergne-Rhône-Alpes
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Lyon - 5 juin
6 PRIX LiLLe - 9 octobre
6 RégIoNs Bordeaux - 8 novembre
rennes - 22 novembre
MarseiLLe - 4 décembre
Paris - 28 janvier 2019
sommaire

Supplément du Monde n° 22 798 daté du 30 avril 2018

3 Editorial
6 En bref

JOCELYN COLLAGES
LÉA CHASSAGNE

8 L’emploi des jeunes repart, 32 L’international pour se lancer


par Margherita Nasi
Macron réforme par Anne Rodier
36 Le pari de l’Antarctique par Elodie Auffray
12 Un nouveau rythme de formation pour rester
dans la course par Adeline Farge 37 Choisir l’Afrique pour créer son entreprise
14 Le compte personnel de formation est­il pour moi? par Myriam Dubertrand
par Laurent Gérard
38 Retourner en Algérie pour faire carrière
17 Les indépendants aussi ont droit au CPF par Camille Labeiro
par Catherine Quignon
42 En Colombie, les jeunes mettent leurs diplômes
18 L’interdisciplinarité devient le nouveau sésame au service de la paix
de l’emploi par Sophy Caulier par Léonor Lumineau et Margherita Nasi
21 L’alternance en fin de cursus s’impose 45 Le rêve américain de Théo, Josiane, Tatiana…
progressivement par Myriam Dubertrand par Caroline Talbot
22 La fonction publique réformée attirera­t­elle 46 Le Royaume­Uni attire toujours, malgré le Brexit
les jeunes diplômés? par Myriam Dubertrand par Eric Albert
24 Le statut cadre sur la sellette 47 Ils ont choisi d’être ambassadeurs de la «start­up
par Myriam Dubertrand nation» par Léonor Lumineau et Margherita Nasi

Recrutement Mobilité
26 La ruée vers l’or numérique des chasseurs 49 «Je m’étais toujours dit “tout sauf Paris!”
de primes 2.0 par Margherita Nasi et pourtant…» par Gaëlle Picut
Les entreprises mises en demeure de renforcer la
protection des données personnelles par Gaëlle Picut Social
50 Deux ans après, que reste­t­il du mouvement
Territoires Nuit debout? par Catherine Quignon
28 La Bretagne du «bout du monde» s’organise
pour courtiser les cadres par Elodie Auffray Management
Opérations séduction en Lozère et en Auvergne 52 Une entreprise à missions pour des diplômés
par Adeline Farge en quête de sens par Adeline Farge
Rémunération Santé
30 Les heureux élus des salaires dopés 53 Les nouvelles mesures pour protéger les salariés
par Jean­Christophe Chanut divisent les médecins par François Denoyers

54 Grand entretien avec l’économiste Stéphane Carcillo


«Aujourd’hui, les jeunes peuvent être force de proposition» propos recueillis par Léonor Lumineau
56 Invitation à la lecture par Pierre Jullien, Margherita Nasi et Anne Rodier

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 5


en bref
Richesse mondiale
peu partagée
Selon le rapport annuel 2018
de l’ONG Oxfam, 82 % de la
2,346 millions Jobs d’été : n° 1
l’Ile­de­France
L’Ile­de­France est la première
de recrutement
richesse mondiale créée en 2017
n’a profité qu’aux 1 % les plus région de recrutements de sai­
riches, tandis que 50 % de sonniers et de jobs d’été, avec
la population ne touchait rien. L’enquête 2018 sur les « Besoins en main­d’œuvre des entreprises »,
publiée par Pôle emploi le 10 avril, annonce 2,346 millions de projets
24 % du total des offres natio­
La moitié la plus pauvre
de la planète représente 3,7 mil­ de recrutements, dont 65 % sur des projets non saisonniers. C’est une
nales, selon le baromètre
liards de personnes. Du côté hausse de 18,7 % par rapport à 2017. Cette enquête annuelle réalisée avec
annuel des emplois estivaux
des plus riches, grâce à la
le concours du Crédoc (Centre de recherches pour l’étude et l’observation
réalisé par le site d’emploi
hausse des actions Amazon de Qapa. Déjà numéro un en 2017,
59 % lors des douze derniers des conditions de vie) a porté en 2018 sur 2,3 millions d’établissements.
mois, son fondateur, Jeff Bezos,
l’Ile­de­France regroupe encore
a pratiquement doublé sa for­ davantage de propositions
tune (112 milliards de dollars, de jobs d’été cette année: 24 %
plus de 90 milliards d’euros)
et prend la tête des milliar­ Et si le capital devenait du total des offres nationales

social
contre 21 % l’année dernière.
daires, devant le fondateur
de Microsoft Bill Gates L’Auvergne­Rhône­Alpes,
(90 milliards de dollars), occupe la deuxième place
indique le classement Forbes.
Onze mille responsables des ressources humaines du podium avec 16 % de l’en­
semble des offres. Mais cette
Islande : l’égalité salariale et dirigeants commerciaux de 124 pays interro­ région qui emploie à la fois
ou l’amende gés en 2018 par le cabinet de conseil Deloitte des saisonniers agricoles
Depuis le 1er janvier, les entre­
prises islandaises de plus font état d’une prise de conscience par les diri­ et des jobs industriels baisse
de 25 salariés doivent être en d’un point par rapport à 2017.
mesure de prouver, documents
geants de l’importance des questions sociales Enfin, la troisième région
à l’appui, qu’un homme et une et sociétales au sein des entreprises. Ainsi, «les vedette de ce palmarès est
femme gagnent autant au
même poste et à performances entreprises dont les dirigeants collaborent acti­ la Provence­Alpes­Côte d’Azur,
égales, sous peine d’amende vement ont 26 % de chance de plus d’obtenir une avec 11 % des offres, contre
pouvant aller jusqu’à 400 euros 14 % en 2017. Ce recul est
par jour. La loi sur l’égalité sala­ croissance de 10 % supérieure à celles dont les un signe de la dilution des jobs
riale adoptée en juin 2017 attri­ dirigeants travaillent en silos», indique l’étude d’été dans tout le territoire,
bue la charge de la preuve à
l’entreprise, qui doit démontrer «L’entreprise sociétale, un nouvel essor» commente le site Qapa.
lorsqu’il y a écart de salaire, que
le genre n’y a aucune part. Dans
publiée en avril. En bref, une bonne collabora­
un rapport publié le 7 mars, tion des dirigeants facilite l’efficacité. J’habite chez mes parents
l’Organisation internationale
du travail indique qu’en
Si 73 % des répondants déclarent que les dispo­ Selon une étude de l’Insee
publiée le 31 janvier, basée sur
moyenne dans le monde (dans sitifs de bien­être au travail sont essentiels pour l’enquête «Logement» de 2013
un échantillon de pays dévelop­
pés, émergents et en développe­ fidéliser leurs collaborateurs; en revanche seuls portant sur 36000 logements,
46 % des jeunes de 18 à 29ans
ment), les femmes gagnent 20 % 5 % perçoivent leur organisation comme très habitent chez leurs parents
de moins que les hommes. tout ou partie de l’année. Dans
efficace dans le développement d’une politique le détail, entre 18 et 24ans,
Allemagne : travailler de rémunération personnalisée et flexible… Une deux jeunes sur trois (65 %) sont
28 heures ? dans ce cas, et un sur cinq (20 %)
Le syndicat IG Metall et les
illustration, s’il en fallait, des écarts entre les entre 25 et 29ans, une proportion
qui s’est accrue depuis 2001.
patrons de l’industrie alle­ dispositifs proposés et les attentes des salariés.
mande ont conclu en février un
accord sur le temps de travail
pour la région de Bade­Wurtem­
berg, qui permet aux salariés Le risque d’automatisation des emplois est très variable d’un pays à l’autre
qui le souhaitent de passer à la Selon l’étude «Automatisation,
semaine de travail de 28 heures PART DES EMPLOIS MENACÉS D’AUTOMATISATION, EN %
compétences et formation» de l’OCDE,
ou de revenir à celle des portant sur les trente-deux pays membres risque élevé d’automatisation risque d’automatisation
40 heures. En moyenne, les de l’Organisation de coopération et de (> à 70 %) (entre 50 et 70 %)
salariés européens ont travaillé développement économiques, 14% des 70
40,3 heures par semaine emplois sont fortement automatisables
en 2016, indique Eurostat. (avec une probabilité d’automatisation 60
supérieure à 70%). Par ailleurs, 32% 50
Pologne : un petit geste des emplois sont exposés à un risque
Réagissant à une chute abrupte d’automatisation compris entre 50% et 40
de leur popularité dans les 70%. Mais tous les pays ne sont pas logés
à la même enseigne face à la destruction 30
sondages, « les ministres et les
secrétaires d’Etat ont décidé des emplois. Le risque le plus faible 20
de remettre leurs primes, d’ici à est pour la Norvège (6%) et le plus fort
pour la Slovaquie (33%). En France, 10
la mi­mai, à Caritas, pour des
16,4% de tous les emplois sont fortement 0
œuvres sociales », a annoncé
automatisables, juste au-dessus Norvège Nouvelle- Moyenne France Lituanie Slovaquie
le chef de Droit et Justice (PiS),
de la moyenne de l’OCDE. Zélande OCDE
Jaroslaw Kaczynski. (– AFP.)

6 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


AGENDA
Emploi
Le 25 mai, de 8 heures 30 à 13 heu­
res, à la Sorbonne à Paris, se tien­
dra une demi­journée sur la négo­
ciation collective, après les
ordonances Macron du 22 septem­
bre 2017. Intitulé « Inversion de la
hiérarchie des normes ? De l’ordre
public social aux “Garanties au
moins équivalentes” », l’événe­
ment est organisé par l’AFDT et le
département de recherche en droit
social de l’université Paris­1
(www.afdt­asso.fr).
Les 5 et 6 juin: colloque « Travail
et emploi à l’ère du capitalisme de
QUENTIN VIJOUX/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

plate­forme » organisé à l’univer­


sité Paris Dauphine (https://
capla2018.sciencesconf.org).
Le 7 juin: Salon Carrefour emploi
Centre­Ouest Atlantique, à L’Accla­
meur, à Niort (Deux­Sèvres).

Expatriation
Les 5 et 6 juin: Forum Expat
à la Cité de la mode et du design,
à Paris (www.leforumexpat.com).

Formation
Les 3 et 4 mai: Forum de l’alter­
Cybersécurité : la menace interne est majeure nance, à la Cité des sciences
et de l’industrie, à Paris.
Plus de trois quarts (76 %) L’enquête publiée en dirigeants perçoit la menace Le 17 mai aura lieu la Fête
des dirigeants d’ETI interro­ mars 2018 a été réalisée cyber comme essentielle­ de l’alternance, qui réunira
gés dans le cadre d’une en 2017 par Bessé­PwC ment externe et d’origine plus de 40 entreprises, 80 écoles,
15 000 offres de contrats de
enquête sur la cybersécurité auprès de 432 entreprises criminelle. Dans les faits, professionnalisation et d’appren­
déclarent avoir subi au de taille intermédiaire (ETI). 30 % des sociétés françaises tissage au Parc floral de Paris.
moins un incident en 2017. Mais, malgré le grand sondées témoignent
Qualité de vie au travail
Certains font état d’attaques nombre de dirigeants qui que ces attaques provien­ Du 5 au 8 juin, se tiendra le
régulières, voire permanen­ signalent avoir subi une nent d’employés actuels 11e Congrès international sur le
tes. Ils parlent de dizaines cyberattaque, «on constate et 24 % d’employés passés. harcèlement au travail, à Bordeaux.
d’incidents qu’ils sont parve­ que les dirigeants interrogés La menace interne est Du 11 au 15 juin, c’est le rendez­
nus à déjouer. Il s’agit de vio­ ne se rendent pas compte majeure et largement sous­ vous annuel de la Semaine de la
lation de fichiers sur les sala­ spontanément que leur pro­ estimée. « Les dirigeants qualité de vie au travail, organisé
riés, de fichiers clients, de pre entreprise est concernée sont conscients qu’ils sont par l’Agence nationale pour l’amé­
lioration des conditions de travail
corruption de documents in­ par ces risques», commen­ insuffisamment préparés (Anact). Transformation numéri­
ternes, de violation de e­mails tent les auteurs de l’étude. en cas de crise », indique que oblige, cette 15e édition est pla­
et de logiciels malveillants. La grande majorité des l’étude. cée sous le signe de l’innovation.
Des événements sont organisés
dans toute la France sur le thème :
« Innover pour la qualité de vie au
Travailler mieux et moins loin travail » (www.anact.fr/la­15e­edi­
Un métier d’art tion­de­la­semaine­pour­la­quali­
Le transport est devenu un critère si important que 73 % des Français mis à l’honneur te­de­vie­au­travail).
– 76 % des Franciliens – seraient prêts à postuler à un emploi par la philatélie Handicap
moins rémunéré mais plus près de chez eux. C’est ce qu’a établi La Poste a mis en vente Du 22 mai au 8 juin se tiendra Job
une enquête réalisée par RegionsJob, entre le 6 et 28 février, avec un le 3 avril un timbre à 1,30 pour tous & alternance, un salon
questionnaire en ligne auprès d’un échantillon de 803 demandeurs euro sur la maroquinerie. virtuel organisé par Hanploi
Le timbre, dessiné par Conseil emploi développement
d’emploi et de 1 048 personnes en poste. Logiquement, 81 % des Florence Gendre et gravé (CED) et Cheops, le réseau national
demandeurs d’emploi jugent la distance entre le domicile et le par Pierre Albuisson, est des organismes de placement spé­
travail importante dans le choix des offres auxquelles ils postulent. imprimé en taille-douce cialisés (www.jobpourtous.com).
et tiré à 800 010
Près de deux Français sur trois prennent leur voiture pour aller exemplaires. Histoire
travailler (61 %). Plus les villes sont grandes plus la voiture est Les 7 et 8 juin: colloque interna­
délaissée au profit des transports en commun : 18 % des Français tional sur « Les dynamiques éco­
prennent le métro­RER (58 % des Franciliens), 20 % le bus (34 % en nomiques de la Révolution fran­
çaise » organisé par l’Association
Ile­de­France) et 17 % utilisent le train (40 % en Ile­de­France). Enfin, française d’économie politique, à
75 % des personnes interrogées seraient prêtes à accepter un poste Paris, au Conservatoire national
plus loin si du télétravail était mis en place. des arts et métiers.
DR

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 7


dossier

L’emploi
des jeunes repart,
Macron réforme
L’entrée sur le marché du travail est plus facile. Mais employeurs
comme salariés doivent suivre l’évolution des métiers.
Les projets de loi visent à accompagner cette mutation

R
etour de la confiance, recrute­ Marx, on est passé de 45 à 35 candidats par
ments à la hausse: 2018 s’an­ offre et même à 10 candidats seulement
nonce favorable à la dernière dans l’informatique ». Tous les métiers
promotion des jeunes diplô­ sont en perpétuelle mutation, mais quand
més. La croissance du PIB a tout change très vite, les candidats opéra­
atteint fin 2017 son plus haut niveau depuis tionnels dans les nouveaux métiers sont
six ans et même l’emploi industriel avait, trop peu nombreux. C’est déjà le cas dans
en mars, retrouvé des couleurs qui s’étaient le secteur informatique, mais pas seule­
estompées depuis une vingtaine d’années. ment. Les employeurs comme les jeunes
Début avril, l’Association pour l’emploi diplômés sont confrontés à l’accélération
des cadres (APEC) saluait une insertion de l’évolution des métiers.
professionnelle des jeunes diplômés en­
core plus élevée en 2018 que pour la pro­ «Recul du public»
motion précédente, avec davantage d’em­ Les réformes lancées par Emmanuel
plois, plus de CDI, plus souvent cadres avec Macron pour «fluidifier» le marché du tra­
de meilleurs salaires. «Un an après l’obten­ vail (lire p.14 et22) apporteront­elles une
tion de leur diplôme, 83 % des bac + 5 et plus réponse appropriée à cette évolution?
sont en emploi, dont 60 % dans leur premier Dans le cadre du plan Action publique
emploi. Et leur entrée sur le marché du tra­ 2022, l’augmentation du nombre de contrac­
vail s’accélère: 70 % sont en poste six mois tuels offrira sans doute davantage d’oppor­
après leur diplôme », précise Jean­Marie tunités aux jeunes diplômés, mais l’accrois­
Marx, le président de l’APEC. sement de la porosité public­privé pourrait
Même les débutants auront cette année faire perdre de son attrait à la fonction publi­
la faveur des recruteurs, en particulier que. Aujourd’hui déjà, «le secteur privé pro­
LÉA CHASSAGNE/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

dans les secteurs de l’informatique et de la fite d’un recul du public», note Gaël Bouron,
recherche et développement. Tous secteurs responsable d’études de l’APEC. Seuls 18 %
confondus, 47 500 à 53 000 embauches des jeunes diplômés ont été recrutés dans
de jeunes cadres de moins d’un an d’expé­ la fonction publique contre 25 % dans la
rience sont prévues par les entreprises dernière promotion.
privées pour 2018, indique l’APEC. La réforme de la formation profession­
Mais «si les intentions d’embauches de nelle répond, quant à elle, directement à
jeunes augmentent, il y a aussi des tensions l’accélération de l’évolution des métiers. La
sur les offres d’emploi, remarque Jean­Marie formation continue est devenue impérative …

8 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 9
d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

qui veulent profiter de la mutation


numérique. Pour un jeune qui entre sur
le marché du travail bardé de diplômes, le
recours à la formation est attendu à la
fois comme un réflexe pour maintenir
son employabilité et comme une posture
« proactive » de mise à niveau, appréciée
… pour rester dans la course. «Même après par les employeurs. car les besoins en accompagnement des
l’école, on a besoin en permanence d’actua­ Au cours de l’année écoulée, 32 % des collaborateurs ont augmenté.
liser et de challenger nos compétences pour cadres se sont vu proposer une formation Tout le monde doit travailler en relation
être performants dans son travail», témoi­ pour se préparer aux évolutions de leurs avec les autres, en communauté, par
gne Aleksander Callebat, aujourd’hui data métiers, indiquait fin mars le baromètre thème de travail. « La transversalité est
scientist chez Microsoft (lire p.12). BPI Group sur «Les salariés français face à beaucoup plus forte. Elle est même à met­
l’évolution des métiers», qui précise que tre en place avant la digitalisation, recom­
Individualisation plus de 60 % des jeunes comme des cadres mande­t­il, pour pouvoir exploiter les sy­
L’élément novateur de cette nouvelle se sentent déjà bien préparés. nergies dans le respect des métiers, car la
réforme est l’individualisation des droits complexité des processus de décision est
à la formation et leur prise en main par intégrée au système, intégrée à l’algo­
les salariés et plus largement par tous les LES RECRUTEURS rithme lui­même. »
actifs (lire p. 17). Présenté devant la presse QUI DEMANDENT ENCORE Ce qui explique que les recruteurs qui
le 6 avril, le projet de loi pour la liberté de SOUVENT DES « CLONES », demandent encore souvent des «clones»,
choisir son avenir professionnel, c’est son COMMENCENT ENFIN commencent enfin à s’intéresser aux pro­
nom, s’appuie, dès son 1er article, sur le fils hybrides, aux jeunes diplômés formés
À S’INTÉRESSER
compte personnel de formation (CPF). au travail interdisciplinaire, pour opérer
Le CPF devrait, en théorie, permettre «à
AUX PROFILS HYBRIDES, en mode projet ou autre (lire p. 18). « Plus
tous de changer rapidement de catégorie AUX JEUNES DIPLÔMÉS les sujets sont complexes, plus on a besoin
professionnelle et d’évoluer professionnelle­ FORMÉS AU TRAVAIL de regards interdisciplinaires pour les
ment », et son recours devrait être opti­ INTERDISCIPLINAIRE comprendre », explique le fondateur du
misé par la création d’une application nu­ Centre de recherches interdisciplinaires,
mérique, attendue au second semestre François Taddei (lire p.19).
2019 (lire p.16). «Le salarié apporte son CPF Lors de la présentation fin mars du baro­
[doté de 500 euros par an et jusqu’à mètre de BPI Group, la présidente du Compétences comportementales
5000 euros au bout de dix ans] et l’entre­ directoire Sabine Lochmann recomman­ Le numérique incite à aller au­delà de la
prise, au titre du plan de formation, dait aux entreprises de « donner les juxtaposition des disciplines pour analy­
abonde», expliquait le 6 avril la ministre moyens au salarié d’être proactif de son ser les dossiers «avec le regard de différen­
du travail. L’Etat, les régions, Pôle emploi employabilité par l’auto­déclaration des tes disciplines», ajoute le chercheur. C’est
et d’autres organismes peuvent aussi par­ compétences à l’aide d’outils digitaux pour cette raison que la maîtrise de l’inter­
ticiper aux frais. sémantiques qui permettent au salarié de disciplinarité pourrait devenir le sésame
Cette réforme se veut un « big bang », traduire ses expériences en compétences de l’emploi, de pair avec les compétences
selon les mots de Muriel Pénicaud, qui objectives et opérationnelles ». comportementales, considérées, à terme,
redonne la main à l’Etat sur la gestion des comme des atouts indispensables de
fonds, aux dépens des organismes pari­ «Le e­learning obligatoire» l’homme face à la machine (lire p.20).
taires et des régions, et confirme les orga­ La formation a pris une place détermi­ Ces «soft skills» (compétences douces),
nismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) nante avec la transformation numéri­ comme les nomment les DRH, deviennent
dans l’évolution de leur rôle comme « opé­ que, confirme Charles Relecom, le PDG d’autant plus importantes que le rythme
rateurs de compétences » (diagnostic et de Swiss Life France. Pour adapter le ma­ de formation ne peut pas suivre le rythme
identification des besoins). nagement de la société d’assurances, il a de l’entreprise. Les responsables chargés
Tout dépendra d’abord de l’issue des d’abord dû augmenter le volume de re­ des programmes de formation mettent
débats qui s’ouvriront au Parlement à la crutements annuel des jeunes et dans le déjà l’accent sur les techniques d’apprentis­
mi­juin, ainsi que des nombreux dé­ même temps le « e­learning est devenu sage rapide. «Les formateurs placent leurs
crets prévus par le projet de loi. Les pre­ obligatoire. Il est désormais traqué, suivi étudiants dans une situation où ils seront
miers changements devraient intervenir de près, avec une mesure des acquis. amenés à se former seul», explique Joël
en septembre. Puis la mise en œuvre dira Puis, au­delà de l’effort budgétaire, c’est Courtois, directeur général de l’Ecole pour
si les jeunes se sont saisis du CPF et si le la nature de la formation qui a changé. l’informatique et les techniques avancées.
financement a suivi. Ce qui est sûr, c’est Elle est devenue paradoxalement beau­ Il s’agit de plus en plus de savoir apprendre.
que la formation est indispensable à ceux coup plus managériale que technique », anne rodier

10 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Développer
la capacité
d’innovation
des start-up
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des entreprises innovantes
dans sa recherche de
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Strasbourg

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d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

Un nouveau rythme de formation


pour rester dans la course
Entre l’essor de l’intelligence artificielle et les nouveaux langages
informatiques, les jeunes diplômés du numérique sont contraints,
malgré leur bac + 5, de remettre à jour régulièrement leurs connaissances.
Une nécessité vouée à s’étendre à d’autres filières

S
ur le CV, un bac avec mention, une Les salariés du numérique vivent déjà informatique à Octo Technology, un
classe prépa, une école presti­ l’impact de la transformation numérique cabinet de conseil en transformation nu­
gieuse, puis un contrat à durée des entreprises sur leurs besoins de forma­ mérique, assiste cinq jours par an aux for­
indéterminée dans une entreprise cotée. tion. Encore émergents il y a cinq ans, l’in­ mations, à la fois sur le savoir­faire et le
Les jeunes diplômés du numérique n’ont telligence artificielle, la blockchain, le cloud, savoir­être, animées par les seniors de
pas à pâlir de leur parcours digne d’un l’Internet des objets connectés occupent de l’entreprise. Au menu: le développement
«sans­faute». Et pourtant… plus en plus leur quotidien et leur impo­ de programmes en équipe, la gestion
Une fois leur diplôme en poche, nombre sent d’adopter de nouvelles pratiques de de projets en mode « agile », les feed­back,
d’entre eux continuent de bûcher leurs le­ travail. Les experts de la cybersécurité doi­ la résolution des conflits…
çons et de se creuser les méninges sur des vent, par exemple, rivaliser de créativité
exercices ardus. Embauché directement à pour contrer les attaques des hackeurs Forums de discussion
la sortie de l’Ecole polytechnique par Mi­ toujours plus perfectionnées. «Le mentoring nous permet de bénéficier
crosoft, Aleksander Callebat, aujourd’hui «Les technologies évoluent constamment de l’expérience des consultants expérimen­
data scientist, profite du parcours d’inté­ et nous devons adapter nos compétences tés. En arrivant, le changement de repères
gration pour peaufiner ses connaissances m’a déstabilisé, raconte Thomas Wickham.
techniques. En un an de maison, le jeune Les méthodes “agiles” n’ont pas été abor­
diplômé comptabilise pas moins d’une for­ « MON MÉTIER N’EXISTAIT PAS dées dans mon cursus. Nous étions habitués
mation d’une semaine à Seattle (Etats­Unis) AU DÉBUT DE MES ÉTUDES à rendre des projets selon des consignes
sur, notamment, l’architecture des systè­ ET J’AI DE BONNES CHANCES imposées. Ce mode de travail nécessite à
mes informatiques, des heures d’e­learning D’EXERCER PLUS TARD UN MÉTIER l’inverse d’avancer étape par étape, avec des
sur le traitement et la sécurité des données, retours fréquents vers le client pour corriger
QUI N’A PAS ENCORE VU LE JOUR »
des conférences sur les derniers­nés des les erreurs au fur et à mesure.»
logiciels. «Après l’école, on a besoin en per­ THOMAS WICKHAM Dans les transports, aussi, la fréquence
consultant en développement informatique
manence d’actualiser et de challenger nos à Octo Technology des formations s’est accélérée pour ceux
compétences pour être performants dans qui veulent rester dans la course. Tony
notre travail», explique­t­il. Vezier, responsable fonctionnel d’applica­
Dans un monde professionnel bousculé au même rythme. Si nous ne les mettons tion mobile chez Sopra Steria, est ainsi
par l’accélération des innovations techno­ pas à jour régulièrement, elles risquent de scotché à la plate­forme d’autoformation
logiques se former tout au long de sa car­ devenir obsolètes. Nos métiers sont en OpenClassRooms, en plus des trois jours de
rière est devenu une nécessité. «Les juniors perpétuelle mutation, le mien n’existait pas cours en présentiel qu’il a suivi en interne
se tournent très peu vers le compte personnel au début de mes études, et j’ai de bonnes sur la méthode de développement Scrum.
de formation (CPF). La plupart se forment chances d’exercer plus tard un métier qui n’a Grâce aux MOOC, cet ancien de l’Efrei
par le biais du plan de formation de leur pas encore vu le jour », assure Thomas (Ecole d’ingénieur généraliste en informa­
entreprise. Ils ont la garantie que les parcours Wickham, diplômé en 2015 de l’école d’in­ tique et technologies du numérique) suit
correspondent aux besoins de leur métier», génieurs en informatique Epita (Ecole de près les tendances technologiques. Sur
précise Guillaume Huot, membre du direc­ pour l’informatique et les techniques avan­ le forum de discussion, il déniche auprès
toire du groupe Cegos. cées). Ce consultant en développement des autres utilisateurs des astuces pour

12 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Alors que de nouveaux langages de déve­
loppement et de systèmes informatiques
sont inventés chaque jour par les géants du
Web, les universités et les grandes écoles
peinent à suivre la cadence. Selon Neila
Hamadache, déléguée à la formation du
syndicat Syntec numérique «si les établis­
sements, en intégrant la technologie dans
décrypter des langages de programmation leurs programmes, touchent à un réfé­ de rush. Comme en entreprise, ils n’ont que
complexes. «Le changement des systèmes rentiel de formation, ils doivent à nou­ cinq jours pour répondre au projet d’un
d’exploitation peut impacter les applica­ veau faire reconnaître le diplôme ou la cer­ client et produire un «livrable» de qualité
tions, je dois savoir les appréhender. Etre tification par l’Etat. Avant que les contenus dans un environnement inconnu. «Les for­
consultant m’oblige aussi à changer de mateurs placent leurs étudiants dans une si­
mission tous les trois mois et à acquérir tuation où ils seront amenés à se former
des expertises sur le domaine d’activité et « LES CURSUS NE PRÉPARENT PAS seuls. Ils leur donnent les piliers de l’informa­
les technologies du client pour répondre SUFFISAMMENT LES ÉTUDIANTS tique puis les poussent à puiser dans leur
à ses demandes. » AUX MEILLEURES PRATIQUES stock de connaissances et à rechercher l’in­
Les jeunes diplômés peuvent aussi être DU DÉVELOPPEMENT » formation par eux­mêmes. L’école les pré­
contraints de se «reformer» dès le début pare aux techniques de veille technologique
de leur carrière, car leur formation initiale DOMINIQUE BUINIER et d’apprentissage rapide», explique Joël
responsable de l’Octo Skool
ne correspond pas entièrement aux exi­ Courtois, directeur général de l’Epita.
gences des sociétés à la pointe du numé­ Mettre à jour ses compétences au fil de
rique. «Les formations sont parfois décon­ ne soient mis à jour, il peut s’écouler plus l’eau n’est plus seulement un atout pour
nectées du monde de l’entreprise. Les jeunes de deux ans. Entre­temps, d’autres outils rester dans la course à la promotion, et
diplômés ne savent pas gérer un projet en auront émergé sur le marché». Tony Vezier l’a bien saisi: «Ne pas maîtriser
équipe ni formuler des feed­back construc­ Conscients que les notions inculquées se­ mon métier, c’est risquer de ne plus être cré­
tifs. Les cursus ne préparent pas suffisam­ ront dépassées en quelques années, les res­ dible aux yeux de mes employeurs, qui ne
ment les étudiants aux meilleures pratiques ponsables pédagogiques s’attachent à déve­ me confieront plus de missions intéressan­
du développement. Nous devons combler ce lopper chez leurs étudiants la capacité d’ap­ tes, mais aussi de perdre ma valeur sur le
fossé dès l’embauche», estime Dominique prendre en autonomie. A l’Epita, les futurs marché de l’emploi.»
Buinier, responsable de l’Octo Skool. ingénieurs sont ainsi soumis à des périodes adeline farge

Certification des compétences : attention business !


