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Thesis

Microgenèses didactiques en situation de lecture interactive dans une


classe bilingue pour jeunes sourds

TOMINSKA CONTE, Edyta

Abstract

Cette thèse s’intéresse aux enfants sourds bilingues utilisant la langue des signes française
(ou la LSF) et le français (oral/écrit) dans le cadre scolaire. Elle s’attache plus
particulièrement aux débuts de l'apprentissage formel de la langue écrite. L’approche des
microgenèses didactiques prenant comme objet d’étude le processus d’enseignement
apprentissage on line, guide les analyses des interactions didactiques entre enseignants et
élèves, en situation de lecture interactive d’albums de jeunesse. Les analyses menées à partir
d’enregistrements vidéo en classe et à partir de bilans des connaissances individuels relèvent
que les connaissances des élèves se construisent/transforment conjointement à l’émergence
de la zone de compréhension commune autour de composantes du savoir complexes. Les
résultats soulignent l’importance des pratiques enseignantes bilingues en coenseignement,
permettant la reconnaissance des deux langues et de leur choix d’un élève à l’autre. Ces
pratiques favorisent l’établissement et la variabilité de répertoires bilingues que les
apprenants [...]

Reference
TOMINSKA CONTE, Edyta. Microgenèses didactiques en situation de lecture
interactive dans une classe bilingue pour jeunes sourds. Thèse de doctorat : Univ.
Genève, 2011, no. FPSE 476

URN : urn:nbn:ch:unige-172613
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:17261

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17261

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
Section des sciences de l’éducation

Sous la direction de Madelon Saada-Robert et Laurent Filliettaz

Microgenèses didactiques en situation de lecture interactive


dans une classe bilingue pour jeunes sourds.

THESE

Présentée à la
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
de l’Université de Genève
pour obtenir le grade de DOCTEUR EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION
par

Edyta TOMINSKA CONTE


de

Onex (Genève)

Thèse No 476
GENEVE, septembre 2011

95-329-561
2
Membres de la commission de thèse :

Professeure Madelon Saada-Robert, Université de Genève, directrice de thèse ;

Professeur Laurent Filliettaz, Université de Genève, co-directeur ;

Professeur Cyril Courtin, Paris5 la Sorbonne ;

Professeure Agnès Millet, Université de Grenoble ;

Professeure Geneviève de Weck, Université de Neuchâtel ;

Professeure Sabine Vanhulle, Université de Genève ;

Professeur Bernard Schneuwly, Université de Genève.

Membres du jury :

Professeure Madelon Saada-Robert, Université de Genève, directrice de thèse ;

Professeur Laurent Filliettaz, Université de Genève, co-directeur ;

Professeure Agnès Millet, Université de Grenoble ;

Professeure Geneviève de Weck, Université de Neuchâtel ;

Professeure Sabine Vanhulle, Université de Genève.

3
4
REMERCIEMENTS
Au début de cette thèse, le contact avec les enfants sourds, les pratiques bilingues des éducateurs et
l’œuvre de Cyril Courtin. Son empreinte visible dans ce texte final me mène aux remerciements
posthumes.

Quant aux élèves sourds et leurs enseignants que j’ai côtoyés durant une année et demie, je leurs dois
non seulement mes données empiriques, mais aussi leur joie de vivre, leur tolérance et une approche de
l’humain dans sa différence, appréhendée par les enseignants avec une compréhension profonde de la
difficulté des enfants, mais aussi de leurs forces. Ma gratitude va surtout aux enseignants directement
impliqués dans cette recherche : Catherine Haus, directrice du CESM à l’époque, sans laquelle cette
recherche n’aurait pas eu lieu. Elle m’a ouvert la porte de sa classe pour en faire un terrain de recherche
rarissime. Merci à Giovanni Palama et à Martine Leuzinger, enseignants Sourds qui ont participé à cette
recherche avec tout leur intérêt et la bonne volonté. Et bien évidemment aux quatre écoliers dont les
prénoms restent gravés dans ma mémoire, ils ont grandi depuis en trouvant leur voie bilingue.
Merci à toute l’équipe du CESM qui m’a soutenue et me témoigne toujours beaucoup d’intérêt.

Ensuite, mes remerciements vont à mes directeurs de thèse : Madelon Saada-Robert et Laurent Filliettaz.
Tout d’abord à Madelon, toujours présente, toujours disponible à mes cotés durant ce processus de
recherche et d’écriture à longue haleine. Durant ces dernières années, bien qu’à la retraite déjà, elle a su
par ses encouragements et son intelligence, me guider et me détourner de maintes voies, ainsi que
m’insuffler l’énergie nécessaire pour finaliser ce projet. Mes remerciements vont vers Laurent présent
surtout dans la dernière partie de cette aventure scientifique : l’écriture et ses va-et-vient. Ses
encouragements et son expertise dans le domaine des interactions verbales m’ont énormément aidé à
préciser mes résultats et discuter leurs retombés. Mes remerciements s’adressent également aux trois
membres du jury final de cette thèse, Geneviève de Weck, depuis le début du projet dans sa commission,
précise et attentive dans sa lecture du texte final avec les commentaires ouvrant une perspective de
publications et d’interventions ; Sabine Vanhulle et Agnès Millet, ont accepté à la dernière minute d’en
faire partie et ont déplacé les autres engagements afin de m’accompagner dans cette dernière ligne
droite d’accomplissement et de la soutenance. Merci pour votre intérêt et votre passion de lectrices
critiques, vos commentaires et vos questions sonnent encore dans ma mémoire et sont moteur de la
réflexion autour des questions juste effleurées dans ce travail.

Je remercie mes anciens collègues d’équipe de Madelon et les actuels du groupe de recherche TALES qui
m’ont accompagné et encouragé au quotidien pendant ces années de thèse : Catherine Martinet,
Christine Gamba, Édeline Navarro, Carole Veuthey, Martine Auvergne, Anne-Christel Zeiter-Grau, Céline
Buchs, intéressées et encourageantes; Kristine Balslev, toujours prête à m’aider sur le chemin du
chercheur en devenir ; Anne Perréard Vité, Sabine Vanhulle, Alexandre Buysse, Sandra Pellanda Dieci et
Jean-Marc Tosi merci pour les moments passés ensemble permettant de démystifier les poussées de
panique et renforcer ma croyance que je vais y arriver !

Ma gratitude va enfin à mes amis et ma famille, qui ont dû s’organiser souvent en fonction de ce projet
interminable à leurs yeux, prenant sur leurs épaules ce qui m’incombait.

5
6
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS .......................................................................................................................................... 5
Table des matières ........................................................................................................................................ 7
Avant propos ............................................................................................................................................... 13
INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 15
Présentation des parties et des chapitres de cette thèse ........................................................................... 23
PARTIE I : CADRE THEORIQUE PLURIEL ....................................................................................................... 27
Introduction................................................................................................................................................. 27
Chapitre 1 : Etudes en surdité - un champ disciplinaire émergent ............................................................. 29
1.1. Deaf Studies as an academic field ...............................................................................................29
1.2. Une visée professionnalisante ....................................................................................................38
1.3. Une visée culturelle, sociologique, anthropologique .................................................................39
Chapitre 2. Education des enfants sourds ................................................................................................... 41
2.1. Education des sourds hier et aujourd’hui ...................................................................................42
2.2. Les résultats scolaires et les capacités cognitives des enfants sourds.......................................46
2.3. Les enfants sourds et la lecture/écriture ....................................................................................50
Chapitre 3. Interactions didactiques dans une classe bilingue ................................................................... 59
Introduction ........................................................................................................................................59
3.1. La notion d’interaction et les processus interactionnels dans le milieu éducatif .....................60
3.2. Interactions didactiques dans la classe bilingue .........................................................................63
3.2.1. Notion de contexte et rapport de places .............................................................................. 63
3.2.2. Bilinguisme, diglossie, contact des langues........................................................................... 65
3.2.3. Bilinguisme individuel............................................................................................................ 67
3.3. Enfants sourds bi-/plurilingues ...................................................................................................68
3.4. le parler bilingue des enfants sourds - un discours multimodal par excellence ......................71
3.5. Vers une synthèse : deux langues pour la construction des savoirs scolaires ..........................77
Chapitre 4. La littéracie émergente et les apports des microgenèses didactiques .................................... 79
4.1. Apprendre à lire et à écrire - dès modèles psycholinguistiques aux approches pédagogiques
en littéracie émergente ......................................................................................................................80
4.2. Le rôle de la littéracie émergente pour les enfants sourds ........................................................83
4.3. Apports des microgenèses didactiques ......................................................................................90

7
Chapitre 5. Synthèse des apports théoriques, les visées de la thèse et les questions qui ont guidé cette
recherche..................................................................................................................................................... 97
5.1. Une voie vers la recherche fondamentale/en situation.............................................................97
5.2. Une voie vers l’amélioration/création des pratiques enseignantes et éducatives bilingues
pour enfants sourds ............................................................................................................................99
5.3. Les questions de recherche .........................................................................................................99
PARTIE II : CADRE METHODOLOGIQUE ..................................................................................................... 103
Introduction............................................................................................................................................... 103
Chapitre 6 : Les microgenèses didactiques en tant que démarche méthodologique ............................... 105
6.1. Saisir le processus d’enseignement apprentissage en situation de classe ..............................105
6.2. Principes généraux d’élaboration des données ........................................................................106
6.3. Survol des procédés de dépouillement et d’analyse des microgenèses didactiques..............107
6.4. Les bilans psycholinguistiques...................................................................................................109
Chapitre 7 : Contexte didactique et analyses a priori ............................................................................... 111
7.1. Contexte institutionnel ..............................................................................................................112
7.2. Espace didactique et situation de Lecture Interactive .............................................................113
7. 3. Approche du terrain et étude exploratoire .............................................................................115
7.4. La recherche principale et son déroulement ............................................................................116
7.4.1. Le choix des albums ............................................................................................................. 117
7.4.2. Déroulement de l’activité de Lecture Interactive ............................................................... 118
7. 5. Analyses a priori – vers les catégories d’analyse .....................................................................119
7.5.1. Présentation des albums de littérature enfantine utilisés pendant la recherche et leur
analyse a priori .............................................................................................................................. 120
7.5.2. Les émotions dans les récits ................................................................................................ 122
7.5.3. Les scripts qui se dégagent .................................................................................................. 123
7.6. Composantes potentielles du savoir lire/écrire ......................................................................124
Chapitre 8 : Recueil des données .............................................................................................................. 127
8.1. Les séances en classe .................................................................................................................128
8.2. Les bilans psycholinguistiques...................................................................................................129
8.3. Le recueil des autres traces .......................................................................................................130
8.4. Les participants ..........................................................................................................................131
Chapitre 9 : Des observations au corpus analysé ...................................................................................... 133

8
9.1. La première étape : « sur le terrain »........................................................................................133
9.2. La deuxième étape : « traduire, c’est trahir » ..........................................................................133
9.2.1. Conventions de transcription .............................................................................................. 134
9.2.2. Validité de la transcription .................................................................................................. 136
9.3. La troisième étape : aux prises avec la catégorisation des données transcrites en termes
d’unités triadiques ............................................................................................................................137
9.3.1. Définitions des catégories et codages ................................................................................ 140
9.3.2. Validité des catégories ........................................................................................................ 144
9.4. La quatrième étape : le découpage du protocole en séquences microgénétiques .................145
9.5. La cinquième étape : la caractérisation de la dynamique interactionnelle des séances ........148
9.6. La sixième étape : repérage des patterns de significations et des états de la Zone de
compréhension .................................................................................................................................149
Chapitre 10 : Comment construire l’analyse bilingue des interactions didactiques? ............................... 157
10.1. Médiations linguistiques et les autres ressources extra-linguistiques dans la coconstruction
des significations...............................................................................................................................159
10.1.1. Médiations de deux langues en classe : bilinguisme bimodal des enfants sourds et
pratiques enseignantes ................................................................................................................. 160
10.1.2. Ressources extra-linguistiques dans la classe ................................................................... 161
10.2. Fonctionnement des enseignants et des élèves dans l’interaction .......................................163
10.2.1. Fonctionnement du binôme de deux enseignants ............................................................ 164
10.2.2. Participation des élèves dans l’interaction ....................................................................... 164
10.2.3. Développement des répertoires bilingues à dominances ................................................. 165
10. 4. Synthèse de la partie méthodologique – les procédés d’analyse microgénétique et l’analyse
bilingue en bref .................................................................................................................................169
PARTIE III : PRESENTATION DES RESULTATS ............................................................................................. 171
Introduction............................................................................................................................................... 171
Chapitre 11 : Analyse des résultats individuels aux bilans psycholinguistiques ....................................... 173
11.1. Bilan au début de l’année scolaire (T1) ...................................................................................175
11.1.1. Les 4 épreuves ................................................................................................................... 175
11.1.2. Les stratégies d’écriture à T1............................................................................................. 176
11.2. Bilan de la fin d’année (T3) ......................................................................................................178
11.2.1. Les 5 épreuves ................................................................................................................... 178
11.2.2. Les stratégies d’écriture à T3 :........................................................................................... 179

9
11.3. Progression des élèves d’un bilan à l’autre : les 5 épreuves et les stratégies d’écriture ......181
11.3.1. Les 5 épreuves : ................................................................................................................. 181
11.3.2. Les stratégies d’écriture des mots :................................................................................... 182
Chapitre 12 : Résultats de l’analyse microgénétique ................................................................................ 185
12.1. Analyse structurale des contenus et des modalités énonciatives (T1, T2, T3) .......186
12.1.1. Composantes du savoir lire/écrire réellement activées à T1 ............................................ 187
12.1.2. Composantes du savoir lire/écrire activées à T2 .............................................................. 190
12.1.3. Composantes du savoir lire/écrire activées à T3 .............................................................. 192
12.1.4. Synthèse d’analyses des composantes du savoir lire/écrire à travers les temps
d’observation T1-T2-T3 ................................................................................................................. 194
12.1.4.1. Les composantes les plus fréquentes .........................................................................................194
12.1.4.2. Evolution des composantes peu représentées........................................................................197
12.1.5. Analyse structurale des modalités énonciatives et leur évolution dans le temps : prémices
d’un type d’enseignement particulier ? ....................................................................................... 201
12.2. Analyse séquentielle : déroulement effectif des séances de Lecture Interactive et
comparaison d’un temps à l’autre, à travers la dynamique des objets d’enseignement
apprentissage .................................................................................................................................205
12.2.1. Analyse séquentielle à T1 .................................................................................................. 207
12.2.2. Analyse séquentielle à T2 .................................................................................................. 210
12.2.3. Analyse séquentielle à T3 .................................................................................................. 212
12.2.4. Synthèse des analyses séquentielles (T1, T2, T3) – la dynamique des objets
d’enseignement apprentissage à travers le temps ....................................................................... 214
12.3. Analyse de la dynamique interactionnelle en classe ...................................................216
12.3.1. La dynamique interactionnelle à T1 : ................................................................................ 216
12.3.2. La dynamique interactionnelle à T2 .................................................................................. 218
12.3.3. La dynamique interactionnelle à T3 : ................................................................................ 219
12.3.4. Synthèse de la dynamique interactionnelle durant l’année scolaire : la dynamique propre
à cet d’enseignement apprentissage particulier se confirme-t-elle ? ........................................... 222
12.4. Analyse de la construction conjointe à travers les patterns des significations et les états de
la Zone de compréhension d’une séance à l’autre ..........................................................................223
12.4.1. Les patterns de significations et la zone de compréhension en construction à T1 .......... 223
12.4.2. La zone de compréhension en construction parsemée de ruptures à T2 : ....................... 227
12.4.3. La zone de compréhension en construction et commune à T3 ........................................ 229

10
12.5. Synthèse de l’analyse microgénétique : à la recherche d’une zone de compréhension
commune et des significations partagées........................................................................................232
Chapitre 13. Au travers du prisme bilingue............................................................................................... 235
Introduction ......................................................................................................................................235
13.1. Fonctionnement bilingue en classe à partir des analyses interactionnelles .........................236
13.1.1. Fonctionnement du binôme des enseignants - une symétrie apparente ......................... 239
13.1.2. Le positionnement des élèves face aux deux langues – développement des répertoires
bilingues à dominances ................................................................................................................. 243
13.2. Pratiques littéraciques bilingues dans la classe observée......................................................247
13.2.1. Rôle de la médiation langagière (LSF/Fr) dans les apprentissages ................................... 247
13.2.1.1. La médiation sur le code .............................................................................................................247
13.2.1.2. La médiation sur la trame narrative.......................................................................................254
13.2.2. Ressources extra-linguistiques .......................................................................................... 258
13.2.3. Deux langues pour un discours : accueil des langues et des cultures ............................... 260
13.3. Vers les pratiques enseignantes bilingues comme moteurs de l’apprentissage de la littéracie262
PARTIE IV : DISCUSSION DES RESULTATS ET PERSPECTIVES...................................................................... 263
Chapitre 14. Discussion des résultats ........................................................................................................ 263
14.1. Evolution des connaissances intrasubjectives des composantes du savoir lire/écrire ........267
14.2. L’espace intersubjectif de la classe, composantes du savoir lire/écrire et Zone de
Compréhension .................................................................................................................................270
14.2.1. zone de compréhension et négociation des significations autour des composantes
littéraciques ................................................................................................................................... 271
14.2.2. Zone de compréhension et ajustements des partenaires d’interaction ........................... 274
14.3. Les pratiques bilingues en classe............................................................................................277
Chapitre 15. Perspectives professionnelles, de formation et de recherche ............................................. 281
15. 1. Vers des pratiques enseignantes bilingues ............................................................................281
15. 2. Vers une formation professionnelle ......................................................................................284
Comment penser une formation professionnelle qui .......................................................................284
15. 3. Vers de nouvelles recherches .................................................................................................285
Pour conclure ....................................................................................................................................288
Bibliographie.............................................................................................................................................. 289
Liste d’annexes .......................................................................................................................................... 314

11
12
AVANT PROPOS
« De tout temps et en tout lieu, la surdité, cet « handicap » invisible,
interpelle, déstabilise.
Les sourds sont-ils des infirmes, des sots, des personnes de mauvaise
volonté qui choisissent d’entendre ou non ? (…) De fait, entre audition et
compréhension, l’amalgame s’opère très tôt, et avec lui l’idée que la
parole vocale est indispensable au développement de l’intelligence. Faire
parler les sourds s’impose donc comme une nécessité pour les intégrer
dans la société, les mettre « en conformité » par rapport à un schéma
social dominant. C’est ainsi qu’on s’acharne à faire disparaitre la surdité,
en tentant de réparer un organe défaillant au détriment du monde
d’expression naturel et séculaire des personnes sourdes, la langue des
signes. »

Fabrice Bertin1

En hommage au professeur Cyril Courtin, un Sourd d’exception qui nous a quitté avant l’heure,
dans sa 39 année, en décembre 2010 :

Cyril Courtin, docteur en psychologie développementale, a été chercheur dans l’équipe dirigée
par le professeur O. Houdé à Paris V, Sorbonne, (labo Cognition et communication). Il a été
également chercheur et membre du CNRS à l’université de Caen (Centre d’imagerie-
neurosciences et d’applications aux pathologies – CI-NAPS) où il faisait partie de l’équipe
GINLANG, groupe d’Imagerie Neurofonctionnelle du langage, travaillant spécifiquement sur les
bases neurales de la langue des signes française (LSF).

Ses travaux et ses engagements sont surtout connus dans la promotion de la démarche bilingue
pour enfants sourds, des enfants considérés avant tout en plein développement (voir Courtin,
2007, pour la coordination du numéro spécial de la revue Enfance ; ou Courtin, 2002). Il a
participé avec d’autres chercheurs experts dans le champ des études en surdité, à l’ouvrage
collectif Deaf Cognition. Foundation and Outcomes., en 2008 (Courtin, Melot & Corroyer, 2008).
Il s’est intéressé à la question difficile de l’évaluation des compétences chez les enfants sourds
(Courtin & Melot, 2006). Ainsi, il poursuivait ses recherches sur les capacités cognitives de ces
enfants (Courtin, 2000a, b, c ; 1999, 1997) en parvenant à des découvertes importantes
concernant les bases neurales liées à l’utilisation de la langue des signes (Courtin & Tzurio-
Mazoyer, 2005), entre autres.

1
Bertin, F. (2010). Les Sourds. Une minorité invisible. 4ème de couverture, Paris : Autrement.
13
Il a contribué aux travaux du comité scientifique du Journal of Deaf Studies and Deaf Education
pendant quelques années. Enfin, au-delà de ses travaux de recherche, il est connu pour son
œuvre associative en vue de la reconnaissance de la langue des signes et des droits des Sourds
en France.

Personnellement, je l’ai entendu (oui, il parlait comme vous et moi) donner le cours sur la
flexibilité cognitive des enfants sourds, à Genève, en janvier 20032, bien avant d’avoir formulé
un projet clair de recherche auprès des élèves sourds du CESM3. C’est lui qui m’a inspiré l’idée
d’aller dans cette direction, par la force de son discours, le discours de celui qui sait « comment
on peut être sourd ».

Son approche des apprentissages des enfants sourds et de leur développement cognitif,
langagier et social, vue de l’intérieur, par sa voie personnelle de Sourd qui défend son droit à la
différence et de chercheur engagé dans la recherche scientifique, était tellement différente de
ce que j’avais pu entendre par ailleurs. Il a reconstruit dans ses recherches l’image d’un enfant
sourd capable, intelligent, performant, comme lui-même l’a été durant ses années d’école,
d’études, d’un travail scientifique si important dans le champ des études en surdité.

En 2005, lors du dépôt de mon projet de thèse, il a accepté de m’accompagner sur le chemin de
la recherche scientifique. Dans ce cadre, nous avons eu quelques échanges, et nous nous
sommes rencontrés en novembre 2009 à Paris, dans son bureau de la Sorbonne, 5, rue St
Jacques, pour que je puisse lui présenter quelques-uns des résultats de mes analyses. Très
intéressé, me posant plusieurs questions, intrigué par une démarche méthodologique bien loin
de sa propre pratique de recherche, il m’a vivement encouragée dans la finalisation de cette
thèse. La discussion s’est ensuite terminée sur les ouvertures que ce travail me permettrait
d’entrevoir…

Je ne savais pas alors, qu’il ne pourrait pas lire cette version finalisée, malheureusement.

2
Cours sur les déficiences chez l’enfant proposé par les professeurs H. Kilcher & R. Milian en psychologie clinique
que j’ai suivie dans le cadre de mon DEA en sciences de l’éducation
3
Centre pour enfants sourds de Montbrillant

14
INTRODUCTION
«The bridging of research and practice related to deaf cognition and deaf
education offers exciting possibilities for both researchers and educators,
with DHH [Deaf and Hard-of-Hearing] students as the primary
beneficiaries. The Chinese proverb tells us that a journey of 1000 miles
begins a single step. We are ready. »

Marc Marschark and Peter C. Hauser4

UN CADRE PLURIDISCIPLINAIRE

Cette thèse s’inscrit dans le champ (pluri)disciplinaire des sciences de l’éducation (Hofstetter,
2007) en ce qu’elle souligne la pluralité typique de ce champ, notamment par ses références
théoriques. Tout d’abord, et par son intérêt qu’elle porte à la population des enfants sourds,
elle s’insère dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement spécialisés5 (Chatelanat &
Pelgrims, 2003) ou dans celui de la pédagogie curative. Avec Lussi, (2007) nous soulignons que
cette dernière émerge, du point de vue historique, en parallèle au champ disciplinaire des
sciences de l’éducation, avec ses frontières mouvantes, et en s’articulant avec lui sur plusieurs
plans. Ensuite, ce travail s’intègre parmi les travaux en didactique de la lecture dans son
acception procédurale (Fijalkow, 2000), proposant « d’apprendre à lire en lisant, considérant
que la maitrise d’une conduite s’acquiert en pratiquant cette conduite plutôt que toute autre
activité censée y mener», (Fijalkow, 2000, p. 115, cité par Balslev, Martinet & Saada-Robert,
2006, p. 43). La situation complexe de Lecture Interactive d’albums de jeunesse avec des jeunes
élèves sourds s’affilie à cette approche « active» de l’apprentissage de la lecture/écriture, en
ouvrant en même temps une perspective bilingue, car il s’agit d’élèves sourds utilisant les deux
langues dans leur cadre scolaire. Ce cadre scolaire bilingue (LSF6/français) spécialisé dans la
prise en charge des enfants sourds, est mis en place dans une école primaire publique de la ville
de Genève. Basé sur des observations se déroulant dans un tel cadre, notre travail se situe
parmi les travaux sur le parler bilingue, étudiant la situation d’un bilinguisme particulier, celui de
jeunes sourds. En première approche, nous définissons ce bilinguisme en tant que connaissance
progressive des deux langues, et la capacité de passer de l’une à l’autre selon les besoins des

4
Marschark, M. & Hauser, P. C. (2008, p. 17-18).
5
Nous suivons dans ce texte les précisions de M. Ruchat (2003, p.155) qui utilise l’adjectif spécial dans le sens de la
population à laquelle « on attribue de l’aide, des soins, des apprentissages ». Il s’agit également des pratiques qui
concernent cette population. Par contre, le terme spécialisé renvoie aux spécialistes tels qu’éducateurs,
enseignants, soignants, etc., par la voie d’une formation professionnelle spécifique.
6
Langue des signes française

15
situations rencontrées. La notion de répertoire verbal (pour nous de répertoire vocal7 et signé)
nous permettra d’envisager cette compétence bilingue comme la connaissance des deux
langues spécifique, qui diffère des connaissances langagières des locuteurs natifs et
monolingues (Grosjean, 2003 ; Mugnier, 2006b ; Moore, 2006).

Un autre domaine en sciences de l’éducation est concerné par ce travail ; il s’agit des travaux se
concentrant sur les interactions dans le cadre scolaire ou de formation, leurs dimensions
discursives, langagières, cognitives ainsi que multimodales se caractérisant par la prise en
compte des ressources extralinguistiques, gestuelles, artefactuelles etc. (Filliettaz & Schubauer-
Leoni, 2008 ; Mondada, 2004, de Saint-Georges, 2008 ; Millet & Estève, 2009, 2010). Ces
interactions signées/vocales, dans notre cas, visent l’établissement d’une zone de rencontre, la
zone de compréhension commune négociée entre partenaires, enseignants et élèves. L’enjeu est
pour eux de se comprendre à propos des composantes émergentes du savoir lire/écrire dans la
situation didactique de lecture d’albums de littérature de jeunesse. Ces négociations du contrat
didactique sont saisies à travers les transformations des significations que les uns et les autres
donnent à ces objets d’enseignement apprentissage. Les études sur l’entrée dans l’écrit, comme
les microgenèses didactiques (Saada-Robert et al. 2003 ; Balslev et al. 2005, entre autres), ou
plus largement du champ de la littéracie émergente (ou literacy), sont alors convoqués. Si un
large éventail des travaux caractérise le début de l’apprentissage de la lecture/écriture chez
l’enfant entendant, un certain nombre se focalise récemment sur la population d’enfants sourds
apprentis lecteurs (Williams, 2004 ; Schirmer & Williams, 2003 ; Chamberlain & Mayberry,
2005).

OBJETS PRINCIPAUX DE CETTE THÈSE

Le cadre théorique pluriel qui va suivre, nous permet de nous emparer de notre objet d’étude
complexe, celui du processus d’enseignement apprentissage de la lecture/écriture dans une
classe bilingue pour enfants sourds, et de le décliner en trois objets principaux dont parle cette
thèse :

En premier lieu, le processus d’enseignement apprentissage est saisi dans son déroulement, in
situ, en classe déterminée par les aspects temporels, institutionnels et contextuels. Ce
processus est démontré à travers les interactions didactiques qui se déroulent dans cette classe
pendant une situation didactique précise proposée aux élèves, celle de Lecture Interactive. Ces
interactions s’organisent en deux langues utilisées par deux enseignants qui en sont garants,
l’enseignant Sourd est expert de la langue des signes française, l’enseignante entendante
assume l’enseignement du français dans son versant vocal et écrit, toutefois elle signe aussi en
même temps. Nous pouvons donc appréhender d’un coté les pratiques enseignantes dans leur
7
Nous précisons d’amblé les termes vocal et oral qui apparaitrons dans la suite de cette thèse : la langue des signes
représente un type d’oralité signée qui correspond dans les langues orales à une oralité vocale.

16
complexité, et de l’autre, les pratiques langagières des élèves, suscitées et favorisées par le
cadre bilingue et les médiations du binôme enseignant.

Deuxièmement, il s’agit d’appréhender à partir de ces interactions didactiques et bilingues le


processus d’élaboration progressive d’une zone de compréhension commune à travers laquelle
les composantes du savoir lire/écrire (ou littéracique) sont transposées/acquises. Cette zone se
met en place autour des significations que chacun en donne, significations qui font l’objet des
négociations et des ajustements de la part des deux partenaires du contrat didactique
(enseignants et élèves).

Troisièmement, nous tentons d’atteindre quelques traces de transformation des connaissances


littéraciques des élèves, du début à la fin de l’année scolaire. Ce sont les transformations de
leurs représentations de l’écrit et de leur positionnement en tant que sujets connaissant
(Ducret, 2009) ; ces changements sont rendus visibles à travers des épreuves de bilans
psycholinguistiques et confirmés – ou non- par les interactions en classe.

OBJECTIFS

Un objectif principal de cette thèse est d’esquisser une partie de réponse à une
question importante : comment font les jeunes sourds pour apprendre à lire et à écrire ? Quelles
sont les démarches d’enseignement, les moyens mis en place, les outils qui favorisent
l’apprentissage de la langue écrite par ces enfants et constituent ainsi les moteurs de leur
développement? Notre travail consiste à essayer de donner quelques indicateurs, toujours
partiels, par lesquels nous voulons contribuer aux connaissances plus générales sur les
processus d’enseignement/apprentissage de la langue écrite, les processus situés et envisagés
de manière tripolaire (enseignant, élèves, composantes de savoir).

Nous tentons également d’apporter quelques éléments pour une meilleure compréhension du
bilinguisme des enfants sourds, démontré ici dans le cadre scolaire, à travers des interactions
didactiques autour des composantes du savoir lire/écrire, un savoir fondamental pour les
apprentissages scolaires et qui fait souvent défaut chez ces enfants. Qu’il s’agisse des processus
fins d’enseignement apprentissage ou du bilinguisme LSF/français, l’étude des interactions en
classe constitue une « mine d’or » pour comprendre certains aspects de ce parler bilingue des
jeunes sourds encore peu exploités dans la recherche, notamment leurs aspects multimodaux
(Millet & Estève, 2009, 2010).

À travers la même situation didactique, nous pouvons finalement amener quelques éléments
éclairant les pratiques enseignantes bilingues et littéraciques. Elles sont élaborées dans une
situation complexe, riche en significations qui permettent aux élèves de s’investir dans leurs
propres apprentissages. Une analyse fine de ces pratiques peut fournir des résultats

17
intéressants sur les pratiques enseignantes en général, et nourrir la discussion sur les dispositifs
d’inclusion des élèves « différents » dans l’école d’aujourd’hui.

MÉTHODOLOGIE ET CARACTÈRE DES DONNÉES

Dans le but d’atteindre nos objectifs nous avons utilisé une méthodologie qui prend sa racine
dans les recherches qualitatives. Il s’agit d’une démarche à la fois inductive et déductive, puisant
dans le cadre des recherches en microgenèses didactiques (Balslev & Saada-Robert, 2007 ;
Saada-Robert et al. 2003, entre autres). En outre, notre objet d’étude implique une prise en
compte d’autres cadres d’analyse, notamment celui de l’analyse interactionnelle et celui des
analyses sur le bilinguisme. Nous les croisons, afin de procéder à une analyse fine, au niveau
micro des interactions, à travers l’établissement de la zone de compréhension commune qui lie
les partenaires du discours bilingue aux composantes du savoir lire/écrire. Cette méthodologie
permet d’analyser la dynamique interactionnelle et les négociations des significations autour de
ces composantes, ainsi que de saisir les transformations de cette dynamique durant les séances
en termes de partterns de compréhension (Balslev, 2006 ; Martinet, Balslev & Saada-Robert,
2007).

La particularité des nos données, recueillies en classe pendant les situations d’enseignement
apprentissage, réside dans leur caractère « ordinaires » ou « écologique » (Pallotti, 2002). Les
enregistrements vidéo des séances sont transcrits et dépouillés en gardant une posture
d’empathie face aux acteurs, dans le but de s’imprégner de la situation et par ce fait de saisir
des indices précieux à l’interprétation. Dans une double démarche de compréhension et
d’explication des processus d’enseignement apprentissage, nous prenons en considération les
autres données contextuelles - présentés dans les analyses a priori - qui permettent d’anticiper
les potentialités de la situation didactique proposée. Nous complétons ces données
situationnelles par les résultats individuels des élèves aux bilans psycholinguistiques, qui nous
permettent de saisir, pendant une année, la progression/transformation des leurs
connaissances concernant les composantes alphabétiques - connaissances de lettres, sensibilité
aux syllabes - et lexicales.

DÉFIS DE CETTE THÈSE

Comme nous l’avons exprimé plus haut, cette thèse pose comme objet d’étude la question de
savoir comment les enfants sourds apprennent à lire et à écrire dans un cadre scolaire bilingue
(LSF/français). Cet objet implique au moins deux défis. D’une part, celui de rendre compte de la
situation complexe que ces enfants vivent face aux apprentissages fondamentaux lors de leur
scolarité. Nous devons alors prendre en compte à la fois leurs caractéristiques et leurs

18
positionnements face à ces apprentissages, tout en observant les pratiques enseignantes dans
une situation de l’entrée dans l’écrit. C’est donc le processus d’enseignement apprentissage
dans ses deux versants, pour nous inséparables, qu’il va falloir saisir. D’autre part, la question
posée plus haut, implique un positionnement simultané dans deux champs disciplinaires, qu’il
s’agira de mettre en discussion : les sciences de l’éducation et les études en surdité. En sciences
de l’éducation, ce sont les travaux sur l’acquisition de la lecture/écriture par des jeunes élèves,
apprentis lecteurs, qui sont visés, avec les travaux en éducation/enseignement spécial dans leur
souci de répondre aux besoins spécifiques des enfants vivant avec des handicaps ou difficultés
d’apprentissage. En sciences de l’éducation, ce sont également l’une ou l’autre des perspectives
de l’analyse interactionnelle qui est convoquée, dans le but de comprendre précisément les
processus d’enseignement apprentissage. Notre objet s’inscrit également et de plein droit parmi
les études en surdité, un champ encore émergeant en Europe comme le souligne une partie de
ce travail consacrée à la vision générale de ce champ et des interrogations terminologiques,
conceptuelles et méthodologiques qui l’animent.

Si ces deux défis sont relevés, ils devraient permettre de cerner la complexité marquée par le
débat social et institutionnel autour de la scolarité de cette population d’enfants. Un débat dans
lequel la reconnaissance des langues des signes dans les sociétés occidentales joue un rôle
important. Dans le travail présenté ici, tous ces ingrédients trouvent leur place, cimentés par
une démarche de recherche propre qui utilise le cadre des microgenèses didactiques comme
point de départ.

Du général au particulier, nous menons nos lecteurs de la perspective historique et sociale du


champ d’études en surdité vers l’observation et l’analyse d’une situation précise en classe. Cette
dernière exige, plusieurs cadrages théoriques car il s’agit, nous l’avons dit, d’étudier une
situation complexe d’enseignement apprentissage, celui du français dans un cadre bilingue, mis
en place pour des élèves sourds. Dans un tel cadre, les interactions didactiques qui se déroulent
entre enseignants et élèves et par lesquelles les processus d’enseignement apprentissage seront
cernés, nous intéressent de plusieurs points de vue :

- du point de vue de la transformation des connaissances des élèves (appréhendés à


travers les bilans psycholinguistiques et les interactions en classe),
- du point de vue de la circulation des objets d’enseignement apprentissage en situation
(saisie à travers l’analyse séquentielle et comparative d’une séance à l’autre),
- du point de vue de la dynamique interactionnelle entre les partenaires du discours, les
places qu’ils prennent/laissent face à l’autre, ou de manière par laquelle ils s’ajustent
l’un à l’autre (prise à travers l’analyse interactionnelle et bilingue),

19
- du point de vue de la dynamique bilingue qui met en exergue l’utilisation des deux
langues par les interactants, soulignant leur choix et saisissant l’élaboration des
répertoires bilingues à dominances,
- du point de vue des pratiques d’enseignement et d’apprentissage bilingues favorisant les
acquis scolaires de cette population de jeunes enfants,
- enfin, dans une mise en perspectives, du point de vue de la formation des enseignants.

DEUX VISIONS DANS L’ÉDUCATION DES ENFANTS SOURDS

L’émergence du champ disciplinaire en surdité, exposée plus loin dans sa dimension historique
et sociale, fait apparaitre une oscillation pour le moins problématique dans la prise de décisions
concernant l’éducation de ces enfants. Elle est comprise entre deux extrêmes, représentés par
une vision anthropologique sur un pôle, et une vision médicale sur l’autre. La dimension
éducative y apparait plus à titre d’artefact, comme mesure incontournable à prendre, mais non
pas à titre de visée en soi, sous-tendu par un nombre conséquent de recherches autonomes sur
l’éducation des enfants sourds. Les conséquences importantes de cette oscillation se font sentir
jusque dans la prise en charge éducative et scolaire de ces enfants et dans l’établissement des
démarches bilingues. En France notamment la loi de 2005 permet l’introduction de la LSF dans
les écoles pour enfants sourds, sans toutefois une quelconque forme d’obligation. En Suisse, il
manque encore de lois, ainsi que d’une reconnaissance de la langue des signes par la
Confédération (Hadorn, 2008). La gestion de cette question est laissée à la charge de chaque
canton, relevant de l’éducation ordinaire ou spécialisée, et d’aides thérapeutiques
subventionnées par l’AI8, comme le montre le projet OPERA (Tièche Christinat et CSPS, 2010)
dans son état de lieux. Une tendance est toutefois à souligner, celle de vouloir harmoniser la
prise en charge de ces enfants à l’aune du programme confédéral HarmoS, d’où la décision
politique d’explorer et de caractériser une prise en charge pour toute la Romandie (cf. les
données du projet OPERA qui suit des cohortes des jeunes sourds de 0-20 ans durant deux ans
2006-2008).

UNE DISCUSSION TERMINOLOGIQUE INCONTOURNABLE

Un deuxième point renforce les interrogations inhérentes au champ disciplinaire de la surdité :


celui de la terminologie. Nous considérons que la discussion sur ce point est incontournable,
autour de l’emprunt des termes élaborés dans le monde scientifique anglo-saxon pour les
adapter, en les élaborant sémantiquement, et en les adaptant au monde scientifique et culturel
français. Par exemple, l’usage du terme Deaf Studies, développé plus loin, est reconnu dans le
monde anglo-saxon par son assise scientifique dans un champ disciplinaire qui dispose de

8
Assurance Invalidité

20
chaires universitaires, de maisons d’édition prestigieuses, d’un rayonnement mondial –
notamment à travers la Gallaudet University où tous les enseignements sont donnés en langues
des signes américaine et en anglais. Doit-on céder à la tentation d’une simple traduction mot à
mot ou tenter une élaboration sémantique correspondant au monde culturel, langagier et
scientifique de l’Europe francophone ? Nous relevons ici cette tentation afin de mettre en
discussion la nécessité d’un fondement propre à ce champ disciplinaire en français. Nous
proposons donc pour Deaf Studies le concept d’études en surdité et non pas d’ « études
sourdes » autrement dit d’études des Sourds ou pour les Sourds ou sur les Sourds, comme les
études tziganes, juives, arabes etc. liées à une population ethnique, culturelle et souvent
religieuse précise. Une telle dénomination impliquerait des études démographiques,
ethnologiques, anthropologiques et sociologiques, à la fois sur la culture et l’histoire de vie des
Sourds, en les désignant en tant que communauté fermée. Ce type d’études a bien évidemment
un intérêt scientifique et, pour nous, ces objets et domaines d’études sont inclus dans ce que
nous comprenons par études en surdité (non pas de la surdité, sur la surdité mais du point de
vue intérieur aux actants en surdité). À notre avis, le champ disciplinaire « en surdité » est plus
large et convoque les disciplines « mères » telles que la psychologie, la linguistique, la médicine
avec ses nouveaux apports technologiques, l’histoire, la sociologie, les neurosciences etc. En
cela, il ressemble aux sciences de l’éducation et à leur émergence (Hofstetter & Schneuwly,
2002). Les études en surdité représentent également un domaine scientifique par une autre
entrée, celle qui se place à l’intérieur de cette communauté, en reconnaissant sa différence et
ses particularités, en reconnaissant pleinement la langue des signes comme porteuse de la
culture et de l’histoire de la population sourde qui y rattache son identité. Une identité qui se
crée et qui évolue dans le monde d’aujourd’hui à travers les changements technologiques qui
permettent de repousser les barrières d’inaccessibilité à la communication et à l’information.

Une autre discussion terminologique porte sur l’ambiguïté des termes Sourd et sourd soulignée
par Marschark & Humphries (2010). La réflexion est bien évidemment en cours rien que par
rapport à la définition de la personne sourde avec un grand S (deaf ou Deaf dans les pays
anglophones). Est-ce seulement les personnes de familles de sourds de plusieurs générations
qui en ont « le droit » ? Qu’en est-il des autres sourds, par exemple ceux de la première
génération de parents entendants, qui ont suivi leur instruction en langue des signes et
s’identifient à cette communauté ? Qu’en est-il des surdités « acquises », même
tardivement, dont les personnes atteintes se sentent et se définissent comme Sourds ? La
polémique n’est pas nouvelle et nous avons l’intention de la ranimer un instant sans toutefois la
prétention de la dépasser. Cependant, nous pensons que le terme d’études en surdité compris
de la manière évoquée plus haut, avec le respect de la langue des signes et de son rôle pour des
enfants sourds en développement, est à même de fédérer des études dans ce champ émergent.
En effet, il n’empêche pas les études à grande échelle portant sur la populations des Sourds en
général, leur histoire et leur culture, ou leurs spécificités médicales, ni les études linguistiques

21
en langues des signes qui se développent dans plusieurs pays ces dernières années, ni d’autres
études concernant des groupes d’enfants, d’adolescents et d’adultes touchés par cette
déficience. Qu’il s’agisse des enfants entendants des parents sourds (appelés CODA9 aux Etats-
Unis), des enfants implantés, des enfants qui ont une déficience relativement moindre mais ont
besoin de l’encadrement pédagogique particulier etc., les études en surdité sont à même de
rendre compte de leurs différences.

Un autre point de la discussion terminologique peut être porté par le terme anglais
caractérisant les enfants sourds en tant qu’une population particulière d’enfants, Deaf and
Hard-of-Hearing Children possédant un acronyme DHH. En français l’expression enfants sourds
et malentendants n’a pas son acronyme, ESM ou SM n’étant pas utilisés dans la recherche
francophone pour désigner ces enfants. A défaut, on la raccourcit au terme de enfant sourd qui
comprend les enfants sourds et malentendants en général, sans spécifier leur degré de
déficience. Nous suivrons cet habitus dans notre travail.

En troisième lieu, pour ce qui est de la recherche présentée ici, une discussion terminologique
supplémentaire doit être mentionnée. Elle concerne la didactique des langues et les
interrogations que les enfants sourds lui posent. Tout d’abord, la question du bilinguisme des
enfants sourds doit faire partie de la discussion terminologique. La compréhension du
bilinguisme individuel évolue dans le temps et est actuellement caractérisée par une capacité
d’utiliser régulièrement l’une et l’autre langue, et non pas en termes des compétences
linguistiques correspondantes à celles des locuteurs natifs de l’une ou de l’autre langue. Cette
notion des compétences différentes de l’enfant bilingue est encore à mieux saisir et mentionner
surtout dans les études sur le terrain éducatif et scolaire où la reconnaissance du parler bilingue
fait face à l’exigence des systèmes scolaires normatifs et monolingues en majorité. Nous avons
mentionné le champ de la didactique des langues comme bousculée par la particularité des
enfants sourds et leur bilinguisme. Effectivement, comment caractériser l’apprentissage du
langage par les enfants sourds et celui de la langue écrite en français, ou d’une autre langue de
l’environnement social de l’enfant ? En tant que langue première vs langue seconde ? Langue de
base de communication vs langue cible ? Que représente pour eux la langue de l’école ? La
terminologie de Mugnier (2006a, 2010) nous semble particulièrement bien appropriée à notre
recherche. Elle caractérise les deux langues de manière suivante : la LSF a une fonction de
langue de références, tandis que la langue française est une langue à apprendre (Mugnier, 2010,
p. 1)

9
Children of Deaf Adults, il s’agit bien des enfants normo-entendants de parents Sourds qui vivent les situations de
bilinguisme, langue de signe/langue vocale différemment que les enfants sourds de familles entendantes, et qui
sont des signeurs natifs.

22
Pour clore cette entrée en matière dans notre recherche, il reste à souligner, parmi les études
en surdité mentionnées plus haut, la plus grande rareté, encore, de celles qui portent sur les
processus fins d’enseignement apprentissage de la langue écrite chez les jeunes enfants sourds.

PRÉSENTATION DES PARTIES ET DES CHAPITRES DE CETTE THÈSE


Ce travail se déroule en quatre parties. Classiquement, la partie I présente le cadre théorique de
la recherche (chapitres 1 à 6), la partie II se focalise sur les questions méthodologiques
(chapitres 7 à 10) et la partie III est constituée de la présentation des analyses effectuées sur les
données d’observation (chapitres 11 à 13). Pour terminer, la partie IV entre en discussion avec
ces analyses, mises en perspectives grâce au cadrage théorique. Elle présente finalement des
perspectives en matière d’intervention sur le terrain éducatif ainsi qu’en matière de recherche
fondamentale (chapitres 14 et 15).

La première partie dessine tout d’abord une esquisse, un contour, un état des lieux du champ
d’études en surdité, du point de vue historique, en contrastant les zones d’intérêts anglo-saxon
et francophone. Les études francophones en surdité se développent beaucoup ces dernières
années et fournissent des résultats intéressants dans ce champ disciplinaire émergent (chapitre
1). En poursuivant son objectif de cadrage théorique pluriel, cette partie propose un chapitre
sur l’éducation des enfants sourds dans une perspective socio-historique et actuelle en France
et en Suisse romande. Elle présente également la discussion scientifique autour des résultats
scolaires de ces enfants, en particulier en lecture et en écriture (chapitre 2). Ensuite, cette partie
mène les lecteurs au cœur des interactions didactiques bilingues en convoquant les champs
conceptuels des différentes approches didactiques des interactions en classe. Dans le cas de
l’utilisation des deux langues telles que la LSF et le français en même temps, ces interactions se
colorent d’une dimension multimodale importante. C’est pourquoi les travaux concernant la
gestualité et les autres modalités extralinguistiques intervenant dans le processus
d’apprentissage sont alors brièvement mentionnés dans le chapitre 3. Le chapitre suivant est
composé de trois points. Premièrement, il expose les recherches du domaine de la littéracie et
les aborde tout d’abord du point de vue de leur importance pour le développement des
connaissances en lecture/écriture d’enfants ordinaires, dans la perspective de leur réussite
scolaire. Puis, à l’instar des recherches dans le domaine de la littéracie, cette fenêtre ouverte
vers la scolarisation (Makdissi, Boisclair & Sirois, 2010), mène le lecteur vers les études en
surdité (deuxième point). Dans ce domaine important, elles développent leurs recherches en se
focalisant sur la population de jeunes sourds face à l’apprentissage de la lecture/écriture. Le
troisième point vise la compréhension des processus d’enseignement et d’apprentissages à

23
travers les interactions entre enseignants et élèves : c’est alors le courant des microgenèses
didactiques qui est investigué. Il permet de lier les deux points précédents de ce chapitre 4.
Finalement, le chapitre 5 donne lieu à une synthèse de cette partie, présentant les visées de la
thèse ainsi que les questions de recherche munies des hypothèses.

La deuxième partie présente une démarche méthodologique qui permet d’analyser les
matériaux recueillis en classe. Elle introduit les lecteurs dans le cadre d’analyse des
microgenèses didactiques de manière générale (chapitre 6), pour les mener ensuite vers la
présentation du contexte didactique de la recherche (chapitre 7), institutionnel d’abord et
situationnel ensuite. Ce dernier a pour lieu la classe et pour activité une situation didactique de
lecture interactive. Les étapes de la recherche sont alors décrites (étude exploratoire et étude
principale) ainsi que son déroulement. Ensuite, ce même chapitre 7 analyse la situation de
lecture interactive et les albums de littérature enfantine par lesquels l’espace discursif entre
enseignants et élèves pourra se développer. Il s‘agit là d’une analyse a priori des « offres »
littéraciques potentielles, de ce que la situation et les albums sont à même de permettre en
termes de composantes du savoir lire/écrire. Le chapitre suivant permet de retracer les
procédés de recueil des données (chapitre 8), tandis que le chapitre 9 propose une description
de la démarche analytique pas à pas, par une présentation détaillée des procédés d’analyse des
microgenèses didactiques, en les adaptant aux données recueillies. Ainsi, les données sont
construites, élaborées tout au long d’une démarche méthodologique inductive et déductive en
même temps. Enfin, le dernier chapitre de cette partie (chapitre 10) consiste à esquisser
l’analyse proprement bilingue, une analyse complémentaire se basant sur ce que l’analyse
microgénétique permet en termes d’analyse des processus fins de transformation des
connaissances en contexte d’enseignement apprentissage. En même temps, les interrogations
de cette analyse inédite, amorcée dans le cadre de notre recherche, dépasse les procédés des
microgenèses en les complétant par le point de vue des deux langues en construction conjointe,
des profils des pratiques langagières bilingues d’élèves, du fonctionnement des enseignants et
des élèves en tant qu’entités à part entières. Chacun d’entre eux cherchent à comprendre, et à
se faire comprendre, soit à l’interne (collaboration du binôme enseignant), soit à l’externe
(enseignants en cours d’action didactique avec leurs élèves et avec les objets d’enseignement
apprentissage).

La troisième partie de notre recherche est principalement celle de l’exposé des résultats
obtenus grâce aux six procédés de l’analyse microgénétique (chapitre 12). Ils sont
préalablement introduits par les résultats de la progression annuelle des connaissances
psycholinguistiques des élèves (chapitre 11). Les résultats des analyses bilingues, en termes de
places discursives, sont présentés dans le chapitre 13.

24
Enfin, la quatrième partie met en perspective ces résultats, en les « croisant » et en les
discutant du point de vue des questions de recherche auxquelles ils devraient donner les
réponses ou au moins les amorcer (chapitre 14). Les champs conceptuels des recherches
convoquées dans la première partie interviennent de plein pied dans cette mise en perspective.
Le chapitre 15 tente d’ouvrir l’apport des analyses, conçues à partir du terrain même de l’action
pédagogique, vers des perspectives nouvelles. En effet, les résultats obtenus permettent de
mener une réflexion sur les pratiques professionnelles des enseignants, pratiques enseignantes
bilingues et collaboratives en binôme. Ce dernier chapitre se penche également sur les
pratiques langagières des élèves, ancrées dans la dimension bilingue et variant du début à la fin
de l’année sur le continuum des langues. Les choix individuels de langue y sont relevés, menant,
en conséquence, à une variation des répertoires bilingues.

A partir de notre recherche, une autre perspective sera envisagée : celle de la recherche
fondamentale, à concevoir et à mener dans la visée de mieux saisir les pratiques bilingues dans
les interactions, et surtout leur rôle dans les processus d’enseignement et d’apprentissage de la
littéracie chez ces élèves particuliers. Les retombées pratiques de cette recherche et des
recherches à venir sur les terrains de l’action pédagogique, devront finalement être relevées,
dans une volonté d’améliorer l’éducation/instruction et l’accompagnent bilingue des enfants
sourds.

25
26
PARTIE I : CADRE THEORIQUE PLURIEL

« Plutôt que de persister dans ces débats idéologiques stériles qui, in


fine, sont au désavantage des enfants sourds que l’on prétend éduquer, il
semble préférable de reprendre les choses où elles en sont, faire un état
des lieux des connaissances et non-connaissances concernant certains
points fondamentaux du développement de l’enfant sourd et de sa
scolarisation. »
Cyril Courtin10

INTRODUCTION
Notre travail s’inscrit dans deux champs disciplinaires : le premier, dans lequel les disciplines de
références plurielles se rencontrent, est celui des sciences de l’éducation ; le deuxième, celui
des Deaf Studies, est jeune et difficile à saisir du fait de ses frontières mouvantes ; s’il est bien
établi aux États-Unis, il est seulement émergent dans plusieurs pays d’Europe.

Par le biais de la complémentarité des apports des sciences de l’éducation et des études en
surdité, surtout celles qui touchent à la linguistique ou à la psycholinguistique, il s’agira
d’appréhender la question de l’acquisition du langage et de la langue écrite chez l’enfant
sourd11. Nous mentionnons des recherches qui nous permettent de mettre en évidence la vision
anthropologique de la surdité, qui s’oppose à sa vision médicale dans la prise en charge
éducative et scolaire de ces enfants. Nous allons donc nous appuyer sur les résultats des
recherches récentes dans ce champ en plein développement, dans le but d’appréhender l’objet
d’étude complexe qu’est l’apprentissage de la lecture par les jeunes élèves sourds dans le cadre
scolaire bilingue : langue des signes française/français dans ses formes orale et écrite. Cet objet
sera ici abordé en prenant appui sur des ressources théoriques se référant aux domaines ou
concepts construits en sciences de l’éducation comme : 1) la didactique des langues, le
bilinguisme et le plurilinguisme à l’école, le contact des langues (Moore, 2006 ; Lüdi & Py,
1986/2003 ; Mugnier, 2006a ; Gajo & Mondada, 2000; Grosjean, 2003a ; Perregaux, 1994) ; 2)
la didactique du français, car c’est cette langue qui est l’objet d’enseignement apprentissage de
notre recherche (Allal et al., 2001 ; Schneuwly & Thévenaz, 2006) ; 3) l’apprentissage situé et

10
Courtin, C. (2007), p. 213.
11
Le terme sourd correspond au fait d’être touché par la déficience auditive, sans distinguer son degré. Pour les
raisons de fluidité du texte nous choisissons ce terme au terme : enfants sourds et malentendants qui correspond
dans les études américaines au terme Deaf and Hard-of-Hearing children (ou DHH children).

27
l’apprentissage dans la communauté des pratiques (Wenger, 1998 ; Allal, 2001 ; Mottier Lopez,
2008) ; 4) les apports des microgenèses didactiques (Saada-Robert & Balslev, 2006 ; Balslev &
Saada-Robert, 2007 ; Saada-Robert et al., 2003, Balslev, 2006, 2009, 2010) ; 5) et l’étude des
processus interactionnels dans les situations éducatives (Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008),
avec leurs aspects multimodaux (Mondada, 2004 ; de Saint-Georges, 2008 ; Millet & Estève,
2009, 2010).

Notre recherche se situe au croisement de ces deux champs avec leurs étendues théoriques et
expérimentales, leurs modes de pensées, les représentations sociales qu’ils génèrent ou contre
lesquelles ils apportent des résultats scientifiquement valides. Tous les deux puisent dans les
ressources des domaines et disciplines de références qui se multiplient, en lien avec les
demandes des professionnels qui ont besoin d’outils, de méthodes, de réponses à leurs
interrogations. Ce sont celles qui émanent du contact direct avec les terrains de l’action
pédagogique et les situations problématiques rencontrées par les destinataires, enfants,
adolescents, et adultes qui leur sont confiés.

Nous allons commencer par la description de ce nouveau champ disciplinaire des Deaf Studies,
(chapitre 1) en tissant quelques parallèles avec l’émergence historique du champ des sciences
de l’éducation (Hofstetter & Schneuwly, 2002, 2007). Ensuite nous passerons en revue les
apports théoriques pluriels qui ont émané durant cette recherche, même si nous ne pouvons
pas toujours attribuer leur appartenance à l’un ou l’autre champ, leurs objets s’inscrivant à la
fois dans celui de la surdité et celui de l’éducation. En effet, les deux sont liés en fonction des
besoins spécifiques de cette population d’enfants en matière de prise en charge éducative
précoce (Marschark & Hauser, 2008). Nous organisons ces apports théoriques de la manière
suivante : le chapitre 1 porte sur les « Deaf Studies » ou, comme nous le proposons, les Etudes
en Surdité, un champ disciplinaire émergent. Le chapitre 2 traite de l’éducation des enfants
sourds, du poids de l’histoire et d’aujourd’hui, de l’éducation spéciale ou spécialisée, avec la
problématique de l’intégration, de l’inclusion ou bien d’une éducation bilingue adaptée. Le
chapitre 3 tente de cerner le thème des interactions didactiques dans une classe
bilingue/plurilingue, pour y cerner les processus d’enseignement apprentissage. Puis, le
domaine de la littéracie émergente et les apports des microgenèses didactiques seront exposés
au chapitre 4. Finalement, le chapitre 5 propose une synthèse des apports théoriques et précise
les visées de cette thèse, pour ensuite poser les questions qui ont guidé notre recherche.

28
CHAPITRE 1 : ETUDES EN SURDITÉ - UN CHAMP DISCIPLINAIRE ÉMERGENT

« Les propositions de définitions [de la notion de discipline] (…)


soulignent l’étroite imbrication des enjeux cognitifs et socio-
institutionnels : elles postulent qu’une discipline se définit par et
suppose des lieux, instances, réseaux, supports, corps de
professionnels spécialisés dans la production systématique des
nouvelles connaissances par la recherche scientifique. Elle
constitue ainsi un réseau de communication produisant une
constellation de discours, garantie par de lieux de publications,
manifestations scientifiques et regroupements associatifs. »

Rita Hofstetter & Bernard Schneuwly12

Comment définir un champ disciplinaire? Comment émerge-t-il ? Quels sont les facteurs ou les
indices qui permettent d’affirmer qu’un nouveau champ est en train de se constituer et de
prendre place parmi les autres, qu’il a ses spécificités et ses raisons d’être ? Riche de
l’expérience des sciences de l’éducation en tant que champ disciplinaire, de l’analyse du
développement de ce champ dans une perspective historique (Hofstetter & Schneuwly, 2002,
2007), nous tissons ici quelques parallèles entre les sciences de l’éducation et ce nouveau
champ encore peu étudié dans cette perspective. Notre but est de décrire et de comprendre
comment s’est constitué le champ disciplinaire des Deaf Studies que nous traduisons de façon
propositionnelle comme : études ou recherches en surdité. La discussion autour de ce champ
n’est pas nouvelle et reflète des interrogations très récemment posées par le Journal of Deaf
Studies and Deaf Education (2010, vol.15 : 1). De nouvelles directions ainsi que l’ouverture de ce
champ face aux besoins nouveaux et aux changements de vie des Sourds d’aujourd’hui y sont
proposées. Le temps est peut-être venu de renoncer aux vieilles querelles, en tout cas du côté
de l’éducation des jeunes sourds, pour améliorer leur situation, leur réussite scolaire, leurs
perspectives de carrière et d’accomplissement des rôles sociaux choisis.

1.1. DEAF STUDIES AS AN ACADEMIC FIELD

Deaf Studies – un nouveau champ académique bien établi aux Etats-Unis et en émergence en
Europe, peut être analysé par rapport aux zones linguistiques et culturelles différentes. D’une
part, la zone anglophone est bien fournie et développée en recherches et chaires universitaires

12
Hofstetter, R. & Schneuwly, B. (2002), p.6.

29
des Deaf Studies (USA, UK, Australie). D’autre part, la zone francophone n’a pas établi de
centres d’excellence d’études en surdité en tant que facultés, départements, ou laboratoires de
recherche scientifique indépendants (à notre connaissance). Cette situation est assez
paradoxale dans la mesure où les projets de recherches en surdité dans cette zone linguistique
sont importants, surtout ces dernières années, et ils complètent les recherches anglophones.
Quant à la zone alémanique, germanophone avec la langue flamande qui s’y rattache, elle en
compte quelques chaires et groupes de recherches qui affichent leur intérêt et appartenance
aux Deaf Studies, comme par exemple l’université d’Utrecht au Pays Bas ou celle de Hambourg
en Allemagne.

Revenons sur les fondements historiques de ce champ disciplinaire soutenus par la fameuse
Gallaudet University, à Washington, fondée par Amos Kendall en 185613. Toutefois la première
école pour des sourds-muets a été fondée par Thomas Hopkins Gallaudet, en 1816, avec l’aide
de Laurent Clerc14 qui y était le premier enseignant Sourd, à Hartford, Connecticut (Mcpherson,
2008). Quarante ans après, Kendall, faisant don du terrain sur lequel réside aujourd’hui la
célèbre université, permet d’ouvrir l’école appelée à l’époque Columbia Institution qui avait
comme but d’instruire les enfants sourds-muets ou aveugles, avant que ces derniers aient été
séparés dans une autre institution qui leur était destinée à Maryland. En 1864, Columbia
Institution ne comptait que les élèves sourds et elle a reçu le droit de fonder un collège. Par la
suite, en 1894, le nom du collège a changé pour adopter le nom qu’elle porte toujours
aujourd’hui, de Thomas Hopkins Gallaudet.

En 1986, ce collège reçoit le rang d’université, dans le but d’offrir aux Sourds un accès à
l’éducation de haut niveau, donc aux études supérieures, à la fois en langue des signes
américaine (ci-après ASL) et en anglais ; notons que cette option soutenait déjà une vision
anthropologique et valorisante des Sourds. Elle constitue une pièce maîtresse du
développement des Deaf Studies, fondées sur le principe de reconnaissance de la communauté
des Sourds américains, reconnaissance liée à leur revendication de la langue des signes en tant
que langue à part entière, en tant que langue de la communauté culturelle et linguistique
minoritaire parmi les autres communautés de ce type aux USA. À ce titre, elle est reconnue en
tant que communauté dotée de droits constitutionnels. Une date précise marque ces
revendications, après un passage de quelques décennies de « l’oralisme » (voir plus loin les
explications sur le congrès de Milan en 1880 et ses conséquences, au chapitre sur l’éducation
des enfants sourds) ; c’est la publication de la première description scientifique de l’ASL par le
linguiste William Stokoe (1960). Les années qui ont suivi cette publication amènent beaucoup

13
http://aaweb.gallaudet.edu/About_Gallaudet/History_of_the_University.htm
14
Un des élèves de l’Abbé de l’Epée, devenu lui-même enseignant des enfants sourds en utilisant et en développant
la langue des signes française. C’est lui qui a amené cette langue aux Etats-Unis et jusqu’à aujourd’hui on peut
déceler certaines influences de la LSF dans le vocabulaire et la structure du ASL.

30
de changements dans les domaines concernant les sourds, entre autre sur le terrain de
l’éducation. Dans les années ’70 plusieurs programmes dits « bilingues » sont mis en place dans
les établissements spécialisés dans l’accueil des enfants sourds, ainsi qu’un nouveau mode
d’accueil dans une école publique avec les aides nécessaires (mainstreaming éducation). La
recherche sur les effets de cette exposition à la langue des signes a suivi le mouvement. Nous y
reviendrons plus loin.

À partir des années ’70 aux Etats-Unis, nous observons une émergence de centres de
recherches et d’enseignement (Center for Deaf Studies) qui naissent de cette mouvance de
revendication et de reconnaissance. Dans plusieurs cas, les demandes de terrains, éducatif et
scolaire, confrontées aux difficultés des enfants sourds, interviennent également comme
moteur de cette émergence. Elle permet d’orienter la recherche et de mettre sur place des
formations spécifiques, pour des métiers nouveaux, notamment des interprètes en langues des
signes, des enseignants bilingues prenant en charge des enfants sourds, des travailleurs sociaux,
etc. L’apparition de départements dans les facultés diverses, par exemple les sciences humaines
et sociales, les sciences du langage, la psychologie, l’éducation, ou encore des centres inter
facultaires d’études en surdité, émanent en partie du besoin des terrains d’engager des
professionnels de la surdité, compétents et diplômés, attestant de leurs connaissances dans ce
domaine. Une telle dynamique engendre un changement conséquent de représentation de la
surdité, qui n‘est plus comprise comme une déficience, un manque ou une maladie, dans
l’optique médicale de la normalisation d’une pathologie, mais reconnue dans sa différence et sa
spécificité. La vie des Sourds et leurs langues des signes intéressent les scientifiques en tant
qu’objets d’études porteurs de connaissances scientifiques nouvelles, originales, spécifiques.

L’assise académique des études en surdité permet dès lors le développement de cursus de
Bachelor ou de Master, ainsi que des spécialisations et des études doctorales ou postdoctorales,
émanant des années de recherches dans les domaines divers, en psychologie et en pédagogie,
en linguistique et en sciences du langage, en sociologie ou en histoire, en anthropologie ou en
démographie, etc. Les Center for Deaf Studies facultaires ou attachés aux départements
spécifiques, peuvent être considérés comme pôles d’excellence et de diffusion des
connaissances développées par des chercheurs chevronnés. Comme le soulignent Fernandes et
Shultz Myers (2010), pour donner une vision claire de l’état de ce champ disciplinaire aux États-
Unis, il existe 19 programmes de formation en surdité, plusieurs parmi eux offrent un niveau AA
(deux ans d’études universitaires) et seulement trois offrent des formations au niveau de
Bachelor et de Master et/ou des études doctorales. L’université de Lamar, Beaumont, au Texas,
propose les trois grades BS/MS/PhD on Deaf Studies and Education; l’université de Boston et
l’université Gallaudet offrent les niveaux de BS/MS on Deaf Studies ; l’université de Boston
possède un programme qui est attaché à l’école de l’éducation. Ces trois universités, mais aussi
d’autres écoles pour les Sourds, par exemple, le National Technical Institute for the Deaf qui est

31
un collège du Rochester Technical Institute, à Rochester, New York, et quelques autres,
constituent des références incontestables dans ce champ bien établi aux États-Unis.

L’université Gallaudet s’impose aussi comme un puissant lieu d’archives de la vie des Sourds
américains, et des Sourds dans le monde, de leur lutte pour la reconnaissance de langues
signées et d’une éducation adaptée aux besoins spécifiques des enfants sourds. Elle est
également un centre éditorial important qui participe à la diffusion des recherches par les
journaux reconnus, comme les American Annals of The Deaf, fondées en 1847. Plus de 150 ans
marquent l’édition et la participation de ce journal dans tous les événements et changements
sociaux de la communauté des Sourds américains. Le deuxième journal important que cette
université édite appartient au domaine de la linguistique et s’intéresse plus particulièrement à
la recherche sur les différentes langues des signes dans le monde : Sign Langage Studies15,
fondé en 1972 par le père de la linguistique de la langue des signes, Wiliam S. Stokoe. La
notoriété de cette université est soulignée aussi par les éditions prestigieuses des séries
éditoriales (Gallaudet University Press) dans les domaines divers comme la linguistique, la
sociolinguistique, l’histoire des Sourds, etc.

Cette université joue un rôle central dans le monde de la recherche en surdité à travers le
Gallaudet Research Institute qui récence les rapports annuels16 et les nombreuses investigations
concernant la population d’enfants sourds aux Etats-Unis, dans plusieurs types d’écoles qui les
accueillent. Elle constitue par ce fait la base de l’édifice des Deaf Studies et son centre mondial
le plus important, avec un rayonnement qui dépasse largement les frontières des États-Unis.

La reconnaissance des études en surdité vient aussi par le biais des publications importantes des
autres éditeurs prestigieux dans le monde scientifique comme Cambrigde University Press ou
Oxford University Press qui est l’éditeur par ailleurs, d’un Journal of Deaf Studies and Deaf
Education17, (fondé en 1996), actuellement sous la direction de Mark Marschark. En outre, cette
maison d’édition prestigieuse mène une importante collection scientifique Perspectives on
Deafness, coéditée par M. Marschark et P. E. Spencer, qui dirige les ouvrages les plus récents,
unissant les résultats des recherches dans ce champ encore peu développé en Europe.

Les méthodologies de la recherche en surdité portent une empreinte des disciplines


contributives : pour être considérées comme assez sérieuses, et surtout reconnus comme
scientifiques, ces recherches se caractérisent majoritairement par l’approche quantitative et
expérimentale. Comme le soulignent Evans (2004) ainsi que Marschark et Hauser (2008), il
manque cruellement d’études sur le terrain pédagogique et scolaire, en situation

15
http://gupress.gallaudet.edu/SLS.html
16
Par exemple : Gallaudet Research Insitute. (2006). Regional and national summary report of data from the 2006-
2007 Annual Survey of Deaf and Hard-of-Hearing Children and Youth. Washington, DC : GRI Gallaudet University.
17
http://jdsde.oxfordjournals.org/

32
d’enseignement apprentissage, et d’un paradigme compréhensif/interprétatif, d’une approche
méthodologique qualitative pour compléter les savoirs scientifiquement démontrés sur l’enfant
sourd, son développement, ses apprentissages et leurs conditions.

En Europe le champ des études en surdité est soutenu par l’université de Bristol, en Angleterre,
et son Deaf Studies Center fondé en 1978, qui propose des cursus en BS/MS/PhD et post-
doctoral dans les domaines divers : les recherches sur la structure narrative, le projet de la
lecture partagée à la maison, les recherches sur la langue des signes anglaise (British Sign
Language ou BSL) et sur le système de sa notation en écrit - l’élaboration d’un système de
transcription notamment -, la formations des interprètes et celle des enseignants spécialisés
dans l’accueil des enfants sourds, etc.

La City University of London est aussi un centre important des études en surdité avec plusieurs
chercheurs (R. Herman, N. Grove, S. Holmes, G. Morgan, H. Sutherland & B. Woll) travaillant
notamment sur le développement de la structure narrative chez des jeunes sourds observés à la
maison pendant la lecture partagée avec leurs parents.

Pour sa part, le Sign Language and Deaf Studies Research Group (sous la direction de G. Morgan,
et W. Mann) développe plusieurs recherches dans les domaines divers notamment dans le
domaine de la surdité, la cognition et le langage (Deafness, Cognition and Language Research
Center), avec la langue des signes, la linguistique, la psychologie et les neurosciences (ex.
Morgan, 2006 ; Rathmann, Mann & Morgan, 2007).

De l’autre côté de la Manche, en France, la reconnaissance législative de la langue des signes


française (ci-après LSF) en 2005 à partir de la Loi sur l’Egalité des chances (Loi du 11/02/2005)
vise l’amélioration de la scolarisation des élèves en situation de handicap, et parmi eux les
enfants sourds. Toutefois, une application de cette loi sur le terrain éducatif et scolaire, n’est
pas sans controverses comme le souligne S. Mugnier (2006a). Le poids des représentations et de
la façon de concevoir l’enfant sourd, provoquent peu d’implication des professionnels dans
l’établissement des pratiques bilingues réelles où chacune des langues (LSF et français) est
reconnue et peut servir de ressource dans la construction des apprentissages scolaires de ces
enfants.

Sur le plan de la recherche, les centres d’études en surdité ne sont pas constitués en tant
qu’instances indépendantes, pourtant des équipes de recherches ou des laboratoires du CNRS,
mènent de telles recherches. Pour mentionner les plus importantes parmi elles, nommons :
l’équipe du professeur C. Cuxac, à l’Université de Sorbonne Nouvelle, Paris 8 ; l’équipe du
professeur C. Courtin, à l’Université de Caen et de Paris 5 ; l’équipe du professeur R. Sabria ou la
professeure M. Blondel à l’Université de Rouen – éditeur du GLOTTOPOL ; l’équipe de la
professeure A. Millet, du laboratoire LIDILEM, Université Stendhal, Grenoble 3 – éditeur des

33
deux numéros du LIDIL concernant la langue des signes (N°15, 1997 et N°26, 2002); l’équipe de
la professeure A. Risler à l’Université de Lille 3 – éditeur des SILEXICALES; les équipes de
l’Université de Toulouse, le Mirail, de l’Université de Montpelier, de Poitiers, de Nancy ou de
Bretagne Occidentale, etc.). Ces équipes collaborent pour mener à bien des projets de
recherches sur la LSF ainsi que plusieurs projets éditoriaux en français qui animent les pays
francophones occidentaux (la France, le Canada, la Belgique, la Suisse). Par exemple,
mentionnons les éditions des numéros spéciaux de la Langue française (N°137/2003)
coordonnée par C. Cuxac, intitulée « La langue des signes, statuts linguistiques et
institutionnels» ; ou le numéro de la revue Enfance (vol. 59 (3), 2007) coordonnée par C.
Courtin, sous le titre provocateur « Comment peut-on être sourd ? » ou du TRANEL (N°33/2000)
coordonné par G. de Weck intitulé « Le langage écrit » avec plusieurs contributions concernant
l’enfant sourd et son acquisition de l’écrit; l’édition de deux numéros des SILEXICALES (4/2004
et 5/2007) consacrés à la linguistique de la LSF ; un numéro du GLOTTOPOL (7/2006) en ligne
sous la direction de R. Sabria, traitant de sujets en sociolinguistique, notamment du bi-
plurilinguisme des enfants sourds ; et tout récemment le numéro de Langage & Société
(N°131/2010, coordonné par B. Garcia & M. Derycke) posant la question de la norme et des
variations face aux langues des signes.

En outre, plusieurs autres projets d’ouvrages et d’articles scientifiques affluent surtout ces 10
dernières années. Les bases éditoriales ont été posées dans le monde francophone à la fin des
années’90 par les éditions importantes dans le domaine de la psychologie de l’enfant sourd
(Virole, 1996), dans le domaine de la communication et des sciences du langage (Lepod-
Froment & Clerebaut, 1996), dans le domaine de l’histoire et de la linguistique de la langue des
signes (Rondal, Henrot & Charlier, 1997 ), dans le domaine de la sociolinguistique déjà depuis la
fin des années ’70 (l’œuvre de B. Mottez réuni par A. Benvenuto en 2006). La première
description de la LSF et de son fonctionnement, du type de la « grammaire » a vu le jour en
1983 (Moody, 1983) ; le dictionnaire bilingue en LSF/français est paru en 1986, le premier tome
(IVT, 1986), et en 1990 le second (IVT, 1990). Ce premier tome est actuellement introduit par
une description historique des la vie des Sourds en France, ainsi que par la grammaire succinte
de la LSF (Moody et al. 1997/1998, 2ème éd.).

Plus récemment encore, les publications américaines et en anglais se trouvent complétées par
les éditions francophones de ces dernières années, par exemple sur les compétences de l’enfant
sourd (Hage, Charlier & Leybaert, Ed., 2006), sur l’acquisition du langage (Transler, Leybaert &
Gombert, Ed., 2005), en sociologie de la surdité (Daigle & Parisot, 2006 ; Mottez, 2006), en
ethnologie (Delaporte, 2002), en histoire (Bertin, 2010), en linguistique (par ex. Cuxac, 2000 ;
Bonnal-Verges & Risler, 2007), en neurosciences (Courtin & Tzourio-Mazoyer, 2005), ainsi que
par de nombreuses publications d’articles scientifiques, et des présentations à des colloques
internationaux : par ex., citons Bonnal, 2004 ; Bras, Millet & Risler, 2004 ; Courtin & Melot,

34
2006; Courtin et al. 2004 ; Delamotte-Legrand & Sabria, 2001 ; Estève, 2009 ; Fuselier-Suza,
2004 ; Millet, 2002, 2006, 2007 ; Millet & Estève, 2009, 2010; Millet, Mugnier, Sabria & Simon,
2009 ; Mugnier, 2006b, c, 2010 ; Risler, 2007 ; Sabria, 2006 ; et plusieurs autres).

De leur coté, les équipes canadiennes francophones mènent des recherches importantes sur les
programmes bilingues et leur efficacité et sur l’évaluation des compétences des enfants sourds.
On peut signaler également le Rapport de recherche sur le bilinguisme de l’école GADBOIS,
établie pour le Ministère de l’Education par la professeure Vercaingne-Ménard (2003) ; les
recherches sur le bilinguisme LSQ/français à Montréal mené par le Groupe de recherche sur la
langue des signes québécoise (LSQ) et le bilinguisme sourd (équipe de professeurs Daigle,
Parisot, Vercaine-Ménard, Lelièvre & Dubuisson) ou sur les approches oralistes comme dans le
Groupe de recherche et d’intervention auprès des enfants sourds, à l’Université de Laval comme
par ex. les recherches sur la littéracie des enfants sourds oralisés (Sirois & Boisclair, 2006).

En Allemagne, quelques centres existent, diffusant des Bachelors ou des Masters comme à
l’université de Hambourg, qui propose des études linguistiques de la langue des signes
allemande (Deutsche Gebärdensprache – DGS), mais aussi des cours sur la culture des Sourds, la
formation d’interprètes, et la formation des enseignants spécialisés dans l’éducation des
enfants sourds. Ces différentes formations universitaires et les recherches sur la langue des
signes allemande sont réunies dans un Institut pour la langue des signes allemande et pour la
communication des sourds (Institut für Deutsche Gebärdensprache und Kommunikation
Gehörloser, IDGS) fondé en 1984, qui donne une assise académique aux études en surdité dans
ce pays.

Les autres universités possèdent rarement des instituts distincts, mais souvent des unités
académiques de recherches et de formation en surdité ; elles proposent des formations comme
celle d’interprètes, ou celle d’enseignants spécialisés18 en surdité comme à l’université de Berlin
et à l’université Humboldt, Max Planck Institut (à Berlin), aux universités de Frankfurt, de
Magdeburg, de Nurenbergue, ou de Zwickau, formations qui sont honorées par des diplômes
professionnels.

Les études en surdité sont donc bien représentées, elles ne sont pas si importantes qu’aux USA
mais sont suivies par des éditions et des journaux professionnels de grande qualité.

Quant aux Pays Bas et aux pays scandinaves, ils sont pionniers dans la reconnaissance des
langues des signes, dans les recherches en linguistique qui les décrivent, dans la formation des
enseignants et la mise en place des écoles ou programmes bilingues pour les enfants sourds.

18
Spécialisé dans le sens de Ruchat (2003) qui précise la distinction entre les adjectifs spécialisé (c.-à-d. obtenu par
la formation spécifique) et spéciale – éducation, intervention, mesure prenant en compte une population d’enfants
à besoins spécifiques d’aide, de scolarisation.

35
Faut-il s’attendre à l’émergence de centres d’excellence et de recherche en surdité dans ces
pays-là ? L’université d’Utrecht au Pays-Bas peut en être une vitrine, avec son Institute for Signs,
Language and Deaf Studies ; mentionnons également les recherches récentes de Hermans et al.
(2008) de même que l’université d’Örebro, en Suède, qui mène plusieurs recherches en surdité
et en éducation (par exemple Bagga-Gupta, 2002), sans pour autant qu’on y trouve une forme
de faculté ou de centre à part (à notre connaissance).

En Suisse, l’influence des deux sphères linguistiques principales, allemande et française, se


manifestent. Il n’y a pas de reconnaissance fédérale de la langue des signes, ou plutôt des
quatre langues des signes représentées sur le territoire suisse et correspondant aux langues qui
y sont parlées. Toutefois, les cantons et les institutions pour les sourds qui y existent choisissent
leurs propres options. Ainsi, la reconnaissance législative de la langue des signes alémanique
dans le canton de Zurich ouvre des implications académiques de la formation des interprètes,
Dolmetscherausbildung für Gebärdensprache (DOLA), une formation initiale de trois ans, qui voit
le jour en 1987 et est intégrée à l’Intercatonale Hochschule fur Heilpädagogik en 2001. Elle est
la seule formation de ce type en Suisse allemande, dirigée dès ses débuts conjointement par les
professeurs Sourds et entendants - actuellement par les professeurs T. Haug et P. Herman-
Shores -. Dans la même Haute école est placée la formation en langue des signes pour
enseignants Gebärdensprachlehrerausbildung (GSLA) et un centre de recherche sur la langue
des signes GS Media (Gebärdensprache Media).

L’université de Bâle et son Center for Sign Language Research, fondé par professeur P. Boyes
Braem, et l’université de Zurich avec une collaboration de GS Media, ont menés des recherches
scientifiques sur les langues des signes alémaniques avec leurs différents dialectes (Lucerne, St
Gall, Bâle, Zurich, Bern). Ces recherches ont été subventionnées par le Fond National de la
recherche scientifique, sous la direction de la professeure P. Boyes-Braem (2001, 2007). Cette
recherche importante sur la langue des signes alémanique a permis l’élaboration d’une
plateforme de langue des signes dans le but non seulement de leur étude linguistique, mais
aussi d’une élaboration, à partir de ces connaissances scientifiques, des outils didactiques pour
enseigner cette langue. Des jeux pédagogiques et des dictionnaires pour les apprenants adultes
et jeunes ont entre autres été élaborés. La recherche sur la langue des signes s’étend
actuellement en Suisse romande et au Tessin, pour recueillir et décrire les deux autres langues,
avec leur variantes locales et/ou dialectales comme c’est le cas pour la Suisse alémanique.

Du coté romand, l’université de Neuchâtel, avec son Institut d’orthophonie propose


régulièrement un cursus en surdité. Dans la même perspective professionnelle, la Haute école
pédagogique du canton de Vaud (HEP VD) propose plusieurs formations continues plus
ponctuelles ou en tant que modules en surdité dans le cadre de la formation des enseignants
spécialisés, comme celle sur l’implant cochléaire en 2009, ou celle du Certificate of Advanced

36
Studies (CAS) spécialisation en surdité qui débutera en septembre 2011. Cette école propose
également des formations spécifiques selon les besoins du terrain comme par exemple la
formation continue des enseignants donnée aux personnes Sourdes désirant enseigner la LSF
(plusieurs volées de cette formation ont déjà eu lieu). La Haute école pédagogique des cantons
de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP BEJUNE), propose aussi des modules spécifiques en surdité
dans le cadre d’une formation continue des enseignants spécialisés, qui se transforme en un
Master of Arts en Enseignement Spécialisé (MASE). De son côté, l’Université de Genève est
chargée de mettre en place une formation des interprètes en langue des signes française à
Ecole de traduction et d’interprétation (ETI). Trois volées de formation ont été suivies dans le
cadre d’un programme de formation continue de cette école (1994-1996, 2001-2003, 2004-
2006) et une nouvelle formation en tant que Bachelor et Master en interprétation voit le jour à
partir de septembre 2010.

De ce tableau descriptif ressort une grande hétérogénéité de la prise en charge éducative et


thérapeutique des enfants et jeunes sourds. Elle interroge les pouvoirs institutionnels et les
incite à proposer une harmonisation des interventions tant thérapeutiques qu’éducatives
offertes à ces enfants. Dans ce but, un projet global concernant la prise en charge de ces enfants
voit le jour. Le PROJET OPERA, mené par la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP
VD) et par le Centre Suisse de Pédagogie Spécialisée (CSPS), constitue une recherche de grande
envergure, en ce qu’elle suit des cohortes prospectives des jeunes sourds de 0 à 20 ans en
Romandie et au Tessin, sur plusieurs années ; elle collecte les informations diverses, autant sur
les prestations médicales, thérapeutiques, que la prise en charge pédagogique19. Ainsi, elle
apporte des résultats indispensables à la mise en place des adaptations de la prise en charge
éducative et scolaire offerte aux enfants sourds, ceci dans les six cantons romands participant
au recueil des données (Genève, Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel, Jura et Tessin). Ce type de
recherche est le premier en Suisse et certainement dans plusieurs pays d’Europe, en sachant
que ses objectifs se rapprochent de ceux affichés par Gallaudet Research Institut20 dans son
suivi longitudinal de la population de jeunes sourds aux Etats-Unis.

En outre, les mémoires de fin d’études des cursus en logopédie, en orthophonie, en linguistique,
en interprétation, en sciences de l’éducation ou en éducation et enseignement spécialisés, ou
encore les thèses de doctorat comme celle de N. Niederberger (2004) en psychologie,
participent à l’émergence de ce champ disciplinaire en Romandie. Pourtant, il est plutôt
représenté par l’intérêt de chercheurs individuels attachés à des domaines et chaires diverses :
sciences de l’éducation, psychologie clinique ou cognitive, psycholinguistique, neurosciences,
médecine, sociologie, sciences du langage et de la communication etc. Le constat à en tirer est

19
La Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique (CIIP) mandate les deux institutions HEP VD et CSPS pour
effectuer les travaux de recueil et de traitement des données, ainsi qu’à la diffusion des résultats.
20
Gallaudet Research Institut voir par exemple : 1996-1998; ou 2006.

37
clair : les recherches sont encore trop peu nombreuses et trop éparses pour parler d’une réelle
assise académique de ce champ en Suisse romande.

La partie italienne suit les influences de l’Italie et subit une presque éradication de la langue des
signes dans l’éducation des enfants sourds. Elle ne possède aucune formation d’interprètes en
langue des signes italienne (LIS) et pour ce faire les étudiants vont à Trieste, en Italie.

Pour résumer la situation en Suisse, dans sa totalité, le champ des études en surdité n’existe
qu’en émergence. Son assise académique est principalement liée à la reconnaissance législative
cantonale de la langue des signes à Zurich. Pour la Suisse romande et le Tessin, la situation
ressemble à plusieurs autres pays et régions européens, où les chaires académiques des études
en surdité se concentrent autour de la formation des interprètes, et où elles n’apparaissent pas
clairement en tant qu’instituts ou facultés indépendants. Pourtant, les recherches se sont
fortement développées ces derniers 20 ans dans les domaines divers concernant la population
des sourds.

Se pose alors la question de savoir si la formation des interprètes (universitaires ou dans les
Hautes écoles) peut constituer une première brique dans la construction des centres en surdité.
Peut-elle jouer le rôle de noyau des centres de recherches et d’enseignement ou encore des
pôles d’excellence ? Pour la Suisse alémanique cela semble être le cas. Pour la Suisse romande
et le Tessin, la situation est beaucoup plus nuancée, car cette formation a de la peine à s’établir
durablement et en continuité comme par exemple à l’université de Genève, elle même en
pleine restructuration liées aux exigences européennes du plan de Bologne.

1.2. UNE VISÉE PROFESSIONNALISANTE

Les études en surdité se trouvent à la jonction entre la recherche scientifique et les pressions
pédagogiques, comme c’est le cas en sciences de l’éducation (Hofstetter & Schneuwly, 2002). Si
la recherche s’intéresse aux terrains de l’action éducative et scolaire, les besoins du terrain vont
être nécessairement pris en compte par la recherche. Ils deviennent même un moteur
d’investigations de plus en plus nombreuses et approfondies. Les études en surdité sont
également un lieu de formation des professionnels, parmi lesquelles on retrouve : les
interprètes en langue des signes, les enseignants, les pédagogues et éducateurs, les autres
professionnels du social ou des métiers médicaux qui prennent en charge la population des
sourds, à travers les mandats qui leur sont propres.

Une telle visée professionnalisante cherche à fournir des savoirs professionnels fiables et
scientifiquement valides, fondés sur la recherche et non pas sur les représentations sociales et
les stéréotypes. Elle s’adresse aux professionnels qui deviendront les intervenants auprès des
38
familles et des enfants, adolescents, adultes sourds. Dit autrement, dans cette visée s’inscrit la
volonté d’établir des connaissances sur les pratiques, d’observer, de décrire pour comprendre
et mieux intervenir, de connaitre la langue des signes, d’appréhender la culture des Sourds, leur
communauté, leur histoire. Tel défi permettra aux professionnels de devenir conscients des
enjeux de leurs actions. Cette visée, venant des demandes et des interrogations des terrains de
l’action pédagogique et sociale, se développe en étroite collaboration entre les Sourds et les
entendants, les deux groupes étant représentés parmi les praticiens, les formateurs et les
chercheurs – même si ces derniers sont représentés en équité aux USA, mais peu en Europe –.
L’exemple de la fondation de l’Académie de la LSF à Paris (crée en 1979) confirme cette volonté
de former en LSF des entendants qui travaillent avec les sourds, mais aussi les parents/les
membres des familles d’enfants sourds. De même, les cursus de professionnalisation des
interprètes et des pédagogues en surdité (par exemple à Paris 8, ou à Zurich), constituent une
prise en compte des besoins en connaissances dans ce domaine.

Comme le soulignent Hauser & Marschark (2008) dans leur discussion de l’ouvrage Deaf
Cognition. Foundations and outcomes, il existe une réelle nécessité de recherches plus
approfondies dans les domaines de l’éducation et du développement des enfants sourds, deux
domaines qui permettent d’organiser et d’offrir une prise en charge scolaire et éducative
adaptée, appropriée à ces enfants et à leurs caractéristiques cognitives, différentes de celles des
enfants entendants (Marschark & Hauser, 2008, p. 453).

Ouvrir des cours en LSF, et de manière plus large des cursus académiques en surdité, participe à
la visée culturelle de la communauté des Sourds qui s’agrandit, qui évolue dans la société et qui
est de mieux en mieux reconnue en tant que telle.

1.3. UNE VISÉE CULTURELLE, SOCIOLOGIQUE, ANTHROPOLOGIQUE

Les centres ou départements autonomes d’études en surdité ont surtout pour fonction de
développer et de diffuser les connaissances générales sur les Sourds et leur culture, leur langue,
leur vie, leur bien-être, leur accomplissement en tant qu’homme/femme dans le monde
contemporain (ex. Ladd, 2002, Delaporte, 2002, Bertin, 2010). Il suffit de mentionner les titres
de ces trois ouvrages pour se rendre compte de l’importance qu’ils ont pour la communauté des
Sourds : Understanding Deaf Culture. In Search of Deafhood. ; Les Sourds c’est comme ça. ; Les
Sourds. Une minorité invisible. Ainsi la culture des Sourds et leur identité s’affirment et
participent à sa reconnaissance, dans un sens qui dépasse largement celui du handicap
sensoriel. Elle se construit comme un objet d’études et cela lui donne une assise autant sociale,
culturelle, que scientifique. Par exemple, ces dernières années, nous pouvons observer les
grandes manifestations organisées par les Sourds dans le but de se montrer, de se présenter à la

39
population environnante et par ce fait la sensibiliser à la surdité en tant que vécu particulier, qui
sort de l’ordinaire, qui se gère par d’autres pratiques quotidiennes et par une communication
visuelle, spatiale et en langue des signes.