« Certification SharePoint demandée », Les sociétés de services et les intégrateurs storytelling”. La formation et la certification
«Développeur certifié Symfony2»… Ces messa­ y trouvent aussi leur compte. Pour décrocher nous permettent d’“évangéliser” à cette disci­
ges, abscons pour les non­initiés, sont mon­ un gros contrat pour la mise en œuvre d’une pline. C’est important que les partenaires qui
naie courante dans le domaine informatique. application, qui peut s’étendre sur des mois et intègrent nos logiciels chez leurs clients sachent
La certification des compétences est devenue se prolonger par un contrat de maintenance, utiliser nos outils. En les formant et en les certi­
un élément à part entière du parcours profes­ mieux vaut avoir dans ses rangs les experts fiant, nous augmentons notre notoriété et de
sionnel des informaticiens, pour faire valoir dûment certifiés, qui rassureront le client. fait accélérons notre développement », remar­
la maîtrise de connaissances pour lesquelles que Kilian Bazin, cofondateur de Toucan Toco,
il n’existe pas de diplôme académique. Un accélérateur pour les start­up qui édite une solution de datavisualisation.
Dans le domaine du logiciel, la certification « Chaque collaborateur suit un parcours « D’ailleurs, la maîtrise de notre solution appa­
est un véritable business, où les éditeurs de de formation, qui prévoit une ou deux certi­ raît même maintenant dans certains profils de
logiciels forment ceux qui vont déployer leurs fications par an », précise Céline Berthélemy, poste ! » Un véritable signe de reconnaissance
applications. En effet, qu’ils soient employés directrice générale déléguée d’Exakis, société pour cette jeune société créée en 2014.
par les entreprises utilisatrices ou par les de conseil technologique spécialisée dans Du côté des informaticiens, pas de doute,
sociétés de services informatiques, les infor­ les solutions de Microsoft. Qualifié « Gold la certification est un « plus » indéniable
maticiens doivent apprendre à maîtriser partner » de l’éditeur, Exakis a un partenariat sur leur CV. Et ils n’hésitent pas à en jouer.
les nouvelles fonctionnalités des produits. avec Microsoft qui lui donne accès aux nou­ A tel point que les entreprises qui les forment
La certification permet d’attester des veaux produits en avant­première et l’amène font tout pour les garder ! « Nous avons
compétences après des formations payantes à certifier régulièrement ses collaborateurs un plan de rétention pour nos collaborateurs
de quelques jours ou de quelques semaines. pour garder son statut et la confiance certifiés, nous leur confions de bons projets,
Nombre d’éditeurs fournissent en fait de ses clients. La pratique est identique nous les suivons attentivement », avoue Céline
leurs logiciels gratuitement ou à des tarifs chez tous les grands éditeurs, Oracle, SAP, Berthélemy. Et de plus en plus d’informa­
très préférentiels aux écoles d’ingénieurs Salesforce, etc. ticiens vont jusqu’à se former eux­mêmes
et certifient les étudiants pendant leur Mais si la certification est une activité au moyen de MOOC ou de cours en ligne
cursus. Une fois en poste, les informaticiens lucrative pour les éditeurs, elle peut aussi être et à se faire certifier pour rester attractifs
préconiseront plus volontiers les logiciels un accélérateur pour les start­up. « Nous avons et mieux monnayer leurs compétences.
sur lesquels ils sont compétents. créé un champ applicatif nouveau, le “data sophy caulier

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 13


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

Le compte personnel de formation


est­il pour moi ?
Le dispositif phare de la réforme de la formation professionnelle
devrait bénéficier aux CSP +

O
n va me donner 500 euros par an 5,26 millions de personnes ont activé leur long de leur vie professionnelle des “micro
pour me former ? compte, et 270 000 salariés ont d’ores et déjà compétences” certifiées, en lien avec les be­
– Oui, c’est une ligne de crédit, ce suivi une formation par son intermédiaire. soins des entreprises, et ainsi d’accroître leur
n’est pas du cash. Mais quel est l’intérêt d’un compte per­ employabilité et leur agilité dans un monde
– Je peux me former à ce que je veux ? sonnel de formation pour un jeune qui a du travail en mouvement perpétuel ! », ana­
– Oui, du moment que la formation dé­ déjà un excellent diplôme et qui rejoint le lyse Cyril Parlant, avocat en droit du travail,
bouche sur un titre ou un diplôme reconnu. marché du travail ? Tous les professionnels directeur associé du Cabinet Fidal et spécia­
– Si je ne l’utilise pas une année, je le perds ? des ressources humaines, qui embauchent liste des politiques de formation profession­
– Non, c’est cumulable durant dix ans, soit et sélectionnent des jeunes diplômés, sont nelle des entreprises et des branches.
5 000 euros de financement au maximum. convaincus de l’intérêt du CPF pour les nou­
– Et si ce n’est pas assez pour payer la veaux arrivants sur le marché du travail à Favoriser l’autonomie
formation que j’envisage, je peux avoir plus plusieurs titres. D’abord en termes d’actuali­ « Au­delà de leur diplôme, la motivation et
de financement ? sation des compétences. Un jeune diplômé la valorisation de leur soft­skills (compéten­
– Oui, c’est à construire avec son em­ a beau se sentir (parfois) pousser des ailes en ces douces) sauront faire la différence face
ployeur et avec la branche professionnelle arrivant sur le marché du travail : se former au recruteur, renchérit Nathalie Le Sassier,
de son entreprise. (sur ou en dehors de son temps de travail, directrice bilans et dynamique de carrière
– Eh ben, c’est super ! » selon l’accord passé avec l’employeur) pour au cabinet Oasys. Sur un marché de l’emploi
Cet échange avec Léa, étudiante en japo­ s’adapter aux évolutions de son entreprise où la transformation des métiers s’accélère,
nais à l’Institut national des langues et n’est plus une option, c’est devenu une obli­ les entreprises apprécient et encouragent la
civilisations orientales (Inalco), donne gation. « Pour des jeunes qui disposent d’un proactivité de leurs salariés », souligne­t­elle.
quelques réponses sur le compte person­ bagage de l’enseignement supérieur solide, le Ce dispositif de formation a aussi voca­
nel de formation (CPF). Tout comme la ma­ CPF peut leur permettre d’acquérir tout au tion à favoriser l’autonomie des salariés. …
jorité de ses camarades de promo, elle
n’avait jamais entendu parler du CPF. Pour­
tant, ce dispositif, entré en vigueur il y a
déjà plus de trois ans, le 1er janvier 2015, est
Les points­clés du projet de loi
au cœur de la réforme de la formation pro­ Les fondements actuels du professionnelle France certains envisagent son
fessionnelle, dont la ministre du travail, système de la formation pro­ Compétences serait un éta­ abandon, d’autres estiment
Muriel Pénicaud, a présenté le projet de loi fessionnelle ont été posés blissement public quadri­ au contraire qu’il va servir
à la presse le 6 avril. après Mai 68 par la loi du partite, auquel siégerait de fondement à une nouvelle
16 juillet 1971. Depuis, pas l’Etat, les partenaires sociaux politique de contrôle de
Des«microcompétences» certifiées moins de trois réformes ont et les régions. L’agence sera la qualité des prestataires de
Avant l’adoption du projet de loi portant vu le jour sans permettre de notamment chargée de fixer formation. Les organismes
les réformes de la formation, de l’apprentis­ trouver un fonctionnement le cadre d’évaluation de la qui, jusqu’alors, collectaient
sage et de l’assurance­chômage attendu cet satisfaisant. Cette quatrième qualité des prestataires de les fonds, les OPCA créés par
été au Parlement pour une mise en œuvre réforme se veut un véritable formation. Les listes de for­ la loi de 1993, deviennent des
effective à l’horizon 2020, tout actif – salarié, « big bang », selon l’expres­ mations éligibles au CPF « opérateurs de compéten­
demandeur d’emploi, indépendant, agent sion de la ministre du travail, seront abandonnées. L’avenir ces », que le gouvernement
public – peut déjà activer son CPF et cumuler Muriel Pénicaud. du Datadock (outil de réfé­ souhaite organiser par
non pas des euros, mais jusqu’à 150 heures La nouvelle instance de gou­ rencement des organismes filières professionnelles.
de formation (400 pour les non­qualifiés). vernance de la formation de formation) est incertain : l. gé.

14 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


LÉA CHASSAGNE/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 15


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme
évaluation en euros », jugeant que ça « va
rendre plus difficile » la « coconstruction ».
Les jeunes diplômés ont tout intérêt
après avoir ouvert leur compte CPF, à en
parler entre eux et surtout à aborder le
sujet avec leur employeur. Car un des objec­
« POUR UN RECRUTEUR, UN JEUNE tifs de la réforme en préparation est de Le calendrier
DIPLÔMÉ QUI PREND L’INITIATIVE favoriser une réflexion partagée entre sala­ fixé par le
DE SE FORMER DÈS SON ARRIVÉE riés et employeurs, pour ouvrir des finan­ gouvernement
SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL cements de formation complémentaires
s’ajoutant aux 500 premiers euros par an : Juin 2018 : débat au Parlement
MONTRE SON ENGAGEMENT autour du projet de loi pour
soit au niveau de son entreprise, soit au
À PROGRESSER ET À ÉVOLUER » niveau de sa branche professionnelle. Dans la liberté de choisir son avenir
GUILLAUME HUOT une logique gagnant­gagnant. professionnel.
membre du directoire du Groupe Cegos Septembre 2018 : publication
«Il suffit de demander» de la loi au Journal officiel
… « Le CPF va devenir un formidable levier Unefoiscomprislemécanismeetlesenjeux, et création de la nouvelle agence
pour les individus, notamment les jeunes, Léa se dit qu’il n’y a pas de raison de ne pas France Compétences.
afin d’être totalement autonome dans le prendre à bras­le­corps ce droit ouvert à Janvier 2019 : instauration de
développement de leurs compétences, donc tout salarié et demandeur d’emploi. l’aide unique aux entreprises de
de leur employabilité », affirme Sylvain « – Mais si je ne sais pas quoi faire de mon moins de 250 salariés employant
Humeau, responsable du centre de forma­ CPF ?, demande Léa. un apprenti de niveau IV ou V,
tion interne d’Engie, également président – On peut bénéficier du conseil en évolution et transformation des OPCA en
du Groupement des acteurs et responsa­ professionnelle (CEP). Il est délivré gratuite­ « opérateurs de compétences ».
bles formation d’entreprise. ment par cinq réseaux spécialisés dans l’aide Courant 2019 : comptabilisation
« Pour les jeunes diplômés, le CPF est une au choix de carrières. Il suffit de demander. du compte personnel de
opportunité à saisir, analyse Guillaume – Eh ben c’est super ! » formation en euros et non plus
Huot, membre du directoire du Groupe La réalité est évidemment complexe. La en heures.
Cegos, premier organisme de formation difficulté est avant tout d’identifier la for­ Deuxième semestre 2019 :
français. L’enjeu est d’acquérir le réflexe de mation correspondant à ses besoins. « J’at­ lancement de l’application CPF
se former très régulièrement. La formation tends avec intérêt de voir comment l’individu, pour smartphone.
est clé, car garantie d’employabilité. Pour seul avec son smartphone ou son ordinateur, Fin 2019 : réorganisation
un recruteur, un jeune diplômé qui prend sera capable d’articuler sa réponse », inter­ des opérateurs de compétences
l’initiative de se former dès son arrivée sur roge, sceptique, Michel Abhervé, qui fut en filières.
le marché du travail montre son engage­ dix ans professeur associé à l’université de Janvier 2021 : certification
ment à progresser et à évoluer », affirme­ Paris­Est ­ Marne­la­Vallée sur les politiques des organismes de formation.
t­il. Même si le Medef a qualifié d’« erreur publiques. Le texte définitif et ses décrets Février 2021 : première collecte
majeure » le choix d’une « individualisa­ donneront, sans doute, quelques pistes. de la contribution formation/
tion totale des droits des salariés et de leur laurent gérard alternance par les Urssaf.

Un CPF accessible en quelques clics ? Un pari de taille


La réforme de la formation pro­ le crédit sera porté à 800 euros droits», poursuit Muriel Pénicaud. formations similaires ». Mais
fessionnelle vise notamment à par an, plafonné à 8 000. « Ainsi, Enfin, une application mobile également en connaissant
donner à chacun « la liberté de le CPF sera consolidé comme sera créée pour aider chacun « les commentaires laissés par les
choisir son avenir professionnel », un droit personnel mais garanti dans la gestion de son CPF, anciens salariés et demandeurs
selon les termes de la ministre du collectivement. Cela permettra accessible sur smartphone, d’emploi formés ». Il ne lui restera
travail, Muriel Pénicaud. C’est sur à tous de changer rapidement ou utilisable dans les agences plus qu’à s’inscrire à la formation
cet argument que les modalités de catégorie professionnelle et de Pôle emploi. Selon la ministre, et à la payer directement, sans
d’accès et d’utilisation du compte d’évoluer professionnellement », cette application permettra intermédiaire.
personnel de formation (CPF) affirme la ministre. de connaître les droits acquis Mais, derrière cette apparente
vont être modifiées. A partir de sur son compte, les différentes simplicité, apparaît la refonte
2019, tous les actifs verront leur Apparente simplicité formations certifiantes proposées d’une gouvernance qui a déjà été
CPF crédité non plus en heures Au terme de la réforme, tous dans son bassin d’emploi ou tentée par trois fois, la réorgani­
mais en euros : 500 euros par an les salariés à temps partiel, qui sa région, et les dates de session sation des organismes collecteurs
(financés par un impôt payé par sont en majorité des femmes, des différentes formations. Toute (OPCA) avec leurs 6000 salariés
les entreprises), plafonné à bénéficieront des mêmes droits personne intéressée pourra ainsi et le risque d’un possible effon­
5 000 euros sur dix ans. Pour les que les salariés à temps plein. « choisir sa formation en connais­ drement de la consommation
salariés en contrat à durée déter­ « Les femmes représentent 80 % sant le taux d’insertion dans de formation des salariés, s’ils
minée, le compte sera crédité des salariés à temps partiel. l’emploi à l’issue de la formation, ne se saisissent pas du nouveau
au prorata temporis. Et, pour Elles seront donc les premières le salaire prévisionnel à l’embauche dispositif. Un pari d’envergure.
les personnes sans qualification, bénéficiaires de ces nouveaux et la différence de coût entre des l. gé.

16 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


au niveau du montant de la prise en
charge. «Ces fonds n’ont pas d’obligation de

Les indépendants aussi financement, ajoute Sylvie Fischer. Chaque


fonds a ses propres critères de prise en
charge. Ils doivent aussi faire avec l’enve­

ont droit au CPF loppe dont ils disposent…»


Il y a un an, Aurélien a fait une autre
demande de prise en charge de finance­
Depuis le 1er janvier, les travailleurs non salariés ment pour une formation de perfectionne­
ment sur le logiciel Illustrator. Mais cette
peuvent ouvrir leur compte personnel. Mais la prise fois, sa demande a été refusée: «Le devis du
en charge des formations reste très limitée formateur n’est pas passé», explique­t­il.
Les critères de prise en charge varient
aussi en fonction de l’activité. Par exemple,

A
urélien Stein est un autodidacte. activité. Sont financées en priorité les le Fonds interprofessionnel de formation
Graphiste free­lance depuis onze formations qui relèvent de l’obligation de des professionnels libéraux (FIF­PL) prend
ans, ce trentenaire a finalement formation continue à laquelle sont soumi­ en charge des frais de formation pour les
choisi ce métier après une formation ses certaines professions (pharmaciens, traducteurs et interprètes à hauteur de
initiale… en ébénisterie. Il s’est reconverti avocats, agents immobiliers…). Au­delà, 1400 euros au maximum par an pour des
en commençant des études en design gra­ c’est au cas par cas. formations en rapport direct avec cette
phique, mais n’est pas allé au bout de sa profession, comme le «perfectionnement
formation. « Je me suis tout de suite lancé Cotisation modeste de l’écriture »; en revanche, pour des thè­
en free­lance », explique le jeune homme. Depuis le 1er janvier 2018, autre change­ mes jugés non prioritaires pour cette pro­
Les contrats se sont succédé et Aurélien ment : ils peuvent aussi bénéficier du fession (bureautique…), la prise en charge
s’est initié à son métier sur le tas. Mais le compte personnel de formation (CPF), jus­ est limitée à 650 euros par an.
jeune homme a éprouvé très vite le be­ qu’ici réservé aux actifs salariés et aux
soin d’actualiser ses compétences, no­ chômeurs. A travers ce compte, ils ont Monter un projet solide
tamment pour suivre le rythme de l’évo­ droit en théorie à 24 heures par an de Pour aider les travailleurs indépendants
lution des logiciels. formation, cumulables dans la limite de à s’y retrouver, la plupart des FAF détaillent
C’est à cette occasion qu’il a découvert sur leur site Web les critères de prise en
l’accès à la formation professionnelle pour charge. Les organismes financeurs ayant
les indépendants: «Il y a trois ans, lorsque LES ORGANISMES FINANCEURS l’obligation de s’assurer de la qualité des
j’ai été démarché par un organisme propo­ AYANT L’OBLIGATION formations dispensées, certains FAF ont
sant une formation de perfectionnement en DE S’ASSURER DE LA QUALITÉ également mis en ligne un catalogue de
logiciel InDesign, il m’a informé des possibi­ DES FORMATIONS DISPENSÉES, formations «référençables» (en clair, qui
lités de financement qui existent pour les répondent à des critères de qualité).
CERTAINS FONDS D’ASSURANCE
travailleurs indépendants», se souvient­il. Le demandeur doit généralement four­
Affilié à la Maison des artistes, il avait droit
FORMATION ONT MIS EN LIGNE nir un dossier composé d’un CV, d’une let­
à une prise en charge financière totale ou UN CATALOGUE DE CELLES tre de motivation et du devis de l’orga­
partielle de sa formation. Une aide bienve­ « RÉFÉRENÇABLES » nisme de formation. Le remboursement a
nue, vu le coût «à quatre chiffres». Puis un lieu quelques mois après la formation.
mois et demi après avoir déposé son dos­ Mieux vaut donc avoir les reins solides
sier de demande de financement, il était 150 heures environ. Mais la cotisation financièrement.
accepté. Intégralement prise en charge, sa « formation » payée par les travailleurs Selon sa situation, le travailleur non sala­
formation a été un investissement fruc­ non salariés étant relativement modique rié peut aussi frapper à la porte des cham­
tueux: «Elle m’a permis d’élargir la gamme (autour de 100 euros en général), les mon­ bres des métiers ou de Pôle emploi pour
de mes prestations», fait­il valoir. tants que peuvent prendre en charge les obtenir des aides au financement. Il existe
FAF restent eux aussi modestes. « En enfin un crédit d’impôt pour la formation
Dès les premiers pas de leur activité moyenne, c’est entre 900 et 1 500 euros, des dirigeants d’entreprise.
Peu de travailleurs indépendants le indique Sylvie Fischer, directrice du cabi­ Mais dans tous les cas, le futur stagiaire
savent, mais eux aussi ont droit à la forma­ net d’accompagnement Lucea Conseil. Et doit monter un projet solide. « En fonction
tion continue. Depuis 2011, artisans, libé­ avec 300 euros alloués par jour de forma­ de sa situation professionnelle et de sa
raux, autoentrepreneurs… doivent cotiser tion, vous n’allez pas bien loin.» stratégie, il lui faut se demander ce qu’une
à des fonds d’assurance formation (FAF) Les fonds d’assurance formation peu­ formation peut réellement lui apporter
spécifiques. A ce titre, tout comme les sala­ vent toutefois décider de financer au­delà dans son projet professionnel », conseille
riés, ils bénéficient d’un droit à la for­ du nombre d’heures inscrites dans le CPF, Sylvie Fischer.
mation. Et ce, dès les premiers pas de leur tout comme ils peuvent poser des limites catherine quignon

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 17


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

L’interdisciplinarité devient
le nouveau sésame de l’emploi
Jasmine, Alexandre, Aurélien et Mathieu, jeunes diplômés
formés en double cursus, font le bilan de l’impact de leur choix
sur leur intégration dans le marché du travail

L
es entreprises demandent encore Jasmine Anteunis est passée de l’Ecole des pendant ses études en école de commerce,
souvent des “clones”. Mais la com­ beaux­arts d’Aix­en­Provence à l’Ecole 42, à a appris à programmer. Il est devenu déve­
plexification du monde fait qu’elles Paris, créée par le dirigeant de Free, Xavier loppeur et a créé une start­up qui enseigne
commencent à s’intéresser aux profils Niel (actionnaire à titre personnel du le code, Coding Days. «J’ai touché à tout, j’ai
hybrides. Tout dépend des compétences Monde). Puis, elle a cofondé une start­up voyagé et j’ai un regard différent des autres
qu’une personne a développées dans son qui vient d’être rachetée par l’éditeur SAP à sur plein de sujets. J’aurais été moins heureux
métier », reconnaît Emmanuel Stanislas, peine deux ans et demi après sa création. A si j’avais eu un parcours plus “classique”.»
fondateur du cabinet de recrutement 26ans, elle commence une nouvelle aven­ Après un master 2 en physique des parti­
Clémentine. Jasmine, Alexandre, Auré­ ture pour laquelle elle se sent parée: «Aux cules à l’ESCPI et à Montréal puis un autre
lien et Mathieu ont marié plusieurs disci­ Beaux­Arts, j’ai beaucoup appris sur les rela­ master 2 en biophysique à l’université
plines, par goût et par curiosité, et in­ tions humaines et à l’Ecole 42 j’ai appris que Paris­Diderot, Aurélien Peilloux a décroché
venté leur parcours en passant d’un do­ tout était possible. Cela m’a donné une une bourse de l’Institut Curie pour faire
maine à l’autre selon leurs appétences et grande confiance!» une thèse au Centre de recherches inter­
les opportunités. Aujourd’hui, ils en Alexandre Zana, 26ans, ne trouvant pas de disciplinaires. Passionné de cinéma, il est
dressent un bilan plutôt positif. développeur pour faire le site qu’il imaginait également reçu à la Fémis. Il concilie le tout

18 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


INTERVIEW
Le CRI aide les étudiants à trouver leur ikigai au

« Plus les sujets sont niveau personnel, mais aussi au niveau collectif,
à aligner les ikigai de tous dans le collectif. Cela
complexes, plus on ne s’enseigne pas en tant que tel, mais certaines
a besoin de regards métacompétences peuvent s’enseigner,
interdisciplinaires » à commencer par l’humilité, la capacité à coopé­

DR
rer, à faire preuve d’un esprit critique mais
constructif. Il faut prendre conscience des limites
François Taddei
en faisant de son film de fin d’études son fondateur du Centre de recherches entre la subjectivité et le réel, il faut s’affranchir
sujet de thèse sur le processus créatif. Ce interdisciplinaires de l’illusion de la connaissance.
film sur le monde de la recherche, Les Cher­
cheurs, a été présenté à la Cinéfondation Polytechnicien, ingénieur des Ponts, des Eaux et Des enseignements conjuguent déjà plusieurs
lors du Festival de Cannes en 2015. Forêts, généticien, chercheur à l’Inserm, ce n’est pas disciplines. Est­ce une première étape
Aujourd’hui réalisateur, Aurélien Peilloux, un hasard si François Taddei a fondé le Centre vers l’« ikigai » ?
31 ans, prépare un nouveau long­métrage. de recherches interdisciplinaires (CRI), qu’il dirige Ces enseignements offrent une juxtaposition de
Quant à Mathieu Georgeon, 24 ans, c’est depuis dix ans. Il explique en quoi notre société disciplines. Mais c’est plus une pluridisciplinarité
le bilan de son premier choix qui l’a aura de plus en plus besoin d’intelligence collective. qu’une vraie interdisciplinarité. C’est­à­dire que
orienté vers le double cursus. Après ses l’on regarde séparément différents sujets, avec
études de philosophie, de sociologie et de Pourquoi avoir créé le Centre de recherches le regard de différentes disciplines. On est trop
gestion éditoriale, il a rapidement constaté interdisciplinaires, le CRI ? peu souvent invité à faire converger les regards
que «la dichotomie est forte entre la théorie Il y a une quinzaine d’années, nous avons voulu sur un même objet. Or, tous les problèmes qui
et la pratique» et s’est lancé dans une nou­ aider des étudiants de différentes disciplines qui se posent aujourd’hui nous impactent de manière
velle filière plus professionnalisante. Il voulaient apprendre autrement… Ce pouvait être tellement différente que nous avons besoin
vient de terminer un MBA de chef de pro­ des biologistes qui avaient besoin de renforcer de plein de disciplines pour les aborder.
jet dans le monde de la musique. leurs capacités à modéliser, des mathématiciens Plus les sujets sont complexes, plus on a besoin
Ces jeunes ont en commun la passion, la qui avaient envie de comprendre telle dynamique de regards interdisciplinaires pour les compren­
confiance et ils se sentent libres. La multi­ dans le vivant, ou des médecins qui avaient dre et les traiter. Par exemple, si vous étudiez
plication des double cursus et des forma­ envie d’utiliser le big data… Il fallait changer le droit, vous ne faites que du droit, mais cela
tions qui conjuguent deux ou trois disci­ de paradigme. Ces étudiants étaient conscients ne suffit pas si vous voulez traiter du droit pour
plines est sans conteste un premier pas que l’intelligence collective, la discussion, la robotique ou de l’éthique pour l’intelligence
dans la direction de l’interdisciplinarité, la confrontation avec des étudiants d’autres artificielle. Vous allez avoir besoin d’un double
qui offre de plus en plus d’opportunités disciplines leur apporteraient plus que le Web, regard. Quand on parle d’humain génétiquement
aux jeunes qui s’affranchissent des bar­ dont ils se servaient par ailleurs. Nous étions modifié, est­ce un problème de génétique,
rières de l’enseignement classique pour déjà quelques­uns à faire de la recherche philosophique, éthique, légal, de société ? En fait,
satisfaire leur curiosité et leur envie de de cette façon­là, avec une approche systémique. c’est tout cela à la fois ! Il y a quelques années,
comprendre. Avec beaucoup de bonheur! Nous avons proposé à ces étudiants d’utiliser c’était un problème de science­fiction, aujourd’hui,
sophy caulier leur créativité pour penser des projets qu’ils cette question se pose.
ne pouvaient pas penser seuls. Cette expérience
a donné naissance au master « approche Comment conduire les jeunes
interdisciplinaire du vivant », qui associe théorie à avoir cette approche ?
et expérimentation. Le CRI était né. Il y a plein de manières de le faire. On peut
les interroger sur ce qui les touche, les problèmes
L’enseignement supérieur n’est­il pas trop en de culture, d’environnement, de biodiversité,
« silos », trop compartimenté par disciplines de genre, de pauvreté… Il n’existe pas de solutions
pour développer l’interdisciplinarité ? simples à ces sujets complexes. Pour comprendre
Si, il l’est doublement ! D’une part, dans chaque leur complexité, il faut les aborder sous différents
discipline entre la recherche et l’enseignement, angles. Si vous avez ce débat avec plusieurs jeunes
d’autre part entre la théorie et l’expérimentation. issus de disciplines différentes, de parcours,
Prenez le mot « ingénieur ». En français, il con­ de pays, de milieux sociaux différents, vous
tient le mot « génie » ; en anglais, « engineer » constaterez et ils constateront la richesse des
contient le mot « engine », moteur. Nous points de vue auxquels ils n’avaient jamais songé.
n’avons pas exactement la même conception L’historien sociologue J. R. Hollingsworth
que nos collègues anglo­saxons. a cherché quelles étaient les différences entre
ceux qui ont fait les 300 découvertes les plus
LÉA CHASSAGNE/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

Comment concevoir une formation importantes en recherche biomédicale


interdisciplinaire ? au XXe siècle et ceux qui auraient pu les faire.
J’aime beaucoup le concept japonais d’ikigai. Ceux qui y sont parvenus sont ceux qui ont
C’est l’intersection entre ce que vous aimez franchi les frontières géographiques, mais
faire, ce que vous savez faire, ce dont le monde aussi culturelles, scientifiques, linguistiques,
a besoin et ce pour quoi vous pouvez trouver disciplinaires, etc. Et ce sont souvent des artistes !
des ressources, ce qui vous fait gagner de l’argent. Il y a parfois besoin de faire un détour
C’est l’intersection entre la passion, la vocation, pour trouver quelque chose de nouveau.
la mission et la profession. propos recueillis par s. ca.