Pour notre part, rappelons-le, nous visons l’étude « sous la loupe » des processus interactifs qui
interviennent dans la communauté scolaire d’une classe qui peut être considérée comme une
communauté de pratiques (Wenger, 1998 ; Lave & Wenger, 1991) possédant sa
propre microculture de classe (Mottiez-Loppez, 2008). Cette dernière est induite a fortiori par
l’utilisation de deux langues (une vocale/écrite et une visuo-corporelle). Les pratiques
enseignantes et éducatives bilingues sont au cœur de notre recherche, et elles se concentrent
sur les processus permettant l’acquisition par les jeunes élèves d’un savoir de base, celui de la
langue écrite.

40
CHAPITRE 2. EDUCATION DES ENFANTS SOURDS

« (…) we hope to identify issues in need of attention from investigators,


rather than to propose solutions. (…) We may not have all the answers,
but some of the questions have become quite clear. »

Peter C. Hauser & Marc Marschark21

Nous allons considérer ici ce nouveau champ disciplinaire dans une seule perspective, celle de la
scolarité et de l’éducation afin de reprendre les références concernant les enfants sourds, en
tant que population aux besoins spécifiques en la matière.

Aux Etats-Unis, les statistiques sont établies et nous avons des données concernant cette
population d’enfants, comme le soulignent Marschark & Hauser (2008, p. 6) dans le chapitre
introductif de Deaf Cognition. L’éducation offerte à ces enfants change au fil du temps, ce qui se
reflète dans ces données : en 1966, plus que 80% des enfants sourds fréquentaient les écoles
spéciales, institution pour enfants sourds, tandis que seulement 20% parmi eux étaient intégrés
dans les écoles publiques proches de leur domicile, avec des programmes d’aides nécessaires
(mainstreamed education). En 2006, cette proportion est renversée. Ceci reflète les
changements sociaux mais aussi les considérations concernant la population d’enfants vivant en
situation de handicap, de manière générale, et ces changements sont visibles surtout en Europe
quand on parle des enfants sourds. La vision du handicap et des démarches inclusives, qui
ouvrent les écoles ordinaires à tous les enfants, quel que soit leur handicap, dirigent aussi ces
enfants vers un enseignement ordinaire. Cette tendance à l’inclusion implique, dans le cas des
enfants sourds, une collaboration des enseignants entendants avec les sourds, une formation
qui leur est destinée et qui leur procure les connaissances nécessaires sur l’apprentissage de ces
élèves, leurs besoins, les aides et les aménagements à introduire dans les classes. Comment
apprennent-ils ? C’est une question posée par les sciences de l’éducation au croisement des
siècles (Hameline, 2002) et nous y reviendrons dans ce chapitre.

Aux Etats-Unis, ces changements s’accompagnent de la revendication des Sourds et de la


reconnaissance de la communauté des Sourds américains comme minorité linguistique et
culturelle, ce qui leur donne différents droits, notamment en matière d’éducation en langue des
signes.

Un progrès remarquable s’observe dans le domaine de la formation de haut niveau.


Aujourd’hui, les sourds américains atteignent les écoles supérieures qui comptent 30'000

21
Hauser, P. C. & Marschark, M. (2008), p. 439.

41
étudiants sourds dans les programmes post-obligatoires. Malheureusement, seulement un sur
quatre termine ses études et obtient un diplôme. Pourquoi cette situation ? Quels en sont les
causes ?

Les recherches ne peuvent pas donner de réponse à cette question pour l’instant, plusieurs
investigations sont à mener dans le but de l’approcher et de mieux connaitre la façon dont ces
étudiants et les élèves en général apprennent, construisent leurs savoirs et réussissent leur
scolarité (Hauser & Marschark, 2008).

Dans la suite de ce chapitre, nous allons donc retracer de manière générale un panorama des
possibles dans ce domaine, partant d’une approche historique (point 2.1.), passant par les
résultats scolaires que ces enfants peuvent obtenir et les causes détectées par les chercheurs
(point 2.2.) , en arrivant vers les apprentissages qui nous intéressent dans ce travail, ceux de la
lecture et de l’écriture, acquis fondamentaux de la scolarité obligatoire prenant un sens tout
particulier chez les enfants sourds (point 2.3.).

2.1. EDUCATION DES SOURDS HIER ET AUJOURD’HUI

Avant de poser quelques repères historiques qui influencent jusqu’aujourd’hui les


représentations sociales de la surdité, et par là même la compréhension faussée du
développement de l’enfant sourd et de ses besoins en matière d’éducation, faisons appel à une
excellente remarque de Mugnier (2006a, p. 125, en citant M. Poizat) qui parle de mouvement
oscillatoire pour caractériser l’éducation de ces enfants :

« L’histoire de l’éducation des sourds ne saurait être décrite selon une évolution linéaire –
comme on a tendance à le faire généralement –, mais selon un mouvement pendulaire,
oscillatoire passant alternativement d’une phase où la tendance oraliste est dominante à une
phase ou la tendance gestualiste devient à son tour dominante pour ensuite revenir à une
phase oraliste et ainsi de suite.» (Poizat, 2001, p. 107)

Nous connaissons bien la figure de l’Abbé de l’Epée qui, au milieu du XVIIIe siècle - siècle
d’ouverture vers les sciences, celui des Lumières - postule le premier que les «signes» peuvent
exprimer la pensée à l’égal de la langue vocale. Il ouvre une école gratuite, adressée au milieu
populaire, contrairement au système de préceptorat pour les franges aisées de la société qui
peuvent s’offrir des services. Ainsi, pour la première fois de l’histoire, des enfants sourds
peuvent être éduqués dans leur langue naturelle, la langue des signes. Malgré les polémiques
opposant les tenants des méthodes de l’Abbé de l’Epée à ceux prônant les vertus de
l’«oralisme», et suivant des nouvelles découvertes en médecine et en sciences à cette époque,
de nombreuses écoles vont utiliser une pédagogie associant la langue des signes, durant un

42
siècle environ (1760-1880). Dans le siècle suivant, les oppositions vont se cristalliser et ensuite
se radicaliser en entrainant un affrontement qui persiste jusqu’à nos jours. L’oscillation entre
l’une ou l’autre vision est marquée par cette radicalisation des points de vue qui ont des
origines historiques. Nous y revenons pour compléter ces quelques repères (d’après Moody et
al. 1998, p. 17-32), et leur rendre toute leur vivacité, grâce aux apports nouveaux de Bertin
(2010). Ils nous permettent de mieux comprendre pourquoi les deux visions se confrontent et
investissent l’espace éducatif, encore aujourd’hui.

Bertin (ibid.) rappelle que Platon et son disciple Aristote combinent dans un même concept,
celui de logos, la notion de pensée et celle de parole. Dès lors, celui qui n’entend pas, ne parle
pas, ne peut être doué de raison. Cette explication vient de termes grecs utilisés pour désigner
les sourds dans l’Antiquité par Hippocrate (VIIs. avant J. Ch.) et repris par la suite au début de
notre ère, khôphos ou alogos, qui confondent la surdité et la mutité, liés et s’influençant l’une
l’autre ; il s’agit là d’une idée fausse qui persiste des siècles durant. Ces termes grecs signifient
aussi «privé de raison, idiot, stupide ». A Rome au 6ème siècle, le Code Justinien mentionne cinq
catégories de surdité et détermine les droits civiques y afférant. La première, «surdi-mutité
naturelle», ne permet l’exercice d’aucun droit civique, et les sourds-muets doivent alors avoir
un tuteur. Quant aux autres catégories, seule l’utilisation de la parole ou de l’écrit permet aux
sourds-muets de préserver leurs droits, et d’exister en tant que citoyens. Au Moyen Age, la ligne
de démarcation entre le valide et le non-valide est posée par le travail, celui qui pouvait
l’effectuer n’était pas considéré comme posant problème - contrairement aux bandits et aux
vagabonds -. Les infirmes faisaient « naturellement » partie de la société, les sourds n’étaient
donc pas plus désavantagés que des milliers d’autres. Comme le souligne Sticker (cité par Bertin,
ibid. p. 30) :

« la normalité, c’était le bariolage, et nul ne se préoccupait de ségrégation, car le plus


« naturel » était qu’il y eut des malformations. C’était davantage que de la tolérance : c’était le
réel. » (Stiker, 1997, p. 63).

L’époque suivante, la Renaissance, amène une meilleure compréhension de la surdité, et les


premières expériences pédagogiques ayant pour but d’éduquer l’enfant sourd. Elles sont
toutefois isolées et réservées aux sphères aisées de la société, comme la cour d’Espagne par
exemple. Comme le dit Bertin (ibid.) la surdité « interpelle et déstabilise ». Son approche
historique et anthropologique de la communauté des Sourds en France, attachée à sa
singularité et en quête de reconnaissance, montre que c’est seulement au XVI et XVII siècle que
l’image des Sourds change. Ceux-ci sont enfin doté « d’éducabilité » et de « raison » ; ils
peuvent s’exprimer autrement que par la parole. Bertin rappelle aussi quelques expériences
éducatives à l’origine de ce changement : c’est au XVIe siècle que Montaigne atteste de la
présence de la langue des signes et de communautés de sourds en écrivant :

43
« Nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. J’en ai vu de si souples
et formés à cela qu’à la vérité, il ne leur manque rien à savoir se faire entendre» (Essais, livre 2,
chap. 12).
Les expériences pédagogiques se répandent dans toute l’Europe, non seulement par une
certaine « démocratisation » de l’éducation grâce à un accès plus facile à l’écrit (invention de
l’imprimerie), mais surtout par l’explosion des villes et le rapprochement des communautés des
sourds jusqu’à lors très éparpillés. La langue des signes se développe dans ces échanges, et
s’enrichit considérablement. Cependant, l’accès à l’écriture et l’apprentissage de la lecture
provoquent une ligne d’éducation à la parole, à l’articulation, à la lecture à haute voix, qui
commence à se profiler. Le premier instituteur connu est Pedro Ponce de Léon, moine
bénédictin qui est devenu (vers 1542) le précepteur d’enfants sourds d’une famille noble de
Castille, la famille de Velasco. Son rôle était d’instruire trois enfants nés sourds parmi lesquels
les descendants masculins, les futurs héritiers de la fortune et des titres de noblesse. L’enjeu
était important. Pedro Ponce assumait ce rôle en développant une méthode d’enseignement de
la parole : il utilisait l’image labiale des sons en l’associant à l’alphabet manuel mis au point par
ses soins. Nous n’allons pas retracer toutes les expériences de cette époque, ni des siècles
suivants22, nous souhaitons simplement évoquer quelques points qui nous amènent vers la
méthode de l’Abbé de l’Epée. Ce dernier n’était pas un cas isolé, mais il suit ses prédécesseurs,
comme par exemple de Fay à Amiens, et s’oppose à la méthode de son contemporain, Jacob
Perreire (1715-1780) qui a ouvert une école oraliste à Bordeaux.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, un certain puritanisme, l’instauration de l’école


publique, laïque et obligatoire, ainsi que la multiplication des écoles de sourds, vont participer à
l’abandon des idées de l’Abbé de l’Epée. En 1880, un congrès est réuni à Milan qui décrète la
supériorité de l’enseignement de l’oral sur celui des signes. Cette décision marque le début d’un
siècle d’interdiction des signes dans les écoles de sourds en Europe. Seuls les Etats-Unis ne
suivent pas cette décision et la langue des signes continue à y avoir droit de cité, surtout dans
les établissements fréquentés par les enfants des Sourds de plusieurs générations - une infime
minorité-. Cependant, plusieurs institutions pour enfants sourds deviennent aussi oralistes, ce
qui provoque les deux types d’école répondant aux deux types de valeurs, deux visions de la
surdité qui s’affrontent et qui s’opposent. Comme nous l’avons vu précédemment, les années
1960 sont marquées par les revendications des Sourds aux États-Unis. Puis au début des années
1970, la langue des signes « traverse » à nouveau l’Atlantique, touchant d’abord les pays
nordiques ; elle entraine « le réveil des Sourds européens » et un début de changements dans la
prise en charge des enfants sourds. En lien avec eux, la recherche sur les langues des signes se
met en place dans plusieurs pays, et parmi eux en France et en Suisse qui accèdent ainsi à ce
renouveau.

10 voir Bertin (2010) pour plus des détailles

44
La vision médicale qui règne encore dans plusieurs pays va de pair avec l’oralisme, c’est-à-dire
un effort pour apprendre à l’enfant sourd à parler, à s’exprimer oralement, dans la version
vocale de la parole (vs version signée) ; les méthodes dites bimodales ont également cours,
c’est-à-dire les méthodes qui utilisent le code visuel (le Langage Parlé Complété ou LPC)
permettant de compléter la lecture labiale et de lever ses ambiguïtés. La langue des signes est
utilisée éventuellement, en dernier recours, quand l’enfant essuie des échecs répétés dans
toutes les modalités qui lui sont proposées (utilisation du LPC, utilisation de la méthode totale
ou verbo-tonale) et ne perce pas la barrière de la parole de manière satisfaisante. C’est ce
dernier apprentissage qui est visé avant tout, et il prend beaucoup de place dans la prise en
charge thérapeutique et éducative. L’apprentissage des autres domaines scolaires en est affecté
bien évidemment, dans la mesure où les enfants n’arrivent pas à comprendre le message qui
leur est adressé, ni à apprendre de manière satisfaisante à lire et à écrire. Ces savoirs
fondamentaux de l’école font toujours défaut chez cette population d’enfants.

Une telle vision part de la compréhension médicale de la surdité comme maladie, déficience,
pathologie qui peut se « réparer », se soigner, se guérir, d’où une énorme pression sur les
parents des enfants sourds qui sont dirigés vers l’implantation (« si on peut réparer la surdité,
autant le faire ! »). Cependant, une réflexion approfondie et fondée pourrait aboutir en toute
clarté à d’autres solutions. Elle découle des recherches sur le terrain éducatif et familial,
concernant les effets et les implications multiples de l’implant. En effet, l’enfant implanté reste
un enfant sourd, qu’on le veuille ou non. L’appareil peut par contre lui permettre l’acquisition
plus aisée et plus rapide de la langue vocale et favoriser par ce biais ses apprentissages scolaires
et la communication avec son environnement. Sur le terrain éducatif il s’agirait de mener des
recherches tout aussi importantes que les recherches médicales, sur les moyens
d’enseignement et d’apprentissage nécessaires pour ce groupe d’enfants dans le but de
favoriser leur développement et leurs apprentissages scolaires.

Dans une vision anthropologique, au contraire, l’enfant en développement est valorisé tel qu’il
est, avec sa différence. Il peut construire ses connaissances avec la langue des signes, cas où le
système scolaire devrait s’adapter en permettant à cet enfant de suivre sa scolarité en
enseignement bilingue LSF/français. Ensuite, la question de l’adaptation de la société ou son
ouverture face à la différence, peut être alors interrogée. Ici se pose évidemment la question
du développement des droits des handicapés, avec la problématique de l’inclusion ou de
l’intégration, entre autres.

Ce manque de consensus sur la perspective éducative et scolaire continue des enfants sourds
introduit un flou certain dans les pratiques professionnelles, flou soutenu par ce mouvement
oscillatoire et les affrontements qui devraient à notre époque s’atténuer. La question de
l’intégration scolaire et sociale, doit donc être posée avec les lois qui les régissent dans une

45
perspective de progression sociale pour cette population d’enfants. Ces lois sont édictées dans
tous les pays de l’Europe : pour la France, c’est la loi du 5 février 2005 ; pour la Suisse, la loi sur
l’égalité des chances pour les personnes handicapées de 2004, connue communément sous le
nom de LHand. Ces lois incitent les institutions à inclure dans les programmes scolaires
ordinaires la majorité des enfants en âge scolaire. Comme le souligne pourtant Krausneker
(2006) dans son rapport sur l’éducation des sourds en Europe, les enfants sourds sont peut-être
une seule population d’enfants qui ne profite pas nécessairement de l’inclusion, pensée comme
un placement d’un enfant sourd parmi les enfants entendants de son âge. Or, pour parler
véritablement d’inclusion, la mise en place d’aides, de médiations communicationnelles et
linguistiques dont ces enfants ont besoin est incontournable. Sans cela, ils ne peuvent tirer parti
des opportunités d’apprentissage que l’école ordinaire peut leur offrir.

Un tel positionnement appuie la nécessité de repenser l’éducation des sourds par rapport aux
changements sociaux et technologiques qui induisent également des changements dans cette
population d’enfants. Des options devront être prises, entre une implantation massive des tous
jeunes enfants, les approches bilingues qui ont du mal à s’organiser, et l’enseignement
spécialisé qui peut présenter une voie intermédiaire avec les intégrations partielles proposées :
enfin le débat est loin d’être terminé…

Courtin (2007) lui-même, dans le numéro de la revue Enfance (59/3), intitulé «Comment peut-
on être sourd ?» appelle à un dépassement des vieilles querelles pour permettre un réel
changement dans la prise en charge éducative et scolaire des enfants sourds. Il s’agit d’une
amélioration qui prendrait en compte les différences de ces enfants. Selon cet auteur, la
considération de l’expérience américaine en la matière devrait permettre d’éviter les fausses
routes et les détours qui, en dernier ressort, pénalisent les enfants et leurs familles. Hauser et
Marschark (2008) appuient cette position en indiquant les recherches nécessaires à mener dans
le but d’offrir une éducation prenant en compte réellement les besoins et les caractéristiques
de ces enfants.

Faut-il penser à la création d’une troisième voie qui dépasse les querelles d’antan et qui fonde
une nouvelle manière de comprendre et de caractériser les besoins particuliers des enfants
sourds ?

2.2. LES RÉSULTATS SCOLAIRES ET LES CAPACITÉS COGNITIVES DES ENFANTS SOURDS

Sans pouvoir approfondir ici l’ensemble des résultats obtenus par la recherche en psychologie
qui compare les compétences des enfants sourds et entendants, notre intention est surtout
d’en pointer les éléments les plus marquants.
46
De manière générale, les résultats scolaires des élèves sourds sont moins élevés que ceux des
enfants entendants du même groupe d’âge, ou du même niveau de scolarité. Il est
vraisemblable que l’évaluation de leurs compétences est mal adaptée et qu’elle constitue une
parmi les causes complexes de cet état de fait. D’une part elle n’est pas évidente à élaborer vu
leur hétérogénéité (Hage, Charlier & Leybaert, 2006), d’autre part les processus cognitifs de ces
enfants ne sont pas encore clairement établis. Par exemple, adoptent-ils une autre façon de
comprendre, de construire et d’organiser mentalement leurs connaissances ? Cette dernière
hypothèse, qui interroge notamment la première, est avancée par plusieurs recherches, réunies
par Marschark & Hauser (2008).

Depuis longtemps, la recherche comparant les enfants sourds aux enfants entendants de leur
âge, ou de leur niveau scolaire, se heurte à des difficultés. Comment contrôler les variables
complexes qui entrent en jeux ? Selon Courtin (2000a, b, c) un seul groupe d’enfants sourds
peut être comparé aux enfants entendants, celui des enfants sourds de parents sourds,
utilisateurs de la langue des signes (ci-après LS). Ce groupe développe en effet ses
connaissances linguistiques et les connaissances du monde environnant à partir de cette
langue ; en outre, il n’a pas de difficultés de communication, de privations du langage à
surmonter dans la petite enfance, comme c’est le cas des enfants sourds de parents entendants.
L’entrée dans la langue écrite de ces enfants pose toutefois de nombreux problèmes, même si
l’école suit le programme bilingue (Mayer, 2007). Et comme ce groupe par son nombre peu
élevé (5%) ne peut pas représenter toute la population des enfants sourds, les recherches le
prennent comme exemple « idéal », le « meilleur des cas », un exemple qui d’ailleurs n’est pas
le plus étudié actuellement.

Moores (cité par Marschark, 2007, p. 273-274) dégage historiquement trois étapes qui
représentent la manière de considérer les capacités intellectuelles des sourds dans les
recherches : 1) celle de l’équation « sourd égal inférieur » en donnant en exemples les
recherches basés sur les tests de QI. Les résultats de ces recherches montrent forcement un
déficit apparent chez les enfants sourds. Ce déficit est cependant relatif si on prend en
considération l’acquisition du langage oral qui obstrue et retarde les autres acquisitions des
enfants (dans la majorité des systèmes scolaires pour enfants sourds de l’époque) ; mais sont
également à invoquer dans ces résultats, les moyens de mesurer les capacités des enfants
sourds par les tests standardisés établis pour les enfants entendants. En effet, ces moyens
creusent le fossé, comme le mentionne Courtin (1996) en discutant les recherches d’Oléron des
années ’50-60). 2) « la pensée des sourds [est vue] comme concrète » dans les recherches des
années 1960. Le retard des enfants sourds dans les domaines scolaires mène les chercheurs à
penser qu’ils atteignent une « pensée concrète » sans créativité. C’est ce qui est expliqué par le
manque d’audition qui introduirait les changements dans la structuration cognitive de ces
enfants. Le déficit créé par le manque d’exposition et d’expériences précoces au langage n’est

47
pas reconnu comme constitutif de ce retard. 3) l’étape qui émerge dans les années 1970 est
celle des « sourds intellectuellement normaux », où les recherches essayent d’établir les
similitudes entre sourds et entendants. Pourtant, comme tous les professionnels de l’éducation
de cette population le constatent quotidiennement, les enfants sourds ne fonctionnent pas
comme les enfants entendants ; car si cela était le cas, il suffirait de lever la barrière
communicationnelle pour établir une équivalence, ce qui n’est pas démontré. 4) Marschark
(2007, p. 274) propose d’ajouter une période actuelle qu’il appelle «différent ne signifie pas
déficient» (Marschark, 2003). Cette différence se confirme par les recherches récentes réunies
dans leur célèbre volume (Marschark & Hauser, 2008). Ces enfants apprennent différemment
de leur pairs entendants, ont des caractéristiques cognitives qui les en distinguent, non pas
parce qu’ils sont atteints de la surdité, mais parce que ce « fait scientifique » n’est pas pris en
compte sur le terrain de l’action pédagogique.

En effet, sur ce terrain, les systèmes mis en place répondent mal ou pas du tout aux besoins
spécifiques de ces enfants. Comme le disent les deux auteurs (ibid. p. 14-15), une solution n’est
pas meilleure que l’autre - l’école spéciale pour les sourds vs l’école publique en intégration -.
Dans les écoles pour les sourds, il manque des enseignants Sourds de haut niveau de
qualification en éducation et des enseignants entendants avec d’excellentes connaissances en
langue des signes. Tandis que dans les écoles publiques, les connaissances concernant la surdité
et la façon de travailler avec les enfants sourds font défaut. En résumé, il manque massivement
des formations spécifiques pour les enseignants, et ceci dans les deux types d’écoles. Quand
l’école publique propose le service des interprètes, ces derniers ne sont pas nécessairement
préparés à entrer dans le monde de l’éducation et par là même, ne peuvent pas faire office d’un
bon médiateur entre l’enfant et les savoirs à acquérir.

Mais finalement que disent les recherches récentes sur les caractéristiques cognitives des
enfants sourds ?

Marschark, Convertino et LaRoch (2006, p. 36-40) désignent quelques différences entre les
enfants sourds et entendants qui exigent des recherches plus approfondies pour expliquer leur
fondement. Certaines différences pourraient être dues à une manière d’appréhender les tâches
cognitives, d’autres à l’influence de la première langue en tant que mode de communication
(signée vs vocale), d’autres encore au rôle principal des connaissances du monde construites
avant l’entrée à l’école.

Qu’en est-il de l’attention visuelle, de l’attention mnésique et d’autres ressources cognitives ?

Dans le domaine de l’attention visuelle, les personnes utilisant les langues signées, se montrent
plus flexibles que les personnes entendantes, ont un champ visuel périphérique plus performant
et sont capables de détecter les signes d’autres mouvements. Ils excellent dans les

48
déplacements de leur attention visuelle d’un stimulus à l’autre, ainsi que dans la reconnaissance
des visages. Il faut noter que ces résultats s’expliquent d’avantage par l’utilisation de la langue
spatiale que par l’atteinte de l’audition, car les enfants sourds qui utilisent la langue parlée n’ont
pas eu de telles performances.

Quant au domaine de la mémoire, quelques recherches citées par les auteurs (Marschark,
Convertino & LaRoch, ibid.) décèlent des différences importantes que nous allons résumer. Tout
d’abord, les différences entre les sourds et les entendants au niveau de la mémoire à court
terme ou mémoire de travail sont assignées à la nature des représentations mentales qui
diffèrent d’un type de codage à l’autre. Ces différences reflètent les capacités moins
importantes des sourds en rappel des items (oraux, écrits, ou signés) notamment. Ce constat
exige toutefois davantage de recherches pour vérifier ces résultats et leur influence sur le
processus d’apprentissage dans cette population. Ensuite, d’autres recherches se centrent sur la
mémoire à long terme ou mémoire sémantique. Elles révèlent des différences au niveau de
l’organisation de l’information, et son utilisation dans les tâches de rappel individuel. De même
les différences sont mises en évidence dans les études sur les associations de mots, qui
découvrent une marque particulière de la force et de l’étendue des associations entre les
concepts chez les sourds vs les entendants. Les étudiants sourds se rappellent les mots de
manière fragmentaire, et l’information sémantique des phrases est plus décousue, tandis que
leurs pairs entendants le font de manière plus globale. Ce type de recherches expérimentales
demande, à notre avis, des investigations sur le terrain de l’action pédagogique, en classe. Elles
paraissent déjà de manière potentielle avoir une influence sur la compréhension des messages
verbaux, signés et écrits et par conséquent sur les apprentissages de cette population d’enfants.
Allant dans le même sens, des différences ont été remarquées quand il s’agit du mode de
traitement de l’information et son utilisation. Par exemple, la facilité du traitement de
l’information présentée séquentiellement, vs la présentation simultanée ; ou la dépendance aux
liens entre items semble apparente, contrairement aux items présentés isolement. Les enfants
sourds ont plus de facilité à traiter un seul paramètre, et quand il s’agit de deux ou plus dans la
résolution des problèmes, ils se trouvent en difficulté, ce qui les apparente aux enfants
entendants plus jeunes qui manifestent la même difficulté.

Les travaux qui comparent le niveau cognitif des enfants sourds selon le statut auditif de leurs
parents et selon l’éducation suivie, relèvent très clairement que la connaissance de la langue
des signes influence les résultats aux tâches de catégorisation et de sériation administrées aux
enfants de 6 ans (Courtin 2000a, b, c). Selon ses résultats les connaissances élevées en LSF
augmentent la flexibilité cognitive des enfants sourds signeurs23. Ces derniers, partagés en deux
groupes - les enfants sourds signeurs de parents Sourds, donc natifs de cette langue ; et les
enfants sourds signeurs de parents entendants, donc des signeurs tardifs - obtiennent des
23
Les enfants sourds utilisant la langue des signes.

49
résultats équivalents ou légèrement inférieurs aux enfants entendants du même âge qui
constituent le groupe contrôle. En contraste, les enfants sourds oralistes 24 se montrent
significativement différents par leurs scores très bas. Les questions d’apprentissage de la langue
dans sa modalité signée vs orale et/ou écrite suivent directement ces recherches et rétablissent
des liens évidents entre l’utilisation de la langue des signes et le niveau cognitif des enfants
sourds.

2.3. LES ENFANTS SOURDS ET LA LECTURE/ÉCRITURE

Comme pour les capacités cognitives des enfants sourds et pour leurs résultats scolaires en
général, le domaine de la lecture/écriture n’est pas une exception. Leurs résultats en
lecture/écriture sont faibles, les étudiants sourds et beaucoup d’adultes de cette population ont
un niveau de lecture similaire à des enfants de 3ème primaire (par ex. Allen (1986), Gallaudet
Research Institute (2003), cités par Sirois & Boisclair, 2006, p. 207) et frôlent même la situation
d’illettrisme.

Il est difficile de résumer toutes les recherches dans le domaine de la lecture/écriture chez cette
population d’enfants, non pas parce qu’elles sont trop nombreuses (nous n’avons pas la
prétention de les connaitre toutes), mais parce qu’elles ne se regroupent pas au niveau de leurs
objets d’études. Un éclatement des problématiques appréhendées et des méthodologies
utilisées nous amène à faire le choix des recherches pertinentes pour la suite de notre travail en
se concentrant sur les domaines suivants : l’entrée dans l’écrit chez les jeunes sourds, les
pratiques enseignantes qui y sont liées, les activités incluant autant la lecture partagée dans le
cadre scolaire, que les activités visant l’apprentissage de l’écrit, en tout cas au début de cette
acquisition. Nous visons donc les recherches qui prennent en considération les jeunes enfants
sourds encore dans les programmes préscolaires (4-5 ans) et au début de l’apprentissage formel
dans les premières années de l’école primaire (6-8 ans). Nous les résumons dans le chapitre 4.

Nous anticipons ici ce chapitre en reprenant les constats de deux revues de littérature
concernant l’apprentissage de la lecture, qui se complètent, en partant de points de vue
différents. Celui de Schirmer et McGough (2005) se centre sur les composantes du savoir
lire/écrire relatés par le fameux Report of the National Reading Panel (2000) (ci-après NRP).
Celle de Muselman (2000) part d’une question : comment font les enfants sourds pour
apprendre à lire ? Question au cœur même de cette thèse. Nous commençons par la revue la
plus récente, pour la discuter et compléter par la suite. En préambule, soulignons que
l’éclatement des recherches en surdité s’intéressant à l’enseignement apprentissage de la

24
Les enfants sourds qui apprennent uniquement la langue majoritaire dans sa version vocale souvent avec le LPC.

50
lecture et de l’écriture est lié aux composantes du savoir lire/écrire investies par ces recherches.
Si on considère les composantes présentes dans le NRP, plusieurs parmi elles ne sont pas prises
en compte dans la recherche en surdité (Schirmer & McGough, 2005). De plus, elles sont
explorées par des recherches trop peu nombreuses encore, ce qui ne permet pas une méta-
analyse sur le sujet. Mentionnons tout d’abord les composantes étudiées par le NRP pour
ensuite faire un bref résumé de ce qui existe et parait important dans la recherche en surdité.
Quelques lacunes de ces investissements scientifiques vont apparaitre de manière succincte. Le
NRP (2000) classe les recherches en lecture/écriture et les analyse selon les catégories
suivantes : 1) les connaissances du code alphabétique comprenant les connaissances
phonémiques et phonologiques, les liens grapho-phonémiques et la connaissance des lettres ;
2) la fluidité en lecture ; 3) la compréhension des mots et des textes ; 4) la formation des
enseignants et l’enseignement de la lecture ; 5) l’utilisation de l’ordinateur et des technologies
nouvelles dans l’enseignement de l’écrit.

Concernant le premier domaine, les connaissances du code alphabétique (connaissances des


lettres et connaissances phonologiques), le NRP en souligne l’importance fondamentale dans la
construction des connaissances alphabétiques et la réussite en lecture ; par exemple : la
correspondance sons-lettres, ou graphèmes-phonèmes. Les recherches auprès des enfants
entendants soulignent l’importance de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la
lecture, et c’est pour cela que les recherches sur la population des lecteurs sourds posent cette
même question qui constitue peut-être une des clés pour saisir les difficultés en lecture de ces
enfants. Les résultats de quelques recherches montrent que ces enfants accèdent aux
connaissances phonologiques, surtout ceux qui suivent le type oraliste d’éducation. L’influence
d’utilisation du LPC (langage parlé complété - un code manuel qui complète la lecture labiale)
dans le développement des connaissances phonologiques chez cette population d’enfants
sourds a été démontrée25.

Quant aux enfants sourds qui utilisent la langue des signes dans leur scolarité, les études
montrent qu’ils utilisent l’information phonologique, surtout les «bons» lecteur/scripteurs, mais
on ne sait pas comment ils y accèdent. Une différence a été en effet trouvée sur ce point entre
les lecteurs forts vs faibles (Kelly, 1995, cité par Schirmer & McGough, ibid., p.93). Les premiers,
utilisent le code phonologique aussi bien que le code manuel (épellation manuelle des lettres),
tandis que le deuxième groupe ne présente pas les mêmes capacités de s’appuyer sur l’un ou
l’autre code. Les recherches montrent aussi que les enfants sourds exposés à la langue signée
utilisent l’alphabet manuel tout naturellement et que cet alphabet leur sert pour la
reconnaissance des mots dans leurs apprentissages.

25
Pour une synthèse de ces recherches voir Schirmer & McGough, ibid, p. 88.

51
Ce domaine, si important dans les recherches auprès de la population d’enfants entendants, ne
semble pas être autant investi par la recherche en surdité, notamment dans les domaines qui
touchent aux pratiques enseignantes ou, de manière plus générale, aux interventions
éducatives qui favorisent l’apparition de ces connaissances chez l’enfant.

Le deuxième domaine du NRP, la fluidité en lecture, parait comme un domaine qui n’est pas le
plus important pour la population des lecteurs sourds, car peu de recherches se focalisent sur
les relations entre le temps d’engagement, les capacités en lecture et la vitesse de lecture. Au
contraire, le NRP interroge les moyens d’enseignements et les pratiques enseignantes visant un
entrainement de la lecture fluide et rapide, ce qui vise l’autonomie de l’enfant face aux textes
de genres et de difficultés divers. Ce constat nous parait tout à fait normal, prenant en compte
le fait que l’entrainement de la fluidité en lecture passe par la lecture à haute voix, qui est
difficile à atteindre, voire tardive ou lacunaire, pour plusieurs enfants sourds. La maitrise de la
langue vocale fait en effet obstacle à ce type d’activités. Les études en surdité ne se penchent
pas non plus sur la lecture silencieuse, et les effets qu’elle peut avoir sur la compréhension des
textes.

Le troisième domaine du NRP concerne la compréhension du vocabulaire et des textes, incluant


également l’enseignement de ces deux sous-domaines. L’enseignement du vocabulaire (de
manière explicite avec les explications du vocabulaire avant la lecture ; ou implicite, qui ne
donne pas ces explications, mais vise la lecture autonome et des inférences dans le cas des mots
inconnus) a une influence positive sur la compréhension des textes pour les enfants sourds,
toutefois les auteurs recensent très peu de recherches dans ce domaine. Seulement trois études
relient les connaissances du vocabulaire et la compréhension en lecture ; très peu de recherches
investissent les classes qui utilisent l’ASL (American Sign Language) comme langue
d’instruction : une qui se centre sur la méthode implicite, et quatre sur les méthodes explicites
et l’utilisation des ordinateurs en classe. On ne trouve aucune recherche sur les pratiques
enseignantes ou les programmes qui prendraient en considération l’apprentissage du
vocabulaire en tant que tel. Contrairement à la rapidité de lecture, le vocabulaire est considéré
comme très important pour les élèves sourds, mais comme pour les connaissances
alphabétiques et la fluidité, il n’a pas trouvé encore une attention particulière de la part des
chercheurs.

Pour la compréhension des textes, le NRP a trouvé 14 stratégies enseignantes, parmi lesquelles
sept sont jugées efficaces pour favoriser la meilleure compréhension chez les élèves ; ce sont les
stratégies de : «comprehension monitoring, coopérative learning, graphic and semantic
organizers, story structure, question answering, question generating, summarization» (Schirmer
& McGough, ibid, p. 108). Elles sont utilisées de manière combinée, car l’une d’entre elles
développe les connaissances complémentaires pour une autre, et l’utilisation à outrance d’une

52
seule stratégie n’est pas suffisante à la construction des savoirs qui permettent la
compréhension des textes.

Avec les élèves sourds, on a trouvé l’utilisation de seulement quatre stratégies


(«comprehension monitoring, question answering, question generating, story structure»). Les
études sont cependant trop peu développées et n’explorent pas les mêmes composantes pour
être comparées et donner lieu à des conclusions. Ce qui ressort de ces recherches, cependant,
c’est que les élèves sourds développent des stratégies pour guider, poursuivre et contrôler leur
compréhension. De même, les stratégies pour leur enseigner la structure narrative et leur
proposer les questions pertinentes concernant le texte sont utilisées. Ces constats sont
comparables à ceux du NRP. Ces stratégies sont utilisées parmi d’autres, et peuvent être
efficaces dans la construction de la compréhension narrative. Les «connaissances du monde»
sur la thématique du texte, paraissent influencer directement la compréhension chez les élèves
sourds. Les recherches dans ce domaine manquent toutefois, pour indiquer quelles stratégies
d’enseignement utiliser dans le but de permettre aux élèves l’activation de ces connaissances
pendant la lecture.

Jusque là, les conclusions concernant les pratiques et les moyens d’enseignement efficaces pour
cette population d’enfants ne sont pas possibles à tirer. De même, le quatrième et le cinquième
domaine du NRP, concernant la formation des enseignants à l’enseignement de la
lecture/écriture aux enfants sourds, ainsi que celui qui se centre sur l’utilisation des multimédias
dans l’enseignement apprentissage de la lecture chez ces enfants, n’ont pas trouvé assez
d’intérêt de la part de la recherche en surdité. Quelques recherches prometteuses sont
certainement à poursuivre, notamment dans le domaine de l’utilisation des ordinateurs dans
l’enseignement de l’écrit et sur l’utilisation de l’hypertexte dans l’élaboration de la version
signée du texte et vice versa.

En bref, les lacunes de la recherche dans le domaine de la formation des enseignants nous
interpellent, par exemple dans le domaine des stratégies de compréhension des textes ou de
manière plus générale sur les pratiques littéraciques efficaces à promouvoir, qui ne sont pas
encore étudiées de manière régulière. Nous y reviendrons dans la discussion de nos résultats et
dans les perspectives de notre recherche.

La position de cette revue de littérature complète et nuance la position de Muselman (2000) qui
se réfère à la littérature du domaine de la surdité et des recherches des années 80-90 sur la
lecture menées dans ce champ. Elle procède de manière intéressante en croisant les trois
facteurs principaux qui jouent un rôle important dans l’acquisition de la lecture : 1) les
méthodes d’encodage de l’écrit ; 2) les connaissances linguistiques de l’enfant, notamment de la
syntaxe et des connaissances sémantiques ; 3) les connaissances langagières générales
construites dans l’enfance ; avec les trois modalités linguistiques utilisées dans l’éducation des

53
jeunes sourds qui sont les suivantes : la langue parlée avec les codes nécessaires à
désambiguïser la lecture labiale26, la langue des signes ou l’anglais signé27. Le premier facteur,
c’est-à-dire, les méthodes d’encodage de l’écrit, rejoint celui du domaine de la phonologie et
des connaissances alphabétiques que nous avons discuté plus haut (cf Schirmer & McGough,
2005). Le deuxième, concerne pour la majeure partie le vocabulaire, mais aussi les
connaissances des structures syntaxiques et leur rôle dans la compréhension en lecture. Le
troisième concerne les connaissances générales de la langue et les connaissances du monde qui
peuvent être largement élargies si l’enfant est exposé à la langue des signes. Muselman (ibid.)
cite plusieurs travaux développés aux Etats-Unis, qui interrogent les interrelations existantes
entre l’utilisation de la LS et les capacités des élèves en lecture/écriture. Ces travaux pointent
également les autres facteurs qui peuvent y jouer un rôle important, comme par exemple la
précocité d’exposition à la LS, le type d’école fréquentée par l’enfant ou encore le statut auditif
des parents. Nous les mentionnons ci-après en complétant le travail de Muselman (ibid.) par des
avancées plus récentes qui vont dans le même sens, ou qui relèvent de la continuation des
recherches citées par cet auteur.

Plusieurs recherches nord-américaines s’intéressent aux évaluations du niveau d’apprentissage


des divers domaines scolaires. Elles démontrent l’influence positive de la langue des signes
américaine (American Sign Language, ci-après ASL) sur le développement de compétences des
enfants sourds en lecture/écriture dans le cadre de l’enseignement bilingue ASL/Anglais
(Chamberlain & Mayberry, 2000 ; Strong & Prinz, 2000 ; Nelson 1998 ; Singleton, Supalla,
Litchfield & Schley ,1998 ; Kuntze, 1998). Il apparaît clairement que les élèves tirent des
bénéfices des deux langues, et que la langue manuelle permet l’étude de la langue écrite. Les
systèmes linguistiques des deux langues diffèrent fortement, mais certains procédés sont
applicables pour renforcer les correspondances. L’utilisation de l’épellation manuelle
(dactylologie)28 dans l’apprentissage des lettres en est une, l’utilisation des signes initialisé dans
la reconnaissance des mots, en est une autre (Padden & Ramsey, 2000). Il s’avère que les
enfants sourds signeurs de naissance sont aussi le plus souvent les meilleurs lecteurs et
scripteurs dans la population des enfants sourds. Les mêmes constatations sont à observer avec
la population des enfants sourds de parents entendants, très tôt et intensivement exposés au
Manual Coded English (MCE) (Hoffmeister, 2000). L’utilisation de ce système à la maison et dans
le cadre scolaire renforce les capacités de l’enfant à acquérir la langue écrite. Ces constatations
soulignent l’hypothèse que l’enfant qui a pu construire des connaissances linguistiques solides
et cohérentes dans la langue signée (ASL) ou dans le code signé (MCE) avant son entrée à

26
LPC ou langage parlé complété est un code manuel qui permet de faciliter la compréhension à la base de la
lecture labiale
27
L’anglais signé ou Manual Coded English (MCE) utilise les signes de la langue des signes américaine (ou ASL) dans
l’échange mais il suit principalement la syntaxe de l’anglais.
28
Il existe plusieurs méthodes pour passer de la langue des signes à l’écrit développés dans le cadre américain.

54
l’école, se montre plus performant et éprouve moins de difficultés dans l’apprentissage de la
lecture/écriture (Morford & Mayberry, 2000). Les constats principaux de ces recherches
démontrent que l’enseignement bilingue ASL/anglais écrit29, favorise le développement des
capacités en lecture/écriture chez les apprenants sourds. Les expériences effectuées dans le
cadre américain se centrent sur la capacité en langue des signes et sa corrélation avec des
performances en lecture/écriture des élèves de 8-16 ans (Hoffmeister, 2000 ; Chamberlain &
Mayberry, 2000, 2005 ; Padden & Ramsey, 1998, 2000, 2005). Un test spécifique des
performances en ASL a été conçu pour mieux évaluer les interrelations entre les deux langues –
TASL - (Prinz, Strong & Kunze, 1994, Prinz & Strong, 2000). Les résultats obtenus dans la
recherche qui applique ce test (Prinz & Strong, 1998), montrent que la connaissance de la
langue des signes et la conscience de ses structures propres est favorable à l’apprentissage et à
l’analyse de la langue écrite.

Selon ces chercheurs, l’âge d’exposition à l’ASL joue un rôle important dans la mesure où le
contact le plus précoce possible (avant l’âge de 3 ans) donne les meilleurs résultats d’acquisition
des structures profondes de cette langue. Les constats globaux montrent que les tâches en ASL
peuvent prédire une meilleure acquisition de la lecture/écriture. D’autre part, les connaissances
de l’anglais écrit peuvent aider l’enfant à progresser dans l’apprentissage de l’ASL. Ces auteurs
montrent aussi l’existence de plusieurs techniques qui permettent aux enfants de passer d’une
modalité à l’autre (chaining30, utilisation des signes initialisés31, système de traductions de la LS
et de transcriptions en glosses32 comme les moyens intermédiaires à la production écrite en
anglais).

Les autres investigations des chercheurs américains vont plus loin en ce qui concerne l’influence
du type d’école fréquentée par l’enfant (l’école résidentielle avec internat ou l’école publique
du quartier) (Hoffmeister, 2000 ; Paden & Ramsey, 1998 ; Padden & Ramsey, 2005 ; Morford &
Chamberlain, 2005). Ce facteur semble jouer un rôle considérable dans le développement des
capacités linguistiques des enfants sourds. Il s’avère que les enfants sourds de parents Sourds
sont placés le plus souvent dans des écoles avec internat, et c’est aussi dans ce type d’écoles
que les enfants sourds de parents entendants peuvent progresser le mieux et le plus vite en
ASL. Ces enfants sourds, signeurs tardifs, sont constamment exposés à l’ASL, et acquièrent des
performances comparables dans cette langue, à celles des signeurs de naissance. Ils diffèrent

29
Programme bilingue du type A-cf. 3.3.
30
La technique de chaining permet d’associer des représentations diverses du même référent (mot écrit,
dactylologié, signé) en le produisant successivement.
31
Signes initialisés : beaucoup des signes possèdent une configuration de la main qui correspond à la première
lettre du mot que ce signe représente. Cela facilite l’acquisition des lettres et des signes aux enfants, faire des
associations de l’alphabet manuel avec les lettres écrites, avec les mots écrits qui commencent par cette lettre.
32
Voir Niederberger, (2004), Singleton et al., (1998), qui caractérisent cette technique comme un système de
notation propre à chaque élève, dans le but de passer de l’ASL vers l’écrit. Il sert à comparer les deux systèmes
linguistiques et trouver le meilleur moyen d’expression de la langue signée en écrit.

55
seulement dans l’utilisation de certains marqueurs (des classificateurs par exemple), comme les
reprises anaphoriques, qui sont acquises tardivement33. Par contre, les enfants sourds de
parents entendants, qui fréquentent les écoles publiques et qui n’ont pas assez des contacts
avec l’ASL en dehors des cours, n’excellent pas dans les épreuves de l’ASL, ni dans celles de la
langue écrite. Rappelons encore cette recherche francophone, pionnière dans le domaine de la
psycholinguistique. Elle reprend le test TASL, mène son adaptation en langue des signes
française (LSF) pour ensuite l’appliquer auprès des élèves sourds à des fins de recherche sur son
utilisation en Suisse Romande (Niederberger, 2004). Les résultats de cette recherche confirment
les résultats américains, en soulignant une forte corrélation positive entre la LSF et le français
écrit/oral. La population concernée par cette recherche (39 enfants sourds d’âge allant de 8 à 16
ans) présente toutefois de très grandes différences interindividuelles dans l’accomplissement
des tâches, ce qui induit une dispersion importante des patterns de maîtrise de l’une ou l’autre
langue. La différence réside aussi dans le type de programme bilingue en vigueur en Suisse
Romande, celui du type B qui implique l’apprentissage de la version écrite et orale de la langue
majoritaire, contrairement aux études américaines conduites dans le type A du programme
bilingue (cf infra). En particulier, les sujets qui ont développé des bonnes capacités discursives
en LSF, les maintiennent aussi dans la langue écrite. Il semble donc possible que le transfert de
la langue des signes puisse s’effectuer de manière positive vers le français écrit/oral. Ce résultat
va dans le même sens que certaines recherches américaines (Hoffmeister, 2000 ; Strong & Prinz,
2000 ; Singleton et al. 1998). Si ce transfert existe au niveau discursif en français, il est difficile à
observer au niveau de la morpho-syntaxe. L’influence de la LSF sur la langue orale a été
également explorée dans cette recherche. Cependant, les facteurs sociaux décrits par des
recherches américaines n’ont pas pu être investigués du fait que les contrastes entre écoles ou
le statut auditif des parents ne sont pas pris en compte dans l’échantillon de cette recherche.

Nous voyons donc que les recherches abondent pour montrer que la langue des signes s’avère
un moteur puissant de développement du langage et des apprentissages permettant à l’enfant
sourd de construire les connaissances nécessaires et préalables à son entrée à l’école. De plus,
ce développement semble être prédictif des apprentissages scolaires comparables à des enfants
entendants.

Quelles investigations sont donc à entreprendre pour mieux comprendre comment font les
enfants sourds pour accéder à la lecture/écriture ? Pourquoi leurs résultats sont-ils si bas ?
Quelles sont les meilleures façons d’appréhender ces apprentissages avec eux et comment
former les enseignants, développer des outils nouveaux, mettre en place des dispositifs
adéquats ? Enfin, plusieurs chercheurs réclament des travaux davantage ciblés, sur les
processus d’enseignement apprentissage et non pas seulement sur les produits, autrement dit
sur les performances des enfants. Nos connaissances sur les composantes du savoir lire/écrire
33
Pour plus des détails voir Niederberger (2004).

56
qui font obstacle sont à développer, ainsi que sur les stratégies d’apprentissage et sur les
cheminements particuliers des élèves en train de devenir des lecteurs/scripteurs efficaces. Il en
va de même pour les connaissances sur les moyens d’enseignement et les pratiques
enseignantes qui favorisent ces acquisitions. Dans ce contexte, une réelle collaboration entre
praticiens et chercheurs est à instaurer pour élaborer des programmes de recherches sur
l’acquisition de la lecture et de l’écriture. De plus, de tels programmes gagneront à être basés
sur des observations dans les lieux où ces acquisitions sont construites-coconstruites en
interactions didactiques, ou même dans des situations d’apprentissages informels à la maison.

Nous revenons plus loin sur les recherches impliquant l’apprentissage précoce de la lecture
et les recherches concernant le passage de ces acquisitions vers une lecture autonome et
une écriture conventionnelle (cf chapitre 4).

57
58
CHAPITRE 3. INTERACTIONS DIDACTIQUES DANS UNE CLASSE BILINGUE

« Qu’il apprenne, qu’il se forme ou qu’il se développe, l’enfant,


l’élève ou l’adulte ne constitue jamais une entité solitaire et
décontextualisée : il agit sur-, réagit à-, se pose contre-, se met en
lien avec-, etc. Bref, il interagit dans un environnement à la fois
matériellement situé et historiquement déterminé »

Laurent Filliettaz & Maria-Luisa Schubauer-Leoni34

INTRODUCTION

Nous examinons ici quelques recherches en didactiques des langues et plus spécifiquement en
approches plurilingues qui prônent un développement du plurilinguisme dans le monde
scolaire. En particulier, ces recherches portent sur les changements exigés par la reconnaissance
des répertoires verbaux multiples des élèves (Moore, 2006 ; Castellotti & Moore, 2008). Deux
questions organisent notre investigation. A l’époque où le portfolio européen des langues
propose leur apprentissage à l’école de manière large et pour une population respectueuse des
autres langues et cultures (Conseil de l’Europe, 2005 ; Krausneker, 2008 ; Coste, 2009 ;
Castellotti, 2008), comment est perçue la population d’enfants sourds ? Quelles langues
apprennent les enfants qui rencontrent par définition des difficultés dans l’apprentissage de
base de la langue de l’école ? Même si ces questions sont ouvertes et ne trouvent pas
nécessairement de réponses dans la littérature scientifique actuelle, nous les appréhendons
avec prudence en utilisant surtout les concepts de ce domaine qui sont pertinents pour
expliquer et comprendre les interactions bilingues LSF/français observées en classe. Nous allons
nous appuyer sur les recherches concernant les processus interactionnels, surtout ceux prenant
en compte le milieu éducatif (Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008). Nous cherchons à définir
l’interaction en nous appuyant pour ce faire sur les auteurs représentatifs des domaines divers –
linguistique, sociolinguistique, psychologie sociale, sciences de l’éducation (point 3.1). Ensuite,
nous nous concentrerons sur les interactions didactiques telles qu’elles peuvent apparaitre dans
une classe des langues (point 3.2.) pour arriver à la perception des enfants sourds en tant que
bilingues en reconnaissance de leur «parler bilingue» vocal et signé à la fois ; nous arrivons plus
loin aux apports dans la construction des savoirs scolaires que cette reconnaissance amène
(point 3.3). Puis, nous présenterons quelques aspects multimodaux (de Saint-Georges, 2008 ;

34
Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008, p.7.

59
Millet & Estève, 2009, 2010 ; Volterra et al. 2005) de ce discours bilingue dans la classe des
enfants sourds, qui sont liés aux caractéristiques de la langue des signes, sa façon d’utiliser
l’espace, le regard, les pointages, le mouvement etc. (point 3.4.). Une synthèse succincte des
apports des deux langues pour la construction des savoirs scolaires des enfants sourds conclut
ce chapitre (point 3.5.)

3.1. LA NOTION D’INTERACTION ET LES PROCESSUS INTERACTIONNELS DANS LE MILIEU ÉDUCATIF

Le concept d’interaction est incontournable pour appréhender les interactions didactiques


observées en classe et pouvoir les analyser, ce qui est effectué dans les parties suivantes de
cette thèse.

Markovà (1997) propose une conception duale de l’interaction : la première correspondrait à


une conception goffmannienne d’un regroupement non focalisé (cité par Filliettaz & Schubauer-
Léoni, 2008). Elle est comprise comme une relation entre deux entités indépendantes, qui sont
enrôlés dans la même situation sociale. Par exemple, les individus au passage piéton réglé par
les feux n’entrent pas, en principe, en relation « focalisée » les uns avec les autres (Filliettaz &
Schubauer-Léoni, 2008, p.12). La deuxième conception de Markovà présente les interactions
comme un système dans lequel les deux entités exercent des influences l’une sur l’autre, et se
modifient mutuellement. Les deux entités jouent des rôles complémentaires dans ces
transformations, l’action de l’une étant complémentaire à l’action de l’autre. Cette vision de
l’interaction comme un système complexe et complémentaire (Markovà, ibid, p.31) est
intéressante pour nous par son explication des transformations que les entités exercent l’une
sur l’autre à l’intérieur du même système. Elles sont comprises comme des coconstructions
asymétriques, car les partenaires n’ont pas les mêmes statuts et n’entraînent pas le même type
d’influence (par ex. le médecin et le patient lors d’une consultation, ou l’enseignant et les
élèves35…).

Nous retenons la seconde acception de ce concept, celle où les interactions résultent d’une
coconstruction entre les deux entités qui sont complémentaires à l’établissement d’une
entente, d’une solution, autour d’un objet particulier. Cette conception va de paire avec la
distinction de Goffman (résumé par Filliettaz & Schubauer-Leoni, ibid.) et sa définition des
interactions comme les regroupements focalisés, qui se caractérisent par le même vécu social
partagé par un groupe d’individus. Le même vécu, mais cette fois-ci investi en tant que
« rencontre » autour d’un objet particulier d’attention permet les ratifications mutuelles par les

35
Dans cette situation, l’asymétrie caractérise le rapport au savoir, tandis que la construction de la zone de
compréhension commune se déroule sur le mode symétrique d’interaction, les deux participants de la situation
didactique, les enseignants et les élèves, s’ajustent réciproquement afin de la constituer et la maintenir.

60
partenaires. Et cette conception nous intéresse d’autant plus qu’elle implique des processus
régulateurs ou médiateurs par lesquels les partenaires s’engagent, prennent place, négocient
leurs ajustements respectifs dans le déroulement de l’échange.

L’interaction est donc pour nous vue comme une médiation communicative selon Habermas
(1987), utilisant des ressources sémiotiques diverses, parmi lesquelles le langage joue un rôle
particulier et central. Nous allons brièvement nous référer aux sciences du langage qui
prennent soin d’analyser les interactions verbales. Dans le cas de notre étude, celles-ci seront
élargies à l’utilisation d’une langue des signes qui présente les caractéristiques multimodales, et
nous y reviendrons plus loin pour les décrire (cf 3.4.). Précisons que les interactions que nous
analyserons dans ce travail sont vocales et signées en même temps, rarement distinctes (vocales
vs signées) ; nous utilisons donc le terme d’interactions verbales vocales/signées pour rendre
compte des deux versants linguistiques d’un même discours. Ces deux versants se placent en
milieu scolaire bilingue mis en place pour des élèves sourds et nous parlerons donc des
interactions non seulement didactiques, mais aussi bilingues.

L’appui des recherches qui s’intéressent aux aspects multimodaux des interactions verbales
nous parait aussi central, pour appréhender ces interactions complexes. Entre autres, celles de
Mondada (2004) et de Saint-Georges (2008) résument plusieurs travaux dans ce domaine. Par
ailleurs, une nouvelle veine de travaux en surdité est centrée sur la multimodalité chez les
locuteurs sourds, comme c’est le cas chez Millet et Estève (2009, 2010).

Les précisions données et les choix d’approches mentionnés ici nous mènent à des modèles
ternaires (ou triadiques) des interactions, en termes de relations entre maîtres-élèves-savoirs.
Ce sont les modèles représentés par la perspective socio-constructiviste en didactique et
d’autres approches didactiques (Filliettaz & Schubauer-Leoni, ibid. p. 16-19). La première
perspective considère l’interaction comme révélatrice du fonctionnement cognitif des sujets face
aux tâches à résoudre. Cette perspective donne lieu au développement du concept de conflit
socio-cognitif (Mugny, Doise & Perret-Clermont, 1975 ; Doise, Mugny & Perret-Clermont, 1975)
représenté en tant que mécanisme explicatif des progrès des sujets dans les tâches collectives
(Buchs et al. 2008 ; Buchs et al. 2004 ; Perret-Clermont & Carugati, 2004). Certaines recherches
de cette perspective s’intéressent aux dynamiques interactionnelles (comme Grossen & Py,
1997 par exemple), et d’autres auteurs développent une analyse séquentielle de la construction
du savoir chez les élèves en proposant la construction d’une logique interlocutoire entre les
partenaires, qui intègre les approches conversationnelles d’analyse des données verbales (Gilly,
Trognon & Roux, 1999 ; Roux, 2004).

Les approches didactiques, quant à elles, se centrent sur les objets de savoir à travers les
transformations que ces objets subissent sur les terrains de l’action pédagogique ou de
formation, devenant les objets enseignés dans une situation réelle d’enseignement

61
apprentissage (Canelas-Trevisi & Thèvenaz-Christen, 2002 ; Schneuwly & Thèvenaz, 2006). Le
manque d’études sur les pratiques d’enseignement est néanmoins relevée dans plusieurs
recherches récentes (par ex. Nonnon & Goigoux, 2007 ; Lenoir & Vanhulle, 2006) et ainsi ouvre
une nouvelle perspective sur les recherches qui essayent d’impliquer tous les pôles du triangle
didactique en partant de la notion du contrat didactique qui relie les enseignants et les élèves
(Schubauer-Leoni, 1986 ; Schubauer Leoni & Grossen, 1990 ; Perret-Clermont & Carugati, 2004).
Le concept d’action conjointe36 développé en didactique par Sensevy et Mercier (2007) et par
l’équipe de Schubauer-Leoni (Schubauer-Leoni et al. 2007 ; Leutenegger, 2008) rend compte
également des interactions complémentaires entre les partenaires.

Les études en microgenèses didactiques se positionnent plutôt dans le dernier de ces deux
modèles, portant sur les transformations que subit le savoir « langue écrite » au cours du
processus d’enseignement apprentissage, donc en adoptant une approche tripolaire. Elles
appréhendent les interactions situées et didactiques à la fois, entre les deux partenaires du
même processus d’enseignement apprentissage engagés dans une même situation. Par
exemple, les recherches de Gamba (2006, 2010), Zeiter Grau (Gamba & Zeiter Grau, 2007, 2009)
ou Navarro William (2009, 2011) mettent en jeu des enfants du niveau préscolaire et leurs
éducateurs, tandis que plusieurs autres recherches montrent le processus d’enseignement
apprentissage qui relie les élèves et leurs enseignants (Auvergne, 2005 ; Balslev et al. 2005,
Saada-Robert et al. 2003 entre autres). En outre, les recherches de Balslev s’intéressent au
même processus chez les apprenants adultes et leurs formateurs, toujours dans le cadre de
l’apprentissage de l’écrit (Balslev, 2006, 2007, 2009, 2010). Nous même nous inscrivons dans
cette mouvance en nous focalisant sur la population des élèves sourds (Tominska, 2007, 2010,
2011).

Cependant, contrairement aux approches didactiques citées plus haut, ces recherches ne se
centrent pas sur les seuls objets de savoirs en tant que tels, mais sur l’interaction même et sa
dynamique temporelle dans un temps court, celui d’une séance ou d’une leçon. Plus
précisément, les interactions sont prises comme médiatrices de l’apprentissage des objets
enseignés, à travers la coconstruction d’une zone de compréhension entre les partenaires. C’est
dans une telle zone que ces objets peuvent se décomposer en plusieurs composantes et être
négociés en tant que significations que les uns et les autres leur assignent. En cela elles se
réfèrent fortement à la perspective socio-constructiviste qui souligne l’importance des
processus sémiotiques constitutifs de l’espace intersubjectif coconstruit en tant que réalité
commune. L’analyse des états de la zone de compréhension (Balslev, 2006), par lesquels cette

36
La paternité du concept de l’attention conjointe revient à Bruner (2002), qui s’est intéressé aux étapes par
lesquelles passent les jeunes enfants pour apprendre à parler. L’attention conjointe de l’enfant avec sa mère sur un
objet, constitue une condition de cet apprentissage. Ce concept clé est retravaillé en didactique où il se traduit par
l’action conjointe entre l’enseignant et les élèves liés par le contrat didactique.

62
zone passe pour devenir peu à peu commune ou considérée comme telle, permet de saisir
comment sont négociées les significations attribuées à et émergentes de la situation. C’est
précisément par ce biais que nous pourrons rendre compte de la dynamique interactionnelle
(cf. chapitre 4.3. sur les apports des microgenèses didactiques).

3.2. INTERACTIONS DIDACTIQUES DANS LA CLASSE BILINGUE

Les interactions didactiques, fortement institutionnalisées, contraintes par la temporalité et le


contexte précis, celui de la classe et celui de l’activité en cours, sont abordées ici, tout d’abord
en tant que contexte d’acquisition des connaissances particulières. Ces connaissances se
construisent autour des objets d’enseignement apprentissages, se décomposant dans des
domaines divers, en composantes plus petites, comme les composantes littéraciques. Les
notions de contexte et de contrat didactique nous sont alors nécessaires pour cadrer nos
observations et comprendre cet espace-classe avec les interactions qui s’y déroulent, les prises
de places et leur partage. Menées dans une classe bilingue, ces interactions touchent les
notions du domaine vaste du bilinguisme, appréhendé en tant que notion sociale ou notion
personnelle. Nous abordons ces notions qui spécifient le contexte et les partages de places au
point 3.2.1., ensuite les questions de bilinguisme et du contact des langues au point 3.2.2., pour
arriver à la prise en compte du bilinguisme individuel au point 3.2.3.

3.2.1. NOTION DE CONTEXTE ET RAPPORT DE PLACES

Grossen (2001) propose trois conceptions de la notion de contexte. Nous y retenons celle qui le
considère «comme fruit d’une construction intersubjective » (ibid. p. 65-67), décrit comme une
entité instable, non prédéterminée une fois pour toutes, mais évolutive, relevant « d’un
résultat toujours temporaire des interactions entre les participants ». Ce caractère dynamique
s’observe entre l’interaction et le contexte de son accomplissement. D’un coté le contexte
cadre, restreint et définit l’interaction. D’autre part, il se modifie et se trouve transformé par
cette dernière. Dans ces changements, une attention particulière est portée sur les ressources –
les éléments concrets des situations – qui sont à la portée des interactants. Ces ressources sont
également susceptibles de leur venir en aide dans l’établissement d’un état provisoire à un
moment donné, et pour donner un sens à leurs actions et aux événements locaux en cours.

Cette notion, comme le souligne l’auteur, soulève le « problème du rapport du contenant et


contenu, du donné et construit, du déjà-là et en construction » (Grossen, ibid. p. 62) ou du
donné et du créé (Balslev, 2006). Les analyses a priori des composantes du savoir

63
potentiellement présentes dans les situations d’enseignement apprentissage permettent de
poser ces éléments du donné, du déjà là, bien que temporaires et provisoires, et d’en rendre
compte, pour ensuite mieux relever ce qui se crée entre les partenaires dans l’interaction elle-
même. Par là, il s’agit également de mieux identifier quelles ressources jouent un rôle important
dans l’interaction, dans cet espace interactif hétérogène (Vion, 1992) qui conçoit chaque
interaction dans la complexité de ses mini-interactions simultanées, où les partenaires
interagissent en prenant simultanément des places différentes ou en assignant à leur
interlocuteur les places à prendre.

Cette dernière notion de rapports des places (Vion, ibid.) et des rôles partagés, revêt une
fonction pertinente dans le cas de notre étude. En effet, les deux enseignants en charge de la
classe observée prennent et cèdent la place à l’autre dans l’interaction et dans le temps. Les
rôles assignés au début ne le sont jamais de manière invariable, figée et stable, mais changent,
se transforment selon les besoins de la situation et du déroulement de l’interaction, dans le but
de se comprendre, et de mener ensemble la leçon en cours. Les places des élèves dans cette
interaction sont aussi à considérer surtout à travers la notion d’espace discursif mentionnée par
Grossen (ibid. p. 67) à propos des travaux de Salazar Orvig (1999). Pour cet auteur, il s’agit d’un
espace non seulement hétérogène, mais aussi irrégulier, instable et dynamique, qui est
paradoxalement un lieu de cristallisation des différences entre les interlocuteurs. Si d’un côté cet
espace est le fruit des contributions symétriques des partenaires, de l’autre apparaissent la
dissymétrie des places et de la force des contributions. Nous comprenons donc la notion du
contexte dans toute sa complexité et essaierons d’en donner quelques éléments descriptifs
dans nos analyses ultérieures (cf. chapitre 7).

Liée au thème du rapport des places, la communication inégale (Nonnon, 1990), contractuelle,
gérée par l’architecture du jeu discursif en classe doit être mentionnée. Dans l’acception du
contexte que nous venons d’expliciter, elle n’est pas non plus une structure rigide, mais souple
et maniable. Les deux partenaires, enseignants et élèves, sont prêts à accueillir et à négocier les
dires et les significations de l’autre, et à participer d’un côté et de l’autre à la rapidité et la
liberté de l’enchainement discursif. Ainsi, le fonctionnement asymétrique face au savoir ne l’est
plus dans l’interaction. Au contraire, il favorise des prises de paroles autonomes des élèves,
l’apparition d’éléments nouveaux amenés par leurs expériences de vie, non prévus par les
enseignants mais intéressant en soi, et pouvant faire partie d’une composante traitée. Ces
prises de parole de la part d’élèves, sont alors acceptées et constituent des parties intégrantes
de l’échange sur lesquelles l’enseignant s’appuie. Toutefois, les finalités des deux partenaires ne
sont pas toujours les mêmes et ne se font pas voir, ou comprendre, par l’autre. Les enseignants
mènent la leçon avec leur objectif de départ, mais souvent n’arrivent à les réaliser que
partiellement, car l’échange prend une forme nouvelle suivant les interventions/réponses des
élèves. Dans ce flux de négociations, l’objet traité au début peut se transformer et prendre une

64
signification nouvelle : ce sont les dénivellations du discours (Grize & Borel, 1984, cité par
Nonnon, ibid., p.191). Nous y reviendrons pour nos analyses dans la partie III de ce travail.

Comment dans cet espace interactif pluriel et complexe s’accomplissent les processus
d’enseignement apprentissage ?

Les recherches en didactique des langues secondes et en approches plurilingues de ces


apprentissages nous apportent des notions importantes pour comprendre et analyser les
interactions observées sur le terrain. Parmi ces notions, nous faisons appel à celle de répertoire
verbal (Gumperz, 1964 ; Mugnier, 2006a) et plus particulièrement dans son acception récente
de l’étude des situations d’acquisitions langagières bi-plurilingues à l’école (Moore, 2006). Dans
notre travail, nous allons considérer le développement du répertoire verbal vocal et signé,
comme un répertoire bilingue qui se construit et se transforme en fonction des apprentissages
et des contacts avec les langues et les cultures diverses, au fil de la vie (Moore, ibid.).

3.2.2. BILINGUISME, DIGLOSSIE, CONTACT DES LANGUES

Quelques notions prises dans le domaine du bilinguisme nous sont nécessaires pour
appréhender les données recueillies en classe bilingue, et en classe pour enfants sourds en
particulier. Les notions de bilinguisme et du contact des langues doivent être alors prises en
considération. La notion de bilinguisme peut être, tout d’abord, comprise comme une notion
sociale ou comme une notion individuelle (Mugnier, 2006a, p. 44-57), et nous suivrons dans les
grandes lignes cette distinction. En effet, on peut pointer d’une part, le plan de la société qui
utilise deux ou plusieurs langues en tant que langues officielles, comme c’est le cas de la
Confédération helvétique, avec ses questions de politique linguistique et la reconnaissance des
langues des minorités. Ce plan nous intéresse ici au niveau institutionnel et à celui d’une
institution particulière, celle de l’école. D’autre part, nous nous intéressons au bilinguisme
individuel, celui des utilisateurs de deux ou plusieurs langues, qui nous dirigent vers les travaux
phares sur le parler bilingue et ses aspects non seulement discursifs, mais aussi cognitifs ou
acquisitionnels et organisationnels.

Pour comprendre le bilinguisme en tant que notion sociale, il est nécessaire de faire appel à la
notion de diglossie, terme repris des travaux américains de Ferguson (1959, cité par Lüdi & Py,
ibid. p. 11), et enrichie de la notion du contact des langues. Cette dernière peut être considérée
comme conflictuelle ou consensuelle (Boyer, 1997) par le fait qu’autour des deux versants d’une
langue coexistant sur un même territoire – comme en Suisse alémanique : la langue allemande
et la langue alémanique régionale, le bâlois, le zurichois etc. – deux niveaux sociaux se
distinguent. L’une parmi elles – l’allemand en l’occurrence – est valorisée comme une version

65
linguistique et culturelle de prestige (ou haute), preuve d’une instruction dite de haut niveau.
Tandis que l’autre est destinée à s’exprimer dans la vie quotidienne et dans la communication
ordinaire ; elle est alors appelée basse (Boyer, 2001). La catégorisation de la diglossie comme
conflictuelle, avec des exemples de modèles occitan et catalan (Boyer, ibid.) ou consensuelle
(Lüdi & Py, ibid.) nous mène à rappeler très brièvement ces deux modèles. Le premier considère
la coexistence conflictuelle entre la langue dominante et la langue dominée, coexistence
dynamique, instable, déséquilibrante et dans laquelle une cohabitation harmonieuse des deux
langues est impossible. Un état de force anime l’une et l’autre, un état de force qui entraine un
état de résistance. Par contre, la vision consensuelle de la diglossie s’appuie sur une
reconfiguration de contact des langues au niveau individuel, et résulte des travaux linguistiques
sur l’acquisition des langues secondes ou leur gestion chez un individu bilingue, comme le sont
par exemple, les élèves d’origines étrangères. Ce modèle ne nie pas le conflit possible entre les
langues et cultures qu’elles véhiculent, mais ne s’intéresse pas spécialement à cet aspect. En se
centrant sur le bilinguisme individuel, dans lequel un conflit est un « phénomène interactif
parmi d’autres », cette vision se focalise cependant non pas sur « les statuts des langues en tant
que telles, mais sur les individus comme acteurs sociaux qui les utilisent » (Mattey & De Pietro,
1997, cité par Mugnier, 2006a, p. 51). Cette compréhension de la diglossie nous ramène aux
travaux neuchâtelois de l’équipe de Bernard Py, et surtout de ses études du « parler bilingue »
chez des élèves issus de la migration, externe ou interne.

Les travaux sur la diglossie en surdité, qui, comme nous pouvons le supposer, exploitent le
modèle conflictuel du contact des langues, permettent de compléter nos références. Ce modèle
tente toutefois ces dernières années de dépasser le conflit au profit du consensus, et ceci dans
l’intégration des deux modèles, conflictuel et consensuel (Mugnier, ibid.). L’intérêt de ce
dépassement réside, d’une part, dans l’effort de tenir compte des deux dimensions, celle qui
privilégie la vision sociale, exprimée par la notion de diglossie, et celle qui va à la rencontre des
pratiques enseignantes dans une institution choisie, comme l’a démontré Mugnier (2006a) dans
son travail de thèse. Nous poursuivons aussi cette double dimension dans notre propre
approche. D’une part, elle met en évidence les faits historiques et sociaux ayant permis ou
provoqué la situation d’éducation des sourds d’aujourd’hui. Pour ce faire, nous avons dépeint
une large palette de recherches les concernant. D’autre part, notre intérêt se porte sur la
démarche bilingue dans l’éducation des sourds. Si elle est largement prônée, elle ne s’applique
pas de manière automatique ni évidente sur les terrains de l’action pédagogique, et ceci en
France comme en Suisse. Elle exige en effet une constante revendication de la présence et de la
reconnaissance des deux langues au sein de l’école, à travers les pratiques enseignantes ou
éducatives, et à travers les pratiques langagières proposées aux élèves, en particulier. C’est ce
type de pratiques, enseignantes et éducatives, et avant tout langagières, qui fait l’objet de notre
recherche.

66
3.2.3. BILINGUISME INDIVIDUEL

Mentionnons maintenant quelques recherches qui se sont penchées sur le bilinguisme


individuel.

Effectivement, la perception du bilinguisme a énormément évolué ces dernières années. Celui-ci


peut désormais se définir non seulement en terme de maitrise, de compétence linguistique
parfaite de deux ou plusieurs langues, mais aussi de manière fonctionnelle qui correspond aux
compétences plus générales permettant une communication aisée (Grosjean, 1993, 2003). Et
ces deux points de vue entrainent des choix et des conceptions différentes de l’apprentissage
ou de l’acquisition des langues à l’école. Soit on se situe dans l’acquisition qui vise des
apprentissages de deux systèmes normatifs monolingues, soit on propose la construction d’un
répertoire bilingue qui constitue une ressource indéniable pour les apprenants (Lüdi & Py,
2003). Cette dernière optique est choisie par des chercheurs en didactique des langues qui
s’intéressent plus particulièrement aux parcours plurilingues des enfants allophones, ainsi qu’à
leur accueil dans l’institution scolaire française (entre autres, Castellotti, 2008, 2007, Castellotti
& Moore, 2002 ; Moore, 2006 ; Moore & Castellotti, 2008 ; Coste, 2002 ; Causa, 2002). Ce que
nous retenons de ces recherches, c’est que les enfants allophones ne sont pas reconnus dans
l’école française comme les élèves bilingues, ayant potentiellement des ressources pour les
apprentissages scolaires, dues à leur flexibilité cognitive et aux passages d’une langue-culture à
l’autre (Perregaux, 1994). C’est plutôt la notion de la norme, la norme d’une langue française
parfaitement maitrisée, dans une représentation d’unilinguisme français, comme le souligne
avec une pointe d’ironie Boyer (2001) qui oriente la non reconnaissance des compétences
langagières des élèves allophones. En Suisse, comme dans plusieurs autres systèmes scolaires,
la situation des enfants issus de l’immigration est comparable à celle des autres enfants
allophones (Perregaux, 1994 ; Gajo & Mondada, 2000 parmi d’autres). Mais la valorisation et la
reconnaissance des langues et cultures des enfants fréquentant l’école n’est pas facile, bien que
les efforts et les mises en place des programmes spécifiques de sensibilisations et d’ouverture
aux langues et cultures diverses continuent d’avoir lieu, comme la démarche d’Eveil aux langues
(Candelier ; 2003) ou le moyen d’enseignement d’Education et Ouverture aux Langues à l’Ecole
(EOLE, Perregaux et al. ; 2003).

Dans une volonté politique d’introduction de plusieurs langues à l’école, le mouvement de


l’harmonisation du système éducatif en Suisse, ainsi que les démarches locales entreprises dans
plusieurs régions bilingues (Bienne, Fribourg, Berne, le Valais ou le Val d’Aoste etc.), la Suisse est
au milieu du débat sur le bilinguisme et les moyens qui sont nécessaires, ou qui sont mis à
disposition, pour que le bi-plurilinguisme réel soit une des pratiques enseignantes quotidiennes
dans la majorité des écoles. Effectivement, l’existence des quatre langues nationales devrait
faciliter la vision du bilinguisme comme un atout, comme une ressource constructive.

67
Cependant, l’enseignement bilingue, à part quelques expériences pilotes ou pionniers est encore
peu fréquent et peu soutenu (Erard, 2009). Dans le même sens, les organisations européennes
prônent l’élargissement de la notion du bilinguisme, surtout dans l’éducation riche en langues
et en reconnaissant une diversité culturelle des habitants de l’Union (Conseil de l’Europe, 2005).
Comment alors ces recommandations se réalisent-elles dans le système éducatif ? On peut faire
l’hypothèse que, d’un pays à l’autre, elles se déroulent de manière très variable ; face aux élèves
sourds, cette variabilité est aussi soulignée lorsqu’il s’agit de la reconnaissance de la LS qui
influence la possibilité de mise en place d’un enseignement bilingue langue des signes/langue
majoritaire (Leeson, 2006).

Dans la perspective de ces approches en didactique des langues, nous allons tenter de cerner
maintenant le parler des enfants sourds en tant qu’enfants bilingues et biculturels (Grosjean,
2004).

3.3. ENFANTS SOURDS BI-/PLURILINGUES

Les sourds partagent plusieurs caractéristiques avec les bilingues entendants comme le souligne
Grosjean (2003). Tout d’abord, ils présentent une grande diversité sur plusieurs plans, comme
c’est également le cas chez les bilingues entendants. Une diversité ou une variation dans
l’acquisition, la maitrise et l’utilisation de deux langues, dont une est minoritaire (LS) et l’autre
majoritaire, celle de la société dans laquelle vit le bilingue sourd. Un deuxième élément de
diversité est lié à la reconnaissance propre de son bilinguisme. Les sourds, à l’instar des
bilingues entendants, ne se reconnaissent souvent pas comme bilingues. La raison en est que de
nombreux sourds ne maitrisent pas parfaitement les deux langues, ou ressentent ce manque de
compétences langagières dans une ou l’autre langue. Par exemple, les signeurs tardifs n’ont pas
la même maitrise de la langue des signes que des signeurs natifs et la langue majoritaire, parlée
et écrite représente de nombreux défis. Cependant, les pratiques langagières de cette
population sont tout à fait bilingues, car les locuteurs sourds utilisent dans la vie de tous les
jours l’une ou l’autre langue selon leurs interlocuteurs, ou un mélange des deux dans les
rencontres avec d’autres locuteurs bilingues. Ils naviguent donc entre ces langues sur un
continuum entre deux extrêmes linguistiques dans leur forme pure, normative, et les formes
intermédiaires de toutes les variations possibles, plus proches ou plus éloignées de l’un ou
l’autre des deux pôles (cf. infra). Dans cette perspective, ils appartiennent aux deux langues, et
aux deux cultures. Comme le dit Grosjean (1993), la personne bilingue et biculturelle se
caractérise par au moins trois traits :

" a) elle participe, au moins en partie, à la vie de deux cultures (deux mondes, deux réseaux
culturels majeurs, deux environnements culturels) et ceci de manière régulière;

68
b) elle sait adapter, partiellement ou de façon plus étendue, son comportement, ses attitudes,
son langage à un environnement culturel donné;
c) elle combine et synthétise des traits de chacune des deux cultures. En effet, certains traits
(attitudes, croyances, valeurs, goûts et comportements) proviennent de l'une ou l'autre culture
et se combinent tandis que d'autres n'appartiennent plus ni à l'une ni à l'autre, mais sont la
synthèse des deux. C'est cet aspect de synthèse qui reflète sans doute le mieux l'être
biculturel." (Grosjean, 1993, p. 31)

La plupart des Sourds vivent la situation de bilinguisme et de biculturalisme en côtoyant l’une et


l’autre langue et culture, en gardant leur dominance signée qui est à la base de leur culture, un
mode de communication corporelle, visuelle, spatiale, en mouvement. C’est en cela qu’ils
diffèrent des nombreux entendants qui par la connaissance de la langue des signes et leur
participation à la vie de la communauté des Sourds se retrouvent dans le même cas
d’alternance entre les deux langues et cultures, sauf qu’ils gardent leur dominance orale vocale,
et d’une culture fondée sur la parole et l’écrit.

Quels sont les conséquences du bilinguisme des enfants sourds dans le cadre scolaire et
éducatif ?

Plusieurs chercheurs (Bouvet, 2003; Virole, 2003 ; Grosjean, 2003) soulignent que l’utilisation de
la langue signée n’est pas un luxe pour enfants sourds mais une nécessité (Bouvet, ibid. p. 71).
Elle devrait être prise en compte par les politiques éducatives qui décident de la mise en place
des programmes bilingues pour ces enfants. Pour défendre ce type de démarches, Grosjean
(1999) affirme que «tout enfant sourd, quel que soit son degré de perte auditive, a le droit de
grandir bilingue» (p. 11). Et ce droit est défendu aussi par plusieurs programmes éducatifs
appelés Bi-Bi (pour Bilingue-Biculturel), comme le précise Niederberger (2005, p. 350) en
explicitant leurs principes, que nous résumons ainsi :

1. les langues des signes et la culture des Sourds doivent être considérées de manière
équivalente à celles de la société environnante,
2. les enfants sourds tirent les bénéfices de la maîtrise des deux langues,
3. l’acquisition de la langue des signes ne subit pas les entraves de la déficience et elle
constitue la langue première de ces enfants,
4. la langue des signes est utilisée pour l’enseignement des autres matières y compris pour
l’enseignement de la langue nationale (ou régionale),
5. cette dernière, qui ne peut pas être apprise naturellement, est une langue seconde pour
l’enfant et elle doit lui être enseignée essentiellement dans sa forme écrite, qui lui est
plus accessible.

Ces principes se déclinent en programmes des deux types (Niederberger, ibid. p. 351) :

69
-le bilinguisme de type A est plus radical (Suède et plusieurs écoles aux USA), privilégiant la LS
comme langue première et celle des apprentissages. Dans ces programmes, la langue seconde,
nationale, est proposée dans un deuxième temps et uniquement dans sa version écrite.
-le bilinguisme de type B (introduit dans certaines écoles aux USA et dans plusieurs pays en
Europe, dont la France et la Suisse romande), propose une exposition le plus tôt possible aux
deux langues, et la langue nationale est introduite dans ses deux versions vocale/écrite.
C’est dans cet esprit que le programme bilingue a été introduit à Genève en 1980, pour la
rentrée scolaire de 1980/1981.

Rappelons cependant que le bilinguisme des enfants sourds ne ressemble qu’en partie au
bilinguisme des locuteurs de deux langues parlées. Comme le souligne Mugnier (2006a, 2010) la
situation des jeunes sourds bouscule la notion de la langue maternelle et du locuteur natif, par
le fait que ces enfants ne sont qu’un petit pourcentage à être nés dans les familles des Sourds
signeurs, natifs de la langue des signes. Par conséquent, de manière générale, ils ne sont pas
nécessairement en contact avec cette langue. Ces enfants et leurs familles se trouvent dans une
situation doublement paradoxale : d’un côté, les enfants n’ont pas accès à une langue familiale,
qui est vocale ; et d’un autre, les familles ne connaissent pas la langue des signes
potentiellement accessible sans entraves à leur enfant sourd. Pour la majorité de ces enfants,
l’apprentissage de la langue des signes est plus tardif ; il est souvent lié à la prise en charge
éducative et scolaire qui propose une forme signée du langage et de la communication que les
parents apprennent également. La spécificité de ce bilinguisme est soulignée par le manque de
version écrite de la langue des signes, sur laquelle les enfants pourraient s’appuyer en
construisant leurs apprentissages. Ils sont donc, dans le cas qui nous intéresse ici, dans la
situation suivante : ils apprennent en même temps deux systèmes linguistiques, un visuo-
corporel, spatial37, l’autre vocal et écrit. Ajoutons que plusieurs parmi ces enfants n’ont pas du
tout le contact avec la langue signée, ou la découvrent à l’âge adulte.

Lüdi & Py (1986/2003), proposent un élargissement de la notion de langue maternelle au vu des


connaissances des langues et des aspects culturels, non reconnus, des locuteurs allophones à
l’école suisse. Pour sortir de l’impasse induite par les notions de langue
maternelle/étrangère/seconde, nous choisissons d’adopter dans notre recherche les termes de
langue des références multiples dans le cas de la LSF et de langue à apprendre en parlant du
français (Mugnier, 2006a, 2010).

37
Le mode visuo-corporel d’expression implique l’utilisation de tout le corps qui devient ainsi signifiant dans la
communication en langue des signes.

70
3.4. LE PARLER BILINGUE DES ENFANTS SOURDS - UN DISCOURS MULTIMODAL PAR EXCELLENCE

Le parler bilingue des enfants sourds confrontés à deux langues en même temps, apparait
comme une ressource communicative et comme un discours multimodal par excellence. Nous
proposons tout d’abord de mentionner les caractéristiques de ce discours. Il utilise non
seulement la langue orale vocale, dans sa linéarité, mais aussi et avant tout, la langue orale
signée, gestuelle, spatiale qui présente un fonctionnement linguistique différent. En effet, la
langue signée est basée sur le message visuel et corporel émis dans l’espace du locuteur par les
configurations d’une ou des deux mains, configurations qui sont orientées et qui se définissent
par le mouvement qui les accompagne; et par les expressions du visage38. Nous d’explicitons ces
paramètres afin de rendre notre propos plus transparent :

La configuration manuelle ; apparait comme la plus importante. Elle est à la base de la


formation du signe. Delaporte (2002, p. XV) dénomme les configurations principales comme
suit :

38
Nous explicitons ici partiellement ces paramètres liés à la configuration manuelle et à l’expression du visage, à
titre d’exemple, en sachant que les mouvements corporels dans leur ensemble et dans l’espace de locution sont
signifiants pour les interlocuteurs de ces langues.

71
Un autre système de configurations de la main peut être constitué à partir des lettres de
l’alphabet manuel en les dénommant selon les configurations A-B-C… etc., ce qui se fait souvent
dans la classe ou dans le système d’enseignement apprentissage de cette langue (l’alphabet
manuel en LSF de la Suisse Romande apparaît en annexes).

Les autres paramètres sont l’orientation du signe dans l’espace du signeur - en face/ de coté
gauche, droite/ en bas, en haut etc.- et son emplacement initial - sur le corps du locuteur par
exemple devant les yeux, sur la main etc., ou dans l’espace sur le buste, devant le visage ou à
côté de lui etc.- comme le montre la figure 2 ci-contre:

Figure 2. L’emplacement des signes dans l’espace tiré de Moody et al. 1998, p.65.

72
Enfin, le mouvement complète en un tout les caractéristiques principales de la langue signée.
Par exemple : du haut en bas ou l’inverse, mouvement circulaire, zigzag, va-et-vient etc.- avec
l’expression du visage - par exemple : froncer les sourcils.

Prenons l’exemple d’une paire minimale pour illustrer nos explications (figure 3) :

Figure 3. Exemple de paire minimale en LSF, tiré de Moody et al. 1998, p. 64.

Les signes MAISON et DEMANDER, sous sa forme directionnelle présentée ici, constituent une
paire minimale au niveau de l’orientation du signe ; ils se différencient par rapport à ce
paramètre en gardant les autres caractéristiques du signe intacts : la configuration et
l’emplacement initial, le mouvement double des pointes des doigts, et l’expression du visage qui
est encore neutre (MAISON est orientée en haut, et DEMANDER devant, vers l’interlocuteur).

L’expression du visage apparait comme constitutive du signe et marque l’intention du locuteur,


comme dans le cas du signe DEMANDER ; une expression plus marquée peut intensifier la
demande, l’amplifier, et changer la signification d’un signe JE-TE-DEMANDE vers JE-TE-SUPPLIE.

73
Prenons maintenant l’exemple d’une phrase pour mieux situer ces paramètres (figure 4) :

Figure 4. Exemple d’une phrase en LSF, tiré de Moody et al.1998, p. 89

Dans cette phrase, nous pouvons expliciter quelques configurations, uni-manuelles, comme les
trois premiers signes, ou bi-manuelles, comme le signe VACANCES. Les signes qui composent
cette phrase peuvent être décrits de cette manière : le premier possède une configuration « en
cornes » (cf. Delaporte, ibid.) ou en J si on se réfère aux lettres de l’alphabet manuel. Il est
accompagné d’un mouvement dans l’espace qui comprend la rotation du poignet et le
mouvement en avant. Il marque par ces faits la temporalité, indiquant le futur. Le deuxième
représente une configuration de l’index et le mouvement du côté du corps, à droite, pour
désigner la troisième personne. Il a la fonction du pronom. Puis le troisième signe commence
par la lettre L et fini « en pince » entre le pouce et l’index, dans un mouvement linéaire et
rapide de fermeture. Enfin, le quatrième possède une configuration de la lettre V ou en fourche,
il est accompagné par le croisement de deux bras et du mouvement double des mains sur les
épaules.

En quoi le parler bilingue des enfants sourds est-il multimodal ?

74
Le terme de parler bilingue est pour nous une forme de discours, et nous acceptons ce terme,
plus large que la conversation ou l’échange verbal, en prenant en considération les gestes et les
aspects contextuels de la situation d’interaction (Kerbrat-Orecchionni, 2005).

Dans la veine des travaux concernant la gestualité, notre intérêt se porte, tout d’abord, sur les
travaux menés à Chicago par l’équipe de Susane Goldin-Meadow depuis des années 1970, sur le
rôle de la gestualité enfantine (mentionnés par de Saint-Georges, 2008, p. 128 aussi), dans le
développement de la communication, le développement cognitif, et les apprentissages
multiples comme par exemple la résolution des problèmes ou l’explication, etc. Plusieurs
populations d’enfants ont été observées par cette équipe, les enfants ordinaires, les enfants
sourds oralistes, les enfants sourds signeurs, les enfants aveugles, les enfants qui ont subi des
lésions cérébrales etc. Ces différents groupes d’enfants utilisent le geste comme ressource
communicative, et dans plusieurs cas, comme une puissante ressource d’apprentissage, prise
comme telle, ainsi que comme ressource d’enseignement. Par exemple, le groupe des enfants
sourds oralistes, n’étant jamais exposé à la langue des signes, présente une gestualité qui a
toutes les marques d’une langue en émergence. Les signes gestuels spontanés prennent la place
des mots avec leur signifiant abstrait correspondant aux désignations nécessaires, qu’il s’agisse
des objets ou de termes symboliques complexes. Ces enfants présentent donc une gestualité
qui a les caractéristiques d’un système linguistique en émergence. Ce système constitue pour
eux une nécessité profonde, qui se crée dans les espaces informels, entre pairs, loin des regards
des adultes, par exemple (Goldin-Meadow & Mylander, 1983).