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 19


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

Intelligence émotionnelle versus


intelligence artificielle
Les compétences « douces » seront considérées, à terme, comme des atouts
indispensables de l’homme face à la machine

V
alorise le rugby», c’est ce que les à s’adapter et à apprendre tout au long de sa tests d’évaluation comme Talentoday. «Et
anciens de son école ont conseillé carrière qui pourra faire la différence. La on va voir arriver dans les années qui vien­
à Benoît, étudiant à l’ESCP, d’ajou­ montée en puissance annoncée de l’intel­ nent des outils impressionnants, basés
ter à son CV. A côté de sa formation, de ses ligence artificielle ne peut qu’accentuer les notamment sur l’intelligence artificielle, et
savoir­faire et de ses premières expérien­ besoins en soft skills considérées, à terme, capables, à partir d’un simple profil LinkedIn
ces professionnelles, ces alumni (anciens comme des atouts indispensables de bien rempli, de cerner avec une grande
élèves) l’invitaient à ne pas négliger son l’homme face à la machine. précision la personnalité des candidats »,
engagement dans l’association sportive de «Le modèle des start­up illustre bien cette indique Jacques Froissant.
l’école lors de ses futurs entretiens d’em­ évolution, note Julien Bouret, coauteur du
bauche. « J’ai été capitaine de l’équipe, et Réflexe soft skills (Dunod, 2014). Elles doivent Savoir écouter
c’est vrai que j’ai beaucoup appris dans ma être agiles, pouvoir rapidement changer de Etre capable de gérer ses émotions, mieux
relation avec les autres : savoir gérer un cap… Et ont donc besoin de salariés capables échanger avec les autres… «il est possible de
collectif, faire preuve d’écoute, être capable s’adapter, assure Julien Bouret. Les neuro­
de s’adapter…», convient­il. sciences nous montrent que le cerveau peut
Le petit conseil des anciens de l’ESCP n’a FACE À L’ÉVOLUTION RAPIDE développer certaines de ces compétences
rien d’anodin. Les compétences dites «dou­ DES MÉTIERS, C’EST LA CAPACITÉ jusqu’alors non activées.» Les centres de for­
ces» ou soft skills des candidats (par opposi­ À S’ADAPTER ET À APPRENDRE mation sont donc de plus en plus nom­
tion aux savoir­faire ou hard skills), «c’est TOUT AU LONG DE SA CARRIÈRE breux à chercher à développer ce type de
quelque chose qu’on regarde de plus en compétences chez leurs étudiants. Parmi
QUI FERA LA DIFFÉRENCE
plus», affirme le chargé de recrutement du eux, Grenoble Ecole de management. L’éta­
service fusion­acquisition d’une grande ban­ blissement propose notamment un cours
que. Fondateur du cabinet de recrutement de surfer sur le changement, d’être résilients, intitulé «La force du manageur de demain:
Altaïde, Jacques Froissant abonde: «Dans le d’accepter l’incertitude. Certaines recrutent réflexivité et cœur à l’œuvre». Assis en cer­
digital, lorsqu’on s’intéresse à un candidat, uniquement sous l’angle des soft skills». cle, les participants vont, séance après
on va très rapidement se demander si on a Pour détecter ces fameuses «compéten­ séance, «développer une capacité d’écoute,
affaire à quelqu’un de passionné par ce qu’il ces douces» chez les candidats, les entre­ explique Sébastien Didelot, intervenant
fait et de curieux, capable de s’adapter.» prises ne négligent pas le CV. « Il n’est dans l’établissement et masseur­kinésithé­
jamais inutile de se pencher sur la vie asso­ rapeute. L’attention portée à leur expérience
Surfer sur le changement ciative pour évaluer l’esprit d’initiative ou la leur permettra de vivre autrement la rela­
L’attention portée aux qualités sociales et capacité à travailler en équipe, et sur les tion à eux­mêmes et aux autres».
émotionnelles des candidats a en effet pris voyages ou les expériences humanitaires «Nous souhaitons faire comprendre aux
une ampleur inédite avec les mutations éco­ pour mesurer la curiosité, explique le recru­ étudiants combien cette relation est impor­
nomiques et technologiques. Une étude pu­ teur du secteur bancaire. Mais comme tante, poursuit Christelle Tornikoski, pro­
bliée en 2016 par le World Economic Forum beaucoup de candidats “cochent désormais fesseure à Grenoble Ecole de management.
soulignait qu’«en moyenne, d’ici à 2020, plus ces cases”, ce n’est plus un atout majeur, Le manageur de demain devra savoir com­
d’un tiers des compétences principales requi­ mais davantage un point pénalisant pour muniquer, et avant tout écouter. Ce recen­
ses dans la plupart des professions n’[étaient] ceux n’ayant pas ces expériences.» trage permettra de développer leur réflexi­
pas encore considérées comme essentielles Des entretiens de groupe peuvent aussi vité et de prévenir ainsi les risques psycho­
au travail aujourd’hui». Face à l’évolution être prisés pour évaluer la capacité à inter­ sociaux au travail.»
rapide des métiers, c’est avant tout la capacité agir, à écouter l’autre, tout comme des françois desnoyers

20 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


environ 60 % préparent un diplôme bac + 5
et, en moyenne, 40 % de ses alternants
ingénieurs sont embauchés en contrat à du­
rée indéterminée (CDI). Autre exemple dans
le secteur bancaire, où BNP Paribas accueille
2000 alternants chaque année, dont 54 %
préparent un bac + 5. «Notre objectif pour
cette année est ambitieux, annonce Jean­
Dominique Criscuolo, responsable du déve­
loppement des partenariats écoles et uni­
versité. Nous souhaitons embaucher les

L’alternanceenfindecursus
deux tiers de nos alternants à l’issue de leur
formation.» Pour le moment, ce pourcen­
tage est de 54 % en CDI et en CDD. Le bilan

s’imposeprogressivement
APEC réalisé en avril constate qu’« en 2016,
un tiers des jeunes de niveau bac +4/5 ont été
en alternance dans des établissements de 20
à 99 salariés et un sur cinq dans ceux de
Le nombre d’apprentis de niveau bac + 2 et plus a été moins de 20 salariés ».
multiplié par trois entre 2000 et 2016. Le projet de loi Mais l’alternance n’est pas pour tout le
monde. «Elle s’adresse à des jeunes hyper­
prévoit un accès étendu jusqu’à l’âge de 30 ans organisés, d’une grande maturité, avec une
tête bien faite, une bonne dose de débrouil­
lardise et des capacités opérationnelles», dé­

P
rès de «90 % de nos étudiants de davantage que ce minimum légal. Ainsi, crit Géraldine Michel, directrice académique
master 2 sont en alternance», se féli­ Alexandre Nassar qui a fait un master de l’IAE Paris (université Paris­I Panthéon­
cite Matthias Bauland, directeur «marketing et pratiques commerciales» à Sorbonne). «Le travail et l’investissement
général adjoint chargé du développement l’IAE de Paris chez Smith & Nephew (dispo­ personnels sont très importants, confirme
de Montpellier Business School (MBS), qui sitifs médicaux), a perçu 1000 euros la pre­ Alexandre Nassar, et c’est un tremplin pour
accueille 1300 alternants, un effectif en mière année et 1300 la seconde. Certains
hausse de 12 % sur un an. Dans le supérieur, jeunes, sans ce coup de pouce financier, ne
l’enseignement en alternance se porte bien. pourraient pas poursuivre leurs études. « DEUX ANS APRÈS L’OBTENTION
Le nombre d’apprentis a triplé en une quin­ L’apprentissage permet aussi d’ouvrir des DE LEUR DIPLÔME, 93 % DES
zaine d’années, atteignant 152000 en 2016, perspectives à une population moins en­ BAC + 5 PASSÉS PAR L’ALTERNANCE
dont près de 100000 pour les seuls bac + 2 cline aux études longues. «30 % de nos élèves SONT EN POSTE, C’EST 7 POINTS
et plus. En 2017, la hausse s’est poursuivie sont issus de catégories socioprofessionnelles
DE MIEUX QUE LES AUTRES »
de 5,9 % pour tous et de 8,5 % pour le seul défavorisées, contre 12 % en moyenne pour
niveau master, selon les chiffres du minis­ les grandes écoles de commerce», illustre GAËL BOURON
responsable d’études de l’APEC
tère de l’éducation nationale. Matthias Bauland. Les jeunes y bénéficient
Malgré la persistance d’une image qui la lie de l’accompagnement de vingt consultants
aux métiers faiblement qualifiés, la formule carrière qui «leur donnent les codes». le monde professionnel.» Après l’obtention
de l’alternance séduit les étudiants du supé­ de son master, il a été embauché dans son
rieur en leur offrant à la fois une expérience Directement opérationnel entreprise d’accueil et est aujourd’hui chef
professionnelle et la garantie d’une meil­ Côté entreprises, la loi relative à la forma­ de produits. Le rythme peut être soutenu.
leure employabilité. «37 % des alternants in­ tion professionnelle du 5 mars2014, qui im­ Afin d’«alléger» la charge, «depuis la rentrée,
terrogés en 2018 ont reçu une proposition pose aux organisations de plus de 250 sala­ 100 heures de cours sont proposées en e­lear­
d’embauche de leur entreprise d’accueil», sou­ riés un quota de 5 % d’alternants a dyna­ ning sur les 400 heures annuelles obliga­
ligne Gaël Bouron, responsable d’études de misé le marché. «Nous n’avons aucun mal à toires», explique Géraldine Michel.
l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), placer nos élèves», confirme le directeur Enfin dans le cadre de la réforme de la for­
qui a présenté le 4 avril le bilan: «L’Alter­ général adjoint de MBS, soulignant que mation, de l’apprentissage et de l’assurance­
nance dans l’enseignement supérieur». «plus de la moitié reste dans leur entreprise chômage dont le projet de loi sera débattu
Cette étude précise que «deux ans après à l’issue de leur formation.» cet été, l’accès à l’alternance pourrait être
l’obtention de leur diplôme, 93 % des bac + 5 Cet exemple n’est pas un cas unique, car étendu jusqu’à l’âge de 30ans. «C’est très
passés par l’alternance sont en poste, c’est les entreprises y trouvent leur compte. Elles bien pour ceux qui, après un premier passage
7 points de mieux que les autres.» embauchent ainsi des jeunes déjà formés à dans la vie active, veulent reprendre leurs
Des raisons financières entrent en ligne leurs méthodes de travail et à leur culture études», souligne Géraldine Michel. De
de compte, puisque les frais d’inscription d’entreprise. «Les alternants sont directe­ plus, les 500 euros d’aide pour passer le per­
sont pris en charge par l’entreprise d’accueil ment opérationnels car ils ont déjà joué un mis de conduire devraient faciliter la mobi­
(ces frais s’élèvent, par exemple, à près de rôle à part entière dans l’entreprise durant lité et donc l’employabilité. Un vœu reste
13000 euros par an à MBS). Les jeunes de leur formation», explique Vincent Mattéi, cependant à exaucer: «La réforme visant à
plus de 21ans perçoivent un salaire d’au responsable recrutement et mobilité de développer l’alternance en Europe serait
moins 53 % à 78 % du smic, selon l’année du Thales France. Le groupe d’aéronautique et fantastique!», conclut Matthias Bauland.
contrat. Mais, souvent les entreprises versent de défense compte 1800 alternants, dont myriam dubertrand

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 21


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

parcours, la place laissée à l’initiative,

La fonction publique
l’offre diversifiée de carrière, le travail dans
une logique de projet, le tout au service de
l’intérêt général.

réformée attirera­t­elle
Plusieurs dossiers sont sur la table: la
mise en place d’un plan de départs volontai­
res pour atteindre l’objectif de 120000 sup­

les jeunes diplômés ?


pressions de postes, l’augmentation du
recrutement de contractuels, l’encourage­
ment des passages entre les secteurs privé
et public et l’introduction d’une part de
Faciliter les passages public­privé, multiplier rémunération individualisée au mérite.
le recrutement de contractuels... Etre au service de tous, Deux points d’étapes auront lieu fin juillet
sur: la simplification du dialogue social et
sans la sécurité de l’emploi, va changer la donne l’élargissement du recours aux contrats.

D
ans le cadre du plan Action publi­ Elle a de grandes capacités de réforme et Problème de recrutement
que 2022, le président Emmanuel peut répondre aux attentes des jeunes », « Même si, ponctuellement, les contrac­
Macron a souhaité faire de la fonc­ affirme Emilie Agnoux, porte­parole de tuels peuvent apporter du renouveau, j’y
tion publique « un secteur d’attractivité FP21 (Fonction publique du XXIe siècle), suis plutôt défavorable car il est important
pour les talents de notre économie ». La association créée en 2017 qui réunit de jeu­ que le service public garde la logique de la
réforme qui devrait être débattue avec les nes fonctionnaires et contractuels issus sécurité de l’emploi. Je me méfie de ce qui
syndicats pour aboutir à l’automne est­elle des trois fonctions publiques (Etat, territo­ peut précariser le travail», réagit Frédéric
à même d’y parvenir ? « Cette réforme va riale et hospitalière). Emilie Agnoux en­ Blanc, étudiant en master politiques publi­
montrer que la fonction publique n’est pas tend mettre à mal les clichés sur la fonc­ ques à Sciences Po, qui vise l’ENA pour
dans du formol, mais qu’elle évolue et innove. tion publique et souligne la richesse des « se mettre au service du bien commun ».

Finalement, Julie et Alexandre ont rejoint le privé


C’est le métier qu’elle avait toujours rêvé l’association Après prof, j’ai monté mon activité lui couperait les ailes. «On m’a répondu que
d’exercer. Julie Guyard, 31ans, n’aura pourtant de coaching en orientation scolaire à destina­ j’avais progressé trop vite», raconte­t­il. «Que
pas fait de vieux os dans son costume de prof. tion des collégiens et lycéens », explique­t­elle. je devais accepter de rétrograder.» Une hérésie
«Diplômée du Capes de sciences économiques et Une folie ? « Peut­être », reconnaît­elle. « Mais pour un talent aussi prometteur. «Je trouvais
sociales en 2012, j’ai commencé à enseigner tout j’ai des parents entrepreneurs, je sais que si je désespérant que l’administration soit ainsi
de suite… Après seulement deux jours de forma­ m’investis à fond je peux m’offrir une carrière incapable de valoriser les parcours.»
tion pratique», raconte la jeune femme. intéressante… Et un très bon salaire. » Dépité, il décide alors de prendre une dispo­
Une vraie débandade! «Comme je n’avais pas nibilité et d’aller frapper à la porte des cabinets
appris à gérer une classe, je me suis fait débor­ Les ailes coupées d’avocats spécialisés en droit pénal. A peine
der.» Grâce aux conseils de ses collègues, elle L’argent, ce n’est pas ce qui a poussé Alexandre quelques semaines plus tard, il est engagé
réussit peu à peu à reprendre le dessus mais se Plantevin à changer de voie. «A mon dernier comme collaborateur par Alain Jakubowicz.
met à douter de sa vocation. «Avec les secondes, poste de procureur adjoint au tribunal de grande «Dans ce sens­là, la bascule est très facile. Il m’a
on est non seulement confronté à des problèmes instance de Meaux, je gagnais 5000 euros net suffi de déposer un dossier devant le barreau de
récurrents de discipline mais aussi à un manque par mois», confie­t­il sans détour. Sa décision de Lyon, passer devant la commission administra­
de maturité qui se traduit par un désintérêt pour quitter la magistrature est le fruit d’un chemi­ tive pendant quelques minutes pour expliquer
la matière», explique­t­elle. nement plus long. «La fonction publique est une mes motivations, et j’ai pu prêter serment.»
Pour se remotiver, elle s’investit dans divers énorme machine. Vous n’êtes qu’un pion parmi Aujourd’hui, Alexandre n’envisage pas de revenir
projets pédagogiques mais se heurte vite aux d’autres», se désole­t­il. Magistrat pendant en arrière. «En théorie, j’ai encore un an pour déci­
limites du système. « J’avais beau passer du douze ans dont sept au parquet antiterroriste der si je démissionne ou si je réintègre la magis­
temps à travailler en dehors des cours, je n’étais de Paris, le Lillois a pourtant bien donné. Mais trature, mais, dans ma tête, je suis passé à autre
pas du tout récompensée de mes efforts. » quand il a demandé une mutation à Lyon chose.» Dès janvier 2017, il s’est d’ailleurs asso­
C’est ce qui l’a amenée, il y a un an et demi, à en 2012 pour suivre sa femme, cadre à la Société cié au cabinet. Une officialisation avant l’heure.
entamer sa reconversion. « Avec le soutien de générale, il était donc loin de s’imaginer qu’on élodie chermann

22 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Pour sa part, Mylène Jacquot, secrétaire
générale de l’UFFA (CFDT­Fonctions publi­
ques), prévient: «Le recours aux contrac­
tuels est acceptable si, par exemple, on a be­
soin de compétences rares, mais si c’est un
moyen de payer certains davantage en
oubliant les autres, cela va poser un pro­
blème.» Le sociologue Luc Rouban, direc­
teur de recherches à Sciences Po­Cevipof,
craint, quant à lui, que la hausse des
recours aux contrats en catégorie A attise
la concurrence avec le privé, surtout «avec
les grandes entreprises dotées de politiques
RH sérieuses», d’où un problème prévisible
en matière de recrutement.
Les contractuels (des agents sous contrat
de droit public mais qui ne bénéficient pas
des mêmes droits que les fonctionnaires)
représentent 21,7 % des quelque 5,5 mil­
lions d’agents de la fonction publique,
d’après le dernier rapport annuel du mi­
nistère de l’action et des comptes publics
LÉA CHASSAGNE/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

publié en décembre 2017. Toujours selon


ce rapport, un agent sous contrat sur cinq
devient fonctionnaire. Les contractuels
sont nettement moins âgés que les fonc­
tionnaires (37 ans en moyenne contre
45 ans), avec une part importante de
moins de 25 ans.

«Deux mondes différents»


Outre la garantie de l’emploi, c’est l’inté­
rêt général qui est la motivation commune
des jeunes qui veulent faire carrière dans la « IL FAUT GARDER À L’ESPRIT «La haute fonction publique a un véritable
fonction publique. Ils se méfient des consé­ QUE LA PERFORMANCE problème d’attractivité », constate Luc
quences d’accroître les passages entre les EST COLLECTIVE, C’EST DONC Rouban. Mais selon lui, elle souffre de cor­
secteurs public et privé. Baptiste, étudiant L’ENGAGEMENT COLLECTIF poratisme (globalement si on n’intègre pas
en master à Sciences Po Paris après avoir QUI DOIT ÊTRE RÉCOMPENSÉ » les grands corps à la sortie de l’ENA, on
fait l’IEP de Toulouse, souhaite préparer aura une carrière moins gratifiante) ainsi
ÉMILIE AGNOUX
l’ENA et d’autres concours de la haute fonc­ porte­parole de Fonction publique du XXIe siècle que d’un manque de diversité sociolo­
tion publique. Une vocation qui répond à gique. «60 % des étudiants de Sciences Po
sa vision de l’Etat: «Je suis dans une logi­ s’orientent vers le privé. Or, beaucoup de
que de service de l’intérêt général. » Y de la fonction publique. Il s’agit de deux ceux issus d’un milieu modeste font ce choix
aurait­il une ligne rouge qui puisse le mondes complètement différents, il n’y a car ce secteur leur offre une possibilité de
détourner de la fonction publique? «Non, pas d’apport mutuel ». carrière plus rapide, où leur mérite est
mais tout ce qui concourt à l’indistinction Enfin, le serpent de mer de la rémunéra­ reconnu et où ils bénéficient d’une vraie ges­
entre le public et le privé me semble préjudi­ tion au mérite fait sourire Mylène Jacquot. tion des ressources humaines. » Le grand
ciable», déclare­t­il. Même son de cloche «Cela existe depuis des dizaines d’années. regret de Luc Rouban est que la réforme ne
chez Frédéric Blanc, qui souhaite «limiter Mais c’est finalement rarement utilisé car remette pas en cause les grands corps :
la porosité public­privé». l’outil est peu efficace.» «C’est un débat à ma­ «Elle est censée récompenser en fonction du
Le spécialiste de la fonction publique nipuler avec prudence, estime pour sa part mérite et non de l’appartenance à un corps
Luc Rouban ne voit pas non plus l’intérêt Emilie Agnoux, car il faut garder à l’esprit que particulier. Or, Emmanuel Macron garde le
de faciliter les passages public­privé. la performance est collective, c’est donc l’en­ classement de sortie de l’ENA.»
« Ce n’est pas ça qui va restaurer l’image gagement collectif qui doit être récompensé.» myriam dubertrand

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 23


d o s s i e r | l’emploi des jeunes repart, Macron réforme

Une vision que ne partagent pas forcé­


ment ses camarades de promotion. Pour

Le statut cadre
nombre d’entre eux, le fait d’être cadre
n’est pas du tout valorisé. Ils le voient
comme un synonyme de dévouement

sur la sellette
corps et âme à l’entreprise, de manque de
temps pour soi et de liberté restreinte.
Leur rêve est de travailler en free­lance.
« On constate une désaffection pour l’en­
Des fonctions variables, une autonomie cadrement », confirme Gérard Mardiné,
de travail aléatoire, des horaires extensibles... négociateur pour la CFE­CGC.

pourtant les cadres restent attachés «Libérer l’expression»


à leur statut, qui doit être redéfini d’ici à 2019 Il est vrai que la pression sur les résultats
est de plus en plus forte et que nombre de
cadres sont en surcharge, voire en risque de

D
epuis fin 2017, une négociation est d’une ascension sociale par rapport à leur burn­out. «Les cadres travaillent, en moyenne,
en cours pour redéfinir le statut milieu d’origine », note le sociologue 46,6 heures par semaine», remarque Marie­
des cadres, avant la disparition, Denis Monneuse. José Kotlicki, secrétaire générale de l’Ugict­
en 2019, de l’Agirc, leur régime de retraite «Mais ce n’est pas leur préoccupation pre­ CGT. Et le salaire ne suit pas. «Actuellement,
complémentaire. Celui­ci fusionnera mière », ajoute­t­il avant de citer le cas 25 % des cadres sont payés en dessous du
alors avec l’Arrco, le régime de retraite d’une titulaire d’un master 2 qui a choisi, plafond de la Sécurité sociale, contre 18 %
complémentaire de tous les salariés du sans hésitation, un emploi non cadre en en 2008. On assiste à un vrai décrochage
privé. Les cadres sont attachés à leur Bretagne dont elle est originaire par rap­ depuis vingt ans. Leur qualification doit être
statut, créé en 1947 et qui reste un parti­ port à un poste de cadre à Paris. «L’obten­ reconnue: à bac + 4/+5, on a le statut cadre,
cularisme français. « Pour 79 % d’entre eux, tion du statut cadre n’est clairement pas une point barre!», explique la secrétaire générale
il existe une différence réelle de traitement priorité pour moi, explique Michaël de l’Ugict­CGT. Aujourd’hui, un jeune diplô­
entre les cadres et les non­cadres », note Decrock, étudiant à Neoma Business mé sur deux obtient ce statut dès le premier
une étude de Cadremploi du 13 février. School. Le Graal serait de décrocher un con­ emploi. «Si 87 % des élèves ingénieurs y accè­
Une proportion qui est de 72 % chez les trat à durée indéterminée. Cela dit, j’espère à dent un an après l’obtention de leur diplôme,
moins de 35 ans. ce n’est le cas que pour 42 % des masters uni­
Parmi les spécificités de ce statut, l’accès versitaires», illustre Patricia Blancard.
aux services de l’Association pour l’emploi « SI 87 % DES ÉLÈVES INGÉNIEURS Les négociations en cours portent sur
des cadres (APEC), l’inscription dans la sec­ ACCÈDENT AU STATUT CADRE l’autonomie, les responsabilités, les qualifi­
tion encadrement pour les désignations UN AN APRÈS L’OBTENTION cations… «autant de sujets qui parlent aux
prud’homales, le bénéfice de la prévoyance DE LEUR DIPLÔME, CE N’EST jeunes, note Gérard Mardiné. Nous recher­
cadre (1,5 % versé uniquement par l’em­ chons notamment des protections face aux
LE CAS QUE POUR 42 %
ployeur), une période d’essai et un délai de débordements horaires ou à l’imposition de
préavis allongés (respectivement quatre
DES MASTERS UNIVERSITAIRES » choix venus d’en haut [droit à l’initiative]».
mois et trois mois), des seuils de paiement PATRICIA BLANCARD Marie­José Kotlicki poursuit: «Nous vou­
de qualification garantis dans les conven­ secrétaire générale adjointe de la CFDT­Cadres lons une définition de l’encadrement au ni­
tions collectives… veau interprofessionnel, afin de permettre
aux gens d’être mobiles sans perdre leur sta­
«Un signe de reconnaissance» terme être cadre, car cela serait un signe de tut. Nous demandons un droit d’alerte et de
La population cadre représente 17 % de reconnaissance du développement de mon retrait si les directives de l’entreprise peu­
la population active, soit près de 4 mil­ expertise.» Même son de cloche chez Char­ vent mettre en danger la santé et la sécurité
lions de personnes. Mais, « être cadre est lotte de Torregrosa, étudiante à Kedge Busi­ des salariés. Bref, nous voulons libérer l’ex­
une fonction plus qu’un statut. Une fonc­ ness School. Si elle ne s’attend pas à avoir pression des cadres, cela les aiderait à être
tion qui nécessite des compétences, de forcément le statut cadre dès son premier professionnellement engagés et sociale­
l’autonomie et des responsabilités », es­ poste, elle tient néanmoins, à terme, à le ment responsables», estime­t­elle. En cas
time Patricia Blancard, secrétaire géné­ décrocher. «Ce serait une preuve de la maî­ d’échec des négociations d’ici au 1er janvier
rale adjointe de la CFDT­Cadres. « Pour trise de ma fonction. De plus, je pense 2019, la définition du statut cadre sera celle
les jeunes, l’obtention de ce statut peut qu’avoir ce statut donne de l’autonomie et de la convention du 14 mars 1947.
être importante, notamment s’il s’agit facilite les changements d’entreprise.» myriam dubertrand

24 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 25
recrutement

Les pirates informatiques désormais


courtisés par les entreprises françaises
peuvent accéder à des niveaux de
rémunération de 400 000 euros par an