Les recherches de cette équipe soulignent aussi l’importance de la gestualité dans le


développement du langage chez de jeunes enfants entendants, dans la communication avec
leur environnement, au dépourvu des formes verbales, trop restreintes et pas encore
intelligibles. Une autre dimension de ces recherches concerne les formes de gestualité utilisées
par les enfants confrontés à une nécessité d’explication de leur résolution d’un problème. Les
enfants qui coordonnent leurs émissions vocales avec la gestualité, dans le but de soutenir leurs
dires, sont en général bien au clair de leur résolution et capables de la retracer à l’oral. Tandis
que les enfants qui produisent une gestualité (ou l’expression non-verbale) moins cohérente ou
en désaccord avec leur expression verbale, démontrent par ce fait un état de connaissances à
un niveau intermédiaire du processus d’apprentissage. Ils ne sont pas encore capables de bien
expliciter leurs procédures de résolution du problème, ils sont hésitants en choix de mots, et
leurs gestes n’appuient pas leurs dires. Ces effets de concordance ou discordance des gestes
dans le discours des enfants permettent de poser plusieurs questions concernant les savoirs en
émergence, en construction, souvent implicites et que les gestes peuvent faire apparaitre pour
exprimer et relever ce que le langage ne permet pas encore à ce moment de leur apprentissage
(Goldin-Meadow, 2000). Ces travaux soulignent des états de transition chez l’élève, démontrés
par la modalité non-verbale avant de pouvoir apparaitre dans le discours verbal. Ce dernier, pris

75
isolement, ne pourrait pas fournir des indices de ces états intermédiaires. Les gestes nous aident
à penser comme souligne Goldin-Meadow (2005).

En sciences du langage, les caractéristiques multimodales du discours ouvrent une nouvelle


perspective incontournable pour notre propos. Ici, nous allons les mentionner, en suivant de
Saint-Georges qui les considère comme des ressources discursives pour comprendre les
situations d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre de la formation professionnelle
initiale (de Saint-Georges, 2008, pp. 117-158).

Mentionnons tout d’abord les travaux de Kress (Kress et al., 2001, Jewitt et al., 2001) portant
sur l’environnement multimodal des apprentissages en classe de sciences. Les auteurs
soulignent les atouts de considérer la situation d’enseignement apprentissage de manière
dynamique, en prenant en compte, un ensemble des ressources que les uns et les autres
partenaires de l’interaction didactique utilisent : les ressources visuelles tels que les schémas,
les dessins, des objets dans la classe disposés de manière particulière, les mouvements du
corps, les gestes. Ces ressources sont toutes porteuses des significations autours desquelles les
partenaires doivent s’entendre. La combinaison de ces ressources avec leurs modes différents
incite les uns et les autres à élaborer ces significations dans le but commun de se comprendre et
d’interpréter correctement les objets d’enseignement apprentissage.

Les travaux de Roth (Roth, 2001, Roth et al. 1999, cité par de Saint-Georges, ibid. p. 127)
complètent ces recherches en soulevant plusieurs questions concernant la gestualité dans le
processus d’enseignement apprentissage. Ces travaux se penchent plus particulièrement sur
trois points : 1) la fonction d’orientation mutuelle que les gestes prennent dans l’interaction, par
leur rôle dans la coordination et le soutien des activités conjointes, par leur rôle de focalisation
de l’attention des élèves sur un objet d’enseignement apprentissage ; 2) les capacités
métaphoriques des gestes ; 3) le rôle des gestes dans les explications des élèves, qui s’appuient
sur ceux de l’enseignant pour transposer ce qui a été compris, vu, présenté.

Mentionnons encore les travaux de McNeill (1992, 2000 cité par Voltera et al. 2005) sur la
gestualité enfantine et sa fonction dans le développement du langage. Cet auteur relève la
simultanéité des gestes et des paroles dans la communication spontanée des jeunes enfants, et
s’attarde sur les gestes de pointage, avant que l’expression verbale puisse répondre aux besoins
de la communication. Il propose une catégorisation de ces gestes accompagnant le
développement du langage. Nous retiendrons de ses catégories les gestes déictiques, utilisés
afin de faire référence aux objets ou événements ; et les gestes représentationnels
conventionnalisés ou non39.

39
Comme soulèvent Voltera et al., 2005, p. 90, les conventions de la représentation gestuelle peuvent être liées à
une culture précise, comme pour dire « c’est bon » en italien, il faut porter l’index à la joue et le faire pivoter.

76
Bien que les gestes soient indissociables des deux langues présentes dans la situation observée
dans notre recherche, nous n’allons pas nous concentrer uniquement sur les typologies
existantes des gestes. Nous retiendrons, cependant, à part les caractéristiques linguistiques de
la LSF, les gestes qui ont une fonction d’orientation d’attention des élèves, les gestes de
pointages co-verbaux, ainsi que les représentations métaphoriques ou iconiques des autres
gestes présents dans nos analyses des interactions bilingues. Pour comprendre ce choix,
précisons que dans notre recherche, le discours multimodal se déroule dans la classe, aussi bien
du côté des enfants que de celui des enseignants. L’enseignante entendante (EE) surtout utilise
les deux langues de manière simultanée dans son discours. Elle offre à ses élèves une palette
large de possibilités d’interaction, pour qu’ils puissent trouver leur propre voie d’expression. Les
élèves pour leur part profitent de cette opportunité et ils développent une dominance de mode
d’interaction privilégiée (verbale vs non-verbale, vocale vs signée) qui peut changer dans le
temps et au gré de leur aisance avec la langue française ou avec la LSF. Nous pouvons parler
avec Filliettaz (2007) de «processus d’enseignement apprentissage comme expériences
multimodales» (p. 11) qui exploitent les sens et les ressources présents en classe de manière
multiple, dans le but d’établir l’attention conjointe et la compréhension commune nécessaires
aux apprentissages. Nous y reviendrons dans la partie méthodologique et en présentant nos
résultats.

3.5. VERS UNE SYNTHÈSE : DEUX LANGUES POUR LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS SCOLAIRES

Nous tentons cette synthèse autour de la question suivante : quel est l’avantage d’un
apprentissage bilingue pour les enfants sourds ?

L’idée que l’enfant qui append une deuxième langue, ou la langue étrangère, profite des deux,
n’est pas nouvelle. Vygotski proposait déjà cette vision d’enrichissement de l’une par les
connaissances de l’autre (1997, p. 294), en précisant toutefois que l’apprentissage de la langue
étrangère chez l’enfant relève d’un processus intellectuel complexe : il exige une prise de
conscience des structures profondes de la première langue, de la complexité des significations
des mots, entrainant une distanciation nécessaire face à un système linguistique connu. Ce
système lui permet en même temps de pouvoir étudier, comparer et assimiler le système
nouveau. Les expériences de Vygotski menées sur la signification des mots, le confortent dans
cette vision des enfants bilingues comme étant plus flexibles et plus avantagés que les enfants
monolingues. Ceux-ci ne sont, en effet, pas obligés de construire une représentation variée et
riche des objets et des concepts dans deux langues.

Dans le cas des enfants sourds, le progrès le plus marquant est observé au niveau des
connaissances encyclopédiques, car elles sont facilement accessibles en langue des signes (Haus

77
Schneuwly, 2001 ; Biederman, 2003 ; Vercaine-Ménard, 2002). Elles sont aussi rapidement
élargies. En ce qui concerne la construction de la communication langagière, la langue des
signes joue un rôle indéniable : elle permet à l’enfant de s’exprimer et de se sentir un sujet
parlant (Bouvet, 1982), ce qui est assurément le premier pas vers les apprentissages. De même,
cette langue revêt une fonction cruciale à l’école, celle d’éviter ou de dépasser des impasses
communicationnelles qui apparaissent très vite dans un mode d’interaction uniquement verbale
vocale (Mugnier, 2010). Ces impasses sont alors négociées par l’utilisation des autres
ressources, notamment des éléments multimodaux comme « faire, dessiner, montrer ». La
langue des signes constitue donc une bouée de sauvetage transcodique (Moore, 1996) dans une
situation où toutes les autres possibilités ont été explorées en vain.

Nos propres observation vont dans le sens vygotskien et soulignent l’importance de l’une et de
l’autre langue pour ces enfants, dans la construction des savoirs scolaires. Nous allons aussi
nous appuyer sur les recherches qui montrent que ce bilinguisme est un moteur important
d’apprentissages scolaires comme les expériences des écoles le montrent (Duhayer & Georges,
2004).

Nous avons exposé dans ce chapitre nos références dans le domaine des interactions
didactiques, que nous avons essayé de définir. Nous avons dépeint notre horizon notionnel dans
le but d’appréhender ces interactions à travers nos observations. Nous venons également de
puiser dans le domaine du bilinguisme quelques positions et notions que nous pourrons utiliser
en débat en fin de thèse. Nous allons maintenant relever les apports de courants de recherches
en littéracie émergente et plus particulièrement des microgenèses didactiques afin de spécifier
la situation complexe qui est à la base de notre recueil des données. Cette situation appartient
au domaine de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

78
CHAPITRE 4. LA LITTÉRACIE ÉMERGENTE ET LES APPORTS DES
MICROGENÈSES DIDACTIQUES
« En effet, la tentation est grande de faire coller le signe à l’idée (le mot
écrit « coccinelle » devrait être plus court que le mot « lion ») et
l’opération qui consiste à évacuer le lien entre la graphie et le concept,
en faveur du lien entre la graphie et le son, repose sur un mécanisme
d’abstraction que l’apprenant d’aujourd’hui ne construit que très
progressivement. […] L’écriture n’a jamais perdu sa propriété picturale. »

Madelon Saada-Robert40

Ce chapitre émane du questionnement que nous adressons à la recherche scientifique dans le


champ des sciences de l’éducation et dans celui des études en surdité, dans le but de
comprendre la manière par laquelle les enfants sourds apprennent à lire et à écrire. Ce chapitre
se veut fédérateur, dans la mesure où les deux champs se retrouvent mis en contribution pour
présenter un état des lieux de la question de l’enseignement et de l’apprentissage de la lecture
et de l’écriture à l’école primaire. Les études sur la connaissance précoce des livres et des récits
y sont mentionnées ainsi que celles portant sur les représentations du système alphabétique
par de jeunes enfants, domaine connu dans la littérature scientifique sous le label d’Emergent
Literacy. La population d’enfants qui y est étudiée concerne le plus souvent les enfants de 0-5
ans, surtout lorsqu’ ils entrent à l’école et sont confrontés aux enseignements formels des
savoirs scolaires, entre autres l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ce sont justement
ces apprentissages qui sont visés par notre recherche, bien que les enfants observés se trouvent
déjà plus âgés, et ils entament ces apprentissages formels en première primaire. Ils sont donc
au croisement des connaissances préalables construites antérieurement au niveau des deux
classes enfantines qu’ils ont suivies, et commencent à entrer dans ce monde de l’écrit, montrant
au début de l’année déjà que le connaissances émergentes sont très variables d’un enfant à
l’autre.

Plus précisément, ces enfants amorcent le processus de l’enseignement apprentissage de


l’écriture conventionnelle, juste là où les différences entre les enfants sourds et les enfants
entendants peuvent être marquées (Mayer, 2007). Il s’agit de la troisième phase de
développement des représentations de l’écriture chez l’enfant, où s’opère le passage des
écritures dites inventées aux écritures conventionnelles (Ferreiro, 2000). Pour la lecture, le
passage est lui aussi de taille, lorsqu’on considère les stratégies des jeunes enfants pendant la
« lecture émergente » (Balslev et al. 2005). Il s’agit en effet du passage où les textes sont « lus »
grâce à leur mémorisation, partielle puis verbatim, mémorisation soutenue par le sens tiré des

40
Saada-Robert, M. (2008), p. 195.

79
images, vers une « lecture » qui repère quelques éléments de texte (pointages, reconnaissance
globale de quelques mots fréquents) pour se terminer par de réels décodages qui
s’automatisent peu à peu par l’identification des mots à partir de ses composantes sublexicales.

Dans ce chapitre, nous partons des modèles psycholinguistiques considérant le développement


des connaissances sur la langue écrite qui se construisent en appui l’une sur l’autre, la lecture
ne pouvant être appréhendée isolement sans l’écriture (point 4.1.). Ensuite nous nous penchons
sur les études concernant la population d’enfants sourds en approchant la littéracie émergente
et son rôle pour la construction des connaissances préalables à l’apprentissage formel de la
lecture/écriture (point 4.2.) pour mentionner finalement les apports des microgenèses
didactiques dans l’étude des processus complexes que cet apprentissage implique (point 4.3.).

4.1. APPRENDRE À LIRE ET À ÉCRIRE - DÈS MODÈLES PSYCHOLINGUISTIQUES AUX APPROCHES


PÉDAGOGIQUES EN LITTÉRACIE ÉMERGENTE

La lecture et l’écriture en tant que production d’écrits, longtemps séparées dans les modèles
théoriques, s’avèrent relever d’acquisitions et de processus conjoints, comme le montrent les
recherches aussi bien en laboratoire (Perfetti, 1997 ; Gombert, Bryant & Warrick, 1997 ; Ehri,
1997) que sur le terrain de leur déroulement en classe (Allal & al. 2001 ; Rieben & Saada-Robert,
1997). Dans les deux cas interviennent chez l’apprenant des composantes touchant aussi bien
aux représentations sociales que socio-cognitives et cognitives (Saada-Robert, 1992). De même,
les processus de construction lexicale par analogie (Gombert, Bryant & Warrick, 1997, Gombert,
2005) ou par transposition grapho-phonologique et phonographique (Perfetti, 1997) indiquent
que les deux systèmes fonctionnent en appui l’un sur l’autre. En ce qui concerne les modèles
d’acquisition de la lecture et de l’écriture, comme celui de Frith (1985)41, d’Ehri (1989, 1997)42
ou de Ferreiro (2000)43, ils ont d’abord mis l’accent sur l’élaboration successive de stades chez
l’apprenant lecteur/scripteur, qui passerait successivement de la logographie (stade pré-
alphabétique) vers les stades alphabétique puis orthographique. Plus récemment cependant, ce
sont des étapes qui ont été décrites, dans lesquelles plusieurs stratégies autant logographique,
qu’alphabétique ou orthographique, apparaissent au même moment, avec toutefois une

41
Frith présent un modèle d’acquisition de la lecture/écriture en stades avec une alternance entre lecture et
écriture. Selon elle c’est d’abord à travers la lecture que l’enfant reconnait quelques mots familiers en les
mémorisant de manière logographique ; progresse ensuite en intégrant au stade alphabétique le message écrit, les
lettres, les conversions grapho-phonétiques, et finalement intègre par l’instruction systématique le stade
orthographique.
42
Ehri propose un modèle par étapes conjointes entre l’acquisition de la lecture et l’écriture qui explicite les
interrelations entre le savoir lire et le savoir écrire qui se tissent parallèlement.
43
Quant à Ferreiro, elle a également tracé une genèse de la conceptualisation progressive du système alphabétique
à travers l’écriture dite inventée.

80
dominance de la première chez les enfants les plus jeunes, puis une dominance de la deuxième
et enfin de la troisième (Rieben & Saada-Robert, 1997).

Pour ce qui est de la première étape, logographique, certains modèles théoriques lui assignent
une incidence prédictive négative, en regard de la suite de l’évolution. En effet, le bon lecteur
serait celui qui en sort le plus vite possible pour entrer dans la phase alphabétique, alors que le
mauvais lecteur, serait celui qui reste longtemps dans cette phase essentiellement visuelle
(Sprenger-Charolles & Khomsi, 1989). Les recherches plus récentes encore se penchent plus
précisément sur cette étape, en valorisant les acquisitions qui en découlent, pour constater que
les jeunes enfants acquièrent aussi bien des connaissances logographiques qui émergent autour
de 4-5 ans, que des représentations précoces sur le système alphabétique, ainsi que sur la
fonction de la lecture et de l’écriture (Ferreiro & Gomez-Palacio, 1988 ; Saada-Robert et al.
2003). L’analyse des écritures inventées des jeunes enfants permet d’observer qu’ils
commencent à dissocier le dessin du texte écrit, puis passent par l’usage de traces discontinues
et de pseudo-lettres, pour progresser vers des lettres connues, par exemples celles de leur
prénom, même si elles ne sont pas encore mises en correspondance avec les sons du langage
parlé. Ces mêmes acquis se rencontrent aussi pendant l’activité visant la lecture interactive d’un
livre imagé, et ceci par le passage progressif des stratégies basées sur la sémiopicturalité vers
celles guidées par la sémiographie (Saada-Robert et al. 2003). Notre recherche reprend les
résultats des autres investigations en situation de classe (Rieben & Saada-Robert, 1997; Saada-
Robert, 1998 ; Saada-Robert & Mazurczak, 2001 ; Allal et al. 2001) montrant que les enfants
progressent le mieux en ayant la possibilité d’agir sur le texte, soit en lecture par la façon de
s’engager dans la découverte de l’album (activité nommée Lecture Interactive), soit en
production textuelle44.

Comment enseigner la littéracie aux enfants sourds?

Le courant de recherche concernant la littéracie émergente en surdité se développe. Quelques


recherches explorent l’influence des activités autours du livre et autour de l’écrit dans le cadre
familial ou scolaire; les autres étudient la compréhension précoce individuelle des enfants face à
l’écrit (cf, infra, point 4.2). Certaines autres encore examinent l’impact des approches
pédagogiques spécifiques comme outils de l’apprentissage de la littéracie par l’enfant sourd.
Parmi ces dernières, deux approches opposées sont à mentionner (résumées également par
Schirmer & Williams, 2003).

D’une part, l’approche basée sur l’utilisation de textes épurés pour les enfants sourds est
mentionnée, dans la mesure où ils sont considérés comme dotés d’ « une pensée concrète »

44
Cette dernière peut s’effectuer en « Ecriture émergente », en « Dictée à l’adulte » ou à l’aide du « Texte de
référence », voir L. Rieben & M. Saada-Robert (1997) ainsi que Saada-Robert et al. (2003).

81
selon Marschark, Lang et Albertini (2002, p. 157-186), dans leur chapitre Reading, Writing and
Literacy. Les auteurs y décrivent un historique des approches en enseignement de la lecture aux
enfants sourds. Dans les années 1960, ils mentionnent le reading readiness et les méthodes
basées sur des textes préparés pour de jeunes enfants, avec des phrases toutes faites, mais
qu’on ne rencontre ni dans la littérature ni dans la vie courante.

D’autre part, on trouve les approches qui mettent en avant le bénéfice d’un travail avec de vrais
albums et de vrais textes littéraires. Les activités proposées avec ces albums sont porteuses
d’une signification cognitive explicite, elles intègrent plusieurs composantes de la
lecture/écriture, l’apprentissage est médiatisé, étayé pour entrer dans le sens du message et le
recréer ensemble, l’élève en tant que personne est en prise directe avec ses propres
apprentissages. Hart (1975) (cité par Williams, 2004, p. 357) argumente que les enseignants des
enfants sourds devraient leur lire des histoires et le faire avec leur participation, comme
contestation à des pratiques presque exclusives des méthodes de reading readiness avec
l’utilisation des textes simplifiés. Il apparait d’ailleurs que ces textes ne sont pas avérés moins
difficiles que les histoires réelles de la littérature enfantine. Partant du même principe, Bouvet
(1982) expérimente la lecture d’albums et les activités jointes exploitant la richesse de ce
support avec des enfants sourds dans une approche résolument bilingue (les deux langues, LS et
français, sont représentées, mais séparément). Les approches de « tout est langage » appelées
aussi le bain de langage (Whole language), méritent notre attention dans le sens où elles
proposent des activités complexes aux élèves sourds, dans lesquels ces élèves peuvent jouer un
rôle actif dans leur propre apprentissage. Ces approches appliquées à cette population d’enfant
ont cependant des limites, bien connues aussi pour les élèves entendants, comme le manque
d’explication des structures grammaticales. De telles composantes de l’écrit devraient être
appréhendées dans des activités spécifiques, celles qui entrainent les capacités des élèves à
maitriser les composantes de l’écrit prises isolement.

Une troisième approche relatée par Marschark, Lang et Albertini (ibid.), attire notre attention.
C’est une approche qui combine l’une et l’autre extrême, sous le label de Balanced Literacy,
(Schirmer, 2000) et qui s’approche du modèle genevois introduit à la Maison des Petits45 par
l’équipe des chercheurs et enseignants sous le nom de démarche d’entrée dans le monde de
l’écrit (Auvergne et al. 1996 ; Saada-Robert, 1996 ; Rieben & Saada-Robert, 1997 ; Saada-Robert
et al. 2003).

Suivant cette troisième approche, la démarche proposée aux enfants sourds suit les quelques
principes suivants (Marschark, Lang & Albertini, ibid. pp. 170-171) :

- la lecture et l’écriture sont comprises comme deux processus interdépendants;


45
Ecole publique rattachée à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation (FPSE) de l’Université de
Genève

82
- les écrits utilisés en classe représentent des contextes authentiques d’utilisation du
langage ;
- la classe est perçue comme une communauté d’apprenants dans laquelle les activités
littéraciques sont proposées autant à travers la lecture qu’à travers la production écrite ;
- le processus d’émergence des capacités littéraciques des enfants est plus important que
leur résultat final
La démarche genevoise, complète ces principes par l’utilisation du texte en tant qu’unité
linguistique de base à partir de laquelle les unités lexicales et sublexicales peuvent être
travaillées, en lien avec la compréhension (Saada-Robert et al., ibid).

Après cette brève incursion dans les approches pédagogiques, par ailleurs au centre de notre
recherche, revenons à la revue de la littérature sur le littéracie émergente.

4.2. LE RÔLE DE LA LITTÉRACIE ÉMERGENTE POUR LES ENFANTS SOURDS

Les activités autour des albums de littérature enfantine proposées aux jeunes enfants
entendants dans le cadre préscolaire (par ex. Navarro William, 2009, 2011 ; Gamba & Zeiter-
Grau, 2007, 2009 ; Gamba, 2006, 2010) ont un impact important sur leur développement
langagier. Elles favorisent notamment l’expression verbale et les apprentissages multiples
autour du livre comme de la structure narrative de l’histoire, de son organisation (auteur, titre,
marqueurs textuels etc.), du vocabulaire, des reconnaissances de mots et de lettres dans le
texte etc. Elles visent également un passage progressif de la sémiopicturalité vers la
sémiographie, autrement dit, de la compréhension de textes par le symbole pictural vers leur
compréhension par le signe graphique (Saada-Robert et al. 2003 ; Gamba, Martinet & Saada-
Robert, 2006).

Le passage de la préscolarité vers l’école et les apprentissages scolaires visé par certains
programmes précis, ce que souligne la recherche d’Andrews, Ferguson, Roberts et Hodges
(1997). Cette étude résulte de l’observation longitudinale pendant 3 ans de sept enfants sourds,
depuis le préscolaire jusqu’à la première année de l’école primaire. Les résultats montrent que
l’utilisation continue de la LS dans le processus d’explication et la lecture des textes, le
vocabulaire etc., joue un rôle fondamental dans leur développement. Tous les élèves ont
obtenu les résultats aux tests standardisés conformes aux standards prévus pour leur âge,
réussite à souligner46.

46
Dans le même sens, les programmes d’intervention précoce proposés aux familles sont nombreux et se
répandent dans plusieurs pays. Nous relatons ici une des premières expériences de ce type, offertes aux parents
entendants par Laurent Clerc National Deaf Education Center, à l’université de Gallaudet à Washington (Delk &

83
Revenons aux recherches sur la littéracie émergente vues à travers la revue que Williams (2004)
en a faite. Nous en avons tiré quatre catégories principales permettant de les présenter : 1) le
lieu d’observation (cadre familial/institutionnel) ; 2) le type d’école (école publique ordinaire vs
école spécialisée pour les sourds) ; 3) le nombre d’enfants observés (études de groupe ou
études des cas) ; 4) le type de recherche (recherche descriptive/intervention/expérimentale).

Nous allons tenter de suivre ces catégories en rapportant brièvement les résultats obtenus et
dans la mesure du possible en les complétant par des recherches récentes (2005-2010) sur le
même sujet.

Les recherches relatant des distinctions du premier point, c’est-à-dire, du lieu d’observations
(institutions éducatives préscolaires vs familles). Rottenberg et Searfoss (1992, cité par Williams,
ibid. p. 354) ont observé des enfants de 3-4 ans avec une surdité moyenne-profonde, entrainés
dans un programme précoce pour les enfants déficients auditifs, dans une école maternelle
publique. Neuf mois d’observations 5h par semaine, ont permis de suivre toutes les activités de
littéracie : 1) 15-30 min de « book time » 4 jours par semaine ; 2) des activités structurées pour
raconter l’histoire ; 3) plusieurs opportunités pour écrire (écriture informelle). Les chercheurs
ont aussi collecté les matériaux utilisés en classe pendant ces activités et les productions
d’enfants. L’analyse inductive des données a permis de mettre en évidence les catégories
d’expériences littéraciques des enfants les plus fréquentes et d’identifier les relations entre ces
catégories. Les résultats montrent que les enfants participent dans les activités littéraciques
avec un engagement soutenu et les considèrent comme importantes. La dimension sociale de
ces activités a été soulignée : si un enfant prend un livre, les autres le rejoignent pour le lire
avec lui ; si un enfant dessine et écrit quelque chose les autres le veulent aussi. Ces
comportements sont encouragés par les enseignants grâce aux activités conjointes et partagées.
Les difficultés à s’exprimer en langue verbale ne les privent pas de participer aux activités. Ils
utilisent l’écrit comme un moyen de communication privilégié, et leur niveau de compréhension
de la langue écrite est comparable à celui des enfants entendants.

Le même type d’école correspond à la recherche de Rowe et Allen (1995, cité par Williams, ibid.,
p. 358) où les enfants sourds sont intégrés dans une activité de lecture interactive, pendant

Weidekamp, 2001). Ce programme nommé « Odyssey», propose une formation des parents entendants en
stratégies de lecture utilisées par les parents Sourds à la maison. Ainsi, les parents entendants apprennent à utiliser
ces stratégies en langue des signes, et ils continuent à partager la lecture des livres avec leur enfant de cette
manière. Ce faisant, ces stratégies sont plus centrées sur la compréhension et le développement des capacités
linguistiques générales de l’enfant et sur ses connaissances du monde environnant. Les parents disposent de vidéos
pour apprendre comment faire avec leurs enfants sourds et un instructeur Sourd les suit, leur donne des conseils
régulièrement. Ce programme enregistre de très bons résultats chez les enfants et une satisfaction des familles qui
à travers les activités de lecture partagée développent la communication avec leur enfant. Ils découvrent les
possibilités à se comprendre et à partager l’expérience de lecture pour ensuite partager les autres expériences de
la vie quotidienne.

84
laquelle les deux enseignants présentent le texte de chaque page comme suit : l’enseignant
entendant lit le texte de la page et montre les éléments de l’image, l’enseignant sourd traduit le
texte en langue des signes utilisant les procédures typiques de cette langue (ASL). Cette
description et les résultats qu’elle escompte, comme l’engagement des enfants et l’utilisation
des deux langues, s’approchent de nos propres observations. Ces derniers auteurs vont plus loin
dans leur recherche en interrogeant aussi les pratiques littéraciques à la maison autour du
même texte que les enfants ont exploré à l’école (les copies de l’album leur ont été données
pour la maison). Il s’avère que les enfants continuent de « lire » le livre à la maison à plusieurs
reprises, de manière autonome ou avec leurs parents. Ce résultat nous permet de passer en
revue quelques recherches qui s’intéressent plus particulièrement à ces pratiques familiales.

La recherche de Suzuki et Notoya (1984, cité par Schirmer & Williams (2003)) se centre sur un
entrainement à la lecture partagée destiné à six mères entendantes avec leurs jeunes enfants
sourds (1-3ans). Il s’agit surtout pour elles de souligner régulièrement les mots dans les livres,
les mots liés aux objets qui sont représentés sur les images. Les mesures après 45 mois
montrent avec évidence que les enfants ont construit des connaissances en vocabulaire écrit
plus larges et plus riches qu’en vocabulaire parlé (selon leurs possibilités d’expression verbale).
La recherche récente de Swanwik et Watson (2007) complète ces résultats en se centrant sur les
types différents d’interaction langagière que les parents d’enfants sourds (sourds eux-mêmes
ou entendants) proposent à leurs enfants (surdité moyenne à profonde). Les auteurs relatent
l’expérience précoce de la lecture interactive à la maison et mènent une investigation
qualitative qui part du principe que les deux conditions familiales (parents sourd/entendants,
surdité moyenne/profonde des enfants) sont porteuses d’apprentissages de la littéracie, mais
avec des manières de s’y prendre qui diffèrent. Comment les parents signants facilitent-ils
l’accès au livre et au monde de l’histoire, et comment font les parents qui parlent ? Quelles
stratégies les uns et les autres utilisent-ils ? Les résultats montrent effectivement des stratégies
différentes, utilisées par les parents sourds et les parents entendants. Les premiers se
concentrent sur l’image du livre, sur la structure narrative et engagent une discussion autour
des hypothèses faites par l’enfant et ses capacités communicatives ; les deuxièmes se
concentrent sur les textes en pointant les mots, les lettres etc. et en engageant leur enfant à
faire des liens entre l’image et le texte.

Le deuxième point concerne les écoles, ordinaires ou spécialisées. Nous avons vu plus haut
(Rottenberg & Searfoss, 1992) les études explorant la lecture interactive dans le cadre
institutionnel ordinaire où un groupe d’enfants sourds est intégré. Les recherches d’Andrews et
Mason (1986) ou de Gillespie et Twardosz (1997, citées par Williams, 2004, p. 357) complètent
ce point car elles sont menées dans le cadre d’écoles spéciales pour enfants sourds. Nous y
reviendrons cependant plus loin, dans le quatrième point.

85
Le troisième point porte sur la population étudiée. Il enrichit ce qui vient d’être dit par les études
de cas, surtout celles qui étaient à l’origine des investigations autour des livres chez les enfants
sourds. Suivant Williams, nous mentionnons l’étude de cas d’Alice une petite fille Sourde dans le
travail de Maxwell (1984, Williams, ibid. p. 355). Il a observé cette fillette de l’âge de 2 à 6 ans,
dans les interactions avec ses parents Sourds lors d’activités autour des livres. Ainsi il a noté le
développement des connaissances diverses en lecture dont Alice témoignait à des âges divers :
non seulement la direction dans laquelle on lit, l’existence de la narration et des dialogues dans
les livres, mais aussi les constructions langagières à partir d’images et progressivement à partir
de textes. Ainsi, l’enfant commence à comprendre que les mots peuvent se décomposer en
lettres et que les signes le font aussi grâce à l’alphabet manuel. Ces connaissances lui servent à
construire une représentation des deux langues qu’elle utilise, les deux avec de plus en plus
d’aisance. Les dessins des signes constituent pour elle un pont qui facilite le passage d’une
langue à l’autre, surtout un passage d’une langue signée, spatiale, vers l’écrit linéaire et son
orthographe.

Une deuxième étude de cas d’enfant sourd, de parents entendants cette fois-ci (Rottenberg,
2001, cité par Williams, ibid. p. 356) complète et discute l’étude précédente. La mère de Jeffrey
utilise pour lire avec lui les signes de la langue des signes pour faciliter la compréhension de
l’histoire, mais aussi la compréhension du texte qui accompagne des images. Rottenberg
souligne que le développement des capacités de Jeffrey (4 ans au début des observations) à lire
sont similaires à celles d’Alice, et se complexifient progressivement. Il passe de l’intérêt aux
images vers le texte, il arrive progressivement à décoder quelques lettres des premiers mots
connus, pour ensuite se centrer sur la lecture de quelques mots isolés et par la suite reconnus
dans le texte du livre. De nouveau, le dessin des signes lui ont permis le passage des signes vers
les mots écrits.

Le quatrième point concerne le type des recherches. Celles que nous avons résumées ici,
appartiennent plus aux recherches descriptives. Nous allons donc les compléter par les
recherches-interventions proposant l’utilisation de la lecture interactive en tant qu’approche
d’enseignement ; nous allons les compéter également par les recherches expérimentales qui se
centrent souvent sur une composantes du savoir lire/écrire en particulier. Citons par exemple
les travaux d’Andrews et Mason (1986a, b, cités par Williams, ibid. p.357) qui ont étudié la
reconnaissance de mots, à travers une intervention basée sur la lecture interactive proposée
dans une classe d’école résidentielle pour enfants sourds. Il est intéressant de noter que ce type
de recherches répond à deux exigences : d’un côté, ce sont des études-interventions, de l’autre,
elles se centrent sur la reconnaissance des mots et sont quasi-expérimentales, avec un groupe
contrôle et des mesures pré- et post- intervention. Les enfants participants à ces recherches (23
enfants dans le groupe expérimental, et 22 dans le groupe contrôle) suivaient les classes
préscolaires et le premier degré de l’école primaire (5-8 ans). Le livre utilisé dans le cadre de ces

86
interventions était spécialement préparé pour contenir un nombre précis des mots qui étaient
évalués par la suite : 15 mots parmi eux étaient explicitement enseignés, discutés avec les
enfants; 15 autres mots contenus dans l’histoire n’ont pas été expressément enseignés ; et 15
autres encore n’apparaissent pas du tout dans le livre. Les résultats de cette intervention
révèlent que les enfants du groupe expérimental étaient nettement plus forts que le groupe qui
a participé à la lecture interactive conventionnelle. Cette supériorité était marquée en épellation
manuelle, en lecture, en rappel de l’histoire, et dans les tâches de reconnaissances des mots.
Les enfants du groupe expérimental ont appris plus de mots enseignés que de mots contenus
dans l’histoire, et ces derniers apparaissaient plus nombreux dans les tests que les mots non
enseignés et non contenus dans l’histoire. Les auteurs concluent que l’enseignement explicite
des liens entre les signes et les mots dans le contexte de la lecture interactive, favorise les
élèves dans leur développement des connaissances littéraciques à partir de deux langues.

Une étude comparable dans le même type d’environnement, a été conduite par Gillespie et
Twardosz (1997, cité par Williams, 2004, p. 357) dans le but d’explorer le type d’engagement de
la part d’élèves par rapport au style plus ou moins interactif des enseignants. Les résultats
montrent que les enfants du groupe expérimental sont très engagés lors des séances et plus
particulièrement quand les enseignants utilisent un style plus interactif et plus expressif pour
mener l’activité. Les élèves se sentent dans cette condition plus compétents et plus
efficaces par rapport à l’activité et aux connaissances qu’elle met en jeu. Ces sentiments sont
importants pour que ces enfants progressent dans leur apprentissage de la lecture/écriture, et
se construisent en tant que lecteurs/scripteurs débutants, comme le soulignent les auteurs. Ce
type d’intervention autour d’activités complexes, parait donc prometteur et à même de
favoriser l’émergence des acquisitions des élèves et leur engagement dans les apprentissages
en tant que tels, en tant qu’élèves à part entière.

L’étude de Gioia (2001, cité par Williams, ibid., p.358-359) explore la lecture interactive en tant
qu’activité modèle d’une intervention se concentrant sur le développement du langage chez les
enfants sourds de 3-4 ans. Non seulement cette activité favorise ce développement, mais elle
est considérée aussi comme une activité d’exposition au langage qui permet aux enfants
d’incorporer le vocabulaire nouveau, varié, et littéraire à la base de leurs contacts quotidiens
avec les livres et le monde des histoires. L’auteur souligne un impact remarquable de cette
activité sur le développement langagier des enfants observés, qui au niveau du vocabulaire était
mesuré par un test standardisé. Au début de l’année les enfants disposaient en moyenne de 25
mots dans leur répertoire bilingue. A la fin de l’année, ils étaient capables de s’exprimer par
plusieurs phrases de 5-7 mots.

Plusieurs recherches citées par Williams (ibid., p.359-362) s’intéressent aussi à l’écriture
émergente en tant qu’activité littéracique qui complète celle de la lecture interactive dans un

87
ensemble d’investigations de la littéracie émergente auprès des enfants sourds. Les résultats
généraux des ces études montrent que les enfants sourds peuvent suivre des trajectoires
comparables à celles démontrées par les enfants entendants dans leur développement des
connaissances précoces sur la langue écrite. Ces résultats corroborent la recherche de Sirois et
Boisclair (2006) qui proposent une évaluation des stratégies d’écriture en début d’apprentissage
de l’écrit chez les enfants sourds, éduqués de manière oraliste. Elles partent des travaux de
Ferreiro sur les écritures inventées (Ferreiro & Gomez Palacio, 1988 ; Ferreiro, 2000) et
comparent les stratégies des enfants sourds avec des enfants entendants de l’âge
correspondant. Les élèves sourds observés arrivent, pour la plupart, aux stratégies du quatrième
niveau atteignant les stratégies alphabétiques, souvent avec l’utilisation du LPC ; soulignons
l’importance de cette dernière pour ces enfants, importance démontrée par le courant des
recherches s’intéressant au développement de la conscience phonologique chez les enfants
sourds oralistes (par ex. Alegria, 1999 ; Alegria, Charlier & Mattys, 1999 ; Alegria & Leybaert,
2005). Les auteures illustrent leurs résultats par un cas d’enfant et retracent son évolution en
stratégies d’écriture durant une année scolaire. Au début de l’année, cet enfant était parti des
stratégies les plus élémentaires pour arriver aux stratégies alphabétiques à la fin de l’année47.

Concernant le passage des stratégies alphabétiques aux stratégies orthographiques du


lecteur/scripteur autonome, nous complétons cette revue par une étude de Mayer (2007). Il
souligne en effet que dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture par les enfants sourds,
l’entrée dans l’écrit ne suffit pas. La divergence des cheminements prend place autour du
troisième stade de Ferreiro, quand ces enfants ne dépassent pas le stade alphabétique et ne
suivent pas les enfants entendants dans leur route vers la lecture autonome et les stratégies
d’écriture plus élaborées, vers le stade orthographique. C’est aussi le moment où il s’agit de
passer du stade de l’identification des propriétés de l’écrit vers le stade des connections entre
l’écrit et les langues parlées ou signées. Nous l’avons vu, les enfants sourds utilisent les écritures
inventées comme le font les enfants entendants, mais leur procédure d’invention est différente.
C’est le cas par exemple de Jane, relevé dans cette étude, qui invente les mots à partir des
signes et utilise pour écrire la configuration du signe. Si cette configuration correspond à une
lettre elle met cette lettre au début, comme pour les signes initialisés, et ensuite complète par
les lettres qui lui viennent en tête. Quelques fois la longueur du mot est déterminante, quelques
fois une autre connaissance est mise en évidence. Elle établit des liens entre les mots écrits et
les signes mais cette procédure n’est pas efficace pour la majorité des mots. Par exemple, elle
écrit « kissb » pour le mot « punk » car ce mot se signe à partir de la configuration « k » et elle le
complète par « issb » par la connaissance du mot « kiss ». Même si cela ne correspond pas au

47
Ces stratégies ont été évaluées aussi dans notre recherche, par une épreuve d’écriture des mots proposée aux
enfants dans le cadre du bilan psycholinguistique au début et à la fin de l’année scolaire. Nous y reviendrons dans
la partie méthodologique, celle de résultats et en discussion finale.

88
mot initial, ce manque de correspondance ne la gène pas. Un autre enfant, Kate, a réussi à avoir
le même niveau que les enfants entendants. Elle a élaboré une stratégie très couteuse, mais à la
fin efficace, qui prenait en compte les repérages des mots et des lettres, la lecture labiale, les
signes. Opérant une mise en correspondance avec le texte qu’elle produit, elle tire la
signification de ces trois types de supports et est capable de se relire correctement en anglais.
Elle présente dans ses écrits et ses commentaires un niveau morphosyntaxique correspondant
aux enfants entendants du même âge. Notons qu’elle est la seule du groupe des 30 enfants
sourds observés. Elle développe son propre pattern en établissant des correspondances une par
une avec la lecture labiale et l’écrit, et la langue des signes. Même en l’absence de la parole
intelligible, elle est capable de développer les liens et les stratégies qui lui ont permis de
transposer sur papier le texte qu’elle voulait produire. Dans les conclusions de cet article,
Mayer (ibid.) souligne que le passage par la phonologie et les stratégies élaborées par les
enfants entendants ne servent pas nécessairement les enfants sourds. Cependant, il faudrait
avoir plus d’observations de ces trajectoires réussies, particulières, pour se rendre compte de
leurs stratégies en détails, et par conséquent pour mieux savoir comment il serait préférable
d’intervenir auprès d’eux, par quels outils, par quelles méthodes. Il est aussi important de
proposer les activités de lecture/écriture riches en significations, complexes par l’intégration de
plusieurs composantes de l’écrit, pour que les apprentissages émanant de ces activités puissent
servir à la construction des connaissances multiples qui peuvent ainsi être reliées par l’enfant
lui-même à l’écriture, dans les modalités linguistiques que ces enfants privilégient, utilisant
autant les signes que la lecture labiale et les pointages directs sur les mots.

Pour ce qui et de la phonologie, Moores (2001) estime qu’il n’est pas productif de se concentrer
sur cette composante, si déficiente chez les jeunes sourds ; il serait central de rediriger plutôt
l’attention des chercheurs vers un autre chemin pour aider l’enfant sourd à résoudre ce
problème de phonologie et de langue parlée, d’une façon qui ait un sens pour lui. Alegria
(2006) plaide aussi pour une évaluation analytique basée sur plus d’observations car
l’application simple des tests ne donne pas les résultats nécessaires et ne nous apporte pas les
informations que nous cherchons à saisir. Il pose la question centrale du manque
d’investigations portant sur les mécanismes d’apprentissage de la lecture par ces enfants,
critiquant le placement de leurs résultats sur les échelles, en comparaison avec la population
majoritaire. On le sait déjà, ils sont beaucoup plus faibles.

En suivant ces suggestions, on peut se demander quelles activités proposer à ces enfants ?
Comment aborder ces apprentissages pour améliorer une situation désavantageuse pour
l’instant ?

Plusieurs chercheurs de ce champs disciplinaire proclament la nécessité d’études approfondies,


entre autres : Evans (2004) ; Marschark et Hauser (2008); Mayer (2007) ; Williams (2004). Ils

89
soulignent le manque d’études prenant en compte les enfants sourds qui réussissent à percer le
stade orthographique, comme Kate (voir plus haut). Comment a-t-elle fait ? Quels étaient ses
stratégies ? Quels étaient les facteurs contextuels qui ont favorisé cet apprentissage ? Sans
pouvoir répondre à cette question, notre recherche tente de faire apparaître quelques-uns des
processus d’apprentissage conjointement à ceux de l’enseignement, destiné à de tels enfants.

4.3. APPORTS DES MICROGENÈSES DIDACTIQUES

Nous avons dépeint le champ conceptuel de notre travail, entre les concepts des sciences de
l’éducation, de la sociolinguistique et ceux des études en surdité, autour du contenu de savoir
lire/écrire, chez les jeunes élèves. Les notions et les concepts qui y apparaissent comme
incontournables sont complétés ici par ceux qui émanent du courant des microgenèses
didactiques (Saada-Robert & Balslev, 2006). Elles se placent parmi d’autres études du domaine
des processus d’enseignement apprentissage et constituent une approche clé pour l’analyse de
nos données (cf. la partie méthodologique).

Les études microgénétiques se définissent en tant que :

"L'étude des processus d'acquisition des connaissances sur un temps court et dans une
situation particulière parmi les situations possibles d'acquisition: en résolvant des
problèmes, par instruction, par exploration libre, etc." Nguyen-Xuan (1990, p. 197)

Les études microgénétiques couvrent trois objets d’étude distincts, tels qu’ils apparaissent dans
ces situations possibles d’acquisition, ou dans notre cas, dans les situations d’enseignement
apprentissage en classe bilingue. Tout d’abord, ce sont les processus de coconstruction des
connaissances, vus comme l’enchaînement des interactions entre enseignant et apprenant
grâce auxquelles ce dernier parvient à modifier ses connaissances initiales. C’est en quoi les
microgenèses s’apparentent aux courants interactionnistes mentionnés plus haut.
Deuxièmement, à travers ces connaissances portant sur des contenus de savoir ciblés – dans
notre recherche les composantes du savoir lire/écrire – s’élaborent des significations dont la
fonction est d’organiser ensemble les connaissances antérieures et les connaissances nouvelles.
Troisièmement, ces significations et ces connaissances nouvelles émergeant dans l’interaction,
sont soumises aux prises réelles du temps et du lieu, dans un contexte institutionnel et culturel
défini (Balslev & Saada-Robert, 2007, p. 86).

Les microgenèses en tant que courant d’études sur la genèse en temps court de la construction
des connaissances chez l’enfant prennent leur racine dans les travaux des psychologues du
début de XXème siècle (Saada-Robert & Balslev, 2006). Sans remonter jusque là, mentionnons

90
les travaux post-piagétiens de l’équipe genevoise d’Inhelder et Céllerier (Inhelder et al. 1976 ;
Inhelder & Céllerier, 1992) qui s’est intéressée aux transformations, aux reconstructions des
connaissances en situation et en conséquence aux nouvelles connaissances que cette situation
induit.

Les microgenèses situées quant à elles, « sortent » du cadre du laboratoire et s’intéressent à ce


qui se passe sur le plan de la construction/transformation des connaissances chez des jeunes
enfants, non pas en situation d’entretiens dyadiques comme c’était le cas de l’équipe
mentionée plus haut, mais sur les terrains même de l’action pédagogique, dans le cadre formel
ou informel de l’apprentissage. C’est pour cela que les microgenèses situées s’appuient sur les
études en situation scolaire, définies comme apprentissage situé (Lave & Wenger, 1991) ou
cognition située (Allal, 2001), bien qu’elles s’en distinguent (Saada-Robert & Balslev, 2004).

Une des caractéristiques de ces études, qui souvent se déroulent en classe, est que
l’apprentissage situé peut être analysé en tant que résultant d’une participation à une
communauté des pratiques (Wenger, 1998 ; Mottier Lopez, 2008). Cette notion de communauté
des pratiques nous renvoie à la description interprétative des processus fins d’enseignement
apprentissage en classe, pour nous une classe bilingue LSF/français, intégrée dans une école
ordinaire. Cette classe possède sa propre microculture qui se caractérise par des pratiques
enseignantes bilingues, se reflétant notamment dans le travail conjoint de deux enseignants en
binôme - un enseignant Sourd et un enseignant entendant. Ils se chargent ensemble du
déroulement de la leçon, élaborent des stratégies de passation des tours de parole et de
places ; chacun apporte son savoir linguistique et son savoir-faire pédagogique. Ainsi se
réalisent les objectifs de la leçon, tout comme la gestion des interactions, avec leurs dérives et
l’assurance de la compréhension des élèves.

Nous nous appuyons aussi sur les recherches qui considèrent les situations d’enseignement
apprentissage de la lecture/écriture à l’école primaire en tant que situations complexes (Allal et
al. 2001 ; Rieben & Saada-Robert, 1997 ; Saada-Robert et al. 2003 ; Balslev et al. 2005). Leur
déroulement est conçu comme une résolution de problème, qui permet à l’enfant d’être actif et
en tant que tel, de participer à la coélaboration des significations émergentes, de négocier avec
les autres élèves et de se confronter aux représentations expertes des enseignants. Quelles sont
donc ces activités d’apprentissage de la langue écrite, dites complexes, élaborées par l’équipe
genevoise, pour le cycle préparatoire de l’école primaire (enfants de 4-8 ans, Saada-Robert et al.
2003) et du cycle moyen (Allal et al. 2001) ?

Dans le premier cycle de l’école, dès 4 ans, la démarche de Lecture/Ecriture Emergentes est
d’abord proposée, tandis qu’en fin de cycle une démarche intégrée d’apprentissage de
l’orthographe repose sur des activités de production textuelle avec révision collaborative en
petit groupe ; l’objectif est de donner aux apprenants la possibilité de construire leurs savoirs

91
orthographiques en collaboration. Entre la Lecture/écriture émergente et la Production
orthographique, sont proposées deux activités qui mettent l’apprenant aux prises avec la norme
orthographique : la Dictée à l’adulte et le Texte de références, dans lesquelles le texte écrit est
également un objet d’enseignement apprentissage.

Le but de concevoir l’apprentissage de la lecture écriture en appui sur des situations-problèmes


réside dans une distinction possible entre les connaissances déjà présentes, et potentiellement
utiles au dépassement du problème, et les procédures pour agir, qui permettent la
reconstruction des connaissances, dans le passage d’une situation initiale à une situation finale
de résolution (Balslev et al. 2005). Entre ces deux états, plusieurs opérations se manifestent
dans le déroulement de la résolution du problème, et ce déroulement, les chemins par
lesquelles passe l’apprenant, les obstacles qui se trouvent sur son chemin, sa façon de les
contourner ou de les dépasser nous intéressent ici, avec la diversité qu’il peut y avoir entre un
enfant et un autre. La situation-problème en tant que situation didactique constitue, selon les
auteures, une condition clef de l’apprentissage, car elle permet de «répondre à une énigme, un
défi, de dépasser un obstacle». Elle est ainsi conçue en tant qu’« activité conjointe,
culturellement instituée, dans laquelle les savoirs sont reconstruits par les partenaires, les
enseignants et les enfants » (Balslev et al. 2005, p. 60).

Une activité complexe telle que la Lecture Interactive, vue en tant que situation-problème,
incite les enseignants à prendre en considération les connaissances des élèves, ce qui mène à un
autre postulat des microgenèses didactiques : il place l’apparition d’une Zone de compréhension
commune, comme condition de l’apprentissage des élèves. Comment se définit ce concept qui
relie la construction conjointe des significations à celle des savoirs ?

Les concepts de significations et de sens nous sont ici nécessaires. Les significations
apparaissent comme les « connaissances locales et contextuelles attribués à, et construites par,
les partenaires de l’interaction » (Balslev & Saada-Robert, 2007, p. 86). Dans l’interaction
didactique qui se centre sur les objets d’enseignement apprentissage, le savoir transposé
implique la construction différenciée d’un sens momentané, comme le résume la figure ci-
contre (Saada-Robert & Balslev, 2004b, p. 145)

92
Figure 5. Cycle des relations entre signification, sens et connaissances selon Saada-Robert &Balslev
(2004b)

Selon l’acception de ces auteures, partons de ce savoir transposé, présenté dans la classe, vers
les deux types de significations, celles attribuées par les élèves et celles qui suivent les
intentions (objectifs) des enseignants. Déjà là, en prenant le processus à ce moment de la
boucle, une première rencontre des significations a lieu ou devrait avoir lieu, pour permettre les
échanges et la négociation de ce que les uns et les autres comprennent, mettent derrière les
mots, le discours et les autres signes de la situation.

Ces deux types de significations se rejoignent et sont négociés autour d’un savoir instancié,
contextualisé, temporalisé, dans le hic et nunc du déroulement de la situation didactique même,
pour permettre une coconstruction provisoire du sens. Le contrat didactique définit non
seulement cette situation, mais aussi les enjeux et les possibilités de négociations du sens, en
terme de prises de places, dans la situation didactique et dans le discours, de rôles que les
partenaires endossent, et de jeux de pouvoir, de contrôle qui peuvent y avoir lieu, ainsi que du
passage à l’autre plus ou moins facilité (Coll & Onrubia, 1994 ; Grossen, Liengme Bessire &
Perret-Clermont, 1997 ; Kerbrat-Orrecchioni, 2005). Ensuite, le sens ainsi négocié peut donner
lieu, ou non, à des significations partagées. Le passage de la dimension sociale à la dimension
intériorisée de l’apprentissage intervient alors, dans la mesure où les significations partagées,
socialement validées, engendrent à leur tour l’émergence de nouvelles connaissances,
autrement dit, la transformation des connaissances antérieures des élèves enrichies par les
nouvelles. Le cercle se ferme et se répète de manière perpétuelle. Le processus de
l’enseignement se retrouve ainsi dépendant du processus de l’apprentissage, les deux se
fondant l’un dans l’autre. Ils réorganisent le contrat didactique en un système nouveau où
l’action de l’enseignant est inséparable de celle des élèves. Dans ce système, les significations

93
partageables apparaissent comme dépendantes d’un certain nombre des connaissances
préalables communes à propos du déroulement de l’activité, comme le souligne Brossard (1998,
p. 42) en parlant du « cadre commun d’activité ».

La Zone de Compréhension, ce concept clef des microgenèses didactiques, va nous permettre


d’appréhender nos résultats portant sur la coconstruction des significations et des
connaissances lors des interactions bilingues en classe. L’objet de ces interactions sera défini en
tant que composantes du savoir lire/écrire qui vont évoluer selon les intentions des enseignants
quant aux contenus à enseigner apprendre d’une leçon à l’autre.

Les significations partageables évoluent vers les formes du partage cocontruites dans
l’interaction. Elles sont interprétables en tant que patterns de construction de sens (Balslev,
2006, 2009; Martinet, Balslev & Saada-Robert, 2007) ou sous l’appellation de patterns de
significations dans notre étude. Ils apparaissent comme les indicateurs des états de la zone de
compréhension, plus au moins commune ou considérée comme telle. Nous y reviendrons avec
plus des précisions dans la partie méthodologique de ce travail, en donnant des exemples
d’indices apparaissant lors des étapes du dépouillement.

La Zone de compréhension n’est pas facile à définir, elle s’apparente à l’espace intersubjectif
(Brossard, 1998 ; Grossen, 2001), ou à la zone d’ajustement mutuels (Gamba, 2006). Elle n’est
pas facile à saisir empiriquement, mais se donne à voir à travers les significations que les
partenaires de la situation didactique construisent et échangent dans le but de se comprendre.

Cette Zone s’apparente également à la fameuse ZPD de Vygotski (Vygotski, 1985), en ce qu’elle
propose la médiation des significations par les enseignants et la négociation du sens à en tirer.
De manière plus générale, la Zone de compréhension vise la transformation des connaissances
(Saada-Robert & Balslev, 2006) et dans notre cas, cette transformation s’observe autour des
connaissances littéraciques et bilingues d’élèves durant une année scolaire. La progression de
ces connaissances stabilisées saisies par les bilans est pour nous un indice d’intériorisation
individuelle. Dans notre recherche cette zone s’appuie sur la médiation interactive des
significations afin qu’elles deviennent partagées à partir d’albums de la jeunesse ; elle vise donc
un changement, un enrichissement, un déplacement de connaissances actuelles d’élèves,
partant des composantes sémiopicturales vers les composantes sémiographiques contruites
progressivement.

La Zone de compréhension peut s’apparenter également avec des postulats de Séquences


potentiellement acquisitionnelles (ou SPA) dans les échanges exolingues, lorsqu’elles visent les
modifications durables de l’interlangue48 (De Pietro, Matthey & Py, 1989 ; Py, 1995). Nous
comprenons ces modifications durables en tant qu’élargissement des répertoires bilingues des

48
Nous avons utilisé dans ce travail le terme de parler bilingue dans le sens de cette notion.

94
apprenants et leur « coloration » par une ou l’autre langue qui devient ou non, dominante.
Cependant, cette notion de SPA est beaucoup plus locale dans la conversation et souvent elle
est comprise de manière ternaire comme : sollicitation, aide apportée, reprise ou
répétition/validation de celle-ci. Nos résultats en termes de l’analyse des interactions ou de
l’analyse bilingue donnent plusieurs exemples de ce type des SPA dans l’interaction en classe
(d’analyse des reprises notamment). Un autre aspect nous parait intéressant en parlant de SPA,
c’est la notion du contrat didactique accepté ou non par les interlocuteurs dont un est natif de
la langue à apprendre, et l’autre au cours d’apprentissage de celle-ci. Cette situation exolingue
mettant en scène les apprenants et les experts a des caractéristiques asymétriques du contrat
didactique. Le statut de ce contrat différencie cependant les deux situations. Dans notre
recherche le contrat didactique est explicite et organisateur des échanges en classe, il est
institutionnalisé, déjà là, imposé d’office. Dans les études sur le fonctionnement de
l’interlangue, il est implicite entre les interlocuteurs, où l’un a (ou prend) le rôle d’expert et
l’autre de l’apprenant. Il est donc à instaurer, à négocier ou à expliciter à chaque fois.

Dans notre recherche, les négociations de sens apparaissent dans et à travers le discours à
caractéristiques multimodales et nous essayons de démontrer leurs particularités par nos
résultats (partie III de notre travail). Nous les appréhendons à partir des contenus des énoncés
verbaux (vocaux et signés) que les partenaires du discours échangent autour des composantes
du savoir littéracique en jeu. Leurs définitions sont données dans la partie II de ce travail.

95
96
CHAPITRE 5. SYNTHÈSE DES APPORTS THÉORIQUES, LES VISÉES DE LA
THÈSE ET LES QUESTIONS QUI ONT GUIDÉ CETTE RECHERCHE

Notre recherche répond à un double défi des sciences de l’éducation. D’un côté, elle souligne
son identité et son unité avec les autres recherches et objets d’études complexes pris en
compte dans ce champ disciplinaire, comme ceux sur l’entrée dans l’écrit. D’un autre côté, elle
affiche sa spécificité par ses références plurielles, venant autant du champ de l’éducation que
du champ des études en surdité. Elle répond en cela « à un paradigme additionnel porteur à la
fois de connaissances scientifiques nouvelles et de réflexions sur les pratiques et les systèmes
professionnels » (Saada-Robert, Chatelanat & Moro, 2004, p. 4). Notre objet de recherche nous
pousse en effet à convoquer des références plurielles afin de pouvoir saisir, interpréter,
comprendre et expliquer la réalité complexe qui est celle des élèves sourds dans leur
apprentissage de la lecture/écriture, situé dans un cadre scolaire bilingue. Nous avons défini
pour ce faire quelques notions et concepts appartenant aux sciences du langage, à la didactique
des langues, aux approches interactionnelles, et au courant de la littéracie émergente. Ces
notions et ces concepts sont explorés dans les deux champs disciplinaires et dans les deux
visées exprimées en début de ce manuscrit : l’une relevant de la production de connaissances
scientifiques nouvelles, et ouvrant des perspectives pour la recherche fondamentale, et plus
particulièrement la recherche en situation. La deuxième répondant aux interpellations du
terrain éducatif et scolaire. Soulignons que cette dernière a pour but l’amélioration ou la
création de modèles des pratiques enseignantes bilingues, à instaurer dans les classes qui
accueillent ce type d’enfants. Nous allons les expliciter quelque peu.

5.1. UNE VOIE VERS LA RECHERCHE FONDAMENTALE/EN SITUATION

Dit de manière générale, la première visée de notre recherche est d’apporter une vision
différenciée de la surdité, s’approchant clairement de la vision sociale, anthropologique. Elle
supporte une vision de la surdité dans ses aspects personnels et développementaux qui
reconnaît les sourds en tant qu’individus et sujets apprenants, ou en formation, tout au long de
leur vie, pour pouvoir choisir et atteindre les rôles sociaux selon leurs propres choix et en
fonction d’ouvertures et d’opportunités reconnues. Elle implique la valorisation de ces choix
dans une vision globale de personnes qui se définissent par leurs projets et leur appartenance
aux groupes sociaux, et non pas, par la déficience auditive.

Cette visée générale interpelle le champ des études en surdité (ou Deaf Studies) et s’inscrit
parmi les autres recherches de ce champ. Mais plus précisément, elle soulève la question des
apprentissages de la langue écrite par les enfants sourds bilingues et le questionnement des

97
pratiques enseignantes que cet apprentissage soulève. Comme il manque d’études qualitatives
dans ce champ (Evans, 2004 ; Marschark & Hauser, 2008), cette recherche vise à apporter une
pièce aux études concernant cette population, surtout parce qu’elle se base sur des données
recueillies directement sur un des terrains de l’action pédagogique, en classe bilingue pour
enfants sourds. Elle participe à l’apparition d’une direction nouvelle, souhaitée par les études en
surdité, qui se construit en collaboration avec des praticiens expérimentés, comme le réclament
Marschark & Humphries (2010). En effet, ces auteurs soulignent la nécessité pour les recherches
de déboucher sur l’amélioration des pratiques enseignantes et sur un développement de
programmes plus efficaces afin d’aboutir à une meilleure réussite scolaire des enfants sourds.

Nous rejoignons également les efforts français pour l’établissement du bilinguisme des enfants
sourds, sur la base de la reconnaissance de la langue des signes et des réels besoins des enfants
sourds en matière d’éducation (Millet, Mugnier Sabria & Simon, 2009 ; Courtin, 2007 ; Bertin,
2007 ; Dalle, 2003 ; Mugnier, 2006c), en présentant un encadrement bilingue des enfants sourds
établie par l’équipe éducative genevoise au CESM.

Par son objet d’étude principal, centré sur les interactions didactiques accomplies pendant des
activités littéraciques dans cette classe bilingue, cette recherche vise aussi à apporter un regard
nouveau dans le champ des sciences de l’éducation, dans lequel elle s’inscrit également. C’est
en étudiant une population particulière, qui présente des besoins spécifiques en matière
d’éducation, qu’elle participe à l’élargissement des problématiques complexes des domaines
divers comme l’enseignement spécialisé, la didactique des langues, la didactique de la langue
écrite et de l’Entrée dans l’écrit ainsi que dans le domaine des processus d’enseignement et
d’apprentissage dans lequel s’insèrent les études sur les microgenèses didactiques.

Par la démarche compréhensive interprétative élaborée par ces dernières, notre recherche
participe au développement des recherches qualitatives en sciences de l’éducation ainsi qu’en
recherches en surdité. Elle se focalise sur les processus fins d’enseignement et d’apprentissage,
les processus qui mettent au centre de l’interaction didactique les composantes du savoir
lire/écrire autour desquels elle se déroule, ces composantes fondatrices des connaissances
reconstruites par les élèves. Elle appréhende ces processus à travers la Zone de Compréhension
établie entre les partenaires de la situation didactique, au fil de séances. Elle propose des
indices et des descripteurs qui permettent de la saisir et de la décrire en termes des patterns de
significations et d’états par lesquels la Zone de Compréhension passe pour devenir commune.

98
5.2. UNE VOIE VERS L’AMÉLIORATION/CRÉATION DES PRATIQUES ENSEIGNANTES ET ÉDUCATIVES
BILINGUES POUR ENFANTS SOURDS

La seconde visée de notre recherche est supportée par de nombreuses questions que
l’éducation des enfants sourds soulève (Marschark, 2007). Comme beaucoup l’ont fait avant
nous, il est impératif de tirer profit des résultats de recherches disponibles et de reconnaitre les
différences qui existent entre les enfants sourds et les autres enfants, surtout quand il s’agit de
l’utilisation et de l’organisation de leurs ressources cognitives. La visée de cet effort constant
touche l’amélioration de ce qui existe (pour les Américains) ou mettre en place de nouvelles
possibilités de prise en charge éducative et scolaire, plus adéquates (comme en France et en
Suisse). La mise en place de programmes qui correspondent à la vision de l’enfant sourd avec
ses propres potentialités qu’il s’agit de développer (Courtin, 2007) est non seulement souhaitée
mais rendue possible grâce aux résultats de recherches de plus en plus nombreuses permettant
enfin le dépassement des querelles historiques. Les besoins en apprentissages des enfants
sourds et en matière de formation des enseignants (Schirmer & McGough, 2005 ; Hauser &
Marschark, 2008 notamment) sont criants, ce qui pousse la recherche à se développer.

Ceci nous mène finalement à relever les modèles récents d’éducation bilingue qui existent et
s’organisent de manière immersive, comme à Poitiers et à Toulouse (voir par exemple « Français
deuxième langue » - une émission de TV5 : « L’œil et la main », diffusée le 25 février 2006 ;
Brugeuile, 2003) où le travail en binôme, enseignant sourd – enseignant entendant,
accompagne les enfants dans tous les domaines de la scolarité obligatoire, de la maternelle à la
terminale. Nos observations genevoises complètent cette palette des pratiques bilingues d’une
autre manière.

En conclusion de notre cadre théorique, voici les questions qui ont guidé notre recherche :

5.3. LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Notre recherche met en jeu les deux partenaires de la construction du savoir scolaire « langue
écrite » pendant une année scolaire. Un double questionnement en découle : autour des
pratiques enseignantes dans cette classe bilingue d’une part, qui seront examinées à travers
deux questions de recherche, la deuxième et la troisième. La coconstruction du savoir suppose
évidemment que l’analyse des pratiques enseignantes ne peut se faire sans celle des
interventions des élèves. D’autre part un questionnement en parallèle touche les
apprentissages effectués par les élèves, en termes de connaissances intériorisées ; elles sont
abordées à travers la première question, portant sur leurs résultats aux bilans
psycholinguistiques.
99
Nos questions se décomposent en trois parties, comme suit :

QUESTION 1. EVOLUTION DES CONNAISSANCES DES ENFANTS AUX BILANS PSYCHOLINGUISTIQUES :

Comment évoluent les connaissances des enfants en lecture/écriture durant l’année scolaire ?
Comment ces connaissances littéraciques évoluent-elles chez chaque élève, à partir d’un niveau
initial constaté au début de l’année (temps T1) jusqu’au la fin des observations (temps T3) à la
fin de l’année scolaire ; en quoi consiste cette évolution ? Les progrès individuels touchent-ils
toujours la même composante du savoir lire/écrire ou des composantes diverses ?

Hypothèse 1. Nous attendons des transitions d’une étape à dominance logographique (ou pré-
alphabétique) au début de l’année vers une dominance alphabétique à la fin de l’année (Saada-
Robert et al. 2003). Ces diverses stratégies peuvent être présentes au même moment, et la
transition ne se fait pas par un passage clair d’un stade à l’autre (logographique, alphabétique,
orthographique), mais plutôt par des dominances de stratégies (Rieben & Saada-Robert, 1997).
Nous prévoyons également des différences individuelles importantes d’un enfant à l’autre
(Mayer, 2007).

QUESTION 2. ELABORATION D’UNE ZONE DE COMPRÉHENSION COMMUNE DANS L’INTERACTION :

Comment s’organisent les interactions entre les enseignants et les élèves lorsqu’elles visent à
construire le savoir lire/écrire et les significations qui le fondent ?

Comment s’organise le discours en interaction entre les partenaires du contrat didactique dans
le but de se rapprocher et de coconstruire une zone de compréhension commune ? Les
enseignants et les élèves font-ils partie du même discours (Kerbrat-Orecchioni, 2005) ?

Par quelles étapes de négociations du sens, à travers des significations attribuées par les
partenaires, passent-ils pour se comprendre mutuellement et pour faire progresser les objets
d’enseignement/apprentissage qui les lient? Nous donnerons les réponses à cette question ou
leur amorce sur la base de l’analyse séquentielle interactionnelle, de la coconstruction des
significations, avec leurs patterns et les états de la zone de compréhension.

Hypothèse 2. Nous supposons une élaboration conjointe des significations partagées de


manières diverses (Balslev, 2004, 2006 ; Saada-Robert & Balslev, 2004) et en utilisant les
ressources présentes lors du déroulement des séances. Des ressources pourront être
constituées du répertoire tant langagier (LSF/français) que multimodal de type pointages,
actions de montrer, entourer, souligner, écrire… etc., ressources constituées par les partenaires
de façon ad hoc dans la situation même, pour se comprendre et se faire comprendre, utilisées
autant par les enseignants que par les enfants (de Saint-Georges, 2008 ; Mondada, 2004). Les
élèves se montrent partenaires dans l’interaction, leurs interventions/réponses sont complexes

100
et permettent de tenir une place importante dans le déroulement de la séance. Cette place leur
est proposée, donnée par les enseignants qui les reconnaissent en tant que coauteurs des
significations émergentes et des connaissances qui circulent en situation.

QUESTION 3. LES PRATIQUES BILINGUES EN CLASSE :

Quelle place occupe la langue des signes dans l’accès des élèves à la langue écrite ? Et de quelle
manière apparait-elle ? (Mugnier, 2006 a, b) ; cette question sera traitée à travers l’analyse de
l’accueil des productions vocales et signées des enfants par les enseignants ; leur valorisation du
parler bilingue, les places et rôles des deux langues et des deux enseignants dans l’échange.

Quel rôle joue chacune des deux langues dans l’élaboration des significations conjointes,
partagées ?

Hypothèse 3. Nous supposons l’existence d’interrelations fortes entre la langue des signes et le
français mais avec une variation considérable d’un enfant à l’autre selon la capacité à intégrer
les informations auditives (Niederberger, 2004) et selon le contact des langues (Moore, 2006)
dépendantes de celles que chacun des partenaires utilise aussi bien en français oral, à l’écrit
qu’en LSF. L’élaboration de significations communes consiste en un processus complexe
souligné par l’interrelation entre les deux langues, le bilinguisme émergent des enfants et
expert des enseignants et le contact avec ces langues (Moore, 2006 ; Mugnier, 2006a, c)

Nous attendons un développement différencié des répertoires bilingues dans le groupe, en


suivant les choix individuels des langues à investir, observé à ce moment du parcours scolaire
des enfants. Pour certains parmi eux, des dominances entre les langues peuvent se profiler. Ces
répertoires bilingues ne seront donc pas stabilisés, mais mouvants et « activables » en tant que
ressources dans le temps et en fonction des besoins dictés par les contacts avec les
interlocuteurs d’autres langues signées ou vocales, comme le prédit Moore (2006) pour les bi-
plurilingues dans le monde contemporain. Nous avons précisé ainsi nos questions de recherches
qui, pour le chercheur en sciences de l’éducation que nous sommes,

«sont concernés directement ou indirectement par leur contribution aux transformations des
formations et des pratiques professionnelles ou par leur prise de positions par rapport à ces
pratiques» (Saada-Robert, Chatelanat & Moro, 2004, p. 7).

101
102
PARTIE II : CADRE METHODOLOGIQUE
INTRODUCTION
Comme nous l’avons exposé dans la partie théorique, notre recherche s’inscrit parmi dans le
champ des sciences de l’éducation, et comme telle, elle puise non seulement dans le répertoire
méthodologique pour l’éducation (Van der Maren, 1996), mais surtout dans celui qui est
développé en éducation pour appréhender son objet d’étude, prototypique du champ lui-même
(Hofstetter & Schneuwly, 1998/2001). Elle se place plus précisément en situation éducative.

Notre recherche s’intéresse à « l’étude des processus d’acquisition des connaissances sur un
temps court et dans une situation particulière » (Nguyan-Xuan, 1990, p. 197) et non pas au
produit de ces processus : de ce fait, elle pose la question principale du « comment font-ils ? »
et non pas de «quels résultats obtiennent-ils? ». Cependant, cette dernière question est aussi
abordée dans la mesure du possible par les bilans des connaissances littéraciques au début et à
la fin de l’année scolaire. Ils viennent appuyer les observations en classe et leurs analyses.
Toutefois, les progrès des élèves, attestés par ces bilans, ne sont pas une finalité en soi de cette
recherche, centrée sur le comment et le pourquoi du « processus d’enseignement
apprentissage, observé en situation réelle et en temps court, celui d’une leçon » (Saada-Robert
& Balslev, 2006, p. 487). Plus largement, cette recherche s’insère dans le paradigme
compréhensif/interprétatif, « c’est-à-dire qu’elle considère les phénomènes humains comme
des phénomènes de sens (…) qui peuvent être compris par un effort spécifique » de la part du
chercheur, celui de l’empathie face aux données et face aux acteurs du terrain. (Mucchielli,
1996, p. 183)

Dans ce chapitre, nous explicitons notre démarche de recueil et de traitement des données,
avec les procédés d’analyse des microgenèses didactiques (Balslev & Saada-Robert, 2007)
complétés par les autres analyses que notre objet d’étude unique49 exige, notamment celle du
bilinguisme.

La manière de l’appréhender la situe parmi les démarches et méthodes qualitatives comme les
définissent Mucchielli (1996) et Huberman et Miles (1991) :

« Une méthode qualitative est une succession d’opérations et de manipulations techniques


et intellectuelles qu’un chercheur fait subir à un objet ou phénomène humain pour en faire
surgir les significations pour lui-même et les autres hommes.» (Mucchielli, 1996, p.182)

49
Dans le sens de Mucchielli, (1996, p.183), objet non reproductible, et qui concerne les productions de l’homme.

103
Nous retiendrons plus particulièrement le terme de significations, comme nous l’avons souligné
dans le cadre théorique, significations émergentes pour le chercheur à partir des données
recueillies en classe, durant leurs transformations lors du traitement et lors des analyses
compréhensives/ interprétatives qui suivent ce procédé d’élaboration ou de transformation des
données. Dans cette partie, nous allons décrire la démarche méthodologique des microgenèses
didactiques, tout d’abord de manière générale, en présentant quelques principes de
dépouillement et d’analyse (chapitre 6). Puis, nous procédons à une description de la situation
observée en classe, autant dans ses aspects institutionnels que didactiques. Nous utilisons
l’analyse a priori comme possibilité d’en rendre compte et par la même, comme possibilité
d’ouverture sur l’analyse des composantes du savoir lire/écrire constitutives de cette situation ;
ce sera l’analyse des albums avec les potentialités offertes par la situation didactique proposée
aux élèves (chapitre7). Cette analyse préalable à celle des observations in situ, est nécessaire
pour l’interprétation/catégorisation des Unités de Sens50 découpées dans le flux des interactions
et c’est pour cette raison qu’elle prend place dans la partie méthodologique et non pas dans
celle des résultats. Ainsi, nous poursuivons la partie méthodologique avec la présentation du
recueil des données (chapitre 8), et avec celle des procédés d’analyse microgénétique pas à pas
dans le but d’expliciter et d’illustrer les six étapes de transformation/construction des données
élaborées (chapitre 9). Enfin, le dernier chapitre de cette partie (chapitre 10) essaie de répondre
à une question méthodologique de taille, celle de la construction d’une analyse bilingue inédite,
susceptible de mettre en lumière le fonctionnement bilingue entre les enseignants et les élèves
dans la classe observée. Cette dernière démarche, relève d’une constante remise à l’épreuve
des données, en fonction des cadres théorique et méthodologique qui s’élaborent
progressivement, dans un mouvement compréhensif/interprétatif, inductif/déductif à la fois, à
tous les moments de la recherche (Balslev & Saada-Robert, 2007).

50
Un exemple d’Unité de Sens et de son interprétation est donné au point 6.2. L’unité de sens est définie comme
unité centrale d’analyse des énoncés au point 9.3.

104
CHAPITRE 6 : LES MICROGENÈSES DIDACTIQUES EN TANT QUE DÉMARCHE
MÉTHODOLOGIQUE

Dans ce chapitre, l’approche des microgenèses didactiques est abordée en tant qu’approche
méthodologique, démarche de dépouillement et d’analyse des données recueillies (Balslev &
Saada-Robert, 2007). Elle se déroule de manière à la fois inductive et déductive, relevant d’une
construction des procédés d’analyse à partir des données issues directement du terrain de
l’action pédagogique, impliquant des acteurs liés intimement à cette même situation et les
cadres théoriques convoqués. Ainsi, dans une voie ascendante, les observations sont
considérées en tant que telles, dans leur contexte et leur complexité (Pallotti, 2002). La posture
du chercheur comprend alors une immersion dans ce contexte, afin de pouvoir en rendre
compte et saisir peu à peu les règles qui la régissent. Il va pouvoir alors opérer les choix
d’interprétation et d’explication qui leur correspondent, tout en préservant leur écologie
interne. Ainsi, le chercheur se livre-t-il à la transformation des données observées en données
élaborées. Cette dernière se base à la fois sur les concepts et notions esquissées par les cadres
théoriques préexistants, d’une part ; elle se base aussi sur les éléments constitutifs de la
situation même, que la démarche compréhensive essaye d’interpréter, d’autre part. Nous
considérons le dualisme entre expliquer et comprendre, entre inductif et déductif, comme
constitutif des sciences de l’éducation, apparaissant aux sources du questionnement de ce
champs disciplinaire pluriel (Saada-Robert & Leutenegger, 2002)

6.1. SAISIR LE PROCESSUS D’ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE EN SITUATION DE CLASSE

Notre recherche s’inscrit parmi les recherches en situation réelle de classe et évoque par là
même les travaux sur l’apprentissage situé (situated cognition, situated learning) comme ceux
de Allal (2001) et de Mottiez Lopez (2008) par exemple. Plus précisément ici, il s’agit de
situation didactique, où le français est l’objet l’enseignement apprentissage, par exemple de
l’orthographe (Allal et al., 2001), ou de l’entrée dans l’écrit (Saada-Robert et al. 2003). Cet
objet est abordé de manière intégrée dans des activités qui prennent le texte comme unité de
travail ; il est centré sur l’écrit et vise en même temps, le développement des capacités des
élèves en lecture et en production écrite. Parmi des activités proposées dans les deux dernières
recherches citées, la Lecture Interactive d’un album de jeunesse constitue une activité complexe
et une forme spécifique d’entrée dans le monde de l’écrit. Elle vise le passage de l’image à
l’écrit, autrement dit de la sémiopicturalité51 à la sémiographie52 (Balslev, Martinet & Saada-

51
Prise d’indices de construction du sens à partir des images.

105
Robert, 2006). Ces auteures démontrent que les enfants de 4 ans, au début de l’école enfantine,
sont à même de participer activement dans une activité de Lecture Interactive, et, guidés par
leur enseignante, de relever des unités lexicales ou sublexicales comme des lettres, tout en
travaillant sur la structure narrative du récit à partir des images et, progressivement, du texte. Il
est important de souligner également qu’ils parviennent à entrer dans la zone de
compréhension qui se négocie entre partenaires, à travers les significations qu’ils élaborent en
interaction, afin de les partager autour des composantes du savoir lire/écrire.

6.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX D’ÉLABORATION DES DONNÉES

De manière générale, le courant de microgenèses didactiques tente de saisir le déroulement du


processus d’enseignement apprentissage in situ. Ce processus sous tend la mise en avant de la
dynamique du système didactique - élèves, enseignants, savoir enseigné - et en même temps la
mise en relief des intentions qui la soutiennent, celles des enseignants et celles des apprenants.
C’est pour découvrir ce sens caché, latent, le sens intentionné dans une situation didactique de
la part des enseignants, mais aussi créé dans la situation avec les élèves, comme le dit
Brousseau (1979, cité par Balslev & Saada-Robert, 2007, p. 87), que le chercheur s’appuie sur
trois types d’indices : synchroniques, diachroniques et situationnels. Les indices synchroniques,
survenant au même moment que l’énoncé analysé (les regards, les pointages, les gestes co-
verbaux ou co-linguistiques), ainsi que des indices diachroniques, plus éloignés, en aval ou en
amont du discours échangé, lui permettent en effet d’accéder à ces intentions des
interlocuteurs.

Par exemple, comment comprendre et catégoriser/interpréter l’énoncé de l’enseignante, « vous


êtes d’accord ? D’ACCORD »53 ou sa variante adressée à un interlocuteur particulier « t’es
d’accord ? », en tant que unité de sens (défini en détails plus loin, chap.9). Le chercheur peut se
poser plusieurs questions. L’énoncé est-il juste une demande de validation de la part des
enseignants, soulignée par les regards ou les pointages et à laquelle les élèves répondent oui ou
non ? L’énoncé finalise-t-il ou au contraire ouvre-t-il un échange autour des composantes de
savoir particulières ? A-t-il la fonction pragmatique de faire progresser la tâche ? Ou cherche-t-il
à inciter les élèves à s’engager plus à fond dans l’activité ? A-t-il une fonction de vérifier si les
élèves ont compris ce qui s’est dit/signé auparavant, en prenant en compte leur réponse ; ou
encore de mobiliser leur attention par une interrogation de tout un chacun ? Cette demande de
validation de la part de l’enseignante peut prendre également une fonction de mise en
confrontation entre plusieurs propositions des élèves, dont l’une, momentanément acceptée,
52
Prise d’indices à partir du texte.
53
La transcription en script minuscule renvoie à la langue vocale (ou français oral/écrit), les majuscules renvoient à
la langue des signes (LSF).

106
doit être mise à l’épreuve d’un objet d’enseignement recherché (lexical ou autre). Une
comparaison de deux objets suit alors cette demande pour vérifier laquelle de deux
propositions est véritablement acceptable et répond à la demande des enseignants. Là, les
éléments synchroniques ne suffisent pas, et le chercheur doit prendre en compte les indices
plus lointains, diachroniques, qui lui permettent de trancher et de trouver l’intention réelle
sous-jacente à cet énoncé.

Dans sa quête du sens caché, le chercheur s’appuie aussi sur les indices situationnels qui
mettent en jeu le contexte de la situation didactique, les objets d’enseignement apprentissage
abordés, les objectifs et les attentes des enseignants. Ces éléments importants peuvent servir à
l’interprétation/catégorisation des unités de sens grâce aux analyses a priori de la situation
didactique et des éléments qui la constituent, comme par exemples les albums de jeunesse
utilisés lors de la Lecture Interactive. Ces analyses permettent d’expliciter les contenus du savoir
littéracique mis en avant dans l’activité, les objectifs d’apprentissage poursuivis par les
enseignants, le dispositif du travail prévu, et les moyens mis en place pour permettre sa
réalisation (matériel, outils, supports). Nous y reviendrons dans le chapitre 7.

Dans le but d’une interprétation adéquate des intentions qui sous-tendent les actions et les
échanges verbaux /signés, le chercheur a besoin de distinguer entre les indices de surface et les
indices latents. Les premiers correspondent à la forme externe de l’énoncé, dans notre exemple,
la forme d’une question. Mais cette question suppose-t-elle une réponse concrète de la part des
élèves ? Et sa prise en compte de la part des enseignants ? Ou, a-t-elle peut être une intention
cachée, celle de finaliser une partie de l’activité pour aller plus loin, donc de pousser les élèves à
agir à leur tour. L’énoncé « vous êtes d’accord D’ACCORD ?» prend alors une autre fonction,
celle de réorientation ou de passage du contrôle énonciatif à l’autre. Les indices latents sont
définis comme « les seuls à même de reconstituer le sens donné à l’énoncé par celui qui le
produit » (Balslev & Saada-Robert, ibid. p. 89) et seront exploités dans le dépouillement pour
catégoriser les unités de sens selon la modalité énonciative (point. 9.3).

Quels sont donc les procédés opérationnels de dépouillement et d’analyse des microgenèses
didactiques ? Nous les mentionnons ci-dessous en laissant plus de place dans le chapitre 9 pour
les explicitations approfondies du passage d’une étape à l’autre illustrées par les exemples de
nos données.

6.3. SURVOL DES PROCÉDÉS DE DÉPOUILLEMENT ET D’ANALYSE DES MICROGENÈSES DIDACTIQUES

L’étude des microgenèses didactiques a été précédemment présentée comme une étude sur les
transformations des savoirs tels qu’elle se déroule effectivement en situation d’enseignement

107
apprentissage. Elle consiste également en une démarche méthodologique qui suit des procédés
spécifiques permettant d’opérationnaliser les concepts propres à l’objet d’étude. La posture de
chercheur lors de chaque procédé est de nature à la fois inductive et déductive : en effet, elle
alterne entre l’élaboration de catégories d’analyse issues de la didactique de l’entrée dans l’écrit
et des analyses microgénétiques, dans un mouvement déductif, avec un retour constant aux
données, une immersion et une réflexion interprétative sur leurs significations, dans un
mouvement inductif. Ainsi, les données brutes sont transformées en données élaborées, en six
phases d’interprétations qui vont permettre par la suite d’effectuer un certain nombre
d’analyses. Le but final sera de répondre à nos questions de recherche à travers les résultats qui
seront présentés dans la partie suivante de ce travail.

Les donnés brutes recueillies par enregistrement vidéo des séances de travail en classe en
continu, sans interruption, vont être mises à l’épreuve de leur élaboration, à travers le
dépouillement interprétatif. Les étapes d’élaboration des données sont les suivantes : la
première phase consiste à transcrire les enregistrements en verbatims complets et continus; la
deuxième donne lieu à un découpage de ces verbatims en protocoles basées sur les unités de
sens; la troisième implique la catégorisation interprétative des unités de sens ; la quatrième
consiste en un découpage du protocole en séquences microgénétiques ; la cinquième phase se
centre sur le repérage de la dynamique interlocutoire qui, pour nous, est comprise comme
dynamique bilingue et interactionnelle54 ; et la sixième revient à un repérage des patterns de
significations, qui qualifient les états de la Zone de compréhension commune (Balslev, 2006,
2009, 2010) dans laquelle circulent ces significations autour des composantes de savoir en jeu.

Ces procédés de dépouillement et d’analyse microgénétique comprise comme « méthode


d’analyse des processus de changements intervenant lors de la coconstruction des savoirs en
situation » (Balslev & Saada-Robert, 2007, p. 86) sont résumés dans le tableau 1, ci-dessous qui
nous en donne une vision d’ensemble :

54
Notre cadre théorique nous mène vers le courant interactionniste, plus particulièrement en linguistique
appliquée (Filliettaz, 2006) et c’est pour cette raison que nous utilisons le terme de la dynamique interactionnelle,
en nous intéressant au discours en interactions dans un cadre bilingue avec ses aspects multimodaux.

108
Tableau 1. Etapes d’élaboration des données et procédés de dépouillement, adaptés de Balslev & Saada-Robert
(2007).

Niveau d’élaboration Procédés de dépouillement

Données brutes Observation par enregistrement vidéo en continu


Données élaborées 1 Transcription en protocole complet et continu
Données élaborées 2 Découpage des énoncés du protocole en unités de
sens
Données élaborées 3 Catégorisation/interprétation des unités de sens
Données élaborées 4 Découpage du protocole en séquences
microgénétiques
Données élaborées 5 Repérage de la dynamique interactionnelle
Données élaborées 6 Repérage des patterns de significations et d’états de
la Zone de compréhension

Dans la mesure où ce chapitre propose un survol général du cadre méthodologique des


microgenèses didactiques, nous définissons et explicitons ces étapes d’interprétation dans le
chapitre 9 en détails.

6.4. LES BILANS PSYCHOLINGUISTIQUES

Les bilans psycholinguistiques individuels utilisés dans cette recherche ont un statut
d’évaluation de l’état des connaissances littéraciques des élèves observés à un moment donné
de leur acquisition de la langue française. Ces bilans sont construits sur la base d’épreuves
existantes, utilisées dans le cadre de recherches sur l’entrée dans l’écrit des enfants entendants
de 4-5 ans (Rieben & Saada-Robert, 1997 ; Saada-Robert et al. 2003). Nous les adaptons à la
population d’enfants sourds et nous décrivons ces adaptations plus loin (cf. 7.3. et 8.). Ces
évaluations nous permettent de compléter les résultats des analyses microgénétiques, telles
que l’analyse structurale des composantes du savoir lire/écrire effectivement activées lors de
chaque séance de Lecture Interactive ou de l’analyse interactionnelle qui nous montre comment
ces composantes circulent lors de la même séance. Cet aperçu de l’état des connaissances
individuelles des élèves, fournit certains indices de progression des élèves, de leur évolution, qui
se manifeste par ailleurs en classe, en interaction avec leurs enseignants.

109
110
CHAPITRE 7 : CONTEXTE DIDACTIQUE ET ANALYSES A PRIORI
La notion de contexte (Grossen, 2001) a été présentée dans le cadre théorique et nous y
revenons du point de vue didactique de la situation observée, afin de préciser quelques
éléments clés qui la composent en gardant à l’esprit leur caractère mouvant et non stabilisé. Les
analyses a priori permettent de les mettre en évidence, en allant de la plus globale à la plus
particulière : du contexte institutionnel de la classe bilingue intégrée à l’école ordinaire et les
partenariats qui la permettent, vers une analyse a priori de la situation didactique en français,
celle de l’activité de Lecture Interactive qui y prend place, en passant par l’analyse des
propriétés des supports proposés lors de cette activité, les albums lus. Les composantes
potentielles du savoir lire/écrire pourront ainsi être dégagées, de manière à constituer la base
de nos catégories d’analyses des données d’observation.

Nous convoquons également la notion de contrat didactique (Schubaeur-Leoni, 1986 ; Perret-


Clermont & Carugati, 2004) qui donne une importance particulière aux rôles et places que les
interactants jouent dans la classe, celle des élèves et celle des enseignants avec leur rapport
asymétrique face aux composantes du savoir à enseigner apprendre. Cette notion a été
annoncée dans le cadre théorique mais elle prend ici toute sa place dans le contexte didactique
géré par un tel contrat. Nous allons voir comment cette notion apparait à travers nos données
et comment elle se redéfinit face au fonctionnement même de la classe.

Dans cette partie nous annonçons également l’analyse bilingue (chap. 10) dans la mesure où
elle prend justement en compte le partage des rôles entre les deux enseignants qui sont en
charge de la classe observée, et le partage des places qui en découle. Le contrat didactique va
en être affecté et subit des modifications qui permettent aux élèves de devenir à leur tour, les
partenaires des interactions didactiques en deux langues.

En premier lieu, nous allons décrire le contexte institutionnel de notre recherche, dans les
grandes lignes (point 7.1.), son contexte plus précis, celui de la situation didactique de Lecture
Interactive (7.2.) pour ensuite décrire notre démarche d’approche du terrain lors de l’étude
exploratoire (7.3.), dans le but de construire les éléments nécessaires à la recherche principale
qui sera résumée ensuite (7.4.). Nous arrivons ainsi vers l’analyse des caractéristiques des
albums choisis dans cette recherche (7.5.) pour ensuite les interpréter afin d’aboutir à une série
des catégories potentielles d’analyse, déjà là (7.6.). Elles seront par la suite complétées par les
catégories émergentes dans le déroulement même de la situation, non prévues par l’analyse a
priori, dans un flux inductif, pour être finalement validées et ainsi constituer nos descripteurs en
termes de codages des données élaborées, décrits en détails plus loin (9.3.).

111
7.1. CONTEXTE INSTITUTIONNEL

A Genève, le programme bilingue au Centre pour enfants sourds de Montbrillant (CESM) est
introduit en 1980/81 et est présent parmi les autres possibilités de prises en charge éducatives.
Il propose un enseignement bilingue simultané de deux langues où les enseignants travaillent en
binôme (enseignant sourd/enseignant entendant) ; les deux langues sont en contact permanent
et dans plusieurs activités scolaires. Ce Centre est une école publique dépendant de
l'enseignement spécialisé et rattachée à l'Office Médico-Pédagogique (OMP). Le Centre a pour
mission d'accueillir des enfants sourds dès leur plus jeune âge et de les accompagner jusqu'à la
fin de leur scolarité obligatoire, voire pour certains enfants aussi dans le cadre du post-
obligatoire. Le CESM dispense un enseignement spécialisé pour répondre aux besoins
spécifiques de chaque enfant tout en s'inscrivant dans le cadre des objectifs de l'enseignement
primaire et secondaire. Ce type d’encadrement favorise les apprentissages et le développement
social et affectif de chacun. Pour répondre à cette mission, une équipe pluridisciplinaire est
formée des enseignants spécialisés, éducateurs, interprètes en LSF, pédopsychiatre,
logopédistes et psychomotricien. Le Centre offre un enseignement bilingue LSF/français oral et
écrit, en permettant de réaliser plusieurs mandats. A l'interne du CESM ou en classes intégrées,
comme à l’école primaire de Sécheron, ce centre assure un enseignement spécialisé pour
répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant tout en s'inscrivant dans le cadre des
objectifs de l’enseignement primaire et secondaire afin de favoriser les apprentissages et le
développement social et affectif de chacun. Il offre également une prise en charge logopédique
et toute autre activité thérapeutique nécessaire par exemple la psychothérapie et la
psychomotricité. Il propose aussi une prise en charge éducative sous forme de projets
individuels ainsi que des activités extrascolaires. A l'externe, il se représente comme un centre
de compétences et de ressources pour les questions concernant la surdité, tant auprès des
parents que des professionnels : il propose un soutien dans des familles et dans des institutions
spécialisées, offre de surcroit un soutien pédagogique spécialisé pour des enfants
malentendants ou implantés inscrits dans les classes de l'école ordinaire.

Le bilinguisme y est compris comme utilisation quotidienne des deux langues, en préservant les
moments d’enseignement d’une et de l’autre plus particulièrement. La langue des signes
française (ou LSF) est donc une matière d’enseignement au même titre que le français et les
autres disciplines scolaires. Lors de situations d’apprentissage de la LSF, l’élève sourd acquiert la
richesse de la langue, augmente son répertoire lexical. Il effectue un travail métalinguistique sur
cette langue et s’approprie les règles grammaticales. Il est également sensibilisé et formé à
l’utilisation de cette langue dans les différentes formes de discours : récit, description,
explication, argumentation, poésie… et ceci en référence à l’enseignement de l’oral pour la
langue française (Mesli et al. 2010).

112
7.2. ESPACE DIDACTIQUE ET SITUATION DE LECTURE INTERACTIVE

À l’intérieur de cette classe spécialisée, la démarche bilingue (LSF/français) est assumée par les
enseignants sourds et entendants, utilisant les deux langues pour enseigner toutes les matières
du curriculum. La disposition spatiale à l’intérieur de cette classe est organisée de manière
spécifique pour pouvoir accueillir deux à trois petits groupes d’élèves en même temps. La classe
est divisée en trois espaces qui accueillent respectivement trois groupes distincts d’élèves : les
petits du niveau préscolaire ; les moyens du niveau du cycle primaire des apprentissages
formels initiaux (6-9 ans); et les grands, qui la plupart du temps sont intégrés dans les classes
ordinaires correspondant à leur âge et qui viennent dans la classe spécialisée pour des moments
d’appuis le plus souvent autour du français écrit (9-12 ans).

Dans le cadre de cette recherche, des séances enregistrées ont eu lieu dans l’espace des
moyens (pour nous les enfants de 1èreprimaire) (Figure 6.). Les enfants étaient assis à leurs
pupitres individuels, face au tableau et face à leurs deux enseignants. Les activités proposées
dans ce mode particulier de fonctionnement de la classe ont donc la particularité de se dérouler
selon les deux représentants linguistiques, deux modèles langagiers, deux modèles identitaires
en même temps. Ainsi, les apports de la langue vocale, en évolution chez les élèves, sont
constants, comme ceux de la langue des signes en extension permanente.

Tableau

ES EE

Igo Bar
Ade Géo

Figure 6. Disposition des élèves et des enseignants dans la classe.

Dans notre recherche nous comprenons la situation de Lecture Interactive comme une lecture
accompagnée et médiatisée non seulement par l’utilisation d’un album de jeunesse, mais aussi
par la façon de travailler dans une classe bilingue, où les deux langues, le français et la langue
des signes, sont représentées par les deux enseignants travaillant en binôme : enseignant
Sourd/enseignant entendant.

Cette situation contient les caractéristiques de la situation-problème (Balslev et al. 2005),


autrement dit, d’une situation complexe d’apprentissage de la lecture/écriture ; c’est pour cela
qu’elle se déroule en tant que séquence didactique, en plusieurs séances, selon les intentions

113
sous-jacentes des enseignants quant aux objectifs de cette série de leçons. Elle est
accompagnée par plusieurs périodes de travail où des activités spécifiques sont proposées aux
élèves, visant les apprentissages précis des composantes de savoir linguistique et littéraire ;
comme par exemple les composantes lexicales ou sublexicales comme les mots nouveaux,
syllabes, lettres, phonèmes ; ou les composantes liées à la narration, et sa compréhension à
travers image et texte, avec la composante du genre textuel. Les deux groupes de composantes
s’entremêlent et fondent la complexité de la situation-problème mais aussi son intérêt pour les
jeunes lecteurs débutant.

Les micro-activités spécifiques sont intégrées dans l’activité globale de Lecture Interactive (ci-
après LI). Pendant les séances, d’autres types d’activités ont lieu : la dictée à l’adulte ou par
exemple la participation des élèves aux annotations de l’enseignant au tableau, le repérage de
mots, etc. Les analyses effectuées sur ces derniers passent souvent par les composantes
sublexicales, lettres dans les deux langues, phonèmes, syllabes ; mais aussi par l’utilisation de
ressources écrites comme des documents de références, etc.

Ce déroulement des activités en alternance, une fois complexes, une fois spécifiques, sur le
même objet d’enseignement apprentissage avec une médiation différenciée de la part des deux
enseignants découle d’une conception « de curriculum en spirale et composé de séquences en
boucle » (Allal et al. 2001, pp. 19). Il stipule une présence d’activités complexes en alternance
avec des activités de consolidation, d’entrainement, dites activités spécifiques visant une
composante du savoir à la fois55.

Nous ajoutons à ce cadre les précisions données par Mugnier (2006a, pp. 65-68) concernant les
enfants sourds et leur situation particulière de bilingues. Pour eux, le français est considéré
comme la langue de l’environnement social et familial, surtout si leur famille est entendante, ce
qui est le cas pour les enfants observés dans cette recherche ; mais c’est aussi une langue à
apprendre dans le cadre scolaire, tandis que la langue des signes est considérée comme une
langue de référence, pour qualifier sa fonction de langue première et naturelle, accessible sans
entraves liées à la déficience auditive, elle est souvent la langue d’appartenance identitaire et
culturelle de la communauté des Sourds. (cf. partie introductive)

55
Rappelons ici que dans notre travail nous étudions cette situation didactique où le français apparait comme la
langue de l’école, la langue des savoirs scolaires, la langue enseignée et la langue des apprentissage. Il constitue
donc un objet complexe d’enseignement et d’apprentissage comme nous l’avons déjà mentionné dans la partie
théorique, en parlant brièvement des recherches en didactique des langues et en particulier, des travaux sur le
français en tant que l’objet enseigné (Schneuwly & Thévenaz-Christen, 2006). Pour les besoins de la situation
didactique bilingue, nous citerons aussi les travaux développés en didactique des langues secondes, en particulier
les questions concernant le bilinguisme/plurilinguisme, et le contact des langues (Billiez, 2003 ; Moore, 2006,
Castellotti, 2001, Lüdi & Py, 2003).

114
7. 3. APPROCHE DU TERRAIN ET ÉTUDE EXPLORATOIRE

En préambule à notre recherche, nous avons abordé notre terrain d’investigation par une étude
exploratoire, dans le but d’observer les pratiques d’enseignement effectives dans cette classe
bilingue et dans une situation de bilinguisme simultané (français/LSF). Nous avons choisi le
français en tant que discipline d’enseignement et d’apprentissage comme objet d’observations ;
il devait si possible s’insérer dans une situation didactique proche que celle qui pourrait par la
suite être proposée dans la visée de notre recherche principale. Nous avons donc proposé
d’observer les pratiques enseignantes concentrées sur la lecture d’un album de littérature
enfantine en classe, avec un travail sur des éléments spécifiques de cet album, durant une
séquence didactique complète. Notre demande a été accueillie et nous avons recueilli les
observations en classe durant cette séquence qui comporte plusieurs activités étalonnées sur
une période d’un mois et demi.

Les constats de cette étude exploratoire ont permis de faire l’économie de l’implantation d’un
dispositif spécifique de recherche: les pratiques enseignantes étaient suffisamment proches des
séquences connues d’entrée dans l’écrit. Elles proposaient l’exploration de plusieurs supports
(albums, affiches, page de journal etc.) et de genres des textes divers (conte, récit, recette etc.).
C’était donc une pratique « ordinaire » instaurée déjà sur le terrain et qui correspondait à
l’objet d’observations et d’analyses projeté dans la recherche principale.

De même, les propositions de choix des albums dans la phase d’observation se sont déroulées
selon les objectifs que les enseignants s’étaient fixés pour cette année scolaire. Le chercheur a
eu toutefois les informations nécessaires sur le pourquoi de ces choix, ce qui lui a permis
d’identifier les buts et les intentions des enseignants lors de l’exploration d’un album ou d’un
autre. Ces indices ont été recueillis en tant que traces écrites dans un journal d’observations,
avant que la séquence didactique ne commence.

D’autre part, la recherche exploratoire nous a permis de tester la pertinence des épreuves
psycholinguistiques pourtant sur les composantes du savoir lire/écrire autour des unités
lexicales et sublexicales, compris comme unités fondatrices du savoir lire/écrire, relevées par le
National Reading Panel (2000) et soulignées également d’une première importance par les
études en surdité (Schirmer & McGough, 2005 ; Muselman, 2000). Elles apparaissent donc
comme les composantes incontournables de ce savoir, et apparaitrons par la force des choses
dans nos analyses.

Ainsi, nous avons cherché à élaborer les épreuves adaptées pour la population d’enfants sourds
pressentis pour notre recherche. Les épreuves existantes de l’équipe de recherche de prof.
Saada-Robert, ont été vérifiées auprès d’une population d’enfants comparables, à l’Ecole
Cantonale pour Enfants Sourds à Lausanne. Cet essai portant sur la représentation de l’écrit des

115
jeunes sourds, d’âge comparable au groupe genevois, nous a permis des centrer nos mesures
ultérieures, en évitant des effets plafond ou plancher par exemple. Nous avons également pu
mettre en place une procédure de passation des épreuves en utilisant des supports visuels,
cartes en couleur, cartes de lettres, langue des signes, et ainsi adapter notre matériel.

Les deux épreuves concernant la phrase étaient difficiles à construire en sachant que les enfants
se trouvent au début de l’apprentissage de la lecture/écriture et n’ont pas encore
complètement élaboré cette notion. Nous avons alors pensé à introduire deux épreuves
supplémentaires à chaque catégorie déjà mentionnée, c’est-à-dire les composantes lexicales et
les composantes sublexicales, soit : le comptage des syllabes dans un mot et le comptage des
mots dans une phrase, qui nous donnent une information sur les connaissances supra-lexicales
construites par les enfants durant cette année scolaire.

7.4. LA RECHERCHE PRINCIPALE ET SON DÉROULEMENT

Les observations effectuées pour la présente recherche se sont déroulées durant l’année qui a
suivi l’exploration du terrain, c’est-à-dire l’année scolaire 2005-2006.

Le tableau 2, présente les périodes du recueil des données et les titres des albums travaillés :

Tableau 2, périodes du recueil des données et les albums exploités lors de ceux-ci.
Période T1 (novembre- T2 (février–mars T3 (mai–juin
d’observation/album décembre 2005) 2006) 2006)
travaillé 8 séances 6 séances 5 séances
La petite poule X
rousse56
Pique le hérisson57 X
58
Toutou dit tout X

À chaque temps d’observation, les élèves commencent une nouvelle série de leçons autour d’un
album qu’ils explorent et lisent avec leurs enseignants. Nous allons mentionner maintenant
quelques éléments contextuels de chaque situation-problème observée afin de déterminer
quels objets d’enseignement apprentissage spécifiques ont été prévus, a priori :

À T1, l’intention des enseignants est celle de mener un travail en alternance : d’une part entre le
travail individuel des élèves confrontés directement au livre, à l’étude de ses images et

56
B. Barton (1993) « La petite poule rousse », Paris : lutin poche de l’école des loisirs.
57
C. de Santi et P. Malausséna (…) « Les aventures de Pique le hérisson », Affiches et Cahier 1, Paris : Retz.
58
C. Boujon (1991) « Toutou dit tout », Paris : lutin poche de l’école des loisirs.

116
progressivement à une découverte de quelques mots connus ; et d’autre part le travail en
groupe autour du même ouvrage. Cette intention ne peut pas se réaliser lors de cette séquence
didactique, car les élèves ne sont pas préparés, ni assez engagés pour ce type de travail en
alternance, groupe-individu. C’est aussi une période de l’année qui est marquée par la présence
d’une stagiaire en classe, qui aide les enseignants mais aussi qui prend la responsabilité de la
classe et des enseignements à plusieurs moments. Egalement, la présence d’une cinquième
élève change la dynamique de la classe et sa gestion par les enseignants. Cette dernière repart
dans son pays d’origine au milieu de l’année, c’est pourquoi elle n’est pas comprise dans la
présentation des participants à cette recherche en tant que telle.

À T2, les intentions des enseignants portent sur l’acte de lire, et l’envie de pousser les élèves
directement vers cette opportunité de confrontation des leurs capacités émergentes avec le
texte de cet album, à structure répétitive (cf. 7.5.2.). Cette intention et les contenus travaillés en
amont de cette période d’observation, comme par exemple le travail sur la vie du hérisson
étudiée en environnement, facilite énormément l’engagement des élèves et la circulation des
significations partagées. La séquence didactique est marquée par l’engagement des élèves et
leur participation active dans les activités proposées, leur volonté de lire à la hauteur de leurs
possibilités, variables d’un enfant à l’autre. Le travail autour de la structure narrative de l’album
met à l’aise les élèves et leur permet d’aller plus loin vers la découverte du texte.

À T3, l’intention de proposer l’exploration de l’album en alternance, entre le travail individuel et


en groupe, est reprise, et se réalise. Les élèves sont à mêmes de profiter de cette possibilité de
« toucher » l’album, de l’explorer en images, de rechercher les mots proposés par les
enseignants, de le décortiquer « en vrai », comme des lecteurs ordinaires. Le travail sur l’album
se modifie, s’enrichit par les apports des élèves et leur donne une place active dans
l’interaction. Cependant, la gestion de l’imprévu en classe amène un changement du contexte
qui peut avoir les incidences sur la dynamique interactionnelle en classe ; cette fois-ci elle part
des enseignants et du fonctionnement du binôme enseignant59.

7.4.1. LE CHOIX DES ALBUMS

Ce choix a été dicté par la thématique travaillée par ailleurs en classe, les progrès des élèves en
lecture/écriture et une volonté des enseignants de les pousser plus loin dans leurs
59
Pour la séance du temps 3, l’enseignant sourd est remplacé par une enseignante sourde qui intervient
habituellement dans cette classe ; ce changement minime peut être accepté dans le cadre de la recherche.
Toutefois, il induit une dynamique interactionnelle différente et l’apparition de deux zones de compréhension à
quelques reprises lors de cette séance. De même on assiste à une autre façon de céder la place entre les
enseignants, ainsi qu’à une autre gestion des interventions des élèves, ce que nous relatons dans l’analyse
interactionnelle du T3 et dans l’analyse de patterns et des états de la ZdC (cf. chapitre 12).

117
apprentissages, en réalisant le choix de supports gradués, allant du plus simple au plus
complexe durant l’année scolaire. La posture de chercheur était celle de ne pas influencer ce
choix, de le respecter, de le constater et de demander les explications s’y rapportant, dans le
but de révéler les intentions sous-jacentes des enseignants par rapport aux objets
d’enseignement apprentissage. Les trois albums sont analysés séparément suivant les trois
temps d’observations (7.5.).

La manière de travailler est elle aussi choisie par les enseignants en prenant en compte les
capacités croissantes des enfants à entrer dans l’analyse du texte et dans la lecture. Au début de
l’année scolaire les enfants sont beaucoup plus guidés et travaillent en groupe face à l’album,
alors qu’en fin d’année, ils ont chacun leur copie du livre, pour le découvrir individuellement et
travailler à partir de ces découvertes.

7.4.2. DÉROULEMENT DE L ’ACTIVITÉ DE LECTURE INTERACTIVE

L’activité de Lecture Interactive fait partie de la situation de Lecture/Ecriture Emergente (Saada-


Robert et al. 2003) et elle en est une phase introductive. La LI est introduite par l’enseignant qui
propose l’activité, décrit son but et son déroulement. Ensuite, les élèves guidés par leurs
enseignants découvrent l’album à partir de sa page de couverture, font des hypothèses
concernant le déroulement de l’histoire, les personnages présents, et ils explorent ses éléments
constitutifs, comme le nom de l’auteur du livre, son titre etc. Puis, ils entrent dans l’exploration
de la première page, de l’image à la lecture accompagnée du texte ; à chaque page des activités
diverses peuvent être proposées aux élèves dans le but de faciliter le passage de la
sémiopicturalité à la sémiographie. Il s’agit par exemple de proposer une tâche de
reconnaissance des lettres connues dans un mot, d’une reconnaissance globale des mots
travaillés auparavant en activités spécifiques etc. Ensuite, la découverte interactive des pages
suivantes à lieu au fil de l’histoire. La lecture du livre en entier et en deux langues, finalise le
travail du groupe-classe.

C’est donc une situation complexe dans laquelle plusieurs composantes littéraciques peuvent
être travaillées. Ce type de lecture ne se réduit pas uniquement à la lecture avec les hypothèses,
elle englobe le travail sur les deux langues, sur l’écriture sous la dictée des enfants, où le texte
du tableau constitue un outil du travail ultérieur, comme le « texte de référence »60, ou sert de
mémoire externe de la séance. Le retour à l’album, son texte et à la nouvelle page-image se fait

60
Activité dans laquelle les élèves dictent un texte collectif à l’enseignant qui l’écrit au tableau noir ; ce texte va
servir de référence pour les élèves qui vont aller « chercher des mots », afin d’écrire eux-même un texte bref sur
une feuille personnelle.

118
pour vérifier les hypothèses et pour aller plus loin, dans l’exploration de l’album (image et
texte).

Lors de cette recherche, nous observons le déroulement de cette situation-problème


comparable ou quasi identique d’un temps d’observation à l’autre, toutes les séances sont
consacrées à la découverte de l’album, et chacune d’elles constitue une première séance d’une
série des leçons qui propose des tâches diverses autour de chaque support à la lecture. Nous
prenons toutefois en compte les fluctuations du contexte didactique, ses variations, dans le
cadre de la description du donné, du déjà-là de la situation didactique dans nos analyses a
priori.

Les analyses du déroulement effectif, créé en situation même d’interaction, se basent sur ces
analyses préalables qui permettent de rendre compte des différences entre ce qui est
potentiellement présent et ce qui est activé, exploité, mobilisé dans l’interaction didactique
entre les partenaires de l’échange.

Les activités spécifiques diverses sont également introduites sur le thème de l’album, sur
certaines composantes en particulier (lexicales et sublexicales), ou en exploitant les scripts
contenus dans l’album. Elles complètent, approfondissent, et consolident les connaissances des
élèves en émergence. Elles ne seront pas prises en compte dans nos analyses approfondies.

7. 5. ANALYSES A PRIORI – VERS LES CATÉGORIES D’ANALYSE

Nous faisons ici un retour à la notion du contexte, mais cette fois-ci à la distinction qui est
proposée par Filliettaz (2006) entre le contexte d’interprétation et le contexte comme situation
d’action (ou d’interaction). Nous procédons donc à la distinction entre deux analyses a priori,
celles qui prend comme objet le contexte d’action enseignante et celle de la situation didactique
(ressources déjà-là, les albums comme textes avec leur propriétés propres etc.). Ces analyses
engendrent le contexte d’interprétation qui nous mène vers les catégories de dépouillement
des données observées, des catégories possibles, potentielles - celles qui apparaissent dans
l’analyse a priori mais également, de manière inductive, de la situation d’interaction même
(comme les composantes se référant au contexte de vie des enfants par exemple)

Dans ce point, nous présentons les albums travaillés lors des observations en classe, en donnant
l’analyse a priori qui présente leurs schémas narratifs, leurs propriétés linguistiques et textuelles
les plus saillantes et utiles aux analyses ultérieures (7.5.1.), en relevant également les éléments
émotionnels qui y sont contenus (7.5.2.) et les scripts (7.5.3.) qui permettent l’utilisation des
ressources telles que les connaissances du monde des enfants.

119
7.5.1. PRÉSENTATION DES ALBUMS DE LITTÉRATURE ENFANTINE UTILISÉS PENDANT LA RECHERCHE ET
LEUR ANALYSE A PRIORI

Les activités de la classe ont été choisies autour d’un livre imagé qui constitue le support visuel
et textuel pour la réalisation d’un objectif didactique visant l’apprentissage enseignement de
l’entrée dans l’écrit.

À T1 les enseignants propose une exploration d’un album qui appartient aux classiques de la
littérature pour la jeunesse « La petite poule rousse » de B. Barton61, qui se définit comme
conte merveilleux. De manière canonique pour ce genre de textes il commence par
l’organisateur « Il était une fois… » et il utilise les formes verbales typiques de ce genre, comme
le passé simple.

Sa structure narrative est complexe ; elle implique une introduction, qui présente les héros : la
poule rousse, les poussins, le canard, le cochon et le chat, une complication où la petite poule
rousse trouve des graines, un passage par plusieurs épreuves – demandes de la poule et refus
de ses amis – , son travail solitaire pour accomplir la tâche, la production du pain et sa
récompense à la situation finale qui lui rend justice : la petite poule rousse refuse le pain à ses
amis et le partage avec ses petits poussins

Depuis sa couverture, on constate le contraste entre la petite poule et les trois animaux : le
chat, le cochon et le canard. Elle est entourée des outils de la ferme, ce qui annonce son rôle de
travailleuse, tandis que les trois amis s’amusent. Au fil des pages et des doubles pages, la poule
formule plusieurs demandes d’aide à ses trois amis, mais chaque fois ils répondent « pas moi »
scandant à trois voix, comme un refrain. Cette présence du discours direct permet aux enfants,
lecteurs débutants, de le repérer plus facilement par les marques graphiques qui
l’accompagnent. Ainsi que par la disposition sur les pages doubles : le texte de la demande est
toujours à gauche, avec l’image de la poule ; à droite, par contraste, la réponse des trois
animaux, sous l’image qui les représente en train de jouer, s’amuser ou dormir. Le texte
présente quelques difficultés sur le plan lexical, lié à l’élaboration du pain à l’ancienne, avec les
procédés manuels que ce mode de travail exige : faucher, battre, moudre le blé etc. Ce lexique
appartient à un champ sémantique souvent nouveau pour les enfants en début de scolarité. Le
texte est organisé plutôt par les répétitions que par les organisateurs textuels, rares et peu
diversifiés, comme : alors, ensuite, puis. La syntaxe est assez simple, les phrases courtes et
répétitives. Ce sont ces répétitions qui aident les élèves à entrer dans l’histoire et à la
comprendre en s’appuyant autant sur l’image que sur le texte que les élèves mémorisent très
vite.

61
B. Barton (1993) « La petite poule rousse », Paris : lutin poche de l’école des loisirs.

120
À T2 les enfants sont confrontés au récit merveilleux intitulé « Les aventures de Pique le
hérisson », de C. de Santi62. Il est présenté sur de grandes affiches qui sont directement
attachées par les enseignants au tableau et explorées ensemble. C’est une histoire drôle, une
farce qui se passe dans une forêt à l’automne. Les animaux de la forêt ainsi que le héros
principal, Pique le hérisson, sont en train de se préparer pour l’hiver. D’où l’action de l’écureuil
qui fait les provisions. La vie des animaux est complétée par leurs capacités humaines, celle de
l’utilisation du langage par exemple, ou celle d’exprimer leurs émotions au moment clé de la fin
de cette histoire. Le déroulement de l’histoire passe par les étapes du récit merveilleux. La
première fiche décrit la situation initiale, mais juste en donnant les traits principaux, où on voit
Pique qui se cache, mais sans savoir pourquoi, où on voit l’oiseau et l’écureuil qui discutent :
l’oiseau cherche Pique et l’écureuil ne l’a pas vu, mais voudrait bien aider l’oiseau à le chercher.
Nous avons là le début d’une série de scènes de recherche de Pique où quelques autres
animaux sont interrogés par le groupe de recherche et le rejoignent par la suite pour l’aider. Le
moment crucial, noyau de l’histoire est surprenant : Pique sort de sa cachette et provoque la
panique ! les animaux se cachent à leur tour et ne veulent plus sortir jouer avec lui. La morale
implicite de l’histoire peut s’exprimer ainsi : ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas
pour toi (situation du « voleur volé »).

Une situation comparable à celle du premier album, celle des répétitions, se retrouve lorsque
les élèves abordent « Les aventures de Pique le hérisson ». Cette fois-ci les répétitions ont la
fonction de faire progresser la recherche de Pique, et le déroulement de l’histoire. Chaque
question est adressée à un nouvel animal par le groupe de recherche, constitué au début de
l’oiseau qui rencontre l’écureuil et qui s’agrandit à chaque nouvelle page, en incluant le
personnage interrogé à chaque fois (le mulot, le papillon, le lapin). Les animaux ont donc aussi,
comme la poule précédemment, la faculté de parler, et le discours direct est repéré facilement
dans le texte. De nouveau une situation d’interlocution, de communication, du type demande-
réponse, se trouve à la base des échanges entre les protagonistes. Ce texte diffère quelque peu
du précédant, il s’approche beaucoup plus du contexte de vie des enfants, par sa forme à peine
déguisée du jeu de cache-cache. Les décors de la forêt et les personnages animaliers voilent un
peu cette situation ludique mais leurs comportements et leur langage la soulignent. Il s’agit d’un
langage d’enfants « polis » qui s’adressent aux autres en disant d’abord : « bonjour ! » et qui
s’expriment en phrases entières. Ce texte contient des marqueurs qui attirent l’attention des
élèves comme les points d’exclamations, ou les expressions en gras qui annoncent les
changements brusques. Le champ sémantique confirme l’utilisation du vocabulaire des jeunes
enfants scolarisés, il enrichie donc les décors de la forêt et donne aux personnages, les petits
animaux, les caractéristiques humaines. Les échanges entre les animaux sont commentés par un
narrateur qui s’exprime en phrases syntaxiquement complexes comme les négations ou

62
C. de Santi et P. Malausséna (…) « Les aventures de Pique le hérisson », Affiches et Cahier 1, Paris : Retz.

121
expressions particulières (par ex.: « Il ne rigole plus qu’à moitié ! »). Concernant la
compréhension, les images et les répétitions, fournissent des supports facilitant, permettant
aux enfants d’entrer dans le décodage du texte, avec les marques graphiques qui les
interpellent.

L’album abordé à T3, « Toutou dit tout », de C. Boujon63, contient les caractéristiques d’un récit
vraisemblable, proche du contexte de vie familiale des enfants d’âge préscolaire. L’histoire de
Pierre, inscrite dans celle de sa famille, se déroule sur un empan temporel assez long, mais pas
défini. Le récit est raconté par un chien, de sa propre perspective. La structure narrative est
simple ; elle consiste en une description d’une suite représentative des comportements de
Pierre – il tire la langue dans toutes les situations possibles – et des inquiétudes de ses parents.
Le nœud de l’histoire est constitué de la venue au monde d’un bébé, la petite sœur de Pierre,
dont le nom reste inconnu, et qui guérit Pierre. Une partie de l’histoire est close, mais une
nouvelle commence avec les comportements de la petite qui deviennent à son tour
inquiétants : elle donne les coups de pieds…. Quelle famille ! – constate le chien résigné.

Ce troisième album est le plus complexe. Ce récit vraisemblable raconté par le chien Toutou,
n’est pas facile d’accès. La perspective du chien-narrateur, implique quelques aménagements
du texte, renforcé par les images. Nous sommes face à un texte court et concis, le discours
direct est utilisé par les personnages qui s’adressent à Pierre, et il est rapporté par le chien, qui
utilise le on collectif représentant la famille à laquelle il appartient, suivi de l’imparfait (ex :
« tire la langue » -disait le médecin). Seulement à deux reprises, le chien utilise le « je »
individuel pour donner son avis, et alors son discours est bien différent du récit principal ; il est
mis en visibilité dans des bulles comme dans une BD. Plusieurs organisateurs textuels gèrent la
cohérence du récit (devant, voici, car, enfin, et, comme, de temps en temps, puis, sans que,
quand, mais). La syntaxe est simple, avec utilisation de l’imparfait pour raconter, rapporter ce
qui s’est passé avec Pierre ou du conditionnel au moment des changements. Le chien-narrateur
utilise quelques fois les sentences-sagesse des chiens du type : « Montre ses dents qui veut
mordre. (p. 13) »

7.5.2. LES ÉMOTIONS DANS LES RÉCITS

Les émotions si importantes dans la vie des jeunes enfants, sont exprimées différemment d’un
album à l’autre. Dans le premier ce sont les couleurs des images qui changent et qui sont liées
aux émotions de la petite poule : les couleurs sombres lorsqu’elle travaille toute seule, le vert
de l’espoir quand elle demande de l’aide à ses trois amis ; le jaune vif pétillant à la fin du livre et

63
C. Boujon (1991) « Toutou dit tout », Paris : lutin poche de l’école des loisirs.

122
à la fin de son travail exprime la joie du labeur fini, la joie de la revanche et la joie de partage du
fruit de son travail avec ses proches.

Dans le deuxième album, une amplitude d’émotions est exprimée dans le texte et marquée par
des points d’exclamation. Pique qui n’aboutit pas à sa farce, rigole d'abord, mais passe assez
rapidement par d’autres états émotionnels ; à la fin il pleurniche car les animaux ont peur, ils se
fâchent, ils ne veulent plus sortir et jouer avec lui.

Dans le troisième album, les sentiments éprouvés par les membres de la famille face aux
comportements de Pierre et ensuite de sa petite sœur, sont rapportés et interprétés par
Toutou : la honte de maman, l’inquiétude des parents face à ces symptômes bizarres, la colère
des autres enfants face à Pierre qui leur tirait sa langue, la résignation et les émotions fortes de
Pierre à la naissance de sa petite sœur, son désarroi…. Le texte souligne en général l’image, le
renforce par un commentaire qui tire la morale à partir de la sagesse des chiens, ou du sens
commun.

7.5.3. LES SCRIPTS QUI SE DÉGAGENT

La présence de plusieurs scripts renvoie au contexte de la vie des enfants, à leurs connaissances
du monde environnant :

Concernant « La Petite poule » : les scripts de la campagne, de la ferme, du travail à la ferme –


culture ou élevage, des animaux de la ferme. Le choix de l’auteur du livre porte sur de petits
animaux et non pas la vache ou le cheval qui sont plus emblématiques de la campagne et de la
ferme. Le script de la maternité (poule et ses poussins) et le rôle de la mère sont aussi présents..

Pour ce qui est « du hérisson », soulignons le script du jeu de « cache-cache », le script de la


forêt, des saisons, et celui de la vie des petits animaux.

Dans « Toutou dit tout », on retrouve le script de la famille, celui des relations
parents/enfants/animal domestique, les questions d’éducation et les conséquences de la
naissance de la petite sœur.

Ces scripts sont potentiellement exploitables par les enfants selon leurs connaissances
générales du monde, ou par les enseignants qui en connaissent certains éléments. Par exemple,
celles qui ont été élaborées collectivement par le groupe classe, en amont du travail sur l’album.
Pour l’album de la poule, la visite à la ferme et la production du pain, ont été vécues ensemble
lors d’une excursion l’année auparavant ; pour l’album du Pique, une série de leçons ont été
effectuées autour de la vie du hérisson en environnement. Elles ont, préparé cette thématique

123
et permis d’introduire les éléments de description des décors et de sa mise en évidence. Quand
à l’album de Toutou, l’identification des enfants au héros et leur expérience de vie avec les
animaux domestiques, se sont avérés particulièrement porteurs des contenus échangés en
classe.

7.6. COMPOSANTES POTENTIELLES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE

Dans notre démarche d’élaboration des catégories d’analyse, nous partons des catégories
élaborées dans le cadre des travaux de l’équipe de Saada-Robert sur les composantes du savoir
lire/écrire constitutives de la situation-problème de Lecture/Ecriture Emergentes (ou LEE, in
Saada-Robert et al., 2003, p. 49). Elles se basent sur les résultats de recherches en
psycholinguistique sur les modèles d’acquisition de la langue écrite par les jeunes enfants
mentionnés dans le cadre théorique de notre travail.

Ces composantes formelles du savoir lire/écrire, sont regroupées en trois grands groupes : 1) les
composantes métacognitives renvoient à la représentation fonctionnelle de l’écrit par les
enfants, à leurs stratégies d’apprentissage, à l’explication et à l’argumentation de leurs points
de vue, ainsi qu’à leur conceptualisation des notions qui se manifestent dans le métalangage
concernant l’écrit ; 2) les composantes textuelles et discursives concernent les composantes
pragmatique et sémantique large, les composantes morphosyntaxiques interphrastiques, ainsi
que de l’organisation et la structure textuelle comme les propriétés du genre de texte avec ses
organisateurs de cohérence et de progression ; 3) les composantes scripturales linguistiques qui
comprennent la composante morphographique comme la segmentation lexicale, ou la prise en
compte d’unités morphographiques grammaticales et lexicales ; la composante logographique
qui porte sur les indices visuels saillants des unités lexicales ou sublexicales ; la composante
alphabétique (connaissances des lettres, conscience phonologique, correspondances
phonographiques) ainsi que la composante orthographique qui tend vers l’écriture
conventionnelle.

Ces composantes se retrouvent dans nos codages et dans nos analyses ultérieures, pour
correspondre aux objectifs d’enseignement apprentissage de première année primaire, comme
mentionné plus haut. Ces objectifs visent, rappelons-le, l’acquisition progressive des
composantes alphabétiques à travers le travail autour des albums de littérature enfantine qui
permettent d’aborder plusieurs composantes en même temps. Il s’agit là essentiellement du
travail sur le code alphabétique intégré dans une exploration et une compréhension de l’histoire
de l’album travaillé. En outre, l’album permet le passage de la sémiopicturalité vers la

124
sémiographie, qui devient le centre des interventions enseignantes, avec le passage vers la
lecture, l’acte même de lire, comme vont le montrer nos résultats (partie III).

Dans notre cas, les catégories d’analyse ont été entièrement revues et adaptées à la situation
précise de notre recherche ; elles gardent toutefois les appellations d’origine ainsi que leur
regroupement en composantes sémiopicturalles et sémiographiques, qui conservent pour nous
leur sens premier (voir le tableau 6, cf. 9.3.).

En résumé, les trois albums peuvent être caractérisés de complexes, dans la mesure où chacun
d’entre eux contient un ensemble de composantes textuelles, linguistiques, ou métacognitives
qui peuvent apparaitre ou non dans l’interaction, en fonction des intentions inhérentes aux
enseignants pour telle ou telle séance de travail. Nous relevons donc la complexité de ces
supports, leur potentialité et leur richesse en tant que ressources des échanges. En même
temps, ils constituent des médiateurs multiformes de ces échanges et nous allons tenter de
saisir dans la partie des résultats ce qui pourra en être fait, autrement dit leur exploitation
activation/apparition lors de l’interaction même, selon les intentions des enseignants en
prenant en compte les connaissances des élèves qui évoluent durant l’année.

125
126
CHAPITRE 8 : RECUEIL DES DONNÉES

Il existe plusieurs types de catégorisations des données recueillies pour la recherche. Van der
Maren (1996) parle de données invoquées, suscitées ou provoquées ; Kerbrat-Orecchioni (2005)
les distingue en données naturelles, élicitées, ou obtenues. Nous adoptons cette deuxième
catégorisation en soulignant avec la dernière auteure ce qu’on comprend par des telles
données :

«Par données (…) on entend ici tout échantillon de discours-en-interaction supposé


représentatif du/des phénomène(s) à étudier.» (Kerbrat-Orecchioni, 2005, p. 24)

Le premier type des données, les données naturelles (naturally occurring) se caractérisent par le
fait qu’ « elles existent en l’état indépendamment de leur exploitation pour la recherche. » (ibid.
p. 25) comme nos observations en classe bilingue d’enfants sourds. Comme le souligne l’auteure
plus loin, la meilleure façon de fixer ce type des données est celle que nous avons utilisée, par
enregistrement vidéo ou audio, complet et continu. (ibid. p.25).

Le deuxième type des données, « les donnés élicitées, sont au contraire provoquées par le
chercheur, par ex. les récits produits en situation d’entretien (…) et qui sont fournis en réponse
à une question de l’informateur (…). Sans être naturelles, les données ainsi obtenues peuvent
être dites authentiques. » car elles relèvent « des productions réalisées dans des situations plus
ou moins naturelles ou artificielles, mais par des personnes réelles64. » (p. 25)

Le troisième type des données, les données obtenues, reconstruites, empruntées à des œuvres
littéraires, ou des questionnaires, ne sont pas naturelles ni authentiques (p. 25).

Notre recueil aboutit à ces trois types des données, dont deux sont authentiques et un
reconstruit, les trois susceptibles de nous fournir des pistes d’analyses ultérieures, celles qui
permettront de répondre aux questions de recherche :

1. les enregistrements audio-vidéo des séances en classe, et les protocoles qui en


découlent, peuvent être considérés comme données naturelles
2. les bilans psycholinguistiques individuels au début et à la fin des observations en classe,
sont plutôt des données élicitées.
3. les traces écrites concernant le recueil des données, certaines informations de la part
des enseignants sur le déroulement des séances, leur intentions de départ et leurs
commentaires, ainsi que les informations concernant les progrès des enfants, les
activités spécifiques qui complètent celles qui sont enregistrés… sont alors des données

64
Comme le souligne l’auteur : to elicit signifie faire jaillir q.ch. de caché ou mettre à jour des vérités d’après les
données (Kerbrat-Orecchioni, 2005, p.25).

127
obtenues, reconstruites selon les besoins du chercheur face aux doutes interprétatifs
des deux autres sources des données.

Rappelons ici que les albums de littérature enfantine utilisés dans cette recherche apparaissent
comme donnés, déjà là, et constituent ainsi un support appartenant au contexte de la situation
didactique. Ils ont été analysé plus haut avec leurs potentialités en termes des composantes du
savoir lire/écrire qu’ils contiennent (cf. analyse a priori 7.5.)

8.1. LES SÉANCES EN CLASSE

Chaque série d’enregistrements audio-visuels des séances en classe correspond à une séquence
didactique consacrée au travail autour d’un album de jeunesse choisi. A chaque temps
d’observations une nouvelle séquence didactique était enregistrée.

Les enregistrements recueillis portent sur 5-8 séances par période d’observation (trois en tout).
Chaque séance se déroule sur une durée de 34-55 min. (soit au total entre 15h au 24h
d’enregistrements pour chacun de trois temps d’observation).

Les enregistrements ont été faits par deux caméras prenant deux angles de vue différents. Ces
enregistrements bruts étaient d’abord « déblayés » en entier, autrement dit, ils ont été
visionnés une première fois, dans un double but : d’une part, de saisir la logique interne des
séances, dans une posture d’empathie. D’autre part, de concevoir une première forme de
condensation des données sous forme de tableaux décrivant le déroulement de chaque séance
(voir un exemple de tableau en annexes). Ainsi, nous avons pu procéder au choix des séances
les plus saillantes par rapport à l’objet d’étude et aux questions de recherche. Ce sont celles qui
ont été transcrites. De cette manière, six séances (la première et la dernière de chaque temps
d’observation) ont été sélectionnées, pour les transcriptions complètes et continues (Van der
Maren, 1996) et parmi elles, les trois premières séances de chaque temps ont été dépouillées et
analysées dans ce travail. Chacune de ces trois séances comprend la découverte d’un album
nouveau, appréhendée d’une manière comparable à chaque temps, comme l’explique en partie
l’analyse a priori (cf. 7.4.)

Les transcriptions ont été effectuées en deux grandes phases, dépendantes de l’utilisation de
deux caméras pour le recueil des données. La première était dirigée vers les enseignants et le
tableau avec une prise plus générale sur le groupe classe et les supports utilisés ; la deuxième a
enregistré la même situation didactique sur le coté cette fois-ci, de plus prêt, et dirigée sur les
élèves pour avoir une vue complète des leurs réponses/intervententions.

128
La première transcription a concerné donc la première caméra, mais a nécessité elle-même une
double visualisation : tout d’abord les échanges menés par l’enseignante entendante (ou EE)
dans les deux langues a été effectuée, une transcription la plus précise possible de ce qui est dit
et signé, le marquage des interventions des élèves à compléter, avec un traçage des moments
d’intervention de l’enseignant sourd (ou ES) ; ensuite, un retour spécifique sur les interventions
de ce dernier a été nécessaire pour préciser les signes, positionnements des mains et du corps,
expressions du visage, tous les éléments importants appartenant à la langue des signes.

La deuxième phase de transcription a compris le même travail minutieux en deux temps, cette
fois-ci avec le premier canevas de transcription issu de la première caméra (le tout en utilisant le
logiciel TRANSA65). Les élèves ont ainsi été ciblé, afin de préciser et/ou de compléter ce qu’ils
disent dans la langue vocale ou signent, montrent ou soulignent, regardent, mais aussi pour
vérifier de plus près les enchainements discursifs entre les interactants, leurs chevauchements
etc.

8.2. LES BILANS PSYCHOLINGUISTIQUES

Les bilans psycholinguistiques ont été effectués au début (T1) et à la fin des observations (T3).
Ils ont été adaptés sur la base des épreuves existantes, élaborées pour des enfants entendants
(Rieben & Saada-Robert, 1997 ; Saada-Robert et al. 2003). Elles ont été confrontées à la
population des enfants sourds lors de la phase de l’étude exploratoire, afin de procéder à leur
adaptation et éviter l’effet « plafond » (cf. sur l’étude exploratoire 7.3.). Les épreuves se
concentrent sur la dimension lexicale en identification et en production (identification de mots
cibles, écriture de mots, comptage de mots dans une phrase) et sur la dimension sublexicale
dans ces deux variantes (identification de lettres, écriture de lettres, comptage de syllabes dans
un mot) qui sont également travaillées en classe durant cette année scolaire.

Les quatre tâches lexicales – écriture de mots, identification de mots, comptage de syllabes dans
un mot et de mots dans une phrase (2 phrases de 8 mots) ont été construites avec deux items
d’exemple et ensuite huit items de passation. Chaque item réussi recevait un point. Les enfants
disposaient d’aides visuelles (images, la langue des signes) dans chaque tâche pour bien
comprendre la consigne et pour pouvoir répondre sans entraves66.

Les épreuves concernant les lettres (identification et écriture) comptaient 32 lettres


comprenant les digrammes : ou, ch, au, oi, on, en ; elles étaient échelonnées également sur 8
points, en donnant la valeur de 0, 25 à chaque item. L’ordre d’apparition des lettres reprenait

65
Transana, version,2.1 de Wiscontin Center for Education Research, [http://www.transana.org/]
66
Les exemples des tâches avec les consignes et le matériel proposé se trouvent en annexes.

129
les apports des recherches de Rieben et Fayol (2001) sur l’ordre d’apprentissage des lettres de
l’alphabet par des jeunes enfants ; il était le suivant :

o, i, s, a, e, z, c, x, m, p, u, v, n, t, j, l, r, w, k, b, g, d, f, y, q, h, au, ou, ch, on, oi, en.

En prenant en compte le degré scolaire que les jeunes participants suivent, et donc les objectifs
d’enseignement apprentissage en première primaire, nous avons ajouté à la liste des 26 lettres,
les 6 digrammes qu’il était prévu de travailler en classe cette année-là ; ils ont constitué pour
nous la garantie d’éviter l’effet « plafond » dans les résultats du groupe.

Pour ces deux épreuves sublexicales, nous avons disposé d’une grille vide proposée aux élèves
où les lettres devaient être inscrites par chaque enfant. Une autre grille, cette fois-ci remplie,
nous servait pour l’épreuve d’identification les lettres, afin d’y marquer les lettres non-
identifiés, ou les lettres identifiés avec erreurs (par exemple en miroir au début de l’année). Les
deux grilles, celle d’élève pour l’écriture et celle de chercheur pour l’identification, sont
numérotés, avec les numéros correspondant aux numéros des cartes des lettres présentées
pour l’identification. Pour cette dernière, les items ont été montrés un à un sur un support en
carton blanc (écriture script en minuscules, de couleur noire), l’élève ayant la possibilité de
répondre soit en nommant la lettre, soit en utilisant la LSF et une épellation manuelle
(dactylologie).

La passation des épreuves s’est déroulée dans un ordre alternant les unités lexicales et
sublexicales, ordre guidé par le souci d’éviter un effet de lassitude ou de contamination :

Tableau 3. Passation d’épreuves au bilan psycholinguistique


Première session Deuxième session

1. Identification de lettres 1. Identification de mots-cibles


2. Ecriture de mots 2. Ecriture de lettres
3. Comptage de syllabes 3. Comptage de mots dans une phrase

Les deux sessions ont différé d’un jour ou du matin à l’après midi.

8.3. LE RECUEIL DES AUTRES TRACES

Les traces écrites recueillies sur le terrain sont de différents genres : les cahiers d’élèves, les
notes des enseignants quant à leurs objectifs pour les leçons précises, les notes de la
chercheuse quant au déroulement des séances et les commentaires des enseignants recueillis
en fin de séances. Ces informations complexes ne seront pas traitées de manière systématique

130
dans la suite de ce travail mais servent à mieux comprendre le contexte de la situation
didactique observée ; elles fournissent des appuis précieux aux interprétations des données
d’observations.

8.4. LES PARTICIPANTS67

Un petit groupe de quatre enfants sourds de 6-7 ans (au début de l’année scolaire) avec leurs
deux enseignants, un enseignant Sourd (ES) qui utilise uniquement la langue des signes (LSF) et
une enseignante spécialisée entendante (EE) qui utilise la langue vocale et la LSF, participent à
cette recherche. Tous les enfants sont atteint de la déficience auditive (moyenne à sévère), et
chacun porte des appareilles auditives sur les deux oreilles, depuis au moins deux ans (la
rentrée à l’école enfantine ou plus tôt suivant la découverte de la surdité et son diagnostic).
Voici quelques caractéristique des enfants en fonction de leur appartenance à la famille
entendante ou sourde ; la présence de la fratrie (entendante/sourde) ; le statut de la famille à
Genève (famille genevoise (ou bien établie à Genève) vs la famille migrante avec un statut
précaire) ; le type de surdité ; l’appareillage ; langues parlées dans la famille ; parcours
préscolaire ; l’indication des autres maladies ou déficiences si nécessaire.

Le tableau 4 résume ces caractéristiques :

Tableau 4 Caractéristiques des enfants participant à la recherche.

Nom d’enfant/ Ade Igo Geo Bar


caractéristiques
Parents E/S E E E E
Fratrie E/S Non 3E Non 1E
Famille Gen/Migr Gen Migr Migr Gen
Type de surdité Sévère (80db) Sévère (80db) Moyenne Légère-moyenne
Appareillage Oui Oui Oui Oui
Langues en Français et LSF Albanais, Espagnol, Portugais,
famille français, peu LSF français, peu LSF français, peu LSF
Parcours Jardin d’enfants Cadre familial et Crèche ordinaire, Garderie
préscolaire à Montbrillant ensuite à mais difficultés ordinaire, mais
Montbrillant et ensuite à échec et ensuite
Montbrillant à Montbrillant
Autres Non Non Fente palatine ADHD68 en cours
maladies bien maitrisée de diagnostic

67
Les noms des enseignants son codés en ES pour enseignant sourd et EE pour enseignante entendante ; ceux des
élèves participant à cette recherche sont codés en trois premières lettres des prénoms fictifs répondant ainsi à
l’étique de la recherche.

131
68
ADHD – Attention Deficit Hyperactivity Disorder ou en français : Trouble du déficit de l’attention/hypéractivité
(TDAH)

132
CHAPITRE 9 : DES OBSERVATIONS AU CORPUS ANALYSÉ
Dans ce chapitre nous décrivons pas à pas les procédés de dépouillement des microgenèses
didactiques (Balslev & Saada-Robert, 2007, p. 60) mentionnés déjà dans le chapitre 6. L’objectif
est de démontrer la construction progressive, durant la recherche, de ces données qui passent
des données observées aux données élaborées, celles qui à leur tour peuvent être analysées de
manière interprétative et compréhensive à la fois.

9.1. LA PREMIÈRE ÉTAPE : « SUR LE TERRAIN »

L’approche du terrain est une étape cruciale dans la mesure où la collaboration avec ses acteurs
est indispensable lorsque les observations se déroulent in-vivo dans les situations de la classe.
Lors de l’étude exploratoire, les enfants et les enseignants ont eu l’occasion de discuter avec la
chercheuse sur les objets généraux de la recherche et sur ses hypothèses, sur ses retombées
pour les pratiques enseignantes, ainsi que sur les aspects organisationnels du recueil des
données. La présence en classe d’une personne supplémentaire qui enregistre les enfants et
leurs enseignants n’est pas anodine. Deux caméra qui captent le déroulement des leçons
étaient placées de manière que l’une était dirigée sur les enseignants et les enfants, prenant
l’ensemble de la scène, alors que l’autre était dirigée de coté, prenant plus particulièrement les
échanges entre élèves, tout en ayant une vue partielle des enseignants et du tableau. Elle a été
utilisée comme support et complément des données captées par la première caméra. Notre
posture de chercheur était celle de l’empathie envers les acteurs observés, et tentait de limiter
au minimum les influences de sa présence. Une période de présence en classe avec la caméra
mais sans enregistrer les échanges a été prévue lors du démarrage de l’étude exploratoire, afin
de familiariser les enfants et leur permettre de poser les questions possibles. Ainsi notre
démarche peut être qualifiée d’écologique dans la mesure où le recueil des données a poursuivi
le principe de préserver au mieux les conditions naturelles de leur production (Pallotti, 2002, &3).

9.2. LA DEUXIÈME ÉTAPE : « TRADUIRE, C’EST TRAHIR »

La transcription peut être considérée comme forme transcrite de l’interaction (Filliettaz, 2008, p.
98) qui permet de stabiliser les flux d’activité enregistrés, dans le but de les rendre accessibles à
l’analyse. Cette phase d’élaboration des données permet d’appréhender les processus
dynamiques d’enseignement apprentissage observés en interaction en classe. Ainsi, lors de
cette étape d’élaboration des données le chercheur opère à la fois une sélection, une
interprétation, un découpage et une catégorisation des propriétés de l’interaction (Filliettaz,
133
ibid., p. 99). C’est pourquoi la transcription écrite de l’interaction ne peut pas prétendre rendre
compte de la totalité de ses propriétés, mais elle en constitue une trace partielle, orientée par
l’objet d’étude et le questionnement de la recherche.

La transcription faite dans le cadre de notre recherche a rencontré des difficultés qui se
résument en quelques questions constantes : Comment transcrire le discours oral en langue
écrite sans en perdre les caractéristiques ? Comment transcrire la langue des signes en tant que
forme d’oralité ? Comment rendre justice à cette langue tridimensionnelle qui exploite l’espace,
le mouvement, les mimiques et les regards, et la rendre transcriptible dans la langue linéaire et
bidimensionnelle de l’écrit ?

9.2.1. CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION

Voici quelques principes de base de transcription que nous avons respecté (emprunté à
Deslauriers (1991) p. 69) :

«le document transcrit doit rendre justice aux différents interlocuteurs et il doit être établi
dans le respect des droits et de la dignité des personnes qu’il concerne ; (…) le document
transcrit doit tendre à reproduire la suite orale [dans notre recherche une suite filmée, vocale
et signée] le plus fidèlement possible ; (…) le transcripteur doit s’attacher au sens de ce qu’il
transcrit et intervenir pour lever toute ambigüité créée par le passage à l’écrit ; (…) une
transcription première doit être généreuse et fournir le plus de renseignements possible ;
( …) » (V. Labrie (1982) cité par Deslauriers, ibid.)

Ces interrogations ont eu pour effet que notre transcription comprend plusieurs commentaires
entre parenthèses, présentant déjà un autre niveau de description par rapport à ce qui se passe
in situ, qui tente de relever les significations de certains éléments du co-texte : postures et leur
changement, gestes en tant que marques de référence, pointages, soulignements. Également,
les éléments du contexte : gestes didactiques des enseignants, rappels de la mémoire
didactique, des événements vécu par le groupe-classe, ou ruptures momentanées du contrat
didactique par des événements extérieurs ou la gestion de la classe, sont notés.

La transcription prend ainsi un rôle d’orchestration selon Kerbrat-Orecchioni, (2005, p. 27)


hautement complexe, où le chef et la partition sont quelques fois entremêlés ou non visibles à
l’exemple d’un polylogue de huit personnes dont les paroles se chevauchent en permanence.
Cette reconstruction écrite de la « partition invisible » peut se faire à partir de la transcription
« la plus soucieuse possible de restituer les plus infimes détails de la parole échangée», pour
nous du discours à la fois vocal et signé. D’autre part, la même auteure nous met en garde
contre les systèmes de transcription si complexes qu’ils deviennent lisibles uniquement pour les

134
chercheurs qui les ont élaborés dans le souci de lever toute ambigüité du passage de l’oral à
l’écrit, mais qui ne peuvent pas être reproduits. (ibid, p. 28)

Allant dans le même sens et pour garantir la lisibilité des matériaux transcrits, nous essayons de
nous approcher au maximum des échanges effectivement produits, mais nous sommes
consciente, avec beaucoup de frustration, que ce travail a ses limites. Plusieurs autres
chercheurs ont essayés de rendre la langue des signes écrivable. Dans ce domaine il n’y a pas
encore de consensus : les transcriptions linguistiques sont toutefois les plus proches des
particularités de la langue des signes étudiée (par ex. le système britannique de transcription)
ou des essais de systèmes d’écriture pour la langue des signes qui se développent ces dernières
années dans plusieurs pays du monde comme le SignWriting (initié par V. Sutton, 1974, aux
USA), ou le SignEcriture, version adaptée en Suisse Romande (Prélaz-Girod & Morel, 2010).

Puisque notre étude ne ressort pas du domaine linguistique en soi, la transcription proposée ici
retient certains éléments de la linguistique de la langue des signes, comme les annotations des
classificateurs ou de certains mouvements ou configurations des mains, ainsi que les adressages
visuels, ou les descriptions de certaines mimiques du visage comme pour les questions, etc. Ces
éléments sont particulièrement significatifs pour l’analyse de la dynamique interactionnelle en
classe, et des significations qui s’y cachent. Toutefois, elle a ses limites en tant que transcription
la plus fidèle de la LSF, car elle relève plutôt des significations et s’approche par moments de la
traduction (interprétation) et non pas d’une réelle description linguistique de tous les
paramètres de cette langue, riche et complexe.

L’ordre des signes est celui de la locution, donc des locuteurs qui l’émettent, ce qui ne
correspond pas toujours à la syntaxe du français ou à la syntaxe de la LSF.

Les conventions de transcription sont données en annexe.

Voici un exemple de transcription du T2 (séq.1) au début de la séance69 :

8. EE: et ben c'est une nouvelle histoire NOUVELLE HISTOIRE et c'est


une histoire en lien avec le hérisson LIER AVEC HERISSON POURQUOI
9. [Igo: JE SAIS PAS
10. ES: TU SAIS TU SAIS TU PROGRESSES (acquiesce la tête et la fonction
affirmative du regard)]
11. EE: pourquoi POURQUOI et ben parce que nous avons appris beaucoup
des choses sur le hérisson APPRENDRE BEAUCOUP CHOSES HERISSON on
sait on sait on sait SAVOIR SAVOIR SAVOIR beaucoup BEAUCOUP BEAUCOUP
ah ! (fonction de pluriel par les emplacements successifs du signe
BEAUCOUP étendu dans l’espace)
12. Ade: AVANT avant on savait pas l’hérisson HERISSON c'est quoi

69
La numérotation correspond à celle de la transcription brute d’origine qui se trouve en annexe.
135
13. EE: oui mais maintenant on sait MAINTENANT SAVOIR SAVOIR
14. Bar: mais moi j'ai déjà vu un hérisson

Légende :
- en MAJUSCULES sont marqués les signes de la langue des signes (LSF), en utilisant pour chaque signe la
forme française la plus proche (Niederberger, 2005, pp. 358 – note de bas de page numéro 1) ;
- les segments soulignées sont prononcés très bas, presque inaudibles (rapprochement de l’enseignante
entendante au mode de fonctionnement des Sourds et le phénomène de mouthing – mouvements des
lèvres sans voix rappelant la production orale qui accompagne les signes (Boyes-Braem, 2000)) ;
- [les crochets carrés] indiquent la simultanéité : ici l’enseignant sourd (ES) finit la discussion avec Igo
(US, 9 et 10), en même temps que l’enseignante entendante (EE) continue l’introduction de la séance ;
- (entre parenthèses) figurent les commentaires qui dans cet exemple concernent les aspects
linguistiques spécifiques à la LSF : emplacement des signes dans l’espace (US, 11), fonction du regard et
expression du visage avec son mouvement (US, 10)70.

9.2.2. VALIDITÉ DE LA TRANSCRIPTION

La chercheuse n’étant pas une personne appartenant à la communauté des Sourds, ni une
experte attestée71 en langue des signes, une vérification de la transcription a été nécessaire.
Une première a eu lieu au début des prises des données, lors de la recherche exploratoire. Un
premier essai de transcription immédiate des données enregistrées a été soumis à la vérification
de l’enseignant Sourd participant à la recherche. Ses remarques ont permis de compléter la
transcription et de noter les éléments importants sur lesquels il fallait être vigilant tout au long
de cette étape primordiale d’élaborations des données (par exemple les adressages visuels, les
pointages).

La deuxième vérification, externe cette fois-ci, faite par un interprète en langue des signes, a été
effectuée lors du traitement des données, où quelques éléments de doutes sont apparus. Des
doutes quant à la profondeur des interprétations, leur granularité et leur finesse relevant de la
compréhension des données. Les enregistrements des séances choisies pour la recherche et la
description faite ici, ont été entièrement revus en collaboration et discussion constante avec cet
expert externe au recueil des données et à la situation d’enregistrement.

Comme nous le voyons, deux types de validation ont été nécessaires pour assurer la lisibilité de
ces données complexes, et leur validité écologique (Van der Maren, 1996); une validation
interne par l’enseignant participant à la recherche, et une validation externe, par l’interprète en
langue des signes.

70
Les conventions de transcription complètes se trouvent en annexe.
71
Comme les sont les interprètes diplômés en français/LSF.

136
9.3. LA TROISIÈME ÉTAPE : AUX PRISES AVEC LA CATÉGORISATION DES DONNÉES TRANSCRITES EN
TERMES D’UNITÉS TRIADIQUES

Les procédés de découpage des observables en unités de sens prennent en compte des indices
synchroniques, locaux, immédiats, ou dans une autre approche, de séquentialité, de
temporalité ou de diachronie des échanges (Mondada, 2004), ces deux types d’indices portant
sur l’élaboration du sens. Dans ce mouvement du particulier au général et du général au
particulier, les postures de chercheur changent. D’une posture d’empathie et d’ouverture
envers les observables, d’une immersion dans les données pour en faire émerger les
significations internes et les faire parler, il passe à une posture plus analytique, utilisant alors les
modèles et les concepts théoriques qui ont permis de formuler les questions de recherche. Le
mouvement inductif s’accompagne alors d’un mouvement déductif, tendant vers la
modalisation et la théorisation des observables.

Notre analyse est fondée sur le découpage de deux unités triadiques mettant en jeu les trois
pôles du triangle didactique (enseignants-élèves-savoirs). Plusieurs chercheurs nous ont
précédés dans la tâche délicate de définition et d’opérationnalisation d’une telle unité qui
consacre une attention particulière autant à l’enseignant qu’à l’apprenant, tous les deux aux
prises avec un savoir particulier. Ainsi, Coll & Marti (2001) soulignent l’importance de cette
étape préalable à l’analyse en tant que telle :
«(…) le choix d’une unité d’analyse ou d’un système d’unités d’analyse est aussi bien un
moment décisif de la démarche méthodologique empruntée dans toute recherche, qu’une
partie essentielle de la démarche théorique dans laquelle s’inscrit la recherche et au
développement de laquelle on veut contribuer avec les résultats et leur interprétation ». (p.
44).

En nous basant sur les travaux de l’équipe de professeure Saada-Robert, nous avons pris en
compte deux unités triadiques qui ont émergés de plusieurs travaux, comme le résume Balslev
dans sa thèse (Balslev, 2006). Entre autres, le travail de Coll et Onrubia (1994) nous parait
intéressant à reprendre, car ces auteurs ont étudié non seulement le processus d’enseignement
apprentissage dans son déroulement, mais également les rapports qui relient l’enseignant aux
élèves pendant l’interaction. Ils proposent un système d’unités d’analyse qui se base sur la
temporalité, le déroulement de l’activité en cours, dans laquelle deux processus prennent place.
Le premier se centre sur le phénomène de cession du contrôle de l’activité des enseignants aux
élèves (dans quelle mesure une telle cession a lieu ?) et sur celui du transfert de ce contrôle à
l’autre (va-et-vient entre l’enseignant et les élèves) ; la question de la responsabilité en cours
d’activité, telle qu’elle est prise par l’enseignant et éventuellement cédée momentanément aux

137
élèves fait également partie de leur objet d’étude. Ce dernier se résume dans une question :
comment ces cessions et ces transferts ont-ils lieu et pourquoi ?
Le deuxième processus au cœur de leurs travaux se centre sur une élaboration conjointe des
significations partagées et la construction d’une compréhension commune (« shared meaning »)
entre l’enseignant et ses élèves. Leur question devient alors : en quoi les cessions et les
transferts du contrôle de l’activité participent-ils au, ou influencent-ils, le processus de
construction progressive des significations partagées dans une même activité ? Et finalement,
comment l’un processus se reflète t-il dans l’autre ?

Dans notre recherche, le découpage des données en unités de sens renvoie à l’unité de base
minimale qui se rattache au sens latent ou caché des énoncés, aux intentions des partenaires
sur le savoir (Balslev, Martinet & Saada-Robert, 2006, p. 45). Chaque unité de sens (ci-après US)
est catégorisée de deux manières : selon le contenu des énoncés – qui peuvent représenter une
composante du savoir lire/écrire ou des composantes se rapportant au contexte de la situation
didactique – et selon sa modalité énonciative, par exemple la reformulation ou l’apport
d’information etc. qui se rapporte donc aux intentions qui sous-tendent le discours.

Exemple de transcription T2, tour de parole 3 :

3. ES: DIRE EN LANGUE DES SIGNES REFLECHIR PROGRESSER (deux significations sont
possible pour ce signe : se développer ou progresser) MIEUX EVOLUER/ PAS SAVOIR/
MAINTENANT PROGRESSER SAVOIR SAVOIR BIEN//(à EE) IL M’A DEMANDE (pointe Igo)
SIGNE EVOLUER évoluer (il vocalise) C’EST QUOI// (il explique pour tous) EVOLUER
PROGRESSER SAVOIR PLUS SAVOIR MIEUX/ (à Igo) AVANT TU SAVAIS PAS MAINTENANT TU
SAIS TU SAIS TU SAIS

Voici comment ce tour de parole complexe est découpé en unité de sens (Tableau 5 ci-dessous)
selon les deux descripteurs, celui des composantes du savoir en jeu, et celui des modalités
énonciatives:

138
Tableau 5. Exemple d’un découpage d’un tour de parole en Unité de Sens
T US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Contenu Modalité
Géo, Bar

2 Igo: EVOLUER QUOI LEXSEM INA susc

3a ES: DIRE EN LANGUE DES SIGNES LEXSEM AppInfo


REFLECHIR PROGRESSER (deux
significations sont possible
pour ce signe : se développer
ou progresser) MIEUX EVOLUER/
PAS SAVOIR/ MAINTENANT
PROGRESSER SAVOIR SAVOIR
BIEN//

3b (à EE) IL M’A DEMANDE (pointe LEXSEM ReformRép


Igo) SIGNE EVOLUER évoluer (il
vocalise) C’EST QUOI//

3c (il explique pour tous) LEXSEM AppInfo


EVOLUER PROGRESSER SAVOIR PLUS
SAVOIR MIEUX/

3d (à Igo) AVANT TU SAVAIS PAS CONTVIE ReformRép


MAINTENANT TU SAIS TU SAIS TU
SAIS

La première unité est majoritairement lexicale dans cet exemple, portant sur le mot ou sur sa
signification (noté LEX/LEXSEM) ; cette même unité change dans la dernière unité en contexte
de vie (noté CONTVIE). En effet, elle revêt alors une autre fonction que l’on pourrait appeler
« pédagogique », se référant au contexte de vie et plus précisément au contexte scolaire dans
lequel l’élève Igo évolue, apprend, progresse. L’intention de l’enseignant sourd est non
seulement répondre à la question posée par cet élève (US 2) sur le mot « évoluer » qu’il ne
connait pas, mais également de valoriser ses apprentissages, et le féliciter pour ses acquis. La
dimension motivationnelle et affective des apprentissages scolaires apparait alors dans ce court
échange.

Le deuxième descripteur, la modalité énonciative, change d’un apport d’information (noté


AppInfo, 3a, 3c), à la reformulation et répétition d’un énoncé précédent (noté ReformRép, 3b,
3d). Nous relevons aussi une modalité énonciative de l’élève (US, 2) qui est une intervention
non attendue suscitée par l’énoncé précédent de l’enseignante entendante (US, 1). Cette
intervention, par sa façon inattendue montre l’engagement de l’élève, et son attention sur ce
qui se dit, et qui peut l’interroger. Il se fait voir, remarquer par l’enseignant le plus proche pour
faire valoir sa question et recevoir une réponse. L’enseignant sourd profite de cette occasion
non seulement pour lui fournir l’information qu’il cherchait, mais s’adresse aussi aux autres
élèves en leur expliquant la signification du mot « évoluer » (US, 3c).

139
L’ensemble des protocoles transcrits, portant sur les trois périodes d’enregistrements
audiovisuels en classe, T1 à T3, a aboutit au découpage de 4178 Unités de Sens, avec une
variation à chaque séance de Lecture Interactive qui s’exprime comme suit : 1248 US à T1, 1133
US à T2, et 1797 US à T3.

La deuxième unité triadique que nous découpons dans nos données, la séquence
microgénétique, est comprise comme unité fonctionnelle de la dynamique des interactions, des
échanges sur le savoir. Elle est définie en tant qu’unité d’analyse diachronique qui sera
interprétée sur le plan opérationnel comme une suite d’unités de sens impliquant tous les
partenaires et portant sur un contenu [composante] de savoir dominant (Saada-Robert &
Balslev, 2006, p. 2)

9.3.1. DÉFINITIONS DES CATÉGORIES ET CODAGES

Comme nous l’avons décrit dans le chapitre 7.6. les composantes formelles du savoir lire/écrire
qui ont été définies par les travaux scientifiques sur l’acquisition de la lecture/écriture. Ces
composantes sont enrichies des composantes didactiques concernant les gestes professionnels
des enseignants et de composantes contextuelles qui s’avèrent très importantes pour de jeunes
élèves observés en situation de classe (Saada-Robert et al., 2003).

Concernant les composantes d’analyse des énoncés, rappelons que plusieurs potentialités sont
amenées par la richesse des albums et la complexité de la situation didactique. Nous reprenons
les catégories émergentes de l’analyse a priori des albums (cf.7.5.) et nous les définissons en
utilisant les termes existants des catégories élaborées dans l’équipe de Saada-Robert (Saada-
Robert et al. Ibid.). Nous les adaptons pour les besoins de cette recherche, comme l’ont
fait aussi Gamba (2006) pour sa recherche ; Balslev (2006) ; Navarro William (2011) ; Zeiter-Grau
(thèse en cours) etc. Ainsi, les catégories sont redéfinies, et les exemples proviennent du corpus
de notre recherche. Pour les catégories de dépouillement selon les contenus des énoncés, les
catégories suivantes apparaissent dans nos analyses : composante sémantique (SEMANT),
composantes sémiopicturales – celles qui décrivent l’image (PICFORM) et celles qui se basent
sur l’image pour se référer à la compréhension ou déroulement de la narration (PICNAR); les
inférences (INFER) et les composantes sémiographiques, qui sont nombreuses et qui se basent
sur les indices relevés dans le texte. (tableau 6, ci-dessous). Elles se partagent entre deux
ensembles : les composantes sémiopicturales et sémiographiques, car l’intention sous-jacente
des enseignants engagés dans la situation de LI est de mener leurs élèves progressivement des
éléments d’image vers les éléments plus complexes contenus dans le texte.

Voici comment les catégories de dépouillement selon le contenu des énoncées ont été définies :

140
Tableau 6. Catégories de dépouillement selon le contenu des énoncés (composantes) et leurs définitions.
Composante Sous- Définition / code Exemple (n° d’unité de sens)
compos
COMPOSANTE L’énoncé porte sur la compréhension ou le T1,220-« EE : mais dans le livre LIVRE
SEMANTIQUE déroulement du récit en général sans DEDANS on va trouver quoi ? TROUVER
mention d’ indices picturaux ou graphiques QUOI (…)
/ SEMANT T1,222-A : une histoire »
INFERENCES L’énoncé indique clairement que l’enfant T1,41-« EE : pourquoi poule POURQUOI
fait une inférence en attribuant des POULE ?
capacités humaines à un héros ou à un T1,42-A : non poule POULE parce que
objet/ INFER maman MAMAN »
COMPOSANTE Description L’énoncé porte sur la description de l’image, T1,114-« EE : alors ici on a dit DIRE/ on voit
SEMIO- prise isolément du récit complet, du livre, VOIR la poule POULE
PICTURALE ou sur ses aspects esthétiques-formels / T1, 115-B : la poule
(indices pris PICFORM T1, 116-EE : et des poussins »
sur l’image) Narration L’énoncé, basé sur l’image, se réfère à la T1, 345-« A : pourquoi POURQUOI la poule
compréhension et au déroulement du récit / va POULE TRAVAILLER AVEC PELE
PICNAR travailler »
COMPOSANTE Conceptuali- L’énoncé porte sur la représentation de T1, 14-« I : ECRIRE MOI DIFFICILE »
SEMIO- sation de l’écrit ou la conceptualisation des unités
GRAPHIQUE l’écrit linguistiques CONCECR /
(indices Conceptual° L’énoncé porte sur la fonction de la lecture / T3, 21d-« EE : (…) tu étais assise ASSISE
linguistiques) de la lecture CONCLEC comme ça (mime la position d’ A..) avec un
livre AVEC LIVRE et tu lisais LIRE ou bien tu
regardais les images peut-être REGARDER
IMAGE PEUT-ETRE
22-A.: non j’arrivais à lire »
Organisation L’énoncé porte sur un indice de l’organisat° T1, 448-« I. : TITRE TITRE
textuelle textuelle (titres, marqueurs de ponctuation, 449-ES : (à EE) LUI (pointe I.)
paragraphes), et/ou sur la compréhension 450a-EE : le titre TITRE mais oui OUI »
du texte qui lui est liée / ORG ou ORGSEM
Narration L’énoncé, basé sur le texte, se réfère à la T3, 553-« EE : Toutou dit tout ça veut dire CA
compréhension et au déroulement de VEUT DIRE qu’il va tout raconter tout dire
l’histoire / GRANAR DIRE TOUT sur la famille peut-êtreFAMILLE
PEUT-ETRE »
Lexical L’énoncé porte sur l’unité lexicale (un mot) T1, 281b-« EE : FERME la ferme
et/ou sur le sens à en tirer / LEX ou LEXSEM 282-A : f- ferme »
Sublexical L’énoncé porte sur une unité plus petite que T1, 574-« EE : c’est où écrit l-a- L- A-
le mot, et/ou sur le sens à en tirer / SUBLEX 575-A. : l-a- L-A » SUBLEX-lettre
ou SUBSEM /noter sur quelle unité il porte
(phono, lettre, syllabe)
Logograph. L’énoncé porte sur une unité graphique T1, 699b-« EE : écoute moi bien poule
traitée de manière logographique / T1, 700-G. : (montre le mot petite) »
LOGOGR
Repérage L’énoncé porte sur le repérage d’un mot T1, 686-« EE : G. tu penses que TU PENSES
lexicale dans une phrase ou un bout du texte c’est écrit où poule ECRIRE POULE OU »
REPLEX
Repérage L’énoncé porte sur le repérage d’une entité T3,728-« EE : alors vous allez regarder si
supralexicale plus grande que le mot par ex. d’une vous trouvez ça dans votre texte/ est-ce que
expression ou d’un bout de la phrase ou de c’est écrit ‘devant la fenêtre’ ? »
la phrase entière REPSUPRA
Lecture L’énoncé revient à une lecture du texte, T3, 451-« EE : et ça c’est quoi (elle souligne
avec ou sans pointage des mots LECT le mot dit)
452-B. : d-i- DIRE»

141
Ces catégories sont complétées par d’autres qui relèvent aussi du contenu des énoncés mais qui
sont situées dans la classe, contextualisées, et liées à trois dimensions. A la dimension
didactique à la charge de l’enseignant d’une part, comme les contenus pragmatiques de
l’interaction didactique (PRAGM), où l’énoncé concerne alors l’enjeu, le destinataire, le but et le
déroulement de l’activité comme dans cet exemple : T1,7 – « EE : MAINTENANT maintenant (…)
on va travailler ensemble TRAVAILLER ENSEMBLE / LIRE lire » ; soit aux dimensions contextuelles
d’autre part, celles qui apparaissent en tant que connaissances du monde de l’enfant (évoqué la
plupart du temps par les élèves mais aussi par les enseignants) et qui peuvent se référer à son
contexte de vie (CONTVIE) ou à sa connaissance des livres et leurs pratiques sociales (PRATLIV) ;
soit finalement l’énoncé concerne la gestion didactique : la gestion du groupe (GESTGR) et
l’engagement des élèves (ENG +/-), ou les catégories qui sont plus liées au travail de
l’enseignant comme faire progresser l’activité (PROGACT), être attentif aux aspects
métacognitifs des apprentissages (META), confronter les avis des élèves, ou leurs hypothèses
(CONFR).72 Ces catégories s’ajustent aux catégories des composantes de savoir qui ont été
présentées plus haut, dans la mesure où elles sont toutes deux contenues dans les énoncés.

A côté de leurs contenus, premier descripteur des énoncés, ces derniers laissent aussi
apparaître un second descripteur, celui des modalités énonciatives. Elles renvoient à la situation
en train de se dérouler, tant à la manière de production du discours en interaction, qu’à sa
construction préalable. Nous pouvons toutefois emprunter plusieurs catégories en connaissant
les situations similaires d’enseignement apprentissages, comme pour la recherche mentionnée
plus haut sur l’émergence de l’écrit. Cependant, les modalités énonciatives ont dû être
entièrement redéfinies dans le contexte de notre propre étude, adaptées des catégories
existantes dont elles portent le nom.

Comme le montre le tableau suivant, la modalité des énoncés ne correspond pas aux indices de
surface, à la forme que prend l’énoncé (questions, réponses, assertions). Elle se repère sur la
base des indices de sens ou indices latents qui correspondent à l’intention qui se cache derrière
l’énoncé. De cette manière, certaines modalités de la part des enseignants sont plus ouvertes
aux échanges, comme par exemple les relances (Rel), les passages de contrôle (Passcontr), les
validations avec la reformulation ou non (Val ou ReformVal) ; en effet, elles « invitent » les
élèves à s’engager dans l’interaction, elles font une place à leur dires et/ou leur signes. D’autre
part, les modalités plus fermées permettent aux enseignants de réorienter les échanges
(Réorient) sur les composantes s’approchant des objectifs de la séance, de donner des
informations nouvelles (AppInfo) et faire avancer la leçon d’une manière plus dirigée (injonction
ou réfutation d’une proposition – validation négative). D’autres modalités n’ont pas
nécessairement ces fonctions fortes d’ouverture ou de fermeture aux échanges dans la mesure

72
L’ensemble des catégories selon les contenus des énoncés et des modalités énonciatives se trouvent en annexes.

142
où elles portent surtout sur la compréhension de l’énoncé précédant, sa correction ou sa
reformulation avec réfutation.

Voici les catégories de dépouillement selon les modalités énonciatives73 utilisées dans cette
recherche :

Tableau 7. Catégories de dépouillement des modalités énonciatives et leurs définitions.


Indice latent Définition / code Exemple (n° de l’unité de sens)
Apports d’information L’énoncé apporte une information T1, 7a-« EE : MAINTENANT mai'nan'
et commentaires (Ens) nouvelle ou un commentaire en lien avec une nouvelle histoire DEBUT
les objectifs (composantes) NOUVELLE HISTOIRE HISTOIRE
LIVRE »
Appinfo
Relances (avec pass. L’énoncé part d’un contenu déjà formulé T1, 17a-«EE : alors cet après-
de contrôle) avant et vise à pousser les él. plus loin midi…»
dans leur propre direction ; il suppose un T1, 92a-« EE: alors regardez
passage de contrôle à l’autre / Rel VOIR »
Passage de contrôle L’énoncé vise à donner la parole à l’autre, T1, 43-«EE:(à A.) TOI»
en dehors des relances / Passcontr T1, 73a-«EE:(à G.) t'as
compris ? T'AS COMPRIS »
Injonction L’énoncé vise à faire agir ou dire quelque T1, 11b-« EE : alors il faut
chose de précis, de factuel essayer ESSAYER d'utiliser
Inj UTILISER les mots qu'on
connait MOTS CONNAITRE »
T1,21-«EE:(à B.)toi tu vas
sortir TOI SORTIR »
Réorientation L’énoncé consiste à réorienter les T1, 26-« EE:(elle prend le livre
échanges de façon à ce qu’ils progressent "La petite poule rousse" et
vers un autre contenu montre aux enfants la 1ère
page de couverture) »
Réorient°
Refor- Répétition L’énoncé répète un autre énoncé en oral ou T1, 93-96 « Ade: ah! il y a
mu- en LSF beaucoup! (…)
lation ReformRép Bar: oui il y a beaucoup
Ade: oui il y a beaucoup »
Compréhen- L’énoncé reprend ou non un énoncé T1, 60 « EE: (à Géo) hein? »
sion précédent et vise une meilleure T1, 61-« Géo: pourquoi elle les
compréhension de ce que l’interlocuteur a garde? pourquoi elle va les
dit garder? (signe avec
difficulté) »
ReformCom
T1, 81a « EE: un chasseur ? »
Correction L’énoncé reprend un énoncé précédent en T3, 426-427 «B. : doudou
le corrigeant ReformCorr EE : doudou non c’est un tou-tou »
Validation L’énoncé reformule un énoncé précédent T1, 92b-« EE : c'est vrai C'EST
pour le valider (en + ou -) VRAI C'EST VRAI t'as raison »
ReformVal+
Validation (Ens ou El) L’énoncé valide ou met en doute un T1, 78a « EE : oue »
énoncé précédent, sans reformulation T1, 147 « EE : oue POULE la
Valid + ou - poule »
T1, 420a « ES: OEUFS NON »

73
Les dénominations de ces catégories ne correspondent pas nécessairement aux dénominations linguistiques
comprises sous le terme de modalités énonciatives ; elles relèvent d’une certaines hétérogénéité en se rapportant
par exemple aux forces illocutoires (comme Injonction ou Apport d’information) ou aux notions permettant de
saisir le déroulement de l’interaction (Relances, Reformulations).

143
Du coté des élèves, considérés comme partenaires des interactions, leurs catégories propres
d’interventions/réponses sont les suivantes :

Tableau 8. Catégories d’intervention, réponse des élèves.


Intervention ou Provoquée / oui-non Attendue I/RAprov T1, 22 « Bar : non » RNA prov
réponse attendue ou contenu de la R dans non-att I/RNAprov T1, 27 “Ade: ah!” RA prov
non-attendue (par la Q, marge de
Ens ou autre El). liberté fermée
A= prévisible à Suscitée / phrase Attendue I/RAsusc T1, 4 « Ade: la prochaine
l’avance par Ens, yc développée non-att I/RNAsusc APRES APRES » INA susc
rép incorr acceptées T1,
monentanmt Invoquée / apport Attendue I/RAinv T1, 31-32 « Igo: /k- k- k- !/
NA= soit hors-objet d’une nvelle info, non-att I/RNAinv COQ COQ
enseigné, soit dedans traitée pour la 1ère X Ade: une poule! POULE»
mais incorr et non dans la séance
accepté, ou encore
rép non prévue par
Ens mais qui fait
avancer la leçon

I/RA (interventions ou réponses attendues) ou I/RNA (interventions ou réponses non attendues)


peuvent être plus ou moins ouvertes, variant de I/RA ou I/RNA invoqués, le plus ouvertes et
apportant une information nouvelle, suscités qui sont en général liés à ce qui précède dans
l’interaction (question des enseignants, interventions d’autres élèves), et provoqué qui sont des
interventions/réponses le plus fermées qui sont très courtes et d’habitude se résument à un
« oui » ou un « non ».

Les réponses des enfants sont liées aux modalités plus ou moins ouvertes des enseignants. La
présence de certains types des modalités de la part des enseignants provoque ou suscite les
enfants à répondre d’une certaine façon. La présence des interventions invoqués non attendues
donne une certaine « mesure » de la force des enfants et leurs capacités à s’exposer, à prendre
une place de partenaire dans l’échange, peu importe si cela amène la leçon plus loin ou non.
Nous pouvons observer toute sorte des propositions de ce type : les unes vont tout-à-fait avec
l’objectif de la leçon donc amènent une information nouvelle, reprise par les enseignants dans
la mesure où elles leur servent pour amorcer la suite des interactions ; d’autres interventions
par contre, n’ont rien ou peu à voir avec le déroulement des activités en classe. Nous allons le
montrer dans les chapitres de la partie III de ce travail.

9.3.2. VALIDITÉ DES CATÉGORIES

Plusieurs types de vérifications sont possibles pour tester la validité du codage des données
qualitatives. Dans notre cas, le test intra-juge nous parait le plus adapté pour le besoin de notre
recherche.

144
Ces catégories, une fois définies et mises à l’épreuve dans un dépouillement vont ensuite être
retravaillées et stabilisées par un test d’intra-juge. Pour être satisfaisant, ce dernier doit
indiquer au moins 80% de correspondance entre une première catégorisation et une seconde,
après un intervalle de trois semaines (Van der Maren, 1996). Nous avons procédé à ce test en
prenant le Temps 3 d’observation comme base, plus précisément sur les 100 premières unités
de sens (US) du protocole dépouillé.

Le premier test intra-juge, c’est avéré non satisfaisant, et dans cette situation-là, un retour aux
données brutes a été nécessaire, afin de s’imprégner à nouveau de la situation observée et de
mieux comprendre les significations sous-jacentes du protocole, comme les intentions des
enseignants et les fondements des réponses des enfants. Une nouvelle redéfinition plus précise
des catégories et une exemplification plus stricte, ont donné de bons résultats, dans la mesure
où un nouveau test intra-juge s’est révélé très satisfaisant cette fois-ci (96% pour les contenus
des énoncées et à 85% pour les modalités énonciatives).

9.4. LA QUATRIÈME ÉTAPE : LE DÉCOUPAGE DU PROTOCOLE EN SÉQUENCES MICROGÉNÉTIQUES

L’étape suivante d’analyse consiste en repérages des régularités, des incidents récurrents, à
travers une analyse fine du déroulement des séances. Elle prend en compte les composantes de
savoirs dominantes, même si d’autres contenus énonciatifs peuvent être aussi présents, mais
plus ponctuellement, n’entravant pas la logique interne de la séquence. Les séquences sont
déterminées en suivant la logique des enseignants, qui est guidée par la logique des objets
d’enseignement apprentissage ; cependant quelques fois nous pouvons observer la logique des
élèves qui ne suivent pas le même temps didactique et n’ont pas les mêmes intentions d’arriver
a un certain « port » comme leurs enseignants.

La longueur des séquences est variable, et elle peut différer d’une vingtaine d’US à une
centaine. Quels sont des indices permettant le découpage ?

Prenons l’exemple d’un extrait du dépouillement du protocole organisé de T2 qui montre sur
quels indices nous nous appuyons pour déceler les moments de changements, les US
« charnières » ou les séquences où la dynamique interactionnelle sur un objet faibli, s’épuise et
un changement s’impose pour faire avancer la leçon, dans la direction guidée par les objectifs
généraux à atteindre lors de cette séance de travail. Voici l’extrait de dépouillement du
protocole T2, séquences 4-6:

145
Tableau 9. Exemples des indices permettant le découpage en séquences microgénétiques
T US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Géo, Bar Contenu Modalité

Les séquences 1-3

Séquence 4, dominant REPLEX, repérage des mots identifiés auparavant par les enfants dans la description d’image, passage
par le SUBLEX, pour se guider dans ce repérage, et pour l’écriture des mots par l’enseignante. (les enfants sont actives, viennent
montrer les mots identifiés au tableau chacun son tour)

(187- Plusieurs mots ont été Les enfants participent bien,


348) explorés, repérés dans le texte chacun veut montrer le mot
et écrits par enseignante recherché au tableau, tour à
(…) tour...

327 Géo: moi (il lève son bras) -o- - SUBLEX-lettre RA susc
i- O-I-

328a EE: -o-i- -O-I- -I- OUI SUBLEX-lettre ReformVal+

328b ça fait -wa- SUBLEX- ReformRép


phono

329a [ES: OISEAU OU MOT REPLEX Rel

329b O-I- SUBLEX-lettre Rel

330 Igo: (au tableau cherche le mot REPLEX RA susc


et trouve juste)]

331 EE: mais oui OUI tu savais REPLEX ReformVal+


BRAVO

332 ES: OUI OISEAU MOT (acquiesce REPLEX ReformVal+


la tête)

(...)

Séquence 5, dominant PICFORM, réfutation d’existence de renard sur l’affiche, confusion faite par les enfants avec écureuil ?

349 Bar: il y a renard tu te rappelles (fait peut- PICFORM INA inv


être une confusion entre l’écureuil à
l’image et le renard)

350 EE: y a pas de renard Y A PAS PICFORM ReformVal-

351 ES: Y A PAS RENARD PICFORM ReformVal-

(...)

366a Igo: là (montre quelque chose sur l'image PICFORM RNA susc
va au tableau)

366b noon NON PICFORM RNA prov

367a EE: Y A PAS// PICFORM Val-

146
Séquence 6, dominant CONCECR, réorientation des enfants vers l’étude des textes écrits sur l’image

367b alors maintenant MAINTENANT on va PRAGM Réorient


s'intéresser (dit tout bas presque
inaudible) S'INTERESSER ECRIRE (elle
entoure l'image)/

367c (elle se lève et montre aux élèves) là CONCECR AppInfo


c'est écrit ECRIRE (elle entoure l’espace
d’écriture sur la feuille d’image) là c'est
écrit et là c'est écrit c'est moi qui vous le
montre MONTRER/

Les indices typiques d’un tel découpage sont surtout les réorientations de la part de
l’enseignant, souvent suivis d’un apport d’information, et l’introduction par la même d’un
nouveau contenu, comme dans le passage entre la séquence 5 et 6 (entourées en vert). La
nouvelle direction donnée par l’enseignante est très claire, elle coupe net avec ce qui a été
discuté auparavant, et introduit un nouveau contenu (conceptualisation de l’écriture, CONCECR)
qui est dominant dans cette séquence ; c'est-à-dire que sa proposition a été suivie par les élèves
puisque les échanges se sont instaurés autour de ce contenu.

Mais d’autres indices du découpage entre deux séquences sont possibles, cette fois-ci du côté
des élèves. L’indice relevé lors du passage de la séquence 4 à la séquence 5 est moins fréquent,
c’est l’intervention inattendue d’un élève, Bar (entouré en bleu) qui produit un court échange
sur un contenu portant sur la description d’image (PICFORM), et par ce fait, introduit un retour
sur ce contenu. Cette boucle permet de lever un malentendu concernant un héros de l’histoire
mais les enseignants et les autres élèves, n’y reviennent pas et n’investissent pas.

La longueur en elle-même peut constituer un indice de changement, comme au passage entre la


séquence 4, qui est très longue, et la séquence 5. L’exploration des mots identifiés arrive à sa
fin, on sent que le changement est proche et que les enseignants vont l’introduire pour aller
plus loin dans le travail. La dynamique de la séquence faiblit, on remarque l’apparition d’autres
contenus (parasites) entre autres, la gestion du groupe, ou le contexte de vie qui ne sont pas liés
à l’activité en classe (US 339-342 dans le protocole complet en annexe). L’attention des élèves
se disperse et un ressaisissement de la part des enseignants est nécessaire.

147
9.5. LA CINQUIÈME ÉTAPE : LA CARACTÉRISATION DE LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE DES
SÉANCES

L’interaction en classe est transposée dans la transcription en discours et c’est ce discours en


interaction qui sera analysé dans la suite de notre travail (Kerbrat-Orecchioni, 2005).

Après le découpage des US en séquences, leur enchainement est analysé d’un double point de
vue : du point de vue du contenu dominant et selon la dynamique interactionnelle. Celle-ci, est
repérée à partir de plusieurs indices : la position des initiateurs du discours dans l’interaction,
manifeste ou latente ; la présence de modalités ouvertes ou fermées dans une séquence ; et les
reprises de discours de l’autre. Celles-ci peuvent être immédiates comme des reprises intra-
séquence Tour à Tour ; ou comme des reprises intra-séquence distanciées, qui appartiennent
toujours à la même séquence, mais apparaissent plus en aval ou en amont. Les reprises inter-
séquence sont par contre plus éloignées, apparaissant plus loin dans le déroulement de la
séance ; sous forme de rappels ante, elles dépassent même la temporalité de la séance
analysée, ou même du temps d’observation de cette recherche comme par exemple des rappels
d’une autre séance ou d’un événement partagé par le groupe classe (Balslev, Saada-Robert &
Tominska, 2009).