La ruée vers l’or numérique


des chasseurs de primes 2.0
P
actiser avec les pirates ? Les premières sont apparues aux connu sous le pseudonyme de DES PLATES­FORMES
Longtemps, les monar­ Etats­Unis en 2012. Rapidement, la Korben, a lancé fin 2015 la plate­ DE BUG BOUNTY
ques ont instrumentalisé plupart des acteurs des nouvelles forme de bug bounty européenne METTENT EN
les flibustiers pour affaiblir les technologies de l’information et Bounty Factory. Le bug bounty, RELATION PIRATES
souverains ennemis. Aujourd’hui, de la communication (NTIC) ont explique­t­il, «complète les autres
ET ENTREPRISES
c’est avec un tout autre type de été séduits, même les plus scepti­ approches de cybersécurité », à
pirates que fraternisent les entre­ ques. Apple, qui tardait à s’y met­ savoir les scans automatiques
AFIN DE DÉTECTER
prises: de plus en plus de sociétés tre, s’en est mordu les doigts : identifiant les erreurs basiques, et LES FAILLES
font appel aux hackeurs pour en 2016, face au refus de coopéra­ les audits de cybersécurité réali­ DES SYSTÈMES
détecter les failles de leur système tion du géant américain, le FBI sés par un nombre limité de per­ INFORMATIQUES
informatique. Les chasseurs de achète une faille de sécurité pour sonnes, généralement une ou
primes 2.0 sont ensuite rému­ accéder à l’iPhone verrouillé de deux, qui travaillent quelques
nérés en fonction des faiblesses l’auteur d’une attaque terroriste. semaines sur un périmètre donné une nouvelle version du site ou de
détectées. Ce drôle de concept, qui Aujourd’hui, Apple pratique le bug et rendent un rapport. «La société l’application», poursuit le blo­
porte le nom de bug bounty, bounty, comme l’essentiel des corrige les éventuelles failles jus­ gueur spécialisé dans l’informa­
est porté par des plates­formes grands noms de la Silicon Valley. qu’au prochain audit, au bout de tique. Avec le bug bounty, l’entre­
mettant en relation « hackeurs En France, le concept fait des six mois ou un an. Sauf qu’entre­ prise ne compte plus sur un ou
blancs» et entreprises. émules. Manuel Dorne, plus temps, il y a probablement déjà eu deux chercheurs en sécurité seule­
ment, mais sur une armée de plu­
sieurs centaines, voire de milliers
de hackeurs qui étudient le péri­
SaxX, le plus performant des 3 700 « hackeurs blancs » mètre vingt­quatre heures sur
de Bounty Factory vingt­quatre, sept jours sur sept.
«Ça peut alors aller très vite: certai­
Le jour, Clément Domingo est employé en cyber­ les failles les plus simples, jusqu’à 10 000 euros nes vulnérabilités remontent dès
sécurité pour un grand groupe industriel lié pour les plus critiques. Plutôt rentable lorsqu’on les premières minutes après la mise
à l’armée. La nuit, entre 23 heures et minuit mais sait que ce travail lui prend « un week­end entier en ligne du programme. Les failles
parfois jusqu’à 4 heures du matin, sous le pseudo­ si la rémunération est intéressante ». plus critiques peuvent demander
nyme de « SaxX », il traque les failles de sécurité des Selon lui, les « hackeurs blancs » pourraient bientôt plusieurs jours voire plusieurs semai­
entreprises. Il ne les revend pas au plus offrant sur faire face à un afflux de travail : le règlement général nes de travail», expose Korben.
le marché noir, il n’en profite pas pour causer des sur la protection des données (RGPD), qui entre en
dégâts, mais prévient la société qui le récompense vigueur au 25 mai dans les entreprises, va contribuer Pas de profil type
avec des sommes qui « peuvent être assez élevées », à développer la pratique du bug bounty. « Les boîtes Chez Bounty Factory, les hac­
confie le jeune homme de 27 ans. qui ne sécurisent pas leurs données vont tomber sous keurs éthiques sont sélectionnés
En un an et demi de collaboration avec Bounty Factory, le coup du législateur », explique SaxX. naturellement en fonction d’un
ce hackeur s’est hissé en tête du classement: il est le Motivé par la rémunération, c’est aussi par goût du classement selon leur efficacité.
plus performant des 3700 hackeurs de la plate­forme défi qu’il fait du bug bounty: «J’ai besoin de me stimu­ Ils n’ont pas de profil type: parmi
de bug bounty, avec quelques centaines de failles à son ler en tant que chercheur, de voir que j’arrive à contour­ les 3 700 hackeurs adeptes de la
actif, décelées dans des sociétés variées, de la start­up ner les mesures mises en place, parfois par des équipes plate­forme, certains ont la qua­
aux plus gros groupes. «J’ai, par exemple, trouvé qui ont beaucoup travaillé. Et ça élargit mon domaine rantaine et occupent un emploi
une faille dans une entreprise du CAC 40 qui me donnait de compétences: les chercheurs en sécurité ont un dans la cybersécurité. D’autres
accès à des documents confidentiels contenant ou deux domaines de prédilection, avec le bug bounty, sont âgés de 18ans et sont simple­
des données critiques», relate le jeune hackeur. je tombe sur des choses beaucoup plus exotiques». ment passionnés d’informatique.
SaxX perçoit une petite centaine d’euros pour m. na. «Sans la plate­forme, ils n’auraient

26 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Les entreprises mises en demeure
de renforcer la protection
des données personnelles
Avec l’entrée en vigueur le 25 mai 2018 du nouveau règlement européen
relatif à la protection des données des personnes physiques, les entre­
prises françaises sont sommées de renforcer la protection des données
personnelles. Plus de transparence, plus de sécurité et plus de contrôle :
pas su comment faire remonter la anglais, s’il peut interagir avec le
c’est ce que devront avoir accompli les entreprises avant la fin du mois.
faille à la société, et auraient laissé client de façon polie et claire, et
Ce nouveau règlement général de la protection des données (RGPD
tomber, ou auraient basculé dans nous testons sa capacité pédagogi­
ou GDPR en anglais) européen, adopté en avril 2016, s’applique
le marché noir», explique Korben. que: nos hackeurs doivent former
à toutes les entreprises et aux organismes publics qui assurent
Si OVH, Orange ou encore les gens qu’ils ont en face d’eux,
le traitement de données personnelles et dont l’entité est présente
CCM Benchmark travaillent avec pour qu’ils ne reproduisent pas la
dans un ou plusieurs pays européens.
Bounty Factory, avoir un pano­ même erreur une seconde fois »,
Le RGPD vise trois objectifs : renforcer le droit des personnes ; encadrer
rama complet des entreprises explique Fabrice Epelboin.
les acteurs traitant les données ; réguler les traitements de données
adeptes du bug bounty se révèle Yogosha travaille en tout avec
par les entreprises en renforçant la coopération entre les autorités
compliqué. «Je ne peux pas com­ 200 hackeurs âgés entre 30 et
de protection.
muniquer la liste détaillée de mes 40ans. La plupart sont déjà em­
En matière de transparence, les utilisateurs devront être informés de
clients », regrette ainsi Korben. ployés par des grands groupes
l’usage de leurs données. Ils devront aussi en approuver le traitement
Alors que les entreprises améri­ mais font du bug bounty pour
ou pouvoir s’y opposer. La date du contact pris par l’entreprise
caines clament sur les toits leurs augmenter leurs revenus. «Un
et les accords donnés par l’utilisateur devront être visibles et explicites.
politiques en matière de cybersé­ hackeur qui gagne entre 100000
La charge de la preuve du consentement incombe à l’entreprise.
curité, les sociétés françaises sont et 150000 euros peut arriver à
Pour respecter le droit à l’oubli, les entreprises devront, par exemple,
plus frileuses. «L’Europe est issue 300000 voire 400000 euros par
supprimer de leur base de données et de leurs fichiers clients les data
d’une culture de sécurité par offus­ an», affirme Fabrice Epelboin. On
des personnes inactives depuis trois ans.
cation, là où les Américains asso­
En matière de sécurité, le RGPD introduit une obligation de résultat.
cient la sécurité à la transpa­
Les entreprises doivent avoir évalué les risques et mis en place
rence», explique Fabrice Epelboin, LA MÉTHODE des mesures de sécurité. L’entreprise reste responsable des data
cofondateur de Yogosha (qui AMÉRICAINE, même si elle sous­traite leur sécurité. Et en cas de faille de sécurité
signifie « défense » en japonais), À SAVOIR ou de vol de données, l’entreprise a 72 heures pour établir un diagnostic
une start­up qui développe en « JE RASSEMBLE DES et en rendre compte au régulateur.
France le concept de bug bounty.
CENTAINES DE En matière de sanction : en cas de négligence ou non­respect des
Cette plate­forme française, «in­
cubée » à Station F, a été primée
HACKEURS ET JE LES dispositions légales, la sanction peut aller jusqu’à une peine de cinq ans

aux Grands Prix de l’innovation INTRODUIS DANS d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Les recours

de la Ville de Paris 2016. L’INFRASTRUCTURE, pourront être individuels ou collectifs. En cas de violation des droits
ÇA FAIT PEUR » de la personne physique, l’entreprise encourt une sanction maximum
de 4 % de son chiffre d’affaires mondial. Un droit à réparation
Vulnérabilités critiques FABRICE EPELBOIN des dommages matériel ou moral a aussi été introduit.
Selon Fabrice Epelboin, la France cofondateur de Yogosha
La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) sera
n’est pas encore prête pour le bug
l’interlocuteur unique pour les personnes comme pour les entreprises.
bounty à l’américaine, à savoir «je
Afin d’accompagner les entreprises, elle propose sur son site différents
rassemble des centaines de hac­ n’est alors pas étonné d’apprendre
outils pour faire des tests sur les analyses d’impacts sur la protection
keurs et je les introduis dans l’in­ que la liste d’attente pour rejoin­
des données. Enfin, la CNIL a mis en ligne des modèles de clauses
frastructure. Ça fait peur, et puis dre Yogosha compte 750 person­
à insérer dans les contrats conclus avec des partenaires ou des sous­
c’est disproportionné par rapport nes. Les failles peuvent être très
traitants et elle propose une hotline pour répondre aux questions.
aux risques auxquels ils sont réelle­ rentables: si une faille lambda est
gaëlle picut
ment exposés», détaille­t­il. C’est rémunérée une petite centaine
pourquoi Yogosha se concentre d’euros, on monte à plusieurs mil­
sur les bug bounty privés, dont liers pour une faille critique, par
l’accès est réservé à une sélection exemple une faille qui permettrait les sociétés aussi: le bug bounty Fabrice Epelboin: «Normalement,
de chercheurs en cybersécurité, de récupérer le numéro de Carte permet d’«évangéliser» l’entre­ le RSSI [le responsable de la sécu­
choisis pour leur professionna­ bleue des clients d’une banque. prise. Les rapports de faille accom­ rité des systèmes d’information],
lisme et leur expérience. Aux Etats­Unis, les tarifs mon­ pagnés d’un «proof of concept» c’est le type qui déjeune seul à la
« Nous avons deux processus tent jusqu’à plusieurs centaines (preuve de faisabilité) illustrant la cantine et contrarie tout le monde
d’entrée. D’abord, il faut une coop­ de milliers d’euros lorsqu’il s’agit façon dont la faille pourrait être avec ses consignes de sécurité.
tation de deux membres de Yo­ de vulnérabilités critiques. Le hac­ exploitée à des fins malveillantes Lorsqu’il raconte que la boîte se fait
gosha qui s’engagent sur la probité keur Mark Litchfield a ainsi gagné permettent à tout employé de attaquer par des hackeurs, tout le
du candidat. Il faut ensuite passer 500 000 dollars grâce au bug comprendre ce que peut être con­ monde l’écoute. C’est une bonne
un examen. Nous vérifions si le bounty. Une vraie ruée vers l’or crètement une attaque informati­ façon d’initier les néophytes à la
chercheur en sécurité est capable numérique où les chasseurs de que. Et puis, c’est une expérience cybersécurité.»
de rédiger un rapport de faille en primes trouvent leur compte et amusante à raconter, souligne margherita nasi

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 27


territoires

Le secteur agroalimentaire breton


peine à attirer des candidats en dehors
des grandes villes. La bonne conjoncture
de l’emploi aggrave la situation

La Bretagne du « bout du monde »


s’organise pour courtiser les cadres
A
u milieu des machines en niveaux, la première industrie de apprentis ingénieurs. A la table de l’emploi cadre sont au beau fixe.
démonstration, un espace Bretagne organise la riposte. « Il voisine, Elsa Robillard est venue «De 7500 à 8000 recrutements
a été aménagé pour les en­ faut qu’on se batte pour que les «montrer qu’on existe, au fin fond sont prévus cette année en Breta­
tretiens. Chacun à sa table, les res­ jeunes s’intéressent à nous », ex­ de la presqu’île». Chargée de RH à gne, dont 24 % dans l’industrie. Du
ponsables des ressources humai­ pose Marie Kieffer, responsable La Belle­Îloise, conserverie de pois­ jamais­vu depuis 2000, relève
nes (RH) accueillent les candidats. du pôle social de l’Association son implantée à Quiberon (Morbi­ François Fillatre, de l’Association
Mi­mars, à l’occasion du Carrefour bretonne des entreprises agroali­ han), elle raconte la «difficulté sup­ pour l’emploi des cadres (APEC) de
des fournisseurs de l’industrie mentaires (ABEA), coorganisa­ plémentaire» d’être «au bout du Rennes. Dans tous les secteurs in­
agroalimentaire, grand raout du trice du job dating. monde»: «Les cadres regardent dustriels, il y a des tensions.»
secteur à Rennes (Ille­et­Vilaine), «On est là pour parler de nos d’abord les grandes villes, puis les Dans l’agroalimentaire breton,
trente­huit entreprises de la région beaux métiers: nourrir les hom­ moyennes. Quand on dit Quiberon, elles se concentrent sur certains
ont pris part à l’opération «Work in mes », vante Sandrine Bareyt, ils font la grimace. Là où le délai de métiers: le secteur a «notamment
agro». Un job dating qui visait à directrice des ressources humai­ recrutement est de six mois, nous du mal à recruter dans les fonc­
courtiser «les talents de demain». nes pour l’Ouest du groupe Bigard, on est plutôt à huit.» tions de production (responsable
Confrontée à des difficultés de le numéro un français de la La problématique est d’autant d’atelier, ingénieur planning…) et
recrutement jusqu’aux plus hauts viande, qui cherche aussi des plus cruciale que les perspectives de services techniques (responsa­

Opérations séduction en Lozère et en Auvergne


Concilier de belles opportunités de carrière avec Le but de l’opération « Lozère, nouvelle vie » l’Auvergne invite les actifs en recherche d’une
un cadre de vie agréable, une mission impos­ qui a fait escale à Toulouse, Montpellier et activité à venir tenter l’aventure au «pays des
sible? Les collectivités locales sont persuadées Lyon, est de promouvoir, témoignages à l’ap­ volcans». Dans le cadre du «New Deal, ambi­
du contraire. Pour convaincre les actifs de venir pui, les atouts du territoire et les offres d’em­ tion Auvergne», la région rembourse, en guise
s’installer sur leur territoire, elles déploient les plois disponibles. Ceux qui se laissent séduire de cadeau de bienvenue, les trois premiers
grands moyens. Entre des visites touristiques, par une vie au vert bénéficient à leur arrivée mois de loyer, jusqu’à 500 euros mensuels.
une aide à l’intégration et le remboursement d’un accompagnement dans la recherche «Les entreprises locales, comme Michelin et
du loyer, les jeunes diplômés ont la certitude d’emploi du conjoint. Limagrain, rencontrent des difficultés à recruter
d’être bien accueillis. Certaines collectivités des cadres supérieurs. Le logement est le pre­
rivalisent d’ingéniosité pour attirer les jeunes En quête du poste idoine mier frein à la venue des talents. C’est compliqué
cadres en quête de dépaysement mais n’osant Pour éviter que la famille rebrousse chemin, pour eux d’investir financièrement, alors qu’ils
pas encore franchir le cap. le réseau départemental chargé de l’emploi ne savent pas si l’emploi et le territoire vont leur
Car entre un marché immobilier tendu, une se mobilise dans la quête du poste idoine et correspondre. Nous leur proposons de les tester
crainte de ne pas décrocher un emploi corres­ n’hésite pas à décrocher le téléphone pour en­ pendant la période d’essai et de décider ensuite
pondant à ses qualifications, une offre de trans­ courager le recruteur à embaucher le nouvel s’ils souhaitent rester ou pas», explique Gianni
ports et de loisirs limitée, les obstacles sont arrivant. « La Lozère souffre d’un manque de Pani, chargé de communication numérique de
nombreux qui peuvent freiner les envies de mo­ notoriété. Les citadins imaginent qu’en milieu l’Agence des territoires d’Auvergne.
bilité. Pour vaincre les résistances des potentiels rural nous sommes déconnectés et que nous En parallèle, des « coachs de vie » bénévoles
candidats, Pauline Maurin, responsable de la n’avons pas d’offre culturelle. Pourtant, chez se voient confier le soin d’accueillir les néo­
mission attractivité de la Lozère, reprend chaque nous, ils pourront s’épanouir. Plutôt que d’être Auvergnats. Leurs missions : communiquer
année son bâton de pèlerin et part à la rencontre stressés par les bouchons et leur travail, ils pro­ leurs bonnes adresses et organiser des ren­
des habitants des grandes agglomérations, aux fiteront des paysages cévenols et des activités contres conviviales pour les aider à s’intégrer,
côtés de ses partenaires locaux (associations, en pleine nature », insiste Pauline Maurin. parce qu’il n’y a pas que le boulot dans la vie.
chambres consulaires, Pôle emploi…). Egalement confrontée à une faible attractivité, adeline farge

28 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


DENIS CARRIER/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

ble maintenance, etc.)», soulignait « DE 7 500 À 8 000 RECRUTEMENTS travail. Un aspect sur lequel
l’APEC, dans une étude de 2016. SONT PRÉVUS CETTE ANNÉE EN BRETAGNE, l’agroalimentaire a pu donner le
«Les entreprises cherchent de plus DONT 24 % DANS L’INDUSTRIE. sentiment de pécher. «La possibi­
en plus des experts: soit pour des DU JAMAIS­VU DEPUIS 2000 » lité de télétravail, l’autonomie
métiers très particuliers, par exem­ accordée dans l’organisation… Ça
ple des responsables de production FRANÇOIS FILLATRE fait partie du package pour séduire
de l’APEC de Rennes
sur de l’ultra­frais, soit sur des pos­ les cadres», plaide Marie Kieffer,
tes à double casquette, à la fois in­ qui sensibilise ses adhérents «aux
génieur et manageur », détaille cadres à Quimper », témoigne sa marque employeur, ouvrir ses nouvelles règles du jeu».
Jacques Garancher, directeur de Sandra Pellerin, DRH de Mer­ portes, parler de ses métiers, de ce Enfin, dernier levier: l’alter­
Theodore Search, un cabinet de Alliance, leadeur français de la qu’elle fait. Ça passera aussi par les nance. «On s’y remet, dans la main­
chasseurs de têtes, basé à Rennes. conserve de poisson. produits.» Et de citer, en exemple, tenance notamment. A la fin, soit
En revanche, les fonctions sup­ Le secteur paie aussi globale­ le groupe Hénaff, qui n’a «jamais on garde l’apprenti, soit il part
port, comme la RH ou la commu­ ment un manque d’attractivité : trop de soucis pour recruter, même ailleurs dans le groupe, en fonction
nication, sont bien moins concer­ moins rémunérateur, il souffre s’il est dans le Finistère: c’est une des besoins », relate Fabienne
nées, de même que la qualité ou la d’une mauvaise image. Accusé de marque connue, qui bénéficie d’un Hamon, DRH de Vetagri, filiale de
recherche et développement. produire de la malbouffe, l’agroa­ gros capital sympathie». nutrition animale du géant coopé­
limentaire a été secoué par les ratif Triskalia, basée à Loudéac, pe­
Points faibles scandales sanitaires et de mal­ Dernier levier : l’alternance tite ville en plein Centre­Bretagne.
« Les difficultés tiennent essen­ traitance animale, «il n’attire plus Dans les bassins les plus touchés, « Les entreprises l’ont intégrée
tiellement au manque d’expé­ beaucoup les jeunes, en quête de la conquête passe aussi par l’attrac­ comme une des solutions pour re­
rience sectorielle des candidats et à sens», relève Jacques Garancher. tivité du territoire. MerAlliance cruter. Elles sont deux fois plus
la localisation des postes, souvent Conscient de ses points faibles, s’est ainsi associée avec deux nombreuses à nous solliciter», in­
en milieu rural, à proximité des l’agroalimentaire breton s’active autres sociétés du Sud­Finistère dique Marie­Hélène Quéméner,
zones de production », poursuit pour y remédier. Principal axe: la pour embaucher une community directrice de l’Ifria Bretagne, le
l’étude de l’APEC. Certains terri­ communication, dans un milieu manager, chargée de propager sur centre de formation par appren­
toires sont ainsi plus touchés, qui n’y était « pas très habitué », les réseaux sociaux la beauté des tissage de l’agroalimentaire. Une
comme le Centre­Bretagne et le relève Marie Kieffer, de l’ABEA. côtes et la «qualité de vie» en Cor­ façon, selon Marie Kieffer, «d’an­
Finistère. « Nantes ou Rennes, ça «L’attractivité du secteur se cons­ nouaille, souligne Sandra Pellerin. crer les jeunes sur les bassins les
parle. Vannes, un peu aussi. Mais truit entreprise par entreprise, dé­ Autre volet sur lequel planchent plus compliqués».
c’est compliqué de faire venir des fend­elle. Chacune doit se saisir de les entreprises: les conditions de élodie auffray

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 29


rémunération

Les jeunes diplômés ayant une formation


adaptée à la révolution numérique
en cours dans les entreprises bénéficient
de revenus revalorisés

Les heureux élus des salaires dopés


I
ncontestablement, la reprise une enquête sur les rémunérations
de l’emploi dope les salaires de ce public. «Par exemple, dans le
d’embauche des jeunes diplô­ secteur bancaire, en pleine muta­
més, notamment de niveau tion numérique, les jeunes qui arri­
bac + 4 et plus. A l’automne 2017, vent cette année vont bénéficier
le salaire moyen des jeunes tout d’un avantage salarial. Ainsi, les
juste sortis de HEC avait ainsi déjà très demandés titulaires d’un
progressé de… 8 % sur un an, pour master 2 « gestion d’actifs » à la
atteindre près de 48 000 euros salaires d’embauche car les jeunes Sorbonne devraient se faire enga­ annuelle d’environ 45000 euros,
annuels. qualifiés vont avoir davantage ger dans le haut d’une fourchette, alors qu’elle pouvait se «limiter»
Mais toutes les fonctions ne d’opportunités. Chez EY, nous variant de 32 000 à 35 000 euros à 35000 euros en 2017.
sont pas logées à la même ensei­ avons pris en compte cette situa­ annuels, ce qui n’était pas le cas Dans le secteur du BTP, qui est
gne. Ce sont les compétences au tion en revalorisant dès 2017, d’en­ encore l’année dernière.» en forte reprise, là aussi certains
service de la «révolution» numé­ viron 5 %, les salaires d’embauche profils voient leur rémunération
rique des entreprises qui ont le de jeunes issus de certaines filières Forte reprise du BTP s’envoler. Un jeune conducteur de
vent en poupe. « Les domaines d’ingénieurs», précise M. Petit. Dans le monde des assurances, travaux peut espérer 40000 euros
sous pression sont ceux liés à la Raphaëlle Gautier, directrice c’est le même constat: les jeunes annuels, ce qui correspondait au
transformation digitale, qui oblige carrières et partenariat entrepri­ talents sont attendus, car le sec­ salaire d’un professionnel de
les entreprises à totalement repen­ ses du groupe HEC, ne dit pas teur se révèle aux avant­postes de trois ans d’ancienneté l’année
ser leur façon de travailler. Cette dernière.
transformation se traduit par de D’une façon générale, tous les
très nombreux projets internes « LES DOMAINES SOUS PRESSION SONT professionnels soulignent que la
dans tous les secteurs et à la même CEUX LIÉS À LA TRANSFORMATION DIGITALE, maîtrise d’une langue « rare »
période. Résultat, les recrutements QUI OBLIGE LES ENTREPRISES (coréen, chinois) apporte immé­
sont intenses pour tout ce qui tou­ À TOTALEMENT REPENSER LEUR FAÇON diatement un bonus salarial de
che au high­tech, à la cybersécu­ 5 % à 10 %…
DE TRAVAILLER. RÉSULTAT,
rité, au big data, à l’analytique, Enfin, cette tension sur certains
etc. », témoigne Nicolas Petit,
LES RECRUTEMENTS SONT INTENSES » métiers et profils ne se traduit pas
responsable recrutement Europe NICOLAS PETIT qu’en matière de rémunération.
de l’Ouest et Maghreb du cabinet responsable recrutement Europe de l’Ouest et Maghreb chez EY Les candidats peuvent désormais
de consultants EY (ex­Ernst and être plus exigeants à l’égard des
Young), gros pourvoyeur de recru­ entreprises en matière de forma­
tements de jeunes diplômés, avec autre chose. « Nous constatons la transformation digitale. Les tion professionnelle, d’évolution
près de 900 embauches par an. une hausse des rémunérations titulaires d’un master 2 en assu­ de carrière, de mise en contact
dans certains secteurs comme le rance et gestion de risques de avec des gens stimulants et d’ex­
La finance aux avant­postes conseil, la finance, l’audit, en Paris­Dauphine devraient ainsi périence à l’international. «Nos ex­
Les chiffres de l’Association pour pleine révolution numérique. Or, pouvoir se faire recruter à étudiants sont sensibles au fait de
l’emploi des cadres (APEC) le con­ les jeunes ont une grande appé­ 35000 euros annuels. Idem pour pouvoir disposer d’un “graduate
firment. Dans sa dernière étude tence pour l’intelligence artifi­ les juristes spécialisés dans l’assu­ program” sur dix­huit mois »,
annuelle, l’APEC constate que l’es­ cielle, la fintech et la transforma­ rance, alors que les juristes en en­ explique Raphaëlle Gautier. «Les
sor spectaculaire des embauches tion digitale. » treprise « classiques », eux, ne jeunes souhaitent aussi être entre­
de jeunes diplômés – entre 47500 Ce boom sur les salaires des jeu­ peuvent espérer « que » de preneurs de leur temps de travail
et… 78000 recrutements sont at­ nes diplômés est également cons­ 25000 à 30000 euros. Quant aux et être libres de s’organiser »,
tendus en 2018 – devrait surtout taté par Alain Mlanao, directeur jeunes souscripteurs « B to B » complète Nicolas Petit.
profiter aux métiers liés à l’infor­ général de Walters People, un (vente de contrats d’assurance à Avec le diplôme adéquat, assuré­
matique, la R&D, l’ingénierie, etc. cabinet international de recrute­ des entreprises), ils peuvent ment 2018 sera un bon millésime.
« Cela va avoir un impact sur les ments qui mène annuellement compter sur une rémunération jean­christophe chanut

30 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


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32 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018
dossier

L’international
pour se lancer
Les étudiants français sont les plus nombreux à partir
à l’étranger dans le cadre d’Erasmus. Mais si sept sur dix
imaginent un jour travailler dans un autre pays
que la France, la part des jeunes diplômés qui tentent
l’aventure est en légère baisse

E
n 1766, Louis­Antoine de Bougain­ publié en novembre 2017. Avec 40910 étu­ françaises (TAAF), dans le cadre du VSC. A la
ville quitte Brest à bord de la fré­ diants français ayant bénéficié d’une sortie des études, l’aventure polaire répond
gate La Boudeuse. Le comte met bourse de mobilité en 2015­2016, la France chez eux à une double ambition, à la fois
cap au sud, traverse l’Atlantique reste sur la première marche du podium, quête personnelle et expérience profes­
et s’arrête au Brésil, à Tahiti, aux devant l’Allemagne (40 089 étudiants) et sionnelle hors norme (lire p. 36).
Samoa, en Nouvelle­Guinée puis finalement l’Espagne (39445 étudiants). Autre motif poussant les jeunes à pren­
à l’île Maurice après avoir traversé l’océan dre le large: la rémunération. La 10e édition
Indien. Il devient le premier navigateur fran­ «Tout faire, ou presque» d’Expat Explorer, l’étude mondiale HSBC
çais à entreprendre un tour du monde. Les étudiants français ont été 923 de plus sur les expatriés, datée d’avril 2017, montre
Pendant le siècle des Lumières, l’explora­ à partir que l’année précédente. Un chiffre qu’avec un revenu moyen de 112000 dol­
teur La Pérouse rivalise avec le capitaine en constante hausse depuis une dizaine lars américains (91 000 euros), les expa­
James Cook. Au XIXe, Jules Crevaux explore la d’années. Dès lors, une majorité nette se triés français gagnent environ un cin­
Guyane, Francis Garnier remonte le Mékong projette hors des frontières pour leur ave­ quième de plus que chez eux. Plus d’un
et Dutreuil de Rhins s’attaque au Tibet. Les nir professionnel, lit­on dans l’étude Cam­ expatrié sur dix (12 %) a même doublé ses
Français ont la bougeotte. Aujourd’hui, peut­ pus France/BVA : sept étudiants sur dix revenus à l’étranger. C’est particulière­
être plus que jamais. Et ce, dès le plus jeune imaginent un jour travailler à l’étranger. ment vrai pour certaines catégories pro­
âge. L’étude Campus France/BVA sur la mo­ Mais découvrir le monde en même temps fessionnelles, comme les ingénieurs ou les
bilité sortante des étudiants de France de que le marché du travail, est­ce une bonne manageurs. Selon l’enquête d’insertion
mars 2016 dévoile une génération d’étu­ idée? «Après ça, on a l’impression qu’on 2017 de la Conférence des grandes écoles
diants déjà ouverte sur le monde: 94 % ont peut tout faire, ou presque», assure Alexia (CGE), la rémunération brute annuelle des
voyagé dans le passé, le plus souvent dans Pimor, 25ans. La jeune diplômée en audio­ ingénieurs et manageurs français à l’étran­
un cadre familial et touristique, et presque visuel a séjourné un an sur les îles Kergue­ ger est de 42 837 euros, contre 30 785 en
tous ont visité un ou plusieurs pays de len. Dans cet archipel subantarctique situé province et 35 502 en Ile­de­France. Les
JOCELYN COLLAGES POUR « LE MONDE »

l’Union européenne, 36 % l’Afrique, 32 % en plein océan Indien, à 3400 kilomètres manageurs se différencient d’ailleurs par
l’Amérique du Nord et 18 % l’Asie. de l’île de La Réunion, elle a travaillé comme le taux d’emplois qu’ils occupent à l’étran­
Ce n’est donc pas étonnant si les étu­ coordinatrice logistique des programmes ger: un manageur sur cinq est en contrat à
diants français sont les plus nombreux à scientifiques en tant que volontaire du l’étranger (un peu plus pour les hommes),
partir à l’étranger dans le cadre d’Erasmus: service civique (VSC). Comme Alexia, une un sur dix pour les ingénieurs.
c’est ce que dévoile le rapport annuel de la quarantaine de jeunes partent chaque an­ Les entrepreneurs aussi seraient de plus
Commission européenne sur Erasmus, née dans les Terres australes et antarctiques en plus nombreux à tenter une aventure …

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 33


d o s s i e r | l’international pour se lancer

quart des expatriés. Le Royaume­Uni,


apprécié pour le dynamisme du marché
de l’emploi et l’apprentissage de l’anglais,
arrive largement en première position
chez les manageurs. Saura­t­il rester sur le
podium? Avec le Brexit, l’incertitude pèse
… professionnelle à l’étranger : d’après une sur la reconnaissance européenne des doublé, passant de 1 % à 2 % de la population.
enquête réalisée en 2014 par la chambre diplômes britanniques (lire p. 46). Mais ce chiffre est très bas lorsqu’on le
d’industrie et de commerce de Paris, la Plus globalement, un expatrié sur deux compare à ce qui se passe ailleurs en
crise économique a transformé structurel­ choisit l’Union européenne. Hors Union Europe: en Allemagne, il est de 4 % environ
lement la population des expatriés fran­ européenne, la Chine est la première desti­ et, au Royaume­Uni, 7 % de la population
çais. Ils sont devenus plus indépendants nation devant la Suisse et les Etats­Unis, âgée de plus de 25ans choisit de s’installer
avec un moindre recours aux contrats particulièrement prisés par les ingénieurs, dans un autre pays depuis les années 1990.
d’expatriation et de détachement, et un malgré les rudes injonctions de l’adminis­ «Enfin, les départs à l’étranger sont une des
accroissement de l’entrepreneuriat. Deux tration américaine. Décrocher un premier facettes du rayonnement de la France et
expatriés sur dix sont des créateurs d’en­ emploi aux Etats­Unis est toutefois parti­ contribuent indirectement à ses échanges
treprises contre un sur dix il y a dix ans. culièrement difficile (lire p. 45). « On ne intellectuels et commerciaux », ajoutent
Les jeunes diplômés sont ainsi de plus en peut pas venir aux Etats­Unis si on n’a pas les deux auteurs de la note du CAE, Cecilia
plus nombreux à tenter leur chance en d’emploi. Et on ne peut pas avoir d’emploi si Garcia Peñalosa et Etienne Wasmer.
Afrique, nouvel eldorado de la création on n’est pas aux Etats­Unis», résume l’ingé­
d’entreprise (lire p. 37). A tel point que les nieur informaticien Théo Négri. Outil de promotion
écoles accompagnent cet engouement et La question de l’émigration des cerveaux Les French Tech hubs, lancés à la conquête
ouvrent des campus sur le continent. s’invite régulièrement dans le débat politi­ du monde en 2015, sont ainsi un bel outil
Depuis 2017, l’Essec offre sur son campus que. En 2014, une commission d’enquête de promotion. Ces réseaux de communau­
de Rabat (Maroc), en partenariat avec Cen­ tés d’entrepreneurs et d’investisseurs ins­
trale Casablanca, un programme d’une tallés à l’étranger permettent aux investis­
durée de six mois à la création d’entreprise LES DESTINATIONS seurs, entrepreneurs et médias étrangers
en Afrique. «Nous proposons trois mois de LES PLUS PRISÉES RESTENT de comprendre et de saisir les opportu­
cours et trois mois de mission entrepreneu­ LE ROYAUME­UNI ET nités qu’offre la France en termes de recru­
riale. En 2017, vingt­deux étudiants y ont L’ALLEMAGNE. ET HORS tement de talents, possibilités d’investisse­
participé. Ils sont trente cette année», expli­ ment et création d’entreprise (lire p. 47).
UNION EUROPÉENNE,
que Thierry Sibieude, professeur et direc­ « J’ai une amie qui travaille pour un gros
teur du campus Essec Afrique.
LA CHINE ARRIVE investisseur de la fintech. Il y a quelques
EN TÊTE DEVANT LA SUISSE années, quand je lui parlais de la France, elle
En quête de sens ET LES ETATS­UNIS rigolait. Aujourd’hui, elle fait la tournée des
Les entrepreneurs voyageurs souhaitent start­up françaises pendant dix jours à
profiter des opportunités économiques, Paris! La French Tech a su faire un excellent
mais aussi donner du sens à leur travail en parlementaire évoquait le risque d’un «exil travail de marketing », s’enthousiasme
contribuant au développement du conti­ des forces vives ». Faut­il s’inquiéter de Jonathan Moyal, créateur de la start­up
nent. C’est le cas de certains jeunes diplô­ l’émigration des jeunes diplômés français? Passpal à New York.
més qui font le choix de faire carrière en La CGE estime à près de 15,2 % les jeunes Mais l’expatriation des jeunes talents
Algérie (lire p. 38), car « ici il y a énormé­ actifs ayant fait le choix de s’expatrier. La peut aussi fragiliser le modèle français si
ment à faire », explique Imène Benchaou­ part des jeunes diplômés qui tentent aucune mesure n’est prise pour attirer les
che, chargée de mission dans une ONG à l’aventure internationale pour leur pre­ jeunes diplômés étrangers et encourager
Alger pour le programme concerté pluri­ mier emploi est donc en légère baisse par le retour des Français expatriés, alerte le
acteurs (PCPA) Joussour (« passerelle » en rapport à 2016 (– 1,4 point). Cette diminu­ Conseil d’analyse économique: «Une part
algérien). La quête de sens est un impor­ tion sensible, observée depuis deux ans, importante de l’enseignement supérieur est
tant moteur d’expatriation : certains jeu­ traduit un léger regain de l’attractivité financée par des prélèvements obligatoires
nes diplômés français ont les yeux rivés française. pour former des “cerveaux” qui in fine sont
en Colombie, où ils souhaitent mettre Même constat auprès du Conseil d’ana­ de plus en plus nombreux à partir renforcer
leurs diplômes au service du processus de lyse économique (CAE) qui, dans sa note des économies étrangères. Il faut donc éla­
paix (lire p. 42). «Préparer la France à la mobilité internatio­ borer une stratégie cohérente visant, non
Néanmoins, les destinations les plus pri­ nale», relativise les craintes sur l’expatria­ pas à retenir les qualifiés, mais à encoura­
sées restent le Royaume­Uni et l’Allemagne. tion des cerveaux. Certes, la France connaît ger leur retour et les arrivées de personnes
D’après l’enquête d’insertion 2017 de la depuis trente ans une forte augmentation qualifiées de niveau équivalent.»
CGE, ces deux pays accueillent plus du des départs de jeunes actifs, dont le taux a margherita nasi

34 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Marie
Accueil En ligne il y a 1 min

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fonctionner les instruments de mesure
géophysique, pour Etienne. Un travail «peu
exigeant pour un ingénieur», relève ce der­
nier, «mais très riche, sur les plans humain et
logistique: chaque mois, je devais organiser
un déplacement de trois, quatre jours sur le
terrain, gérer son bon déroulement, consti­
tuer une équipe pour m’accompagner… J’ai
pris confiance en moi».
«Les jeunes acquièrent de la maturité en
accéléré», observe Laurence Le Marec, res­

Le pari de l’Antarctique
ponsable des ressources humaines de
l’IPEV. D’autant qu’ils sont «en autonomie
totale: leur référent est en métropole, ils se
retrouvent donc avec de grandes responsa­
Chaque année, l’Institut polaire français bilités. C’est rare, pour un premier job».
Paul­Emile­Victor recrute une quarantaine
L’appétit du voyage
de volontaires en service civique «J’étais le seul dans mon domaine. Si ça ne
marchait pas, mon chef brestois ne pouvait
pas être là pour m’aider ! », souligne Thi­

T
out juste rentrée, Alexia Pimor 200 en 2017. La plupart des VSC sont très baud. Chargé des réseaux télécoms, il a eu
peine encore à prendre du recul. Un qualifiés, ingénieurs ou titulaires de masters «quelques coups de chaud», quand le télé­
sentiment s’impose: «Après ça, on scientifiques. Ils sont recrutés pour leurs phone satellite a connu des défaillances.
a l’impression qu’on peut tout faire, ou pres­ compétences, mais aussi leur débrouillar­ Au retour, l’expérience polaire constitue
que», lance la jeune femme de 25ans. De dise et leur capacité à vivre en collectivité. un atout. «Ça met le CV dans la bonne pile,
novembre 2016 à décembre 2017, elle a A la sortie des études, l’aventure polaire les recruteurs sont très curieux de nous ren­
séjourné sur les îles Kerguelen, un archi­ répond chez eux à une double ambition, à contrer », relate Sépanta, qui a concrétisé
pel subantarctique situé en plein océan la fois quête personnelle et expérience pro­ son ambition: elle a été engagée par une
Indien, à 3400 kilomètres de La Réunion, fessionnelle hors norme. «C’était un bon société qui réalise des études d’impact
en tant que volontaire du service civique moyen de voyager, dans un cadre fabuleux, industriel partout dans le monde. L’hiver­
(VSC). Après sa licence en audiovisuel, elle et de faire en même temps quelque chose qui nage « m’a servi à prouver que je pouvais
a été embauchée comme coordinatrice me plaisait», résume Pierre Blévin, parti effectuer des missions en milieu reculé et
logistique des programmes scientifiques: en 2013 en terre Adélie, après un master en mener un projet de A à Z».
gestion du fret et du planning des bateaux, conservation de la biodiversité. Ce pas­ Un temps hydrographe en mer Baltique,
entretien des multiples refuges, etc. Loin sionné d’oiseaux marins a «toujours rêvé Etienne a finalement rejoint l’un des labora­
de ses études, mais «ça m’a aidée à savoir d’aller aux pôles», paradis ornithologiques. toires pour lesquels il prenait des mesures
ce que je voulais».
Comme Alexia, une quarantaine de jeu­ «Huis clos de neuf mois»
nes partent chaque année dans les Terres Membre de la même mission, Thibaud « LES JEUNES ACQUIÈRENT
australes et antarctiques françaises (TAAF), Perret, ingénieur informatique, était plutôt DE LA MATURITÉ EN ACCÉLÉRÉ,
sous le régime du VSC. L’Institut polaire attiré par «le huis clos de neuf mois, sans D’AUTANT QU’ILS SONT
français Paul­Emile­Victor (IPEV), basé à retour possible, avec vingt­cinq personnes EN AUTONOMIE TOTALE »
Brest, assure ainsi la pérennité de ses pro­ non choisies et d’horizons très différents».
grammes, destinés notamment à observer Sépanta Aguado Soroush, autre cohiver­ LAURENCE LE MAREC
responsable des RH de l’IPEV
l’évolution du climat. nante, voulait s’accorder «une année dans la
Répartis dans quatre bases (Dumont­­ nature». Mais aussi parfaire son CV: l’ingé­
d’Urville en terre Adélie, Alfred­Faure à nieure en génie des procédés, alors âgée de lors de son VSC. Pierre aussi a pu poursuivre
Crozet, Port­aux­Français à Kerguelen et 24ans, se destinait aux études d’impact dans son labo de rattachement, en thèse.
Martin­de­Viviès sur l’île d’Amsterdam), les industriel et souhaitait développer ses Mais il doute que son passage en Antarcti­
volontaires forment une bonne partie des compétences environnementales. «Je ne que l’aide à intégrer la recherche publique,
troupes, aux côtés des militaires, des scien­ voulais pas intégrer une entreprise comme son objectif. «Le terrain est moins valorisé
tifiques et des contractuels. Nourris et logés, mes camarades, j’avais envie de vivre une que la publication d’articles», regrette­t­il.
ils reçoivent une indemnité mensuelle de aventure hors du commun et de travailler Beaucoup de volontaires ont gardé l’appé­
1000 euros. La mission dure en général pour la science», expose de son côté Etienne tit du voyage. «Cela devient un peu mala­
quatorze mois, dont cinq à neuf d’hiver­ Poirier, ingénieur en hydrographie, parti dif», sourit Thibaud. Lui a enchaîné avec un
nage, pendant lesquels les bases vivent en en 2008 aux Kerguelen, à l’âge de 22ans. autre volontariat, à l’ambassade de France
autarcie, inaccessibles tant par bateau que Sur place, ces jeunes diplômés bac + 5 rem­ en Chine, avant d’entrer au ministère des
par hélicoptère (quatre mois seulement plissent des missions de technicien: effec­ affaires étrangères, en tant qu’ingénieur
pour les Terres australes, entre avril et août). tuer les prélèvements de glace et d’atmos­ réseaux. «Je vais passer les deux tiers de ma
Des conditions extrêmes qui attirent: phère, pour Sépanta ; collecter toutes carrière à l’étranger, et je sais que je suis
l’IPEV a déjà reçu plus de 1000 candidatures sortes de données sur les manchots, capable d’aller à peu près n’importe où.»
cette année pour un départ fin 2018, contre phoques et autres pétrels, pour Pierre; faire élodie auffray

36 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


L
’Afrique, c’est le nouvel eldorado.

Choisir l’Afrique pour


Après un ralentissement ces derniè­
res années, la croissance sur le conti­
nent est repartie, avec un taux de 3 % en 2017

créer son entreprise


et 3,7 % prévus en 2018, d’après la Banque
africaine de développement (BAD). Avec la
montée en puissance d’une classe moyenne,
une population jeune et en très forte pro­
gression – l’Afrique comptera 4 milliards Le grand continent est perçu comme la terre
d’habitants en 2100 –, l’Afrique est perçue
comme la terre de tous les possibles. Les jeu­
de tous les possibles. Les écoles de commerce
nes diplômés français sont de plus en plus y ouvrent des campus et les jeunes diplômés
nombreux à y tenter leur chance.
Adrien Bouillot a lancé au Ghana et en
sont nombreux à tenter leur chance
Côte d’Ivoire ChalkBoard, une application
d’enseignement numérique qui ne néces­
site pas Internet. Marc de Courcel dirige Thierry Sibieude, professeur et directeur se passe sur le terrain et de faire fi des clichés
Optimetriks, au Kenya, une société qui du campus Essec Afrique. Les motivations misérabilistes». Il est aussi indispensable
fournit des données aux entreprises de des jeunes créateurs sont doubles: profiter de se préparer à affronter les différences
biens de consommation et de la distribu­ d’opportunités économiques considérables culturelles. «Pour moi qui suis femme, fran­
tion pour leur permettre d’affiner leur et contribuer au développement du conti­ çaise, blanche et jeune, j’ai dû apprendre les
stratégie commerciale. Tous deux sont nent en donnant ainsi du sens à leur travail. codes et les accepter», relate Louise.
d’anciens étudiants de Sciences Po. Louise Ammin Youssouf, cofondateur d’Afroby­
tes, hub de l’innovation technologique qui «Galère stimulante»
vise à créer un pont entre l’Afrique et le Mais, «attention, avertit Didier Acouetey,
« UNE EXPÉRIENCE EN reste du monde, souligne que «le Rwanda président d’AfricSearch, spécialiste du
AFRIQUE EST UN ATOUT offre les meilleures conditions pour créer développement des ressources humaines
DANS UN CV CAR ELLE son entreprise». Parmi les autres pays por­ en Afrique, la création d’entreprise en Afri­
DÉMONTRE DES CAPACITÉS teurs: le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, que est une galère monumentale, néan­
le Kenya et l’Afrique du Sud. moins stimulante». Les obstacles – que l’on
DE DÉBROUILLE, D’AGILITÉ
Grégoire Schwebig, quant à lui, estime retrouve à des degrés très divers selon les
ET DE CRÉATIVITÉ POUR prudent, afin de limiter les risques, de cinquante­quatre pays du continent – sont
FAIRE FACE À L’IMPRÉVU » s’installer dans plusieurs pays. Sa société, les problèmes d’infrastructures (coupures
THIERRY SIBIEUDE créée au départ au Kenya, est implantée d’eau et d’électricité récurrentes, lignes télé­
directeur du campus Essec Afrique aujourd’hui en Ouganda, au Rwanda, en phoniques et connexions Internet capri­
Tanzanie et en Zambie et va s’étendre pro­ cieuses…), un écosystème d’accompagne­
chainement à quatre autres pays. Les effec­ ment des créateurs encore balbutiant, un
(le prénom a été changé), diplômée de tifs de 115 salariés devraient doubler d’ici accès au financement limité, une adminis­
l’Essec, a créé, au Burkina Faso, un incuba­ la fin de l’année. tration jugée inefficace… Sans oublier la
teur d’entrepreneurs sociaux. Egalement corruption endémique.
diplômé de l’Essec, Grégoire Schwebig a «Faire fi des clichés misérabilistes» Enfin, Guillaume Imbert, cofondateur du
donné naissance en 2014 au Kenya à Haus­ Concernant les secteurs, les technologies cabinet de chasseur de têtes Adexen, spé­
smann Group (immobilier professionnel). et le numérique appliqué à l’agriculture, à cialiste de l’Afrique, estime qu’«une vision
Les écoles accompagnent cet engoue­ l’éducation, à la santé ou aux services de à moyen­long terme est indispensable, car
ment et ouvrent des campus sur le conti­ proximité (transport, livraison…) ont le construire ses réseaux demande du temps».
nent. Ainsi, depuis 2017, l’Essec offre sur vent en poupe. Mais quoi qu’il arrive, un échec n’aura rien
son campus de Rabat (Maroc), en partena­ Autre défi pour les jeunes créateurs: le de définitif. «Une première expérience en
riat avec Centrale Casablanca, un pro­ recrutement. «Il est difficile pour une petite Afrique est un atout considérable dans un CV,
gramme d’une durée de six mois consacré structure comme la nôtre qui compte huit car elle démontre des capacités de débrouille,
à la création d’entreprise en Afrique. personnes d’attirer les talents qui sont rares d’agilité et de créativité pour faire face à l’im­
« Nous proposons trois mois de cours et et donc chers», explique Adrien Bouillot. prévu», souligne Thierry Sibieude. Mais que
trois mois de mission entrepreneuriale. Marc de Courcel conseille aux jeunes ceux qui aiment les choses organisées et
En 2017, vingt­deux étudiants y ont parti­ diplômés de «décrocher dans un premier prévisibles passent leur chemin.
cipé. Ils sont trente cette année», explique temps un stage, histoire de voir comment ça myriam dubertrand

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 37


d o s s i e r | l’international pour se lancer

Retourner en Algérie pour faire carrière


Parmi les Algériens qui ont étudié à l’étranger, quelques­uns souhaitent revenir
au pays pour travailler. Comment se passe leur intégration professionnelle?

Alger (correspondance) C’est également l’envie d’entreprendre correspondait à mes aspirations, explique­
«dans un marché présenté comme vierge», t­elle. On me proposait des packages [carac­

L
’Algérie: mine d’opportunités ou so­ qui a motivé Adlen Berkani à s’installer en téristiques du contrat] de locaux, ce qui
ciété sclérosée ? A propos d’épa­ Algérie. Ce start­upeur globe­trotteur de n’était pas acceptable vu mon background».
nouissement professionnel, l’opti­ 26 ans, passé par Polytechnique à Lau­ Elle trouvera finalement satisfaction au
misme des Algériens diplômés à l’étranger sanne, Cambridge, HEC Paris, et fraîche­ service finance de Toyota Algérie.
contraste avec le pessimisme de ceux res­ ment revenu de la Silicon Valley, a voulu Même tactique pour Amine Hamdad,
tés au pays. En 2016, 1 540 000 étudiants 30ans, responsable de la communication
étaient inscrits dans les universités algé­ pour Renault Algérie: «C’est en sollicitant
riennes, alors que 22 660 Algériens étu­ « L’AVANTAGE POUR le réseau des anciens élèves de l’Essec, dont
diaient en France, première destination ENTREPRENDRE ICI C’EST je venais d’être diplômé, que j’ai pu décro­
étrangère très loin devant le Canada et QUE LES COÛTS SONT TRÈS cher des entretiens en Algérie.»
l’Arabie saoudite. Aucun chiffre officiel ne COMPÉTITIFS, D’AUTANT
donne la proportion de ceux rentrés au «Rester humble»
PLUS QUE L’ÉTAT FOURNIT
pays, mais il semble que la grande majorité Pour ceux qui manquent de réseau, des ini­
choisisse de rester à l’étranger. Ceux qui
DES AIDES POUR PAYER tiatives comme France Alumni Algérie et la
sont revenus racontent. LES EMPLOYÉS » Fondation Atlas œuvrent pour créer du lien
«Mes deux années en France m’ont ouvert ADLEN BERKANI entre diplômés et recruteurs algériens, par la
les yeux sur la réalité de l’Algérie», explique fondateur de la start­up UniCoorp mise en place d’événements, d’annuaires et
Imène Benchaouche, assise à la terrasse de plates­formes d’offres d’emplois.
d’un café du centre d’Alger. A 28ans, après Encore faut­il savoir comment sont per­
avoir exercé pendant près de deux ans tenter l’expérience algérienne en créant, il çus les diplômes étrangers. Certains noms
comme avocate en Algérie, elle avait repris y a un an, UniCoorp, une start­up de for­ de grandes écoles ou d’universités ont leur
ses études en 2012 pour faire un master mation en ligne. lot de prestige, mais en Algérie c’est avant
Carrières internationales à Clermont­ « L’avantage pour entreprendre ici c’est
Ferrand (Puy­de­Dôme). Puis une fois di­ que les coûts sont très compétitifs, d’autant
plômée, contre l’avis de ses parents qui lui plus que l’Etat fournit des aides pour payer « C’EST EN SOLLICITANT LE RÉSEAU
conseillaient de travailler en France, elle a les employés et que je n’ai quasiment pas de DES ANCIENS ÉLÈVES DE L’ESSEC,
souhaité revenir. «En France, tout a été fait charges», explique­t­il, dans ses nouveaux DONT JE VENAIS D’ÊTRE DIPLÔMÉ,
dans le milieu associatif, alors qu’ici il y a locaux à Rouïba, petite ville commerçante QUE J’AI PU DÉCROCHER
énormément à faire», explique­t­elle. en banlieue d’Alger. Par contre, le côté né­
DES ENTRETIENS EN ALGÉRIE »
gatif, c’est que certaines personnes ont du
«Développer l’associatif» mal à accepter le changement, et les codes AMINE HAMDAD
responsable de la communication
Imène Benchaouche profite alors de sont difficiles à casser.» pour Renault Algérie
son stage de fin d’études pour mettre un Mais tout le monde n’est pas porteur de
pied dans le milieu des organisations projet personnel; pour être recruté sur un
non gouvernementales (ONG) à Alger. emploi salarié, le bouche­à­oreille par les tout l’expérience et les compétences qui
Elle travaillera pendant deux mois pour réseaux est la règle d’or. Après une dizaine priment. Grâce à son stage à Amnesty
Amnesty International. Une expérience d’années passées en France, à étudier puis International, Imène Benchaouche a pu
qui renforcera son ambition profession­ à travailler dans le domaine de la finance, décrocher dans la foulée un poste de char­
nelle de « faire du soutien aux personnes c’est ainsi qu’Amina Ettayeb, 34ans, a dé­ gée de plaidoyer à Médecin du Monde
et participer au développement de l’asso­ croché des entretiens. «Cela m’a pris envi­ (MDM), puis un autre poste de chargée de
ciatif en Algérie ». ron quatre mois pour trouver l’emploi qui mission au sein du programme Joussour. …

38 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


JOCELYN COLLAGES POUR « LE MONDE »

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 39


d o s s i e r | l’international pour se lancer

« ICI, L’ENTREPRISE EST


BASÉE SUR UN MODÈLE
… «Ce sont principalement mes expériences travail, «travailler en Algérie, c’est être un
FAMILIAL : C’EST LE BOSS
dans l’associatif qui ont permis mes embau­ “solution maker”, ajoute Amine Hamdad. Le
QUI DÉCIDE. TU NE PEUX
ches», affirme­t­elle. Amine Hamdad con­ pays est en pleine évolution, ce qui implique
firme. Pour lui, pas question de croire qu’un de nombreuses contraintes auxquelles il faut
PAS CHALLENGER TON
diplôme étranger est plus convainquant sans cesse trouver des solutions». Les diplô­ SUPÉRIEUR, OU LUI DIRE
qu’un diplôme algérien: «Ici, il faut gagner més revenus de l’étranger se tournent sou­ QUAND TU N’ES PAS
la confiance des gens, faire attention à ce que vent vers les firmes étrangères pour trou­ D’ACCORD »
l’on dégage, et rester humble sous peine ver un management qui leur correspond. AMINA ETTAYEB
d’être rejeté. Mais l’évolution professionnelle Ainsi, à son retour, Amina Ettayeb n’a service finance de Toyota Algérie
peut être très rapide.» Niveau conditions de postulé qu’auprès de groupes interna­

tionaux « pour trouver un environnement


assez cadré, avec des normes et des pro­
INTERVIEW
cédures. D’autant plus qu’ici l’entreprise
classique est basée sur un modèle familial :
c’est le boss qui décide. Tu ne peux pas chal­
« Les multinationales lenger ton supérieur, ou lui dire quand tu
n’es pas d’accord ».
ont besoin de profils
à double culture » Masculinité et harcèlement
DR

«Je me sens beaucoup plus encadrée par


Adel Haddoud mes supérieurs qui font souvent allusion à
président d’Atlas Algérie et directeur général de SCMI mon jeune âge », explique, de son côté,
Yasmina Joualli. Cette juriste de 27 ans,
Créée en France en 2010, l’association Atlas Qu’est­ce qui a motivé la création d’Atlas ? revenue en Algérie après une licence et un
(Algerian Talents & Leaders Association) Au cours des années 2000, les fondateurs master de droit à Aix­en­Provence, exerce
a été lancée il y a un an en Algérie. d’Atlas, jeunes actifs et étudiants algériens désormais dans une société française de
Son ambition est de « créer une nouvelle installés en France, ont constaté que notre catering (service de plateaux­repas).
génération de leadeurs algériens », explique nationalité était sous­représentée dans des Niveau ambiance : « Je trouve les gens un
Adel Haddoud, président d’Atlas Algérie filières prestigieuses françaises comme HEC, peu moins extravertis qu’en France, décrit­
et directeur général de SCMI, Polytechnique ou l’université Paris­Dauphine. elle. Pour les femmes, le retour au monde
filiale algérienne de LafargeHolcim. Cela pouvait s’expliquer par la coupure que professionnel algérien implique aussi de
l’Algérie avait subie avec le reste du monde se faire une place dans un environnement
Comment l’association Atlas participe­ durant la décennie noire des années 1990. dominé par les hommes. «Quasiment tous
t­elle à la création d’une nouvelle Il y avait aussi un déficit de communication les postes­clés sont occupés par des hom­
génération de leadeurs ? en Algérie sur ces formations, et aucun mes», regrette Yasmina Joualli.
Notre première action est d’exister en tant cursus préparatoire. Par la suite, nous avons La masculinité de l’espace public et le
que réseau. Ainsi, les jeunes qui souhaitent constaté un autre manque d’informations harcèlement de rue sont les principaux
intégrer des formations d’excellence sur les opportunités professionnelles points noirs pour les Algériennes revenues
ou qui ont un projet professionnel peuvent disponibles en Algérie, ce qui n’incitait pas aux pays, c’est pourquoi elles limitent
nous écrire et, si nous en avons les moyens, les diplômés à revenir au pays. leurs déplacements à pied : « le seul mo­
nous tenterons de les guider, de leur ouvrir ment où je peux me défouler c’est à la salle
des portes. Historiquement, nos membres Comment définiriez­vous le monde de sport», explique Yasmina Joualli.
sont investis dans des filières liées professionnel algérien ? Enfin, pour la vie quotidienne, les « reve­
au commerce et à l’ingénierie. Nous mettons C’est un environnement avec ses spécificités : nus » affirment qu’ils savaient à quoi
aussi en place un système de « mentoring » ceux qui envisagent de calquer des modèles s’attendre. Ils se satisfont avec optimisme
de jeunes talents accompagnés par occidentaux pourraient être déçus. de la progression de l’offre culturelle et
des cadres algériens. Mais il y a beaucoup de potentiel en matière des infrastructures sportives disponibles
Enfin, nous organisons régulièrement de création d’entreprises et de postes en Algérie, bien qu’elles soient encore
des événements et des conférences pour à pourvoir dans des multinationales qui limitées. Ils soulignent aussi que revenir
permettre les retours d’expérience ont besoin de s’appuyer sur des profils en Algérie, c’est retrouver ses origines, sa
de professionnels en Algérie et à l’étranger, à double culture, maîtrisant à la fois les codes famille et sa culture auxquelles tous sont
afin de favoriser le partage de savoir avec occidentaux et algériens. très attachés.
la diaspora algérienne. ca. la. camille labeiro