Dans une perspective interactionnelle, nous explorons les prises de parole des élèves et leurs
validations par les enseignants, pour répondre aux questions suivantes : par quels biais
prennent-ils part au discours ? Comment ils y entrent et comment leurs interventions sont-elles
constitutives de l’avancée de la leçon ? Comment leurs propos sont-ils repris par les
enseignants, à travers des reformulations, des validations, etc. ?

Ce type d’analyse nous permet de repérer les places prises par les élèves et par les enseignants
qui facilitent les premières en terme d’ouverture et de fermeture au dialogue, ou plus
concrètement d’ouverture ou de fermeture aux significations émergentes de l’autre partenaire
de ce discours. Dans cette analyse nous soulignons aussi les ajustements des uns et des autres
qui sont nécessaires pour que les significations émergentes deviennent partageables (Zone de
Compréhension en voie de construction) et partagées dans l’échange (ZdC commune). Dans
cette optique nous rendons compte des éléments constitutifs du guidage interactif par lequel
les enseignants guident leurs élèves dans l’activité.

Ce procédé de dépouillement nous amènera dans les résultats à nous attarder quelque peu sur
les caractéristiques multimodales des interactions bilingues, typiques pour cette classe, ainsi
que des éléments autant linguistiques que gestuels, spatiaux, qui sont à la base de
l’établissement et du soutien de l’attention conjointe entre les partenaires.

148
Le procédé six du dépouillement des microgenèses didactiques consiste à repérer des patterns
de significations ainsi que des états de la zone de compréhension qui leur correspondent.

9.6. LA SIXIÈME ÉTAPE : REPÉRAGE DES PATTERNS DE SIGNIFICATIONS ET DES ÉTATS DE LA ZONE DE
COMPRÉHENSION

Ce procédé reprend les analyses faites aux étapes précédentes et les approfondit pour
permettre une analyse de la coconstruction du sens (Balslev & Saada-Robert, 2007). Par ce biais,
il saisit les étapes de la construction conjointe de la zone de compréhension qui s’établit entre
les partenaires des échanges. Chaque séquence se voit attribuer un pattern de significations
dominant (Balslev, 2006, Martinet, Balslev, Saada-Robert, 2007) et leur enchaînement permet
de comprendre comment, de quelle manière, la dynamique de coélaboration du sens sur les
composantes du savoir lire/écrire en jeu, se poursuit entre les enseignants et les élèves durant
chaque séance de travail. Cette zone s’établit-elle d’emblée, ou bien les partenaires doivent-ils
opérer quelques ajustements pour se comprendre ? S’ils se sont compris, comment la zone de
compréhension est-elle soutenue par les partenaires ? Par quels « états » passe-elle pendant la
séance ? (Balslev, 2006)

Pour pouvoir attribuer les patterns de significations, nous nous basons sur deux éléments. Tout
d’abord, nous observons quelle est la participation des partenaires. Pour les élèves, sont-ils
initiateurs des échanges ? Les enseignants suivent-ils leurs propositions ? Comment les
enseignants font-ils pour s’approcher de leurs objectifs et y amener les enfants ? Ensuite, c’est à
nouveau l’analyse des modalités énonciatives dans chaque séquence (en tant que modalités
fermées ou ouvertes) qui permet de répondre à ces questions, ainsi qu’une analyse des
ajustements réciproques entre les partenaires du même échange.

Pour ce faire, la posture inductive du chercheur est de nouveau nécessaire, même si les
définitions des patterns sont préexistantes et ont été élaborées avant cette analyse (Balslev &
Saada-Robert, 2007). En effet, l’imprégnation dans la situation et dans l’échange entre les
partenaires permet de saisir ce qui s’y passe et de faire ressortir les significations de l’intérieur
même du discours.

Les patterns des significations se définissent ainsi d’après Balslev et Saada-Robert, (2007,
p.103), et nous allons les exemplifier par quelques extraits de la première séance (T1) de notre
recherche :

149
Significations imposées : l’enseignant impose ses significations sans chercher à connaitre celles
de l’élève (IMP)

Tableau 10. Exemple du pattern de significations imposées.


US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Géo, Bar Contenu Modalité

Séquence 1: dominance PRAGM, mise en place de l’activité, explication de son déroulement, quelques
difficultés de gestion du groupe GESTGR et d’engagement de la part des élèves
US 1-5 rappel de transition d’une activité en cours jusqu’à lors et d’une ouverture vers cette nouvelle
activité….
6 Ade: et main'nan' on PROGACT INA susc
va faire quoi?
7a EE: MAINTENANT mai'nan' PROGACT AppInfo
une nouvelle histoire PRAGM
DEBUT NOUVELLE HISTOIRE
HISTOIRE VRAI (erreur en
LSF)/
7b LIVRE LIVRE JE TE DONNE PRAGM Passcontr
(p-) JE TE DONNE(p-)JE TE
DONNE(p-)JE TE DONNE
(s’adressant à chaque
enfant successivement
mouvements dans l’espace
de la parole)/
7c /on va travailler ensemble PRAGM AppInfo
TRAVAILLER ENSEMBLE / LIRE
lire
8 Ade: lire PRAGM INA susc
9 EE: aussi AUSSI EXERCICES PRAGM AppInfo
s'exercer à écrire ECRIRE
ECRIRE ECRIRE (changements
d’emplacement) aussi des
nouveaux NOUVEAUX MOTS
mots
10 Igo: ah ah ah (bouge ENG- INA susc
et joue avec le
skotch AA)
11a EE: aussi AUSSI des mots PRAGM AppInfo
MOTS que vous connaissez
déjà CONNAITRE DEJA/
11b alors il faut essayer PRAGM Inj
ESSAYER d'utiliser
UTILISER les mots qu'on
connait MOTS CONNAITRE
12 Ade: MOT CONNAITRE PRAGM ReformRé
p
13 ES: (à Igo) CALME (il lui GESTGR Inj
prend le skotch)

Dans cette première séance l’échange commence par les « significations imposées » par les
enseignants, ce qui est assez fréquent au début de la séance, ou les objectifs de travail et le
déroulement de la séance sont annoncés aux élèves. Nous remarquons des modalités fermées
qui sont dominants (AppInfo, Inj) et les élèves ne sont pas encore prêts pour suivre leurs

150
enseignants (comme Igo) ou commencent à produire des réponses ou intervenir (comme Ade),
mais encore sur le mode plutôt répétitif que collaboratif (Ade, US 8, 12).

Accès aux significations de l’apprenant : l’enseignant cherche à percer les significations sous-
jacentes aux actions de l’élève ou celui-ci donne spontanément à voir ces significations (APPR)

Tableau 11. Exemple du pattern de l’accès aux significations de l’apprenant.


US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Géo, Bar Contenu Modalité

Séquence 2 : dominant PICFORM avec des INFERENCES qu’Ade propose concernant la poule et son rôle de
maman, découverte de l’image de la première de couverture
26 EE: (elle prend le livre PROACT Réorient
"La petite poule rousse" °
et montre aux enfants la
1ère page de couverture)
27 Ade: ah! PICFORM RA prov
28 Bar: ah! le cochon/ PICFORM INA inv
29 EE :(elle lui montre la PICFORM Rel
première page de
couverture)
30 Bar : euh ENG- RA prov
31 Igo: /k- k- k- !/ COQ PICFORM RA inv
COQ
32 Ade: une poule! POULE PICFORM RA inv
33 EE: COQ POULE PICFORM Valid+
34 Ade: une poule POULE PICFORM RA susc
35 Bar: /ko! ko! ko! ko!/ PICFORM RA inv
36 Igo: MOI PAS VOIR OU ENG- RNA
RAPROCHER VERT (bouge susc
son pupitre pour mieux
voir)
37 Ade: et /ça c'est/ COQ PICFORM RA susc
le coq il fait /ko ko
ko!ko ko ko!/
38 ES: (à Igo qui bouge son GESTGR Inj
pupitre) REGARDE EE
39 EE: CA COQ POULE ça coq ou PICFORM Rel
poule? CONFR
40 Ade: poule POULE PICFORM RA susc
41 EE: pourquoi poule INFER Reform
POURQUOI POULE? Com
42 Ade: non poule POULE PICFORM RNA
parce que maman MAMAN INFER inv

Le début de cette séquence est presque entièrement laissé à la charge des élèves, ce sont eux
qui s’expriment sur ce qu’ils voient avec une certaine emphase et excitation. Les enseignants
(surtout EE) valident les propositions des enfants (US, 33) et ensuite commencent à poser les
questions (US, 36). Au niveau des modalités, ce pattern se traduit par les réponses et
interventions des élèves qui sont souvent nouvelles, invoquées (INA inv ; RA inv) bien
qu’attendues par les enseignants, puisqu’on est au début de la découverte de la couverture.
Ensuite, ce pattern est confirmé par l’engagement des élèves, initiateurs des échanges (surtout
Ade). Très peu de modalités des enseignants sont fermés (seulement pour gérer les

151
comportements non désirables en classe : Igo et ES – US36-38). Elles relèvent d’un ajustement,
d’une ouverture aux propositions des élèves et surtout des inférences d’Ade qui vont dans le
sens des objectifs que les enseignants se sont fixés pour cette séance. Nous observons par ces
indices (modalités d’énoncés combinées aux contenus) que les élèves sont invités à être actifs
autour des composantes du savoir maîtrisables, comme la description d’images ici (PICFORM).
La place leur est cédée par les enseignants dans le but d’exploration émanant d’abord de leur
expérience, se basant sur les images pour ensuite se reconfigurer et se complexifier. Le guidage
des enseignants sera alors plus présent.

Significations conjointes en construction : l’enseignant, conscient des significations attribuées


par l’élève, pose des questions ou fournit des explications permettant à ce dernier de trouver la
solution nouvelle (CONSTR)

Tableau 12. Exemple du pattern des significations conjointes en construction.


US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Géo, Bar Contenu Modalité

Séquence 6 : PICNAR dominant, hypothéses par rapport au contenu du texte, et au déroulement de l’histoire
220 EE: mais dans le livre PICNAR Réorient
LIVRE DEDANS on va trouver °
quoi ? TROUVER QUOI
221 Igo: CHAT COCHON PICFORM RA susc
222 Ade: une histoire PICNAR RA inv
223 EE: une histoire de quoi PICNAR Réorient
HISTOIRE QUOI °
224 Ade: histoire de poule PICNAR RA inv
HISTOIRE POULE
225 EE: histoire de poule PICNAR Reform
HISTOIRE POULE OUI Val+
226 Ade: et des poussins PICNAR RA inv
POUSSINS
227a EE: et des poussins PICNAR Reform
POUSSINS/ Val+
227b et pis ça s'passe où cette PICNAR Réorient
histoire? SE PASSE OU °
228 Ade: à la maison PICNAR RA inv
MAISON de poule POULE

Comme nous le voyons ici, les significations se construisent en coélaboration entre les
enseignants (EE ici) et les élèves (surtout Ade) et les bouts de cette construction conjointe sont
à la charge des deux interactants (les enseignants et les élèves). Ces premiers attendent
l’émergence des significations de la part des élèves et posent les questions dans le but de mener
plus loin les élèves dans l’élaboration des significations construites (ou reconstruites) autours du
même contenu (PICNAR).

Nous avons ici un exemple d’une autre catégorie, celle de la Juxtaposition des significations :
l’enseignant et l’apprenant activent les significations différentes concernant le savoir en jeu
(JUXT) : elle apparait dans la réponse d’Igo (US, 221) qui reste encore sur la description des
images, quand la leçon se dirige déjà vers un autre contenu, celui du déroulement de la
narration à partir d’images (PICNAR).

152
Significations partagées : l’enseignant et l’élève se comprennent immédiatement, c’est-à-dire
qu’ils activent les mêmes significations (PART)

Tableau 13. Exemple du pattern des significations partagées.


T US Enseignants : EE + ES Elèves : Igo, Ade, Géo, Bar Contenu Modalité

Séquence 21 : dominance LEX, essai de lire le titre CONCLEC, passage par le lexique LEX, et les
composantes sublexicales SUBLEX, les enfants partent vers leur contexte de vie pour donner exemples
845 Géo: la- LA- SUBLEX RA susc
846 Bar: la poule LA LEX RNA
susc
847a EE: la- SUBLEX Rel
847b NON non on a dit la poule LEX Reform
c'est là (montre le mot Val-
poule au tableau)
847c et là? (montre le mot LEX Passcont
petite) r
848 Bar: PETIT LEX RA susc
849 ES: PETIT TU TE RAPPELES LEX Reform
Val+
850 Géo: PETIT LEX RA susc
851 ES : (à Igo) QUOI LEX Rel
852 EE: oui bravo petite PETIT LEX Reform
Val+
853 Bar: petite PETIT LEX RA susc
854 Géo: poule POULE LEX RA susc
855 EE: poule POULE LEX Val+
856 Ade: poule POULE LEX RA susc

Ce n’est que beaucoup plus loin, à la fin de cette séance, que les enseignants et les élèves
partagent leurs significations autour du contenu élaboré lors de cette leçon, un contenu lexical,
lié au titre de l’album. On constate l’apparition de réponses immédiates, comme celle de Bar
(US, 848), récompensée par les validations d’ES (US, 849) et d’EE (US, 852) et les répétitions par
la suite des autres enfants.

Un résumé de l’ensemble des patterns de signification, mis en lien avec les états de la zone de
compréhension est proposé dans le tableau 14.

153
Tableau 14. Indices reliant les patterns de significations aux états de la Zone de compréhension.
Patterns des significations États de la Zone de compréhension

Les enseignants imposent leurs significations Non Commune (NC)


ne cherchant pas à comprendre celles des
élèves (IMP)

Les significations entre les partenaires sont Disjointe (DISJ)


juxtaposées (JUXT), elles suivent deux logiques
distinctes

Les enseignants cherchent à comprendre les En voie de construction (significations


significations des apprenants (APPR) conjointes émergent) En voie-émergent
(EVE)

Les enseignants et les élèves construisent En voie de construction (significations


ensemble leurs significations sur le même conjointes se construisent) En voie-constr
contenu (CONSTR) (EVC)

Les partenaires partagent les mêmes Commune


significations, ils se comprennent (PART)

Plutôt que par des liens de cause à effet, l’établissement des patterns et leur caractérisation
nous permet d’inférer l’état de la Zone de compréhension qui s’établit et se maintient dans le
processus interactionnel entre les élèves et les enseignants lors du déroulement des séances.
Les patterns constituent en ces termes des indices d’établissement ou pas de la Zdc, et de son
état d’élaboration si l’établissement a pu avoir lieu.

Ainsi, les patterns indiquent le degré de négociations des significations : ils passent par des
étapes de significations disjointes où les partenaires ne suivent pas les mêmes composantes du
savoir, et ne peuvent, par conséquent se comprendre, vers une étape de significations de plus
en plus partageables (tout d’abord émergentes, ensuite coconstruites) pour se terminer par des
significations partagées. Nous percevons un lien fin entre l’émergence des significations et leur
partage, avec les états de la zone de compréhension que l’on peut en inférer. Avec Balslev
(2006) revenons sur leur définition :

La zone de compréhension est non commune (ZdC NC) quand les indices permettant d’affirmer que
les deux interlocuteurs ne se situent pas dans une zone de compréhension commune, lorsqu’il est clair
qu’ils ne parlent pas de la même chose (des mêmes composantes du savoir, du même problème,
etc.).(Balslev, ibid., p.138)

La zone de compréhension est disjointe (ZdC DISJ) dans le cas où, les interlocuteurs ne se
rencontrent pas, mais chacun progresse dans sa compréhension/interprétation des éléments

154
qui sont en discussion (composantes du savoir, significations, etc.). Nous assistons dans ce cas à
des moments rares d’apparition de deux Zones pararèlles, phénomène rapidement nivellé dans
l’interaction didactique en classe.

La zone de compréhension est en voie d’être commune (ZdC en voie) quand les indices visibles
manquent, nous nous basons sur des indices diachroniques, par exemple si nous savons qu’un problème
a été abordé auparavant, nous inférons que la zone de compréhension commune a déjà été
constituée.(Balslev, ibid.)

Nous complétons ces définitions par une distinction plus fine de la catégorie zone de
compréhension en voie d’être commune (ou ZdC en voie), qui correspond pour nous à deux
patterns de significations différents : celui qui signale une émergence de significations
partageables (APPR) et celui qui témoigne de la coconstruction de ces significations par les deux
partenaires (CONSTR). Nous leur assignons deux types d’états de la zone de compréhension en
voie d’être commune :

a) celui qui fait apparaitre les significations émergentes, à la base de cet indication nous lui
inférons la zone de compréhension en voie d’émergence (ou EVE)

b) celui qui fait apparaitre la construction conjointe des significations à l’intérieur de la zone de
compréhension en voie d’être commune, nous lui inférons un état de la ZdC en voie de
construction (ou EVC)

La zone de compréhension est commune (ou Commune) quand les moments où l’enseignante
questionne l’apprenant pour saisir ce qu’il a compris, voulu dire, ou des moments où l’apprenant explicite
ce qu’il a compris, voulu exprimer, etc. et les deux se comprennent. (Balselv, ibid.)

La Zone de compréhension est considérée comme commune (ZdC CCC) dans le cas où rien ne
montre que les deux interactants ne se comprennent pas, nous considérons que la zone de
compréhension est commune. (Balslev, ibid.)

Dans notre recherche cette dernière catégorie (ZdC CCC) apparait quelque fois, aux moments où
les enseignants suivent leurs objectifs, avancent la leçon comme si les élèves suivaient tous les
mêmes composantes (objets d’enseignement apprentissage), alors que nous n’avons pas
nécessairement tous les indices de leur compréhension à ce moment précis du déroulement de
la séance. C’est pour cela qu’elle est rare et quand elle apparait, elle s’accompagne d’une autre
catégorie par ex. EVC (T1, séq. 6, tableau 32 dans la partie des résultats). Cela arrive par
exemple, si un élève interagit avec les enseignants, il mène une explication, et les autres élèves
« disparaissent » momentanément. Ils sont là, mais ils ne participent pas aux échanges en tant
que tels et nous n’avons pas d’information s’ils regardent, observent, et suivent, ou non. En
général, ils participent juste après, dans la séquence suivante pour faire part de leur
compréhension de cette même explication (T1, séq. 2 et 3). Les enseignants étant en face des

155
élèves, estiment leur engagement et leur compréhension, et continuent la leçon sans
répétitions ni détours. Ils considèrent donc la participation « passive » des élèves comme
suffisante, comme un indice de la zone de compréhension établie. Cette catégorie apparait alors
comme attribution du chercheur qui prend en compte les indices interactionnelles des actions
enseignantes, impliquant leur considération sur l’adhésion des élèves et sur leur compréhension
de l’échange en cours.

Dans le chapitre suivant nous proposons un autre type d’analyse avec les catégories issues de la
sociolinguistique et de la didactique des langues, dans le but de répondre à nos questions de
recherche qui s’intéressent au bilinguisme présent dans la classe observée.

156
CHAPITRE 10 : COMMENT CONSTRUIRE L ’ANALYSE BILINGUE DES
INTERACTIONS DIDACTIQUES?

Tout au long de notre recherche et à plusieurs moments du dépouillement de nos données,


nous nous sommes posée cette question centrale : Comment rendre compte et expliquer la
richesse de échanges bilingues en classe ? Comment leur donner toute leur poids et faire une
place particulière à ce type d’analyse, peu fréquente, car elle s’intéresse aux deux langues en
même temps (Mugnier, 2006a, Estève, 2009). Par cet intérêt, elle diffère des études sur le code
switching, ou des études sur l’utilisation des langues maternelles dans une classe de langue
seconde etc. C’est pour cette raison que la question méthodologique suivante se pose à nous :
comment construire l’analyse bilingue des interactions simultanées en LSF/français ? La
question n’est pas résolue, mais abordée, esquissée dans ce qui suit, en adoptant deux pistes :
celle d’analyser d’une part les variantes linguistiques qui apparaissent en situation de classe en
utilisant le concept du continuum des langues (Moody, 1998); et d’autre part, celle de pointer
les médiations linguistiques et les ressources multimodales (linguistiques ou non) qui nous
permettent de cerner quelques pratiques langagières des élèves dans cette classe bilingue
(Millet & Estève, 2009, 2010).

L’analyse bilingue comprend la situation analysée par les microgenèses mais de manière
différente. Les analyses microgénétiques sont centrées sur l’objet d’enseignement
apprentissage en termes de composantes du savoir lire/écrire. Elles observent la progression de
ces composantes en classe, leur négociation détaillée pendant le déroulement de chaque
séance de travail et leur progression durant l’année scolaire, à travers les interactions entre les
enseignants et leurs élèves, liés par ce travail conjoint, contractuel. Les uns et les autres
s’ajustent, et négocient les significations émergentes par rapport à ces composantes intégrées
dans le texte de l’album et son exploration pendant l’activité de Lecture Interactive. En prenant
en compte les indices diachroniques et synchroniques, ces analyses font part de l’établissement
de la Zone de compréhension commune et des négociations de significations qui prennent place
en classe face aux objets d’enseignements apprentissage abordés.

L’analyse bilingue observe la même situation d’enseignement apprentissage mais d’un autre
point de vue. Elle ne se concentre pas sur les objets travaillés lors des séances mais sur la
manière de les appréhender, et la manière de fonctionner de deux entités, enseignants et
élèves, en interaction. Elle puise donc des résultats de l’analyse interactionnelle, en termes
d’ajustements, de l’accueil et des reprises des productions vocales/signées des protagonistes,
avec « les lunettes bilingues et sociolinguistiques », cette fois-ci. Elle se focalise sur les éléments
toujours présents dans les autres analyses mais pas assez mis en avant, tels que les rôles et les
places pris par les partenaires d’un part, et les médiations linguistiques avec les ressources
157
multimodales, d’autre part. Nous allons donc revenir sur l’analyse interactionnelle relevant de
l’étape 5 de l’analyse microgénétique, pour déceler dans le déroulement même des séances, de
phénomènes liés à l’utilisation de deux langues, les rapports des places (Vion, 1992) qui gèrent
le fonctionnement du binôme des enseignants ainsi que le positionnement des élèves sur le
continuum des langues (Mugnier, 2006a, Estève, 2009). Les ressources linguistiques et
multimodales seront ensuite analysées. Un schéma permet de préciser comment se situent nos
analyses les unes par rapport aux autres (Figure 7).

Analyse bilingue Fonctionnement du binôme enseignant

Rapports des places, bilinguisme, contact des langues etc.


Analyse microgénétique
Enseignants
Interactions littéraciques bilingues

Situation didactique de LI
Interactions didactiques

Établissement de la ZdC
Analyse microgénétiquesMédiations linguistiques
Objets LSF/français
d’ens app

Ressources multimodales
Négociation des significations

Élèves (partenaires)

Fonctionnement du groupe-classe vs individus

Figure 7. Niveaux d’analyses entre l’analyse bilingue et microgénétique.

Comme l’illustre la figure 7, l’analyse bilingue comprend la situation analysée par les
microgenèses plus largement et elle puise dans l’analyse des interactions. Dans son ensemble
cette analyse s’intéresse aux interactions littéraciques bilingues et aux fonctionnements de deux
entités (élèves et enseignants) mais cette fois-ci, à l’aune des concepts et notions différentes
que dans l’analyse microgénétique. Les élèves sont considérés dans leur fonctionnement par
rapport aux deux langues en leur présence. Les enseignants, en tant que tels, nous intéressent
aussi par rapport à leur fonctionnement interne, symétrique, collaboratif, enseignant sourd vs
enseignant entendant, ce binôme et son fonctionnement est appréhendé grâce à la notion de
rapport des places (Vion, 1992). Cette notion est définie par l’auteur afin de pouvoir

158
appréhender le positionnement comme entité relationnelle (p. 80), dans cette entité
l’interlocuteur, convoque inévitablement son partenaire à une ou des places corrélatives (par ex.
père/enfant, médecin/malade, vendeur/client, enseignant/élève etc.). L’expression de ces
positionnements passe par plusieurs modes de verbalisation, les attitudes et les modalités non-
verbales comme le regard, la posture, la gestualité. Cette notion s’approche de la notion du
rôle, et englobe aussi celle de statut, attribuées à ou jouées dans les circonstances données
(institutionelles par exemple) par les interactants. Dans notre recherche, ces rôles sont définis
par le contrat didactique convoquant d’un côté les enseignants, en faisant la place de l’autre
côté aux élèves. Ce rapport des places asymétrique au départ est alors dépassé dans les
situations mêmes par les négociations de partenariat dans la Zone de compréhension à visée
d’élaboration des significations partagées autour des savoirs en jeu.

Dans la suite de ce chapitre nous abordons, tout d’abord, la manière de saisir quelle fonction
jouent les deux langues dans l’interaction ainsi que de mentionner l’importance des autres
ressources utilisés en classe (10.1.). Ensuite, nous nous concentrons sur les procédés nous
permettant de rendre compte du fonctionnement du binôme enseignant dans l’interaction,
ainsi que de la manière dont les élèves en tant que groupe-classe ou de manière individuelle, y
prennent place (10.2.). Pour finir, nous nous décrivons notre manière d’appréhender le
développement des répertoires bilingues des élèves (10.3.) et enfin, une synthèse de la partie
méthodologique est proposée (10.4.)

10.1. MÉDIATIONS LINGUISTIQUES ET LES AUTRES RESSOURCES EXTRA-LINGUISTIQUES DANS LA


COCONSTRUCTION DES SIGNIFICATIONS

Nous partons ici d’une idée bien connue de la richesse que la connaissance d’une langue
étrangère amène à la connaissance de sa propre langue (Vygotski, 1997). Nous complétons
cette idée fondatrice par les travaux actuels sur le bilinguisme bimodal des sourds (Millet &
Estève, 2009, 2010). Nous nous intéresserons aux pratiques langagières des enfants observés
dans la situation de l’entrée dans l’écrit, ainsi qu’aux pratiques de leurs enseignants dans une ou
l’autre langue, dans une démarche qui relate les médiations linguistiques, d’une part et elle
prend en compte des ressources extra-linquistiques, utilisés en classe, d’autre part. Les deux
types de ressources sont à la base de ces pratiques des enfants et des enseignants.

Comment apparaissent alors ces pratiques littéraciées74 (Moore, 2006, p. 116) et l’alternance
des langues en classe et dans la situation-problème de Lecture Interactive ?

74
Les pratiques littéraciées sont comprises en tant que pratiques sociales et culturelles qui entourent les actes de
lecture/écriture et leur donnent du sens (p. 116). L’auteure discute alors les travaux de Street (2000) ; mais
également les travaux francophones sur le concept de littéracie comme par ex. Dabène (1991, 2002) ou Barré-de
Miniac (2003).

159
10.1.1. MÉDIATIONS DE DEUX LANGUES EN CLASSE : BILINGUISME BIMODAL DES ENFANTS SOURDS ET
PRATIQUES ENSEIGNANTES

Dans le but de décrire le bilinguisme des enfants sourds nous utilisons une définition large du
bilinguisme (Grosjean, 1984) qui dans le cas de ces enfants est particulier se caractérisant par
l’utilisation de deux langues : une gestuelle et spatiale, lié au canal visuel (la LSF dans notre
corpus) et le français qui représente la langue de l’école, la langue à apprendre, la langue vocale
et écrite, liée donc au canal auditif déficient chez ces enfants. Cette définition du bilinguisme
nous permet d’appréhender les deux langues, même en connaissances émergentes, ainsi que
leur valeur sémiotique en même temps corporelle/spatiale et vocale. La simultanéité de deux
modes d’interaction est possible dans ce cas des langues qui exploitent les canaux qui peuvent
se superposer dans un même laps de temps. La bimodalité des locuteurs sourds a été longtemps
ignorée comme le souligne Estève (2009), mais dernièrement quelques recherches y consacrent
toute leur attention en soulignant l’apport de Mc Neil (1992, cité par Estève, ibid.) dans la
compréhension de la compétence langagière des locuteurs sourds, incluant sa valeur verbale et
non-verbale (Millet & Estève 2009, 2010, Millet, Estève & Guigas, 2008). Nous nous basons
également sur ces acceptions d’un répertoire communicatif élargi qui rend compte de toutes les
ressources utilisées par l’enfant sourd dans le but de transmettre son message et se faire
comprendre.

Nous avons fait le choix de présenter deux types de médiations langagières bilingues et
bimodales qui mettent en jeu les deux langues, influençant par là les pratiques enseignantes :
celui qui se caractérise par un travail sur le code et le deuxième, se caractérisant par un travail
sur la trame narrative. Pour les besoins de l’analyse, nous effectuons cette séparation en
prenant en compte les extraits typiques et représentatifs de ces deux cas de figures. Il est
toutefois important de souligner le fait que ces deux types coexistent dans chaque séance, se
mélangent souvent et sont difficiles à isoler en tant que tels. Nous choisissons ces deux
configurations car elles mettent en jeu les deux langues d’une manière contrastée, prenant
comme appuis les objets d’enseignement apprentissage bien distincts :

1) Le travail sur le code alphabétique de la langue à apprendre (décodage en préparation


de la lecture), donne une place particulière à la LSF, comme tremplin entre les
connaissances sublexicales dans une et l’autre langue (aussi en épellation manuelle) –
exemples T1.

2) Le travail sur le schéma narratif, sa découverte, sa compréhension, où la LSF à toute sa


place comme la langue de références, une configuration linguistique qui offre une
occasion de voir les compétences des élèves dans cette langue et de travailler des
niveaux langagiers divers (poétique, narratif etc.) – exemples T2.

C’est aussi dans ces deux configurations linguistiques que nous pouvons observer le
fonctionnement du binôme des deux enseignants dans la construction d’un discours cohérent
avec les deux langues à disposition. Les deux servent à cette élaboration, les deux sont permises

160
et reconnues, utilisées sciemment dans le déroulement de la séance. Comme le souligne
Grosjean (2003), ni les enseignants ni les enfants ne restent fixes face aux variantes présentes
sur le continuum entre les deux langues ; ils « se promènent » entre l’une et l’autre variante
linguistique.

Nous allons donc nous replonger dans les analyses de la dynamique interactionnelle des séances
analysés (T1 et T2) pour choisir les extraits montrant l’une ou l’autre configuration de deux
langues et analyser comment elles fonctionnent dans l’élaboration des significations
partageables sur les composantes mises en circulation, en ce moment précis de travail en classe.

Nous tenterons également d’utiliser les catégories de Millet & Estève (2009, 2010) qui
permettent d’analyser plus finement les mélanges des deux langues en prenant en compte leur
signification (aspect sémantique chez ces auteures) et leur aspects syntaxiques (comme
correspondance d’un énoncé bilingue au modèle de la langue de référence français ou LSF) 75.
Nous décrirons ces rapports intersémiotiques à la base d’extraits des transcriptions présentées
dans la partie de résultats d’analyses bilingues concernant l’utilisation des ressources
linguistiques en complément aux analyses annoncés précédemment (chapitre 13).

10.1.2. RESSOURCES EXTRA -LINGUISTIQUES DANS LA CLASSE

Dans ce sous-chapitre, nous allons nous baser sur le travail de Mugnier (2006a) 76 et ses
catégories « montrer, faire, dessiner » dans l’établissement de stratégies enseignantes qui
permettent le dépassement du mur d’incompréhension dans une situation de travail sur le texte
en classe pour enfants sourds. Cette classe diffère cependant de la classe que nous avons
observée dans l’application du bilinguisme français/LSF. Dans le cas d’étude de Mugnier (ibid.)
« les passages à vide » sont nombreux surtout pendant le travail avec l’enseignante entendante
dans la classe d’enseignement national, qui utilise et accepte uniquement la langue vocale. Dans
une classe spéciale, les élèves travaillent le même objet d’apprentissage avec l’enseignant sourd
en LSF, ce qui leur permet de revenir sur les parties du texte travaillé auparavant, opaques ou
confuses, et de les comprendre. Grâce à cette médiation en langue des signes, les élèves
arrivent à réinvestir le français et le travail sur la compréhension du texte, si difficilement

75
Ces auteures proposent les catégories suivantes pour décrire les rapports intersémiotiques entre les deux langues
dans un énoncé bilingue du même locuteur : 1/rapport redondant – deux messages égaux au niveau sémantique et
syntaxique ; 2/rapport équivalent – deux messages ont la même signification mais les structures syntaxiques
correspondent aux exigences de chaque système linguistique ; 3/rapport complémentaire – deux modalités
linguistiques portent une information différente, dans ce cas l’unité sémantico-syntaxique doit être prise dans sa
compréhension globale de l’énoncé ; 4/rapport renforçant – un des messages porte l’ensemble d’information et
l’autre diffuse, répète une partie de celle-ci ; 5/rapport contradictoire - dans le cas où une langue donne une
information globale et l’autre produit ponctuellement une contradiction avec ce message, ceci se passe dans le cas
d’une erreur, d’une approximation mal comprise, de lapsus etc. (Millet & Estève, 2010, p. 24-25)
76
La recherche de S. Mugnier visait au départ à cerner les apports de la LSF dans l’étude du texte en classe ; il était
donc nécessaire dans le protocole de recherche d’isoler les deux langues, ce qui n’était pas une pratique de classe
ordinaire.

161
accessible dans un mode uniquement vocal. Ce « bilinguisme relatif » où deux langues sont
proposées séparément provoque l’apparition de deux discours disjoints autour du même objet
à enseigner apprendre, deux discours parcellaires et lacunaires, que les élèves ont de la peine à
combler, et à construire dans cet environnement opaque centré sur le texte et sur leurs
connaissances du savoir lire/écrire.

Nous choisissons surtout deux catégories qui nous paraissent intéressantes, parce que
révélatrices de nos observations, c’est-à-dire « montrer » et « faire »77. Nous le décrivons non
pas comme les bouées transcodiques (de sauvetage) de la communication (Mugnier, 2010, p. 5 ;
Moore, 1996) pour dépasser les impasses de la communication, mais comme des moyens de
négocier les significations émergentes et valider les connaissances des élèves, ainsi que pour
permettre leur participation active, les motivant de cette manière dans leurs efforts
d’apprendre. Dans notre recherche qui présente une situation de bilinguisme simultané, les
enseignants travaillent ensemble (en binôme) lors du déroulement des séances. Nous prenons
en compte le travail de la classe autour de l’album de jeunesse dans les deux langues, le français
et la LSF en même temps. Ce type de bilinguisme, et la présence de deux enseignants, sont
garants de l’élaboration d’objets d’apprentissage plus accessibles dans l’une ou l’autre langue,
ou dans le mélange des deux, afin de faciliter au maximum la compréhension de l’histoire, et le
travail sur le code alphabétique de la langue à apprendre. Une place particulière est accordée
aussi à l’album lui-même, ses images qui sont amplement exploités, et son texte, qui est lu
(décodé avec aides) petit à petit avec de plus en plus d’aisance de la part des élèves durant
l’année scolaire. Ce travail en constante exposition aux composantes sémiopicturales et
sémiographiques, permet aux élèves de faire les liens, d’autant plus que les éléments
contextuels sont évoqués pour mobiliser les connaissances des enfants et activer leur attention.
Par ce fait, dans notre travail, les catégories de Mugnier (ibid.) prennent une toute autre
tournure :

« Montrer » se relève être une stratégie motivante pour attirer l’attention des élèves sur le
lexique (reconnaissance des mots dans le texte affiché au tableau) par exemple. Une des
stratégies souvent utilisés est une formule du type « viens montre, viens» proposée par les
enseignants pour la reconnaissance des mots et le décodage du texte… Les élèves, chacun à son
tour sont donc appelés au tableau pour montrer leurs trouvailles, souvent correctement.
Quelques fois, cette stratégie montre des lacunes dans la compréhension des enfants et permet
aux enseignants de revenir sur les objets peu ou mal compris.

77
Ces catégories peuvent être discutées par rapport aux catégories de McNeill concernant les pointages déictiques
et gestes représentationnels (McNeill, 1998 ; voir aussi Voltera et al. 2005).

162
« Faire » est une stratégie utilisée par les enseignants dans le but d’une meilleure
compréhension, soit de la situation narrative, soit d’un terme difficile qui est exemplifié par le
mime, le jeu de rôle, ce que les anglophones appellent « dramatize ».

Nous illustrerons ces deux pratiques enseignantes plus en détails dans la partie des résultats
Nous allons les combiner avec les pratiques bilingues des élèves. Les pratiques bilingues qui
relèvent des ressources linguistiques, où les deux langues apparaissent de manières différentes,
en fonction de l’objet travaillé, abordé par les enseignants.

Nous reviendrons aussi sur les ressources multimodales présentes en classe qui peuvent être
importantes, comme des images, calendriers, écriteaux avec le vocabulaire, couleurs exposés en
classe et qui participent à l’élaboration des significations émergeantes de l’album ou constituent
les liens avec les connaissances antérieures des élèves. Nous le relions avec les aspects
multimodaux discutés dans la partie théorique (de Saint-Georges, 2008 ; Voltera et al. 2005)
ainsi et avec nos analyses a priori de l’album qui est un outil multimodal par excellence.

Dans ce qui suit nous nous concentrons plus sur les enseignants afin de montrer une analyse
nous permettant de répondre aux questions suivantes : comment les deux enseignants
prennent place dans la situation ? Quel est la participation des élèves ? Comment élaborent-ils
leurs répertoires bilingues face aux deux systèmes linguistiques en leur présence ?

10.2. FONCTIONNEMENT DES ENSEIGNANTS ET DES ÉLÈVES DANS L’INTERACTION

D’une part, nous allons aborder le fonctionnement de ces deux entités en analysant plus
globalement le déroulement des séances et leur dynamique interactionnelle. D’abord, pour
déceler les formes de prise de place de l’enseignant sourd dans l’échange, dans une dynamique
de rapport des places changeant (10.2.1.). D’autre part, les élèves nous intéressent en tant
qu’entité et nous voulons rendre compte de leur mode de participation dans ces mêmes
échanges (10.2.2.). Ensuite nous présentons le positionnement des élèves par rapport aux
langues en leur présence en termes de répertoires bilingues individuels et leurs déplacements
vers une ou l’autre extrémité du continuum des langues durant cette année scolaire (10.2.3.).

163
10.2.1. FONCTIONNEMENT DU BINÔME DE DEUX ENSEIGNANTS

Les rôles des deux enseignants78 sont assignés, mais relativement souples : c’est l’enseignante
entendante (ci-après EE) qui mène la leçon avec une aide non négligeable de son collègue Sourd
(ou ES). Les places sont ainsi fixées mais leurs cessions et échanges son fréquents, chaque fois
que le besoin se fait sentir face aux incompréhensions manifestées par les élèves.

Le rôle de l’enseignant sourd est d’une première importance, c’est lui qui est attentif aux
changements dans l’interaction didactique. Il décèle et résout les moments d’incompréhension,
il s’ajuste au flux de la communication et l’anticipe. Dans les moments où les enfants se
bloquent, il donne, propose un élément qui leur permet d’aller plus loin et rejoindre ainsi les
significations proposées par les enseignants. Nous soulignons aussi le rôle des ressources extra-
linguistiques (ou multimodales) dans la classe, qui permettent aux élèves et aux enseignants de
compléter leurs ressources linguistiques (décrit ci-après) dans le but commun de ce comprendre
et de construire ensemble les significations partagées autour des albums, leurs histoires, et les
composantes linguistiques qu’ils permettent d’étudier. Nous allons caractériser ces prises de
places, en termes de cession de la part de l’EE qui quelques fois fait explicitement la place à ES,
en l’invitant d’intervenir ou autre fois, il se charge lui-même de prendre en charge les élèves, et
de prendre une place active dans l’interaction, en fonction de leur compréhension ou non des
objets étudiés. Dans l’analyse de la dynamique interactionnelle nous allons donc déceler ces
moments de fluctuations des rapports des places (Vion, 1992).

Cette même analyse nous conduira, d’autre part, à faire un zoom plus particulier sur les formes
de participation des élèves, individuellement (places que les élèves prennent dans le dialogue, la
langue qu’ils choisissent) et en tant que groupe-classe hétérogène, afin d’observer l’impact
possible des pratiques enseignantes sur les apprentissages des élèves.

10.2.2. PARTICIPATION DES ÉLÈVES DANS L’INTERACTION

Nous allons nous baser tout d’abord sur les analyses structurales, en prenant en compte les
fréquences de participation des enfants en tant que groupe-classe, et ensuite effectuer le
décompte des participations individuelles de chaque élève dans ce groupe. L’analyse des
modalités énonciatives nous donnent certains indices sur la façon active des élèves à participer
dans l’élaboration des significations partageables et partagées. Nous allons nous baser sur cette
analyse, ainsi que sur l’analyse de la dynamique interactionnelle pour étudier plus en détails les
réponses et interventions des élèves, leur accueil, reprises, reformulations par les enseignants,

78
Bien que le statut institutionnel de deux enseignants n’est pas comparable : l’un est un enseignant spécialisé,
l’autre, un collaborateur Sourd ; nous les considérons dans leur rôle d’enseignant tous les deux.

164
dans les extraits choisis, pour rendre compte de ce qui se passe dans la classe lors des réponses
attendues ou celles qui ne le sont pas.

Les modalités énonciatives sont révélatrices du guidage interactif des enseignants qui se
caractérise par l’ouverture envers les productions vocales et signées des élèves, et qui par ce
fait leur donne une grande place à prendre dans le discours. Nous allons par nos analyses
bilingues vérifier si les élèves prennent et investissent cette place laissée à leur égard par les
enseignants ou non.

10.2.3. DÉVELOPPEMENT DES RÉPERTOIRES BILINGUES À DOMINANCES

Comment les élèves se placent face aux deux langues, et comment ils les utilisent ?
Pour répondre à cette question, ou au moins l’aborder partiellement, nous convoquons la
notion de continuum des langues, utilisée par les chercheurs en didactique des langues, pour
appréhender les états intermédiaires d’acquisition d’une langue nouvelle, étrangère, dans une
vision plus normative des compétences linguistiques d’une ou l’autre langue. Pour les autres
chercheurs le mélange des langues est tout à fait naturel et en tant que tel intéressant à
étudier, comme une apparition des constructions, d’émergences des connaissances multiples
qui se reflètent dans une ou l’autre langue selon le contexte dans lequel elles sont formulées et
rencontrées par l’apprenant (Grosjean, 1993 ; 2004 ; Moore, 2006 ; Lüdi & Py, 2003 ; Gajo &
Mondada, 2000 entre autres). Pour la population des enfants sourds et leurs enseignants
entendants, ce continuum a été présenté par Moody (1998, p.195) de la manière suivante :

LSF ------------ FS élastique ----------------------- FS strict -------------- Français oral/écrit

Figure 8. Continuum des langues entre LSF et le français oral/écrit selon Moody, 1998.

Ainsi, les partenaires des interactions didactiques qui sont à la base de l’échange, sont
confrontés, les enseignants comme les élèves, aux quatre variantes linguistiques, ou même cinq
si on considère le français dans sa version vocale et écrite. La langue des signes, n’exige pas des
explications supplémentaires, elle a été présentée précédemment. Dans la situation qui nous
intéresse, elle est présentée dans sa forme « pure » par l’enseignant Sourd qui en est l’expert et
le modèle.

Le français signé élastique (ou FS élastique) est une forme qui s’apparente à la LSF, mais qui
présente encore des imperfections et des transferts de la langue française. On y observe des
localisations dans l’espace, les expressions du visage requises, les classificateurs, les directions

165
des verbes… (Moody, ibid.) ; les éléments difficiles à apprendre pour un locuteur de la langue
vocale et qui témoignent de son bon niveau de la maitrise de la langue signée. Ces éléments
sont aussi plus tardifs dans l’acquisition de cette langue par les enfants sourds, et nous allons les
observer autant de la part des enfants que de l’enseignante entendante.

Le français signé strict (ou FS strict) apparait comme une variante plus éloignée de la LSF, qui
cependant utilise les signes de cette langue. Elle s’approche plus du français, en modalité vocale
ou écrite, et suit sa syntaxe. Les signes de la LSF apparaissent plus ponctuellement pour appuyer
la langue vocale, et suivent strictement l’ordre des mots dans la phrase, et sa construction telle
qu’elle est écrite, sans correspondre au sens qui pourrait être donné à cette même phrase en
LSF.

Quelques recherches récentes sur le bilinguisme sourd (Mugnier 2006a, Estève, 2009 ; Millet &
Estève, 2009, 2010) établissent les profils des enfants sur le continuum entre les deux langues,
celle de référence vis-à-vis à celle à apprendre (LSF vs français), en utilisant le modèle de Moody
(ibid.). Elles placent les pratiques langagières entre les deux pôles distincts entre des pratiques
monolingues (français vs LSF) en observant où se positionnent les enfants (comme le montre la
figure M). S’approchent-ils de l’un ou l’autre pôle ou choisissent-ils le milieu, les deux langues
mélangées, puisant donc d’une base bilingue ? Ces trois pôles puisent dans les modes (vocal ou
gestuel) sur lesquelles se basent les pratiques langagières d’utilisateurs de deux langues. Nous le
décrivons en croisant les types des pratiques avec la manière de les concevoir qui varie de
mono- aux bimodales. Ainsi, selon Estève, (2009), les pratiques langagières peuvent avoir quatre
bases : base français ou LSF, base bilingue ou non verbale. Chacune de ces bases peut avoir un
mode de préférence qui est mono- ou bilingue ou non verbal.

Le tableau 15 résume ces catégories :

166
Tableau 15. Outils de catégorisation des types de pratiques langagières d’élèves selon Estève (2009).
Pratiques à Pratiques à Pratiques à base LSF Pratiques à
base français base base non
bilingue verbale
Français seul LSF seule Monomodal Mono-
Français + LSF+O Bimodal lingue
gestes
LSF+labialisat° Monomodal Bilingue
Français + Français + LSF+insertion Bimodal
insertions LSF
Ponctuel Contin superposées Ponctuelle Labialisa°/
les LSF ues LSF s frs Vocalisa°
O G Monomodal Non-
Onomatopées Bimodal verbal
+gestes

Nous appliquons ces catégories en relevant la fréquence d’utilisation des modes et des langues
par les élèves observés dans notre recherche dans le but de les positionner entre les deux pôles
du continuum des langues tels que présentés dans le schéma suivant (proposé par la même
auteure)79. Ainsi nous relevons leurs pratiques langagières et leurs modes de fonctionnement
face aux deux langues. Cependant, nous utilisons nos transcriptions pour le faire 80, dans le but
de relever les marques d’utilisation d’une ou l’autre langue et des modes différents (vocal vs
gestuel). Notre but est aussi de comparer les résultats des fréquences d’utilisation d’une ou
l’autre langue, et des modes de préférence d’un enfant à l’autre dans le temps, entre le début
et la fin d’année scolaire. Il nous semble que les déplacements des enfants à travers leur
positionnement face aux deux langues sont à observer. Les déplacements se précisent dans le
temps et mènent les élèves à faire les choix d’une pratique les dirigeant vers une application
d’une langue ou l’autre en classe ainsi que des modes mono- ou bimodaux.

Estève (2009) a montré, entre autres sur ce point, dans quel espace des langues pouvaient se
positionner les enfants par rapport aux langues à leur disposition, ce qui l’a conduit à saisir les
profils des enfants et leur position sur le continuum des langues entre la LSF et le français (figure
9). Nous allons reprendre ce continuum en positionnant les élèves que nous avons observés, en
marquant leurs déplacements vers l’une ou l’autre langue du début à la fin de l’année.

79
Les recherches de Millet & Estève (2009, 2010) se basent sur un corpus des récits individuels recueillis auprès
d’enfants sourds de 6-12ans. Les catégories d’annotations de vidéos, avec logiciel Elan@ et d’analyse linguistique
de ces productions multimodales sont alors proposées.
80
Ce qui nous différencie des annotations directes sur la vidéo, parce que les transcriptions en tant que telles sont
organisés, linéaires et facilitent par ce fait, le relevé de fréquences d’utilisations individuelles d’une langue et
l’autre, même si elles restent certainement lacunaires par rapport à toutes les ressources multimodales utilisées.
Elles nous permettent aussi d’avoir une suite d’interactions en classe, dans laquelle le groupe d’élèves observés
participe.

167
Pôle Pôle
monolingue Base bilingue monolingue
français LSF

Pôle bilingue

Figure 9. Continuum des langues selon Estève (2009)

Ainsi, pour nous les positionnements des élèves sur ce continuum ne sont pas stables, ils
évoluent dans le temps et face aux objets d’enseignement apprentissage travaillés pendant la
période d’observations.

Nous présenterons dans la partie de résultats ces choix de langues et leur évolution observée en
classe, entre le début et la fin de l’année, en sachant que le choix de la langue « dominante »
n’exclut pas l’utilisation de l’autre langue en présence. Les notions de répertoire verbal
(Gumperz, 1964) et de répertoire bilingue avec sa vision arborescente (Moore, 2006) seront ici
mises en application pour décrire notre démarche face aux faits observés.

Finalement, nous allons nous concentrer sur les répertoires bilingues développés par les enfants
bien que la position de l’enseignante entendante (EE) est aussi très intéressante dans cette
perspective du continuum des langues. En effet, elle utilise les deux langues en même temps, en
adoptant une ou l’autre variante linguistique selon les besoins de l’objet enseigné, et ainsi elle
les propose aux élèves, en leur indiquant des stratégies qui les aident à « se promener » de
manière efficace entre ces deux langues.

Nous reviendrons sur ces pratiques enseignantes bilingues et leur influence sur les
apprentissages des élèves dans la discussion et les perspectives de notre travail.

168
10. 4. SYNTHÈSE DE LA PARTIE MÉTHODOLOGIQUE – LES PROCÉDÉS D’ANALYSE MICROGÉNÉTIQUE
ET L’ANALYSE BILINGUE EN BREF

Nous avons décrit dans cette partie les procédés méthodologiques nous permettant
l’élaboration des données brutes dans une démarche interprétative/compréhensive (Balslev &
Saada-Robert, 2007). Cette élaboration a pour but l’analyse microgénétique des processus fins
d’enseignement apprentissage en contexte de classe. Nous avons relaté ici les éléments
constituant une telle analyse : les principes généraux de l’analyse microgénétique, les analyses a
priori, les six procédés de recueil et d’analyse détaillés y compris les adaptations nécessaires
pour appréhender notre objet d’étude. Pour terminer, nous avons dressé l’esquisse d’une
analyse bilingue qui se centre plus particulièrement sur la situation de bilinguisme LSF/français,
et qui essaye d’en saisir la complémentarité avec l’analyse microgénétique. Effectivement, elle
puise des analyses précédentes surtout au niveau de l’analyse de la dynamique interactionnelle
(étape 5 de l’analyse microgénétique), afin d’y amener les éléments dictés par une approche
sociolinguistique et de la didactique des langues et des cultures (Mugnier, 2006a) ainsi que par
l’approche multimodale de ce bilinguisme (Millet & Estève, ibid).

En partant du terrain d’observations, cette complémentarité entre analyse microgénétique et


analyse bilingue prend tout son sens. Si les significations qui progressent autour des objets du
savoir lire/écrire sont appréhendées par les analyses microgénétiques (nous allons le voir en
détails dans la partie III) l’utilisation des deux langues y participent de plein pied, avec leur
procédés propres de communication pour guider et favoriser la meilleure compréhension
possible entre les partenaires. Ainsi, les deux langues et les deux enseignants, créent activement
les conditions favorables à l’établissement d’une ZdC, elle-même garante de nouvelles
connaissances chez les élèves. Ces derniers les saisissent, entrent en dialogue, quelques fois
sont même des initiateurs actifs de ce dialogue ou le font progresser dans le sens attendu des
enseignants, montrant par ce fait l’avancée de leurs connaissances.

Pour conclure cette partie, nous posons une hypothèse que les deux analyses, microgénétique
comme bilingue, recherchent à saisir le fonctionnement triadique du processus d’enseignement
apprentissage. L’une à travers la recherche des significations partagées et une construction
conjointe de la Zone de compréhension commune. Quant à l’autre, elle relève le même défi à
travers l’analyse du fonctionnement bilingue des pratiques d’enseignement et d’apprentissage
instaurées dans cette classe : la participation des élèves, le fonctionnement du binôme des
enseignants etc. Les deux analyses se complètent et visent une compréhension commune entre
les deux partenaires, les élèves et leurs enseignants, autour des objets d’enseignement
apprentissage mis en circulation dans la situation de classe. Dans la partie suivante de ce travail,
nous présentons les résultats obtenus en suivant les étapes de l’analyse microgénétique et en
complément de celle-ci, les résultats de l’analyse bilingue telle qu’elle est présentée ici.

169
170
PARTIE III : PRESENTATION DES RESULTATS

INTRODUCTION
Trois analyses sont présentées dans cette partie. Elles tentent d’éclairer la situation observée de
trois points de vue avec leurs propres présupposés épistémologiques :

Tout d’abord, les bilans psycholinguistiques (cf. chapitre 11) s’intéressent aux apprenants pris
séparément et évaluent leur progrès durant l’année scolaire, selon les composantes du savoir
lire/écrire. Alors qu’ils donnent une description des connaissances acquises pendant l’année, les
autres analyses présentent les résultats sous forme explicative : ils concernent le groupe-classe,
dans lequel les apprenants participent au processus d’élaboration d’une Zone de
Compréhension (ZdC), et par là-même des significations partageables sur les contenus abordés
pendant les séances, autant de composantes du savoir lire/écrire, transposées en objets
d’enseignement apprentissage. C’est en effet par cette tentative de faire émerger et de
comprendre les processus interactifs on line, tant cognitifs que langagiers, qu’un éclairage
nouveau permet d’expliquer les acquis individuels sur un temps long.

Ensuite, l’analyse microgénétique (cf. chapitre 12) s’intéresse aux processus d’enseignement et
d’apprentissage dans un temps court, à travers l’analyse des contenus de savoir effectivement
mobilisés dans ce processus, et à travers celle de l’établissement et du maintien de la ZdC. Cette
dernière constitue pour nous une condition essentielle du déroulement adéquat de ces
processus en situation réelle, celle de la situation didactique complexe de Lecture Interactive.

Les analyses effectuées correspondent aux étapes de l’analyse microgénétique et puisent leurs
procédés du cadre qualitatif, compréhensif/interprétatif et inductif/déductif à la fois.

L’analyse structurale (étape 3 de l’analyse microgénétique, cf. 12.1.) des


composantes/modalités est un exemple de « quantification du qualitatif » (Mugnier, 2006a, Van
der Maren, 2002), c'est-à-dire qu’elle permet d’étaler toutes les catégories apparaissant
pendant chaque séance et d’observer leur distribution en termes de fréquences départagées en
deux groupes, du coté des élèves et du coté des enseignants. Cette analyse de base nous
informe sur un état de fait, la proportion des contenus énonciatifs (composantes du savoir) et
des modalités traitées d’une séance à l’autre, et par chacun des partenaires de l’interaction
(enseignants ou élèves). Elle nous fournit des indices de la progression du groupe-classe en
termes d’évolution des contenus présents, des contenus sémiopicturaux aux contenus
sémiographiques, comme nous avons voulu le vérifier à partir de notre questionnement de
recherche et nos hypothèses. Elle fournit des indices importants pour les autres analyses,

171
notamment celle des interactions, ici décrites en termes de présence ou absence chez chacun
des partenaires, alors qu’elles sont ensuite prises en tant que processus.

L’analyse séquentielle (étape 4, cf. 12.2.) se centre sur la circulation des savoirs dans leur
approche micro diachronique, prenant en compte l’apparition des composantes du savoir
littéracique à des moments précis des séances. Elle essaie de fournir les explications de ces
apparitions, leur hiérarchisation, leurs regroupements, apparaissant une fois dans la séance ou
revenant en boucle… Les mêmes composantes du savoir qui ont été quantifiées dans l’analyse
structurale, apparaissent maintenant dans un ordre dicté par les interactions en classe. C’est
précisément cet ordre d’actualisation des composantes du savoir lire/écrire, telles qu’elles ont
été prévues, annoncées par les analyses a priori, qui nous intéresse ici.

L’analyse de la dynamique interactionnelle (étape 5, cf.12.3.), revient dans le vif des interactions
en analysant le déroulement des séquences dans leur versant synchronique, unique, en tant
que des éléments locaux constituant des suites thématiques d’interactions conjointes entre les
élèves et les enseignants. L’échange dirigé par les significations construites par les uns et les
autres est considéré en ce qu’ils tentent à se rencontrer dans une zone commune de
compréhension. Ainsi la construction conjointe du sens revêt un caractère tripolaire, prenant en
compte les trois entités du triangle didactique, les enseignants et les élèves concentrés sur les
objets d’enseignement apprentissage, autrement dit les savoirs littéraciques dans cette
situation précise de lecture interactive.

L’analyse des patterns et des états de la ZdC complète la précédente (étape 6, cf. 12.4.) par un
retour sur la dimension diachronique. Elle permet d’avoir une vue d’ensemble de la séance et
de son déroulement en repérant à chaque séquence les patterns qui régissent l’interaction et
qui permettent de rendre compte des états de la zone de compréhension durant la séance. Est-
elle mouvante ou stable ? Par quels états d’élaboration, d’accomplissement, passe-t-elle ?
Quelles significations sont alors à l’œuvre ? L’élaboration de l’intercompréhension commune à
la base des significations partagées et les ruptures de celle-ci sont ainsi analysés.

Enfin, la troisième analyse se penche sur le fonctionnement bilingue de la classe observée (cf.
chapitre 13). Elle part d’un autre présupposé épistémologique, cette fois-ci venant de la
sociolinguistique et de la didactique des langues. Il s’agit ici de comprendre le rôle de la LSF et
son fonctionnement en classe. D’une part cette analyse interroge la reconnaissance et
l’utilisation de la LSF par les deux enseignants dans le but de promouvoir la coconstruction des
connaissances littéraciques chez les élèves sourds – avec le souci de leur offrir le choix du
moyen langagier le mieux adapté à leurs besoins –. D’autre part, cette analyse se focalise sur les
enfants : comment utilisent-ils les deux langues qui leur sont proposées ? Comment
développent-ils leurs propres « répertoires verbaux/signés » ? Et comment ce répertoire leur
sert-il à l’acquisition des composantes du savoir littéracique travaillé en classe ?

172
CHAPITRE 11 : ANALYSE DES RÉSULTATS INDIVIDUELS AUX BILANS
PSYCHOLINGUISTIQUES

Les analyses des résultats individuels aux bilans psycholinguistiques présentés ici ont le statut
d’une évaluation des connaissances des enfants observés, pour ce qui est des composantes du
savoir littéracique. Il s’agit de décrire, par ce biais, les connaissances des enfants sur le plan des
composantes lexicales et sublexicales travaillées en classe pendant cette année scolaire, du
début à la fin de l’année. La première évaluation a une valeur diagnostique ; elle rend compte
du point où en sont les élèves face à ces composantes. Sont-elles émergentes ou plus ou moins
stabilisées ? Quels indices nous permettent de voir cet état de fait ? Comment les élèves se
positionnent les uns par rapport aux autres dans cette évaluation ?

Une autre valeur donnée à ces deux évaluations est une valeur de progression. Les élèves
observés font-ils des progrès dans les tâches proposées dans ce bilan ? Si oui, comment
interpréter ces progrès ?

Pour répondre à ce questionnement, nous convoquons ici le concept de progrès qui implique la
transformation d’un état de savoir ou de savoir-faire pendant une période donnée. En nous
référant à la définition de Verba (1999, p.188), nous soulignons avec elle :

« Le concept de progrès proposé ici, ne réfère pas à une évaluation des performances du sujet
au moyen d’un pré-test et un post-test avant et après une période d’interaction, comme dans
la plupart des recherches expérimentales dans ce domaine. Il concerne les modifications pas à
pas d’une activité cognitive au cours du déroulement de l’observation – ou d’un fragment
signifiant de ce déroulement ».

Nous parlons donc des progrès des élèves en contrastant leurs résultats au début et à la fin de
l’année scolaire, en observant les modifications exprimées par des gains ou des pertes en
termes de scores bruts, établis sur une échelle de 8 points, aux épreuves considérées. Mais
également, ces gains ou ces pertes peuvent être expliqués en termes de progression, un
processus pris en compte par l’analyse microgénétique qui suit. Dans ce cas, « les modifications
pas à pas d’une activité cognitive » (ibid) sont cernées dans l’analyse des interactions.

L’évaluation des connaissances des enfants sourds n’est pas facile, car il manque de repères, de
normes stabilisées, élaborées spécifiquement pour cette population d’enfants. Celle-ci
représente en effet, comme nous l’avons mentionné déjà, une grande hétérogénéité. Quelques
pistes sont cependant données par Hage, Charlier & Leybaert (2006), qui soulignent que dans
plusieurs domaines d’apprentissage, les besoins se multiplient : les besoins en évaluation mais

173
aussi les standards, les normes81 qui doivent être modifiées, adaptées, et mieux correspondre
aux caractéristiques de cette population d’enfants en développement.

Nous rappelons ici le choix porté sur les épreuves qui se focalisent sur deux composantes
majeures du savoir lire/écrire, la composante lexicale et la composante sublexicale (lettre et
syllabes), comme nous l’avons annoncé dans la partie méthodologique.

Le bilan présenté ici comporte cinq épreuves évaluées sur le score maximum de 8 points. Elles
testent les connaissances individuelles des unités lexicales et sublexicales des élèves, en
identification et en production. Une dernière et sixième épreuve porte sur l’écriture des mots,
avec une fonction complémentaire. En effet, elle nous informe non pas sur le nombre des mots
écrits par chaque enfant, mais sur les stratégies d’écriture que chacun d’entre eux met en place
en écrivant les mots présentés sous forme d’images, selon une consigne du type « écris comme
tu peux, comme tu sais déjà ». Cette épreuve difficile, surtout en début d’année, est
particulièrement révélatrice des représentations de l’écrit, ainsi que des capacités des élèves en
production des mots (Saada-Robert et al. 2003).

81
Les normes pour enfants entendants de même âge ne sont pas toujours satisfaisantes, ou ne correspondent pas
aux objets de recherche.

174
11.1. BILAN AU DÉBUT DE L’ANNÉE SCOLAIRE (T1)

Ce bilan est considéré comme diagnostique, c’est-à-dire qu’il permet de fixer le point où en sont
les élèves. In fine, il permet également de faire apparaître les progrès (s’il y en a) à la fin de
l’année.

11.1.1. LES 4 ÉPREUVES82 sur les mots, les syllabes et les lettres:

Tableau 16. Scores bruts obtenus à T1 par chaque élève aux 4 épreuves.
Enfants
------------------ Ade Igo Géo Bar
Epreuves-Scores
(max.8 pts)
Identification 6,25 6,0 4,75 5,25
des lettres
Ecriture des 6,0 5,5 5,25 4,75
lettres
Comptage des 6 2 3 3
syllabes dans un
mot
Identification 5 6 5 4
des mots cibles

Les élèves présentent de bons scores aux deux épreuves concernant les lettres (identification et
écriture) ; ils arrivent même, pour deux parmi les quatre, à des scores avoisinants les 6 points/8
points max., ce qui est déjà un bon résultat pour le début de l’année scolaire. Les deux autres
élèves dépassent la moyenne des points ou dépassent 5 points (Géo et Bar), ce qui constitue un
indice de leurs capacités concernant ce contenu sublexical important, en construction durant
cette année scolaire.

Le comptage des syllabes dans un mot parait difficile pour tous, sauf Ade qui obtient un bon
score. Nous voyons comment ce contenu sublexical est difficile pour les enfants déficients
auditifs, qui ne peuvent pas pas toujours s’appuyer sur les connaissances phonologiques
émergentes.

L’identification des mots cibles représente une épreuve centrée sur les connaissances lexicales
stabilisées ; elle ne parait pas poser trop des problèmes aux élèves qui obtiennent au moins des
scores moyens (Bar) et bons (les trois autres enfants).

Les résultats à la sixième épreuve du bilan, celle de l’écriture des mots, permet d’appréhender
les stratégies d’écriture mises en place par les élèves:

82
La cinquième épreuve, le comptage des mots dans une phrase, apparait comme trop difficile au T1. Pour cela elle
ne se trouve pas dans ce tableau.

175
11.1.2. LES STRATÉGIES D’ÉCRITURE À T1:

L’épreuve d’écriture des mots constitue une épreuve complémentaire aux 5 autres épreuves et
est lié à celle de l’identification des mots. Elle nous donne des indices sur les stratégies que les
élèves emploient pour écrire. Elle dépasse par cet aspect qualitatif les autres épreuves qui sont
établies sur des scores bruts quantifiés.

Tableau 17. Stratégies d’écriture des mots utilisés par chaque élève à T1.
Enfants
Nb. des Ade Igo Géo Bar
stratégies
d’écriture
présentes
(max.8 items)
IMP

GRA 4 5

VNO 3* 3

LOG 2 1 3

SYL 5

ALP 3

LEX

Légende (selon Saada-Robert et al., 2003, p. 78):


IMP – stratégies sémiopicturales en imitation de l’image et les stratégies d’imitation graphique
GRA – stratégie sémiographique, production des traces graphiques discontinues
VNO – principe de variété et du nombre de lettres
LOG – production de lettres issues du répertoire logographique sans correspondances phonologiques
SYL – stratégies syllabiques
ALP – stratégies alphabétiques
LEX – stratégies lexicales
*un ou plus d’items réfusés

La présence de deux sous-ensembles (en bleu clair), marque une nette différence entre les
stratégies utilisées par Ade et les autres enfants. Ade témoigne d’une utilisation de stratégies
syllabiques et alphabétiques, qui sont plus évoluées que les stratégies utilisées par ses
camarades. Elle utilise uniquement ces deux stratégies contrairement aux autres élèves qui en
utilisent plusieurs à la fois. Ce faisant, ce tableau confirme notre hypothèse de l’existence de
plusieurs types des stratégies en même temps, comme le soulignent les travaux de Rieben &
Saada-Robert (1997) et Saada-Robert et al. (2003). Une tendance nette lors de ce T1 est
marquée par la majorité des enfants (Igo, Géo, Bar) qui utilisent les stratégies de trois types :

176
GRA, VNO, LOG. Elles appartiennent au répertoire pré-grammatical, « avant la lettre », comme
le dirait Ferreiro (2000), et typique chez les jeunes élèves, en production écrite. Cette étape se
caractérise par la production de traces, pseudo-lettres ou lettres sans correspondance
phonologique. En effet, on y rencontre des traces graphiques discontinues (GRA), puis
l’utilisation du principe de la variété et du nombre des lettres qui est nécessaire pour écrire des
mots différents selon les jeunes scripteurs débutants (VNO) ; en fin d’étape, on parvient à une
stratégie qui constitue un socle important de la compréhension et de l’entrée dans l’écrit, celle
de la productions de lettres en ligne, où les enfants se servent de leur propre répertoire
logographique de lettres, connues ou non, provenant souvent de leur prénom, des prénoms des
autres enfants ou encore de mots-outils (et, sur, de, la, etc.). Ce type de stratégie (LOG) ne tient
pas encore compte de la correspondance phonographique, ce qui va être le cas des stratégies
plus complexes comme SYL, ALP et LEX.

Regardons maintenant comment les scores aux cinq épreuves et les stratégies d’écriture, se
présentent à la fin de l’année scolaire. Les enfants ont-ils progressé ?

177
11.2. BILAN DE LA FIN D’ANNÉE (T3)

Nous présentons ici les résultats des épreuves du bilan psycholinguistique de la fin d’année et
discutons les changements qui y apparaissent, en termes de progression individuelle.

11.2.1. LES 5 ÉPREUVES :

Si l’épreuve de comptage de mots dans une phrase s’est avérée trop difficile au début de
l’année elle est présentée ici en tant que résultat partiel, issu de la fin de l’année scolaire.
L’estimation du gain n’est alors pas possible dans ce cas, si ce n’est justement le manque ou le
refus de réponse au début de l’année et une large acceptation en fin des observations. Nous
pouvons ainsi attribuer une certaine valeur à ce résultat, induit par les conditions de passation
où la phrase était présentée en LSF et en langue vocale.

Voici l’exemple d’une phrase utilisée lors du bilan en deux langues :

« Ma maman prépare un délicieux gâteau au chocolat. » (8 mots)

MAMAN à-MOI PREPARE QUOI ? GATEAU CHOCOLAT DELICIEUX (7 signes en LSF)

Comme nous le voyons les différences de dénombrement peuvent être induites par l’utilisation
des deux langues lors de cette épreuve. Toutefois, les résultats à cette épreuve, ne le montrent
pas nécessairement; les élèves accomplissent-ils d’autres erreurs ? (tableau, 18)

Regardons maintenant comment se présente l’ensemble des résultats des élèves aux 5
épreuves à la fin de l’année scolaire :

Tableau 18. Scores bruts obtenus par chaque élève à 5 épreuves, T3.
Enfants
------------------ Ade Igo Géo Bar
Epreuves-Scores
(max.8 pts)
Identification 7.25 7.25 6.0 6.75
des lettres
Ecriture des 7.50 7.0 6,25 5.45
lettres
Comptage des 4 4 5 5
syllabes dans un
mot
Comptage des 7 5 6.5 6
mots dans une
phrase
Identification 8 8 6 7
des mots cibles

178
Le tableau 18 ci-dessus résume les résultats individuels des enfants à la fin de l’année scolaire.
Nous remarquons que tous ont fait des progrès à la fin de l’année ce qui se traduit dans les
gains variables selon l’élève et selon l’épreuve, entre 1-3 points aux scores bruts.

Les élèves évoluent aux deux premières épreuves (identification et écriture des lettres) de
manière assez homogène et ils gagnent entre 1 et 1,5 de points par rapport aux résultats du T1.
Tous arrivent à mieux connaitre, à mieux identifier ces éléments de l’écriture et de la lecture qui
sont si importants au début de l’apprentissage formel. En effet, c’est par la connaissance des
éléments sublexicaux comme les lettres que les progrès en lecture/écriture peuvent se réaliser ;
le fameux passage du B-A vers le BA peut ainsi s’accomplir. Les lettres sont les unités
sublexicales minimales traitées dans ce bilan, mais elles sont bien évidemment intimement liées
aux connaissances phonologiques qui leur correspondent à l’oral.

Les épreuves de comptage d’unités linguistiques restent difficiles, ce qui est attendu, au vu des
connaissances phonologiques liées à l’épreuve de syllabes. L’épreuve de comptage des mots
dans une phrase, trop difficile au T1, arrive maintenant à se réaliser avec de bons scores.

Les unités lexicales se présentent en force, ce que confirme l’épreuve d’identification des mots
cibles, où deux élèves arrivent aux scores maximaux de 8 points (Ade et Igo). Les autres élèves,
Géo et Bar, ne restent pas bien loin avec leurs résultats élevés (6 et 7 points respectivement). Il
apparait que les connaissances lexicales sont les plus travaillées en classe (voir les analyses plus
loin), ce que ce résultat confirme en termes d’appropriation personnelle stabilisée de mots
connus et réguliers.

De leur côté, les unités sublexicales complexes comme les syllabes sont encore en émergence ;
elles ne sont pas faciles à traiter et à s’approprier, car elles dépendent dans plusieurs cas des
capacités des enfants à entendre, capacités défaillantes chez eux. Toutefois, les connaissances
des lettres progressent de manière très nette : chaque élève réalise des progrès dans les deux
épreuves les concernant, donnant à voir la maitrise de plus en plus grande de ces unités
importantes de l’entrée dans l’écrit.

11.2.2. LES STRATÉGIES D’ÉCRITURE À T3 :

Regardons maintenant comment se réalisent les stratégies d’écriture des mots à T3. Les enfants
ont-ils progressé ? Comment se situe le groupe en ce moment-là de l’année scolaire, face aux
connaissances attestées par Ade déjà au début de l’année (tableau 19) ?

179
Tableau 19. Stratégies d’écriture des mots utilisés par chaque élève à T3.
Enfants
Nb. des Ade Igo Géo Bar
stratégies
d’écriture
présentes
(max.8 items)
IMP

GRA 1

VNO 2 1

LOG 3 2

SYL 2* 3*

ALP 6 7

LEX 2 1

Légende:
IMP – stratégies sémiopicturales en imitation de l’image et les stratégies d’imitation graphique
GRA – stratégie sémiographique, production des traces graphiques discontinues
VNO – principe de variété et du nombre de lettres
LOG – production de lettres issues du répertoire logographique sans correspondances phonologiques
SYL – stratégies syllabiques
ALP – stratégies alphabétiques
LEX – stratégies lexicales
*un ou plus d’items réfusés

Une tendance générale est marquée par un mouvement vers le bas du tableau, c’est-à-dire par
la mise en œuvre de stratégies de plus en plus complexes.

Ade et Bar arrivent au même résultat : ils présentent des stratégies alphabétiques en majorité,
avec une émergence de stratégies lexicales. Les deux autres élèves sont relativement attachés
aux stratégies majoritaires du temps T1 ; toutefois ils donnent le signe d’une évolution dans
l’apparition des stratégies syllabiques, qui sont alors émergentes.

180
11.3. PROGRESSION DES ÉLÈVES D’UN BILAN À L’AUTRE : LES 5 ÉPREUVES ET LES STRATÉGIES
D’ÉCRITURE

Voyons maintenant les tableaux comparatifs des 5 épreuves et des stratégies d’écriture des
mots pour observer la progression des élèves depuis le début de l’année à la fin.

11.3.1. LES 5 ÉPREUVES :

Tableau 20. Résultats des élèves aux 5 épreuves du bilan :

Résultats individuels aux bilans psycholinguistiues


T1-T3
8

6 Identification des lettres

5 Écriture des lettres

4
Comptage des syllabes
dans un mot
3
Identification des mots
2 cibles
Comptage des mots dans
1 une phrase

0
T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3
Ade Igo Géo Bar

Nous pouvons observer ici les gains de chaque enfant du T1 au T3 à travers les 4 épreuves
suivantes : l’identification et écriture des lettres (en bleu et rouge), l’indentification des mots
cibles (en violet) et le comptage des syllabes dans un mot (en vert). Les résultats de comptage
des mots dans une phrase restent partiels et concernent uniquement le T3 (en bleu clair).

Deux élèves, Igo et Ade, sont souvent en tête du groupe (dans 3 épreuves, les épreuves de
comptage n’étant pas évidentes) et ceci au T1 et au T3. Nous allons analyser les gains de ces
deux enfants au vu des bilans plus particulièrement. Plus loin, ces deux enfants servirons

181
d’exemple des cheminements différenciées de construction des savoirs littéraciques au chapitre
13 de cette partie, où l’analyse de l’usage des deux langues sera présentée.

A l’épreuve de l’identification des lettres, Ade a le meilleur résultat du T1, Igo arrive juste
derrière. Au T3 les deux enfants arrivent au même résultat.

A l’épreuve de l’identification des mots cibles c’est Igo qui mène le groupe au T1, ayant Ade et
Géo à ses trousses. Au T3 de nouveau, l’égalité entre les deux enfants, Igo et Ade, est marquée
et ils obtiennent le maximum des points.

Examinons maintenant comment les enfants progressent d’un temps à l’autre en ce qui
concerne les stratégies d’écriture qu’ils utilisent.

11.3.2. LES STRATÉGIES D’ÉCRITURE DES MOTS :

Tableau 21. Stratégies d’écriture T1-T3.

Ade Igo Géo Bar

Temps d’obs. T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3

Nb de Stratégies
d’écriture (max.8its)
IMP (imitation picturale)
GRA (traces graphiques 4 1 5
discontinues)
VNO (principe de la variété 3* 2 3 1
et du nombre des lettres)
LOG (production des lettres 2 3 1 2 3
du répertoire logographique
en ligne)
SYL (stratégies syllabiques) 5 2* 3*

ALP (stratégies 3 6 7
alphabétiques)
LEX (stratégies lexicales) 2 1

* un ou plus d’items refusés

Comme nous l’avons décrit en détails plus haut, le T1 se caractérise par la dissonance qui existe
entre l’utilisation des stratégies par le groupe-classe et par Ade, qui s’en distancie. Elle utilise
déjà les stratégies plus complexes, syllabiques et alphabétiques, qui ne sont pas du tout
envisagées par les autres élèves (cf les deux ellipses bleues). Une toute autre situation peut être

182
observée à la fin de l’année scolaire, à T3, (ellipse rouge et chiffres en bleu). Un ensemble,
englobant tous les l’élèves apparait mais on constate une multitude de stratégies en utilisation.
Des stratégies privilégiées à T1 restent encore bien présentes chez deux élèves, Igo et Géo, mais
accompagnées des stratégies syllabiques en émergence.

Deux autres élèves, Ade et Bar, arrivent déjà aux stratégies alphabétiques et lexicales dans leurs
écritures. Ce sont ces deux enfants qui obtiennent des résultats comparables et vont vers les
écritures organisées selon le principe alphabétique, qui se complexifient vers l’étape prochaine,
celle de l’écriture correcte, orthographique, pour quelques mots, en tout cas pour les mots
courts, fréquents, réguliers et connus.

Ces cas d’Ade et de Bar sont intéressants du point de vue de cheminement qu’ils prennent
depuis le début de l’année. Ade est avancée déjà à T1 : ses résultats aux 5 épreuves le montrent
clairement. Elle possède déjà de bonnes connaissances des lettres, en identification et en
écriture, de bonnes connaissances des autres structures sublexicales comme la syllabe, et des
connaissances lexicales avancées. Elle présente les stratégies d’écriture des mots bien
évoluées ; on découvre donc une élève qui veut écrire de manière correcte déjà à ce moment,
et elle en a les capacités. Pendant l’épreuve, elle réfléchit, essayant de donner la réponse juste,
elle considère l’écriture « comme il faut » et non pas « comme tu peux, comme tu sais » de la
consigne. Elle a une conscience de ses imperfections et elle essaye de faire le mieux possible
pour être performante.

Une toute autre posture est celle de Bar. Il applique la consigne, essaye de faire « comme il
peut » à ce moment donné du début de l’année (T1), et il se trouve avec la majorité de la classe
dans le sous-ensemble bleu des stratégies émergentes. Toutefois, il est celui qui progresse le
plus à T3, où il rejoint les résultats d’Ade. Il change au cours d’année, non seulement sa posture
d’élève qui progressivement s’engage dans le contrat didactique, « aime l’école », construit ses
apprentissages et les prend à cœur, et par conséquent marque des grands progrès dans
plusieurs domaines. Ici, ces progrès sont visibles dans toutes les épreuves littéraciques, et dans
les stratégies d’écriture où on observe le saut qualitatif le plus important.

Le passage est également de taille au niveau de son engagement dans la tâche en classe : en
effet, du principal moteur des perturbations au T1, il passe au moteur des significations
émergentes à partager durant la séance d’ouverture du T3. Sa posture d’engagement est claire,
souvent affichée par ses affirmations « je sais ! moi je sais». Ces dernières, à ce temps de la fin
de l’année, sont le plus souvent fondées et répondent à la question posée par l’enseignant.
Dans le groupe, il faut souligner ici que Bar se présente comme un cas particulier dans la mesure
où le diagnostic qui le concerne, fait ressortir un trouble attentionnel et de l’hyperactivité
(ADHD), traité par la prise de Ritaline. En cours d’année, ce traitement lui permet de se
concentrer mieux à l’école et de profiter des enseignements donnés.

183
Au terme de la présentation de ces bilans littéraciques descriptifs, une part d’explication des
résultats des élèves passe par l’appropriation individuelle des composantes des savoirs lexicaux
et sublexicaux travaillés en classe. Egalement, les changements de posture des élèves durant
cette année scolaire, comme c’est le cas de Bar, jouent un rôle non négligeable. De plus,
l’explication de la progression des élèves se trouve en majorité dans les appuis et les
compléments qui accompagnent le travail en groupe. En effet, durant cette année, un effort
important a été déployé pour favoriser le travail individuel des élèves, soit en classe, lors des
moments d’exercices plus individualisés, spécifiques aux besoins de tout un chacun ; soit en
amont du travail scolaire, lors des séances de logopédie, auxquels chaque enfant de cette classe
participe. Ainsi, les interventions autant pédagogiques que thérapeutiques prennent en charge
des éléments langagiers, et les composantes du savoir lire/écrire, comme les composantes
lexicales et sublexicales qui apparaissent dans ce bilan. Si ces composantes sont travaillées en
classe, elles le sont aussi en thérapie et à la maison, faisant partie des communications
quotidiennes des enfants avec leur entourage social, plus ou moins familier.

Dans le chapitre suivant, nous allons relater comment ces mêmes composantes linguistiques se
déploient dans l’activité de Lecture Interactive, en classe. C’est à travers les résultats des
analyses microgénétiques que nous y entrons pour relever comment ces composantes circulent
en interactions, dans le groupe-classe, d’une séance à l’autre, et comment elles se
transforment, se complexifient, se construisent entre les partenaires, durant l’année scolaire.

184
CHAPITRE 12 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE MICROGÉNÉTIQUE

L’analyse microgénétique se caractérise par six étapes dont les trois premières sont le recueil
des données audio-vidéo continues, les transcriptions des séances en verbatim d’interactions
vocales et signées, verbatim continu et complet, et leur découpage en unités de sens, donnant
lieu à leur catégorisation interprétative. Même si elles sont préalables à l’analyse en tant que
telle, ce sont des étapes d’élaboration des données incontournables et méticuleuses à la fois,
permettant par la suite quatre types de microanalyses, dont les résultats sont présentés dans ce
chapitre. Rappelons que ces résultats s’appuient d’une part sur des éléments de la situation
donnés à travers les analyses a priori (cf. ch. 7). D’autre part, ils reflètent l’exercice complexe de
saisir/comprendre/expliquer les éléments créés/inédits, apparaissant dans le hic et nunc du
déroulement du processus d’enseignement apprentissage, pendant chaque séance analysée.

La première microanalyse est structurale : elle capte et résume l’apparition de tous les codages
d’unités de sens (US)83 en tableaux structuraux qui les « aplatissent » en synchronie, sans tenir
compte du déroulement des interactions. Elle revêt un caractère de description quantitative,
exprimé en fréquences (pourcentage) d’apparition de deux propriétés des énoncés ; les
contenus et les modalités. Il s’agit des contenus énonciatifs qui renvoient au savoir lire/écrire
(autant de composantes textuelles, linguistiques, narratives, métacognitives et contextuelles)
énoncés par les enseignants et les élèves. Sont également pointées les modalités énonciatives
qui informent sur les intentions sous-jacentes aux énoncés, du côté des enseignants et de celui
des élèves (12.1.). Cette analyse répond aux questions concernant les composantes du savoir
littéraciques traitées effectivement en situation, en comparaison avec les contenus potentiels
relevés par l’analyse a priori. Elle fournit aussi une première réponse à la question des
intentions à travers lesquelles enseignants et élèves s’expriment sur ces composantes.

La deuxième microanalyse, séquentielle, présente l’organisation de ces composantes au fil du


déroulement des séquences, ainsi que d’une séquence microgénétique 84 à la suivante. Elle
permet une comparaison entre les séances et leur organisation propre, à chaque, temps
d’observation (T1, T2, T3). La question essentielle à la clé de cette analyse est celle de savoir
comment circulent les objets d’enseignement apprentissage, aussi bien à l’intérieur d’une
séance que d’une séance à l’autre. Nous présentons les résultats de cette analyse au point 12.2.

83
Pour rappel, l’Unité de Sens (US) se définit comme la plus petite « unité analysable, renvoyant aux intentions
guidant les énoncés des partenaires à propos du savoir » (Balslev, Martinet & Saada-Robert, 2006, p.45.).
84
Les séquences microgénétiques se définissent comme « une succession d’unités de sens portant sur une
composante du savoir dominante » (Balslev, Martinet & Saada-Robert, ibid.).

185
La troisième microanalyse, celle de la dynamique interactionnelle, vise à savoir comment les
partenaires de l’interaction didactique s’ajustent pour se comprendre mutuellement et avancer
ensemble dans la découverte du livre avec ses contenus de savoir (12.3.).

Enfin, la dernière microanalyse, résultant du procédé 6, porte sur l’élaboration conjointe des
significations partageables à propos des contenus d’enseignement apprentissage traités lors des
séances de Lecture interactive ; de même, elle porte sur la construction conjointe d’une Zone
de compréhension qui passe par des états différents pour devenir commune (12.4.).

12.1. A NALYSE STRUCTURALE DES CONTENUS ET DES MODALITÉS ÉNONCIATIVES (T1, T2,
T3)

Les tableaux structuraux des fréquences des contenus et des modalités énonciatives présentés
dans ce point, permettent une condensation des résultats obtenus (Mucchielli, 1997) donc une
vue d’ensemble de ces derniers. Cette analyse structurale est le premier pas dans la constitution
des résultats réduits, condensés et parlants. Les tableaux de fréquences d’apparition des
codages résument les contenus de savoir et les modalités énonciatives du coté des enseignants
et du coté des élèves.

Cette analyse représente la troisième étape de l’analyse microgénétique, c’est-à-dire, la phase


de catégorisation interprétative des unités de sens. Elle fait donc apparaitre quelles catégories –
quels contenus ou composantes du savoir littéracique et quelles modalités – sont réellement
actualisées, mises en jeux lors des interactions entre les élèves et enseignants.

186
12.1.1. COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE RÉELLEMENT ACTIVÉES À T1

Quels sont les contenus des énoncés et quelles sont les modalités qui apparaissent lors du
déroulement des séances ? Quels sont les contenus privilégiés d’une séance à l’autre durant
l’année scolaire ? Quelles composantes du savoir littéracique sont exprimées dans les énoncés ?
Les élèves et les enseignants parlent-ils /signent-ils de la même chose ? Les élèves « suivent »-
ils les enseignants pendant leurs échanges au sujet des composantes de savoirs traitées ?

Analysons tout d’abord la situation du T1 au vu de ces questions. Comment lors de cette séance
du début de l’année, les composantes du savoir lire/écrire apparaissent-elles à travers les
contenus énonciatifs résumés ci-contre ?

Tableau 22. Contenus des énoncés à T1.


CONTENUS DES ENONCES - T1

REPLEX/REPSUPRA

SUBLEX-syllabe

SUBLEX-phono

ORG/ORGSEM
GESTGR/ENG

SUBLEX-lettre
LEX/LEXSEM

CONCECR
PROGACT

CONCLEC

LECTURE
PICFORM
CONTVIE

LOGOGR

GRANAR
nb d'US

SEMANT
PRATLIV

PICNAR
PRAGM
CONFR
AUTRE

INFER
META
Ens

0 9 2 3 2 4 2 9 11 2 12 6 0 14 5 5 1 3 0 8 3 1 0
723

% % % % % % % % % % % % % % % % % % % % % % %

5 9 1 4 1 1 1 9 10 1 22 5 1 11 3 6 3 2 0 4 2 0 0
525
Els

% % % % % % % % % % % % % % % % % % % % % % %

Légende :
Ens : enseignants
Els : élèves
Les couleurs renvoient à un regroupement des composantes du savoir littéracique. Les contenus
précis sont décrits au point 9.3.1. de la partie méthodologique où les définitions des codes sont
données et explicités.
Jaune = composante contextuelle liée aux connaissances extra langagières (PRATLIV et
CONTVIE)
Bleu = composante narrative avec l’exploration de l’image (composante sémiopicturale
PICFORM et PICNAR), et l’exploration du texte (composante sémiographique GRANAR)
Vert = composante sublexicale et le repérage lexical servant l’acte de lire
Orange = composante lexicale
Violet = composante textuelle, organisation du texte (ORG)
Gris = conceptualisation de l’écrit ou de la lecture, composante métacognitive (CONCECR et
CONCLEC)
Rose-fuchsia = composante contextuelle – gestion du groupe

187
Le tableau 22 indique que, de manière générale en ce début de l’année scolaire, les enseignants
et les élèves se retrouvent sur plusieurs contenus énonciatifs, les propositions des enseignants
sont donc assez bien suivies. Un écart important peut s’observer quant au contenu lié à la
description d’images (PICFORM) qui est proportionnellement le plus représenté chez les élèves
(22%), constituant presque le double de la fréquence relevée chez les enseignants (12%). Cette
différence peut s’expliquer par la richesse des images du livre étudié (« La petite poule rousse »
voir l’analyse a priori point 7.5.1.), mais aussi par l’intérêt et la maitrise de ce contenu par les
élèves, permettant la construction du sens de la narration bien avant le texte. Il est convoqué à
plusieurs reprises durant la séance, même si les enseignants sont en train de proposer un autre
contenu. En effet, les objectifs de cette leçon visent les contenus plus élaborés, textuels,
lexicaux et sublexicaux, ceux qui se trouvant sur la couverture du livre. Ces contenus constituent
presque 40% des interventions des enseignants (LEX/LEXEM, REPLEX, SUBLEX, ORG). Ils sont
assez bien suivis par les élèves (presque 30%) avec des aller et retours par d’autres contenus
auxquels les élèves tiennent particulièrement. Parmi eux, les contenus se référant à la
composante extra-langagière, ici au contexte de vie et aux pratiques sociales autour des livres :
CONTVIE, PRATLIV ensemble représentent 20% et 19% des occurrences. Ils sont privilégiés par
les enfants en ce qu’ils leur servent d’appui pour avancer. Ces contenus sont aussi exploités par
les enseignants qui les utilisent pour expliciter leur propos ou pour impliquer les enfants dans la
tâche, en partant de leurs connaissances vers celles qui sont visées et qui sont à construire
ensemble.

Un autre contenu attire l’attention, c’est la gestion du groupe (GESTGR), où le pourcentage


élevé de la part des deux partenaires du discours témoigne d’une certaine difficulté liée à la
participation et à la concentration des élèves, autrement dit à leur engagement dans la tâche
proposée. Si nous rajoutons 5% des contenus AUTRE qui couvrent les moments où les enfants
sont hors tâche, cela informe sur une certaine dynamique interactionnelle en classe, particulière
à cette séance.

Parmi les contenus relativement peu représentés (META, CONFR, INFER), la confrontation
(CONFR) nous intéresse. Il s’agit d’un procédé utilisé par les enseignants, une façon particulière
de mener la leçon, en impliquant les élèves par l’échange de leurs points de vue. L’enseignante
les sollicite souvent à donner leur avis sur les propositions qui sont l’objet des échanges, du type
« vous êtes d’accord ? » (collectif ou individuel dirigé vers un élève précisément) ; « et toi,
qu’est-ce que tu penses ? ». D’une part, ce procédé fait la place aux élèves en tant que
partenaires de l’échange et d’autre part, il permet de gérer la distribution des prises de parole
pour impliquer tout le monde dans l’interaction. De ce fait, l’attention des élèves est sollicitée,
leur présence, l’écoute des uns et des autres, pour savoir ce qui se passe.