40 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


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d o s s i e r | l’international pour se lancer

En Colombie, les jeunes mettent


leurs diplômes au service de la paix
Ils ont grandi avec la guerre et intègrent le monde du travail. Ils souhaitent
reconstruire l’économie grâce à tous les démobilisés

Bogota (envoyées spéciales) avec l’ordinateur, on devait se débrouiller AgroRed, une plate­forme d’information à
avec un papier et une équerre ». L’étudiant destination des agriculteurs des zones les

F
in 2016, l’accord de paix signé entre apprend aussi à se débarrasser de ses plus touchées par le conflit. Soixante­qua­
le gouvernement colombien et la a priori sur les guérilleros. « Au début, j’ap­ torze entrepreneurs en herbe ont ainsi par­
guérilla des Forces armées révolu­ préhendais. Je me disais que dans une salle ticipé au concours.
tionnaires de Colombie (FARC, extrême de classe avec des démobilisés, il y aurait
gauche) met fin à cinquante­trois ans de des bagarres. J’ai découvert des personnes Casser les idées reçues
conflit sanglant. Mais que sont devenus les plus démunies qu’aguerries. Mais tous Parmi les projets suivis par « PeaceStart­
guérilleros démobilisés ? Et s’ils met­ étaient très motivés. » up » pour les introduire auprès des gran­
taient leur force de travail pour construire Fort de ce constat, le Colombien âgé de des organisations internationales souhai­
une nouvelle Colombie au service de l’in­ 26 ans a lancé Obras de Paz, un projet de tant s’investir dans le post­conflit, beau­
dustrie du bâtiment, un secteur gour­ plate­forme d’intermédiation entre ex­ coup auront la vie courte. « Certains
mand en main­d’œuvre ? Voilà les ques­ guérilleros et entrepreneurs du bâtiment. projets reposaient sur le paternalisme, soit
tions que se pose Henry Gualdron au mo­ «Les entrepreneurs choisissent la discipline du secteur privé, soit de la coopération in­
ment d’écrire sa thèse en architecture à qui les intéresse, et sont alors mis en rela­ ternationale, mais n’étaient pas viables »,
l’université de Bucaramanga, dans l’est du tion avec des travailleurs qualifiés. Quant raconte son cofondateur, Juan Andres
pays. Connue pour son boom immobilier, Cano. « Nous croyions que le passage de
cette belle ville attire, comme tous les l’incubation à l’entreprise était aisé. Or c’est
grands centres urbains, de nombreuses « PARFOIS, UN SIMPLE tout le contraire. D’autant plus quand on a
personnes démobilisées. BUSINESS DE VÉLOS PEUT essayé de faire incuber des projets dans des
Henry Gualdron a pourtant eu du mal à AVOIR PLUS D’IMPACT régions reculées, c’était une erreur », assu­
trouver un professeur qui veuille bien par­ QU’UNE START­UP METTANT me­t­il. Juan Andres Cano explique avoir
rainer sa thèse. Et pour cause: le corps pro­ alors changé de stratégie.
LA ROBOTIQUE
fessoral est choqué. «L’université n’a pas Exit les projets trop abstraits, sédui­
bien réagi, on me prenait pour un fou. Même
AU SERVICE DE LA PAIX » sants sur le papier, mais irréalisables.
mes amis préféraient éviter de parler de mon JUAN ANDRES CANO Priorité aux initiatives concrètes, de la
sujet, se souvient Henry Gualdron. Dans les cofondateur de « PeaceStartup » vente d’aliments à la mise en place de
villes, où les personnes n’ont pas directement transports. « Quitte à renoncer à l’aspect
été touchées par la violence, rares sont ceux innovant et technologique. Parfois, un
qui s’intéressent à la paix», remarque­t­il. aux candidats, nous vérifions leur profil et simple business de vélos peut avoir plus
les renseignons sur les formations disponi­ d’impact qu’une start­up mettant la robo­
Priorité aux initiatives concrètes bles si besoin», explique­t­il. tique au service de la paix. »
Mais le jeune étudiant s’entête. Il se ren­ A l’image d’Henry Gualdron, de plus en C’est le cas de Bogbi, entreprise de fabri­
seigne sur les programmes de formation plus de jeunes Colombiens mettent leurs di­ cation de vélos cargos installée à Bogota,
mis en place par le gouvernement à desti­ plômes au service de la paix. Un marathon dans un immeuble de brique rouge typi­
nation des « démobilisés », et va jusqu’à digital récompensant les meilleures initiati­ que du centre­ville de la capitale. Au rez­de­
suivre un cours en construction fréquenté ves au service de la paix, le «PeaceStartup», chaussée, vélos, machines et outils s’entas­
par d’anciens guérilleros. Une expérience a même été organisé en 2015. Obras de Paz sent dans la partie atelier, tandis que, à
« bouleversante. Ce n’est pas comme à la en a été le lauréat, suivi par Drominando, l’étage, on travaille au son des tubes de
fac où on fait beaucoup de théorie. Là, le qui utilise des drones pour détecter et salsa dans un open space consacré aux der­
mur, tu le construis ! Fini les plans en 3D désactiver les mines antipersonnel, puis nières trouvailles en matière de bicyclette.

42 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


JOCELYN COLLAGES

Un géographe norvégien, Sigurd Kihl, et Nord, où ce moyen de transport est popu­ au narcotrafic, à la guerre civile ou à la
un ingénieur colombien, Eduardo Moreno, laire. « Ce secteur est en développement en guérilla… Notre projet permet de parler
sont à l’origine de ce projet qui veut former Colombie. Nos étudiants disposeront ainsi autrement du pays. »
des populations vulnérables – ex­FARC des bases nécessaires pour y travailler En plus de vouloir contribuer à la cons­
démobilisés, déplacés du conflit, etc. – à la ensuite ou créer leur propre entreprise en truction de la paix à travers l’économie et
fabrication de vélos cargos. Ces grands vélos, fabrication, réparation, dépannage, ou l’emploi, ces projets font avancer d’autres
idéaux pour transporter les enfants, sont livraison », explique Eduardo. chantiers. Ainsi Rural Data Science, porté par
ensuite exportés et vendus, en partenariat Pour Sigurd, ce projet a aussi l’avantage trois jeunes Colombiens, Juan Sebastian
avec l’ONG suisse Terre des hommes de casser les idées reçues: «En Europe, la Sandinos, Martha Castellanos et Luisa Torres,
notamment, dans les pays d’Europe du Colombie est encore souvent associée sensibilise les entreprises à l’importance …

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 43


d o s s i e r | l’international pour se lancer

par exemple, c’était le mal.» C’était avant de


rencontrer la documentariste colombienne
Patricia Ayala, qui lui fait lire les récits de
différents acteurs du conflit.
CE SONT SURTOUT LES CAMPAGNES Depuis, Alvaro Triana a une vision moins Teresa Gallegas, 26 ans, a rencontré des
QUI ONT VOTÉ EN FAVEUR manichéenne du conflit, et essaie de bous­ victimes pour enrichir le travail de docu­
DE L’ACCORD DE PAIX. LES VILLES, culer les idées reçues à travers Reconstruc­ mentation pour le jeu vidéo. «En Colom­
ELLES, VOIENT D’UN MAUVAIS ŒIL cion, un jeu vidéo à choix multiples per­ bie, le conflit reste invisible dans les villes,
mettant d’adopter le point de vue des pro­ abonde­t­elle, les citadins sont peu ou mal
L’ARRIVÉE DES ANCIENS
tagonistes du conflit armé, dans une visée informés. Mais c’est bien dans les villes que
COMBATTANTS éducative. Le choix du jeu vidéo comme la population des démobilisés va augmen­
outil pédagogique a de nombreux avanta­ ter dans les années à venir, car c’est là que se
ges. «D’abord, les joueurs ne s’attendent pas trouvent les employeurs. » Alors, pour le
… stratégique des datas (données informa­ à ça et ne viennent donc pas avec leurs a lancement du jeu vidéo à Bogota, l’équipe
tiques). «Nous formons des populations en priori. Ensuite, le jeu vidéo permet une vraie de Reconstruccion n’a pas oublié de convier
situation de vulnérabilité aux datas sciences, interaction. Enfin, il atteint un public bien d’anciens paramilitaires, guérilleros et vic­
en nous appuyant sur le réseau de cafés Inter­ plus large», explique Alvaro. Le jeu a été té­ times. Ce n’était plus un jeu vidéo: l’espace
net développé par le gouvernement dans les léchargé 5400 fois sur Apple, et 5700 sur d’une soirée, les invités ont vraiment
zones rurales du pays», résume Martha, Android. Surtout, il a été installé dans tous appris à accepter et pardonner.
attablée devant un jus de fruits exotiques frais les ordinateurs distribués par le gouver­ léonor lumineau
dans un café branché du centre de Bogota. nement dans les collèges du pays. Juana et margherita nasi

Piercing et crâne rasé


« Les sociétés colombiennes paient pour Ils forment des ex­guérilleros au tourisme
récupérer des données, mais elles ne s’en
servent pas assez, c’est dommage. Une en­ En France aussi, certains jeunes entrepreneurs des listes de l’Agence colombienne pour
treprise de café, par exemple, a tout intérêt ont les yeux rivés sur le processus de paix la réintégration (ACR). « En 2019, nous vou­
à savoir quel impact a tel ou tel pesticide sur colombien. Luis Alejandro Davila, 29ans, drions créer une agence réceptive [spécialisée
sa production. Pas besoin pour cela d’avoir Colombien ayant étudié en France, Marion dans l’accueil des étrangers] organisant des
un ingénieur surdiplômé, il suffit d’avoir Passier et Iris Lucidarme, 23ans, se sont séjours et des circuits locaux basés sur du tou­
une main­d’œuvre peu coûteuse formée rencontrés à l’Institut de recherche et d’études risme responsable, où nous pourrons employer
aux bases des datas sciences, qui puisse ré­ supérieures du tourisme (Irest), et ont décidé une partie des étudiants formés », ajoute Iris.
cupérer ces données, les nettoyer, puis les de miser sur ce pays prometteur en termes Les autres, armés de leur diplôme « d’agent de
classer, avant de les remettre à un ana­ de développement du tourisme. voyages et tourisme », pourront aller démar­
lyste», détaille Luisa. Cette ingénieure sou­ En avril 2017, ils ont fondé l’association cher les hôtels et agences de voyages de la
ligne l’aspect donnant­donnant du projet, Nouvelle Colombie. Son but : œuvrer pour région. « Il y a bien sûr cette incertitude, tant la
qui a en outre l’avantage de former les po­ la réinsertion professionnelle de jeunes société colombienne est marquée par le conflit :
pulations ciblées sur leur territoire de vie, Colombiens ex­guérilleros, victimes les chefs d’entreprise seront­ils prêts à embau­
et en relation avec les besoins et réalités de déplacement forcé, ou de la population cher d’anciens combattants, par exemple ?
des entreprises locales, et non de les en­ indigène en situation de vulnérabilité, Peut­être, si on leur dit que les touristes fran­
voyer travailler ailleurs, loin de leurs repè­ en les formant à devenir des professionnels çais seront intéressés. » Le groupe compte
res, dans des villes où les démobilisés sont du tourisme pour le public français. aussi organiser des journées portes ouvertes
souvent mal perçus. « Avec les accords de paix, c’est l’un des secteurs pour que les employeurs puissent rencontrer
Car la paix s’est construite là où a frappé la qui se développent le plus en Colombie, les étudiants et mettre leur a priori de côté.
guerre: ce sont surtout les campagnes qui beaucoup d’agences de voyages sont créées. Ce projet baptisé «Tourisme en temps de paix»
ont voté en faveur de l’accord de paix lors du Parallèlement, la paix durable ne peut se faire permet aussi de valoriser les savoir­faire des
référendum d’octobre 2016, alors que les sans insertion économique des anciennes personnes formées, qui ont déjà une connais­
villes sont plus réfractaires et voient d’un parties prenantes du conflit », détaille Marion. sance fine de leur région. «Nous complétons
mauvais œil l’arrivée des anciens guéril­ par une formation en tourisme et leur donnons
leros. Là aussi, des jeunes Colombiens Une première promotion les outils pour utiliser leurs savoirs inexplorés,
essaient de faire bouger les lignes. Bras Pour cela, Luis Alejandro, Iris et Marion comme la cuisine ou les danses locales»,
couverts de tatouages, piercing et crâne rasé, montent actuellement un centre de formation explique Iris. Pour mener à bien leur projet,
Alvaro Triana a un look très urbain, et les dans la région des Caraïbes colombiennes, Alejandro, Iris et Marion ont estimé le coût
mêmes a priori que les habitants des gran­ à Santa Marta. D’ici à la fin de l’année, de leur centre de formation à 150000 euros.
des villes: «La frontière entre le bien et le mal il devrait accueillir une première promotion l. lum. et m. na.
était très nette pour moi: les paramilitaires de dix à vingt élèves, sélectionnés à partir bogota (envoyées spéciales)

44 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Josiane, Tatiana et Megan ont, elles aussi,
fini par créer leur entreprise, Aux portes
des USA, une société de conseil… sur la
meilleure façon d’organiser son arrivée sur
le sol de l’oncle Sam. Elles réécrivent les CV
des petits nouveaux, jouent les intermé­
diaires avec les entreprises sponsors ou en­
core aident à la recherche d’un logement.

LerêveaméricaindeThéo,
«Il faut avoir des lettres de motivation en
béton au format américain, disent les trois
jeunes femmes de 27ans. Sinon, les recru­

Josiane,Tatiana...
teurs ne les regardent même pas.»

Mariage et carte verte


Josiane s’est mariée avec un étudiant amé­
Ils ont réussi à travailler aux Etats­Unis, non sans mal. ricain. Elle dispose donc d’une carte verte et
a été nommée directrice générale de l’entre­
La persévérance est la clé de la réussite prise. En tant que telle, la patronne est en
train de demander un visa E d’employées
«essentielles» pour ses deux amies. En clair,
New York (correspondance) de région pour s’intéresser aux start­up le trio doit démontrer qu’il apporte une
new­yorkaises. Et là, une plate­forme qui vraie valeur ajoutée à son pays d’accueil.

I
l n’est pas facile de trouver un premier trouvait des castings aux mannequins et Josselin a aussi trouvé son salut avec le visa
emploi aux Etats­Unis. Ceux qui y arri­ acteurs lui a dit oui pour un stage rémunéré E2. Il a fini par rencontrer à New York un in­
vent empruntent souvent des chemins d’un an. Mais au bout de quelques mois, la vestisseur français, prêt à embaucher un
détournés. Ils viennent en étudiant, s’obs­ start­up a fait faillite. Josselin a dû rapide­ autre Français pour développer aux Etats­
tinent en tant que stagiaire… avant de trou­ ment actionner son réseau sur New York. Unis son site de lingerie en ligne, Adore Me.
ver la vraie porte d’entrée. Josiane Marshall, Tatiana Biabiany et L’avantage du E2, c’est qu’il n’y a pas de
Josiane, Tatiana, Megan, Théo, Josselin… Megan Belli ont, elles, emprunté une voie quota. Et l’aventure Adore Me a réussi. La
Tous vivent et travaillent aujourd’hui aux légèrement différente, et plus longue. Les poignée de jeunes salariés s’est transfor­
Etats­Unis. Mais le voyage France ­ Etats­ trois amies sont venues étudier sur le sol
Unis n’a pas été un aller simple. Il y eut de l’oncle Sam, dans le cadre d’un pro­
quelques allers­retours, des périodes de gramme d’échange avec leurs écoles fran­ « ON NE PEUT PAS VENIR
doutes, des moments où ils ont failli flan­ çaises. Josiane s’est retrouvée à la Nicholls AUX ÉTATS­UNIS SI ON N’A
cher. «C’est un catch 22», résume Théo Né­ State University, en Louisiane, et ses deux PAS D’EMPLOI, ET ON NE PEUT
gri, 30ans, brillant ingénieur informati­ collègues à UCLA, en Californie. Une fois PAS AVOIR D’EMPLOI SI ON
cien. La référence au best­seller de Joseph diplômées, elles ont décroché leur OPT
N’EST PAS AUX ETATS­UNIS »
Heller (1923­1999) paru en 1961 met l’accent (Optional Training), un visa de travail d’un
THÉO NÉGRI
sur les injonctions paradoxales de l’admi­ an leur permettant d’être stagiaire dans ingénieur informaticien
nistration américaine. «On ne peut pas une entreprise locale.
venir aux Etats­Unis si on n’a pas d’emploi, En fait, peu importe le point d’entrée sur
explique Théo. Et on ne peut pas avoir d’em­ le marché, il démarre souvent par un stage. mée en PME de 150 personnes. Et Josselin
ploi si on n’est pas aux Etats­Unis.» Les jeunes diplômés apprennent vite à na­ est devenu son expert marketing en réten­
viguer entre les sigles des visas de travail: J1, tion de clientes. Le jeune cadre, désireux
Le H1B de trois ans renouvelable F1, E1, E2… Le H1B de trois ans renouvelable de partager son expérience, vient de créer
Alors que faire ? « Trichez, suggère­t­il. trois autres années est l’un des plus prisés, un guide gratuit unjobpouralex.fr.
Prétendez que vous êtes un touriste avec un mais il est très aléatoire. Car le nombre de Poursuivre son rêve américain, c’est possi­
visa de trois mois et prospectez sur place les candidats étrangers dépasse largement le ble, assure­t­il. «J’aime l’énergie de New York,
entreprises de la Silicon Valley, afin d’en quota annuel, et l’administration améri­ j’ai l’impression d’être au centre du monde»,
trouver une qui deviendra votre sponsor.» caine tire au sort les dossiers qui sont exa­ s’enthousiasme­t­il. Lui qui, il y a encore peu,
Petit détail: au passage des services de l’im­ minés. Théo a échoué. Josselin aussi. recherchait frénétiquement un stage, reçoit
migration, à l’aéroport, on vous deman­ Théo a même dû un temps s’en aller tra­ dorénavant chaque semaine trois à quatre
dera si vous venez chercher un emploi. «La vailler aux Philippines dans la filiale de courriers électroniques de chasseurs de tête.
réponse est non, bien sûr.» Vous n’êtes ni son employeur américain pour rester Mais attention, tempère­t­il, «on travaille
communiste ni en recherche d’emploi. coûte que coûte en contact. Puis il a créé plus qu’en France». Théo lui aussi prend du
Josselin Petit Hoang, 28ans, un ancien de sa propre entreprise, s’est auto­sponso­ recul. «Je me suis battu pour rester aux Etats­
l’école de management ESSCA, a voulu mal­ risé et a fini par décrocher le saint Graal : Unis, reconnaît­il. Mais plus j’y suis, plus je
gré tout démarrer l’aventure depuis la la carte verte. Aujourd’hui, il est employé vois les défauts.» Le coût de la vie à San Fran­
France. Il a pris une année de césure et a en­ par Rain Forest, un expert en assurance cisco est si élevé qu’il ne peut pas s’acheter
voyé quarante candidatures en Californie. qualité de logiciels. Il y gagne près de un appartement. Même pas en rêve.
Personne ne lui a répondu. Il a alors changé 150 000 dollars par an. caroline talbot

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 45


d o s s i e r | l’international pour se lancer
le Brexit, restent valables. «D’ailleurs, les
employeurs avec lesquels on travaille n’arri­
vent pas à recruter assez de monde, conti­
nue M. Dufresne. Si on avait cent personnes
de plus tout à coup, on pourrait facilement
leur trouver un emploi.»
Tout cela ne signifie pas que le Brexit ne
pose pas de sérieuses questions pour l’ave­
nir. Pierre Marc est un jeune avocat fran­

Le Royaume­Uni attire
çais de 24ans. Il s’est installé à Londres en
septembre 2016, juste après le référendum.
«J’ai beaucoup hésité à tout annuler, je crai­

toujours, malgré le Brexit


gnais de vivre dans un climat hostile contre
les étrangers.» Il est rassuré de ce côté­là,
particulièrement dans la capitale britanni­
que où il rencontre plutôt des personnes
L’incertitude pèse sur la reconnaissance européenne regrettant le Brexit.
des diplômes britanniques. Le solde migratoire Des inconnues
baisse mais reste positif Mais ce spécialiste de l’arbitrage commer­
cial fait face à de vraies inconnues. «Je vais
prêter serment en août 2019, soit quatre mois
Londres (correspondance) migratoire net (90 000) est en baisse de après l’entrée en vigueur officielle du Brexit
25 % par rapport aux douze mois précé­ [prévue fin mars 2019]. Cela veut probable­

L
e 24 juin 2016, Céline Dubois avait dents, mais il reste clairement positif. Pour ment dire que mon diplôme d’avocat britan­
« les larmes aux yeux ». Ce jour­là, la seule Europe de l’Ouest – les quinze pays nique ne sera pas reconnu automatiquement
quand le résultat du référendum sur membres de l’Union européenne (UE) en France, alors qu’il l’aurait été normalement
le Brexit a été connu, la jeune Belge de avant l’élargissement de 2004 –, le solde a par la directive européenne sur les professions
33 ans a été tout près d’abandonner son baissé de moitié, mais demeure de 41000. libérales.» Il est possible que les négociations
projet. Assistante de direction mais détes­ entre Londres et Bruxelles s’accordent sur ce
tant son emploi, elle rêvait de partir à Période de transition sujet, mais c’est très incertain.
Londres, pour faire une formation de tra­ Le bilan statistique précis pour les Fran­ Tous les arrangements institutionnels
ductrice et y commencer sa carrière. «J’ai çais n’est pas encore connu. Seule indica­ sont aussi remis en cause. Parallèlement
sérieusement envisagé de tout annuler.» tion, les demandes d’inscription à la sécu­ au Centre Charles­Péguy, M. Dufresne di­
Finalement, l’attraction de Londres a été rité sociale britannique par des Français ont rige le Centre d’échanges internationaux
la plus forte. Elle s’y est installée en sep­ baissé de 12 % en 2017, à 23000. Et au Centre (CEI), qui s’occupe notamment de trouver
tembre 2017, et après une formation à l’uni­ Charles­Péguy, une association dans l’est de des stages et des familles d’accueil pour
versité de Westminster, elle commence Londres qui aide les jeunes francophones des lycéens. Beaucoup font partie du pro­
actuellement une carrière de traductrice cherchant un emploi, le constat est simi­ gramme Erasmus +.
français­anglais à son compte. «Je me suis laire. «On avait 800 membres avant le réfé­
rendu compte que le Brexit allait être un rendum, et on est tombé à 650 dans les mois
processus très long et très compliqué. Rien qui ont suivi, explique Thibault Dufresne, «AU DÉBUT, ON NOUS
n’a changé pour l’instant. Est­ce que cela son directeur. Depuis, ce niveau reste stable. DEMANDAIT SI LES EMPLOYEURS
finira par rendre notre vie quotidienne plus Le recul s’est arrêté.» ALLAIENT RÉCLAMER
difficile? Je ne sais pas mais je me suis dit Il constate aussi que l’avalanche de ques­ UN PERMIS DE TRAVAIL. ÇA S’EST
qu’il fallait tenter et même accélérer ma tions et d’inquiétudes liées au Brexit s’est
BEAUCOUP CALMÉ»
venue avant que le Brexit ne soit effectif.» légèrement tarie. « Au début, on nous
De plus, les raisons de son attirance pour la demandait si un visa allait être nécessaire, THIBAULT DUFRESNE
directeur du Centre Charles­Péguy
capitale britannique n’avaient pas changé. ou si les employeurs allaient réclamer un
«Londres a toujours représenté une sorte de permis de travail. Ça s’est beaucoup calmé.»
rêve américain pour moi.» Là encore, il est devenu évident que le Désormais, l’Union européenne recom­
Comme Céline Dubois, Français et Euro­ Brexit n’avait pas encore eu lieu et que rien mande officiellement que les visites au
péens continuent à venir au Royaume­Uni ne changerait dans l’immédiat. «Londres Royaume­Uni financées dans ce cadre
depuis le Brexit. Le vote a provoqué un et Bruxelles viennent de trouver un accord soient effectuées avant mars 2019. «Les de­
choc indéniable : les arrivées ont forte­ pour mettre en place une période de tran­ mandes au CEI à Londres ont beaucoup
ment ralenti, mais elles ne se sont pas pour sition jusqu’à fin 2020 [pendant laquelle baissé, mais elles ont inversement beau­
autant arrêtées. Les Européens qui vien­ les règles actuelles ne changeront pas]. Ça coup augmenté à notre bureau de Dublin»,
nent s’installer outre­Manche restent net­ nous donne un peu de visibilité.» explique M. Dufresne. Dans cette affaire,
tement plus nombreux que ceux qui par­ Le dynamisme du marché de l’emploi et l’Irlande, l’autre pays anglophone de l’UE,
tent. D’octobre 2016 à septembre 2017, l’apprentissage de l’anglais, qui sont les qui reste dans les institutions européen­
220000 citoyens de l’Union européenne deux principales raisons pour lesquelles nes, pourrait être le grand gagnant.
sont arrivés et 130000 sont partis. Le solde les Français venaient outre­Manche avant éric albert

46 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Ils ont choisi d’être ambassadeurs
de la « start­up nation »
Des réseaux d’entrepreneurs high­tech français se sont lancés à la conquête
du monde en 2015. Depuis, le nombre de « French Tech hubs » ne fait que croître.
Témoignages de start­upeurs

U
n train, soixante personnes et une maillage national des «Métropoles French programmes d’accélération. Les hubs
vingtaine de start­up se retrou­ Tech », se trouve la Mission French Tech, s’appuient sur un pool de mentors qui
vent à la gare de Perpignan (Pyré­ une petite équipe d’une dizaine de person­ connaissent bien l’écosystème local et qui
nées­Orientales) pour un trajet digital nes basées à Paris, au ministère de l’écono­ sont prêts à aider les nouveaux venus. A
direction Madrid, via Barcelone. En route, mie et des finances. New York, Jonathan Benhamou endosse
les entrepreneurs en herbe « pitchent » «Il y avait beaucoup d’entrepreneurs fran­ ce rôle d’ambassadeur.
leur projet, discutent avec des coachs, ren­ çais à l’étranger, mais ils étaient dispersés.
contrent chefs d’entreprise et représen­ Au départ, le but était donc de créer un Une question de réseau
tants d’institution. réseau, un écosystème lisible, à même de Fondateur de PeopleDoc, pionnier du
Le train a franchi les Pyrénées le stimuler ces jeunes pousses, mais aussi de marché des logiciels RH, le trentenaire
20 juin 2017. « Le trajet a permis aux faire la promotion de la France en tant que s’installe aux Etats­Unis en 2014 pour per­
start­up de Perpignan de trouver un écho en start­up nation à l’étranger, notamment mettre à sa start­up de se développer sur
Espagne et, en même temps, les Espagnols un marché plus grand. «En arrivant ici, je
ont appris à mieux connaître le marché me suis rendu compte des aides formida­
français », résume Dimitri Seigneuray, « LA COMMUNAUTÉ FRENCH bles que j’avais eues en France pour monter
ambassadeur French Tech à Madrid. TECH DE NEW YORK EXPLOSE, ma boîte. Nous bénéficions d’instruments
Le train est aussi une belle métaphore AVEC PRÈS DE CENT SOIXANTE de financement à la création incroyables,
résumant le rôle des «French Tech hubs»: START­UP FRANÇAISES nous disposons de très bons ingénieurs,
accélérer le développement des start­up mais personne ne communique là­dessus,
INSTALLÉES ICI »
françaises souhaitant s’implanter à l’étran­ c’est vraiment dommage», témoigne celui
ger et renforcer l’attractivité de la French JONATHAN BENHAMOU qui s’interroge alors sur la façon de redorer
ambassadeur French Tech à New York
Tech à l’international auprès des entrepre­ le blason de la France.
neurs, investisseurs ou médias locaux. C’est donc tout naturellement qu’il
pour attirer les capital­risqueurs ou les accepte de faire partie de seize ambassa­
La première vague talents face à des villes comme Londres ou deurs de la French Tech à New York. « Ça
Les French Tech hubs, à savoir des ré­ Berlin », explique Adrien Cabo, responsa­ marche très bien, nous avons même dû
seaux de communautés d’entrepreneurs ble de la promotion et du réseau interna­ recruter une coordinatrice. La communauté
et d’investisseurs installés à l’étranger, se tional de la Mission French Tech, dont le French Tech de New York explose, avec près
sont lancés à la conquête du monde rôle est notamment d’identifier les am­ de cent soixante start­up françaises instal­
en 2015, date de la première vague de label­ bassadeurs de ces hubs, de les aiguiller lées ici, je reçois des jeunes entrepreneurs
lisation. Depuis, leur nombre ne fait que dans l’organisation d’événements French toutes les semaines. On s’assure qu’ils béné­
croître: de New York à Sao Paulo, en pas­ Tech locaux, et parfois de les soutenir ficient des bonnes conditions pour dévelop­
sant par Moscou, Hongkong, Le Cap et financièrement pour des actions de plus per leur projet. On organise beaucoup d’évé­
Dubaï, vingt­deux French Tech hubs peu­ grande ampleur. nements. Récemment nous avons même
plent désormais le monde. Pour l’instant, Chaque French Tech hub dispose d’un invité l’astronaute Thomas Pesquet.»
les appels à candidature sont suspendus, site spécifique qui cartographie l’en­ La French Tech à l’étranger, c’est avant
le temps de consolider chacun de ces pôles semble des acteurs de l’écosystème, des tout une question de réseau. « Et ce ne
et leurs interactions. Derrière l’animation incubateurs aux espaces de coworking, sont pas que des amitiés, ça peut avoir
de ce réseau international, mais aussi le en passant par les dispositifs d’aide ou un impact direct sur une boîte », abonde …

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 47


d o s s i e r | l’international pour se lancer
Des Métropoles French
Tech à Las Vegas
Sur le sol français aussi, la French Tech
a développé un réseau de pôles de soutien
aux start­up. Lancé en 2014 par Fleur Pellerin,
alors ministre déléguée aux TPE, PME et à
l’économie numérique, puis repris par Axelle
Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numé­
rique, le label « Métropoles French Tech » a
pour but de structurer l’écosystème des
start­up (incubateurs, investisseurs, universi­
tés, centres de recherche, entrepreneurs) dans
les villes hexagonales choisies. Mais aussi de
rendre visible l’écosystème high­tech français
sur la scène internationale, notamment à l’égard
des investisseurs, mais aussi des talents.
La première promotion était composée de
neuf villes hexagonales : Lille, Lyon, Grenoble,
Aix­Marseille, Montpellier, Toulouse,
Bordeaux, Nantes et Rennes, distinguées
pour leur écosystème de start­up, « les plus
dynamiques et les plus prometteurs», en région.

Un réseau d’entraide

JJOCELYN COLLAGES
Depuis, quatre autres métropoles ont
décroché le label – Brest Tech Plus, Normandie
French Tech, Lorraine Tech et French Tech Côte
d’Azur –, portant au nombre de treize le nom­
bre de «Métropoles French Tech» en France.
… Jonathan Moyal. Passpal, la start­up du « LES INVESTISSEURS VONT FAIRE Concrètement, ces villes ont été labellisées
jeune entrepreneur, bénéficie du sou­ CONFIANCE IMMÉDIATEMENT après un audit sur un certain nombre de
tien de trois investisseurs français, ren­ À UN ENTREPRENEUR ISRAÉLIEN. critères définis par la « French Tech mission » :
contrés grâce aux événements de la ON ASSOCIE LA MARQUE ISRAËL elles regroupent sur leur territoire des jeunes
French Tech à New York. « Le réseau ap­ pousses ayant réalisé des levées de fonds
À L’ENTREPRENEURIAT
porte du financement, mais aussi du sou­ importantes, elles disposent d’incubateurs
tien. Ça m’a permis, dans des situations
ET AUX TECHNOLOGIES. CE N’EST et d’accélérateurs, mais aussi de lieux d’expé­
difficiles, d’être entouré », poursuit­il. PAS LE CAS DE LA FRANCE » rimentation et de démonstration, et d’entre­
Aujourd’hui, Jonathan Moyal envisage REZA MALEKZADEH preneurs locaux motivés capables d’organiser
d’ouvrir un bureau de Passpal à Paris. En­ ambassadeur French Tech à San Francisco des événements de promotion de la French
core une fois, il met en avant le rôle du hub Tech ou encore d’animer un réseau d’entraide
qui a su bien communiquer sur la French aux start­up, par exemple, et un écosystème
Tech. «J’ai une amie qui travaille pour un confiance à un entrepreneur israélien, sa numérique local dynamique qui est soutenu
gros investisseur de la fintech. Il y a quel­ nationalité joue en sa faveur: on associe la par les acteurs publics et privés locaux.
ques années, quand je lui parlais de la marque Israël à l’entrepreneuriat et aux A la clé, l’intégration au sein de l’« équipe
France, elle rigolait. Aujourd’hui, elle fait la technologies. Ce n’est pas le cas de la France. de France French Tech » est utile pour se dis­
tournée des start­up françaises pendant dix Lorsque Adobe a acheté Neolane pour tinguer par une marque reconnue sur la scène
jours à Paris! La French Tech a su faire un 600 millions de dollars, qui a su que cette internationale, mais facilite aussi l’accès à
excellent travail de marketing.» start­up était française?» des fonds dédiés (financements de BPI France
L’associé chez Partech Ventures évoque par exemple), même si le label n’engendre pas
Un long chemin à parcourir aussi le mauvais impact des propos du de contrepartie financière directe. En outre,
Faire découvrir l’écosystème de la French premier ministre, Edouard Philippe : en les start­up les plus performantes identifiées
Tech aux investisseurs, entrepreneurs et février, il s’est exprimé sur Twitter pour au sein de ces écosystèmes locaux sont mises
médias locaux, et les aider à saisir les op­ demander aux investisseurs étrangers de en valeur lors des événements de promotion
portunités qu’offre la France en termes de solliciter une autorisation lorsqu’ils sou­ de la French Tech à l’étranger.
recrutement de talents, opportunités d’in­ haitent investir dans une entreprise d’un Au dernier Consumer Electronics Show, le plus
vestissement et création d’entreprise fait secteur d’avenir. « Nous travaillons pour grand salon consacré à l’innovation techno­
partie des objectifs affichés des French mettre en avant la marque France pour logique, qui s’est tenu en janvier à Las Vegas,
Tech hubs. qu’elle soit reconnue à sa juste valeur. Mais la French Tech avait fait venir 274 start­up,
Mais le chemin à parcourir est encore il faut que l’Etat aussi prenne conscience de plaçant l’Hexagone juste derrière les Etats­
long, concède Reza Malekzadeh, ambassa­ l’importance de la communication!» Unis (280 start­up) et loin devant la Chine (55)
deur French Tech à San Francisco : « Les léonor lumineau en termes de jeunes pousses exposées.
investisseurs vont immédiatement faire et margherita nasi l. lum. et m. na.

48 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


mobilité

La Ville Lumière a perdu de son attrait.


Une majorité de futurs cadres
commencent leur vie professionnelle,
dans la capitale bon gré mal gré

« Je m’étais toujours dit “tout sauf


Paris !” et pourtant… »
U
ne étude de Cadremploi, souffrir”, déplore­t­elle. Lorsque équilibre de vie et je ne suis pas surtout, la nature lui manque. Il
parue en août 2017, indi­ j’étais en stage chez Sephora, j’ai sûre de le trouver ici.» aimerait repartir n’importe où en
quait que 55 % des cadres vu ma chef faire un burn­out. Martin est également devenu province, «peut­être à Lyon, car on
parisiens n’étaient pas satisfaits à Cela m’a marquée, explique­t­elle. parisien un peu malgré lui. Après a les Alpes et la Méditerranée pas
Paris et que 80 % d’entre eux Sans compter qu’en France, on des études d’ingénieur informati­ trop loin ». Ce qui le freine : les
seraient prêts à quitter la capitale. perd un temps fou en réunion, en que en province, dont une année salaires. Martin, qui est devenu
Les jeunes cadres ne font pas ex­ pause, etc. En Angleterre, il y a au Canada, il a décroché son pre­ free­lance il y a un mois, sait qu’en
ception. Selon une étude réalisée beaucoup moins de bla­bla. Résul­ mier CDI près de Lyon, mais s’y province le forfait journalier qu’il
par l’Essec en juillet 2017, seuls tat, les gens terminent tôt. Par est rapidement ennuyé. « Je me pourrait facturer serait de 30 %
15 % des étudiants interrogés se ailleurs, ils sont agréables, disent suis alors rendu compte que la à 40 % moins élevé. La vie des
voyaient démarrer leur vie active les choses de façon gentille. Cela
à Paris. Un tiers (30 %) d’entre eux est plus attractif ! »
aimeraient habiter dans une Mathilde n’a d’ailleurs pas hé­ « JE PRÉFÈRE ÊTRE BIEN TOUTE L’ANNÉE,
autre grande ville, et autant (31 %) sité à quitter ce premier CDI, dans PLUTÔT QUE DE TIRER SUR LA CORDE
visent une ville moyenne ou lequel elle avait des horaires à ral­ ET D’ARRIVER SUR LES ROTULES
petite. Cependant, la capitale reste longe (souvent quatorze heures EN VACANCES. J’ASPIRE À UN VRAI
souvent incontournable en début de boulot par jour) et plutôt mal
ÉQUILIBRE DE VIE ET JE NE SUIS PAS SÛRE
de carrière. Mathilde, diplômée payé, pour un autre poste, dans
de l’EM Lyon, en témoigne. une plus petite structure, où elle
DE LE TROUVER ICI »
Après avoir beaucoup voyagé espère davantage de respect pour MATHILDE
durant ses études, notamment la vie personnelle, plus de recon­ en CDI à Paris
pour des stages de longue durée naissance et une meilleure rému­
en Angleterre et en Chine, à Shan­ nération. Mais, là encore, à Paris.
ghaï, Mathilde s’est résolue à « Paris aspire toutes les offres plupart de mes copains étaient nomades digitaux qui travaillent
accepter un contrat à durée indé­ d’emploi, on n’a pas vraiment le partis à Paris, car c’était là que se de n’importe où dans le monde le
terminée (CDI) à Paris, dans une choix », regrette­t­elle. Elle y a trouvait la majorité des offres fait un peu rêver.
société d’études marketing. Car d’ailleurs retrouvé beaucoup d’emploi. Pourtant je m’étais tou­ L’étranger, mais aussi de gran­
elle sait que son diplôme est sur­ d’amis, dont une avec laquelle elle jours dit “Paris, jamais de la vie”.» des villes en région, telles que
tout valorisé en France et, par partage une colocation. Toulouse, Lyon, Nantes, Bordeaux,
ailleurs, la contrainte financière «Quand on a goûté à l’étranger, «J’ai bien envie de repartir» Aix, Marseille ou Lille, attirent de
que représente son prêt étudiant j’ai l’impression que cela développe Martin n’y avait jamais vécu et plus en plus les jeunes actifs. Mais
limite ses possibilités de s’enga­ pas mal notre esprit critique et avait pas mal d’idées reçues: une cette aspiration n’est pas évidente
ger dans de nouveaux frais pour notre envie de changer les choses.» ville trop grande, trajets domicile­ à réaliser étant donné la réalité du
partir à l’étranger. Elle est consciente que, dans les travail pénibles, difficultés pour marché de l’emploi. En effet, l’Ile­
pays anglo­saxons, il y a moins de trouver un logement… Et puis, on de­France continue à concentrer
Conditions de travail intenses vacances mais le bien­être au quo­ est venu le chercher : « J’ai reçu la moitié des embauches de ca­
« Pourtant, je m’étais toujours dit tidien est plus valorisé et l’am­ deux propositions de travail à Pa­ dres en 2017, et 36 % des cadres
“tout sauf Paris !”, dit la jeune biance de travail plus sereine. «En ris.» Martin en accepte une, dans français y travaillent (contre 11 %
femme, qui espère bien repartir France, on en parle beaucoup, une société de services. «Je suis à en région Rhône­Alpes et 6 % en
travailler dans un pays anglo­ mais, dans les faits, ce n’est pas Paris depuis maintenant deux ans PACA). En fait, Paris et les jeunes
saxon d’ici quelques années. Elle souvent le cas. Je préfère être bien et j’ai bien envie de repartir.» diplômés, c’est un peu comme la
estime que les conditions de tra­ toute l’année, plutôt que de tirer Il concède les aspects plaisants chanson de Gainsbourg Je t’aime,
vail à Paris sont très intenses. « Il sur la corde et d’arriver sur les rotu­ de la capitale, mais certains de moi non plus…
y a un côté “pour réussir, il faut les en vacances. J’aspire à un vrai ses préjugés se confirment et, gaëlle picut

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 49


social

La contestation citoyenne qui a occupé la place


de la République, au printemps 2016, a parfois
changé la vie de ses participants, même si
elle n’a pas eu de retombées politiques directes

Deux ans après, que reste­t­il


du mouvement Nuit debout ?
C’
était il y a deux ans. Le était ouverte au départ à toute pour y arriver », souligne Adèle. Yoann Bazin s’intéresse tout de
31 mars2016, des mani­ personne souhaitant traiter de Sur cette constatation, le collectif suite au mouvement. «Les formes
festants se réunis­ n’importe quel thème, explique­t­ décide de mettre en place un ate­ classiques d’expression politique
saient place de la République, à elle. On ne lui demandait jamais lier consacré à la définition de – les syndicats, le vote… – sont en
Paris, pour protester contre la loi son statut. » propositions concrètes. « Le rôle perte de vitesse, alors je trouvais
El Khomri. Cet élément déclen­ La libre circulation de la parole de notre commission n’a jamais positif de voir des inconnus se ren­
cheur a donné lieu à un mouve­ est en effet au cœur de la philoso­ été de faire de l’action, mais d’être contrer pour parler de sujets d’ac­
ment de protestation durable. Un phie égalitaire du mouvement. un espace de débats, rappelle la tualité», déclare­t­il.
joyeux rassemblement aux allu­ Mais cet esprit d’ouverture mon­ jeune femme. C’est aussi ce qui Le jeune homme assiste aux
res de Mai 68, qui résonnait avec tre vite ses limites. «Pour les com­ explique qu’on s’est maintenu». réunions de la commission fémi­
d’autres mouvements d’occupa­ missions comme Debout écono­ niste, un sujet auquel il s’intéresse
tion dans le monde, comme mie politique, le fait d’être dans un Spectateurs occasionnels en tant que chercheur. Il tente
Occupy Wall Street. La place de la espace public finissait par être un Aujourd’hui, la commission aussi d’inciter ses étudiants à re­
République s’est peu à peu vidée frein au travail concret, estime Debout éducation populaire – une joindre le mouvement, sans
dès l’été 2016. Hétéroclite, sans re­ Adèle. De nouvelles personnes in­ dizaine de membres environ – est grand succès. «Ils me disaient que
vendications communes, le mou­ tervenaient à chaque fois, posaient encore active. Elle organise des c’était un rassemblement de bobos
vement s’est épuisé de lui­même. des questions qui avaient déjà été ateliers thématiques et participe à d’extrême gauche », explique
Mais il a chamboulé la vie de cer­ posées… Il y avait un travail inces­ des manifestations, comme celles Yoann. Une désignation que l’en­
tains de ses participants. sant de vulgarisation, qui finissait contre la future ZAC du triangle de seignant­chercheur réfute. « Il y
C’est le cas d’Adèle (qui a sou­ par être décourageant». Gonesse [urbanisation d’un terri­ avait des jeunes surdiplômés pré­
haité rester anonyme). Préparant toire agricole du Val­d’Oise]. «On a caires, des représentants syndi­
une thèse en psychologie, la jeune aussi lancé un projet de construc­ caux, pas mal de retraités amusés
femme est membre de la com­ « CE MOUVEMENT tion d’un espace d’accueil, la Mai­ qui venaient échanger… fait­il va­
mission Debout éducation popu­ A MONTRÉ QU’ON son des solidarités, passant par le loir. Soit parce qu’ils étaient politi­
laire (le mouvement commence POUVAIT FAIRE budget participatif de la Mairie de quement seuls, soit parce qu’ils
alors à s’organiser sous forme de DE LA POLITIQUE Paris», fait valoir Adèle. étaient seuls tout court.»
commissions). « A la base, je ne D’un point de vue plus per­
AUTREMENT
connaissais pas du tout le monde sonnel, cette expérience a été Surprise
associatif et militant, explique­t­
QUE DANS UN PARTI » fondamentale pour la jeune A ses yeux, Nuit debout a d’abord
elle. J’avais seulement suivi ce qui NOÉMIE TOLEDANO femme. « Alors que j’étais assez permis de susciter une prise de
s’était passé en Grèce [les manifes­ militante Nuit debout isolée à Paris, ça m’a apporté un conscience chez certains de ses
tations contre la réforme des re­ nombre d’amis extraordinaires, participants. «Des gens qui ne
traites] et je me suis rendue place sourit­elle. Cet événement a s’étaient jamais intéressés au droit
de la République dès les premiers Le mouvement peine à définir aussi révolutionné mon rapport constitutionnel s’interrogeaient à
rassemblements, dans l’espoir des revendications concrètes. A aux gens. On parlait à son voisin, ce sujet, par exemple, dit­il. C’est là
d’une mobilisation équivalente». partir de l’été 2016, les partici­ les filtres avaient sauté ; le statut où commence la politique.»
pants se font plus rares sur la social de la personne n’avait plus Le mouvement a aussi impliqué
Philosophie égalitaire place de la République. Les mem­ d’importance. » beaucoup d’acteurs issus du
Au début, la jeune femme n’est bres de la commission Debout Nuit debout a aussi attiré bon monde associatif ou militant.
« pas très à l’aise », ne connaissant éducation populaire s’interrogent nombre de spectateurs occasion­ Noémie Toledano, coauteure de
personne. Elle finit par appren­ alors sur la suite des événements. nels, plus ou moins participants. l’ouvrage collectif #32 mars (édi­
dre que la commission Debout «On s’est aperçu que s’il est facile Alors professeur à l’Istec, une tions du Cherche Midi, 2017) en
éducation populaire cherchait des de définir ce qu’on veut, il est école de commerce située à deux fait partie. « Depuis très jeune,
intervenants. «Cette commission moins facile de définir les moyens pas de la place de la République, j’ai beaucoup fréquenté le milieu

50 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


INTERVIEW
Des
contestataires
plus diplômés
et plus
chômeurs que
la moyenne
HUBERT POIROT BOURDAIN/ILLUSTRISSIMO POUR « LE MONDE »

DR
Alexandra Bidet
chargée de recherche en sociologie au CNRS

Alexandra Bidet, chargée de recherche en


sociologie au CNRS, a mené avec un collectif
de chercheurs une enquête, d’avril à mai
2016, sur les participants au mouvement
Nuit debout. La sociologue révèle
les éléments de profil ainsi recueillis.

Votre enquête a­t­elle pu établir une


typologie des participants à Nuit debout ?
Alexandra Bidet. Les quartiers les plus
représentés sont ceux de l’Est parisien, 37 %
associatif et antiraciste», explique qu’on pouvait faire de la politique des participants viennent de banlieue et un
la jeune femme, cofondatrice de autrement que dans un parti. sur dix n’habite pas en région parisienne.
l’agence de communication Raiz. L’énergie n’est pas retombée : les Par ailleurs, si la majorité des participants
Peu avant le début des événe­ gens sont seulement allés vers est diplômée du supérieur long (61 %), alors
ments de mars 2016, Noémie ap­ d’autres choses. » que ce n’est le cas que du quart de la popula­
prend, par son réseau, qu’une réu­ De fait, beaucoup de membres tion française, l’image se brouille quand on
nion est organisée à la Bourse du des commissions sont restés y regarde de plus près : le taux de chômage
travail suite à la projection du dans le militantisme. La com­ est de 20 % parmi les participants, soit
film Merci patron !, de François mission Debout écologie a re­ le double de la moyenne nationale ; et on
Ruffin, d’où va naître l’idée d’une joint Alternatiba, un mouve­ compte 16 % d’ouvriers parmi les actifs –
mobilisation citoyenne. ment citoyen de mobilisation trois fois plus qu’à Paris, et autant que dans
sur le dérèglement climatique. l’Ile­de­France prise dans son ensemble.
idéaliste et utopique De son côté, Noémie continue de
Travaillant dans le domaine de s’impliquer dans Nuit féministe, Vous avez continué à suivre certains
la stratégie médias, la jeune une émanation de la commis­ des participants pendant un an.
femme utilise ses compétences sion Féministes debout. Quelles répercussions a eu Nuit debout
pour participer à la médiatisation Son expérience passée dans le sur le long terme ?
du mouvement sur les réseaux milieu associatif ne lui a pas Pour la grande majorité, Nuit debout a été
sociaux. Mais elle est la première donné envie d’intégrer un cadre un lieu majeur d’expérimentations. Chacun
surprise du résultat. «Dès le soir militant plus classique. «On sou­ pouvait se sentir tiré sur la place par mille
du 31 mars, on a vu l’ampleur de haite avoir un mode de fonctionne­ participations. On s’y est socialisé à des
la mobilisation, se souvient­elle. ment beaucoup plus fluide, fait­elle milieux d’engagement, parfois en réorien­
C’est vrai qu’il y avait plein de si­ valoir. On peut s’allier avec d’autres tant brutalement son réseau amical ;
gnes précurseurs : le mouvement associations sur certaines causes, on y a développé des réseaux, découvert
social du 9 mars, la mobilisation mais pas structurellement». des ressources en ligne et des lectures,
après les attentats de 2015…» Mais Noémie retient d’abord la affronté pour la première fois pour certains
Noémie défend le bilan politi­ dimension idéaliste et utopique la violence policière, etc.
que du mouvement : « Beaucoup du mouvement. «Il y avait des Cet espace de discussion leur a offert, d’une
attendaient que cela débouche gens fous, c’était beau à voir, décrit­ façon inédite, la possibilité d’expérimenter
sur quelque chose, un parti par elle. Un réseau très fort s’est créé, leur attachement aux idées avancées aussi
exemple, reconnaît­elle. Mais ce qui existe encore aujourd’hui». bien qu’au mouvement en général.
mouvement a justement montré catherine quignon propos recueillis par c. qu.

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 51


management

Les entreprises soucieuses de leur seule


rentabilité sont regardées de travers par
les jeunes générations attachées aux
valeurs sociétales et environnementales

Une entreprise à missions


pour des diplômés en quête de sens
F
ini le profit à tout prix? A la lesquels ils veulent s’investir. Le entreprises à objet social étendu: dans les activités quotidiennes des
demande du ministre de rapport offre la possibilité aux plus « Graver notre mission sociétale collaborateurs. Les jeunes diplômés
l’économie et des finances, vertueuses d’entre elles de deve­ dans nos statuts nous a permis se méfient des effets d’annonces.
Bruno Le Maire, l’ex­responsable nir des entreprises à missions, d’obtenir l’engagement des action­ Ils veulent se sentir utile dans leur
de la CFDT, Nicole Notat, et le pa­ comme il en fleurit déjà aux Etats­ naires. Sans cela, il aurait été diffi­ métier», observe Manuelle Malot,
tron de Michelin, Jean­Dominique Unis, à condition d’inscrire cette cile de prendre certaines décisions, directrice carrières et prospec­
Senard, ont établi, dans le cadre de raison d’être dans leurs statuts, de comme celle de fermer le site le tives à l’Edhec.
la loi Pacte (Plan d’action pour la l’avoir fait voter par les deux tiers jour du Black Friday. Les actionnai­ Après avoir travaillé trois ans à
croissance et la transformation des actionnaires, de se doter d’un res auraient pu me traîner en jus­ Hongkong pour un fabricant de
des entreprises), un rapport qui comité des parties prenantes (ONG, tice car elle allait à l’encontre de compléments alimentaires, Hugo
redéfinit le rôle de l’entreprise. salariés, clients, fournisseurs…) et leurs intérêts.» Deluchey a ainsi renoncé à un
Le texte intitulé «L’entreprise, de faire attester par un tiers le res­ salaire attractif pour accepter le
objet d’intérêt collectif» et remis pect des engagements. Etre utile dans le métier poste de responsable projet marke­
le 9 mars à Bercy préconise ni plus « Modifier les statuts est plus Concrètement, le distributeur ting chez Nutriset, entreprise à
ni moins que de réécrire le code contraignant que les politiques de meubles et d’appareils électro­ missions qui lutte contre la malnu­
civil pour pousser les sociétés à in­ RSE [responsabilité sociale des ménagers doit fournir des pro­ trition: «Des sociétés m’ont pro­
tégrer des enjeux sociaux et envi­ entreprises] que les dirigeants ne duits au «bénéfice de l’homme et posé des offres alléchantes mais ce
ronnementaux dans la définition de la planète». Il s’engage aussi à qui me stimule le matin est de sa­
de leur objet social. Quelques en­ «mobiliser consommateurs, colla­ voir que mes huit heures de travail
treprises pionnières avaient déjà « GRAVER NOTRE borateurs, fournisseurs, acteurs vont contribuer à améliorer le quo­
pris les devants en inscrivant cette MISSION SOCIÉTALE du territoire» afin d’«inventer de tidien d’autres personnes et auront
nouvelle mission dans leurs sta­ DANS NOS STATUTS nouveaux modèles de consom­ un impact positif sur le monde.»
tuts. Un atout pour recruter de NOUS A PERMIS mation, de production et d’orga­ Pour les nouvelles générations,
jeunes talents soucieux d’avoir un nisation». L’objectif, retrouver la une carrière réussie ne se résume
D’OBTENIR
impact sur la société. confiance des clients, des fournis­ pas à une position hiérarchique et
Selon Blanche Segrestin, profes­
L’ENGAGEMENT DES seurs et des salariés, veiller à l’im­ à une rémunération avantageuse.
seure à l’école des Mines Paris­ ACTIONNAIRES » pact des activités sur l’environne­ Elles veulent du sens au travail.
Tech, «jusqu’à présent, seul l’inté­ EMERY JACQUILLAT ment, redonner du sens au projet Selon le baromètre Ipsos­BCG­
rêt des actionnaires était protégé PDG de la Camif de l’entreprise. CGE, 72 % considèrent qu’être en
par le code civil. Or, la responsabi­ Sur le terrain, les chefs de pro­ phase avec les valeurs de l’entre­
lité des dirigeants n’est pas unique­ duit sont priés de donner la prio­ prise est un critère primordial
ment de maximiser leur profit. peuvent pas sécuriser dans la rité aux fournisseurs locaux et de pour choisir leur prochain em­
Cette exigence de rentabilité immé­ durée. Les futurs actionnaires ont s’attarder sur les conditions de fa­ ploi. « L’entreprise à missions ré­
diate se répercute sur la capacité la liberté de fixer de nouvelles brication. Aux côtés des autres pond aux aspirations des jeunes
des entreprises d’investir sur le orientations en passant outre ces parties prenantes, un collabora­ diplômés. Même s’ils acceptent les
long terme et les fragilise». objectifs. En inscrivant la mission teur participe, quant à lui, à l’or­ règles du jeu du marché, ils ne sont
dans l’ADN de l’entreprise, celle­ci gane de gouvernance maison, la pas prêts à transiger. Si l’entreprise
Retrouver la confiance devient difficile à détricoter», ex­ cellule Ose. Son rôle : s’assurer ne respecte pas son engagement
Au­delà de leurs ambitions éco­ plique Virginie Seghers, prési­ que les actions conduites par l’en­ sociétal, ils n’hésitent pas à démis­
nomiques, le conseil d’administra­ dente de Prophil, cabinet de con­ treprise vont dans le sens de sa sionner, quitte à laisser de l’argent
tion et de surveillance devront for­ seil spécialisé en philanthropie. raison d’être et tirer la sonnette sur la table», prévient Jean­Michel
muler la raison d’être de l’entre­ En novembre 2017, Emery d’alarme le cas échéant. «Au­delà Caye, directeur associé du Boston
prise, soit le fil conducteur des Jacquillat, PDG de la Camif, est d’inscrire une mission dans les Consulting Group.
activités, et préciser les sujets sur devenu l’un des pionniers des statuts, celle­ci doit être insufflée adeline farge

52 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


santé

La réforme de la médecine du travail a réduit


le suivi médical individuel des actifs. Elle incite
les praticiens à se concentrer sur l’analyse
des risques à l’échelle de l’entreprise