188
Les inférences (INFER) nous intéressent aussi, du point de vue du procédé utilisé par les
enseignants. Comme l’analyse a priori l’a montré, ce livre incite à des hypothèses inférencielles,
et les élèves avec leurs enseignants en profitent pour investir l’histoire et anticiper son
déroulement, ainsi que les rôles respectifs détenus par les héros. Sur ce contenu, les fréquences
des élèves dépassent celles des enseignants, ce qui indique leur engagement et leurs capacités à
déceler les propriétés de l’album allant dans ce sens.

Les contenus liés directement à la lecture et à sa conceptualisation (LECT, CONCLECT, CONCECR)


ne sont pas ou très peu investigués. « La lecture » pour les élèves passe à ce moment-là de leur
scolarité par le décodage lettre par lettre, par le repérage et la reconnaissance globale des mots,
par l’investissement des éléments phonologiques complexes (ch-, ou-, oi-, …), ce qui s’opère de
manière très progressive en ce début de l’année scolaire, et variable d’un élève à l’autre.

Pour conclure, les composantes littéraciques activées lors de cette séance se concentrent sur les
connaissances globales des élèves quant aux livres et à leurs pratiques sociales (CONTVIE,
PRATLIV). Les élèves sont aussi bien attachés à l’image du livre et à sa description (PICFORM) en
tant que source de construction du sens de la narration. Ils ne répondent pas vraiment au
passage vers l’écrit, comme c’est l’intention des enseignants. C’est à l’incitation de ces derniers
que les composantes plus élaborées apparaissent : les composantes lexicales (REPLEX,
LEX/LEXSEM), et sublexicales qui sont proposées (SUBLEX).

189
12.1.2. COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE ACTIVÉES À T2

Regardons comment ces mêmes composantes du savoir lire/écrire sont représentées à T2, à mi-
chemin du temps de la recherche, à travers les contenus des énoncés relevés dans le tableau
suivant :

Tablea23. Contenus des énoncées à T2.

CONTENUS DES ENONCES - T2

REPLEX/REPSUPRA

SUBLEX-syllabe

SUBLEX-phono

ORG/ORGSEM
GESTGR/ENG

SUBLEX-lettre
LEX/LEXSEM

CONCLECT
CONCECR
PROGACT

LECTURE
nb d'US

PICFORM
CONTVIE

LOGOGR

GRANAR
SEMANT
PRATLIV

PICNAR
PRAGM
CONFR
AUTRE

INFER
META
Ens

722

1% 4% 0% 1% 1% 1% 2% 0% 7% 0% 9% 6% 0% 10% 16% 6% 1% 2% 8% 4% 3% 1% 17%


411
Els

2% 5% 0% 1% 0% 1% 1% 0% 10% 0% 12% 5% 0% 11% 13% 7% 3% 2% 4% 3% 2% 1% 18%

Légende :
Ens : enseignants
Els : élèves
Les couleurs renvoient à un regroupement des composantes du savoir littéracique. Les contenus
précis sont décrits au point 9.3.1. de la partie méthodologique où les définitions des codes sont
données et explicités.
Jaune = composante contextuelle liée aux connaissances extra langagières (PRATLIV et
CONTVIE)
Bleu = composante narrative avec l’exploration de l’image (composante sémiopicturale
PICFORM et PICNAR), et l’exploration du texte (composante sémiographique GRANAR)
Vert = composante sublexicale et le repérage lexical servant l’acte de lire
Orange = composante lexicale
Violet = composante textuelle, organisation du texte (ORG)
Gris = conceptualisation de l’écrit ou de la lecture, composante métacognitive (CONCECR et
CONCLEC)
Rose-fuchsia = composante contextuelle – gestion du groupe

Au T2, nous pouvons observer une nette progression de la classe vers les contenus textuels et
vers la lecture : ils constituent les pourcentages le plus élevés de la séance. Effectivement, d’un
coté les intentions des enseignants confirment la volonté d’atteindre ce contenu, d’un autre
coté le thème du hérisson et de son mode de vie a été préalablement travaillé en classe, ce qui

190
facilite une entrée dans l’activité par les élèves. Cette fiche est rapidement accessible
concernant les caractéristiques de l’image, libérant la place à l’étude de l’écrit. Nous observons
une correspondance plus marquée des pourcentages des contenus proposés par les enseignants
et poursuivis par les élèves.

Le contexte de vie (CONTVIE) n’est plus autant investi qu’au T1 et le changement se remarque
aussi au niveau de l’importance de la description de l’image (PICFORM), même si les enfants
l’utilisent encore de manière plus évidente que les enseignants. Toutefois, la séance se
concentre nettement sur la lecture. Tout d’abord, l’étape de décodage est démontrée par la
concentration des contenus lexicaux et sublexicaux (LEX/LEXSEM, REPLEX/REPSUPRA, SUBLEX)
qui représentent une partie importante de cette séance 35%. Ces contenus sont autant investis
par les enseignants que par les élèves (même si la distribution des pourcentages diffère
légèrement). Si on complète ce pourcentage par la lecture elle-même, cela mène à plus que
50% des interventions, prenant en compte les contenus liés aux mots et aux groupes
grammaticaux dans les phrases, à leur décodage et à leur reconnaissance visuelle, avec la
lecture répétée, tour à tour par les enfants, chacun à son tour acteur principal de l’action
conjointe. L’apparition de contenus lié à la structure narrative, à partir de l’image (PICNAR – 6 et
5%) ou prenant le texte comme appui (GRANAR – 8 et 4%) montre l’importance accrue accordée
aux hypothèses concernant le déroulement de l’histoire, les hypothèses émanant autant de
l’image, que du texte étudié. Cette importance est fortement marquée de la part des
enseignants, alors que les élèves suivent quand il s’agit de l’image et moins sur le texte. Le
pourcentage obtenu du côté des élèves représente la moitié de celui des enseignants (4%
contre 8%).

La gestion du groupe (GESTGR) est mieux équilibrée et son pourcentage diminue par rapport au
T1. Ceci laisse supposer que les enfants et les enseignants se comprennent mieux, se suivent
mieux et établissent une zone de compréhension plus facilement (ce qu’il s’agira d’investiguer
plus à fond par l’analyse du point 12.4.). Nous verrons dans les chapitres sur les analyses
séquentielles comment ces mêmes contenus sont distribués pendant le déroulement de
l’activité en classe.

En conclusion, les composantes du savoir lire/écrire réellement mises en jeu lors de cette
séance, se concentrent sur la lecture et ses aspects lexicaux, sublexicaux, supralexicaux (LECT,
LEX/LEXSEM, REPLEX, SUPRA, SUBLEX). Toutefois, l’exploration de l’image et les hypothèses
quant au déroulement de la narration constituent aussi des composantes importantes
(PICFORM, PICNAR, GRANAR), bien représentées de coté des élèves qui partent en s’appuyant
sur l’image pour prendre peu à peu appui sur le texte. Ce déplacement ne s’effectue pas
spontanément de leur part ; il est marqué par la médiation de la part des enseignants, surtout
face à la composante textuelle liée à la structure narrative du récit prise comme l’un des

191
objectifs de la leçon (GRANAR). Les élèves suivent leurs enseignants, mais progressivement,
intégrant peu à peu cette composante complexe.

12.1.3. COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE ACTIVÉES À T3

Examinons maintenant les contenus présents dans la dernière séance, à la fin de l’année
scolaire, pour y déceler les composantes du savoir lire/écrire réellement activées lors de cette
séance.

Tableau 24. Contenus de savoir à T3.


CONTENUS DES ENONCES - T3

REPLEX/REPSUPRA

SUBLEX-syllabe

SUBLEX-phono

ORG/ORGSEM
GESTGR/ENG

SUBLEX-lettre
LEX/LEXSEM

CONCLECT
CONCECR
PROGACT

LECTURE
PICFORM
CONTVIE

LOGOGR

GRANAR
SEMANT
PRATLIV

PICNAR
nb d'US

PRAGM
CONFR
AUTRE

INFER
META

11 20 10
1122
Ens

0% 2% 1% 0% 1% 1% 5% 1% % 3% 6% 4% 0% % % 3% 2% 2% 8% 9% 1% 2% 6%

15 11 16 10
675
Els

2% 1% 0% 0% 0% 1% 3% 5% % 1% % 3% 1% % 7% 4% 2% 3% 6% % 0% 2% 9%

Légende :
Ens : enseignants
Els : élèves
Les couleurs renvoient à un regroupement des composantes du savoir littéracique. Les contenus
précis sont décrits au point 9.3.1. de la partie méthodologique où les définitions des codes sont
données et explicités.
Jaune = composante contextuelle liée aux connaissances extra langagières (PRATLIV et
CONTVIE)
Bleu = composante narrative avec l’exploration de l’image (composante sémiopicturale
PICFORM et PICNAR), et l’exploration du texte (composante sémiographique GRANAR)
Vert = composante sublexicale et le repérage lexical servant l’acte de lire
Orange = composante lexicale
Violet = composante textuelle, organisation du texte (ORG)
Gris = conceptualisation de l’écrit ou de la lecture, composante métacognitive (CONCECR et
CONCLEC)
Rose-fuchsia = composante contextuelle – gestion du groupe

192
Au temps T3, les contenus sémiographiques sont clairement investis (LEX, REPLEX, SUBLEX,
GRANAR, ORG, CONCLECT/ECR, LECT). Leur distribution est toutefois différente qu’au temps
précédent T2. En effet, ce n’est pas la lecture qui est la plus fréquente cette fois-ci, mais les
contenus lexicaux (LEX/LEXSEM : 20% chez les enseignants et 16% chez les élèves avec
REPLEX/REPSUPRA : 10% chez les enseignants et 7% par les élèves). Toutefois, la lecture renvoie
à un pourcentage de 10/11% (si l’on la considère avec la conceptualisation de la lecture
CONCLECT, qui est le contenu le plus proche). Ce résultat est représentatif de l’intention des
enseignants de poursuivre le guidage amorcé à T2 vers la lecture. Mais il s’agit cette fois-ci d’un
album qui ne présente pas les facilités de compréhension offertes par l’ouvrage abordé au
temps précédent (voir l’analyse a priori de cet album cf. 7.5.1.).

L’exploitation des images (soit leur description (PICFORM), soit les hypothèses sur la narration à
partir des images (PICNAR)) est encore en diminution par rapport au T2. Les hypothèses sur la
trame narrative (GRANAR) se réalisent plus fréquemment à partir du texte, et plus précisément
des mots, découverts en interaction ou reconnus/décodés individuellement lors de la
découverte du livre par soi-même.

Un important travail est accordé aussi aux contenus touchant à l’organisation de l’ouvrage :
découverte de son titre, du nom de l’auteur, et des éléments structurant du texte comme la
ponctuation qui marque le début et la fin de la phrase (ORG/ORGSEM en violet dans le
tableau).

La composante contextuelle, du contexte de vie (CONTVIE : 11% Ens, 15% Els) revient en force.
Elle constitue la fréquence la plus importante chez les élèves, avec celle qui concerne le lexique
(16%). Le contexte de vie apparaît également comme le deuxième contenu énoncé par les
enseignants (11%), après celui du lexique (20%). Une partie d’explication de ce résultat peut
être accordé au fonctionnement de la classe où le contexte de vie et les connaissances
générales du monde sont utilisés, autant par les enseignants que par les élèves, pour permettre
la mobilisation des connaissances visées et leur activation dans la situation didactique.
S’agissant de situations porteuses de sens sur le thème de la famille, convoquées dans le vécu
de la classe en rapport avec les objets d’enseignement apprentissage abordés, ces
connaissances du monde sont évoquées aussi bien par les uns ou par les autres partenaires. Ce
thème si proche du contexte de vie de chaque enfant, incite en effet à la discussion et à
l’identification aux héros du livre.

Pour résumer, à travers les contenus énoncés, nous pouvons saisir les composantes du savoir
lire/écrire activées lors de cette séance : elles se centrent sur les connaissances lexicales,
phonologiques, textuelles (LEX/LEXSEM, REPLEX, SUBLEX, ORG) et concernent la structure
narrative à partir du texte plutôt que des images (GRANAR). Elles sont donc plus complexes. Le
retour des composantes contextuelles relevant du contexte de vie n’étonne pas du tout, car

193
elles ont un trait, d’une part, du fonctionnement de l’interaction didactique riche en
associations possibles évoqués par les enfants ; et d’autre part, elles apparaissent comme
constitutives des scripts contenus dans l’album lui-même, ce qui incite à les explorer par les
lecteurs potentiels, ici les élèves, avec le guidage de leurs enseignants.

12.1.4. SYNTHÈSE D’ANALYSES DES COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE À TRAVERS LES TEMPS
D’OBSERVATION T1-T2-T3

Revenons brièvement sur les composantes qui nous intéressent dans ce travail le plus, c’est-à-
dire les composantes linguistiques (essentiellement lexicales et sublexicales), textuelles liées à la
structure narrative de l’album, et contextuelles dans leur évolution durant l’année scolaire. Elles
apparaissent par la complexification des contenus qui évoluent des contenus sémiopicturaux à
T1 (PICFORM, PICNAR) vers les contenus sémiographiques (GRANAR, ORG, LEX, SUBLEX, REPLEX,
LECT) à T2 et surtout à T3. Les autres contenus peu représentés au niveau des fréquences
seront aussi pris en compte dans cette synthèse et résumés brièvement dans ce qui suit.

Les deux contenus représentatifs des composantes sémiopicturales méritent d’être repris et
synthétisés : la référence aux images et leur description (PICFORM) et la prise en compte des
éléments imagés pour construire les hypothèses sur le déroulement narratif de l’album
(PICNAR).

Les composantes contextuelles liées à la démarche didactique entreprise par les enseignants
(PRAGM, PROGACT etc.) ou liées aux connaissances du monde environnant de l’enfant, avec les
pratiques sociales qui y sont liées, notamment face aux livres (contexte de vie-CONTVIE et les
pratiques autour des livres-PRATLIV) sont très fréquentes. Elles jouent un rôle important dans
l’accès des enfants aux autres composantes plus complexes.

12.1.4.1. Les composantes les plus fréquentes

Composantes liés à l’image du livre et contextuelles :

L’évolution de ces deux contenus auxquels les enfants tiennent énormément (PICFORM,
CONTVIE), surtout à T1, est d’une part attendu (voir les questions de recherche et les
hypothèses), et s’explique d’autre part, par le manque de connaissances stabilisées concernant
l’écrit à ce moment de l’année scolaire. Si on relie ce résultats aux résultats individuels aux
bilans à T1, nous voyons clairement que les enfants sont à un moment où plusieurs
connaissances émergent (concernant les lettres, les syllabes, les mots), mais qu’en même
temps, ces connaissances sont loin d’être stabilisées (sauf pour Ade qui témoigne de
connaissances déjà présentes).
194
Les références à l’image et sa description (PICFORM), qui contribue à l’établissement du
schéma narratif de l’histoire et à la compréhension du récit, apparaissent d’une extrême
importance pour les enfants à T1 (22%). Ensuite leur utilisation se stabilise et reste constante à
T2 et à T3 (12% et 11%). Les élèves y sont très attachés, ignorant l’écrit à T1. Plusieurs détours
de la part des enseignants, et à la fin une démonstration des éléments écrits, sont nécessaires
pour détacher leur attention de l’image et la diriger vers l’écrit, particulièrement à travers une
observation interactive minutieuse de la page decouverture (voir l’analyse interactionnelle plus
loin).

Une autre situation se présente à T2, où l’exploration de l’image occupe une partie de la séance,
mais reste proportionnelle à l’étude du texte qui vient relativement vite et sans opposition de la
part des élèves. A T3, pareillement, l’étude des images a sa place dans la découverte de l’album,
mais elle est proportionnelle et tout à fait adaptée à la situation. Les images servent aux enfants
et aux enseignants pour émettre des hypothèses que l’étude du texte vérifie par la suite. Ces
hypothèses concernent aussi bien les personnages ainsi que la trame narrative (PICNAR).

Le contexte de vie (CONTVIE), à travers les trois temps de la recherche, apparaît comme un
contenu clé dans le processus d’apprentissage, ici l’acquisition des composantes du savoir
littéracique. Il constitue la composante contextuelle de référence, sur laquelle les enseignants
et les élèves s’appuient pour se comprendre et se faire comprendre mutuellement. Cette
composante importante est maitrisée précocement par les élèves et constitue pour eux un
point d’encrage de la situation décrite par l’album étudié. Dans quels buts est-elle utilisée ? De
la part des enseignants, elle apparait surtout dans le but d’activer les connaissances émergentes
et favoriser à la fois une atmosphère de confiance et de travail. En reconnaissant les acquis et
les efforts fournis par les élèves, les enseignants les encourageant en les écoutant. Il s’agit d’un
moteur puissant de motivation qui permet à tous les enfants de se sentir reconnus en tant que
sujets communicants, dans l’une ou les deux langues proposées – voir l’analyse bilingue plus
loin –. Quelques fois c’est même un moyen d’expression des émotions, des représentations ou
des événements de la vie sociale qui s’expriment par ce biais : les pratiques, les règles, les
attitudes face aux comportements acceptés ou bizarres… représentations des enfants
auxquelles les enseignants prêtent attention.

De la part des élèves, c’est un moyen de s’exprimer, mais aussi de prendre leur place dans le
discours, dans la discussion sur un sujet commun, qui, toutefois, peu faire penser à un autre,
beaucoup plus proche de la vie quotidienne. Justement, toutes les connaissances du monde
environnant servent à l’apprentissage de la lecture/écriture – dans l’absolu – et peuvent être
utiles à l’un ou l’autre moment du déroulement des activités en classe. Cette composante peut
par ailleurs se référer à une flexibilité cognitive et à un procédé d’activation/mobilisation des
connaissances du monde pour tenir les élèves en alerte.

195
Composantes sublexicales, lexicales, textuelles et liées à la structure narrative :

Les composantes sublexicales – ou les connaissances du système alphabétique – liées aux


unités plus petits que les mots (lettre, syllabe, son), SUBLEX, sont représentées aussi bien à un
temps et à d’autres : à T1 (Ens9%, Els 11%), à T2 (Ens 9%, Els 12%) et à T3 (Ens 7%, Els 9%). Il est
intéressant de remarquer que les élèves les utilisent toujours plus que les enseignants qui
présentent des fréquences plutôt stables. C’est effectivement les élèves qui en ont vraiment
besoin pour accéder aux mots et aux groupes dans les phrases ainsi qu’à leur signification. Les
procédures de décodage lettre par lettre, son par son, syllabe par syllabe sont fréquentes, et
pour les élèves très importantes en ce début de l’apprentissage formel de la lecture/écriture. La
diminution d’importance de ces composantes à T3 peut servir d’indice de l’évolution des
connaissances sublexicales (lettres, syllabes) comme le relèvent aussi les résultats du bilan du
T3. En effet, les gains sont observés dans toutes les épreuves et pour tous les enfants du
groupe. Le travail spécifique en classe concernant surtout les correspondances phonologiques
et une prise en charge spécialisée en logopédie, ont certainement une part d’explication de ces
résultats.

La composante lexicale (LEX/LEXSEM) est introduite en force depuis le début de l’année


scolaire, mais apparait de manière plus au moins régulière. Importante déjà au début de l’année
scolaire comme témoigne T1 (Ens 14%, Els 11%). Une légère diminution intervient chez les
enseignants à T2, (Ens 10%, Els 11%), dû certainement à l’élaboration de la lecture qui est une
composante principale de cette séance. À T3, une augmentation importante intervient (Ens
20%, Els 16%), or 20% représente 1/5 de la leçon, qui est consacrée de la part des enseignants à
cette composante lexicale. On remarque également que les enfants suivent leurs enseignants,
ce qui nous permet de dire que l’indice d’une certaine maitrise, ou tout au moins d’une certaine
aisance, se profile chez eux. Ce résultat peut être lié aussi aux résultats du bilan et plus
particulièrement à l’épreuve de reconnaissance des mots : à la fin de l’année deux enfants sur
les quatre arrivent au maximum de points à cette épreuve (Igo et Ade). Les autres épreuves
donnent aussi quelques indications sur la progression de la connaissance des lettres, des sons et
des syllabes ; elles contribuent certainement à cette utilisation du lexique aisée, à la fin de
l’année scolaire observée.

Les composantes plus complexes se centrant sur le repérage des mots ou des groupes lexicaux
dans les phrases, REPLEX/REPSUPRA, sont représentés ainsi au fil du temps : T1 (Ens 5%, Els 3%),
T2 (Ens 16%, Els 13% ), T3 (Ens,10%, Els7%). Ces composantes sont intimement liées à la
lecture : à T1 elles la remplacent, à T2 elles l’appuient, et à T3 elles la devancent…

Les composantes liées à l’organisation textuelle et ses indices (repérage du titre, ponctuation,
paragraphe, (ORG/ORGSEM), prennent de l’importance, surtout pour les élèves : à T1 (Ens 8%
Els 4%) on remarque une grande différence entre les enseignants et les élèves qui ne suivent

196
pas vraiment et exigent plusieurs retours à ce contenu. À T2, beaucoup plus harmonieux, les
enfants suivent tout à fait (Ens 4%, Els 3%). À T3, les élèves montrent même un attachement
particulier à ce contenu en dépassant légèrement le pourcentage des enseignants (Ens. 9%, Els
10%). Les élèves y sont attentifs et proposent d’eux-mêmes de s’intéresser à cette composante
ou à une autre. Par exemple, ils remarquent un point à la fin de la phrase, et une majuscule
pour les noms propres...

L’évolution de la composante narrative à partir du contenu GRANAR (prise en compte des


éléments de l’écrit, du texte, pour construire les connaissances sur la structure narrative de
l’album), est représentative de la composante sémiographique. Bien qu’assumée, elle n’apparait
que rarement en début d’année scolaire comme le confirment les travaux de Saada-Robert et al.
(2003). Elle se construit progressivement chez les élèves : T1 (Ens 0%, Els 0%), T2 (Ens 8%, Els
4%), T3 (Ens 8%, Els 6%). On remarque une progression chez les élèves de T2 à T3. En observant
ce contenu du côté des enseignants, on peut se rendre compte qu’au T1 il n’est pas du tout
l’objet d’enseignement apprentissage principal, ou est trop peu représenté pour être saisi dans
l’analyse des fréquences. À T2 et à T3 la même proportion est utilisée par les enseignants, ils
sont donc constants dans leur proposition d’aborder ce contenu avec leur élèves, même si ces
derniers semblent ne pas suivre leurs incitations. L’analyse séquentielle nous montrera de
quelle manière ce contenu évolue à travers le temps et dans le déroulement de chacune des
deux séances T2 et T3.

La composante directement liée au fait de lire (LECTURE) émerge à T2 et d’emblée avec de


grands pourcentages, 17% du coté des enseignants et 18% du coté des élèves ; les élèves
semblent donc dépasser les intentions des enseignants et continuent à lire, à être attachés à
cette composante même si les enseignants leur proposent déjà quelque chose de différent. Une
situation comparable peut être observée à T3 (Ens 6%, Els 9%) où les élèves dépassent de
manière plus marquée encore les propositions des enseignants (différence de 3%). Est-ce que ce
fait est induit par le groupe-classe, en tant qu’ensemble d’élèves ? Est-ce qu’il est dû à un élève
en particulier qui tend vers la lecture et la revendique à plusieurs reprises ? L’analyse de la
dynamique interactionnelle donnera sans doute quelques réponses à cette question (cf. point
12.3.).

12.1.4.2. Evolution des composantes peu représentées

Les composantes contextuelles didactiques :

Les aspects pragmatiques des séances sont exprimés par ce contenu lié au déroulement même
de l’activité, son but, ses objectifs, ses étapes (PRAGM). C’est pour ces raisons qu’il apparait
d’habitude au début de la séance où apparaissent les explications sur comment va se dérouler la
séance de lecture interactive. Ensuite, il est rarement présent, et uniquement pour un rappel ou

197
des précisions concernant les consignes données au début de la séance. Si on compare les trois
séances, ce contenu est stable au T1 et T2 (Ens 2%, Els 1% pour les deux temps), mais
« explose » à T3 (Ens 5%, Els 3%) où effectivement la situation est différente : la façon de
travailler proposée aux élèves les implique différemment dans la tâche, c’est eux qui prennent
chacun une copie de l’album, pour le découvrir individuellement, et ensuite travailler en groupe
classe. Et pour cela, un retour aux consignes est plus fréquent, pour redire ce qui est en train de
se passer et réorienter les élèves vers les objectifs attendus ou préciser par quel chemin le
travail devait être accompli.

La progression de l’activité est incitée le plus souvent par les enseignants dans le but de passer
à une étape suivante, ou à un contenu de savoir nouveau (PROGACT). Ce contenu apparait
souvent au moment du changement des séquences. Le plus représenté à T1, et lié à la gestion
du groupe, quelque peu difficile lors de cette séance (GESTGR), d’où sa presque disparition à T2
et T3.

Examinons l’évolution du début à la fin de l’année de contenus liés à la gestion de la classe


(GESTGR, ENG, AUTRE), auquel nous rajoutons la mise en confrontation (CONFR) entre énoncés,
un procédé particulier du T1 (2% Ens, et 1% Els). Ce contenu énonciatif devrait, à notre avis, être
surtout pris en considération dans la séance de début d’année, car il disparait pratiquement lors
des séances du T2 et T3 (1%, uniquement pour les enseignants). Une explication plausible de ce
résultat est que, de manière générale au fil de l’année, les enfants sont de plus en plus
concentrés et adhérent de mieux en mieux au déroulement des séances proposées par leurs
enseignants. D’une part, les séances se complexifient par les composantes littéraciques
abordées et d’autre part, une diminution importante des contenus liés à la gestion du groupe
(GESTGR) intervient d’une séance à l’autre. Ce résultat amorce l’analyse ultérieure qui portera
sur l’élaboration conjointe d’une zone de compréhension et des significations partageables
(patterns des significations et états de la ZdC).

La composante logographique :

Le contenu lié aux unités graphiques traitées de manière logographique, globale, mérite
quelques mots. A T1, il est très rare (Ens 0%, Els 1%), il disparait à T2 (0%) et réapparait à T3
(Ens 0%, Els 1%). Il est possible qu’en lecture, les mots sont considérés de manière globale, par
leur ressemblance avec un autre mot connu (par exemple à T3, le nom de l’auteur de l’album
Boujon, est reconnu de manière logographique, globale, en tant que bonjour, sans une analyse
fine de ses unités (T3, US, 603)). Nos résultats peuvent être liés aux résultats des bilans
individuels, et les stratégies d’écriture que les élèves utilisent : en effet, ces stratégies au début
d’année sont diverses pour la majorité du groupe et les stratégies logographiques sont
représentées par presque tous les élèves (sauf Ade), en tant que stratégies en émergence. À T3
les stratégies d’écriture évoluent de manière générale vers les stratégies syllabiques et

198
alphabétiques, mais deux élèves (Igo et Géo) restent encore attachés aux stratégies
logographiques, en donnant toutefois une preuve de leur progression, par l’apparition des
stratégies syllabiques en même temps.

Les composantes métacognitives :

Le contenu lié à la gestion de la tâche par l’élève, la façon dont il s’y prend pour résoudre le
problème posé (META) répond en général à la question des enseignants « comment vous savez
ça ? pourquoi c’est le titre ? ». A T1 ce contenu représente 2% pour les enseignants et 1% pour
les élèves ; à T2 il disparait (ou est trop peu représenté pour être saisi, mais il est là chez les
enseignants et chez les élèves comme en témoignent les tableaux structuraux globaux en
annexes). Il apparait à T3 chez les enseignants à 1% tandis qu’il est trop peu représenté chez les
élèves. Ce contenu s’attache au fonctionnement métacognitif des élèves, mais aussi à la façon
de mener la leçon, au retour des enseignants sur les découvertes des élèves avec des
questions : pourquoi ? et comment ? portant sur leur propres processus d’apprentissage. Il est
lié aussi à l’ouverture des enseignants vers les apports des élèves, ouverture décrite plus loin
dans l’analyse des modalités énonciatives.

Les conceptualisations de l’écrit, CONCECR, CONCLEC portent sur les représentations que les
enfants se forgent par rapport à leurs connaissances de l’écrit, de la lecture et de leurs capacités
en lecture/écriture. Une grande évolution qualitative est à noter, même si au niveau de
fréquences ces contenus sont peu représentés. Une évolution des représentations se dévoile à
travers les dires des enfants, comme - je sais pas lire - à T1 et sa transformation vers - j’arrive !
je peux lire ! - à T3, même si au niveau des pourcentages, ces contenus restent stables et
constants d’une séance à l’autre (T1-Ens 4%, Els 2% ; T2- Ens 4%, els 3% ; T3- Ens 3%, Els2%). Ce
sont des contenus discrets, qui relèvent d’une certaine information, se confirmant dans le
déroulement des séances par leur stabilité, leur présence constante, durant l’année. Ces
composantes peu visibles indiquent l’évolution des connaissances et de motivation d’apprendre
des élèves, leur engagement dans la tâche de lire, le changement de leur représentation de
l’acte de lire. Si au début de l’année, les élèves sont encore très prudents quant à leurs capacités
en la matière, à la fin de l’année, ils sont capables d’exprimer leur volonté et leur plaisir de lire
ainsi que leur performance lors des séances – les interactions à T2 et à T3 (voir plus loin)
confirment ce résultat, peu parlant en apparence.

Les inférences (INFER), apparaissent fortement à T1 (Ens 3%, Els 4% ). Les élèves dépassent les
attentes des enseignants. Cet effet est dû probablement à la participation d’Ade dans cette
séance, et à ses apports qui vont dans le sens des objectifs des enseignants. Ils lui laissent alors
une place d’initiateur des échanges et s’appuient sur ces propositions. Une analyse des
interactions nous donnera d’autres indices pour affirmer cette hypothèse. Ce résultat est aussi à
considérer en vue des particularités de l’album étudié, comme le montre l’analyse a priori dans

199
le chapitre 7. Il s’agit des inférences sur le rôle de la poule en tant que maman, ses
caractéristiques humaines comme par exemple le fait qu’elle travaille, font partie des
caractéristiques exploitables de cet album et activées ici dans le déroulement de l’interaction
didactique. A T2, ce contenu est beaucoup moins visible, 1% pour les deux partenaires
d’échanges verbaux et signés. Il est possible, ce que nous devrons établir plus loin, que ce
résultat soit lié aux incitations de la part des enseignants, moins nombreuses à T2. Mais
également, le genre de cet album est différent (ch. 7) et se prête moins aux inférences. À T3, ce
contenu disparait totalement, alors qu’apparaissent des identifications aux héros du livre, sans
inférences, en tant que telles. Ce fait peut être aussi lié aux caractéristiques des objectifs de la
leçon qui donnent une large part à l’exploration individuelle de l’album par les élèves.

L’analyse structurale des composantes du savoir lire/écrire à travers les contenus des énoncés
que nous venons de présenter ici, constitue une analyse de base et nous montre un état de fait,
une situation globale des séances et des composantes littéraciques qui y sont traités. Les
analyses microgénétiques qui suivent (séquentielle, interactionnelle, de la construction
conjointe) complètent cette analyse, en observant plus en détails, comment certaines
composantes évoluent dans l’interaction, apparaissent à un moment de la séance et reviennent
plus loin dans le discours, et du pourquoi de ces retours, dans la perspective d’une
compréhension dynamique des situations observées.

200
12.1.5. ANALYSE STRUCTURALE DES MODALITÉS ÉNONCIATIVES ET LEUR ÉVOLUTION DANS LE TEMPS :
PRÉMICES D ’UN TYPE D ’ENSEIGNEMENT PARTICULIER ?

Sur le plan des modalités énonciatives, comment, par quels moyens les enseignants gèrent-ils le
discours-en-interaction ? Comment guident-ils les élèves pour qu’ils puissent entrer dans la
zone de compréhension (ZdC) et agir en tant que réels partenaires, partageant les mêmes
significations émergentes dans l’interaction ?

Nous proposons ici d’analyser les modalités énonciatives intervenues pendant les séances, de
manière d’emblée plus synthétique que ce n’était le cas pour les contenus de savoir : il s’avère
que d’un temps à l’autre nous pouvons établir une certaine attitude que les enseignants
témoignent vis-à-vis de leurs élèves et par lesquelles ces derniers interagissent. Les trois
tableaux qui suivent (tableaux 25, 26, 27) expriment les modalités énonciatives sous-jacentes
aux US, pour les trois temps, T1, T2, T3.

Tableau 25. Modalités énonciatives à T1.


MODALITES DES ENONCES - T1
ReformCompr°

ReformVal+
ReformCorr
ReformRép

ReformVal-

I/RNA susc
I/RNA prov
Passcontr
Injonction

I/RA susc

I/RNA inv
I/RA prov
Réorient
nb d'US

Relance

I/RA inv
AppInfo

Val+

Val-

10 8 13 24 10 4 8 1 11 2 7 2 0 0
723
Ens

0% 0% 0% 0%
% % % % % % % % % % % % % %

0 0 1 0 0 0 0 14 5 26 32 9 12
525
Els

0% 0% 0% 0% 0%
% % % % % % % % % % % % %

Tableau 26. Modalités énonciatives à T2.


MODALITES DES ENONCES - T2
ReformCom

ReformVal+
ReformCorr
ReformRép

ReformVal-

I/RNA susc
I/RNA prov
Passcontr
Injonction

I/RA susc

I/RNA inv
I/RA prov
Réorient
nb d'US

Relance

I/RA inv
AppInfo

Val+

Val-
pr°
Ens

14 6 5 21 18 0 13 2 11 3 7 1 0 0 0 0
722

0% 0%
% % % % % % % % % % % % % % % %

0 0 0 0 0 0 0 7 5 47 31 4 5
411
Els

0% 0% 0% 1% 0%
% % % % % % % % % % % % %

201
Tableau 27. Modalités énonciatives à T3.

MODALITES DES ENONCES - T3

ReformCompr°

ReformVal+
ReformCorr
ReformRép

ReformVal-

I/RNA susc
I/RNA prov
Passcontr
Injonction

I/RA susc

I/RNA inv
I/RA prov
Réorient
nb d'US

Relance

I/RA inv
AppInfo

Val+

Val-
1122
Ens

17% 11% 4% 21% 15% 1% 6% 1% 11% 3% 7% 2% 0% 0% 0% 0% 0% 0%


675
Els

0% 0% 0% 0% 0% 0% 2% 0% 0% 0% 0% 0% 13% 3% 38% 33% 3% 7%

Légende (pour les trois tableaux):


Ens-enseignants ; Els-élèves.
Les couleurs renvoient aux catégories plus ou moins « ouvertes » dans la gestion du déroulement de
l’interaction. Les propositions de la part des enseignants impliquent certaines réponses plus ou moins
« autonomes » vs provoquées de la part d’élèves. Ainsi les couleurs des uns correspondent aux couleurs
des autres :
Orange = propositions « fermées » des enseignants et les réponses provoquées de la part d’élèves ;
Bleu et violet = propositions «plus ou moins ouvertes » des enseignants donnent lieu aux réponses
suscitées de la part d’élèves (souligné en bleu), ou les réponses les plus « autonomes », invoquées
(souligné en violet), qui apportent souvent une information nouvelle, inédite, faisant partie ou non de la
tâche en cours.

Comme nous pouvons le constater, une certaine façon d’interagir avec les élèves se dessine en
première analyse : une grande ouverture de la part des enseignants envers les interventions des
élèves s’exprime à travers leurs modalités énonciatives (modalité « ouvertes »), caractéristique
commune aux trois temps d’observation. Ce sont les relances, les passages de contrôle, les
répétitions souvent reformulées, les validations positives reformulées ou non. Ces modalités
constituent entre 60-70% des occurrences (T1=60%, T2=70%, T3=60%). Cette ouverture vers les
élèves témoigne d’emblée d’un guidage interactif caractérisant la manière de mener la classe,
contrairement à un guidage directif qui impose la manière de faire par l’enseignant, selon un
schéma qui applique la leçon plutôt au lieu de la transposer pour les élèves.

Du côté des élèves, ce fonctionnement infère à des interventions typiques qui montrent qu’ils
sont ainsi invités à participer pleinement à l’interaction didactique. En effet, les modalités
« ouvertes » des enseignants correspondent aux interventions majoritairement suscitées de la
part des élèves, aux trois temps. Elles constituent 58% des interventions à T1, 78% à T2, et 71 à
T3. De plus, les élèves prennent l’initiative de donner aux échanges un nouvel élan par des

202
interventions invoquées qui amènent une information nouvelle, qu’elle soit pertinente ou non
pour le déroulement de la séance, donc prise ou non en compte par les enseignants (T1=21%,
T2=9%, T3=10%). Ces deux types d’interventions, suscitées et invoquées, par opposition aux
interventions ou réponses provoquées, sont donc très nettement majoritaires de la part des
élèves dans leurs interactions avec les enseignants, ce qui témoigne de leur engagement propre
dans la situation. Dans ce sens, ils sont partenaires de la coconstruction des significations tirées
du savoir proposé par les enseignants.

Les modalités « fermées » de la part des enseignants, comme l’Apport d’information, la


Réorientation, l’Injonction, représentent respectivement 31% à T1, 25% à T2, et 32% à T3. Si
elles étaient majoritaires, elles témoigneraient d’un guidage directif. Mais ici, elles ont pour
fonction le bon déroulement des séances en classe par le maintien des objectifs fixés au départ
des séances. C’est donc par ces modalités que les enseignants amènent des informations
nouvelles, réorientent les élèves, leur imposent certaines contenus ou redirigent leur attention
vers les contenus souhaités ; ils les incitent aussi à l’action de regarder dans la direction du
tableau ou à agir selon une consigne plus précise. Du côté des élèves, de telles modalités
donnent lieu à des réponses le plus souvent provoquées (19% de leurs interventions à T1, 12% à
T2 et 16% à T3).

Ces résultats indiquent qu’à travers les échanges et les modalités qui en expriment les
intentions sous-jacentes, un constat peut être tiré : celui d’un climat de confiance, dans lequel
les interventions des élèves ont toute leur place et participent à la co-élaboration de la Zone de
Compréhension à l’intérieur de laquelle les composantes du savoir littéracique apparaissent de
plus en plus complexes d’une séance à l’autre.

L’habituelle asymétrie notée entre les enseignants et les élèves dans le cadre scolaire et dans les
situations didactiques en particulier, concernerait alors surtout les contenus énonciatifs. Du
point de vue des modalités par contre, et donc de la manière de mener l’interaction didactique,
cette asymétrie a l’air de s’estomper dans cette classe bilingue. Les modalités majoritaires
expriment plutôt un ajustement mutuel, une reconnaissance des identités et des rôles joués par
les partenaires du discours, autour de l’album de littérature de jeunesse.

À l’issus ces deux analyses structurales sur les contenus et les modalités énonciatives, nous
constatons d’une part, la diversité et la complexification des composantes abordées en classe
durant l’année scolaire, et d’autre part, la stabilité des modalités énonciatives ou la manière de
mener les interactions en classe de la part des enseignants qui permettent aux élèves de
s’engager pleinement dans le déroulement des leçons.

À partir de ces premiers résultats obtenus par l’analyse structurale descriptive, nous proposons
de mener une analyse plus approfondie visant une explication dynamique et une vérification de

203
ces ajustements dans l’interaction didactique. Elle se pratique à partir du découpage des US en
séquences, deuxième unité de l’analyse microgénétique (point 12.2.).

204
12.2. ANALYSE SÉQUENTIELLE : DÉROULEMENT EFFECTIF DES SÉANCES DE LECTURE
I NTERACTIVE ET COMPARAISON D ’ UN TEMPS À L ’ AUTRE , À TRAVERS LA DYNAMIQUE DES
OBJETS D ’ ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE

Dans ce point nous cherchons à expliquer comment les objets d’enseignement apprentissage,
compris comme composantes du savoir lire/écrire, circulent dans l’interaction didactique entre
les deux partenaires – enseignants et élèves. Cette explication et les analyses qui s’y rattachent
correspondent aux résultats issu du quatrième procédé de l’analyse microgénétique (voir plus
haut sa définition – partie II de ce travail). Celle-ci a pour but de découper le protocole organisé
en unités des sens (US) ; les unités qui sont ensuite interprétées et catégorisées, et qui
maintenant subissent un découpage nouveau, selon les indices diachroniques cette fois-ci, en
séquences microgénétiques. Mais auparavant, une première vue d’ensemble permet de
replacer ces microgenèses dans le contexte de leur déroulement en classe (tableau 28).

Tableau 28. Vue descriptive d’ensemble des trois microgenèses.


Temps d’observation T1 T2 T3
sur une année

Titre de l’album de « La petite poule « Pique le hérisson » « Toutou dit tout »


litt. de jeunesse rousse »

Durée de la séance 45 min. 46 min. 54 min.

Nombre d’US 1248 1133 1797

Nombre de 23 14 25
séquences microg.

Comme l’indique ce tableau, chaque séance est différente en termes de découpage en unités
analysables telles que les unités de sens et les séquences microgénétiques. Prenant en compte
cette dernière unité, la séance du T2 se distingue des autres séances. Elle en contient le moins,
ce qui est dû au déroulement même de cette séance ; les intentions des enseignants étant liées
à l’action du lire, action dont l’accomplissement d’un enfant à l’autre prend plus ou moins de
temps et plus ou moins de place dans l’interaction. Nous sommes donc face à des séquences
triadiques plus longues, dans lesquelles les deux partenaires (enseignants et élèves) se
concentrent sur le même objet enseigné.

Les séquences sont constituées par un certain nombre d’US liées par la même intention des
partenaires, sur une composante du savoir dominante. Cela n’exclut pas la présence ponctuelle

205
dans les séquences d’autres contenus de savoir. Au fil du déroulement des séquences, même
s’ils sont liés par le contrat didactique, les enseignants ont un rôle assigné de ceux qui mènent la
séance et nous verrons plus loin que les élèves peuvent également être « les moteurs » et les
initiateurs des échanges (cf. l’analyse interactionnelle).

Observons ici le déroulement de chaque séance avec une attention particulière sur les contenus
énonciatifs dominants reflétant les composantes du savoir lire/écrire, présents d’une séance à
l’autre. Apparaissent-ils de manière hiérarchique ou non ? Une certaine hiérarchie supposerait
l’apparition d’abord des composantes pragmatiques, introduisant la séance, suivie des
composantes sémantiques générales et sémiopicturales qui permettent d’explorer l’album et de
construire conjointement les premières significations sur la base des images ; ensuite on
pourrait constater un passage progressif vers les composantes sémiographiques, plus
complexes (comme par exemple dans Gamba, Martinet & Saada-Robert, 2006). Cette
hiérarchisation comprendrait à la fois les interventions des enseignants et celles des élèves, qui
dirigent leur attention sur des éléments divers, plus ou moins prévus par les enseignants et qui
deviennent par ce fait les initiateurs du travail du groupe.

En résumé, les composantes dominantes apparaissent-elles de manière linéaire ou reviennent-


elles en boucle ? Un seul ou plusieurs contenus énonciatifs sont-ils concernés par ces retours en
arrière dans la séance ? Pourquoi apparaissent-ils ? Comment agissent les partenaires face à ces
retours ?

206
12.2.1. ANALYSE SÉQUENTIELLE À T1
A T1 (45 min) les 23 séquences se déroulent de manière suivante (tableau, 29).

Tableau 29. Déroulement des séquences à T1.


N°de Séq.
(Nb.d’US) Contenus dominants (autres contenus) dans le déroulement des séquences
microgénétiques T1
1 (35) PRAGM, mise en place de l’activité, explication de son déroulement, quelques difficultés de gestion du groupe
GESTGR et d’engagement de la part des élèves
2 (71) PICFORM avec des INFERENCES qu’Ade propose concernant la poule et son rôle de maman, découverte de
l’image de la 1ère de couverture
3 (33) PICFORM, la découverte d’un élément nouveau sur l’image de la 4 ème de couverture par Igo, présence
également de références aux pratiques des livres PRATLIV
4 (65) PICFORM, réorientation de la part de EE vers l’image de la 1 ère et la 4ème de couverture, systématisation de ce
qui est dit par rapport à l’une et l’autre image
5 (58) PRATLIV, l’exploration d’image continue et passe vers les pratiques de livres PRATLIV grâce à l’intervention
inattendue de Igo exploité par EE, la gestion du groupe empêche la poursuite d’activité GESTGR
momentanément, ensuite retour aux PRATLIV, présence des références à l’image (PICFORM) et du contexte
de vie qui apparait par rapport au prix remarqué sur la 4 ème de couverture par Igo, la discussion à quoi ça sert, et
qu’est-ce qu’on en fait (CONTVIE)
6 (37) PICNAR, hypothèses quant au déroulement de l’histoire
7 (65) CONTVIE, passage par les connaissances du monde CONTVIE pour mobiliser les souvenirs des enfants et
leurs connaissances lexicales LEX (le mot ferme), SUBLEX-lettre présent aussi
8 (42) PICFORM, retour à l’image de la couverture, poursuite de l’exploration, présence des composantes lexicales
et sublexicales s’il s’agit d’apprentissage des mots/signes nouveaux LEX-SUBLEX, présence de la comp.
sémantique SEMANT pour poser quelques questions générales concernant le déroulement du récit
9 (34) PICNAR, hypothèses sur le déroulement du récit, attribution à l’héroïne des caractéristiques humaines (Ade)
10 (70) PICFORM, plusieurs essais de réorienter les enfants vers l’écrit visible sur la couverture CONCECR
n’aboutissent pas, les enfants restent scotchés sur l’image, présence des contenus lexicaux et contexte de vie à la
fin de la séquence (LEX, CONTVIE)
11 (58) CONCECR, réorientation des enfants vers l’écrit réussi, passage vers le titre et son emplacement sur la
couverture (ORG), Igo – identification du titre, discussion META introduite par ES sur le pourquoi ça c’est le
titre ?
12 (95) PRATLIV, passage pratique pour identifier le titre sur plusieurs ouvrages, ES mène la tâche
13 (38) SUBLEX-lettre, Ade insiste sur la lecture, veut entrer dans l’activité PROGACT, premier essaie de lire le titre
ensemble, passage par le lexique LEX et tout de suite vers les composantes sublexicales SUBLEX, Ade repère
un élément connu (-la-)
14 (51) SUBLEX-syllabe, lettre, phono, Bar montre le mot suivant, confrontation de son point de vu avec le mot
désigné (rousse//bateau)
15 (28) PICFORM, rappel de l’image et de son lien avec le texte du titre, passage de sémiopicturalité vers
sémiographie non aboutit
16 (36) SUBLEX-phono, réorientation des enfants vers l’identification lexicale REPLEX du mot poule suivie de
confirmation du choix d’élève (Ade), passage par les éléments sublexicaux
17 (34) SUBLEX-lettre, phono, repérage lexicale REPLEX du mot poule, fait par Géo, confusion, reconnaissance
LOGOGR, aide de EE pour finaliser ce repérage
18 (20) SUBLEX-phono, rappel d’information lexicale LEX et sublexicale SUBLEX pour Bar visant le repérage du
mot poule dans le titre, mais l’action de EE n’aboutit pas, Bar passe vers les indices picturaux sur l’image de la
couverture PICFORM
19 (59) SUBLEX-lettre, phono, repérage du mot petite passage par les composantes sublexicales, confusion avec le
mot poussin, LEX/LEXSEM aide de EE
20 (86) SUBLEX-phono, lettre, syllabe, déchiffrage de la dernière partie du titre (mot – rousse, confusion avec rou-te,
rou-ge), présence des composantes lexicales et des références à l’image (LEX, LEXSEM, PICFORM)
21 (77) CONTVIE, essai de lire le titre CONCLEC, passage par le lexique LEX, et les composantes sublexicales
SUBLEX, les enfants partent vers leur contexte de vie pour donner exemples
22 (48) PRATLIV, retour aux pratiques de livre, l’auteur de l’album et son origine anglaise, retour sur la maison
d’édition ORG, ORGSEM
23 (30) REPLEX, repérage des mots du titre, leur nombre sur une fiche d’exercices

207
Légende :
En gras = composantes dominantes ;
En couleurs, mise en visibilité des composantes contrastées : liées à l’image au début de la séance,
PICFORM surligné en bleu clair – et sublexicales par la suite SUBLEX en rose, ou surligné en vert ORG ;
avec une présence surlignée en rouge du contexte de vie CONTVIE.

Comme l’indique le tableau 29, les contenus de savoir n’apparaissent pas de manière
hiérarchique, mais plutôt par ensembles. Tout d’abord l’ensemble « sémiopictural » peut être
dénommé par concentration des contenus liés aux images (PICFORM, PICNAR) 85 et aux
connaissances du monde (PRATLIV, CONTVIE) qui sont très fortement représentées et presque
uniques au début de la séance, jusqu’à sa moitié. L’essai de réorienter les élèves vers l’écrit
présent sur la couverture de l’album est réussi par les enseignants, notamment grâce à
l’identification du titre par Igo (Séq. 11). C’est à partir de cette séquence charnière que les
élèves acceptent de suivre leurs enseignants sur la voie des contenus plus complexes,
sémiographiques (LEX, SUBLEX, REPLEX, ORG, CONCECR). Ils apparaissent aussi en bloc, mais
cette fois-ci ce bloc n’est pas si hermétique que celui du début de la séance et les autres
contenus le percent, en revenant, plus en tant que contenus complémentaires que dominants :
CONTVIE, PICFORM, PRATLIV. Cette deuxième moitié de la séance est consacrée à l’exploration
des écrits de la 1ère de couverture (titre, nom de l’auteur, maison d’édition). La découverte du
titre passe par le repérage et la reconnaissance des mots, mais de manière encore visuelle, alors
que l’analyse des lettres et des sons qui les composent exige un guidage et des aides fournies
par les enseignants. Ainsi, les contenus sublexicaux (identification des lettres, approche des
sons, syllabisation) se manifestent le plus souvent et de manière regroupées en séquences
successives : SUBLEX est un contenu dominant de 7 séquences (13, 14, 16, 17, 18, 19, 20). Il est
également présent en tant que contenu complémentaire dans 3 autres séquences (7, 8, 21).

Le contenu relevé comme le plus fréquent, déjà par l’analyse structurale au même temps, est la
description d’image (PICFORM). Dans cette analyse séquentielle ce contenu est dominant dans
6 séquences, mais si on observe sa présence dans les autres séquences en tant que le contenu
complémentaire, il faut en rajouter encore 4, ce qui le place parmi les plus visibles. Ainsi à T1,
deux contenus dominent nettement, PICFORM et SUBLEX. Ces deux contenus constituent donc
les deux « organisateurs » de cette leçon ou deux points d’entrée dans la découverte de l’album
présenté lors de cette séance. La présence des contenus liés aux images correspond tout à fait à
la manière d’aborder l’activité de lecture interactive avec des jeunes élèves, lecteurs débutants
(Saada-Robert et al, 2003 ; Gamba, Martinet, Saada-Robert, 2006). L’approche du texte en
passant par les éléments sublexicaux nous parait le seul possible en ce début de l’année
scolaire, au vu des capacités des élèves. Leurs connaissances du système alphabétique sont

85
Ils correspondent aux composantes sémiopicturalles, voir les définitions dans le chapitre méthodologique.

208
encore peu maîtrisées, et plutôt en émergence. Les enfants sont donc très attachés aux
contenus sémiopicturaux et à leur contexte de vie, les deux contenus qui sont accessibles aux
élèves et maitrisables.

Le contexte de vie et plus généralement les connaissances du monde (CONTVIE + PRATLIV)


constituent le troisième contenu principal de cette séance.

Ils permettent aux enfants de se repérer et de s’appuyer sur leurs connaissances préalables ;
l’analyse structurale montre que ces deux contenus sont mobilisés autant par les enseignants
(20%) que par les élèves (19%). Cependant, le contexte de vie n’est pas si visible dans l’analyse
des séquences, même s’il apparait à deux reprises en tant que contenu dominant et deux fois de
plus en tant que contenu complémentaire. Les pratiques de livres (PRATLIV) complètent cette
présence d’apparition dans le même ordre (dominant vs complémentaire).

En résumé, les principales composantes du savoir littéracique présentes dans la séance ne se


déroulent pas de façon linéaire ou hiérarchique. On les retrouve à plusieurs moments,
entrecoupées par des composantes mineures. Ceci dit, la composante sémiopicturale intervient
plutôt en début de séance, la composante sémiographique (ici essentiellement SUBLEX) en
seconde partie, avec un marquage pivot à la séquence 11.

Comment ces mêmes composantes s’organisent-elles dans les deux séances qui suivent ? La
même opposition est-elle marquée ?

209
12.2.2. ANALYSE SÉQUENTIELLE À T2
À T2 (46 min) la suite des 14 séquences s’enchaine de manière suivante (tableau, 30) :

Tableau 30. Déroulement des séquences microgénétiques, T2.


N°de Séq. Contenus dominants (autres contenus) dans le déroulement des séquences
(Nb.d’US)
microgénétiques T2
1 (70) PRAGM, présentation de l’activité, ses buts, ses objectifs, et du matériel qui sera utilisé comme support à la
lecture (album en forme des grandes affiches) , présentation du titre de l’histoire, (ORGSEM) les explications
passent souvent par le contexte de vie des enfants (CONTVIE), présence aussi de contenus sub- et lexicales pour
l’écriture du titre de l’histoire (SUBLEX, LEX)
2 (79) PICFORM, découverte de la première image de l’histoire, affiche nr 1, les inférences sur la parole des animaux
(INFER) et l’utilisation du contexte de vie (CONTVIE)
3 (56) PICNAR, hypothèses des enfants sur le déroulement de l’histoire à partir d’image et leur expérience de vie
(CONTVIE revient en boucle incité par EE ou par les enfants)
4 (193) REPLEX, repérage des mots identifiés auparavant par les enfants dans la description d’image, passage par le
SUBLEX, pour se guider dans ce repérage, et pour l’écriture des mots par l’enseignante. (les enfants sont
actives, viennent montrer les mots identifiés au tableau chacun son tour)
5 (24) PICFORM, réfutation d’existence du renard sur l’affiche (confusion faite par les enfants avec écureuil ?)
6 (23) CONCECR, réorientation des enfants vers l’étude des textes écrits sur l’image
7 (72) ORG/ORGSEM repérage de guillemets dans le texte, hypothèses sur leur signification et les personnes qui
parlent (PICNAR, GRANAR), repérage de point d’interrogation et de sa signification
8 (37) REPLEX, repérage du mot demande dans le texte et son écriture sur la fiche, passage par GRANAR, et à la fin
par le contexte de vie (CONTVIE) pour la compréhension de l’acte de parole (demander-répondre)
9 (43) CONTVIE, poursuite de repérage qui parle dans ce texte, qui demande qui répond mais en utilisant le contexte
de vie pour toute sorte d’explicitation qui fait progresser la leçon (passages GRANAR, PICNAR) à la fin de la
séquence émergence du mot bonjour (Géo), référence aux composantes SUBLEX
10 (149) LEX/REPLEX, repérage et déchiffrage du mot bonjour ensuite du mot cherche, passage par le contexte de vie,
élément sémiopicturaux et sublexicales (CONTVIE, PICFORM, SUBLEX)
11 (67) LECT, les enfants relisent cette partie du texte tour à tour aidés par leurs enseignants
12 (96) LECT, décodage de la partie suivante de la phrase et son explication en LSF (REPSUPRA, CONCLEC), et
lecture du tout incité par Ade, alors EE en profite pour proposer la relecture à tous les enfants
13 (82) LECT-enseignante, découverte et lecture d’une autre partie du texte sur l’image, fait majoritairement par l’EE
car le texte trop complexe, passage par repérage lexical, supra-lexical,(REPLEX, REPSUPRA) et les autres
contenus.
14 (105) LEX/REPLEX, le décodage et repérage des mots dans la dernière phrase, explications en LSF, passages par la
relecture (LECT) et à la fin de la séquence présence des autres composantes car l’EE revient sur les autres
contenus de la séance (CONTVIE, PICNAR, GRANAR)

Légende :
En gras = composantes dominantes ;
En couleurs, mise en visibilité des composantes diverses, avec une présence surlignée en rouge du
contexte de vie CONTVIE. L’apparition des nouvelles composantes sémiographiques complexes :
GRANAR surligné en rose et LECT surligné en jaune.

Le déroulement de cette séance peut être considéré comme hiérarchique, parsemé de boucles
ou de détours. Les contenus se complexifient progressivement, comme dans une séance
« canonique » de lecture interactive (Gamba, Martinet & Saada-Robert, 2006). En effet, la

210
séance débute par l’ancrage pragmatique ; s’ensuit la découverte des images de la première
fiche et de la situation initiale du récit. Ensuite une petite boucle de contenus liés à la
description de l’image apparait (séq. 5). S’en suivent des séquences de nouveau hiérarchisées,
avec des contenus sémiographiques qui se complexifient (CONCECR, ORG, REPLEX). La séquence
9 constitue de nouveau une boucle de détour au contexte de vie ; comme nous l’avons vu
précédemment, le contexte de vie a pour fonction de fournir des références pour la
compréhension de la situation narrative du récit. Cette situation initiale du récit présente une
interaction discursive entre deux participants, un écureuil et un oiseau, qui jouent les rôles
précis : l’un demande et l’autre répond. Une troisième personne observe cette situation
dialogique, c’est le hérisson, objet du dialogue, qui se cache et que les deux autres ne voient
pas.

La majorité des séquences à partir de la quatrième déjà sont consacrées aux contenus
sémiographiques : ORG, GRANAR, LEX, REPLEX, CONCECR (séq. 4, 6, 7, 8, 10, 14). Cependant,
certains parmi eux, restent dans l’ombre et apparaissent uniquement comme des contenus
complémentaires, comme c’est le cas du contenu lié à la structure narrative à partir du texte
(GRANAR – séq. 7, 8, 9, 14).

La lecture (LECT) prend une place dominante dans trois séquences qui se suivent (séq. 11, 12,
13), ce qui constitue un événement particulier, incité par l’envie d’Ade de « lire encore ». Les
enseignants saisissent cette opportunité et la transforment en proposition générale de relecture
de la phrase introductive du récit, par tous les élèves, chacun à son tour (avec des aides de la
part des enseignants plus ou moins importantes).

Le contexte de vie (CONTVIE) revient de manière récurrente, soit comme contenu dominant
(séq. 9), soit comme contenu complémentaire (séq. 1, 2, 3, 8, 10, 14).

211
12.2.3. ANALYSE SÉQUENTIELLE À T3
À T3 la séance de 57 minutes est découpée en 25 séquences de la manière suivante (tableau,
31) :

Tableau 31. Déroulement des séquences microgénétiques T3.


N°de Séq.
(Nb.d’US) Contenus dominants (autres contenus) dans le déroulement des séquences
microgénétiques T3
1 (92) CONCLEC, valorisation des connaissances LEX/SUBLEX des enfants dans le projet plus grand de lecture qui
est l’objectif de cette séance (exemple des mots chat, chien, chaton signés ou écrits)
2 (127) PRAGMATIQUE l’annonce des activités de la séance et une présentation du livre et sa photocopie (les enfants
vont travailler chacun avec son exemplaire du livre photocopié), présence des autres contenus (SEMANT,
CONTVIE, LEX, PRATLIV)
3 (191) PICFORM, découverte partagée des personnages de l’histoire et de la situation PICNAR, les autres contenus
sont présents aussi vu la participation des enfants dans les notations faites par EE sur la fiche en papier (LEX,
SUBLEX)
4 (79) PRAGM, réorientation des enfants vers l’exploration de la couverture du livre, pas tout de suite réussi, car les
retours sur les éléments juste mentionnés auparavant est nécessaire (LECT, SUBLEX-écriture du mot famille
sous la dictée des enfants, SEMANT, PICNAR) pour revenir à la fin de la séquence sur PRAGM et l’annonce
d’intérêt particulier pour la découverte de la couverture.
5 (47) ORG, découverte de la couverture, du titre et ses aspects organisationnels : écrit en gros
6 (86) LECT chaque enfant lit le titre à l’incitation et avec l’aide de EE, présence des autres contenus qui sont
nécessaires pour aider chaque enfant (LEXSEM, SUBLEX)
7 (77) PICNAR/GRANAR, explication de prénom du chien (par majuscule ORG), et de son rôle dans l’histoire
(PICNAR/GRANAR), mais aussi en prenant comme exemple les prénoms des enfants (CONTVIE),
l’explication qui reste en suspens pour explorer les autres éléments de la couverture
8 (65) ORG, la découverte du nom de l’auteur du livre, la reconnaissance logographique (LOGOGR) du nom à partir
du mot connu bonjour – Boujon (Bar)
9 (50) GRANAR, cette séquence commence par un passage de lecture de Igo et ensuite explore les hypothèses sur le
déroulement de l’histoire (GRANAR), rappel du prénom du chien LEX
10 (39) PICFORM, description de la première page de l’histoire
11 (26) CONTVIE, explication du mot devant par les positionnements de l’EE face aux élèves
12 (52) REPSUPRA, écriture de la première partie de la phrase et repérage de cette partie dans le texte de chaque
élève…
13 (122) REPLEX, les enfants entourent les mots connus à la première page du livre, ensuite la vérification des mots
trouvés faite ensemble en groupe-classe
14 (65) ORG/ORGSEM, de la suite de la 1ère phrase - décodage du mot voici (SUBLEX) et sa signification LEXSEM ;
ensuite découverte de la majuscule du prénom Pierre et hypothèses sur sa signification (ORG/ORGSEM)
15 (37) GRANAR, prénom du petit garçon, identification du héros à partir du texte, détour par le prénom du chien
REPLEX
16 (67) LEX/LEXSEM, réorientation des enfants vers la découverte du mot Pierre (SUBLEX), et sa signification en
LSF-pierre/caillou, passage par CONTVIE, pour savoir qu’elle âge a Pierre (Bar)
17 (47) LEX, répétition du prénom du chien et de mot voici, dans ces répétitions passages par le SUBLEX ou
LEXSEM, repérage du début de la fin de la phrase (ORG/ORGSEM)
18 (53) SUBLEX, décodage du mot mon et ses sons
19 (72) LEXSEM, explication de la signification du mot mon, plusieurs exemples de la structure lexicale mon+nom, à
la fin une interrogation sur la signification du mot maître
20 (35) CONTVIE, explication de la signification du mot maître
21 (39) SEMANT, explication du déroulement du récit en général et retour sur les personnages principaux – le chien et
le garçon, pour clarifier qui parle dans cette histoire, qui la raconte
22 (61) GRANAR, continuation de la lecture de cette phrase et ensuite la vérification des hypothèses à partir du texte.
23 (57) LEX/REPLEX, découverte des mots identifiés par les enfants dans la 2 ème phrase, ensuite retour sur le
déroulement de l’histoire à partir du texte et de l’image (GRANAR, PICNAR) les autres contenus aussi présents
LECT, ORG, GESTGR
24 (96) CONTVIE, passage par le contexte de vie induit par EE, pour connaitre l’avis des enfants sur le fait de tirer la
langue
25 (68) ORG, retour sur la couverture du livre et ses éléments (titre, nom de l’auteur) ainsi que sur ce qui a été dit sur
l’histoire (PRATLIV, CONCLEC) et son déroulement (GRANAR) – fin de la séance

212
Légende :
En gras = composantes dominantes ;
En couleurs = mise en visibilité des composantes diverses, en majorité sémiographiques.

Au niveau du déroulement des contenus dominants, le tableau 31 n’indique ni un déroulement


hiérarchisé (comme à T2), ni un déroulement par contrastes forts comme à T1. Ces contenus
apparaissent en chevauchement et il est difficile d’en dépeindre la logique à première vue.

Le premier constat est que cette séance commence tout de suite par les contenus
sémiographiques (CONCLECT) avant même d’expliquer comment la séance va se dérouler
(PRAGM). Cette explication pragmatique se fait en deux fois (séq. 2 et 4), parce que le
déroulement de cette séance diffère des séances précédentes. Cette fois-ci les élèves prennent
en main les albums, les explorent individuellement, avant de travailler avec leurs enseignants
sur la narration y contenue. Cette démarche nouvelle exige un retour aux explications
pragmatiques, qui visent alors à mieux indiquer aux élèves ce qui est l’objectif dans la séance :
quel est leur nouveau rôle et quelles sont les attentes de la part des enseignants. Nous pouvons
lire une intention des enseignants inhérente à cette séance, celle de confronter les élèves à
l’ouvrage lui-même, comme les éléments de l’analyse a priori nous en informent (cf. chap. 7).
Ceci a lieu en s’appuyant sur les connaissances des élèves au sujet des livres et du monde de
l’écrit, connaissances construites durant cette année scolaire ; en s’appuyant également sur un
guidage interactif à travers le texte de l’album, complexe mais accessible.

Les élèves suivent leurs enseignants et sont intéressés au livre proposé depuis le début de la
séance, le découvrent individuellement, essaient quelques décodages des mots écrits par leurs
propres moyens ; ils sont également guidés par leurs enseignants vers le repérage de mots et
leur lecture, puis vers la lecture progressive de groupes lexicaux dans les phrases.

Durant cette séance il y a relativement peu de références à l’image, soit à sa description


(PICFORM – contenu dominant séq. 3, 10, et complémentaire séq. 6, 7, 9, 14, 24), soit à des
hypothèses sur le déroulement du récit à partir d’images (PICNAR – contenu dominant séq. 7 et
complémentaire séq. 2, 4, 10, 15, 23, 24). Ce contenu principal du T1, bien présent au T2 surtout
au début de la séance, chevauche à T3 avec les autres contenus, notamment sémiographiques,
et devient moins visible.

Le contenu sémiographique ORG, apparaît en plusieurs détours-boucles (séq. 5, 8, 14, 25 en


tant que contenu dominant, et séq. 3, 7, 15, 17, 22, 23, en tant que contenu complémentaire).
Non seulement le titre et le nom de l’auteur sont explorés, mais aussi les caractéristiques des
phrases, leur début et leur fin, avec les marqueurs textuels correspondants. Ainsi, les questions

213
autour des prénoms et de leurs règles d’écriture sont aussi abordées, concernant le nom du
chien et du petit garçon. D’où la présence de ce contenu LEX, même si sa fréquence générale
dans les tableaux structuraux à T3 ne donne pas l’impression d’une grande importance pour le
déroulement de cette séance.

GRANAR, par la prise en compte des indices textuels dans la compréhension de la trame
narrative, devient un contenu dominant et ceci en plusieurs boucles (séq.7, 9, 15, 22). Il est
encore présent dans quatre autres séquences en tant que contenu complémentaire (séq. 12, 16,
23, 25). C’est une nouveauté par rapport aux autres séances : dans la première ce contenu est si
rare qu’il n’apparait même pas dans le tableau structural du T1. Dans la séance suivante (T2), il
apparait seulement en tant que contenu complémentaire, bien qu’en boucle répétitive.

La lecture (LECT) apparait uniquement comme contenu complémentaire dans plusieurs


séquences et reste par ce fait relativement peu visible par rapport aux contenus lexicaux et
sublexicaux (LEX, REPLEX, SUBLEX), majoritaires durant cette séance.

Le contexte de vie (CONTVIE) fait son apparition par plusieurs détours, étant présent en tant
que contenu dominant dans quatre séquences (11, 16, 20, 24) et en tant que contenu
complémentaire à six autres (séq. 2, 4, 7, 8, 13, 19). Il est induit par l’enseignant à trois reprises
et par les élèves à deux. Soit par leur question, comme dans la séquence 16, concernant l’âge du
héros de l’album posé par Bar (et le nombre 7 visible sur le dos de son T-shirt sur l’image de la
première page). Soit comme dans la séquence 20, c’est Ade qui donne un excellent exemple de
comportement du maître face à son chien, et permet aux enseignants d’expliciter la signification
du mot maître. Ces interventions des enfants qui sont inattendues, mais reprises par les
enseignants, font avancer la leçon et permettent d’entrevoir les éléments clés de la
coélaboration d’une zone de compréhension commune.

12.2.4. SYNTHÈSE DES ANALYSES SÉQUENTIELLES (T1, T2, T3) – LA DYNAMIQUE DES OBJETS
D’ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE À TRAVERS LE TEMPS

Les trois séances ne se ressemblent pas, chacune emprunte son déroulement séquentiel
particulier. La première possède deux parties, deux blocs des contenus juxtaposés, avec la
séquence 11 comme pivot de passage de la sémiopicturalité vers la sémiographie. La deuxième
séance est hiérarchisée avec des contenus/composantes qui reviennent en boucles. La
troisième apparait comme hétérogène, irrégulière, mais avec quelques boucles du contenu
sémiographique principal : boucles pour GRANAR, ORG, LEX, REPLEX : Les contenus
sémiopicturaux (PICFORM, PICNAR) sont beaucoup moins représentés.

214
Du point de vue de ces objets d’enseignement apprentissage, autorisés par la situation de
Lecture interactive des albums choisis, l’analyse séquentielle permet maintenant de tenter une
réponse à la question : y a-t-il une évolution entre T1, T2, T3 ? Nous pouvons assurément parler
de progression, les contenus étant en majorité sémiopicturaux à T1, et principalement
sémiographiques à T2 et à T3 ; la lecture devient peu à peu « maitrisée » dans le sens de
l’entrée dans le monde de l’écrit et suivant l’implication de chaque enfant. Cette analyse
séquentielle confirme les constats de l’analyse structurale mais elle insiste sur les dominances et
complémentarités ainsi que sur la manière dont les composantes sont « tricotées, tissées »
ensemble.

Les éléments apparaissant dans la dernière séance nous indiquent une certaine aisance des
élèves face au système alphabétique, une aisance encore fluctuante, mais déjà en place et en
émergence. Elle se manifeste par la reconnaissance des mots connus et fréquents de manière
immédiate (comme chercher, demander-répondre à T2, chien, je, mon… etc. à T3). Elle
apparait aussi dans les résultats du bilan à T3, en ce qui concerne les lettres et aussi la
reconnaissance lexicale (épreuve d’identification des mots).

Ajoutons qu’une certaine habilité des enfants à manipuler les éléments de la langue se
manifeste à tous les temps, à travers des jeux de mots en langue orale. Par exemple, en version
vocale – doudou- coucou- toutou - (T3, Ade, séq. 8, US-584, 612-614 ; séq. 15, US-920), ou en
LSF – ATTENTION, PRENOM… (T1, Igo, séq. 4, US, 161-164). De même, l’habileté à mettre en
place la narration en est aussi un témoin clé (Igo en LSF, T2), ainsi que les manifestations d’envie
de lire tout seul d’Ade exprimée explicitement à T2 et à T3.

Ces comportements d’ouverture face à l’écrit, jugé trop difficile à T1, sont des indices de
progrès que les enfants manifestent aussi au niveau de leurs connaissances stabilisées,
attestées par les épreuves de bilan. Dans l’interaction, les changements marqués sont témoins
d’évolution des représentations de l’écrit, et de soi en tant qu’apprenti-lecteur. Et ce
changement est soutenu par les enseignants qui par tous les moyens encouragent leurs élèves à
s’engager dans les apprentissages.

Regardons maintenant comment l’analyse de la dynamique interactionnelle complète les


résultats sur la dynamique séquentielle que suivent les composantes littéraciques dans le
déroulement des séances.

215
12.3. ANALYSE DE LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE EN CLASSE

Les résultats présentés ici sont issu du cinquième procédé de l’élaboration des données de
l’analyse microgénétique, qui consiste à repérer et caractériser la dynamique interactionnelle
en classe. La notion d’interaction explicitée plus haut nous servira dans ce qui suit comme un
dénominatif commun pour appréhender ce qui se passe entre les enfants et leurs deux
enseignants en classe pendant l’activité de LI.

Nous voyons des changements notables d’une séance à l’autre dans la prise en compte des
unités écrites du français par les élèves. Regardons de plus près comment se passent les
moments « charnières » de chaque séance où le passage de l’image à l’écrit s’effectue dans
l’interaction, autrement dit le passage de la sémiopicturalité à la sémiographie.

12.3.1. LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE À T1 :

Ce moment charnière de la première séance (T1), séquence 10, après l’exploration des éléments
de l’image de la première et de la quatrième de couverture, se présente ainsi :

373. b. EE: (…) bon/ MAINTENANT mais là (elle montre la première page de
la couverture) il y a seulement le dessin ? SEULEMENT DESSIN/ ou il
y a encore autre chose AUTRE
374. Ade: oui
375. Géo: DESSIN
376. EE: (montre encore une fois la première de couverture) seulement du
dessin?
377. Ade: oui il y a le dessin la poule POULE les poussins POUSSINS la
pelle PELLE l'arrosoir ARROSOIR
378. a. EE: ouais
b. et encore quoi
379. Géo: la maison
380. Ade: la maison le le le
381. a.EE: la maison (elle montre tous les éléments de l'image un par un)
ça on a dit ça ça ça (elle pointe chaque élément)
b. il reste quelque chose? (EE tend l'image vers les enfants)
382. Géo: RATEAU RATEAU (montre sur l'image)
383. EE: RATEAU on a dit
384. Ade: et la maison aussi (montre sur l'image)
385. EE: oui on a dit
386. Igo: (lève la main et AA) ah ah ah (pointe les éléments sur l'image
du livre tendu par EE)
387. a.EE: DEJA DIT
b.il y a quelque chose qu'on a pas dit déjà ? ENCORE QUELQUE CHOSE
PAS DIT DEJA pas dit
388. Igo: ah ah
389. Ade: attends attends (montre aussi des éléments de l'image)
390. Igo: (montre la pelle)
391. ES: PELLE
392. a.EE: on a dit DIT DEJA/
b.qu'est-ce qu'on a pas dit PAS DIRE
393. Ade: c'est quoi (montre un élément)

216
394. EE: et pis ça c'est quoi? (elle montre les graines en bas du dessin)
(T1, séq. 10)

Dans cet extrait, EE (enseignante entendante) essaie de guider les élèves vers l’écrit, sans leur
indiquer vraiment ce qu’elle cherche et ce qu’elle souhaite. Elle adresse des questions ouvertes
comme aux US 373, ou 376, en s’appuyant du geste qui entoure l’image. Ensuite elle cède
partiellement à l’énumération des éléments de l’image par les élèves, puis referme légèrement
l’ensemble des possibles « il reste quelque chose ? » (US, 381b). Mais les enfants suivent leur
logique de description (PICFORM) d’autant plus qu’ils viennent de nommer ces éléments en
deux langues. EE réfute chaque proposition (US, 383, 385, 387, 392) en attendant qu’ils
trouvent, par eux-mêmes les éléments non picturaux, l’écrit. À la fin, sentant que les élèves ne
sont pas encore en mesure de le trouver, elle leur montre un autre élément sémiopictural, les
graines, important pour la suite de la narration. Elle renonce ainsi à son objectif, mais
momentanément, pour explorer cet élément de l’image constitutif de la trame narrative. Dans
la séquence suivante (séq. 11), elle revient sur son intention première, l’écrit, mais de manière
différente (US 435 à 456) :

435. a.EE: mais maintenant je voudrais quand même savoir


b.on a vu les dessins DESSIN et c'est fini FINIR
436. Ade: oui
437. Géo: oui
438. Igo: eh eh eh (lève la main)/fleu- fleu-/ APRES POUSSER FLEUR
439. ES: OUI GRAINES APRES CA POUSSE FLEUR OUI
440. a.EE: oui après une fleur
b.mais là il y a seulement le dessin DESSIN SEULEMENT DESSIN
441. ES: (à Igo) TU VOIS DESSIN TOUT DESSIN
442. Igo: OUI FLEUR
443. ES: SEULEMENT DESSIN LA REGARDE BIEN (pointe la couverture)
SEULEMENT DESSIN OUI NON ?
444. Igo: oui OUI
445. EE: et il y rien qui est écrit? ECRIRE
446. Ade: oui
447. EE: ah bon!
448. Igo: TITRE TITRE
449. ES: (à EE) LUI
450. a.EE: ah ! le titre TITRE mais oui OUI/
b.il est où le titre (elle s'approche vite à Igo avec le livre pour
qu'il montre)
451. ES: (à Igo) BIEN
452. EE: il est où le titre TITRE OU mon dieu! je tombe OU
453. Igo: CANARD
454. EE: oui mais c’est où? TITRE OU c'est ça c'est ça ou c'est ça où OU
MONTRE-MOI (elle pointe toutes les lignes où c'est écrit)
455. ES: TITRE OU
456. Igo: LA là (montre correctement)
(T1, séq. 11)

Depuis la première US de cette séquence (US 435) EE marque clairement la fin de la description
d’image, et ne concède rien, même si Igo (US 438) est encore dans la logique de la séquence

217
précédente qui finit par le rappel du contexte de vie scolaire des enfants et leur activité de
l’année dernière en lien avec les graines (ils ont fait pousser les graines dans des pots). Elle le
réoriente, appuyée par ES (US 441). Face à la résistance des élèves, elle nomme finalement le
contenu qu’elle veut aborder avec eux, l’écrit, en indiquant expressément par cette fermeture
ce qu’ils doivent chercher, identifier (US 445). C’est à partir de là que les élèves font des
découvertes et entrent dans une autre dynamique, dirigée vers l’écrit. Igo trouve le titre (Igo,
448), mais un peu par hasard. Il déclenche malgré lui une concentration d’attention sur sa
personne, et un effet de surprise (exprimé par EE – US 452). Cependant, soutenu par ES, il
parvient à donner une bonne réponse et entame une autre logique de travail, qui prendra l’écrit
comme l’objet d’étude, comme l’a montré l’analyse séquentielle de cette séance.

12.3.2. LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE À T2 :

Comment la même situation de passage vers l’écrit se présente-t-elle au T2 ? A quel moment de


la séance intervient-elle ?

Voici un extrait du T2, séquence 4, qui suit de manière hiérarchique - comme l’a montré
l’analyse séquentielle - les contenus liés à l’exploration de l’image de l’album (US 187à 206) :
187. a.EE: alors on a dit des mots DIRE MOTS
b.on a dit hérisson comment on écrit hérisson DIRE HERISSON ECRIRE
COMMENT HERISSON
188. Bar: é E
189. Géo: R
190. Ade: h (ch- ch- elle fait des sons)
191. ES: (à Igo) HERISSON ECRIRE COMMENT HERISSON COMMENT
192. EE: CHERCHER cherchez il est écrit où? (montre l'image)
193. Igo: là là
194. EE: montre tu l'as vu
195. ES: (à Igo) MOT HERISSON ECRIT ECRIT OU (il pointe l’image et le
hérisson qui se cache)
196. Bar: moi je sais
197. EE: (à Igo) viens montre
198. ES: MOT ECRIT ECRIT HERISSON
199. Bar: moi je sais
200. Igo: (va au tableau et cherche dans le texte) HERISSON OU
201. ES: HERISSON MOT ECRIT OU CHERCHE
202. EE : là tu l’as vu ? (elle entoure l’image)
203. Igo : (à ES) AVANT JE L’AI VU
204. ES : CHERCHE-LA
205. Igo: là (il pointe le mot hérisson)
206. a.EE: oui il a trouvé ! (elle souligne le mot hérisson avec son
doigt) hérisson euh/
b.vous êtes d'accord D'ACCORD
(T2, séquence 4.)

Cette séquence est tout à fait différente des extraits précédent du T1 : d’un côté les élèves sont
plus engagées dans l’interaction, de l’autre ils proposent tout de suite des réponses complexes,
218
liées aux contenus sublexicaux, à la demande de EE (US 187). Trois propositions différentes
émergent, toutes les trois correctes, car faisant partie du mot hérisson. Et chaque enfant le
communique différemment :

Bar par l’utilisation des deux langues (US 188), Géo par la dactylologie (épellation en LSF ; US
189), Ade par la prononciation de la première lettre, ce qui est difficile car c’est une lettre
muette – h, -ch- ch- (US 190).

Dans le vif de l’action, les enseignants n’ont pas remarqué cette richesse de propositions et ne
les exploitent pas. Ils se concentrent sur Igo et lui proposent de venir montrer le mot recherché
sur l’affiche. Ainsi une série de mots pourra être identifiée par les élèves qui viendront les
montrer au tableau, chacun à son tour. Mais cette proposition adressée à Igo a peut-être une
autre signification : « expert » de repérage de mots – ce qu’ont montré les bilans –il les
reconnait facilement et fait ainsi fonction, auprès des enseignants, de personne relai pour
infléchir la dynamique générale du groupe sur cette composante du savoir.

12.3.3. LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE À T3 :

À T3 le passage à l’écrit est immédiat et intervient dans la situation préalable à l’étude du livre,
dans la discussion libre de la séquence 1 (US 9 à 17) :
9. a. EE : MAINTENANT CHANGER QUOI maintenant changer quoi //
b. MAINTENANT parce que MAINTENANT il ya beaucoup des mots qu'on
sait lire SAVOIR LIRE beaucoup de mots BEAUCOUP MOTS qu'on peut
essayer de lire POUVOIR ESSAYER LIRE AVEC avec la phonologie SONS
c. ça veut dire CA VEUT DIRE O-U- /-o-/ /-u-/ par exemple PAR
EXEMPLE ça veut dire quoi? CA VEUT DIRE QUOI -O-U-
10. Ade: /-ou-/
11. a. EE: /-ou-/ ça on sait SAVOIR
b. et si on met /-t-//-o-//-u-/ -T-O-U- ça va faire quoi QUOI?
12. Ade: Tou-
13. EE: Tou- mais oui 00:01:00
14. Ade : eh! j'arrivais à parler moi!
15. a. EE: mais oui!
b. (elle se lève et écrit au tableau en prononçant tournée vers Igo)
-t- c'est ça CA /-t-/ -T- (pointe au tableau la lettre t
c. et elle écrit –ou-) -ou- /-ou-/ ca fait /tou-/
d. COMPRIS?
16. Igo: OUI
17. a. EE: alors c'est ça/
b. maintenant pour lire maintenant MAINTENANT POUR LIRE il faut
utiliser quoi UTILISER QUOI
(T3, séq. 1.)

219
Une nouveauté est ici à souligner : c’est la première fois de l’année que l’écrit est initié par un
élève et non par les enseignants. Ce début de séance montre aussi l’importance de la position
d’un élève en particulier, Ade, dans les interactions. C’est en effet souvent elle qui répond le
plus vite, quoi que dans cette séance sa participation est vraiment coordonnée avec les
interventions des autres élèves. Les exemples énoncés par EE visant les connaissances
phonologiques, sont vite perçues par Ade qui fait de grands progrès dans l’acquisition de la
langue vocale. Elle manifeste une sorte d’emphase, soulignée par EE, et prend de plus en plus
conscience qu’elle est capable de maitriser la parole, ce qui constitue son investissement
privilégié de l’année. Elle le fait différemment qu’Igo, qui répond par la positive à la question
d’EE, mais sans que cette dernière vérifie s’il a effectivement compris. Elle considère cette
réponse comme une validation effective, en connaissant ses possibilités et ses progrès.
L’introduction des éléments sublexicaux depuis le début de la séance ne perturbe pas les élèves.
Ils sont tout à fait capables d’entrer dans la discussion autour de ces contenus et d’y prendre
une part active, comme le témoigne Ade dans ce bref extrait. Dans la suite de cette séquence
d’ouverture, EE propose les autres unités linguistiques (US 25 à 52) :
25. f.EE: (…) si je fais ça CHAT vous savez/
26. Géo : non
27. Igo: /ba/
28. a.EE: si j'écris ça si j'écris ça (elle se lève et écrit au tableau:
chien)
b.vous savez c'que c'est ça SAVOIR?
29. Ade: chaton chaton
30. Géo: CHAT
31. a.EE: non attention /
b.c'est quoi ce mot (elle pointe le tableau)
32. [ES : (à Igo) CA QUOI (pointe le mot au tableau)
33. Igo : cha-
34. ES : NON (négation2)]
35. Géo: -C-
36. Ade: chien
37. EE: CHIEN chien
38. Ade : chien
39. Igo: /chi'//chi'/
40. a.[ES: REGARDE EE (pointe EE)/
b.OUI CHIEN]
41. a.EE: chien CHIEN
b.ça vous savez par coeur PAR COEUR
42. a.Ade: j'arrive à lire /
b.chaton chaton
43. a.EE : alors chaton
b. je vais écrire comme ça chat-(elle écrit au tableau: chat-
44. Bar: maman
45. a.EE: comme ça
b.mais comment on fait - on
c.(elle se tourne vers les enfants et indique Géo)
d.–on-
46. Géo : /-on-/
47. a.Igo : /-ch- -ch-
b.cha- cha-/ CHAT CHAT

220
c.(à ES) /cha- cha-/ CHAT CHAT
48. ES: OUI
49. a.EE: alors on fait -o-en-
b.(se tourne vers le tableau et écrit: chaton)
c./chat-on/
d.alors SAVOIR on peut POUVOIR AIDER hein/
e.et il y a les choses encore difficiles CHOSES DIFFICILES où moi je
vais aider MOI AIDER
50. ES: (pointe les mots au tableau à Igo) COMPRIS?
51. Ade: (lève la main) mais j' chaton chaton je suis arrivée tout lire
chaton le soir CHAT HISTOIRE LIRE TOUT
52. EE: eh ben c'est bien/
(T3, séq. 1.)

La proposition faite par EE au moyen du signe CHAT (US 25) continue dans le même esprit, celui
de proposer aux élèves plusieurs unités linguistiques et sous différentes formes. Son intention
est de les mobiliser en tant que participants actifs, conscients de leurs acquis, dans la tâche qui
leur sera proposée ultérieurement (séquence 2 et suivantes). Elle fait cette proposition lexicale
en langue des signes, ce que les élèves ne reconnaissent pas tout de suite. Elle propose alors un
mot écrit : chien, au tableau. Les réponses des enfants sont diverses : Ade répond en élargissant
la première proposition chat-chaton et en utilisant le français vocal (US 29) ; Géo répond aussi à
la première proposition et en LSF, comme EE l’a introduit. EE passe déjà à sa deuxième
proposition sans valider les réponses de ces deux enfants. Elle attend déjà une réponse par
rapport à l’écrit, donc au mot chien. Quant à lui, Igo donne aussi une réponse à la première
proposition (CHAT), mais sous incitation d’ES, qui ne valide pas non plus cette réponse. Géo
essaye alors de déchiffrer lettre par lettre le mot écrit, mais finalement donne la réponse en LSF
(US 35). Puis Ade donne une réponse correcte à la deuxième proposition, validée par EE en LSF
et en français vocal (US 37). Igo continue sur cette lancée, et ES valide également sa réponse (US
40). EE valide encore une fois en deux langues, et souligne les acquis des élèves, « ça vous savez
par cœur PAR CŒUR » (US 41). Ade constate ses propres acquis, et propose l’élargissement du
premier mot, encore une fois. Alors EE accepte sa proposition, s’ajuste, introduit une
segmentation qui lui permet un retour sur les unités sublexicales, cette fois-ci un phonème
complexe –on- mais travaillé déjà auparavant et connu par les élèves. Les élèves participent,
suivent ses incitations et donnent à voir leurs connaissances effectives, facilement mobilisables.
Seul Bar n’intervient qu’une seule fois, en énonçant un mot sans rapport avec les échanges ; il a
besoin d’un cadrage plus spécifique et individualisé pour entrer dans la tâche.

Ade revient encore une fois sur son vécu, son expérience en tant que lectrice, et ses capacités à
lire (US 51) ; elle le fait en deux langues, même si elle penche clairement vers le français vocal.
Elle montre qu’elle connaît les deux et peut les utiliser. Effectivement, ses capacités se
confirment par la suite, dans le déroulement de cette séance.

221
12.3.4. SYNTHÈSE DE LA DYNAMIQUE INTERACTIONNELLE DURANT L’ANNÉE SCOLAIRE : LA
DYNAMIQUE PROPRE À CET D’ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE PARTICULIER SE CONFIRME -T-ELLE ?

Oui, les enseignants témoignent d’une grande ouverture envers les propositions des
apprenants, ils s’y ajustent, même si quelques fois ils sont détournés de leur objectif principal ;
ils autorisent des interventions inattendues de la part des élèves, qui amènent souvent un
élément nouveau, exploité avec tous les élèves.

Ce faisant, les enseignants utilisent certaines stratégies pour faciliter la prise de parole de la part
des élèves. Par exemple, ils essayent de la distribuer de manière égalitaire, en évitant de se fier
uniquement sur les paroles et signes d’un enfant ; tous les quatre sont valorisés par les
incitations des enseignants à intervenir. Dans le même sens, ces derniers acceptent de différer
leurs intentions (sans pour autant y renoncer), réalisant que les élèves échangent sur d’autres
contenus. Plusieurs indices soutiennent une telle interprétation. Les validations, les reprises des
interventions des élèves sont souvent différées dans le temps, les répétitions et les
reformulations des réponses apparaissent de manière immédiate, les paroles sont complétées
par la LSF. Ensuite, la mise en confrontation/discussion des propositions des enfants avec leurs
pairs : « vous êtes d’accord ? » apparait comme pratique récurrente. Les enseignants procèdent
en posant d’abord les questions les plus larges, ouvertes, pour restreindre ensuite champ des
réponses possibles - pratique qui incite les élèves à s’interroger et à prendre la part active dans
l’échange dans la langue qu’ils choisissent. Enfin, un dernier indice de la place donnée aux
élèves est l’autorisation qui leur est faite de prendre en compte leurs contextes de vie et leurs
connaissances du monde, comme autant de références pour ancrer la compréhension des
images et des textes contenus dans les albums de littérature enfantine. Les élèves sont ainsi
pleinement reconnus comme partenaires des échanges sur le savoir littéracique, même si le
guidage des enseignants peut aussi être plus fermé, entre autres lorsqu’il s’agit de faire ressortir
des contenus non perçus d’emblée par les élèves et pour arriver à entrer dans l’exploration des
contenus attendus, comme c’est le cas à T1, ou à T2, où les impositions sont nombreuses.

En résumé, cette analyse fait apparaître les caractéristiques du guidage interactif (Saada-Robert
et al. 2003), que les analyses de la zone de compréhension et des patterns de significations
propres aux interactions devraient permettre d’approfondir.

222
12.4. ANALYSE DE LA CONSTRUCTION CONJOINTE À TRAVERS LES PATTERNS DES SIGNIFICATIONS ET
LES ÉTATS DE LA ZONE DE COMPRÉHENSION D’UNE SÉANCE À L’AUTRE

Les résultats obtenus par l’élaboration des données selon le sixième procédé des microgenèses
didactiques sont à la base de l’étude plus approfondie des patterns de significations et des états
de la ZdC telle qu’elle a été opérationnalisée par K. Balslev (2006). Nous avons expliqué les liens
entre ces deux notions dans la partie méthodologique (cf 9.6.) et nous les présentons ici en ce
qu’elles permettent de qualifier la construction conjointe du savoir.

12.4.1. LES PATTERNS DE SIGNIFICATIONS ET LA ZONE DE COMPRÉHENSION EN CONSTRUCTION À T1

Les résultats de cette analyse à T1 sont décrits dans le tableau 32. Rappelons brièvement que
pour chaque séquence d’une microgenèse, un pattern de significations et un état de la ZdC ont
été qualifiés. L’objectif est de rendre compte d’une part des significations construites par les
enseignants et par les élèves, significations sans lesquelles le savoir ne peut s’élaborer. D’autre
part et en complémentarité, une centration s’effectue sur la zone de compréhension elle-
même, autrement dit la zone de rencontre qui se construit entre les partenaires, parallèlement
au savoir. Rappelons aussi que les indices donnant lieu à cette analyse sont fournis par les
modalités énonciatives de l’analyse structurale, par les initiateurs de chaque séquence et par les
reprises intra ou interséquences - qui reprend ce qui avait été énoncé par qui d’autre
antérieurement (cf partie II).

223
Tableau 32. Patterns des significations et états de la ZdC à T1.

N°Séq. Contenus de savoir dominant INITIATEURS PATTERNS ETATS DE LA ZdC


(Nb. T1 ( autres contenus) Apparent
d’US) (latent)
1 (35) PRAGM (GESTGR) Ens (Els) IMP NC
2 (71) PICFORM (INFERENCE) Els-Ade (Ens) APPR EVE
3 (33) PICFORM (PRATLIV) Els (Ens) APPR EVE
4 (65) PICFORM (PICNAR, INFER, Els (Ens) IMP- APPR NC-EVE
GESTGR, ENG+)
5 (58) PRATLIV (GESTGR, PICFORM, Ens (Els) APPR– IMP EVE-NC
CONTVIE)
6 (37) PICNAR (PICFORM, AUTRE, Ens (Els-Ade, CONSTR EVC ou CCC par
CONTVIE) Igo) moments
7 (65) CONTVIE (LEX, SUBLEX) Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC (avec deux
logiques à la fin
CONTVIE//
PICFORM)
8 (42) PICFORM (LEX, SUBLEX, Ens=Els CONSTR EVC et Commune par
SEMANT) moments
9 (34) PICNAR (META, INFER) Ens (Els) APPR EVE
10 (70) PICFORM (CONCECR, LEX, Ens (Els) JUXT – CONSTR- Deux logiques au début
CONTVIE) PART (CONCECR// PICFORM)
NC puis EVC et
Commune
11 (58) CONCECR (ORG, META) Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC
12 (95) PRATLIV (CONTVIE, ORG) Ens (Els) CONSTR EVC
13 (38) SUBLEX (PROGACT, LEX) Ens (Els) CONSTR EVC
14 (51) SUBLEX (REPLEX, LEXSEM) Ens (Els) CONSTR EVC
15 (28) PICFORM (CONCLEC, REPLEX, Ade + Ens APPR-CONST EVE-EVC
ORGSEM, LEX) Igo (Ens) JUXT NC
Deux logiques : Ade –
PICFORM, Igo-LEX
16 (36) SUBLEX (REPLEX, LEX, LEXSEM) Ens (Ade) APPR-CONSTR EVE-EVC ou CCC
17 (34) SUBLEX (REPLEX, LOGOGR) Ens (Géo) APPR EVE ou CCC
18 (20) SUBLEX (LEX, PICFORM) Ens (Els) APPR EVE
19 (59) SUBLEX (LEX, LEXSEM) Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC
20 (86) SUBLEX (LEX, LEXSEM, Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC et CCC à la fin
PICFORM)
21 (77) LEX (CONCLEC, SUBLEX, Ens (Els) APPR-CONSTR- EVE-EVC-et Commune à
CONTVIE) PART la fin
22 (48) PRATLIV (ORG, ORGSEM) Ens (Els) CONSTR-PART EVC et puis Commune
23 (30) REPLEX Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC

Légende :
Patterns de significations : JUXT= significations juxtaposées ; IMP = significations imposées par Ens ; APPR
= accès aux significations de l’apprenant ; CONSTR = significations conjointes en construction ; PART =
significations partagées
Etats de la ZdC : DISJ = disjointe ; NC = non commune ; EVE = en voie d’émergence ; EVC = en voie de
construction commune ; Commune ; CCC = considérée comme commune

224
Les parties grisées et les flèches indiquent les déplacements de l’objet enseigné (introduit par la EE séq.
10 mais suivi par les élèves seulement à la séq.11) ou les différences de logiques entre les enseignants et
élèves.

Une première vue d’ensemble permet de relever qu’il y a peu des séquences où la ZdC est non
commune : seulement deux séquences, 1 et 5, ont cette caractéristique. D’autres séquences où
la ZdC est non commune, peuvent aussi apparaitre, par exemple au début ou à la fin de la
séquence (séq. 7, 10, 15). Ce constat renvoie à des ruptures minimes, souvent liées à un enfant
qui n’a pas suivi la logique du groupe et/ou qui n’a pas compris de la même manière quelque
chose (séq.15 – Igo).

La majorité des séquences présentent une zone de compréhension en voie de construction (EVE
et EVC) et certaines parmi elles basculent dans la dernière catégorie où la ZdC est commune. Il
faut relever que ceci apparait surtout à la fin de la séance (séq. 21, 22, 23), mais aussi à la
séquence 10. Nous pouvons affiner notre analyse en vérifiant comment la zone de
compréhension est en voie de construction : est-elle basée sur l’émergence des significations
(patterns APPR) ou est-elle basée sur la construction conjointe des significations (CONSTR) ? et
sur quels contenus porte-elle quand elle devient commune ?

Suivant la logique de la séance qui se partage en deux partie avec la séquence 11 comme pivot
(voir l’analyse séquentielle des contenus de savoir), comment dans ces deux parties, la zone de
compréhension est-elle établie ? Harmonieusement, facilement ou par des ruptures et des
rattrapages ? Retrouve-t-on la même logique des deux parties dans l’analyse de la
coconstruction des significations?

Au début de la séance et ceci jusqu’à la séquence 10, une certaine difficulté à établir et soutenir
la ZdC peut être constatée. Les enseignants ont de la peine à poursuivre leurs objectifs, les
élèves sont dispersés, et ont du mal à entrer dans la tâche. Ceci apparait au niveau des patterns
par la présence des significations imposées de la part des enseignants (IMP-3 fois). Ensuite,
interviennent les patterns qui indiquent la volonté des enseignants de comprendre les
significations émergentes des élèves : ils sont dominants (APPR-6 fois) même si les significations
en construction apparaissent aussi (CONSTR). Ces significations deviennent partagées (PART) à
la séquence 10 qui est assez complexe : elle commence par la juxtaposition des points de vue,
car l’enseignante introduit un contenu concernant l’écrit présent sur la couverture, mais elle
n’est pas du tout suivie par les élèves qui restent encore attachés aux contenus sémiopicturaux.
S’ensuivent des significations portant sur les contenus abordés auparavant et bien maitrisés par
les élèves (PICFORM, CONTVIE) : le partage peut alors s’instaurer et la zone de compréhension
commune s’établir.

225
Dans la deuxième partie de la séance les significations sont en constante émergence (EVE,
présent 9 fois) vu les contenus abordés, nouveaux pour les élèves. Ils sont alors fortement
médiatisés par les enseignants. Puis, les significations se stabilisent par le processus de
construction conjointe (EVC, 11 fois). Deux fois même, les significations sont partagées
(COMMUNE ou CCC, 2 fois) et ceci arrive dans les séquences 21, 22, donc à la fin de la séance.
On pourrait donc supposer que les nouveaux contenus ont été compris par les élèves. Mais il
n’en est rien. La zone de compréhension devient commune par un retour à des contenus
connus, portant sur le contexte de vie ou les pratiques sociales concernant les livres (CONTVIE,
PRATLIV), et ces contenus ont été déjà largement abordés au début de la séance.

226
12.4.2. LA ZONE DE COMPRÉHENSION EN CONSTRUCTION PARSEMÉE DE RUPTURES À T2 :

La façon dont la construction conjointe des significations s’opère dans la séance du T2 (tableau
33) est maintenant analysée.

Tableau 33. Patterns de significations et états de ZdC à T2


N°Séq. Contenus de savoir dominant T2 INITIATEURS PATTERNS ETATS DE LA ZdC
(Nb. ( autres contenus) Apparent
d’US) (latent)
1 (70) PRAGM (ORGSEM, CONTVIE, Ens IMP-APPR NC - EVE
SUBLEX, LEX)
2 (79) PICFORM (CONTVIE, INFER) Elèves (Ens) CONSTR- EVC -Commune par
PARTAGE moments
3 (56) PICNAR (CONTVIE, AUTRE, GESTGR) Ens APPR-IMP EVE - NC
4 (193) REPLEX (SUBLEX, LEX, PICFORM, Elèves (Ens) CONSTR-APPR EVC-EVE
GESTGR, CONTVIE)
5 (24) PICFORM (CONCECR) Ens IMP-APPR NC-EVE
6 (23) CONCECR (PRAGM, LEX) Ens IMP-APPR NC-EVE
7 (72) ORG/ORGSEM (PICNAR, LEX, REPLEX, Igo - (Ens) PART-APPR Commune ou CCC
GRANAR) (autres enfs pas visibles)
8 (37) REPLEX (GRANAR, CONTVIE, SUBLEX) Ade, Bar, Géo CONSTR-PART CCC (Igo disparait des
(Ens) échanges) ou
Commune
9 (43) CONTVIE (GRANAR, PICNAR, SUBLEX, Ens (éls se IMP NC
LECT, REPLEX, GESTGR) bloquent, ne
comprennent
pas les
connaissances
sociales
implicites)
10 (149) LEX/REPLEX (CONTVIE, PICFORM, Ens IMP-JUXT-IMP NC-DISJ-NC
SUBLEX, LECT, GRANAR)
11 (67) LECT Ens (éls un par CONSTR-PART EVC ou Commune (en
un, souvent fonction d’aide)
initiateurs)
12 (96) LECT (REPSUPRA, REPLEX, CONCLEC) Ens (éls) CONSTR-PART EVC ou Commune
13 (82) LECT (PICNAR, GRANAR, CONTVIE, Ens (Els) CONSTR EVC
REPLEX, REPSUPRA)
14 (105) LEX/REPLEX (LECT, CONTVIE, Ens JUXT-IMP NC ou CCC par les ens
PICNAR, GRANAR)

Légende :
Patterns de significations : JUXT= significations juxtaposées ; IMP = significations imposées par Ens ; APPR
= accès aux significations de l’apprenant ; CONSTR = significations conjointes en construction ; PART =
significations partagées
Etats de la ZdC : DISJ = disjointe ; NC = non commune ; EVE = en voie d’émergence ; EVC = en voie de
construction commune ; Commune ; CCC = considérée comme commune

227
À première vue, les significations conjointes ont de la peine à émerger et à être construites en
interactions. Elles sont souvent imposées par les enseignants et non seulement au début de la
séance : plusieurs fois la ZdC est donc non commune (NC). Par contre, au moment où les
significations des élèves peuvent émerger (APPR), elles deviennent vite en construction
conjointe (CONSTR) et sont également partagées (séq. 2, 4, 7, 8, 11, 12, 13).

D’autre part, les enseignants perdent facilement l’attention des élèves ce qui provoque des
ruptures dans le maintien de la zone de compréhension : elle apparait en effet souvent comme
non commune (NC). Cette séance est donc marquée par des va-et-vient entre les significations
émergentes, leur élaboration conjointe, les ruptures et leur rattrapage. Si on regarde la colonne
des initiateurs, dès le moment où les enfants peuvent jouer un rôle actif dans l’interaction (sont
les initiateurs de la séquence), la ZdC est vite en construction et les significations deviennent
partageables ou partagées.

L’objectif de cette leçon est de faire passer les élèves à l’action autonome de lire, à les
confronter avec le texte en lecture, comme le révèle l’analyse structurale des fréquences (cf.
analyse structurale des objets d’enseignement apprentissage réellement mis en jeux à T2).
Chaque apprenant est donc sollicité pour prendre une part active dans la réalisation de cet
objectif, avec les médiations et les aides de la part des enseignants, plus ou moins importantes,
selon les capacités variables des élèves. Les choix d’un récit assez facile d’accès, répétitif et
préparé sur le plan thématique - la vie du hérisson étudiée en environnement, comme l’indique
l’analyse a priori de la situation didactique et de l’album - contribue au passage rapide vers le
décodage et l’étude du code alphabétique, dans le but de lire. Cet objectif ne perd pas de vue,
toutefois, un travail sur la compréhension des éléments narratifs : les décors, les personnages,
les hypothèses quant au déroulement de l’histoire. C’est probablement ce double travail qui
ralentit la dynamique interactionnelle et provoque les ruptures momentanées de la zone de
compréhension, telle qu’analysée ici. Son établissement et surtout son maintien ne constituent
pas l’intention première des enseignants qui se centrent sur l’analyse du code, parsemée de
séquences sur la compréhension narrative. Quelques éléments textuels sont facilement
repérables, comme les « guillemets » par exemple. Ils ont une signification connue des élèves et
c’est dans ces moments-là que la ZdC commune s’établit (ex. séq. 7-8). C’est aussi lors de ces
séquences que les élèves sont investis, amènent les éléments cruciaux qui font avancer la leçon,
témoignent de leurs connaissances quant à la structure du récit en LSF, comme par exemple Igo
à la séquence 7. Et c’est aussi en passant à l’acte de lire que les élèves témoignent de leurs
capacités, de leurs connaissances du code avec ses éléments sublexicaux. Ils montrent aussi
leurs connaissances lexicales, en reconnaissance de mots connus et fréquents par exemple le
mot chercher, ou les noms des animaux présents sur l’image : l’oiseau, le hérisson, l’écureuil.
Dans ces moments-là, ils construisent en interaction avec leurs pairs et avec leurs enseignants,
les significations partageables qui deviennent rapidement partagées (séq. 11-13).

228
Comment cette construction conjointe de la ZdC se présente-t-elle à T3 ?

12.4.3. LA ZONE DE COMPRÉHENSION EN CONSTRUCTION ET COMMUNE À T3

Tableau 34. Patterns de significations et états de la ZdC à T3.


N°Séq. Contenus de savoir dominant T3 INITIATEURS PATTERNS ETATS DE LA ZdC
(Nb. ( autres contenus) Apparent (latent)
d’US)
1 (92) CONCLECT (PRAGM, LEX, SUBLEX) Ens (Els-Ade) PART Commune
2 (127) PRAGM (SEMANT, CONTVIE, LEX, EE =Els (Ade, Igo, APPR-CONSTR Commune ou CCC
PICNAR, PRATLIV) Bar)
3 (191) PICFORM (CONCLECT, PRATLIV, ORG, LEX, Els (Ens) CONSTR-PART Deux zones
SUBLEX) EE+3 éls/ ES+Igo Communes
4 (79) PRAGM (LECT, SUBLEX, LECT, SEMANT, Ens (Els très APPR-IMP Commune
PICNAR, CONTVIE) impliqués) EVE-NC
5 (47) ORG (PRATLIV, CONCECR) Ens (Els impliqués) CONSTR EVC ou Commune
par moments
6 (86) LECT (LEXSEM, PICFORM, SUBLEX) Ens (Els) CONSTR-IMP EVC-varie suivant
l’enfant
7 (77) PICNAR/GRANAR (ORG, ORGSEM, LEX, Ens (Els) APPR-CONSTR EVE-EVC
PICFORM, CONTVIE, LEXSEM)
8 (65) ORG (LECT, SUBLEX, LOGOGR, CONTVIE) Ens (Els disjoints) EE-JUXT NC
3 éls disjoints chacun suit une autre Igo suit ES ES- CONSTR, ES+Igo EVC,
logique, dissipés, Igo-ORG, CONTVIE PART Commune
9 (50) GRANAR (PICFORM, LECT, LEX, SUBLEX, EE+3 éls EE-APPR EVE
SEMANT) 3 éls-différentes contenus ont ES+Igo ES-PART, Commune, EVC
du mal à suivre, Igo-LECT, LEX CONSTR
10 (39) PICFORM (PICNAR, SEMANT, REPLEX, Ens (Els) EE -APPR Deux zones : EVE et
LEXSEM) EE-PICFORM, ES-REPLEX ES-IMP NC
11 (26) CONTVIE (LEX, SUBLEX) Ens (Els) APPR EVE
12 (52) REPSUPRA (LECT, LEXSEM, SUBLEX, Ens (Els) CONST EVC
CONCLEC, CONCECR, GRANAR)
13 REPLEX (PRAGM, LECT, LEXSEM, SUBLEX, Ens (Els) APPR EVE ou CCC
(122) CONTVIE, SUPRA)
14 (65) ORG/ORGSEM (SUBLEX, REPLEX, LEX, Ens (les élèv APPR-CONST EVE-EVC
LEXSEM, PICFORM) es actifs)
15 (37) GRANAR (ORG, SUBLEX, PICNAR) Ens (élèves actifs) APPR EVE
16 (67) CONTVIE (LEX, LEXSEM, SUBLEX, GRANAR) Éls (Bar)-Ens CONST-PART Commune, CCC
pour ES+Igo
17 (47) LEX (SUBLEX, ORG) Ens (Els) CONST EVC
18 (53) SUBLEX (LEX, LECT, LEXSEM) Ens (Els) CONST EVC
19 (72) LEXSEM (REPLEX, CONTVIE, LEX) Ens-éls (Igo, Bar) PART-CONST Commune par
moments ou CCC
20 (35) CONTVIE Éls (Ade)-Ens PART Commune
21 (39) SEMANT (CONCLECT, GESTGR) Ens (Els) CONSTR-IMP EVC-NC
22 (61) GRANAR (CONCLECT, LECT, ORG, META, Ens (Els) CONSTR EVC
LEX)
23 (57) LEX/REPLEX (GRANAR, PICNAR, LECT, Ens CONSTR EVC
ORG)
24 (96) CONTVIE (PICFORM, PICNAR) Ens (éls très actifs) PART Commune
25 (68) ORG (CONCLECT, PRATLIV, GRANAR) Ens (éls) IMP-APPR NC-EVE

229
Légende :
Patterns de significations : JUXT= significations juxtaposées ; IMP = significations imposées par Ens ;
APPR = accès aux significations de l’apprenant ; CONSTR = significations conjointes en construction ;
PART = significations partagées
Etats de la ZdC : DISJ = disjointe ; NC = non commune ; EVE = en voie d’émergence ; EVC = en voie de
construction commune ; Commune ; CCC = considérée comme commune
Les parties grisées et les flèches indiquent les déplacements de l’objet enseigné ou les différences de
logiques entre les enseignants et élèves.

Cette séance présente la variabilité due au contexte situationnel, comme nous l’avons
mentionné plus haut : présence d’une ES-remplaçante, manière différente de confronter les
élèves à l’album en leur proposant un travail individuel pour découvrir l’ouvrage au début de la
séance. Si le contexte de la classe est considéré comme dynamique, changeant (Grossen, 2001),
nous avons l’occasion de voir comment les enseignants et les élèves s’ajustent aux changements
imprévus, auxquels ils sont confrontés au quotidien. Nous pouvons remarquer tout de suite que
le contexte influence la construction conjointe des significations et les états par lesquels passe
la ZdC. Tout d’abord, cette séance commence par le partage des significations sur un contenu
sémiographique et sur la conceptualisation de la lecture (CONCLECT), ce qui est tout à fait
nouveau par rapport aux autres séances. Les impositions de la part des enseignants sont rares
(5 fois), toutefois elles n’apparaissent pas toutes seules en tant que dominances ou ruptures,
mais accompagnés des autres patterns qui les amortissent. Les juxtapositions de significations
sont aussi très rares (1 fois), les élèves suivent bien les intentions des enseignants, adhèrent aux
tâches proposées, même parfois complexes. Les patterns des significations émergentes (APPR)
et en construction conjointe (CONST) sont majoritaires, et elles deviennent partagées (PART)
plus souvent que dans les séances précédentes (séq. 1, 3, 8, 9, 16, 19, 20, 24). Les enseignants
et les élèves se sont compris, ont élaborés et soutenus leur Zone de compréhension.

Quels sont donc les contenus sur lesquels ils se sont compris ? Dans la première séquence nous
l’avons dit, il s’agit d’un contenu proche de la lecture. Les quatre séquences suivantes (3, 8, 9,
10) feront l’objet d’une analyse particulière plus loin (paragraphe suivant).

Les séquences 16, 20, et 24 partagent leurs significations sur le contexte de vie (CONTVIE), et la
séquence 20 est consacrée au lexique et la signification d’un mot nouveau : maître (LEXSEM),
mais le contexte de vie y est présent et c’est sur cette partie de la séquence que les partenaires
partagent leurs significations. Cette même partie amorce la séquence suivante, entièrement
consacrée à l’explication du mot maître, rendue possible par un exemple de la vie d’Ade qui se
réfère à sa grand-mère : « Mambo s’assied ! » (US 1143, séq. 20).

Dans quelques séquences, deux zones de compréhension apparaissent. Elles sont liées à
l’approche des contenus différents par les deux enseignants (séq. 3, 8, 9, 10). Il s’agit là d’un

230
phénomène particulier et très intéressant où la ZdC est disjointe, mais c’est aussi un
phénomène de la simultanéité d’utilisation de deux langues par deux enseignantes. Regardons
de plus près les séquences successives 8, 9, 10 (grisées dans le tableau 34) :

Dans la séquence 8, ES réalise le travail sur le contenu dominant, ce qui était l’intention des
deux enseignants, mais EE n’y parvient pas : les élèves ne la suivent pas, contrairement à Igo qui
interagit en LSF avec ES et la suit correctement. A la fin de la séquence, ils font même une
blague et se suivent aussi sur ce point d’humour : il concerne l’avenir d’Igo, qui deviendra peut-
être auteur d’albums de jeunesse ou dessinateur, comme l’est ES (dessinatrice passionnée et
professionnelle). Un point de complicité les relie et se fait sentir.

Dans la séquence 9 de nouveau, Igo parait plus concentré et suit ES sur les contenus complexes :
il réussit à lire les mots notés sur le tableau noir. Contrairement à lui, les autres élèves ont un
peu du mal à suivre EE, qui les incite à réfléchir sur la possibilité de trouver le nom du petit
garçon (GRANAR) dans le texte de l’histoire.

Dans la séquence 10, ES amorce un travail concernant le repérage lexical avec Igo, trois
séquences en avance, car ce repérage va être travaillé en groupe-classe dans la séquence 13.
Les autres enfants suivent de mieux en mieux EE sur le contenu qui leur est tout à fait
accessible : la description de l’image de la première page du livre.

Pour résumer l’analyse de cette séance, nous pouvons dire qu’elle est assez homogène : une
fois la zone de compréhension établie, tout de suite à la séquence 1, elle passe par différents
états, mais elle ne subit pratiquement pas de ruptures comme au T2. Elle passe donc d’un état à
l’autre, mais en majorité elle est en voie de construction (EVC), ce qui est repérable à travers les
patterns des significations en construction conjointe (CONSTR), plus nombreux qu’à T2. Elle
devient aussi plus souvent commune. Même si les contenus de cette séance varient beaucoup,
dans un déroulement où chaque contenu est traité plusieurs fois par des reprises et des retours,
les enseignants et les élèves arrivent à s’y retrouver pour composer ensemble et soutenir la
zone de compréhension commune dans laquelle elle est établie.

231
12.5. SYNTHÈSE DE L’ANALYSE MICROGÉNÉTIQUE : À LA RECHERCHE D’UNE ZONE DE
COMPRÉHENSION COMMUNE ET DES SIGNIFICATIONS PARTAGÉES

Nous tentons dans cette synthèse de tisser des liens entre quatre analyses. Il s’agit des deux
analyses présentées ci-dessus, l’analyse structurale des contenus et modalités énonciatifs et
l’analyse séquentielle de la dynamique de coconstruction des significations sur le savoir et de la
ZdC. Il s’agit également de deux autres analyses : celle qui présente en amont les résultats des
bilans psycholinguisiques, ainsi que celle qui va présenter en aval, les résultats des analyses
bilingues constituant une approche plus approfondie des interactions didactiques.

L’établissement et le maintien d’une Zone de Compréhension constitue l’exigence sine qua non
qui permet de rendre compte du processus d’enseignement apprentissage compris en tant
qu’activité conjointe à laquelle participent et les enseignants et les élèves. Ce processus est
appréhendé dans le cadre des composantes du savoir lire/écrire qui guident les actions des uns
et des autres.

Considérons donc tout d’abord les questions concernant l’établissement et le maintien de la


Zone de compréhension (ZdC). Comment apparait-elle ? Quels sont les indices permettant de la
saisir ?

Dans l’analyse structurale, les prémices de la zone de compréhension peuvent être saisies par le
questionnement suivant : est-ce que les enfants et les enseignants se sont compris ? C’est-à-
dire, se suivent-ils au niveau des pourcentages de l’apparition des contenus énonciatifs, des
composantes du savoir ? les modalités par lesquelles ils s’expriment montrent-elles des indices
d’ouverture ou de fermeture de la part des uns et des autres ?

Les réponses à cette question informent sur l’établissement probable de la ZdC, et nous avons
vu que d’un temps à l’autre cette probabilité peut changer. À T1 nous pouvons présupposer que
la ZdC ne va pas s’établir si facilement : les partenaires démontrent des écarts quelques fois
importants de pourcentages entre les contenus privilégiés. À T2 et à T3 les distributions
commencent à devenir de plus en plus correspondantes. Ces indices peuvent s’enrichir dans
l’analyse des modalités énonciatives. Celle-ci montre clairement qu’une certaine régularité
caractérise l’enseignement, et qu’elle est propice à l’apprentissage. Elle montre en effet une
ouverture aux propositions des apprenants et se dessine comme fonctionnement ordinaire dans
cette classe, autrement dit comme microculture de classe.

L’analyse de la dynamique interactionnelle mène au centre des ajustements mutuels entre les
partenaires, donc au centre de cette zone, cette fois-ci sur le plan ponctuel, synchronique, dans
une séquence précise d’une séance de travail donnée. Cette analyse fournit des informations
précieuses sur comment les partenaires du même discours négocient les significations liées aux

232
composantes du savoir. Ainsi, cette analyse repère les initiateurs des énoncés, qui peuvent être
des initiateurs apparents, ceux qui prennent la parole, ou des initiateurs latents, cachés, à partir
desquels les significations sont reprises. Elle décortique les procédures spécifiques (ou
stratégies) que les enseignants déploient pour favoriser l’établissement de la zone de
compréhension et son maintien. Elle fournit aussi les informations sur l’accueil fait aux réponses
des élèves, notamment par les reprises que les enseignants ou les autres élèves effectuent, soit
de manière immédiate, soit à partir de séquences plus éloignées (reprises intra-, et
interséquences). La Zone de compréhension prend du corps dans cette analyse, mais elle
n’apparait pas encore de manière complète, dans la séance entière ; son examen permet alors
de savoir comment elle s’établit et évolue dans chaque séance et d’une séance à l’autre, de
manière diachronique dans un laps du temps plus long.

C’est l’analyse des patterns de significations construites en partenariat qui nous donne le
résultat final et approfondi de l’établissement et du maintien de la ZdC. Cette analyse est
complétée par l’attribution des « états » par lesquels passe la ZdC durant chaque séance. Et là,
les fluctuations d’un temps à l’autre peuvent de nouveau être pointées.

Si cette Zone constitue une condition essentielle de la progression des composantes du savoir
lire/écrire, comme nous le montrons se pose alors la question suivante : comment progressent
ces composantes, en termes de contenus des énoncés dominants, dans la zone de
compréhension établie d’une séance de travail à l’autre ?

À T1, dans la majorité des séquences microgénétiques, la ZdC suit le processus de construction
en affichant les significations émergentes ou conjointes, devenant commune qu’à la fin de la
séance (séq. 21, 22) et sur les contenus contextuels, liés aux connaissances du monde social
(CONTVIE, PRATLIV), largement investies et maitrisées par les élèves.

À T2, les moments de partage sont un peu plus présents (quatre séquences, dont deux au milieu
et deux à la fin de la séance – séq. 7, 8, 11, 12) et concernent des contenus dominants plus
complexes : ORG/ORGSEM, REPLEX, ainsi que la lecture (LECT) ; ce sont donc les contenus qui
représentent les composantes lexicales et textuelles du savoir lire/écrire. Même si cette séance
est difficile à mener (voir les alternances entre stabilités et ruptures de la ZdC), les partenaires
arrivent à partager leurs significations autour de composantes complexes.

À T3, la séance commence par un partage des significations, donc par une ZdC commune. Cela
se poursuit durant cette séance, entre les constructions de significations conjointes et les
partages. Dix séquences (séq. 1, 2, 3, 5, 8, 9, 16, 19, 20, 24) témoignent d’une Zone de
compréhension commune. Les composantes du savoir littéraciques sur lesquelles les
partenaires partagent leurs significations dans la ZdC sont divers. Ce sont aussi bien les
contenus sémiopicturaux, les connaissances du monde (PICFORM, CONTVIE – deux fois) que les

233
contenus sémiographiques plus complexes (ORG, GRANAR, LEXSEM, CONCLECT, et PRAGM avec
une fonction particulière). Ces composantes sont donc de différents types, recouvrant des
composantes contextuelles, linguistiques (lexicales notamment), métacognitives et textuelles
(en particulier sur la structure narrative).

De manière générale, ces résultats montrent que les composantes sémiographiques


apparaissent depuis le début de l’année scolaire, qu’elles deviennent plus nombreuses et plus
complexes à sa fin de l’année, comme l’ont observé également Gamba, Martinet & Saada-
Robert (2006) dans une situation comparable de Lecture Interactive mais avec des enfants
entendants de 4 ans.

En ce qui concerne la construction de la ZdC et son maintien, les résultats indiquent qu’elle n’est
pas évidente, comme le montrent le processus d’enseignement apprentissage que nous avons
essayé de saisir à travers cette recherche. Ce processus abordé de façon interactive apparait
comme possible à construire par les deux acteurs principaux, dans la situation didactique,
jouant les rôles prévus par le contrat didactique. Ces rôles, loin d’être figés, s’inversent plusieurs
fois, montrant même quelques fois des relations presque symétriques. Les deux partenaires ont
des éléments à amener, à construire et à partager dans une évolution des contenus proposés,
mais non pas imposés.

La même constatation peut être tirée de l’analyse bilingue (chapitre suivant) qui puise de
l’analyse de la dynamique interactionnelle, mais avec le point de vue de la didactique et du
contact des langues. En effet, la reconnaissance mutuelle des deux langues et de leurs apports
pour les enfants sourds, dans le processus d’apprentissage de la lecture/écriture, rend possible
une cohérence des échanges et une atmosphère valorisante de travail. Les élèves s’en trouvent
alors stimulés à apprendre, à s’engager et à choisir le chemin qui leur est propre (comme Ade et
Igo par exemple). Rien n’empêche par ailleurs de travailler les autres composantes en parallèle,
de manière individuelle ou en prise en charge thérapeutique spécialisée.

234
CHAPITRE 13. AU TRAVERS DU PRISME BILINGUE

INTRODUCTION

Dans le chapitre précédent, les interactions en classe ont été analysées à travers les étapes de
l’analyse microgénétique en se focalisant sur la construction conjointe des savoirs qui évoluent
durant l’année scolaire. De même, les significations sont négociées en interaction et deviennent
peu à peu partagées. Ainsi se met en place une zone de rencontre de ces significations, ou zone
de compréhension, grâce à laquelle les composantes du savoir lire/écrire évoluent et se
transforment. Ces interactions didactiques, complexes et riches en significations, sont
également à la base de la stabilisation des connaissances individuelles des élèves, évaluées
dans le chapitre 11.

Notre analyse bilingue (français et LSF) poursuit un objectif différent, celui de donner un autre
éclairage à ces mêmes interactions, à travers les deux langues par lesquelles s’expriment les
enseignants et les élèves. L’analyse au travers du prisme bilingue met en couleur les analyses
précédentes et les complète, surtout celles qui concernent les ajustements mutuels. En effet,
elle s’intéresse plus particulièrement au fonctionnement de cette classe bilingue (13.1.) en tant
que prise de place discursive et interactionnelle entre les enseignants et les élèves (Vion, 1992).
Nous décomposons ce fonctionnement en deux points : d’une part, le fonctionnement du
binôme des deux enseignants, en analysant le rapport de places souple, qui s’installe entre eux
(13.1.1) ; d’autre part, le fonctionnement des élèves face aux deux langues (13.1.2.). Ensuite,
nous nous posons la question des pratiques enseignantes « pour enfants sourds », et en
particulier les effets de ces pratiques, qui dans le cadre de notre recherche, peuvent être
qualifiés des pratiques littéraciques bilingues (13.2.). Nous les analysons en prenant en compte
les médiations langagières en tant que telles (13.2.1.) et ensuite les médiations extra-
langagières ou multimodales (13.2.2). Finalement, nous proposons une synthèse de ce chapitre
en mentionnant l’importance des deux langues pour la construction d’un discours cohérent,
autour des composantes littéraciques transmises et accessibles aux élèves grâce à l’utilisation
des deux modalités langagières et des autres ressources (13.3.). Ainsi nous concluons par une
ouverture de perspective vers une pédagogie bilingue, particulièrement bénéfique selon nous,
pour répondre aux besoins de ces enfants.

235
13.1. FONCTIONNEMENT BILINGUE EN CLASSE À PARTIR DES ANALYSES INTERACTIONNELLES

Cette analyse se centre sur les interactions verbales et signées en classe sous l’angle de la
sociolinguistique et de la didactique des langues, en suivant les réflexions de Mugnier (2006a). À
partir d’observations en classe, cette chercheure a tenté d’expliciter le bilinguisme des enfants
sourds dans le cadre scolaire français. Pour ce faire, elle a effectué une interprétation précise
de l’utilisation de l’une et l’autre langue dans la classe observée. Dans le cadre de sa recherche,
le bilinguisme comprenait l’utilisation successive des deux langues, sans qu’elles se rencontrent
dans une même leçon. Les objectifs des enseignants pouvant très bien être préparés ensemble,
ils s’accomplissaient néanmoins en travail séparé : un enseignant sourd travaille en LSF, et un
enseignant entendant travaille en langue française orale/vocale86. Dans ces situations dites
bilingues, en réalité plutôt bi-monolingues87, les interventions des élèves sont accueillies de
manière différente par rapport à nos propres observations. Dans notre cas, la classe genevoise
suit un enseignement bilingue développé par une équipe d’enseignants entendant et sourd, en
collaboration l’un avec l’autre. Dans ce cadre, le travail en binôme des deux enseignants est
proposé dans plusieurs disciplines enseignées, selon les possibilités et disponibilités de chacun,
selon leurs cahiers de charges ; en collaborant aussi avec les autres enseignants de l’école dans
laquelle cette classe spéciale pour enfants sourds prend place. Dans le cas de notre étude, ce
binôme est présent lors de l’enseignement du français, et plus particulièrement pendant
l’activité de Lecture Interactive qui est l’objet de notre travail. Les enfants sont donc face à deux
enseignants et suivent des interactions en deux langues : quelques fois les explications du texte
se font en une langue d’abord et en l’autre ensuite, quelques fois de manière simultanée,
comme nous allons l’expliciter dans ce chapitre (point 13.1.1.).

Mais avant d’y parvenir, nous pouvons présenter un premier cadrage de la prise de places
interactionnelles entre les deux partenaires, enseignants et élèves. Son objectif est de situer le
bilinguisme dans le cadre des prises de paroles en général, indépendamment d’une langue ou
de l’autre (ce qui sera l’objet du point 13.2). Pour ce faire, nous puisons dans les indices fournis
par les résultats de l’analyse microgénétique, plus particulièrement de l’analyse structurale avec
les fréquences de prises de parole.

A T1, les enseignants prennent à leur charge 58% des énoncées (723 US sur 1248) contre 42%
de la part des élèves. À T2 et T3 la situation est presque identique : elle relève de pourcentages
nettement plus élevés à la charge des enseignants, qui constituent 2/3 des énoncées
(respectivement 63,7%=722 US sur 1133 ; et 62,4%=1122 US sur 1797). Ce fait peut être
86
Terminologie de l’auteure (Mugnier, 2006a)
87
Situation bilingue au sens large, qui implique la présence des deux langues dans l’enseignement : ceci est bien le
cas même si les deux langues sont utilisées successivement. Mugnier qualifie toutefois ce type de bilinguisme
comme un bi-monolinguisme, car chacune des deux langues suit le cadre normatif unilingue et exclusif
(monolinguisme), soit la LSF, soit le français.

236
expliqué en partie par la complexité croissante des objets d’enseignement et des objectifs visés
par les enseignants. Comme l’ont montré les analyses a priori, ces objectifs se complexifient
dans le temps, exigeant une plus grande médiation de la part des enseignants. Nous
constatons que les élèves participent le plus au déroulement de l’activité à T1, toutefois ils
restent présents et s’investissent dans toutes les séances décrites dans ce travail.

Ce fonctionnement général en classe est influencé par les interventions individuelles des élèves
sur lesquelles s’appuient les enseignants. Voici comment ces interventions individuelles sont
distribuées :

Parmi les élèves, à T1 et T2 c’est Ade qui « mène » la leçon (à 41% des interventions des élèves,
laissant aux autres trois enfants 59%), quoiqu’à T2 Igo est aussi très actif. C’est principalement
sur elle que les enseignants s’appuient dans le déroulement des leçons ; ses propositions font
souvent progresser l’interaction ou lui confèrent une dynamique constante. Cependant les
autres élèves ont aussi leur place, peut-être moins centrale, mais importante. Les enseignants
sont attentifs à leur donner la parole et à les motiver à agir, pour que tout le monde trouve sa
place et puisse proposer quelque chose.

Plusieurs exemples de distribution des places aux élèves jalonnent les échanges. Voici un
exemple du T1, qui résume l’ouverture des enseignants aux propositions des élèves, même si
ces dernières ne font pas partie des propositions attendues :

595. EE: un autre mot qu'on connait AUTRE MOT SAVOIR


596. Bar: moi! moi! je connais
597. EE: ATTENDS quoi
598. Bar: (se lève et va au tableau montrer le mot rousse) ça
599. EE: c'est écrit quoi
600. ES: (à Igo) ECRIRE QUOI
601. Igo: TITRE
602. Bar: BATEAU ba-teau
603. a.EE: alors lui il dit IL DIT c'est écrit bateau BATEAU/
b.on va voir VOIR moi je vais écrire bateau BATEAU//
c.(à Ade) toi t'es d'accord? D'ACCORD
604. Ade: non NON
605. EE: comment ça commence bateau BATEAU ba-
606. ES: (à Igo) ECRIRE COMMENT BATEAU
607. Ade: pa- /pe/
608. Bar: ba-
609. Géo: B-
610. ES: EN DACTYLOLOGIE BATEAU COMMENT
611. EE: b-
612. Ade: P- B- /be-/
613. Géo: ah ! B-
614. Bar: B-A-
615. EE: (à Igo) BATEAU PREMIERE LETTRE QUOI bateau première lettre
616. Bar: a- je sais
617. a.EE: non
b.vas t'assoir

237
618. Igo: d-
619. Bar: (va vers le pupitre du milieu)/
620. a.EE: (à Ade) B- alors toi tu as dit b-
b.(à Géo) b-/ TOI B-
c.(à ES) c'est ORAL DIFFICILE POUR LUI (montre Igo)/
621. ES: (acquiesce de la tête) J'EXPLIQUE
622. EE: alors dans le bateau BATEAU j'entends quoi ba-/B- après APRES
ba- B- (elle écrit b- au tableau)
623. ES: (à Bar) ASSIEDS-TOI S'IL TE PLAIT/ (à Igo) B- APRES BATEAU QUOI
624. Ade: P- M-
625. Bar: O- o- b-b- a- A- A-
626. EE: (à Ade) réfléchis B- ba- ba-
627. Bar: a-!a-! A-A-
628. Igo: (lève la main) B-A- A-
629. a.EE: a- A-
b.(elle écrit au tableau bateau sous le mot rousse)
630. Ade: a- a-
631. ES: B-A-T-E-A-U
632. EE: c'est la même chose? (souligne rousse et bateau)
633. Ade: noon
634. EE: noon/alors ça va pas (…)

(T1, séq.14)

Cet exemple montre la prise en compte de la proposition de Bar (US, 598) intéressante pour le
déroulement de la découverte des mots du titre et leur décodage, mais qui s’avère
complètement erronée (US, 602). L’EE prend en considération cette proposition et confronte la
signification que Bar lui donne (US, 603c) pour amorcer le travail sur ce mot difficile, fait
ultérieurement. Elle profite de cette occasion non attendue pour revenir sur un mot connu
« bateau » et rappeler les lettres et les sons qui le composent, même si ce mot ne fait pas partie
de ce moment de la leçon. Bar est valorisé, il peut se représenter comme un élève appartenant
au groupe et pouvant prendre la parole en proposant quelque chose, être écouté également. Et
même si sa compréhension est erronée, il reste actif, engagé, et participant au déroulement de
la séance comme les autres élèves. Il donne également quelques réponses correctes dans
l’analyse du mot « bateau », il connait les deux premières lettres et le communique en français
et en LSF (US, 608, 614, 627). La comparaison des deux mots proposés par Bar, celui qu’il
désigne sur le support au tableau (rousse) et celui qu’il dit (bateau) est un procédé intéressant
et interactif de la part des enseignants, car il permet non seulement d’accueillir les propositions
d’élèves, mais aussi d’avancer dans la leçon par une acceptation/ réfutation explicitée,
expérimentée, observée par eux-mêmes.

A T3 la situation s’équilibre mieux, les interventions d’Ade constituent environ 30% et à cette
séance Bar augmente la fréquence de ses interventions et dépasse ceux de sa camarade (33%).
Par ailleurs, les interventions de ce dernier correspondent aux questions des enseignants et à
l’objet d’étude de cette séance.

238
Dans ce qui suit, nous allons nous intéresser plus particulièrement au fonctionnement du
binôme des enseignants pris comme tel, et analysé à travers la notion de rapport de places
développé par Vion (1992) dans le sous-chapitre 13.1.1. Ensuite, nous allons revenir sur le
fonctionnement des élèves, mais cette fois-ci en relevant leur prise de position face aux deux
langues (13.1.2.) sur le continuum et face aux modes différents en leur présence : mode
gestuel/mode vocal etc. Nous nous inspirons pour cette analyse des travaux récents sur la
multimodalité des enfants et jeunes adultes sourds (Estève, 2009 ; Millet & Estève, 2009, 2010).

13.1.1. FONCTIONNEMENT DU BINÔME DES ENSEIGNANTS - UNE SYMÉTRIE APPARENTE

Le rapport de place (Vion, 1992) correspond dans nos analyses au double jeu des rôles que les
enseignants jouent l’un par rapport à l’autre dans une démarche de coopération. Cette même
démarche se retrouve de la part des deux enseignants pris ensemble lorsqu’ils interagissent
avec les élèves selon les objets d’enseignement apprentissage abordés, mis en circulation dans
l’interaction. En effet, le contrat didactique institutionnalise ce deuxième rapport de places des
enseignants avec les élèves. Pourtant ce rapport n’est pas seulement institutionnalisé, il est
aussi, à l’interne de cette classe, une manifestation de la microculture de classe (Mottier Lopez,
2008), microculture qui prend ses appuis dans la façon de concevoir le bilinguisme des enfants
sourds et dans la façon de travailler en binôme de deux enseignants, où chacune des langues est
représentée.

Les rôles des enseignants sont assignés, dans la situation didactique contractuelle, et pourtant
les deux enseignants sortent de leur rôles respectifs, prennent la place de l’autre, rendant ainsi
leurs statuts plus égalitaires auprès des élèves. Avant tout, les langues qu’ils représentent sont
reconnues de la même manière. Ce faisant, les enseignants prennent en charge le déroulement
des séances à deux, assumant toutefois des rôles un peu plus précis auprès des enfants, selon
les besoins de la tâche à accomplir dans l’interaction. Ainsi, EE mène la leçon devant tout le
groupe-classe, en langue parlée et signée, alors qu’ES l’accompagne partageant avec elle le rôle
d’enseignant. Un rôle précis lui est cependant assigné, en fonction des besoins d’un élève (Igo),
et de l’utilisation préférentielle de la LSF par ce dernier. Comme le montre l’extrait suivant, ceci
ne l’empêche pas de participer pleinement aux échanges du groupe et de prendre de temps à
autre, la responsabilité de toute la classe. ES joue ainsi un rôle important, non seulement
linguistique, mais aussi culturel et identitaire (Vion, ibid.). Mais s’agit-il d’une prise de place
autonome par ES, ou d’une cession explicite de place par EE ?

Voici un extrait qui exemplifie une prise de place spontanée, autonome, par ES, suivant le
besoin de la situation :

239
202. EE: oui OUI c'est vrai C'EST VRAI/ c'est l'étiquette et si on
regarde ici on voit le prix PRIX/ c'est vrai C'EST VRAI
203. Igo: -V-
204. Ade: prix PRIX
205. ES: PRIX PAYER
206. EE: c'est combien il faut payer PAYER COMBIEN
207. ES: PAR EXEMPLE TU VOIS POUPEE TU REGARDES ETIQUETTE AH! 20 FRANCS
ALORS IL FAUT PAYER 20 FRANCS/TU AS DANS TA POCHE 10 FRANCS AH ! PAS
ASSEZ 10 PAS POSSIBLE PAYER/ LA MÊME CHOSE (fait référence au prix
sur le livre)
208. Ade: non j'ai assez j'en ai beaucoup beaucoup beaucoup ACHETER
acheter papa PAPA va partir PARTIR moi je reste RESTER tout seule
TOUTE SEULE à la maison MAISON et papa PAPA va partir PARTIR OU
ach'ter les courses COURSES (COMISSIONS)
209. EE: oui il va faire des courses
210. Ade: beaucoup BEAUCOUP pourquoi POURQUOI pour POUR manger manger
MANGER
211. a.EE: oui mais on n'va pas discuter DISCUTER des comissions
COMISSIONS main'nan MAINTENANT/
b.on va s'occuper de ça (montre l'agrandissement du livre)
(T1, séq. 5)

Cet extrait montre en premier lieu qu’entre les enseignants, le rapport de places est souple,
s’adapte à la situation et aux nécessités de son déroulement, dans le but de faire progresser les
élèves de l’image vers l’écrit. La compréhension de la trame narrative, esquissée sur la
couverture, mais hypothétique pour l’instant, est visée, autant que la découverte des mots qui
composent le titre. Au passage de l’un à l’autre, des éléments divers apparaissent… Ici intervient
une prise de place spontanée par ES qui veut donner un exemple du contexte de vie que les
enfants ont certainement déjà vécu, celui du constat du prix sur l’étiquette. Cette prise de place
amène un élément nouveau, qui n’a rien à voir avec le déroulement de la situation en classe. ES
explique la situation qui empêche un achat de la poupée… manque d’argent pour payer (US,
207). Ceci provoque alors une réponse de la part d’Ade, tout à fait personnelle, concernant son
père et les commissions (US, 208). Constituant une déviation de la leçon, EE essaie de la
contrôler (US, 211a). Les changements du rapport de place apparaissant dans cet extrait sont
dus à ES qui dévient, malgré lui et de manière imprévisible, le partenaire d’un élève, Ade, dans
une déviation thématique de la leçon vers le contexte de vie des élèves. Elle reste marginale et
se laisse contrôler par EE, vigilante et garante d’un déroulement conjoint de l’activité, dirigé par
les objets d’enseignement apprentissage.

Voici un extrait portant sur une autre prise de place de la part d’ES, cette fois-ci pour expliquer
un élément principal de la première page de la couverture, le titre:

459. EE: (à Igo) pourquoi tu dis POURQUOI TU DIS que c'est le titre TITRE
ça non CA NON (elle pointe le titre écrit en gros et ensuite le nom
de l’auteur du livre écrit en plus petites lettres) pourquoi
POURQUOI
460. ES: T'A APERCU TITRE LA COMMENT
461. EE: pourquoi ça pourquoi POURQUOI (elle pointe le titre)

240
462. Ade: bla bla bla
463. EE: c'est écrit bla bla bla?
464. Ade: oui
465. EE: (écrit au tableau le titre "La petite poule rousse")
466. a.ES: (à Ade) bla bla bla
b.IL A APERCU TITRE COMMENT/ APERCEVOIR CA C'EST TITRE COMMENT
467. Ade: ECRIRE
468. a.ES: ECRIT OUI/
b.MAIS C’EST QUOI QUI T’AS FAIT VOIR /C’EST QUOI QUI T’AS FAIT VOIR
/S'APERCEVOIR COMMENT
469. Ade: mais non
470. Igo: TITRE
471. a.ES: OUI BIEN/
b.S'APERCEVOIR COMMENT
472. Igo: (regarde vers les autres livres dans la bibliothèque) TITRE
J'AI VU
473. ES: T’AS VU COMMENT
474. Igo: OEUF FINI
475. ES: (à Ade) TOI LIVRE REGARDER TITRE C'EST CA/ AUTRE LIVRE REGARDER
CA TITRE COMMENT
476. a.EE: eh! AA
b.c'est bien c'est juste le titre C'EST JUSTE TITRE/
477. Igo: OUI /xxx/ OUI MOI
478. a.EE: il est écrit en gros GROS (Cl.)
b.et là c'est quoi (pointe le nom de l'auteur)/ et ça s'est écrit
quoi?
479. Ade: poule POULE
480. EE: et là c'est écrit quoi QUOI en petit PETIT
481. Ade: petit PETIT
482. a.EE: vous vous rapp'lez il y a le titre TITRE/ ah /le titre TITRE
déjà DEJA on a vu dans les livres VOIR LIVRES il y a le titre
b.mais il y a aussi quoi d'autre TITRE AUSSI QUOI
483. Ade: le tit'e
484. ES: (il se lève pour prendre 3 livres de la bibliothèque)
485. Ade: bla bla
486. Igo: /la / (montre les livres) NOUVELLES HISTOIRES
487. a.EE: (à Ade) mais arrête ARRETER/
b.(montre ES) voilà c'est où là sur les livres le titre? TITRE OU
LA/ c'est où le titre? TITRE OU
488. Ade: mais non il y a pas
489. Igo: noon NON NON
490. ES: TITRE OU (il montre un livre aux enfants)
491. Igo: noon
492. Ade: là (elle pointe le titre)
493. Igo: là là LA
494. ES: (il montre le deuxième livre)
495. Ade: (pointe tout de suite le titre)
496. Igo: PAS POSSIBLE
497. Ade: ici

(T1, séq.11-12)

Igo a initié un échange concernant le titre un peu par hasard, sans comprendre vraiment que
c’est exactement ce que les enseignants attendaient. Ces derniers essaient donc de faire

241
réfléchir leurs élèves sur cet élément capital de cette première leçon sur « la petite poule ». EE
demande pourquoi Igo a désigné le titre en donnant la possibilité de répondre à sa question :
elle pointe le titre écrit en gros et le nom de l’auteur en petit, pour contraster les deux et
faciliter la réponse. ES répète sa question immédiatement, EE revient encore une fois. Ade
répond que c’est écrit « bla bla bla », et précise sa version à la question d’EE. Pour faire
progresser les élèves dans leur réflexion ES pose plusieurs questions métalinguistiques du type :
T’AS VU COMMENT, TU SAIS COMMENT (US, 466b, 468b, 471b, 473). Ensuite, pour mieux se
faire comprendre face aux réponses mitigées des élèves, il a l’idée de prendre plusieurs autres
livres de la bibliothèque et propose aux enfants de désigner là, sur les autres livres, le titre (US,
484, 490, 494) et d’observer comment, de quoi il est fait. Cette prise de place dans l’interaction
a le but métalinguistique d’expliciter les pratiques des livres et la compréhension des éléments
typiques qui se trouvent sur la couverture, comme le titre. L’EE accueille cette proposition
inattendue de ES, en lui faisant plus de place (US, 487b) et elle s’appuie sur cette démarche.
Effectivement, les élèves ont l’air de bien comprendre cette fois-ci, en touchant eux-mêmes les
autres livres et en observant les titres, en les désignant sans difficultés (US, 492, 493, 495, etc.).

L’extrait suivant souligne encore la modification d’un rapport de places assigné, par une cession
explicite de la part de EE qui désigne ES comme garant d’une explication :

834. EE: on a dit que c'était la couleur DIRE COULEUR QUOI


835. Ade: couleur
836. a.EE: on a dit que c'était pas orange PAS ORANGE pas rouge PAS ROUGE
pas jaune PAS JAUNE/
b.ça fait c’est rou- comme roue
c.mais rou-sse- rousse /
d. en langue des signes EN LANGUE DES SIGNES (elle montre ES)
837. a.ES: EN LANGUE DES SIGNES TETE ROUSSE
b. PETIT POULE TETE ROUSSE/
c. COMPRIS/
d. PETIT POULE TETE ROUSSE/
e. TETE ROUSSE
838. a.EE: ROUSSE rousse/
b.c'est une nouvelle couleur NOUVELLE COULEUR qu'on connaissait pas
PAS CONNAITRE
839. ES: EXEMPLE C'EST PAS ORANGE PAS ROUGE (négation en LSF)/ L’UNE
FONDUE DANS L’AUTRE/ MELANGE/ ORANGE ROUGE L’UNE FONDUE DANS
L’AUTRE/ ROUX / L’UNE FONDUE DANS L’AUTRE/ MELANGE
840. EE: rousse ROUSSE
841. Igo: L’UNE FONDUE DANS L’AUTRE/ L’UNE FONDUE DANS L’AUTRE

(T1, séq.20)

Lors de plusieurs moments du déroulement des séances, EE cède explicitement sa place à ES


pour qu’il donne une explication en LSF. Dans cet exemple, les élèves ont explorés plusieurs
propositions en se guidant par l’image (la couleur de la poule). Ils sont aussi attentifs aux
éléments sublexicaux du mot rousse, qu’ils sont en train de décoder pour en saisir la

242
signification : ils le comparent avec le mot route (proposé par Ade un peu plus tôt (US, 831b) et
avec les couleurs rouge, jaune, orange, reprises par EE pour résumer et donner la réponse finale
(US, 836 a-d). L’intervention d’ES n’as pas seulement la fonction d’une explication lexicale, ou
sémantique et lexicale en même temps, portant sur la signification du mot rousse. Il s’agit aussi
d’un nouveau signe que les enfants s’approprient, et d’une explication de la couleur qui n’est ni
rouge ni orange, mais entre les deux, ce qui est explicité par « l’une fondue dans l’autre » une
expression complexe du langage à cet âge, voire même poétique. Les mouvements des mains
sont aussi indicatifs de ce plan poétique utilisé par ES.

Le positionnement des enseignants face aux deux langues est aussi un positionnement assigné,
mais souple : chacun est reconnu en tant que locuteur de sa langue et porteur d’une identité,
d’une appartenance culturelle précise : EE, celle de la majorité entendante ; ES, celle de la
communauté et de la culture Sourde. Ce positionnement institutionnalisé subit également les
influences des prises de places diverses des deux enseignants. Les enseignants utilisent chacun
sa langue EE-français, ES-LSF ; cependant, les extraits précédents ont montré qu’EE utilise aussi
simultanément la LSF, ce qui provoque des interférences, souvent visibles au niveau de la
syntaxe. Plus particulièrement sur ce point, la verbalisation subit les influences de la LSF et suit
souvent l’ordre des signes et non pas des mots dans une phrase. L’inverse se produit également,
surtout dans les moments de travail spécifique sur le code alphabétique, comme nous le
montrons plus loin (cf. 13.2.1.).

Regardons maintenant comment les élèves se positionnent face aux deux langues.

13.1.2. LE POSITIONNEMENT DES ÉLÈVES FACE AUX DEUX LANGUES – DÉVELOPPEMENT DES
RÉPERTOIRES BILINGUES À DOMINANCES

Comment se placent donc les élèves sur le continuum entre les deux langues ? De quelle langue
se rapprochent-ils ? Comment ce rapprochement évolue-il durant une année ? Peut-on
constater des changements dans l’usage des deux langues ? Comment « se promènent-ils » sur
le continuum des langues ? Finalement, comment ce bilinguisme se répercute-t-il sur les
connaissances des enfants ?

Mugnier (2006a) consacre une partie de son travail à l’établissement de profils linguistiques des
élèves face aux deux langues en présence. Selon cette auteure, les élèves observés utilisent les
deux langues également, et souvent de manière simultanée. La LSF est aussi utilisée comme
support à la compréhension quand la langue vocale n’est pas suffisante. Cette utilisation varie
d’un temps à l’autre : au début de l’année la langue des signes est plus utilisée et par tout le

243
groupe, à la fin, les différences individuelles sont plus palpables, les capacités de verbaliser sont
en nette augmentation, mais leur intelligibilité reste à travailler.

Estève (2009), quant à elle, propose une catégorisation des pratiques langagières d’enfants
sourds observés dans une situation de restitution du récit, de la narration à base de dessin
animé vu précédemment (« Tom et Jerry »). Les catégories élaborées lors de sa démarche
méthodologique d’annotation des vidéos issus de cette recherche (Millet & Estève, 2009, 2010)
permettent de mieux saisir les profils langagiers des élèves que nous avons observés, et
d’expliquer leur déplacement entre deux langues du début à la fin de l’année.

Voici les résultats de cette analyse (tableau 35) :

Tableau 35. Evolution des pratiques langagières d’élèves entre le début et la fin d’année scolaire.
Fréquence Ade Igo Géo Bar
d’utilisation d’une T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3
ou l’autre langue,
88
mélange des deux
pour chaque élève
(en %)
FR 47 76 6,6 11 25 56 52 77,4
Fr +G 5,4 x 4,9 6 6 5 7 6
Fr+O x x x
Fr+LSF 33,6 21 1
Fr/LSF 9 14 30 16 18,7 6
Fr/LSF+G x x x x x x x
Fr/LSF+O x x x 1 x
LSF 5,4 43 31 14 9 3 2
LSF+fr 5
LSF+G x 3 10,7 8 19
LSF+O x x
LSF+ V
O/V x x 4 7 2
G ou NV 8 17,5 6 3 2
O+G x x x x

Les résultats de cette comparaison entre le début et la fin d’année sont surprenants dans leur
ampleur. Nous avons posé l’hypothèse sur la base des bilans psycholinguistiques et sur la base
des observations en classe qu’Ade fait le choix net de la modalité vocale et s’approche du pôle

88
X-présence à très faible quantité ; FR-français seul ; Fr+G-français et gestes ; Fr+LSF-mélange de deux langues, où
le français est dominant ; Fr/LSF-deux langues superposées ; Fr/LSF+G ou + O – deux langues superposées
accompagnés des gestes ou onomatopées ; LSF-seule ; LSF+fr-mélange des deux langues, où la LSF est dominante ;
LSF+G, mode gestuel renforcé par les gestes ; LSF +O ou +V– mélange des deux modes ; O/V – mode vocal,
onomatopées ou vocalisation ; G ou NV – mode gestuel ou non-verbal ; O+G, mélange des modes vocal/gestuel.

244
monolingue français à la fin de l’année. Effectivement, nos résultats confirment cette hypothèse
dans le sens du déplacement que cette élève accomplit durant l’année. Au début de l’année,
elle utilise d’une part une base bilingue et d’autre part le français ou rarement la langue des
signes toute seule (mélanges des langues 39% vs français 47% ; la LSF 5,4 %). A la fin de l’année,
elle s’approche du pôle monolingue français (76% d’interventions) en utilisant encore quelques
fois le mélange des deux langues, les traces de la LSF toute seule, et du français avec les gestes,
ne s’observent plus. Le mélange des deux langues apparait chez elle plutôt comme un appui du
français et nous y reviendrons plus tard. Le choix et l’investissement de cette élève parait clair.
N’oublions pas toutefois, que la situation didactique de lecture interactive favorise la
concentration des enfants sur la langue orale et le mode d’interaction vocal lié au canal auditif.
Dans une autre situation didactique, par exemple dans l’activité des contes en LSF, Ade pourrait
montrer ses capacités bilingues bien établies, mais cette fois-ci dans un mode signé.

Bar s’approche du cheminement d’Ade, ce qui ressort aux bilans de fin d’année (cf 12). Il est
fortement marqué aussi dans le positionnement entre les deux langues. Le mode gestuel très
important pour cet élève au début de l’année, est marqué par l’utilisation des mélanges
multiples de langues et de modes (fr+G, G ou NV, fr/LSF, LSF etc). A la fin de celle-ci, le français
se renforce (77,4%), en laissant encore les autres appuis mais de manière diminuée.

Géo présente un profil bilingue, réellement ancré dans le mélange des deux langues et modes à
sa disposition. Il « se promène » dans le continuum des langues et utilise tout les moyens qui
sont à sa disposition. Même si à la fin de l’année, il augmente l’utilisation du français, il reste
attaché aux autres modalités et le mélange, autant en LSF, qu’en utilisation des gestes. Il étend
plus son utilisation bilingue de deux langues, se positionne toujours dans le pôle bilingue, même
s’il se déplace légèrement vers le français.

La place d’Igo est très intéressante et témoigne d’un choix de langues contraire par rapport à
Ade et Bar sur le continuum, en s’approchant du pôle monolingue LSF. En début d’année, cet
élève utilise majoritairement la LSF toute seule, à la fin de l’année, il mélange plus les deux
langues, mais ses interventions en LSF (31%) et en superposition de deux langues fr/LSF (14%),
restent majoritaires par rapport au mode vocal. Il montre un grand besoin de s’appuyer sur le
mode gestuel, dans ses productions en français (fr+G 6%), en LSF (LSF+G 8 ). Pendant la séance
observée, il s’exprime beaucoup en mode non-verbal (17,5%), par les positionnements et
gestes, et non pas par l’utilisation d’une langue ou de l’autre.

Ceci nous mène à placer les élèves sur le continuum des langues (Figure, 10)

245
Pôle
Pôle monolingue bilingue Pôle monolingue
LSF
Français Base bilingue

Ade T1
Igo T1
Ade T3
Igo T3
Géo T1

Géo T3
Bar T1

Bar T3

Figure 10. Positionnement des élèves face aux deux langues T1-T3.

Pour résumer, à ce moment de leur parcours, trois enfants semblent choisir nettement l’une
des propositions langagières, en utilisant et en connaissant l’autre également. C’est-à dire que
ces trois enfants profilent les répertoires bilingues à dominances : Ade et Bar un répertoire
bilingue à dominance vocale qui les approche du pôle monolingue français ; Igo se dirige vers un
répertoire bilingue à dominance signée, en s’approchant du pôle monolingue LSF. Géo présente
un profil bilingue par le fait de « se promener » entre les deux langues et les modes
d’interventions. Elles sont autant situées en LSF qu’en français vocal et dépendent de ses
capacités à prononcer les mots ou à les signer. Sa manière de procéder correspond au parler
bilingue89 qui mélange les deux langues et qui puise dans les ressources qui leur sont liés :
gestualité, verbalisations, onomatopées dans le but de se faire comprendre et de transmettre
un message à son interlocuteur.

Dans le sous-chapitre suivant nous montrons comment ce parler bilingue se décline en


pratiques littéraciques, pratiques qui engendrent le travail spécifique sur le code alphabétique
et sur la trame narrative.

89 ème
Lüdi, G. & Py, B. (1986/2003, 3 édition), Etre bilingue, Berne : Peter Lang

246
13.2. PRATIQUES LITTÉRACIQUES BILINGUES DANS LA CLASSE OBSERVÉE

Quels sont donc les pratiques littéraciques bilingues dans cette classe ? Et pourquoi sont-elles
importantes ? Qu’est-ce qu’elles amènent dans la dynamique interactionnelle entreles élèves et
leur enseignants ?

Les pratiques bilingues serons présentées séparément pour les besoins de l’analyse, bien
qu’elles existent de manière mélangée, l’une intègre l’autre dans l’interaction en classe et
quelques fois elles ne sont pas séparables en tant que telles. Elles prennent en considération : 1)
les ressources linguistiques de deux langues, donc les ressources bilingues et bimodales en
même temps, ainsi que 2) les ressources extra-linguistiques ou multimodales, telles que les
catégories choisies de « montrer » ou « faire » (Mugnier, 2006a).

13.2.1. RÔLE DE LA MÉDIATION LANGAGIÈRE (LSF/FR) DANS LES APPRENTISSAGES

Sur le continuum des langues entre le français et la LSF, nous pouvons déceler deux types de
médiations langagières bilingues qui représentent les pratiques enseignantes. La première
médiation se caractérise par un travail sur le code alphabétique et la deuxième par un travail sur
la trame narrative. Pour les besoins des explications qui suivent, nous effectuons cette
séparation en prenant en compte les extraits typiques qui les représentent. Il est toutefois
important de souligner le fait que ces deux types coexistent dans chaque séance, se mélangent
souvent et sont difficiles à isoler en tant que tels.

13.2.1.1. La médiation sur le code

Cette médiation mobilise les deux langues dans l’intention de proposer des passerelles aux
élèves vers le système linguistique de la langue à apprendre, surtout au début de l’année. Par la
suite, la reconnaissance des mots et les capacités des enfants en décodage augmentent
largement, ce que montre la lecture à T2 et le travail en DA (càd. dictée à l’adulte) à T3. La
médiation dans les deux langues sur le code devient alors moins prégnante.

En voici un exemple tiré du T1 où, à la séquence 13 commence effectivement ce travail sur le


code : il s’agit du décodage des mots composant le titre La petite poule rousse. Les séquences
suivantes (séq. 14-15 et 17-21) indiquent également l’utilisation des deux langues dans les
moments d’exploration du texte composant le titre de l’album. Voyons l’exemple provenant de
la séquence 16 :

659. c.maint'nan MAINTENANT je demande DEMANDER peut-être ici (montre le


titre écrit au tableau) c'est écrit poule ECRIRE POULE
d.comment on peut trouver TROUVER COMMENT//

247
e.quand on entend ENTENDRE poule la première lettre PREMIERE LETTRE
QUOI c'est quoi/// poule
660. Ade: K- P- /pe/[
661. a.EE: p- P-
b.il y a un mot avec le p- P-
662. Ade: oui
663. EE: OU où?
664. Ade: oui OUI il y a regarde (elle va au tableau)
665. EE: (à Géo) tu vois? (pousse le pupitre)
666. Ade: (montre le mot poule) ça
667. EE: ça ou ça pourquoi/ ici il y a le p- aussi là et là (montre les
mots poule et petite)
668. Ade: ça (montre le mot poule)
669. EE: pourquoi POURQUOI
670. Ade: regarde /-pe-/ P-O-U-L-E
671. a.EE: OUI ouais
b.et alors on entend quoi ENTENDRE QUOI/quand on a o- O- et u- U- on
entend quoi ENTENDRE QUOI
672. Ade: /ou/
673. EE: ah! voilà
674. Ade: /auci on/
675. a.EE: non
b.on- c'est o- et /en/ AUTRE O-N-
c.mais /ou/ tu as raison o- O- et u- U- on entend /ou/ OU/
d.donc on a IL Y A /pou-/
e.et là (souligne la fin du mot poule) l-e- ça fait
676. Ade: le-
677. EE: poule
678. Ade: poule
679. EE: t'es d'accord D'ACCORD
680. Ade: (acquiesce la tête)
681. a.EE: un petit peu
b.va t'assoir
c.c'est bien BIEN
682. ES: (à Igo/ souligne le mot poule au tableau) LA POULE

(T1, séq.16)

Cet exemple fait apparaître l’utilisation du français signé strict, et l’utilisation de la LSF est
limitée à la production des lettres en alphabet manuel. Pourtant cette dernière a une fonction
importante pour les élèves, en ce qu’elle leur permet de comprendre en offrant une passerelle
par l’utilisation de la dactylologie. Par cette voie, elle permet aussi de démontrer les
connaissances des enfants en identification et en production des lettres. En effet, Ade prouve
déjà à T1 sa capacité d’analyse du système linguistique avec les correspondances grapho-
phonémiques, ce qui lui permet de distinguer les mots poule et petite. Elle utilise les deux
langues en production des lettres et ses productions en LSF précédent ou accompagnent ses
productions en français vocal. Elle ne sait pas expliquer comment elle distingue les deux mots
mais elle le fait (US, 668) : elle montre d’abord le mot qu’elle cherche (US, 666) ; à la question
de EE, elle revient sur sa position (US, 668) et ensuite en guise d’explication, elle épelle le mot
écrit en LSF (US, 670). À la fin, c’est l’enseignante qui relit et explicite les différences entre ces

248
deux mots, en termes des sons qui les composent. Elle souligne ces unités dans le mot étudié
(US, 675c, d, e) en réfutant la proposition d’Ade du son –on- (US, 675a, b). A ce moment de
l’année scolaire, les confusions de ce type sont encore nombreuses. Ensuite, Ade guidée par EE
parvient à finaliser le travail sur le mot poule, dont elle confirme la compréhension (US, 675e-
680).

À partir de cet extrait, nous proposons aussi d’analyser les rapports intersémiotiques qui sont à
observer entre les deux langues et leur utilisation par les locuteurs individuels suivant les
catégories de Millet & Estève (2010, p.24-25), explicitées déjà dans la partie méthodologique
(chapitre 10, tableau 15, p. 146). Dans cet extrait, nous pouvons observer une multitude de
rapports sémiotiques qui apparaissent dans l’utilisation des deux langues et des deux modes
(vocal/gestuel). Ce rapport est équivalent lorsque les deux messages ont la même signification
mais les structures syntaxiques correspondent aux exigences de chaque système linguistique,
comme chez EE (US 661, 663) et chez Ade (US 666) où le geste de montrer le mot dans le texte
équivaut à sa signalisation en mode vocal « ça » et le renforce en même temps. Le rapport
complémentaire peut s’observer dans le cas de plusieurs unités des sens dans cet extrait, où
deux modalités linguistiques portent une information différente. Par exemple Ade (US 670)
rajoute au « regarde » qui commence la justification de son choix (entre les mots poule et petit),
le nom de la lettre en français « /-pe/ » et la dactylologie du mot trouvé en LSF « P-O-U-L-E ». Le
rapport renforçant est peut-être le plus marquant dans cet exemple et il se manifeste par la
répétition d’une partie de l’information diffusée dans l’énoncé. Il s’agit là d’un type d’appui, de
soulignement par le fait de répéter une partie de la phrase dans une deuxième langue ou dans
un autre mode (souvent gestuel), comme chez EE (US 667, 671b, 679, 681c) ou chez Ade (US
668). Le type redondant du rapport intersémiotique peut également être fréquent. Ici il est
représenté par l’unité 659d, dans lequel les deux messages sont les mêmes au niveau
sémantique et syntaxique. Nous avons aussi un exemple du rapport contradictoire où une
langue donne une information globale et l’autre produit ponctuellement une contradiction avec
ce message. Ceci apparait dans le cas d’une erreur, d’une approximation mal comprise, de
lapsus etc. Ici, l’erreur d’Ade produit cet effet dans l’US 660, où elle se trompe au niveau de la
lettre P en dactylologie en LSF et donne le signe de la lettre K. Il faut souligner que cette erreur
peut facilement arriver car les signes de ces deux lettres sont très proches, elles possèdent la
même configuration de la main, le mouvement en bas pour K et en haut pour P les distingue.

Le travail des enseignants pendant cette partie de la séance (T1) est méthodique ; ils veillent à
donner la place à tous les élèves dans cette tâche difficile de décodage. Leurs aides vont
cependant différer selon les connaissances dont chaque élève témoigne face à cet objet
d’enseignement apprentissage, primordial dans le début de l’acquisition de la lecture. Chacun
des élèves trouve sa place, d’où la longueur considérable du travail sur le code : plusieurs
séquences de la deuxième partie de la séance. Chaque enfant prend part à la progression dans

249
la découverte de la lecture du titre, notamment en ce que les enseignants les invitent à venir au
tableau noir.

Un peu plus loin dans la séance (T1, séq. 18), comment la même situation est-elle menée avec
un élève qui a moins de facilités ?

714. a.EE: AA / regarde Bar//


b.eux ils ont trouvé que ça (elle entoure le mot poule en noir)
c'était poule
715. ES: (à Igo) TOI VOIR LA POULE
716. EE: ah/ tu t'es rappelles l'année passée nous avons travaillé le
loup LOUP
717. Bar: ouais
718. EE: loup /(elle écrit au tableau loup) on a écrit le loup et on
avait
719. Bar: -ou- -ou-
720. Igo: LOUP -OU- /-ou-/ loup
721. EE: oui OUI -ou- dans loup on entend -ou- exactement
722. Enfants : -ou- -ou-
723. Igo: LOUP -ou-
724. EE: tchit SILENCE
725. Ade: -ou- -ou-
726. EE: dans// (elle écrit le mot mouton au tableau) mou-ton mouton
MOUTON AUSSI aussi ah
727. Bar: cochon COCHON
728. EE: non dans cochon COCHON on n'entend pas ENTENDRE PAS
729. Bar: o- O-
730. a.EE: on entend ENTENDRE o- O- oui OUI ça c'est vrai C'EST VRAI
b.mais pas -ou- PAS OU-/ là c'est vraiment deux lettres ensemble et
c'est -ou- -ou-/
c.alors on a dit DIRE ça c'est la- LA- on sait la poule L-A- POULE
(elle entoure les mots la et poule au tableau)
(T1, séq. 18)

Pour cet élève, Bar, l’enseignante propose un rappel collectif du travail sur les composantes
sublexicales, notamment sur le digramme –ou-, étudié précédemment. Ce rappel renvoie les
élèves à leurs connaissances préalables ou stabilisées, mais aussi aux activités antérieures, au
travers de la mémoire didactique. Il a pour fonction de mobiliser ces connaissances dans la
tâche en cours, pour faciliter la participation et l’émergence des significations communes,
partagées sur ces unités linguistiques. Bar en profite bien, en se rappelant des mots travaillés
auparavant, comme le loup qui contient le son recherché par EE, -ou- (US, 719). Tous les élèves
retrouvent leur marques avec cet exemple familier qui permet de jouer avec le son –ou- (Bar,
Igo, Ade…). Bar propose, à partir de l’exemple du mouton, un autre exemple, cochon, qui
entraîne le glissement de l’étude du son –ou- vers le son -on- (US, 727). Cette analogie
inattendue se base sur le dernier phonème –on- et non pas sur la présence du son –ou- en
première syllabe. Il est toutefois plus probable que Bar se réfère à l’image où le personnage du

250
cochon est présent, plutôt qu’à l’équivalence des rimes, mais nous ne pouvons pas
certainement exclure cette possibilité, sachant que cet élève entend le mieux du groupe-classe.
Sa réponse est d’ailleurs interprétée de cette manière-là par les enseignants, comme une
distraction par l’image, et non pas comme l’émergence d’une référence aux rimes (EE, 728). Bar
propose alors -o- comme référence et effectivement ce son simple et facilement identifié par les
jeunes élèves est inscrit dans le mot cochon (US, 729). L’enseignante le confirme en revenant
sur le son –ou- qui était recherché et qu’elle explique encore une fois. Les connaissances des
unités sublexicales (lettres, phonèmes, syllabes etc.) de Bar paraissent encore trop instables en
ce début d’année, il peut facilement prendre un son pour un autre, ou confondre les lettres, ce
qui est aussi souligné dans le bilan (cf. chapitre 11). C’est donc l’enseignante qui clôt cet
échange en soulignant le mot poule, sur lequel les élèves travaillent, pour les réorienter vers le
mot et les unités recherchées.

De nouveau les deux langues sont présentes dans cette étude du code de la langue à apprendre.
D’un coté le français signé est proche du français, il est majoritaire dans cette séquence ;
d’autre part, la LSF apparait comme une passerelle des savoirs évoqués et de la participation
des élèves, avec leurs moyens, comme l’épellation manuelle. Cette dernière constitue pour eux
un réel outil qu’ils utilisent souvent. L’enseignante profite aussi de ce puissant outil de
communication et de négociation du sens qu’est la LSF.

Si l’on analyse les rapports intersémiotiques dans cet extrait, les répétitions d’une partie de
message dans le but de renforcement apparaissent les plus souvent (US 716, 721, 726 entre
autres) ; l’utilisation équivalente de deux langues dans quelques cas (par ex. EE 724, Bar 727).
Les rapports redondants (US, 730a) ainsi que complémentaires sont plus rares dans cet extrait et
apparaissent avec une fonction de renforcement (US 730c).

Enfin, il est intéressant de souligner dans cette séance les moyens multimodaux (extra-
linguistiques) mis en place pour attirer l’attention des élèves sur les éléments étudiés et les
guider de cette manière : EE souligne ou entoure les mots, écrit au tableau, ce qui constitue
autant de mémoires externes de la séance et des mots sélectionnés.

Voyons maintenant comment la médiation de travail sur le code se déroule à T2.

Après d’avoir exploré l’image de la première fiche, proposée par les enseignants, la fiche qui
marque le début de l’histoire, les élèves sont invités à participer aux annotations de ce qui a été
dit au tableau (sur une fiche en papier). Ils ont déjà émis quelques hypothèses quant au
déroulement de l’histoire, mis en place les décors et décrit les personnages qui y sont présents.
Voici la séquence d’écriture sous la dictée à l’adulte (ou DA), et du travail sur le code (séq. 4) :

251
211. a. EE: on a vu aussi écureuil ECUREIL
b. é-cureuil ECUREUIL
212. ES: ECUREUIL
213. EE: c'est qui qui a une idée
214. Bar: eh eh!
215. a. EE: (à Bar) VIENS
b. é-cureuil é-cureuil ECUREUIL
216. a. ES: ECUREUIL MOT OU
b. (à Bar) ECUREUIL OU ?
217. Bar : (cherche sur l’image)
218. EE: par quelle lettre é- LETTRE COMMENT
219. Ade: E
220. a. EE: oui
b. comment fait
221. Ade: E
222. a. EE: oui
b. avec quoi
223. Ade: (montre l'accent nécessaire)
224. [ES: (à Igo) MOT ECRIT ECUREUIL OU]
225. a. EE: oue regarde
b. (et elle écrit sur la feuille l’é-)
226. Bar: (il est toujours au tableau et observe la lettre écrite par EE)
227. a. EE: et puis après APRES QUOI/
b. -cu-
228. Ade: U-
229. a. EE: non
b. il y a un -u- -U-
c. mais /-k-/ on fait comment
230. Ade: K-
231. a. EE: non c'est rare /-ka-/ -K-
b. (et elle montre dans un mot -c-)
232. Igo: (vient au tableau et montre le mot écureuil dans le texte)
233. a. EE: oui regarde (elle souligne avec son doigt le mot trouvé/
b. à Igo) bien! (acquiesce de la tête pour le signe oui ! et
expression de visage très contente)
c. l'é-cureuil
234. Igo: (à Ade) MOI REPONDRE J’AI VU MOT
235. EE: (elle écrit la suite du mot sur la fiche)/bravo BRAVO
236. Bar: (montre l'écureuil sur l'image)
237. EE: (à Bar) tu peux t'assoir//
238. Bar: (va à sa place)
(T2, séq. 4)

Dans cette séquence, le travail de la classe est bien centré sur le code, sur la reconnaissance
visuelle des mots qu’on cherche à montrer, mais aussi sur le décodage de ces mots en unités
sublexicales, lettres et sons. On peut relever plus particulièrement les connaissances des élèves,
qui sont actifs et qui s’engagent dans ce travail sur le système alphabétique français. Ils sont en

252
train de produire un oral écrivable 90 , dicté à l’enseignante et noté au tableau. Ainsi, ils
participent également aux annotations.

Le mot proposé par EE est l’écureuil, mot connu et étudié auparavant, comme l’était
précédemment le mot hérisson. Cette fois-ci, c’est Bar qui a envie de venir au tableau. EE
répond à sa demande explicite, mais ne prend pas en charge le travail permettant à Bar de
trouver le mot recherché. C’est effectivement de nouveau Igo qui le repère dans le texte. Quant
à elle, Ade démontre ses capacités dans l’étude fine des correspondances grapho-phonémiques.
Bar reste en retrait, il attend et observe ce qui se passe en répondant à la fin de cet extrait à la
question d’ES (US, 216b) : il montre alors l’écureuil sur l’image (US, 236), et non pas le mot
désignant cet animal dans le texte. Comprend-il ce qui lui est demandé ? Pourquoi l’enseignante
ne l’aide-t-elle pas cette fois-ci ? Trop occupée par les propositions d’Ade et d’Igo, elle laisse
finalement Bar dans l’attente, ne participant pas dans le déroulement de l’annotation au
tableau, comme ses deux autres camarades.

La séquence se déroule non seulement sur le repérage lexical des mots connus, étudiés
auparavant, mais aussi sur la production textuelle ou plus précisément lexicale. Cette dernière
exige des connaissances sublexicales avérées, des connaissances phonologiques et l’usage de
correspondances grapho-phonémiques, dont témoignent d’ailleurs les élèves comme Ade et
Igo, même si chacun y arrive différemment. L’EE s’appuie sur leurs connaissances dans l’étude
des mots.

En effet, Igo reconnait les mots dans leur globalité, se servant d’une mémoire visuelle
extraordinaire. Cependant, il témoigne aussi de connaissances sublexicales : -é- avec son accent,
un aspect visuel caractéristique de cette lettre dans le mot hérisson, mais aussi de ses capacités
en épellation manuelle en LSF. De son côté, Ade, en mode qui est un mélange des deux
langues, utilise la LSF et le français de manière simultanée ou en échangeant l’une pour l’autre.

La collaboration des deux enseignants est intéressante à relever dans cet extrait, et le rôle joué
par l’ES : il guide les élèves, leur rappelle ce qu’ils doivent chercher et participe par ce fait à
l’établissement et au maintien de la Zone de compréhension commune, et ainsi à leur réussite.
Les deux enseignants se complètent, se reprennent l’un l’autre, dans le but de favoriser chez les
élèves la compréhension des actions proposées, et de les motiver à s’engager dans les tâches
difficiles de repérage et de la dictée des mots.

90
Il s’agit de l’énonciation orale d’un fragment de phrase que l’adulte va écrire. Allant plus loin vers l’écrit que la
mise en place orale du contenu sémantique, le fragment oralisé a déjà les propriétés syntaxiques de l’écrit (la poule
est rousse versus la poule elle est rousse).

253
13.2.1.2. La médiation sur la trame narrative

La LSF est ici tout particulièrement « à l’honneur » avec la richesse de ses niveaux du langage :
narratif, poétique, procédés en LSF par EE et les capacités des élèves à les maitriser.

Figure 11. Le signeur en tant que metteur en scène et narrateur. (Moody et al. 1998, p. 94)

Pour mettre en place la narration, le conteur doit d’abord définir les contours de son histoire,
mettre en place les décors et présenter les personnages principaux qui apparaîtront par la suite.
Dans notre exemple (Moody et al. Ibid.), pour raconter l’histoire du « petit chaperon rouge », le
conteur place d’abord les décors : la forêt avec la maison de la grand-mère. Ensuite, il présente
les protagonistes principaux : la petite fille qui a des traits distinctifs comme son capuchon
rouge, et le loup.

C’est avec l’exemple d’Igo que nous allons commenter ce dessin dans l’extrait qui suit,
présentant l’utilisation des deux langues dans la mise en place de la narration (T2) :

119. Igo: ARBRE


120. a. ES: OUI TOI
b. (à EE) LUI (pointe Igo)

254
121. a. EE: dans la forêt FORET /
b. (à Igo) quoi arbre ARBRE/
122. Igo : ARBRE OISEAU-SUR-BRANCHE (met en scène l’image et la
narration)
123. a. EE : OUI oui l'oiseau vous voyez il est sur l'arbre OISEAU-SUR-
BRANCHE oue oue //
b. et puis c'est dans la forêt FORET/
c. en été ETE en hiver HIVER au printemps PRINTEMPS en automne
AUTOMNE?
124. Igo: PRINTEMPS PRINTEMPS
125. ES: PRINTEMPS
126. [Géo: en automne
127. EE: en automne ? AUTOMNE pourquoi POURQUOI
128. Ade: (pointe l'image) non pas
129. a. EE: STOP
b. (à Géo) TOI pourquoi POURQUOI
130. Géo: feuilles FEUILLES
131. a. EE: les feuilles FEUILLES des feuilles qui tombent FEUILLLES
TOMBENT AUTOMNE (pointe l'image)/
b. bravo BRAVO Géo tu l'a bien vu VOIR BIEN
132. ES: AUTOMNE FEUILLES TOMBENT (pointe l'image et les feuilles dessus)
133. Ade: et il y a pas de jaunes
134. ES : AUTOMNE FEUILLES TOMBENT (pointe les feuilles sur l’image)
AUTOMNE
135. a. EE: ils sont encore un peu vert c'est vrai VERT C'EST VRAI
b. mais il a raison (pointe Géo) LUI AVOIR RAISON c'est en automne
ils commencent à tomber AUTOMNE TOMBER (elle pointe à chaque fois
les éléments de l'image qui illustrent ses énoncées)/
136. ES : (pointe les feuilles sur l’image et fait les mouvements de
tomber, trace la ligne avec son indexe)

(T2, séq.2)

Comme sur l’image qui sert d’exemple (Moody et al. ibid.), Igo commence par la mise en place
des décors de l’histoire, la forêt, tout en signant le mot arbre qui la constitue. La forêt est
définie par la multitude des arbres donc par la même configuration de la main (l’avant bras
représentant le tronc et la main avec les doigts écartés, le feuillage). Ce qui change, c’est que le
signe ARBRE est signé par une main, et le signe FORET par les deux et en mouvement
symétrique d’avant en arrière des deux côtés de la tête du signeur, donnant l’impression de
passer dans la forêt. Il est donc tout à fait en accord avec EE qui explore l’image et qui constate,
en discussion avec les enfants, que l’histoire se passe dans la forêt. Cette information est
contenue également dans le texte de la description qui introduit l’histoire. ES attire l’attention
d’EE sur Igo, parce qu’il comprend que celui-ci commence à représenter l’image sur son propre
corps - procédé typique pour la mise en narration en LSF -, et qui par ce biais, met en place la
situation initiale du récit et les décors. EE ne comprend pas tout de suite, mais elle regarde Igo
et elle reprend sa manière de représenter l’image, en utilisant son propre corps et son espace.
Elle valide et reconnait par ce fait l’importance de l’intervention inattendue de son élève. Elle
revient toutefois sur la question de la forêt et demande aux enfants de préciser les informations
qu’ils peuvent puiser sur l’image. Igo propose la saison de printemps, proposition reprise

255
momentanément comme possible par ES. Géo propose l’automne (Géo, 126), et c’est cette
proposition qui prévaut. Elle est reprise et valorisée par EE dans la mesure où elle poursuit son
intention d’explorer par la suite le texte sur l’image, et le mot automne qui figure dans
l’introduction du récit. Ade conteste cette proposition (US, 128), mais elle est arrêtée par EE qui
donne la parole à Géo, en lui demandant de préciser pourquoi il pense que c’est l’automne.
Celui-ci explique en prenant les indices de l’image et en mentionnant des feuilles (US, 130). EE
ne le laisse pas s’exprimer plus loin et c’est elle qui affirme que les feuilles tombent en les
pointant sur l’image ; elle le félicite. Ade n’est pas convaincue et conteste encore une fois (US,
133), mais EE donne raison à Géo, en expliquant le manque des caractéristiques habituelles de
l’automne (feuilles jaunes que revendique Ade). ES pointe l’image et soutient les explications
d’EE en soulignant par la répétition les feuilles qui tombent.

La façon dont Igo a introduit la situation narrative témoigne de sa capacité à utiliser les
procédés propres de la LSF, parfaitement adaptés à cette situation du début de la découverte
du récit. Il met en place cette situation initiale à partir de l’image, il la dépeint, il se l’approprie
par la langue des signes.

La collaboration de deux enseignants est intéressante, EE aurait peut-être passé à coté des
connaissances témoignées par Igo, mais ES médiatise sa proposition et attire son attention sur
lui. La leçon change quelque peu le cours de son déroulement, bien que EE revienne par la suite
à l’exploration de l’image et son idée du début, visant l’exploration du texte et sa lecture avec
les aides nécessaires.