Les nouvelles mesures pour protéger


les salariés divisent les médecins
E
lle se souvient de «visites à 5 000 en France aujourd’hui) et revoir les salariés tous les deux, professeur au Conservatoire na­
la chaîne. Une personne à impose de repenser l’organisation trois ou quatre ans si nous le ju­ tional des arts et métiers (CNAM).
voir tous les quarts d’heure, et les missions de la profession. geons nécessaire, tempère Fabienne Par une pratique pluridiscipli­
et au suivant… On n’approfondis­ Dans le même temps, il s’agissait Bardot. La réglementation intro­ naire, par une implication plus
sait pas, c’étaient des “entretiens de rendre plus efficace la préven­ duit une grande souplesse, et une grande des entreprises et des ca­
vétérinaires”». En se retournant tion santé en entreprise. Alors appréciation laissée au médecin. dres et une réflexion globale sur
sur quarante ans de carrière, que la réforme se met en place, Quant aux salariés, elle leur permet son organisation, elle doit permet­
Fabienne Bardot, médecin du tra­ des chiffres sont là pour rappe­ de venir nous voir quand ils le tre une meilleure prévention de la
vail dans le Loiret, reconnaît que la ler toute l’actualité du sujet : les jugent nécessaire.» santé des salariés. De quoi permet­
pratique de son métier a évolué dépenses d’arrêts de travail ont La réforme doit aussi permettre tre aux médecins de se pencher de
positivement. Elle a vu se succéder augmenté de 5,2 % en 2017. aux médecins du travail de voir façon plus approfondie sur leur
les réformes modifiant l’organisa­ évoluer leurs pratiques quoti­ mission de conseil «sur de nom­
tion de son travail et permettant Risques psychosociaux diennes. « L’intervention des in­ breux sujets: l’organisation des bu­
de «faire davantage mon métier de Le suivi ainsi proposé sera­t­il de firmiers permet de leur libérer reaux, l’organisation du travail, la
médecin». A ses yeux, la dernière, nature à mieux accompagner les du temps, explique Nathalie répartition de la charge de travail,
fruit de la loi travail de 2016, va salariés? La question fait débat Guillemy, directrice du centre la façon dont les salariés communi­
également dans ce sens. parmi les médecins du travail. Des quent entre eux, l’utilisation de
Que prévoit­elle ? Depuis le visites désormais moins fréquen­ l’outil informatique, etc.», explique
1er janvier2017, elle a introduit des tes, c’est pour certains le risque de « C’EST LE PASSAGE Sophie Pironneau, médecin du
changements notables dans le passer à côté de «signaux» émis DE LA MÉDECINE travail à Grenoble.
suivi médical des salariés. Parmi par les salariés, notamment sur DU TRAVAIL Autre piste en développement
eux, la visite médicale d’embau­ les risques psychosociaux. «Voir À LA SANTÉ AU pour ces «médecins devenant ma­
che est remplacée par une simple les salariés plus fréquemment per­ nageurs de santé», comme l’indi­
TRAVAIL »
visite d’information et de préven­ mettait d’avoir des avis réguliers que Thierry Rochefort, professeur
tion, la visite médicale d’aptitude sur les difficultés rencontrées dans WILLIAM DAB, associé à l’IAE de Lyon: «Ils vont
professeur au Conservatoire
étant réservée aux seuls postes à l’entreprise. Des visites effectuées national des arts et métiers de plus en plus animer des équipes
risques (exposés à des agents can­ dans les lieux de travail ne permet­ pluridisciplinaires avec des assis­
cérogènes, à un risque hyper­ tent pas forcément de saisir ce qui tantes sociales, des psychologues,
bare…), une plus grande place est est vécu par les collaborateurs», parisien de l’Institut national de etc. et vont également traiter des
donnée aux infirmiers dans le explique un médecin. recherche et de sécurité. Du temps données portant sur la santé au
suivi des salariés, la périodicité des «Le passage d’une visite médicale qui pourra être consacré à un ac­ travail afin d’établir des diagnos­
visites obligatoires passe de deux de tous les deux ans à tous les cinq compagnement dans l’entreprise tics collectifs.»
à cinq ans au maximum… Autant ans nous a paru trop important, ap­ et à une approche collective de la Si elle estime les évolutions actuel­
d’évolutions visant à concentrer puie ainsi Jacqueline Papin, direc­ prévention.» les positives, Fabienne Bardot pré­
les efforts sur les salariés ayant le trice santé de Safran. La notion de vient toutefois: «Un problème n’a
plus besoin d’un suivi médical et à suivi a son importance au niveau Une meilleure prévention pas été réglé: la pénurie de méde­
dégager du temps aux médecins individuel. Nous avons donc décidé Par là même, les orientations de cins du travail. Dans mon départe­
pour qu’ils puissent s’investir de proposer une périodicité diffé­ la loi s’inscrivent dans une évo­ ment, certaines entreprises n’ont
davantage dans l’analyse des rente avec une visite médicale tous lution bien plus large de la pré­ pas de médecin attribué. Il faut se
risques et la prévention. les quatre ans, ainsi qu’un point in­ vention en entreprise : « C’est le pencher sur cette question, car si le
Ces bouleversements sont nés termédiaire au bout de deux ans, passage de la médecine du travail phénomène s’aggrave, il y aura
d’un double constat : le nombre réalisé par un infirmier.» à la santé au travail que l’on voit inévitablement des répercussions…
de médecins du travail est en « Cinq ans c’est un maximum, poindre depuis de nombreuses sur la santé des salariés.»
constante diminution (environ mais nous avons la possibilité de années », analyse William Dab, françois desnoyers

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 53


grand entretien

« Aujourd’hui Enfin, certains jeunes ont du mal à rentrer


en apprentissage car il leur manque des
compétences de base pour postuler, ce qui

les jeunes peuvent être les bloque pour décrocher un poste. Et sur
ce point­là, la France est à la traîne.

force de proposition » Les réformes annoncées par le gouver­


nement prévoient notamment des
mesures pour l’indemnisation chômage
des démissionnaires porteurs de projets
Pour Stéphane Carcillo, chef de la division ou pour la formation professionnelle.
Emploi et revenus de l’OCDE, la réforme Répondent­elles aux aspirations
des jeunes diplômés?
prévue va dans le bon sens car elle met la Ce qui est sûr, c’est que ces mesures vont
formation entre les mains des employeurs dans le sens de l’intégration des évolutions
technologiques, que les jeunes diplômés
et non plus de l’éducation nationale maîtrisent bien. Ils ont intégré le fait
qu’avec les nouvelles technologies ils
doivent se former régulièrement et qu’ils
doivent être réactifs.
Selon l’Association pour l’emploi s’étaient précarisées. Mais il faut garder à De plus, un des buts des réformes est de
des cadres (APEC), les recrutements des l’esprit que l’essentiel du chômage des jeu­ remettre la formation entre les mains de
cadres et même des jeunes diplômés vont nes porte sur les moins qualifiés: leur taux l’individu, avec des droits en euros ou des
battre des records en 2018. Comment de chômage est trois fois supérieur à celui formations géolocalisées par exemple.
analysez­vous cette reprise de l’emploi?
des jeunes diplômés! Lors du dernier quin­ Pour moi, cela va dans le bon sens: aupara­

L
a croissance française s’est accélérée quennat, les réformes ont donc ciblé cette vant, les gens ne se formaient pas car ils ne
ces derniers mois pour approcher les population, avec raison. savaient pas comment demander, ni à qui,
2 %. Or, au­delà de 1,5 % de crois­ La «garantie jeunes» pour les 16­26ans ni avec quels droits. Ils attendaient que
sance, les embauches augmentent suffi­ en situation de grande vulnérabilité sur le leur employeur leur propose, ou étaient
samment pour faire baisser le chômage, marché du travail [un dispositif qui permet dépendants des financements des grands
c’est mécanique. Les jeunes travailleurs de bénéficier d’un accompagnement pour organismes, c’était compliqué.
sont une catégorie qui sert de variable trouver du travail tout en obtenant une aide Aujourd’hui, ils peuvent être force de pro­
d’ajustement en cas de période de crise de financière de près de 500 euros par mois] a position, ce qu’ont déjà intégré beaucoup
l’emploi. Mais lorsque les embauches été en ce sens efficace: elle a permis d’iden­ de jeunes diplômés. Ces derniers sont lar­
reprennent, les jeunes très diplômés sont tifier en amont les jeunes qui sortaient gement confrontés aux contrats à durée
aussi parmi les premiers à en bénéficier. du système scolaire pour leur offrir une déterminée lors de leur insertion sur le
Ces dernières années, ce phénomène s’ac­ formation adaptée. marché du travail, ils se sont malheureuse­
centue avec le développement des nouvel­ Lancé en 2013, généralisé en 2017 par le ment habitués à cette sorte de « permit­
les technologies. Ces dernières tendent à gouvernement d’Edouard Philippe, ce tence». Certes cela leur coûte en termes de
détruire les emplois moyennement quali­ dispositif bénéficie à environ 80000 per­ fondation d’une vie personnelle stable
fiés, basés sur des tâches manuelles, répéti­ sonnes, selon les derniers chiffres de – famille, logement, etc. – et en termes
tives, qui peuvent être remplacés par des septembre 2017, et devrait continuer à se d’évolution de carrière et de salaire. Mais
machines. A l’inverse, les métiers fortement développer. ces périodes pourront au moins être
qualifiés, qui ont des exigences fortes en En revanche, les résultats sur le chantier utilisées à l’avenir pour la formation.
termes de résolution de problèmes comple­ de l’apprentissage sont moins clairs, La notion de carrière aussi a évolué : il
xes, en innovation, en capacités de manie­ alors que l’on sait que ce type de forma­ est clair pour la plupart d’entre eux que
ment de ces nouvelles technologies, et qui tion facilite l’insertion professionnelle. les débuts sur le marché de l’emploi se
ne peuvent pas être remplacés par des ro­ Les entrées en apprentissage ont même font en CDD, que leur carrière sera décou­
bots ou des logiciels, tendent à être recher­ globalement baissé. sue, et ils n’envisagent plus de faire toute
chés et à prendre de plus en plus de valeur. D’abord parce qu’en période de crise les leur vie professionnelle dans une seule
employeurs ont plus de mal à prendre le entreprise. L’assurance­chômage pour
Les mesures en faveur de l’emploi des risque de recruter un apprenti. les démissionnaires dans le cadre d’un
jeunes durant le précédent quinquennat Par ailleurs, beaucoup des fonds destinés projet de reconversion ou de création
ont­elles été efficaces? à l’étendre ont été happés par les grandes d’entreprise par exemple va donc aussi
Depuis une vingtaine d’années, les jeunes écoles et les universités, qui ont développé dans ce sens.
diplômés attendaient plus longtemps l’alternance car elles y ont vu un moyen Enfin, les réformes récentes comme la loi
avant de décrocher un emploi stable, leurs de mieux intégrer leurs diplômés sur un travail en 2016 et les ordonnances du
conditions d’entrée sur le marché du travail marché difficile. 22 septembre 2017 réformant le code du

54 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


Stéphane Carcillo est économiste senior à l’OCDE
et l’auteur avec Pierre Cahuc de Améliorer
l’assurance chômage (Presses de Sciences po,
2014) et de La Machine à trier. Ou comment
la France divise sa jeunesse (Eyrolles, 2017)

Je ne sais pas si ces réformes parviendront


pour autant à relativiser à terme le poids
du diplôme, prépondérant en France,
car cette vision fait partie de la culture
française. En revanche, elles pourraient
permettre de valoriser la certification
professionnelle.

Faut­il craindre que l’écart entre jeunes


très diplômés et jeunes peu ou pas
diplômés se creuse ?
Oui. Car aujourd’hui, dans nos sociétés
développées, les emplois se polarisent: il y
a d’un côté des emplois peu qualifiés,
notamment dans les services, et de l’autre
des emplois très qualifiés, qui eux sont en
forte demande et offrent des perspectives
plus intéressantes en termes de carrière et
de salaire, ceux que visent les jeunes diplô­
més. Au milieu, les emplois routiniers sont
remplacés par des machines.
Mais au sein même des emplois peu qua­
lifiés, les écarts pourraient se creuser : avec
le développement des services, les compé­
STÉPHANE CARCILLO

tences transversales, non cognitives, le


« savoir­être » (bonne expression à l’oral,
compréhension à l’écrit, résolution de
problème, travail en groupe) deviennent
de plus en plus importants pour se distin­
guer sur le marché de l’emploi. En général,
travail ont pour but de clarifier les règles de « LES COMPÉTENCES ces compétences sont mal maîtrisées par
séparation entre employeur et salarié pour TRANSVERSALES, NON COGNITIVES, les jeunes qui échouent à l’école, et ça
le CDI. Cela répond aux besoins des jeunes ET LE “SAVOIR­ÊTRE” pèsera encore plus demain sur le marché
diplômés: les derniers chiffres de l’emploi DEVIENNENT DE PLUS EN PLUS du travail.
montrent que, depuis quelques mois, le C’est l’un des enjeux de la France dans les
IMPORTANTS POUR
nombre de CDI progresse plus vite que le prochaines années. Aux Etats­Unis, les pro­
nombre de CDD. Mais attention : aujour­
SE DISTINGUER SUR LE MARCHÉ grammes portant sur cet enjeu ont montré
d’hui, 90 % des embauches se font encore DE L’EMPLOI. C’EST L’UN leur efficacité. C’est le cas, par exemple, du
en CDD. Pour espérer un vrai changement DES ENJEUX DE LA FRANCE » «Job Corps»: il s’agit d’un programme de
de pratique, il faudra changer les règles en seconde chance pour les jeunes défavori­
profondeur. sés qui a eu de très bons résultats en ter­
mène un plus grand nombre d’élèves au mes de retour à l’emploi. Intensif, il dure
En France, le taux d’emploi des jeunes bac, il faut donner plus de place aux savoirs plusieurs mois, avec de nombreux forma­
Français reste globalement relative­ non cognitifs, et il faut réformer les filières teurs et des programmes qui traitent
ment bas par rapport aux autres pays professionnelles pour qu’elles permettent autant de la remise à niveau des compéten­
européens. Comment expliquez­vous
une meilleure insertion, et notamment ces de base que des «savoir­être».
cette situation particulière ?
l’apprentissage. La réforme prévue de ce En France, des efforts ont été faits ces
Il concerne essentiellement les jeunes les système va dans le bon sens car elle met la dernières années, par exemple, pour déve­
moins qualifiés. Car nous en produisons définition des programmes et des diplô­ lopper le travail de groupe à l’école. Mais la
beaucoup, et c’est là la spécificité de la mes, sa promotion, ou encore l’ouverture difficulté du système français est que les
France par rapport à certains voisins euro­ des places en centres de formation d’ap­ programmes scolaires peuvent parfois
péens: un jeune Français sur sept sort de prentis (CFA), par exemple, entre les mains être lourds, laissant peu de marges de
l’école sans diplôme. On ne sait pas com­ des employeurs et non plus de l’éducation manœuvre pour développer les enseigne­
ment leur offrir une alternative. La garan­ nationale. C’est ce que fait l’Allemagne, par ments visant à travailler le «savoir­être».
tie jeunes va être étendue, c’est bien. Mais exemple, qui compte près de 1,4 million Ce chantier est un des enjeux importants
il faut changer le système à la base – l’école d’apprentis, contre seulement 400000 en des réformes à venir.
et la filière de l’apprentissage – si l’on veut France, et un taux de chômage des jeunes propos recueillis par
résorber ce problème. Il faut que l’école trois fois moindre. léonor lumineau

Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 55


invitation à la lecture
Choisir le côté vivant du travail
A peine élu, le président Obéir aux ordres durant
Emmanuel Macron tient sa toute une vie de travail
promesse et « libère le tra­ ne prédispose pas à
vail » : les indicateurs éco­ l’exercice du libre arbitre
Les leçons de Mai 68
logiques pèseront désor­ dans la cité. »
La France s’ennuyait, le pouvoir
mais autant que les ratios Plutôt que de chercher d’achat montait, mais moins
financiers, les actionnaires refuge du côté de l’Etat, que les inégalités. La France
rurale s’effondrait. « Nous n’en
stables auront des droits de l’ancien porte­parole pouvions plus de l’information
vote supérieurs aux action­ d’Attac et cofondateur normalisée. Ni d’une classe poli­
tique amplement corrompue »,
naires spéculatifs, les mar­ des Economistes atterrés écrit Hervé Hamon, dans
L’Esprit de Mai 68. « Il allait se
chés publics privilégieront explore des issues du produire des choses qui n’appar­
les entreprises collabora­ côté du travail vivant. tenaient à aucune coterie,
à aucun ténor, à aucun expert.
tives et solidaires, le salaire La théorie de l’entreprise Des choses qui appartenaient
de base sera maintenu en Libérer le travail. pourquoi auto­gouvernée repose à ces gens en fête, ces gens qui
la gauche s’en moque et allaient les énoncer eux­mêmes. »
cas de chômage ou de for­ pourquoi ça doit changer sur la vision considérant Son récit animé, réfléchi, détaillé
mation… « Trêve de fantai­ de Thomas Coutrot. Editions du Seuil,
320 p., 20 €. le profit non pas comme de Mai 68 va bien au­delà de la
commémoration. Il fait, certes,
sie : libérer le travail, on le un but en soi mais revivre la genèse du mouve­
savait, voulait dire tout autre chose : comme un moyen d’atteindre une ment, son « romantisme héroï­
que ». Il analyse sa place dans
le débarrasser, autant que possible, des mission qualitative, d’ordre sociétal, l’Histoire, l’efficacité du rapport
de force dans les conflits so­
rigidités qui découragent les investis­ déterminée par les parties prenantes ciaux. Le patronat « arrogant »,
seurs », regrette Thomas Coutrot. à la vie de l’entreprise, la répartition « méprisant », « dur à la détente »
finit par lâcher : 7 % de hausse
Dans son dernier essai Libérer le tra­ des compétences résultant elle­même de salaire réel, 35 % d’augmenta­
vail, l’économiste et statisticien s’in­ d’un processus permanent de libéra­ tion du smig, la réduction du
temps de travail et le report de
terroge sur les fondements théori­ tion. « Ce mode d’organisation pourrait l’âge légal de départ à la retraite,
ques et politiques d’un mouvement faire reculer le degré d’abstraction du rappelle­t­il. Le Medef (ex­CNPF)
doit s’en souvenir.
visant la liberté du travail, prisonnier travail, à condition que soient menées Mais l’écrivain apporte surtout
d’une organisation néotaylorienne de vraies réformes structurelles de la des éléments de réflexion
pour savoir qui de la réforme
focalisée sur le rendement financier. gouvernance des entreprises et, plus ou de la révolution est mieux
à même d’améliorer le sort
Son ouvrage fait le constat de l’échec généralement, des marchés du travail et de la société civile. Puis il alerte
de la gauche du XXIe siècle. « Nous des capitaux », écrit Thomas Coutrot. sur les dangers de vanter
« la rupture » à tout propos.
avons cru pouvoir contrer le capita­ L’auteur propose de créer des institu­ « Nous avons appris la méthode
lisme avec la démocratie politique, par tions valorisant non seulement les des essais et des erreurs »,
souligne­t­il en toute humilité.
les nationalisations, la redistribution indicateurs financiers ou quantitatifs, Une lecture rafraîchissante
des richesses, la planification démocra­ mais également les effets qualitatifs et inspirante pour 2018.
anne rodier
tique. Mais la sphère du travail im­ du travail, en incluant dans ces effets
prime sa marque sur l’ensemble des l’égalité et l’autonomie. L’Esprit de mai 68,
de Hervé Hamon. Editions de
comportements et des rôles sociaux. margherita nasi l’Observatoire, 192 p., 16 €.

Les subtilités du jeu social En revue


Comment inverser son destin ? Quand un manageur incarne une différence, qu’elle soit
L’Onisep propose des dossiers généralistes
physique, psychologique ou ethnique, la stigmatisation n’est pas loin : « Un autodidacte sur les métiers et les formations
ne comprend pas les problèmes abstraits, un homosexuel n’a pas une autorité légitime sur ainsi que des «parcours» qui décrivent
les hommes, une femme ne peut être à l’aise avec les conducteurs de travaux. » un secteur d’activité sous toutes
Le sociologue Norbert Alter rappelle ces croyances fondatrices des stéréotypes dans les coutures.
le cadre d’une vaste analyse des trajectoires professionnelles des patrons atypiques, que «Après le bac. Bac par bac. Bien choisir
révèle la force de la différence. Un enjeu de taille, à l’heure où « l’effervescence des sociétés pour réussir», Dossier n° 79, 480 p., 9,90 €.
contemporaines, caractérisées par les mobilités en tous sens, (...) multiplie à coup sûr Les métiers du médical, collection
les situations d’étranger ». A.RR «Parcours», Onisep, 136 p., 12€.
Transport routier et logistique,
La force de la différence. itinéraires de patrons atypiques collection «Zoom sur les métiers», Onisep,
de Norbert Alter. Editions PUF, première édition 2012, 320 p., 13 €. 32 p., 4,90€.

56 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


HORS-SÉRIE

UNE VIE, UNE ŒUVRE

ÉDITION
2018

Karl Marx
L’irréductible

Avec Aron, Jameson, Foucault, Raoul Peck et Slavoj Zizek

En cette année du bicentenaire de sa naissance en 1818,


il faut relire Marx et redécouvrir son analyse du

KARL MARX
capitalisme dont l’actualité séduit de jeunes chercheurs
en France et aux États-Unis. Ce hors-série donnent à lire
les textes essentiels du philosophe allemand et permet
de répondre à travers les commentaires de Jean Jaurès,
Un hors-série du « Monde »
Raymond Aron, Maximilien Rubel, Louis Althusser,
124 pages - 8,50 € ou Michel Foucault aux questions : Comment lire
Chez votre marchand de journaux le Manifeste du parti communiste ? Est-il le père du
et sur lemonde.fr/boutique totalitarisme ? Le libéralisme a t-il gagné ?
Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 57
invitation à la lecture
Les vertus d’un paresseux
Les horaires, il ne connaît pas: monde du travail et suggèrent
– « C’est à cette heure­ci que que la paresse est un signe
vous arrivez, hmm?!! d’intelligence, l’élevant au rang
– L’ascenseur était en retard.» de vertu!
Le travail? Après la sieste: Franquin décrit ainsi une vie de
– « Gaston, qu’avez­vous? bureau dans une drôle d’entre­
A l’aide! J’appelle un médecin… prise où tout est permis, où
Fais ce qu’il Souffrez­vous? le travail est désacralisé… dans
te plaît ! – En voilà des histoires parce que une bande dessinée intempo­
Dans un style original, je m’endors!… » relle qui en fait le succès depuis
moitié BD moitié graphisme Le surmenage? Pas de risques: plus de soixante ans. Ce dont
numérique, Je préférerais
ne pas, de Justin Wong,
– « Gaston! Je l’ai enfermé hier témoignent des «hors­séries»
auteur de bande dessinée soir dans les bureaux. Pauvre récents en pagaille (Télé 7 jours,
de Hongkong né en 1974, garçon! Quelle nuit mortelle!! Méga Spirou, Philosophie maga­
raconte avec humour, à la façon
d’un journal de bord, l’histoire
Ma parole! Ce phénomène ne zine, etc.), un film (sorti le
de Butt, trentenaire célibataire, s’est pas rendu compte! Gaston, 4 avril), une exposition à la Cité
« congédié » par son entreprise – Zzzzzzz… C’est vrai ce que tu me d’André Franquin et Jidéhem. des sciences et de l’industrie
à Hongkong et confronté Restauration des couleurs Frédéric
à sa nouvelle vie. Difficile
dis? Toute la nuit? Note vite ça Jannin. Dupuis, 48 p., 10,95 € le volume. (qui s’est terminée le 22 avril)…
avec ce titre de ne pas penser aux heures supplémentaires!» Vingt albums Il ne manquait plus qu’une
au personnage de Bartleby Le non­conformisme de Gaston nouvelle édition des aventures
créé par Herman Melville,
en 1853, et qui fuit le travail.
Lagaffe dynamite l’entreprise, explose ses codes de Gaston Lagaffe, vingt albums numérotés
Jusque­là, « un machin qu’on et incarne le salarié qui ne stresse jamais. Mal­ de 1 à 20, parus le 18 mars, en attendant
appelle emploi du temps » gré son absence de productivité, ses talents la parution des tomes 0 et 21 en octobre.
avait assuré sa soumission
au quotidien. Il va enfin
pour la procrastination, ses capacités de des­ Le plus célèbre des garçons de bureau a été
pouvoir, sans « l’ombre d’un truction, sa bienveillance maladroite, ses in­ créé par André Franquin (1924­1997) et a fait
regret », « faire la grasse mat », ventions – qui relèvent d’une R&D de terrain – ses premiers pas dans les pages du Journal
« jouer à la console comme
un ouf », bouquiner, aller
censées améliorer les conditions de travail de Spirou le 28 février1957 avant de devenir
au théâtre, faire du sport, de chacun, mais qui menacent l’intégrité le héros d’albums qui se sont vendus à près
créer un groupe d’inactifs sur physique de ses chefs et collègues caricaturés de trente millions d’exemplaires. Cette
Facebook, passer une bonne
partie de son temps dans
à l’extrême, Lagaffe n’est pas licencié, allant nouvelle série comprend toutes les planches
son lit, mais certainement pas s’attirer même la bienveillance de ces derniers réalisées par Franquin et son coéquipier
chercher un job ! L’occasion quand leur patience n’est pas poussée à bout. Jidéhem (1935­2017), restaurées, recolorées
pour l’auteur de jeter un regard
ironique sur son CV (« Et vous,
Les «exploits admirables de notre héros sans – les amateurs s’attacheront à distinguer par
à ma place, dans un CV, emploi», selon Fantasio dans le volume 1, exemple les couleurs des portes, des murs
vous mettriez quoi ? »), qui fait illustrent les coulisses de l’entreprise, des bureaux, qui varient d’une édition à une
l’impasse sur ses défauts :
double jeu avec ses collègues,
les rapports hiérarchiques qui l’animent, autre –, certaines inédites.
cupidité, refus « de finir fouillent dans les détails le quotidien du pierre jullien
essoré »…
Dans une ultime pirouette,
Butt raconte sa visite du
« fameux rocher historique L’entreprise, un impitoyable et impayable univers
sur lequel Napoléon s’était sou­
lagé la vessie », le conservateur Dans son Guide de la survie en entreprise, que les éditions Fluide glacial rééditent, paru
du lieu lui expliquant que à l’origine en 2005, Manu Larcenet décrit avec cynisme le monde de l’entreprise, avec
depuis trente ans, son « boulot, ses « mystérieux actionnaires », aux « pouvoirs paranormaux extraordinaires », puisque
c’est de pisser sur ce rocher » certains « sont capables de déplacer une usine du bassin lorrain jusqu’en Corée du Sud par
pour s’assurer « que cette urine la simple force de leur signature au bas d’un formulaire »...
soit la plus fraîche possible »… L’auteur enchaîne chapitres et situations où l’humour côtoie le très mauvais goût, sur
Tout un symbole pour Butt « l’épanouissement individuel » (« Donnez­nous 17 % de femmes à violer – à défaut d’obtenir
– dont le « fais ce qu’il te plaît » un intéressement de 17 % au chiffre d’affaires – et je me fais fort de convaincre mes
interpelle sur notre relation camarades »), sur la libération sexuelle dans l’entreprise – un chapitre auquel la récente
au travail – et le déclic pour actualité fait écho (« En matière de sexe sur le lieu de travail, certains chefs d’entreprise
Congo Bob ont voulu aller trop vite, trop loin ») ou sur « la mort en entreprise, une réalité ignorée »
lui donner envie de retourner
présente : Guide
au boulot… « tout en demeurant de la survie en (« Je crois qu’il en avait assez des chiffres et des colonnes »)...
inactif ». entreprise, Pour « sortir vivant du monde de l’entreprise », dont les dangers surpassent ceux des
p. ju. de Manu Larcenet. jungles les plus dangereuses, où « tous les coups sont permis », suivez le guide, Congo Bob.
Fluide glacial, 48 p., Mais, de toute façon, « si vous n’étiez pas capables d’endurer les lois de l’économie
Je préférerais ne pas,
10,95 €. de marché, il fallait chercher du travail dans un goulag », conclut le patron sous la menace
de Justin Wong (traduit du chinois de ses salariés, bien parti pour être, à son tour, la victime du renouvellement radical
par Bertrand Speller), Ed. Rue du personnel, qu’il avait organisé.
de l’échiquier, 144 p., 19,90 €. p. ju.

58 / Le Monde Campus Lundi 30 avril 2018


0123
hors-série

68
les jours qui
ébranlèrent
la france

Insurrection lyrique, soulèvement romantique et utopiste d’aspiration hédoniste, Mai 68 fut tout cela. Mais
à trop vouloir le cantonner dans une fête juvénile mimant la Commune, le Front populaire ou octobre 1917,
on passerait à côté de l’essentiel. En quelques jours, tout fut remis en cause. L’école. La famille. L’entreprise.
Le travail. Les modes de décision. La transmission du savoir. Les rapports parents-enfants. La civilisation
marchande. L’exploitation de la nature. La prééminence de l’argent. L’autorité du mâle. Le respect de l’armée
et de la police. La hiérarchie. La suprématie des institutions religieuses… Et la télévision devint en couleurs.
En donnant la parole à la fois à des témoins de Mai 68 (Vaclav Havel, Edgar Morin, Hervé Hamon, Henri Weber,
le préfet Grimaud...) et en ouvrant le débat avec des historiens (Ludivine Bantigny, Benjamin Stora), Le Monde
consacre un hors-série à ces jours qui ébranlèrent la France.

68
LES JOURS QUI ÉBRANLÈRENT LA FRANCE

Un hors-série du « Monde »
100 pages - 8,50 €
Chez votre marchand de journaux
et sur lemonde.fr/boutique
Lundi 30 avril 2018 Le Monde Campus / 59

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