Un autre extrait, plus loin dans la séance (séq. 7) montre de nouveau les capacités d’Igo à
interpréter et expliciter ce qui se passe dans le récit, en utilisant les procédés particuliers de la
LSF :

413. b.EE : (…)/(à Géo) comment tu vois que c'est l'oiseau COMMENT VOIR
OISEAU comment on sait ?
414. Igo: OISEAU PARLE HERISSON PARLE (tient sa main en haut et AA tape
avec sa main le pupitre/ fait le bruit avec sa boite à crayons)
415. EE : comment on sait CONNAITRE que l’oiseau parle ? OISEAU PARLE
VOIR COMMENT
416. ES: TU VOIS OU/ OISEAU PARLE OU /TU VOIS COMMENT /LA OU (il change
de l’emplacement en se positionnant une fois de coté de Igo une fois
de coté du texte)
417. Igo: (pointe l'image)
418. ES: VIENS (Cl. ENTOURE TON PUPITRE-il lui indique le chemin à
prendre) MONTRE
419. Igo: (montre une partie du texte et les guillemets ensuite oiseau et
écureuil sur image)
420. ES: OISEAU PARLE OU/ PARLE OU/ TU VOIS OU (il fait le signe
graphique des guillemets sur son propre corps)
421. EE: (à Ade) c'est bon (elle vient de changer les pilles dans son
appareil)
422. Igo: (montre sur l'image l'écureuil, l'oiseau et ensuite l'écureuil)

256
là là ba- ba- ba-
423. EE: ah oui OUI l'oiseau parle avec l'écureuil OISEAU PARLE AVEC
ECUREUIL OUI LES DEUX
424. Bar& Ade: noon
425. Igo: (explique en se mettant en position d'oiseau : emplacement dans
l’espace du héros de récit typique pour la LSF et correspondant à
l’image – l’oiseau parle du haut en bas où se trouve son
interlocuteur) OISEAU PARLE OISEAU PARLE pa- pa- pa- pa-
426. a. EE: oui OISEAU il a pa- pa- pa- pa- (elle refait l’emplacement
dans l’espace et position d’oiseau proposés par Igo)
b. et puis il dit quelque chose là (elle montre le texte) et ici
c'est écrit quoi là (elle pointe un mot)
427. ES: QUOI
428. Igo: OISEAU
429. a. EE: oui c'est écrit oiseau OISEAU euh (…)
(T2, séq. 7)

Cet extrait peut être qualifié de complexe, non seulement parce qu’il présente une mise en
place du récit proposé par un élève, Igo, mais aussi par le fait de l’utilisation des moyens
multimodaux échangés par les partenaires, comme les emplacements divers pris dans l’espace
du signeur ou sa manière de représenter le monde du récit et des personnages qui parlent. Ce
sont aussi les pointages qui permettent de déceler les éléments importants contenus dans le
texte, les guillemets par exemple, et les éléments de l’image qui soutiennent les explications
d’Igo. Regardons en détails ce qui se passe dans cet extrait:

La question méta réflexive d’EE « comment on sait ?» (US, 413b, 415) déclenche une démarche
de justification, d’explicitation de la part d’Igo, précédée toutefois par une répétition et une
reformulation de la part d’ES (US, 416). Igo, incité à venir au tableau pour montrer et expliquer
comment il a vu que les animaux parlent, arrive et montre les guillemets dans le texte en les
associant aux animaux présents sur l’image qu’il pointe par la suite (US, 419).
ES lui pose une question rappelant ce qu’on cherche, à savoir quels sont les animaux qui parlent
et leur manière de faire. Son intervention fait suite à l’explication donnée par Igo (US, 420). ES
propose aussi une manière de représenter le monde, typique pour la LSF, notamment les
guillemets sur son propre corps. Igo répond en montrant les animaux sur l’image et ceux-ci dans
un ordre qui peut constituer une unité discursive – il pointe l’écureuil, ensuite l’oiseau et revient
sur l’écureuil en indiquant par la parole qu’ils accomplissent des allez-et-retour de la
conversation ou d’un échange de paroles (US, 422). EE valide cette explication et la valorise en
reformulant « ah, oui OUI l’oiseau parle avec l’écureuil OISEAU PARLE AVEC ECUREUIL OUI LES
DEUX » (US, 423), ce qui soutient la réponse d’Igo : non seulement l’écureuil dit quelque chose,
mais il reçoit une réponse de la part de l’oiseau, et les deux interlocuteurs continuent de parler.
C’est à ce moment-là qu’Igo utilise les procédés typiques de la LSF et met son corps propre à
l’oeuvre pour expliquer ces propos. Il se met en position d’oiseau - comme sur l’image - et
adopte un mouvement de la tête et du regard, de haut en bas, pour représenter comment
l’oiseau parle (US, 425). Il utilise la LSF avec les placements dans l’espace et sur son propre
corps, ainsi que la langue vocale (lacunaire, mais présente). Il répond par ce fait à la question
d’EE, posée au début de cet extrait. Il est récompensé par la validation de celle-ci qui reprend
ses placements et sa manière de mettre en récit les personnages (US, 426a). EE exprime ainsi

257
son intention de pousser ses élèves plus loin en revenant sur la découverte du texte, par une
prise en charge de la progression de l’activité en cours (US, 426b). Elle le mentionne aussi,
comme son élève, par des modalités diverses : elle formule une assertion verbale « et puis il dit
quelque chose là », qu’elle souligne par le pointage du texte. Ensuite, elle formule une question
« et ici c’est écrit quoi là ? » et elle choisi un mot précis, connu par les élèves qu’elle pointe pour
focaliser leur attention dessus. ES répète tout de suite la question et Igo donne une réponse
attendue (US, 428), validée encore une fois par EE.
Cet extrait constitue un exemple d’établissement et de soutien de la zone de compréhension
qui devient commune, par les significations émergentes à partir de la question initiale, reprise
par ES. Il favorise ainsi l’expression d’Igo et l’encourage à aller plus loin dans ses explications, en
sachant que cet élève peut très bien assumer la mise en place du récit en LSF.

Regardons maintenant quels autres moyens d’expression extralinguistiques cette fois-ci sont à
l’œuvre dans cette situation de lecture partagée d’album.

13.2.2. RESSOURCES EXTRA -LINGUISTIQUES

Après avoir décrit les médiations utilisant les ressources linguistiques bilingues (13.2.1.),
analysons maintenant les autres ressources sous-jacentes aux interactions entre les enseignants
et les élèves. Nous essayons de définir leur fonction dans l’interaction : que visent-elles du point
de vue des enseignants ? Que permettent-elles du côté des élèves ?

Nous prenons ici appui sur les catégories extralinguistiques de Mugnier (2006a) parmi lesquelles
nous privilégions le « montrer » et le « faire », dont la fréquence est élevée dans la classe
observée. Ces catégories correspondent également au champ de l’analyse des interactions
portant sur les ressources multimodales dans la classe comme les travaux de Kress, de Roth,
résumés par de Saint-Georges (2008, p.117-158) ; ou les travaux de McNeill (1992, discuté par
Volterra et al. 2005), concernant la gestualité et ses fonctions. Sur ces derniers, se basent les
recherches sur la multimodalité chez les enfants et adultes sourds (Millet &Estève, 2009, 2010).

Ainsi « montrer » s’apparente aux pointages déictiques, bien qu’il ne se focalise pas uniquement
sur les gestes de pointage ; et le « faire » aux gestes représentationnels, bien qu’il s’en distingue
également, par son appartenance à la LSF et ses procédés propres de « raconter ».

Dans cette classe bilingue le « montrer » se présente de la manière suivante, reprise


fréquemment dans le cours des séances à T1, T2 et T3, avec la même fonction (extrait T1, séq.
13, lors du travail sur le décodage du titre) :

564. EE: c'est écrit quoi? ECRIRE QUOI


565. Ade: le tit'e TITRE
566. a.EE: le titre ? TITRE OU //
b.qu'est-ce qu'on connait là? CONNAITRE DEJA/ est-ce qu'il y a des
mots que vous savez lire MOTS VOUS SAVOIR LIRE

258
567. Ade: je /save/ pas
568. ES: LA ECRIT QUOI
569. EE: là (elle souligne le titre écrit au tableau) tu sais rien TU
SAIS RIEN TOI (montre Ade)
570. Ade: la-
571. ES: (montre le la- au tableau)
572. EE: c'est où OU
573. Ade: la- L-A
574. EE: c'est où écrit l-a- L-A-
575. Ade: l-a- L-A-
576. ES: FACILE
577. EE: viens montrer VIENS
578. Ade: (va au tableau) là (montre correctement)
579. Bar: (arrive 00 :29:57)
580. EE: (à Bar) t'assoies là (elle lui montre le pupitre de Géo)
581. ES: (à Igo) LA
582. a.EE: là L-A- elle elle dit ELLE DIT(elle montre le début du titre
au tableau avec Ade)///
b. (au groupe) elle dit DIRE c'est écrit -la- LA/ vous êtes
d'accord? D'ACCORD
583. Bar: c'est quoi? c'est quoi?
584. Géo: oui
585. EE: (à Igo) la- L-A
586. Bar: QUOI c'est quoi? c'est quoi?
587. Igo: L-A LA
588. EE: c'est le titre du livre (elle se penche pour prendre le livre
par terre)
(T1, séq. 13)

Comme l’indique cet extrait, le « montrer » est utilisé par les enseignants dans le but de
souligner, pointer quelque chose et ainsi de capter l’attention des élèves sur l’élément visé.
C’est aussi le moyen de valoriser leurs capacités à reconnaitre les mots ou les lettres connus.
Leur venue au tableau, où les élèves sont souvent invités, leur donne la possibilité non
seulement de montrer ce qu’ils savent, mais aussi d’en prendre conscience eux-mêmes. Ainsi,
le « montrer » contribue à la construction de leur représentation d’eux-mêmes en tant que
lecteur débutant, celui qui peut lire, qui connait déjà certaines choses et qui progresse dans son
apprentissage. Dans cet extrait, nous voyons Ade qui d’abord déclare ne rien savoir, ne rien
connaitre dans le titre écrit au tableau ; ensuite avec une aide de EE elle découvre le premier
mot – la – et elle le montre aux autres élèves. Ce fait de montrer mobilise donc son attention et
sa motivation, pour la suite du travail qui n’est pas évident, ni pour elle ni pour les autres élèves.
L’invitation à montrer un élément important constitue également une ouverture de la part des
enseignants envers les apports que les élèves peuvent amener. Par ce fait, cette ouverture est
l’un des piliers de la construction conjointe des significations autour des savoirs mis en jeu
pendant la séance. Les enseignants font expressément la place à leurs élèves dans l’élaboration
de la zone de compréhension, et par là-même, ils vérifient quelle compréhension du texte
construisent ces derniers. Par exemple, dans l’extrait ci-dessus, Géo et Igo suivent ce qu’Ade
montre. Mais Bar n’est pas dans le même cas et il sera nécessaire de lui expliquer et de

259
l’amener progressivement à rejoindre les autres élèves. Le « montrer » prend donc comme dans
cet exemple et les extraits précédents analysés dans ce chapitre, des formes diverses,
interactives et mettant en relief les apports des élèves dans cette découverte commune de
l’album.

Observons maintenant comment le « faire » se décline, quelles formes prend-il dans cette
multiplicité des ressources extra-linguistiques utilisés en classe.

Le « faire » constitue une autre modalité fréquente, typique de la médiation des enseignants. Il
s’agit d’une ressource permettant par exemple d’incarner un personnage important dans la
mise en place de la narration en LSF. Les extraits du T2 présentés et analysés plus haut en
témoignent.

Les enfants montrent leurs capacités dans l’utilisation de cette ressource qui utilise le corps du
conteur, ses mouvements et regards, ses expressions faciales pour rendre compte de ce qui se
passe dans l’histoire racontée. En parlant des ressources linguistiques et d’utilisation de la LSF
dans la mise en narration (cf 13.2.1.2), notamment des interventions d’Igo qui excelle dans cette
langue ; nous allons observer la manière de le faire en tant que positionnement et les autres
ressources corporelles mises en œuvre par cet élève en interaction avec ses enseignants, et
surtout reprenant l’image du livre comme exemple. Igo en proposant le signe FORET, et
l’ARBRE, et ensuite la position de l’oiseau sur la branche de cet arbre, utilise son bras et ses
doigts pour « refaire » la même situation qu’à l’image. Cette fois-ci, dans la mise en place de la
narration, il incarne par son propre corps l’arbre et place les protagonistes de l’histoire par
rapport à celui-ci. Il obéit aux procédés de la LSF et met son corps à l’ouvrage, puis l’enseignante
entendante valide ces productions en les répétant sur elle-même. Ainsi, l’image du livre se
reflète deux fois par les locuteurs de cette échange, de manière corporelle et spatiale d’une
part, et en mouvement d’autre part.

13.2.3. DEUX LANGUES POUR UN DISCOURS : ACCUEIL DES LANGUES ET DES CULTURES

En conclusion, relevons que le travail sur le code alphabétique est intégré dans le travail plus
général sur la compréhension du récit, les deux étant considérés en alternance.

De plus, l’alternance des langues ou leur simultanéité dans l’espace interactif (Vion, 1992) se
marque de manière constante par l’hétérogénéité des rapports de places et la multicanalité du
discours bilingue pour se comprendre, et ainsi donner la place à l’autre : les enseignants entre
eux, les enseignants et les élèves, et les élèves parmi eux comme le témoignent Ade et Igo
souvent en rivalité, Bar plus actif à T3, et Géo presque invisible et pourtant ayant des bonnes

260
idées qui percent quelques fois. La compréhension du bilinguisme ne peut se faire sans la prise
en compte des caractéristiques individuelles des élèves dans l’interaction, des interrogations
individuelles, des relances et encouragements de la part des enseignants et de la
reconnaissance des capacités de leurs élèves.

Nous observons donc une prise de places symétrique dans l’action conjointe où chacun de
membres de l’interaction est à la fois initiateur et partenaire d’une négociation constante
portant sur les rapports de places (Vion, ibid. p.114).

Nous avons donc montré comment les deux langues fonctionnent dans le déroulement des
séances, nous avons souligné leur importance et leurs valeurs respectives, où la langue des
signes joue un rôle important, non seulement dans la compréhension du récit de manière
générale, mais aussi dans la compréhension du texte et de ses composantes : linguistiques
(lexicales, sublexicales) et textuelles (cohésion, utilisation du discours direct, ponctuation), et les
négociations de significations partageables. L’acquisition de ces composantes fondamentales de
l’écrit, à partir d’images et progressivement à partir du texte, en utilisant la langue des
références multiples, la LSF, présente d’énormes possibilités d’accès au sens et à l’émergence
des significations.

Comment dans la classe les deux langues constituent des parties intégrantes d’un discours en
interaction autour d’un album et plus généralement autour de cet objet d’enseignement
apprentissage qu’est la lecture ? Chaque langue possède un mode des représentations et de
modalités propres, mais les deux prises ensemble peuvent se compléter dans l’élaboration des
répertoires bilingues et biculturels. Les procédés de la LSF, sont culturellement ancrés dans la
culture des Sourds, visuelle, gestuelle, spatiale. La langue vocale, quant à elle, et sa version
écrite, ont des règles de grammaire à enseigner et à apprendre.

Nous avons pu observer un accueil des deux langues, ce qui permet aux élèves de développer
leurs capacités dans l’une ou l’autre langue, s’ils veulent faire les choix d’une langue dominante,
et dans les deux en simultané aussi. Grâce à cette possibilité d’exposition aux deux langues dans
le cadre scolaire, les élèves peuvent accéder aux savoirs scolaires qui sont médiatisés par l’une
ou l’autre langue, dans le but de permettre une meilleure compréhension et une plus grande
accessibilité aux contenus de savoir lire/écrire dans cette situation didactique.

261
13.3. VERS LES PRATIQUES ENSEIGNANTES BILINGUES COMME MOTEURS DE L’APPRENTISSAGE DE
LA LITTÉRACIE

Au terme de ce chapitre qui a porté sur l’enseignement apprentissage du français écrit, par le
moyen de ressources bilingues : trois points de synthèse sont à souligner.

Ce sont d’un coté, le constat que les élèves puisent dans les deux langues pour construire leurs
savoirs littéraciques. D’un autre côté, le fonctionnement du binôme enseignant, symétrique
dans un rapport des places souples et ouvert aux propositions des enfants, favorise leurs
apprentissages donnant une possibilité d’accueil des deux langues reconnues en classe. Cette
manière de faire de la part des enseignants, leurs pratiques bilingues favorisent, permettent
l’établissement des profils langagiers d’élèves ce qui leur donne une part active dans la
construction de leurs propres connaissances. Le troisième constat qui vient souligner et
compléter les deux mentionnées plus haut, est celui des l’élaboration conjointe des
significations à partir de la base bilingue de l’utilisation des langues ainsi que des ressources
multimodales.

Ces points débouchent sur un encouragement aux pratiques enseignantes bilingues pour
enfants sourds (Bertin, 2007 ; Mugnier, 2006 b, c, 2010 ; Millet, Mugnier, Sabria & Simon, 2009
par exemple), dernier point qui est abordé ici en guise de transition vers la discussion des
résultats et vers la proposition de pistes ultérieures de développement en matière de recherche
et de pratiques professionnelles.

262
PARTIE IV : DISCUSSION DES RESULTATS ET
PERSPECTIVES

Arrivant à la fin de ce travail de thèse nous proposons dans cette partie de discuter brièvement
les résultats analysés dans la partie précédente et d’ouvrir quelques perspectives, celles qui
nous semblent importantes, en cet état des connaissances, dans le champ des études en
surdité. Plus largement, c’est aussi au champ des sciences de l’éducation que renvoie ce travail,
notamment dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement spécialisés. Ces perspectives
concernent également d’autres domaines, inclus dans les nombreux champs auxquels ce travail
se réfère. Le chapitre 14 est centré sur une discussion des résultats et de leur portée, tandis
que le chapitre 15 dresse quelques perspectives sur le plan des pratiques professionnelles, de la
formation des enseignants et de la recherche fondamentale.

CHAPITRE 14. DISCUSSION DES RÉSULTATS

« DIFFÉRENT NE VEUT PAS DIRE DÉFICIENT »

Nous proposons de revenir ici sur le questionnement qui nous a impliqué dans cette recherche à
son départ : « comment font les enfants sourds pour apprendre à lire et à écrire ? ». Sans
trouver de réponse univoque, cette question est d’ailleurs posée par plusieurs recherches en
surdité, dont quelquesunes parmi les plus récentes (Goldin-Meadow & Mayberry, 2001 ;
Muselman, 2000 ; Mayer, 2007)91. Pour notre part, l’étude microgénétique des processus
d’enseignement apprentissage nous conduit à pointer plusieurs éléments clés participant à
éclairer cette question fondamentale. Ce sont : la réussite scolaire de ces enfants en matière de
langue écrite, après une année scolaire ; les composantes du savoir traitées dans leurs
interactions avec les enseignants, la construction d’une zone de compréhension commune aux
deux partenaires, le rôle de la langue des signes et celui des ressources multimodales. Nous

91
Les titres des recherches de ces auteurs sont particulièrement parlant: « How Do Children Who Can’t Hear Learn
to Read and Alphabetic Script ? » pour Carol Muselman et « How Do Profoundly Deaf Children Learn to Read?”
pour Susan Goldin-Meadow et Rachel Mayberry, ou “What Really Matters in the Early Literacy Development of
Deaf Childre?” pour Connie Mayer.

263
reprenons plus loin ces éléments de réponse à notre question de départ, avec l’intention
d’étayer la célèbre formule de Marschark (2003, p. 466) « différent ne signifie pas déficient »92.

En préambule, un recadrage de notre travail est brièvement donné en quelques points : son
insertion en sciences de l’éducation, dans le champ de la didactique de la littéracie, dans celui
du bilinguisme et des ressources multimodales, et finalement dans celui des microgenèses avec
ses deux versants de l’inter et de l’intrasubjectivité.

QUESTION DE DÉPART ET SON INSERTION EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION

Ce questionnement renvoie à des problématiques multiples, comme nous l’avons mentionné


dans le cadre théorique, notamment dans le champ des sciences de l’éducation et plus
particulièrement concernant la prise en charge éducative et scolaire de ces enfants. Comment
répondre aux besoins particuliers de cette population d’enfants en matière d’éducation et de
scolarité, en prenant en compte leurs caractéristiques et les résultats des recherches récentes ?
Quels programmes et quels espaces éducatifs mettre en place ? Comment préparer ces élèves à
entrer dans le monde de l’écrit qui leur sera nécessaire tout au long de leur vie ?

L’exploration du terrain pour préparer des réponses institutionnelles à ces questions est en
cours en Suisse romande93, comme le souligne le projet OPERA (Tièche Christinat & CSPS,
2010) ; elle est certainement à mener aussi dans d’autres pays, régions et sphères linguistiques.

Plus précisément, notre objet d’étude, prend racine dans un cadre théorique pluriel et
représente par ce fait un cas « prototypique » d’une recherche en sciences de l’éducation en
relevant quelques uns de ses paris (Hofstetter & Schneuwly, 1998/2001). Par exemple, celui de
la pluralité de son objet et de son unité en même temps (Moro, Chatelanat & Saada-Robet,
2004) ; celui de la tension entre le champ professionnel et le champ disciplinaire (Hofstetter &
Schneuwly, 2007). Relevons que cette tension, relativement bien assumée par les sciences de
l’éducation reste encore à affronter par les études en surdité. Un autre pari de taille est celui de
la nécessité d’étudier les pratiques enseignantes dans leur complexité, d’une part pour
répondre aux besoins d’amélioration de la situation des élèves sourds, d’autre part dans le but
de mieux préparer les enseignants spécialisés et les autres professionnels en charge de les
éduquer, instruire, accompagner etc. (Lenoir & Vanhulle, 2006 ; Hauser & Marschark, 2008).

LITTÉRACIE ÉMERGENTE ET COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE

Dans cette prise en charge des enfants sourds, le développement langagier, communicatif, ainsi
que le processus d’enseignement apprentissage de la langue écrite dans le cadre institutionnel

92
Notre traduction de “Different Does Not Mean Deficient”
93
Pour rappel, le Projet OPERA a été commandé par les directeurs CIIP dans le but de trouver des propositions
cohérentes concernant l’harmonisation de la prise en charge éducative et scolaire des jeunes sourds en Romandie.

264
ou familial, revêt une importance cruciale, comme le montrent récemment Makdissi, Boisclair
et Sirois (2010) pour les enfants entendants, et le numéro thématique sur « Des pratiques
littéraciques émergentes » de la Revue suisse de sciences de l’éducation, (2011, sous la direction
de Sales Cordeiro, Isler & Thévenaz-Christen). Pour les enfants sourds, la proposition de Harris
et Marschark (2011) renforce l’importance donnée à leur développement langagier, en ce qu’il
est lié aux finalités de leur parcours scolaire et de leur entrée dans le monde actuel du travail
avec les changements économiques et sociaux intervenus ces dernières décennies. Notre
recherche se positionne dans ce dernier champ d’études en littéracie, essayant d’apporter
quelques données issues du terrain de l’action pédagogique.

BILINGUISME ET RESSOURCES MULTIMODALES

Pour répondre à notre questionnement, nous avons introduit également l’analyse du


bilinguisme LSF/français compris comme des ressources langagières et multimodales utilisées
en classe. Ces dernières sont constituées du répertoire langagier LSF/français d’une part, et de
ressources multimodales du type pointages, actions de montrer, entourer, souligner, écrire…
etc., émergentes de manière ad hoc dans la situation même, d’autre part. Plusieurs recherches
ont mis en lumière ces ressources et leur rôle dans le développement typique de l’enfant
(McNeill, 1992 ; Goldin-Meadow, 2000 ; Colletta, 2004) ; dans le développement atypique des
enfants vivant avec des syndromes multiples (Volterra et al. 2005) ou avec des troubles du
langage (de Weck et al. 2010) et finalement des enfants sourds (Goldin-Meadow & Mylander,
1983 ; Morford & Goldin-Meadow, 1992 ; Millet & Estève, 2009, 2010) ou des enfants
entendants des parents sourds (Blondel & Fiore, 2010). Ces recherches se centrent toutefois sur
l’analyse des conduites d’enfants isolés, tandis que quelques autres appréhendent les mêmes
aspects à travers les interactions propres à l’enseignement apprentissage ou à la formation
(Cicurel, 2002 ; Causa, 2002 ; de Saint-Georges, 2008 ; Mondada, 2004 ; Filliettaz, 2008b). Dans
ce cadre là, les aspects multimodaux des interactions didactiques visent à se comprendre et se
faire comprendre et sont utilisés autant par les enseignants que par les élèves (ou formateurs et
formés).

MICROGENÈSES ET APPRENTISSAGES INTRA- ET INTERSUBJECTIFS

Un questionnement plus général intervient également dans notre recherche, autour des
microgenèses didactiques, du déroulement des interactions en classe. Comme indiqué au point
4.3. de notre cadre théorique (plus précisément à travers la figure 5), les microgenèses reposent
en toile de fond à la fois sur les perspectives piagetiennes et vygotskiennes des apprentissages,
même si ces deux perspectives ne sont pas mentionnées en tant que telles dans notre travail.
Pour ce qui est des apprentissages scolaires, plusieurs concepts et notions dont la paternité
revient à l’un ou l’autre des deux grands penseurs, sont repris pour être interrogés du point de
vue de l’étude des interactions en classe sur un savoir précis (Brossard, 2002 ; Brossard &

265
Fijalkow, 1998 ; Ducret, 2009 ; Saada-Robert, 2011). Nous pensons bien sûr à la coexistence des
deux plans qui caractérisent les processus d’apprentissage : le plan de l’intersubjectivité et celui
de l’intrasubjectvité dans la construction des connaissances chez l’enfant ou comme le nomme
Ducret (2009) chez le sujet connaissant ; il s’agit plus particulièrement ici de connaissances qui
émergent des situations l’incitant à interagir avec l’écrit (par ex. Boisclair, Doré & Lavoie, 2010 ;
Balslev, Saada-Robert & Tominska, 2009).

Ce chapitre se décompose ainsi en trois points. Le premier (cf 14. 1.) reprend les résultats
intrasubjectifs des élèves aux bilans psycholinguistiques en les reliant aux profils bilingues qu’ils
présentent. C’est pour nous une manière de lier deux « indicateurs », deux résultats prenant en
compte les élèves en tant qu’individus, et de discuter ces indices de la « zone intrasubjective »
dans laquelle les connaissances intériorisées des élèves sont saisies : scores bruts et gains
durant l’année d’une part, déplacements entre une langue et l’autre sur le continuum des
langues d’autre part.

Le deuxième point (cf. 14.2.) prend comme cible la zone intersubjective, la zone de
compréhension commune, sous deux angles de vues : 1) celui des composantes du savoir
lire/écrire activées lors des séances, leur circulation et leur évolution en tant qu’objets
enseignés, ainsi que leur manière de se complexifier ; 2) du point de vue du déroulement des
interactions didactiques et des ajustements réciproques des partenaires qui y prennent place,
notamment la prise des places discursives.

Le dernier point (cf. 14.3.) vient enforcer les deux points précédents par une mise en visibilité
des pratiques bilingues dans cette classe c’est-à-dire, une vision des interactions didactiques à
travers les deux langues. On est ici toujours dans cet espace intersubjectif où les significations se
négocient entre les partenaires du discours, mais ce qui nous intéresse plus en détails, ce sont
les médiations qui s’y opèrent. Des médiations langagières particulières qui comme le
soulignent Boisclair, Doré et Lavoie (2010), ont la fonction de source de développement et de
complexification de la pensée (p. 18-20). Elles constituent effectivement pour nous, une voie
pour se comprendre et donc une source importante des apprentissages, de l’intériorisation des
savoirs et par ce fait, de progression des élèves témoignée par les résultats comparatifs entre
les temps d’observation (cf. résultats exposés dans la partie III).

266
14.1. EVOLUTION DES CONNAISSANCES INTRASUBJECTIVES DES COMPOSANTES DU SAVOIR
LIRE/ÉCRIRE

Les bilans psycholinguistiques ont permis de suivre la dimension intrasubjective des


apprentissages, tout au long d’une année scolaire.

Sur ce point, notre recherche est partie des questions suivantes (cf point 5.3. question 1) :
Comment évoluent les connaissances des enfants en lecture/écriture durant l’année scolaire ?
Comment ces connaissances littéraciques évoluent-elles chez chaque élève, à partir d’un niveau
initial constaté au début de l’année (temps T1) jusqu’à la fin des observations (temps T3) en fin
d’année scolaire ? En quoi consiste cette évolution ? Les progrès individuels touchent-ils toujours
la même composante du savoir lire/écrire ou des composantes diverses ?

En tant qu’hypothèse, nous attendions des transitions d’une étape à dominance logographique
(ou pré-alphabétique) au début de l’année vers une dominance alphabétique à la fin de
l’année (Saada-Robert et al. 2003). Ces diverses stratégies peuvent être présentes au même
moment, et la transition ne se fait pas par un passage clair d’un stade à un autre
(logographique, alphabétique, orthographique), mais plutôt par des dominances de stratégies
(Rieben & Saada-Robert, 1997). Nous avions prévu également des différences individuelles
importantes d’un enfant à l’autre.

Le travail récent de Kyle et Harris (2011) permet de discuter nos résultats de manière plus
générale. Dans leur étude longitudinale (sur deux ans) ces auteures ont comparé les capacités
en lecture des enfants sourds et entendants (de 5-7ans) en obtenant des résultats corroborés
par les nôtres. Tout d’abord, les élèves sourds de cette étude se montrent plus performants que
les enfants entendants en début d’apprentissage de la lecture/écriture dans les connaissances
des lettres (ex. nom des lettres, pour nous, l’épreuve d’identification des lettres), la
reconnaissance des mots (pour nous l’épreuve d’identification des mots cibles) et les
connaissances en vocabulaire. Par contre, dans leurs connaissances phonologiques et les taches
qui en découlent, sans surprise, ils se montrent moins performants. Un autre résultat parait
souligner l’importance de nos propres mesures, notamment celui du comptage des syllabes. En
effet, les capacités des enfants sourds dans les tâches faisant appel à des connaissances
implicites, ou à la sensibilité phonologique (Gombert, 1992, cité par Kyle & Harris, ibid, p. 289),
comme par ex. la reconnaissance des syllabes ou des rimes dans les mots, donne une indication
de connaissances phonologiques mesurées avec des images, comme nous l’avons fait. Ce type
de tâches, bien que difficiles pour ces enfants, est d’habitude vérifié oralement avec les enfants
entendants.

Nos propres résultats ont tout d’abord montré que les élèves progressent du T1 à T3 dans
toutes les épreuves et montrent leur progression dans l’appropriation des composantes

267
sublexicales et lexicales, ceci en identification comme en production. Concernant leurs
stratégies d’écriture les résultats indiquent de manière générale qu’elles se complexifient et que
pour deux élèves (Ade et Bar) elles atteignent les stratégies alphabétiques et lexicales qui sont
attendues pour ce début d’enseignement formel de l’écrit. Un élément nouveau relie ce constat
positif des bilans aux résultats des analyses bilingues. Les profils langagiers des élèves nous
apportent une information sur le positionnement de ces deux enfants, Bar et Ade, face au
français vocal, au début de l’année : leur choix semble déjà porter sur le français, même si tous
les deux basent leurs interventions dans le pôle bilingue. Ade présente une préférence pour
cette langue qui est un investissement difficile au regard de sa déficience – comparable à celle
d’Igo –. Bar présente une meilleure accuité auditive du groupe-classe, son choix est donc facilité
par cette perception. Cependant, les deux élèves semblent être proches dans leur choix depuis
le début d’année, ce que les autres analyses et les observations en classe ne relèvent pas du
tout. Ces deux élèves arrivent à la fin au même résultat concernant les stratégies d’écriture,
majoritairement des stratégies alphabétiques, et les stratégies lexicales en émergence. Le choix
du français en tant que langue dominante dans leur répertoire bilingue, contribue-t-il à ce
résultat qui révèle leurs conceptions de l’écrit ?

Le positionnement bilingue des deux autres élèves (Igo et Géo) et leurs stratégies d’écriture,
montrent une évolution différente marquée par l’apparition des stratégies syllabiques en fin
d’année. Est-ce le lien entre ces progrès et le choix de rester dans le pôle bilingue, représenté
par le mélange de deux langues, comme chez Géo, même s’il penche légèrement vers le
français ? Igo ancre son profil dans le pôle bilingue mais se dirige clairement vers le pôle
monolingue de la LSF et ceci depuis le début de l’année. Est-ce que ce choix influence le besoin
de ces deux élèves d’avoir le mélange de plusieurs stratégies à disposition dans leur parler
bilingue et dans leur représentation de l’écrit qui oscille entre les deux langues ? Est-ce un
indice de blocage entre le passage du lecteur/scripteur débutant vers celui plus autonome
relevé par Mayer (2007) ? Nous avons ici certainement un questionnement nouveau à explorer
et à approfondir par de nouvelles recherches.

Une autre remarque intéressante tirée du travail de Kyle & Harris (ibid.), concerne l’acquisition
des connaissances phonologiques. Elles s’améliorent par l’instruction, notamment par un travail
métaphonologique, c’est-à-dire un travail se réfèrant directement, explicitement, à
l’enseignement des sons correspondant aux lettres et à leurs groupes. Sur ce point, nous
relevons que l’enseignante entendante de notre recherche incite les enfants à apprendre les
correspondances grapho-phonémiques de cette manière directe, régulièrement en classe (cf.
les exemples du travail sur le code au chapitre 13).

Regardons plus précisément les deux épreuves d’identification et d’écriture des lettres. De
manière générale, les élèves semblent avoir plus de facilités en identification qu’en écriture des

268
lettres et ceci aux deux temps de prise de mesures. Depuis le début d’année, Ade et Igo sont
nettement plus compétents dans ces deux épreuves que Géo et Bar ; toutefois, Bar dépasse Géo
en identification. Les scores à l’épreuve d’écriture des lettres se distribuent harmonieusement,
en début d’année, mettant Ade à la pointe et Igo, Géo et, Bar en suivant. Nous pouvons
toutefois remarquer des différences plus marquées en fin d’année. La maitrise de ces
compétences appartenant à la composante sublexicale du savoir lire/écrire se confirme aussi
chez Ade et Igo en classe, pendant les interactions autour du code alphabétique. Chacun des
deux se l’approprie progressivement, bien qu’à T3 Ade l’exprime en français oral, utilisant la LSF
très rarement pour appuyer ce qu’elle dit. On trouve le contraire chez Igo qui s’exprime en LSF
par l’utilisation de l’épellation manuelle, et quelques fois en deux langues où le français
renforce la langue signée. À ce moment de fin d’année, Bar prend aussi une part importante
dans l’interaction en classe utilisant majoritairement le français. Géo toujours discret, s’exprime
dans un mélange des deux langues. Toutefois, comme le souligne la recherche de Kyle et Haris
(ibid.), les connaissances littéraciques de l’entrée dans l’écrit des jeunes enfants sourds ne sont
pas globalement différentes de celles des enfants entendants de leur âge, testé à l’âge
préscolaire (5 ans). C’est dans une autre étape, celle du début de l’apprentissage formel que
l’écart se creuse. D’autre part, les résultats obtenus par ces auteures à 5 ans sont fortement
reliés aux résultats à 7 ans, et par ce fait prédictifs de la réussite du début de l’apprentissage
scolaire formel. Bien évidement, les connaissances générales du monde sont différentes pour
chaque enfant, ce qui induit les différences interindividuelles souvent marquées.

Effectivement, nous avons obtenu des traces importantes des connaissances implicites et
explicites au niveau phonologique : la connaissance des lettres en identification et en écriture,
le comptage des syllabes et celui des mots dans une phrase (voir les résultats des enfants aux
épreuves d’écriture des lettres et d’écriture des mots entre le début et la fin d’année, en
annexes). À part ceci, les connaissances précoces en vocabulaire se confirment partiellement
par l’épreuve de la reconnaissance des mots cibles (Ade et Igo arrivent en fin d’année au
maximum des points, Géo et Bar les suivent de près). Cette connaissance du vocabulaire peut
être mieux saisie par l’analyse des interactions en classe, où les élèves en font preuve
également. Il en est de même pour les connaissances phonologiques. Par ailleurs, notre
recherche confirme partiellement l’utilisation du système phonologique par les élèves observés
(notamment Ade et Bar). Cette utilisation est relevée à la fois par les résultats des bilans
(connaissances des lettres en identification et production) et par les interactions en classe.
L’évolution de ces deux élèves aux bilans du début et de la fin d’année, ainsi que leurs profils
langagiers, retracent la transformation notable des connaissances et des postures des élèves.
Rappelons que ces composantes littéraciques ont été relevées comme très importantes dans
l’apprentissage de la lecture/écriture chez les enfants entendants (NRP, 2000) ; elles le sont
aussi pour la population d’enfants sourds (Schirmer & McGough, 2005). Nos résultats
confirment cette importance. Notons ici que les résultats des élèves observés dans notre

269
travail, n’ont pas été confrontés à un groupe contrôle d’enfants entendants du même âge, une
telle comparaison n’étant pas le centre de notre objet d’étude. Cependant, ils interrogent et
confirment partiellement les résultats de Kyle et Harris (ibid.).

14.2. L’ESPACE INTERSUBJECTIF DE LA CLASSE, COMPOSANTES DU SAVOIR LIRE/ÉCRIRE ET ZONE DE


COMPRÉHENSION

Pour introduire la discussion des résultats sur ce point, nous rappelons d’emblée la notion de
contrat didactique (Schubauer-Leoni, 1986 ; Schubauer-Leoni & Grossen, 1990 ; Perret-Clermont
& Carugati, 2004) qui relie les trois pôles du système didactique. Notre recherche suppose en
effet cette triangulation dans un même processus d’enseignement apprentissage, où les
enseignants et les élèves sont partenaires dans un travail complexe de transposition et/ou
d’appropriation des objets enseignés94.

Le concept vygotskien de négociation de sens nous paraît essentiel dans ce travail au vu de la


construction des connaissances médiatisées par les enseignants, lors des échanges en classe.
Une construction qui, pour nous, peut être relevée à partir des interactions en classe où la
négociation des significations s’opère à l’intérieur de la zone de partage de celles-ci sur l’objet
d’enseignement apprentissage qu’est la langue écrite. Cette zone intersubjective est coélaborée
et maintenue par les partenaires des échanges (enseignants et élèves) autour des objets
littéraciques que sont des albums de jeunesse. Elle se coconstruit progressivement, sur la base
des connaissances plus générales concernant les livres d’abord, et ensuite, sur la base des
connaissances alphabétiques et lexicales construites progressivement par les élèves. Cette zone
s’établit pas à pas à partir de ces connaissances émergentes sur l’écrit, induites, proposés par
les enseignants au début, reconnues et valorisées, encouragés, par la suite. De leur côté, ce sont
les enseignants qui valident ce que les élèves amènent, disent et signent, montrent ou font, et
accueillent leurs réponses/interventions de manière ouverte, essayant de mettre à profit ces
manifestations de la pensée d’élèves en construction, de les négocier, les valider ou les
confronter à un autre avis.

Dans la suite de ce sous-chapitre nous reprenons la question 2 de nos questions de recherche


(cf. point 5.3. question 2) dans le but de discuter les résultats de l’analyse microgénétique. Nous
organisons cette discussion de manière à mettre en évidence deux éléments centraux :
l’établissement de la zone de compréhension (ou intersubjective) entre les partenaires de
l’échange en classe négociant leurs significations au sujet des composantes du savoir lire/écrire

94
Rappelons juste que la classe dont il s’agit dans ce travail est une classe spécialisée en surdité, physiquement
intégrée dans une école publique de la ville de Genève, une institution scolaire qui suit le plan d’études romand
(PER) en général.

270
(14.2.1.) ; l’établissement de cette zone dans le mouvement dynamique d’ajustements des
enseignants et des apprenants au fil des interactions didactiques bilingues (14.2.2.).

14.2.1. ZONE DE COMPRÉHENSION ET NÉGOCIATION DES SIGNIFICATIONS AUTOUR DES COMPOSANTES


LITTÉRACIQUES

Les résultats obtenus à travers l’analyse microgénétique permettent de répondre à plusieurs


questions : Comment s’organisent les interactions entre les enseignants et les élèves lorsqu’elles
visent à construire le savoir lire/écrire et les significations qui le fondent ? (Balslev, 2004, 2006 ;
Saada-Robert & Balslev, 2004). Par quelles étapes de négociations du sens, à travers les
significations attribuées par les partenaires, passent-ils pour se comprendre mutuellement et
pour faire progresser les objets d’enseignement apprentissage qui les lient? Les réponses à cette
question ou leur amorce se basent sur de l’analyse structurale, sur l’analyse séquentielle, et sur
celle de la coconstruction des significations, analyse qui résulte des patterns permettant de
qualifier « les états » de la zone de compréhension. (Balslev, 2006, 2009 ; Martinet, Balslev &
Saada-Robert, 2007).

Nous avions fait l’hypothèse d’une élaboration conjointe des significations partagées de
manières diverses (Balslev, 2004, 2006 ; Saada-Robert & Balslev, 2004) et en utilisant les
ressources multiples présentes lors du déroulement des séances.

Sur ce point, nos analyses se concentrent sur les composantes du savoir lire/écrire, c’est-à-dire
sur les objets qui lient les élèves et leurs enseignants dans un même processus d’enseignement
apprentissage. D’une part, nous pouvons observer dans cette première analyse (structurale),
encore préalable à l’interprétation, des interactions proprement dite, des éléments qui nous
interrogent par la suite dans l’analyse séquentielle et qui concernent les mêmes composantes
réellement activées, mises en circulation pendant les séances. Y-a-t-il une progression, un
changement ou une transformation entre les composantes présentes, exploités au début de
l’année et celles qui apparaissent dans les autres séances ? Comment se complexifient-elles
durant l’année scolaire ? D’autre part, sur la base de l’analyse séquentielle, comment voit-on le
déroulement des séances du point de vue de la circulation des composantes de savoir, leur
ordre, leur importance, en termes de composantes dominantes ou complémentaires ? Cette
analyse essentielle des microgenèses donne des réponses sur la gestion et le déroulement des
leçons in situ, dans la réalité de cette classe, et permet par la suite d’aller plus loin et d’observer
comment se positionnent les acteurs (élèves et enseignants) par rapport à ces savoirs ainsi que
par rapport à leur interlocuteurs.

271
Les négociations des significations autour de l’objet enseigné se reflètent dans les patterns de
significations et indiquent l’établissement progressif de la zone de compréhension (ZdC). Celle-ci
passe par plusieurs « états » dans une même séance et d’un temps à l’autre (T1, T2, T3) : de
l’imposition des significations aux significations partageables, puis partagées ; en passant par la
construction de ces significations émergentes qui sont coélaborées progressivement et
conjointement par les deux partenaires.

Reprénons quelques résultats en bref. A la fin de la première séance (T1), la ZdC devient
commune mais autour des composantes bien maitrisées par les élèves, comme les composantes
contextuelles (CONTVIE, PRATLIV). Cette clôture de la séance, par un retour des significations
partagées, construites dans l’interaction, donne aux élèves la possibilité de reprendre la place
centrale dans l’échange, perdu au fil de la séance en fonction des composantes visées par les
enseignants. Ces composantes se complexifient en effet et exigent une médiation, une guidance
de plus en plus forte de leur part. Dans cette séance, les significations partageables se
construisent peu à peu et elles se déplacent d’une exploration des images vers l’exploration du
texte, de la sémiopicturalité vers la sémiographie, un déplacement qui ne va pas de soi et qui
est pris en charge et assumé par les médiations des enseignants.

Si on relie ces résultats au modèle piagetien et au concept de l’équilibration majorante (Saada-


Robert, 2011 sous presse), nous voyons que les élèves se trouvent dans cette séance au niveau
alpha du processus d’équilibration, où une perturbation induite par les demandes répétitives
des enseignants se produit et les déstabilise. Mais ces demandes liées aux écrits dépassent pour
le moment leur état de connaissances, basé sur les images et sur leurs connaissances générales
du monde, sur lesquelles ils se replient.

Par contre, le guidage des enseignants, suivant en cela la fameuse ZPD de Vygotski, oblige les
élèves à des efforts. Ils suivent le contrat didactique, en tentant bien de répondre à ces
demandes et à entrer pleinement dans la zone de rencontre qui médiatise les objets
d’enseignement difficiles à appréhender de manière plus « autonome » pour le moment.

L’héritage vygotskien, notamment par le recours aux concepts spontanés qui font le relais avec
les concepts scientifiques, permet également d’éclairer cette situation d’apprentissage. Les
concepts spontanés ouvrent la voie, fonctionnent comme « un terreau dans lequel les concepts
scientifiques développeront leurs racines » (Brossard, 2002, p. 240). Nous y revenons en
discutant les résultats du T3.

Les exigences des enseignants, lors de la deuxième séance (T2), poussent les élèves vers une
approche d’objets plus complexes, vers un passage médiatisé à l’acte de lire. La préoccupation
première des enseignants n’est pas la compréhension commune des composantes abordées en
tant que telle, mais le passage à l’acte. C’est dans cette optique qu’ils ne négocient pas de

272
manière aboutie la Zone de compréhension. Elle apparait alors à travers une imposition de
significations par moments et comme coconstruite ou commune à certains d’autres, ou encore
en rupture.

À cette étape de leurs connaissances, les élèves tentent d’établir un équilibre cognitif nouveau
en réponse aux sollicitations des enseignants. Ils adoptent une procédure interne nouvelle qui
cherche à « entendre » les demandes, à les prendre en compte, mais ils emploient une
procédure qui est encore trop émergente pour donner des résultats visibles (processus beta de
l’équilibration). Ils ont progressé dans leurs connaissances littéraciques et se montrent plus
investis, plus participants dans l’activité proposée. Ils se trouvent probablement en train
d’élargir leur structure mentale de base (leur schème face à la lecture) dans un mécanisme à la
fois d’assimilation et d’accommodation face aux demandes des enseignants (Saada-Robert,
ibid.), sans pouvoir toutefois parvenir à un équilibre qui résoudrait les conflits posés par les
différentes composantes du savoir en jeu.

En reprenant la discussion autour des concepts spontanés et scientifiques, et leur


élaboration/transformation (Brossard, ibid.), le changement principal dans cette séance est
marqué par l’engagement plus intense des élèves, bien que leur attention reste fluctuante et
difficile à gérer pour les enseignants. Toutefois, à cette séance les élèves prennent peu à peu
conscience de leurs capacités face à l’écrit : les « choses écrites » sont immédiatement
repérées, elles se donnent à déchiffrer et les apprenants arrivent à une ébauche de lecture. Les
concepts spontanés sont bousculés par leur propre expérience sur l’écrit, médiatisée par les
enseignants et mieux réussie. Cette expérience provoque une émergence de concepts
nouveaux. La voie vers « je sais, j’arrive à lire » s’ouvre. Les élèves prennent désormais une part
active dans cette évolution, comme le montre le mieux la séance du T3 où ils investissent un
nouvel état de connaissances et en sont conscients.

L’analyse microgénétique de cette troisième séance (T3) montre que les composantes
sémiographiques sont majoritaires et introduites depuis la première séquence, avant même que
les explications sur le déroulement de celle-ci soient données. Comme le relèvent les analyses
structurale et séquentielle, ces composantes complexes sont majoritaires, non seulement en
nombre, mais aussi en tant que composantes dominantes. Les composantes sémiopicturales et
contextuelles apparaissent rarement, et prennent plutôt une place complémentaire.
L’apparition de repères textuels dans l’étude de la trame narrative (composante GRANAR)
atteste des progrès des enfants, de même que leur aisance par rapport aux composantes
lexicales et sublexicales, importantes dans l’apprentissage de la lecture/écriture comme le
soulignent de nombreuses recherches (NRP, 2000 ; Schirmer & McGough, 2005 ; Muselman,
2000 notamment).

273
Dans cette séance, la Zone de compréhension entre les deux partenaires est commune dès le
début, ce qui peut constituer un indice de la cohérence et des connaissances élargies des
enfants, ou un effet de l’activité connue, expérimentée plusieurs fois depuis le début de
l’année… A notre avis, et l’un et l’autre élément jouent leur rôle. Effectivement, les enfants
donnent à voir leurs connaissances en situation de classe et l’analyse des bilans le confirme
également.

Une intention des enseignants, présente depuis le début de l’année, celle de « confronter » les
élèves à l’album comme outil d’enseignement apprentissage et à leur capacité à lire, à explorer
cet objet de manière autonome, aboutit en cette fin d’année et donne des résultats probants.
Les élèves se positionnent comme « apprentis lecteurs » à part entière, ont conscience de leurs
apprentissages et de leurs capacités face à cet objet, le livre d’histoire imagé. Ils sont capables
de l’explorer, de participer aux négociations des significations émergentes de manière active.
Leur participation montre leurs connaissances lexicales et sublexicales qui se reflètent dans la
capacité à repérer les mots individuellement, à les décoder, à les lire, à les comprendre, à
chercher des bouts de phrases dans le livre, à participer aux annotations au tableau, à amener
un élément, une trouvaille à partir de son exploration personnelle. Leur engagement et leurs
connaissances donnent des résultats manifestes dans la négociation des significations
émergentes. Elles deviennent souvent et vite partageables, et à plusieurs reprises partagées par
le groupe-classe.

En termes vygotskien, la ZPD est à recréer sur une nouvelle base, les intentions des enseignants
rentrant en convergence avec les apprentissages des élèves. Ces derniers ont investi les
concepts scientifiques autours de la lecture/écriture, dépassant le terreau de leurs
connaissances spontanées, tirées de leurs contextes de vie et des pratiques sociales autour du
livre.

En termes piagétien, un équilibre cognitif nouveau est atteint (l’étape gamma). Il stabilise à la
fois la complexité conflictuelle des composantes, les significations interindividuelles provisoires
avec les connaissances intériorisées qui en découlaient (étape béta). Un équilibre pourtant
fragile au vu des résultats individuels des élèves.

14.2.2. ZONE DE COMPRÉHENSION ET AJUSTEMENTS DES PARTENAIRES D ’INTERACTION

Si l’analyse structurale révèle certains indices, ils doivent trouver ensuite confirmation dans
l’analyse séquentielle et dans celle de la construction conjointe de la ZdC, proche de la zone de
rencontre (Grossen et Py, 1997) ou de la zone intermentale (Mercer, 2000). La ZdC est analysée
en termes de patterns de significations attribuées aux composantes du lire/écrire, patterns qui

274
caractérisent autant d’états de la ZdC (Balslev, 2006) propre à chaque séance. Un va-et-vient
entre un état et un autre marque le déroulement des séances. Ces mouvements informent que
les partenaires du discours en classe doivent constamment s’ajuster au déroulement de celui-ci,
et négocier les significations émergentes aussi bien que leurs places discursives.

Concernant les significations établies entre les enseignants et les élèves, Ducharme et Arcan
(2011) amènent des éléments intéressants sur les stratégies que les deux partenaires mettent
en œuvre dans la construction de ces significations. Tout d’abord, deux stratégies de
construction de sens à propos de l’écrit sont relatées ; il s’agit : 1) des stratégies globales
concernant la compréhension générale des passages, des paragraphes ; 2) des stratégies
concentrés sur la compréhension des mots. Ensuite, la variation d’utilisation de ces stratégies
est mentionnée en fonction des connaissances des élèves et de leur aisance face aux
l’enseignants sourd/entendant qui interviennent auprès d’eux, chacun à son tour.
Malheureusement, cette étude analyse les stratégies de construction du sens à partir du texte
en dyades (enseignant & élève) et non pas directement en classe, en interactions de groupe.
Pourtant, ce dispositif québécois pourrait s’approcher de celui analysé dans notre recherche par
le travail en binôme des deux enseignants, dont l’un est Sourd et natif de la langue des signes,
et l’autre entendant, spécialisé en enseignement aux enfants sourds. Cette pratique est
également relatée dans d’autres expériences scolaires pour enfants sourds (Duhayer & Georges,
2003 ; ou « Français deuxième langue » à la TV5).

Nos analyses interactionnelles (cf. sous-chapitre 12.5.) et bilingues (cf. chapitre 13) ont montré
qu’un double ajustement s’opère de la part des enseignants. En premier lieu, les deux
enseignants collaborent en s’ajustant l’un à l’autre dans le déroulement des séances, par
l’observation des élèves et les prises de places partagées auprès d’eux. Les rôles bien distincts
institutionnellement ne le sont pas dans la classe, les relations s’établissant sur le mode
symétrique. Ce dernier permet l’établissement d’un rapport égalitaire, équivalent entre les
places assignées et les places effectives. Le binôme fonctionne dans une reconnaissance
mutuelle des apports de deux enseignants et des deux langues dont ils sont garants. Toutefois,
la collaboration entre les deux enseignants diffère parfois comme le montre l’exemple de la
séance à T3. Cette séance indique en effet que l’équilibre du rapport des places peut être
inhabituel en influençant la dynamique des interactions. Ce rapport parait dans cette dernière
séance quelque peu déséquilibré et asymétrique, où le rôle de l’enseignant entendant est
nettement plus important que celui de l’enseignant sourd. Ce déséquilibre provoque la
présence à quelques reprises de deux ZdC établies séparément, mais qui se rejoignent
rapidement. L’enseignant sourd est attentif à l’enseignant entendant et le suit, cependant ils ne
travaillent pas nécessairement ensemble dans un esprit de collaboration, en partageant leurs
places face aux élèves, comme c’est le cas dans les deux séances précédentes. L’espace discursif
apparait ici comme hétérogène, irrégulier, instable et dynamique (Salazar Orvig, 1999) ou, pour

275
nous, créé à partir des éléments présents dans la situation même, pris à chaud, par les
partenaires qui s’y trouvent.

Le deuxième ajustement des enseignants s’opère face aux élèves et en même temps en fonction
d’eux, de leur engagement lors de chaque séance, face aux objets d’enseignement
apprentissage, exprimés par les composantes activées dans l’activité. Depuis la première
analyse, c’est-à-dire l’analyse structurale, nous nous rendons compte d’un certain « profil »
d’enseignement ou de guidage interactif des enseignants, ouvert aux propositions des élèves
(Saada-Robert et al. 2003). Ils exploitent d’abord ce que les élèves savent déjà, pour passer aux
composantes de plus en plus complexes. Cette façon interactive de mener les leçons, prenant
en compte les connaissances des élèves et leurs apports potentiels au déroulement des leçons,
leur accorde une part importante à prendre dans l’interaction, les mobilise et les incite à se
positionner comme partenaires dans le discours. Les élèves prennent cette place, l’investissent,
leurs interventions/réponses sont ajustées, leur permettant de tenir la place de coauteurs des
significations émergentes qui circulent en situation et des connaissances qui en résultent.

De la part des élèves, les ajustements sont les plus visibles face aux objets enseignés, qui ne
sont pas faciles à négocier au début de l’année, comme dans la première séance. Les élèves
tiennent énormément à ce qui est connu, maitrisé, donc aux composantes contextuelles et
sémiopicturales, avant de passer, après plusieurs détours de la part des enseignants, aux
composantes sémiographiques. Celles-ci peuvent être abordées, négociées en tant que
significations émergentes ou en construction, mais c’est seulement après un retour aux
composantes sémiopicturales à la fin de cette séance, que les significations sont largement
partagées.

Avant de clore cette discussion par la dimension du bilinguisme, résumons les points précédents
en termes de connaissances acquises par les élèves. Nos résultats mettent en évidence trois
points forts. En premier lieu, autant les compétences intrasubjectives, lexicales et sublexicales,
de ces enfants, que les composantes du savoir qu’ils ont coconstruits pendant les séances en
classe, ont nettement progressé pendant l’année scolaire, en montrant leur passage de la
sémiopicturalité vers la sémiographie. De même, les étapes traversées, logographiques au
début puis rapidement alphabétiques, saisies en tant que stratégies d’écriture, témoignent de
cette progression. Deuxièmement, leur progression, différente pour chacun, est néanmoins
comparable à celle d’enfants entendants du même niveau (Saada-Robert et al. 2003 ; Balslev et
al. 2005, Gamba, Martinet & Saada-Robert, 2006) ou à celle d’enfants sourds suivant l’éducation
oraliste présentés par Sirois & Boisclair (2006).

Enfin, l’analyse de la zone de compréhension qui se construit conjointement par les partenaires
du contrat didactique, indique que les connaissances acquises le sont justement dans la mesure
où les élèves tout comme les enseignants sont engagés dans un même processus, ce qui

276
confirme les résultats d’autres analyses microgénétiques tant chez l’adulte (Balslev, 2006, 2007,
2009, 2010) que chez les enfants en situation préscolaire (Gamba, 2010 ; Gamba & Zeiter-Grau,
2009 ; Navarro William, 2011) ou scolaire (Auvergne, 2006; Martinet, Balslev & Saada-Robert,
2006 ; Balslev et al. 2005 ; Tominska, 2007, 2010)

14.3. LES PRATIQUES BILINGUES EN CLASSE

Un ensemble de questions concernant les pratiques bilingues peut maintenant trouver réponse
à travers nos résultats (cf, question 3, point 5.3.).

Comment s’organise le discours en interaction entre les partenaires du contrat didactique dans
le but de se rapprocher et de coconstruire une zone de compréhension commune ? Les
enseignants et les élèves font-ils partie du même discours (Kerbrat-Orecchioni, 2005) ?

Quelle place occupe la langue des signes dans l’accès des enfants à la langue écrite ? Et de quelle
manière apparaissent les pratiques bilingues enseignantes/des élèves ? (Mugnier, 2006 a, b ;
Estève, 2009), pratiques relevées par les enseignants à travers l’accueil des productions
d’enfants vocales ou signées. Quelle est leur valorisation du parler bilingue, quelles sont les
places et les rôles des deux langues et des deux enseignants dans l’échange ?

Plus précisément, quel rôle joue chacune d’elles dans l’élaboration des significations conjointes
et partagées ?

Nous avions fait l’hypothèse de l’existence d’interrelations fortes entre la langue des signes et le
français oral, mais avec une variation considérable d’un enfant à l’autre selon sa capacité à
intégrer les informations auditives (Niederberger, 2004, 2005). Egalement selon le contact des
langues (Moore, 2006) dépendant de celles que chacun des partenaires utilise aussi bien à l’oral
vocal, à l’écrit qu’en LSF. L’élaboration de significations communes consiste en un processus
complexe lié à l’interrelation entre les deux langues, autrement dit au bilinguisme émergent des
enfants et expert des enseignants (Moore, ibid. ; Mugnier, 2006a, c ; Estève, ibid.)

Nous attendons un développement différencié des répertoires bilingues dans le groupe-classe,


en suivant les choix individuels des langues à investir, observé à ce moment du parcours scolaire
des enfants. Pour certains parmi eux, des dominances entre les langues peuvent se profiler. Ces
répertoires bilingues ne seront donc pas stabilisés, mais mouvants et « activables » en tant que
ressources, dépendant des besoins dictés par les contacts avec les interlocuteurs d’autres
langues signées ou vocales, comme le prédit Moore (ibid.) pour les bi-plurilingues dans le
monde contemporain, et comme le postule pour les enfants sourds depuis longtemps Bouvet

277
(1982, 2004) et récemment les chercheurs français comme Millet et al. (2009) ; Mugnier (ibid.);
Estève (ibid.).

Comment caractériser les pratiques bilingues ? Elles rassemblent les deux partenaires, les élèves
et leurs enseignants, et répondent également à notre centration sur les processus
d’enseignement apprentissage. Elles sont coconstruites en interaction et exigent un consensus,
une entente tout d’abord entre les deux enseignants travaillant en binôme. Nous les avons
montré dans leur partage du rôle d’enseignant dans le chap. 13. Dans le même chapitre nous
analysons également le fonctionnement des enfants face aux deux langues et leurs pratiques
langagières, qui permettent de dépasser « les impasses d’incompréhensions » induites lors
d’utilisation unique de la langue vocale dans l’étude de l’histoire dans le corpus de Mugnier
(2006a).

Quels sont les bénéfices de l’utilisation des deux langues dans la construction des connaissances
littéraciques en situation de Lecture interactive avec les enfants sourds ? Rappelons que cette
situation favorise et vise l’apprentissage de lecture/écriture, qu’elle est donc centrée sur la
langue à apprendre. Les élèves montrent leur progrès dans l’acquisition de cette langue aussi
bien dans les épreuves psycholinguistiques que dans leur choix des langues où des progrès en
utilisation du français vocal sont aussi notés.

En quoi donc les pratiques bilingues français/LSF sont-elles à promouvoir parmi les autres
pratiques enseignantes dans le cadre scolaire prenant en charge les enfants sourds ? (Bouvet,
1982 ; Millet, Mugnier, Sabria & Simon, 2009 ; Tominska, 2011).

Notre recherche apporte quelques réponses à cette question, réponses qui puisent leur validité
dans la situation même et dans le déroulement des activités autour d’un objet particulier, celui
de l’apprentissage de la langue écrite. Selon les recherches menées auprès de ce type d’enfants
dans le cadre scolaire, cette démarche bilingue produit des effets considérables sur les
apprentissages d’élèves et sur leur investissement de l’objet enseigné (Bouvet, 1982 ; Mugnier,
2006a, 2010). Elle permet l’accès à la langue écrite par la médiation de la langue gestuelle
facilitant ainsi l’accès à la compréhension générale du texte, l’utilisation de la langue des signes
permet notamment de comprendre et de réinvestir le travail sur le texte. De même, le travail
sur le code alphabétique est facilité par les passerelles que les enfants et les enseignants
pratiquent (la dactylologie pour les lettres, le décodage des mots ainsi que les stratégies de
traduction d’une langue à l’autre ; Prinz & Strong, 1998 ; Chamberlain, Morford & Mayberry,
2000). Nos résultats confirment ce point, et indiquent aussi que les deux langues participent
dans l’élaboration et la négociation des significations sur le savoir en jeu. Elles sont ainsi
fondatrices d’un espace discursif bilingue reconnu et assumé. Les analyses interactionnelle et
bilingue soulignent ces aspects de médiation des objets d’enseignement et d’apprentissage par
l’une et l’autre langue, où la complémentarité constante des deux permet de construire les

278
connaissances des élèves autour de l’écrit. Le concept d’« étayage mutuel des langues » (Coste,
2005, cité par Mugnier, 2006a, p. 435) valorise les formes composites, non-stabilisées, non
équilibrées des deux langues. Ces formes intermédiaires qui seules sont capables de rendre
compte de cette complémentarité entre la langue des signes, le français oral et l’écrit dans la
construction des savoirs littéraciques chez l’apprenant.

Plusieurs bénéfices de ces pratiques bilingues sont à discuter, en tant que résultats marquants.
D’un coté, il s’agit des résultats des élèves aux bilans de connaissances qui progressent durant
l’année scolaire. D’un autre coté, l’établissement de profils langagiers évolutifs a pu être pointé,
profils mouvants et différents d’un élève à l’autre. Ainsi, le parler bilingue reconnu et assumé
dans cette classe permet aux élèves de construire leur représentation propre de la langue à
apprendre, qui varie du début à la fin d’année. Le parler bilingue leur permet de se reconnaitre
comme des lecteurs débutants capables d’apprendre à lire et à écrire, ce qu’ils font à partir de
la langue qu’ils choisissent et qu’ils privilégient, comme Ade, Bar et Igo, ou qu’ils combinent
comme Géo. Il s’agit là d’une réelle « boucle bilingue » (Mugnier, 2006a, p. 434) établie entre
les langues vocale, gestuelle et écrite.

Sur le plan de l’accueil des deux langues et de leur reconnaissance, élèves et enseignants se
trouvent dans le cas d’un accueil explicite (Mugnier, 2006a, p. 435). Rappelons que Mugnier
présente trois cas d’accueil des deux langues : 1) l’accueil « invisible » ou « non-accueil » dans
lequel les deux langues constituent deux discours distincts ; 2) l’accueil « tronqué » où les deux
langues sont déclarées comme constitutives d’un seul discours, mais seulement une parmi elles
est reconnue, la langue verbale ; 3) l’accueil « explicite » où les deux langues sont constitutives
d’un discours réellement bilingue, reconnaissant les deux langues de manière équivalente et
égalitaire. Dans le cas de l’accueil explicite, les langues constituent un seul discours autour des
composantes du savoir lire/écrire abordées. L’une favorise et soutient l’apparition des éléments
de l’autre tout en la complétant. Au vu de nos analyses, nous estimons qu’un tel accueil
explicite a justement permis l’émergence des significations riches et diverses, exigeant la mise
en place de négociations non seulement langagières mais aussi multimodales. En effet, les
négociations utilisant la gestualité (pointages, soulignements, l’encerclage d’indices, etc.)
constituent une part importante et continue de leurs échanges. Il nous semble que cet accueil
explicite où les deux langues sont reconnues et permises, ouvre la possibilité de négociations
des significations sur l’écrit et des passages d’une langue à d’autres de manière constructive et
servant les apprentissages des élèves.

La synthèse de nos résultats présentée ici et mise en discussion avec le cadre théorique ne peut
se satisfaire à elle-même sans relever une question importante. Il s’agit des liens entre les
analyses microgénétique et bilingue et leur niveau d’interdépendance mutuelle. Initialement,
l’analyse microgénétique nous paraissait comprendre dans sa phase de l’analyse

279
interactionnelle cette dimension bilingue, qui est au cœur de notre dépouillement. Avec le
temps, cette analyse bilingue est apparue comme une analyse spécifique, nécessaire et relevant
les aspects complexes des données sur lesquelles les autres analyses ne se penchent pas
nécessairement. Il s’agit moins dans ce cas du fonctionnement de la Zone de compréhension en
tant que telle, mais plutôt de vouloir saisir les caractéristiques d’interlangue composées du
français et de la LSF : d’en capter surtout le fonctionnement, à travers cette fois-ci plus
particulièrement les Séquences potentiellement acquisitionnelles ou SPA (De Pietro, Mattey &
Py, 1989 ; Py, 1995) sur la trame narrative ou sur le code alphabétique. Le postulat de Py (1995)
concernant les effets à long terme de changements induits dans l’interlangue par les SPA,
peuvent être démontrés par nos résultats dans un laps de temps d’une année. L’interlangue ou
le parler bilingue des apprenants se trouvent-il durablement modifié ? Au vu de nos résultats,
nous donnons la réponse positive à cette question. Nous avons démontré que le parler bilingue
des apprenants se trouve enrichi et transformé (en termes de profils bilingues et leur évolution
durant une année, par exemple). Cela grâce aux bénéfices que les élèves ont su tirer des deux
langues dans la construction des significations émergentes autour de l’écrit ; des bénéfices tirés
également de la médiation des deux enseignants.

Au terme de ce travail, si ces analyses trouvent leur place et leur validité en tant qu’analyses
séparées, la discussion autour de ce choix est par contre ouverte.

Récemment, d’autres recherches s’interrogent sur la réussite scolaire des enfants sourds, et les
conditions qui la favorisent (Antia et al. 2009 ; De Lana, Gentry & Andrews, 2007 ; Mugnier,
2006c). La réussite est-elle liée au type d’école fréquentée, spéciale vs ordinaire, ou au
programme proposé, bilingue ou non ? (Aram, Inger & Konkol, 2010 ; Hermans et al. 2008 ;
Chamberlain, Morford & Mayberry, 2000 ; Padden & Ramsey, 2005); ou encore aux
caractéristiques cognitives de ces enfants, différentes des caractéristiques des enfants
entendants ? (Marschark & Hauser, 2008 ; Marschark, 2007 ; Courtin, Melot & Corroyer, 2008 ;
Courtin, 2007). Notre recherche se positionne par rapport à ce questionnement autour des défis
de la scolarité des jeunes sourds, en montrant les avantages de l’approche bilingue dans la
construction des savoirs littéraciques chez ces enfants, potentiellement à même de favoriser
leur réussite scolaire. Ces défis ouvrent d’ailleurs la discussion autour de la prise en charge
éducative précoce de ces enfants, prise en charge langagière, spécialisée qui leur permet non
seulement d’entrer en communication avec leurs proches, mais aussi de palier les manques de
connaissances générales et langagières que les enfants entendants acquièrent durant leur petite
enfance et en fonction des connaissances phonologiques. La boucle audio-phonologique et
l’interaction avec les autres est un moteur principal du développement du langage et des
constructions des connaissances générales sur le monde environnant chez les jeunes enfants
entendants. Nous reviendrons sur ces questions de la prise en charge et de la formation des
éducateurs, enseignants, professionnels en surdité dans le chapitre suivant.

280
CHAPITRE 15. PERSPECTIVES PROFESSIONNELLES, DE FORMATION ET DE
RECHERCHE

La discussion des résultats nous mène vers quelques perspectives que cette recherche ouvre, en
énonçant les liens possibles avec les deux visées de cette thèse. La première visée se centre sur
les pratiques bilingues dans cette classe particulière, les conditions de leur établissement et les
effets probables sur les apprentissages des élèves ainsi encadrés. La dynamique de
reconnaissance de la langue des signes y est soulignée comme une ressource cruciale du
processus d’apprentissage de ces élèves.

La deuxième visée est celle de l’approfondissement de la recherche fondamentale


« en compréhension », exigeant notamment une collaboration avec les enseignants qui
travaillent directement avec ces élèves. Au-delà des résultats spécifiques obtenus, le but est
finalement d’analyser de plus près quels sont des besoins du terrain éducatif en transformation,
comment les déceler, les comprendre et fournir quelques pistes pour l’enseignement. La prise
en charge éducative et scolaire des enfants sourds en Suisse romande pourrait ainsi tirer profit
de la réflexion suscitée par notre recherche. Par ce fait, ce projet peut également s’inscrire dans
les recherches en surdité en plein essor ces dernières années, et surtout dans une rubrique des
études en littéracie chez cette population d’enfants (Harris & Marschark, 2011, 1, ouvrant un
appel à contributions permanent dans le Journal of Deaf Studies and Deaf Education).

15. 1. VERS DES PRATIQUES ENSEIGNANTES BILINGUES

L’étude des pratiques enseignantes dans les classes et écoles accueillant les élèves sourds sont
encore rares, et les connaissances sur les pratiques « qui marchent » et celles qui sont vouées à
l’échec, sont encore fragmentaires. Pour nous, les pratiques bilingues et multimodales
apparaissent essentielles afin de permettre l’utilisation de toutes les ressources disponibles aux
enfants sourds et ainsi favoriser leurs apprentissages fondamentaux en lecture/écriture dans le
but de leur réussite scolaire et sociale.

Les travaux de Mugnier (notamment 2006a, c, 2010) comptent parmi les plus proches de nos
préoccupations sur l’acquisition de la langue écrite en classe, bien que sa méthodologie et son
objet d’étude diffèrent de notre. C’est la raison pour laquelle ce travail nous permet d’ouvrir sur
les perspectives de notre recherche en matière d’enseignement du français écrit. Mugnier
(ibid.) discute l’utilité d’une démarche bilingue séparant les deux langues, comme à l’origine
dans la recherche de Bouvet (1982), où chaque langue est représentée par chaque enseignant,

281
travaillant dans la même classe, sans aucune simultanéité des deux95. Une des questions qui
nous vient à l’esprit est : comment les deux enseignants communiquent entre eux pour se
préparer à lire ensemble les livres aux élèves ? Dans la recherche de Mugnier, les enseignants
travaillent sur les mêmes objets d’enseignement apprentissage, auprès des mêmes élèves de
manière complètement séparée (aussi physiquement : le lieu et le temps de prises en charge est
diffèrent), cloisonnés dans une vision monolingue du bilinguisme. Nous pouvons maintenant
appuyer cette discussion en complétant les résultats de cette chercheuse par notre recherche,
menée dans une classe où les pratiques bilingues se réfèrent aux deux langues en même temps.
En effet, deux arguments issus de notre recherche en classe peuvent être mentionnés. Le
premier porte sur le fonctionnement en binôme de deux enseignants expérimentés qui est le
moteur indéniable de développement des connaissances des élèves, par sa fonction médiatrice.
La reconnaissance des apports des élèves et un accueil ouvert de leurs réponses/interventions
leur permettent également de s’investir dans leurs propres apprentissages et découvertes. Le
deuxième argument concerne les résultats des élèves et les profils qu’ils établissent face aux
deux langues en termes de leur positionnement sur le continuum des langues. Notre recherche
met en exergue le caractère instable de ces positionnements qui changent, qui se modifient
durant l’année scolaire selon l’investissement/choix personnel de chaque élève dans
l’apprentissage de l’une ou l’autre langue. Ces résultats confirment le postulat de Grosjean
(2003) et de Moore (2006) qui soulignent l’état émergent du parler bilingue des enfants bi-
plurilingues, état qui évolue et se transforme en fonction des interlocuteurs ou des demandes
sociales, et pour nous aussi en fonction des connaissances intériorisées des élèves face à l’écrit
dans la situation étudiée.

Notre postulat rejoint donc celui des nombreux auteurs (par exemple Marschark, Lang &
Albertini, 2002 ; Chamberlain, Morford & Mayberry, 2000 ; Chamberlain & Mayberry, 2005 ;
Padden & Ramsey, 2005) qui soulignent l’importance de l’établissement des pratiques bilingues
dans la prise en charge éducative et scolaire des enfants sourds. De telles pratiques, en
changement/transformation constant, sont favorisées par le travail en binôme ou en équipe
pluridisciplinaire en ce qu’il permet de voir l’enfant sous différents angles, ainsi que de saisir ces
connaissances émergentes à définir et à développer.

Par ailleurs, le bilinguisme simultané se pratique déjà dans les classes immersives à Toulouse et
à Poitiers (El Khomsi, 2003 ; Brugueille, 2003 ; Duhayer & Georges, 2004). Ce cadre
d’enseignement apprentissage fait ses preuves depuis presque 30 ans et se défend pleinement
parmi les autres prises en charge des enfants sourds à Genève.

95
Rappelons brièvement que cette séparation était induite par le protocole de recherche et n’était pas une pratique
quotidienne des enseignants.

282
En outre, le travail en binôme des deux enseignants collaborant dans la prise en charge des
enfants à besoins particuliers ouvre une perspective intéressante, de manière plus générale,
dans le discours sur l’inclusion des enfants handicapés à l’école ordinaire et les conditions
optimales à celle-ci. Une telle perspective commence à être explorée dans la recherche, par
l’étude d’un dispositif de co-intervention/co-enseignement auprès des élèves présentant des
troubles d’apprentissage (Tremblay, 2011). Il nous semble que ce modèle de co-enseignement
des deux enseignants, un spécialisé et l’autre ordinaire, les deux responsables de la classe
accueillant les élèves « différents », peut constituer une voie ouverte à une inclusion réussie, en
tout cas coréfléchie et coélaborée. Notre recherche donne quelques éléments d’analyse de
cette collaboration enseignante par l’analyse du fonctionnement de binôme que nous avons eu
l’occasion d’observer. La coélaboration des objets enseignés et des significations émergentes en
situations sont partie intégrante de nos résultats. Il reste toutefois à les exploiter plus en détails
dans une perspective de pratiques enseignantes littéraciques et bilingues offertes aux enfants
sourds. Nous leur avons consacré une place trop restreinte dans ce travail et d’autres données,
parmi les données recueillies mais non exploitées pour cette thèse, représentent une source
importante de possibilités de catégorisation de ce fonctionnement enseignant avec leurs élèves.

Ainsi, la question de la formation en tant que préparation de ces enseignants à pouvoir entrer
dans le processus de coélaboration avec les autres enseignants et intervenants auprès des
enfants à besoins particuliers, se pose. Elle est d’autant plus vive dans le débat actuel sur la
formation à l’enseignement primaire et secondaire à Genève et en Suisse romande (Vanhulle et
al. 2010 ; Lussi Borer, 2009). Plus largement, la formation de tels enseignants en Suisse se pose
de la même façon (voir les lignes directrices de ce débat dans le numéro de la Revue suisse des
sciences de l’éducation, 30 (1), 200896 ; également Lussi & Criblez, 2007), de même qu’en
Europe, où plusieurs reformes des systèmes éducatifs sont en cours. La perspective étendue aux
pays Occidentaux est également mentionnée chez Lenoir et Vanhulle (2006) à l’époque des
reformes et des changements intenses touchent les systèmes éducatifs et de formation à
l’enseignement.

Dans une direction un peu différente, Evans (2004) demande plus de recherches qualitatives sur
les terrains de l’action pédagogique. Si quelques unes voient le jour, une réelle collaboration
entre les enseignants et les chercheurs, comme celle établie entre la Faculté de Psychologie et
des Sciences de l’éducation à l’Université de Genève et la Maison de Petits, école publique du
canton, en partenariat institutionnel (Perregaux, Rieben & Magnin, 1996 ; Auvergne et al. 1996 ;
Saada-Robert, 1996 ; Saada-Robert et al. 2003 ; Forget & Schubauer-Leoni, 2008 ; Leutenegger
2008 ; Schubauer-Leoni, Leutenegger & Forget, 2007) est encore à penser dans ce champ
émergent, comme le postulent Hauser et Marschark (2008). A ce propos, la collaboration entre

96
Sous la direction de F. Baeriswyl et D. Périsset Bagnoud.

283
l’école expérimentale de Kendal, le Centre Laurent Clerc et l’Université de Gallaudet est à
souligner dans le monde de la surdité.

15. 2. VERS UNE FORMATION PROFESSIONNELLE

Comment penser une formation professionnelle qui prendrait en compte le savoir à enseigner,
les connaissances des élèves, ainsi qu’une zone de compréhension à établir en tenant compte
des significations échangées de façon toujours provisoire, notamment au moyen d’un parler
bilingue simultané ?

Comme l’affirment Goigoux & Cèbe (2006) :

« Les recherches scientifiques ne permettent pas (encore) de savoir quelle est la meilleure
manière de faire, quelle est l’intensité du gris qu’il faudrait généraliser. En effet, on ne compte
que peu des travaux qui se sont attachés à étudier les pratiques des enseignants et leurs effets
sur les apprentissages des élèves. Il est paradoxalement plus facile d’étudier l’activité neuronale
d’un sujet hospitalisé que l’aventure intellectuelle de 25 enfants réunis dans une classe de cours
préparatoire ! ». (p. 47)

En suivant ces auteurs, les pratiques enseignantes bilingues et multimodales relatées dans ce
travail nous paraissent devoir être analysées plus fréquemment et de manière approfondie,
dans la mouvance générale qui ouvre des recherches autour des pratiques enseignantes des
enseignants des classes ordinaires (Nonnon & Goigoux, 2007 ; Goigoux, 2007). Elles
constitueront un outil important de formation, surtout dans la mesure où elles exigent des
approches nouvelles pour les étudier dans toute leur complexité (Lenoir & Vanhulle, 2006).

Pour ce qui nous concerne, les pratiques bilingues des enseignants ne sont pas encore étudiées
dans une approche de prise en charge scolaire des enfants sourds. Nous ouvrons donc une voie
nouvelle de recherche dans ce domaine, demandée déjà par Hauser et Marschark (2008) qui
soulignent l’importance d’observations et d’analyses des pratiques d’enseignants expérimentés
pouvant servir de modèles à discuter pour ceux qui sont en train d’apprendre leur métier
d’enseignant spécialisé en surdité. Les perspectives de notre travail peuvent combler quelque
peu cette nécessité de montrer comment ils font pour se comprendre (ils : les enseignants et les
élèves en classe). Et par là même, de contribuer à l’analyse fine des pratiques enseignantes en
général, littéraciques et bilingues de manière particulière. Par ce fait, une telle analyse permet
de se centrer d’une part sur l’objet d’enseignement apprentissage, et d’autre part, sur les
processus qui permettent de l’aborder et de le faire fonctionner en classe, comme nous avons
essayé de le montrer.

284
Un exemple intéressant de formation des enseignants spécialisés en surdité est fourni dans le
travail de Humphries et Allen (2008). Ils analysent les transformations d’une telle formation
proposée à San Diego University. Prenant en compte les dires des étudiants et le discours des
enseignants, ils mettent en lumière plusieurs aspects importants de l’élaboration d’un
curriculum en collaboration entre les deux cursus, celui d’enseignement et celui des études en
surdité. Ce type de programme de formation, nous semble-il, est mis en place également à
Zurich, à l’Intercatonale Hochschule fur Heilpädagogik. Mais en Romandie, rien de tel n’est
proposé de manière permanente, alors que les lacunes dans les études scientifiques concernant
la formation des enseignants spécialisés en surdité sont soulignées par Schirmer et McGough
(2005). Elles notent en effet que la formation des enseignants dans ce champ n’a été ni étudiée,
ni prise en considération dans le rapport des recherches en surdité. Ce manque reste
aujourd’hui encore entier, comme le relèvent Hauser et Marschark (2008).

Plusieurs questions sur la formation des enseignants sourds et entendants, ordinaires et


spécialisés, découlent directement de notre recherche. Elles émergent et sont soulignées par les
recherches américaines dans ce champ (Marschark, Lang & Albertini, 2002 ; Marschark &
Spencer, 2003 ; De Lana, Gentry & Andrews, 2007 ; Humphries & Allen, 2008 ; Jacobowitz,
2005). Une question plus précise rejoint celle-ci : comment former les enseignants aux pratiques
de l’écrit qui soient interactives et qui intègrent d’un côté les dimensions textuelles et
narratives, de l’autre le travail sur le code alphabétique ? Cette question trouve des réponses
partielles dans la mise en marche de dispositifs de formation qui donnent de bons résultats
comme chez Vanhulle et Schilings (2004) ou comme la démarche d’Entrée dans l’écrit (Saada-
Robert et al. 2003). Cette question interpelle et interroge les moyens d’enseignements, les
outils des enseignants, les adaptations, les aménagements en classe pour permettre une entrée
dans les apprentissages et dans la forme scolaire qui puisse correspondre aux besoins
spécifiques de ces enfants. L’évaluation de leurs connaissances est alors incontournable et un
suivi à long terme nécessaire, comme c’est le cas de l’Observatoire de la surdité en Suisse
romande (Alber & Tièche Christinat, 2011 ; Tièche Christinat & CSPS, 2010) où les études de
plusieurs cohortes de jeunes sourds quant à leurs résultats scolaires, menés par Gallaudet
Research Institut avec un recensement annuel (par ex. Gallaudet Research Institut, 1998, 2006).
Ce type de suivi nous mène aux perspectives en matière de recherche fondamentale et de
recherche-action dans les pays francophones.

15. 3. VERS DE NOUVELLES RECHERCHES

Une perspective intéressante s’ouvre en prolongement de notre travail par le développement


d’études en littéracie chez les jeunes sourds, annoncée par Harris et Marschark (2011) en tant

285
que rubrique permanente du Journal of Deaf Studies and Deaf Education. Ces auteurs
soulignent ainsi l’importance de recherches sur le processus d’enseignement apprentissage de
la langue écrite par cette population d’enfants, domaine encore peu exploré. Nous projetons,
pour notre part, une inscription de notre travail dans cette rubrique, et par la suite une plus
large exploitation de notre corpus recueilli en classe dans une situation d’enseignement
apprentissage, ce qui nous différencie de la majorité des recherches actuelles dans ce domaine.

Nous avons exploité une partie seulement de nos données, notamment du point de vue des
séquences didactiques se déroulant en plusieurs séances, choisissant trois d’entre elles à trois
moments de l’année scolaire, les trois séances inaugurant la séquence didactique autour d’un
nouvel album. Ceci constitue encore une limite de notre travail, bien qu’il a fallu faire des choix
d’analyse des matériaux. Nous disposons donc de données non exploitées et nous projetons de
les analyser du point de vue de la didactique des langues, ainsi que du point de vue des analyses
interactionnelles, surtout quand il s’agit du fonctionnement du binôme enseignant dans les
autres tâches enregistrées en classe que celles relatées dans nos analyses.

Ce qui nous intéresse dans une nouvelle perspective didactique, c’est d’une part le processus
de transformation des connaissances des élèves et les trajectoires des objets enseignés entre le
début et la fin de chaque période d’enregistrement. Ces analyses compléteraient les résultats
obtenus dans cette thèse. D’autre part, dans une perspective interactionnelle cette fois-ci,
plusieurs pistes sont à explorer : le fonctionnement du binôme enseignants, leurs pratiques
bilingues et les outils multimodaux qu’ils développent pour faire progresser les élèves dans leurs
apprentissages, ainsi que, et en même temps, gérer le déroulement des séances et des objets
enseignés. Nous avons donné quelques indices de cette collaboration et des ajustements qui y
sont inhérents, à partir des trois séances en classe que nous avons étudiées. Une exploitation
plus approfondie des nos données de ce point de vue est toutefois à entrevoir. Y-a-il un
« profil » d’enseignement ou des pratiques effectives des enseignants à saisir, à typifier, à
modéliser ? Une étude approfondie des pratiques bilingues des enseignants expérimentés
pourrait constituer un bon objet d’étude pour les enseignants en devenir lors de leur formation.
Il s’agit d’un postulat qui ne trouve pas encore assez d’intérêt de la part des chercheurs, et qui
nous intéresse vivement. A notre sens, il contribuerait à combler une partie des indices déjà
répertoriés pour comprendre la particularité des apprentissages de l’écrit et de la LSF, indices
qui ne dépendent pas seulement des capacités des élèves face à l’écrit, comme le soulignent
Marschark et al. 2009 :

“This lack of progress and recent findings indicating that deaf students face many of the same
challenges in comprehending sign language as they do in comprehending text suggest that
difficulties frequently observed in their learning from text may involve more than just reading.”
(p. 357)

286
Effectivement, les recherches de ces dernières années montrent que le problème des enfants
sourds face à l’écrit n’est pas seulement lié à leurs capacités ou aux aides utilisées comme la
LPC97 ou encore à la traduction/interprétation qui médiatise leur compréhension. S’agirait-il
alors des pratiques enseignantes, pas assez ajustées aux connaissances des élèves ? Ce constat
renvoie bien évidemment aux questions concernant la préparation de ces enseignants à
prendre en charge les élèves sourds, dans le but de promouvoir/favoriser/permettre leurs
apprentissages et leur réussite scolaire. Nous en avons parlé plus haut.

Une autre perspective intéressante à partir de notre corpus concerne les élèves. Il s’agit du
bilinguisme des enfants sourds « ordinaires », c’est-à-dire non-sélectionnés selon leurs
caractéristiques, come l’a fait Courtin dans ses recherches. Les élèves de notre recherche
présentent une grande diversité, pourtant ils sont quatre seulement. Ceci revient à dire que
cette hétérogénéité se retrouve dans une population plus large, comme les recherches le
mentionnent (Estève, 2009 ; Tièche Christinat & CSPS, 2010). Une telle perspective centrée sur
le processus d’enseignement apprentissage, à la base des recherche en situation de classe, nous
mène également vers le postulat des recherches qualitatives si peu représentées encore dans ce
champ (Marchark & Hauser, 2008 ; Evans, 2004).

Sur un autre point, nous sommes consciente d’avoir juste effleuré les questions de la
structuration de la trame narrative dans la situation d’enseignement apprentissage prise en
compte dans notre recherche. Il nous semble que dans les situations littéraciques différentes,
par exemple l’atelier des contes en LSF, les capacités langagières employés par les enseignants
et les élèves peuvent différer de celles mises en place ici, pendant la situation didactique de
Lecture Interactive. Il serait intéressant de pouvoir dans une future recherche comparer les
élèves dans deux situations littéraciques différentes, qui privilégient l’utilisation respectivement
de l’une ou de l’autre langue, et l’apprentissage de ses structures profondes. Nous n’avons pas
vérifié le développement des capacités des enfants en LSF par exemple, par rapport à la mise en
narration au début et à la fin d’année. Ceci constitue une autre limite de notre travail. Nous
nous sommes concentrée sur les épreuves existantes qui relèvent de la connaissance du code
alphabétique du français, en particulier des connaissances lexicales et sublexicales, qui étaient
notre point de départ, vu leur importance relevée pour les enfants entendants (NRP, 2000 ;
Rieben & Saada-Robert, 1997) et sourds (Muselman, 2000 ; Schirmer & McGough, 2005). Ces
épreuves revêtent toutefois une valeur évaluative certaine, au vu de la recherche récente de
Kyle et Harris (2011) qui permet de voir leur utilité avec une bonne distance critique (voir plus
haut).

Pour aborder la question de la progression en langue des signes et en compréhension narrative


construite sur la base de cette langue, il nous faudra mener une autre recherche auprès des

97
Langage parlé complété

287
élèves sourds. Nous pourrions alors interroger les liens qui existent entre la langue des signes et
le français dans le développement de la compréhension du récit et de sa trame narrative,
suivant les autres chercheurs de ce champ (par ex. Niederberger, 2004, pour les interrelations
entre la LSF et le français ; Rathmann et al. 2007 ; Morgan, 2005, pour l’anglais et British Sign
Language)

Enfin, une autre perspective de recherche vise l’étude des pratiques langagières bilingues de
cette population d’enfants. Nous avons effleuré cette perspective pour confronter nos données
aux nouvelles méthodologies comme celle de Millet et Estève (2009, 2010), sans avoir pu
toutefois les approfondir.

POUR CONCLURE

Nous concluons notre travail en revenant encore une fois sur le questionnement de départ :
comment font-ils pour apprendre à lire et à écrire ? Nous avons montré quelques éléments de
réponses et plusieurs pistes à suivre, afin d’en savoir plus sur cette population d’enfants,
hétérogène en soi, et développer ainsi une approche bilingue. Elle apparait dans notre
recherche comme une démarche adaptée à leurs besoins en matière d’éducation et de
scolarité, permettant de prendre en considération les capacités et les choix de chaque enfant.
Actuellement, nous sommes à même de défendre une double voie : celle d’une formation
renforcée des enseignants reposant sur celle d’un approfondissement des analyses de leurs
pratiques en classe. Elles constituent pour nous les voies prioritaires à suivre pour améliorer la
situation insatisfaisante de l’éducation offerte à ces enfants. Ainsi, pourrait-on espérer changer
la vision de l’enfant sourd apprenti lecteur. Pour finir, nous tablons, avec Goigoux et Cèbe
(2006), sur la créativité des enseignants pour arriver au-delà des méthodes, à la complexité et à
la richesse des pratiques en classe, celles dont ont fait preuve les enseignants expérimentés que
nous avons observés avec leurs élèves.

Nous souhaitons ainsi que notre travail trouve sa place dans la discussion autour de l’enfant
sourd, avec sa différence, qui attend encore à être reconnue et prise en considération sur les
terrains de l’action pédagogique (Marschark, 2007 ; Courtin, 2007).

Oui, nous espérons l’avoir montré : différent ne signifie pas déficient…

288
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313
LISTE D’ANNEXES
(document à part sur un CD-Room)

1. Planches de la LSF et de LPC

2. Bilans psycholinguistiques

2.1. Exemples de tâches et de matériel utilisé à l’épreuve d’identification/écriture des lettres

2.2. Résultats des enfants obtenus à cette épreuve

2.3. Consignes et matériel utilisé à l’épreuve d’écriture des mots avec images

2.4. Résultats des enfants obtenus à cette épreuve

3. Analyse microgénétique pas à pas

3.1. Descriptions des données enrégistrées à T2 – synopsis des séances

3.2. Transcription T2, « Pique le hérisson »

3.3. Protocole de dépouillement T2

3.4. Tableaux structuraux T2

4. Critères et codages

4.1. Définition des catégories de dépouillement selon le contenu des énoncés (composantes du
savoir)

4.2. Définition des catégories de dépouillement selon la modalité des énoncés

4.3. Conventions de transcription

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