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Le IIIevolume du Capital de Karl Marx

Le troisième volume du Capital, que Frédéric Engels a composé


avec les matériaux laissés par Marx, vient de paraître, et ainsi se trouve
achevée l’œuvre théorique de notre grand penseur.
Si la conception matérialiste de l’histoire a raison de prétendre que
les différentes formes historiques, dans lesquelles la société produit et
répartit la richesse, sont comme les membres d’une longue chaîne de
développement nécessaire, s’il est vrai que les formes sociales supé­
rieures ne peuvent pas être l’œuvre d’utopistes de génie, mais qu’elles
sont entièrement déterminées dans leur manière d’être p af l’état écono­
mique qui les précède et par les antagonismes cl les luttes de classes
qui se développent au sein de celui-ci, alors l’étude approfondie de
l’organisation économique actuelle se pose commeun devoir impérieux
pour les socialistes. Les « menus pour les restaurants de l’avenir », les
rêveries ingénieuses sur l'organisation sociale future sont condamnés
h l’impuissance ; ce n’est que pas à pas que la vie sociale progresse et
une série indéfinie de circonstances, qu’aucun génie ne ^aurait pré*
voir, exerce son influence sur le mode de ce mouvement progressif.
Nous pouvons, certes, nettement indiquer notre but final : la suppression
de la propriété privée des moyens de production et le contrôle social
de la production et de la réparlion des richesses, mais le chemin qui
nous y conduira ne peut ÿas être déterminé par avance, et c’est de ce
chemin que dépendent naturellement les dispositions particulières qui
pourront nous permettre d’atteindre notre but.
Les discussions sur les détails d’organisation de l’avenir peuvent être
intéressantes, mais elles n’ont que peu d’importance, C’est la réalité,
- dans ses formes toujours changeantes, qui est le guide conducteur que la
classe révolutionnaire suit et qu’elle doit suivre. Le penseur qui, comme
tel, se met au service de la classe révolutionnaire n’a pas à décrire
l’organisation future, mais il doit étudier, autant qu’il est possible, le
182 I.E DEVENIR SOCIAL

domaine économique sur lequel se joue la lutte des classes du temps


présent. La Connaissance de la nature intime de l’organisation écono­
mique actuelle est indispensable ïi un parti qui tend, d’une façon cons­
ciente, avec calme mais radicalement, au renversement de cette organi­
sation.
Le régime économique actuel c’est le capitalisme, el c’est pour cela
que l’œuvre théorique maîtresse de Karl Marx, le premier théoricien
de notre conception matérialiste de l’histoire, s’intitule logiquement le
Capital, critique de l'économie politique. Marx, dans cet ouvrage,
h s'efforce, selon scs propres expressions, de « dévoiler la loi économique
I du mouvement de la société moderne », la loi dti mouvement que la
toute-puissance du capital impose h la société moderne. Il indique,
jusque dans les détails, la nature et la méthode de l’exploitation capi­
taliste qui est & la base de tous les antagonismes d’intéréts, des luttes
de classes et des contradictions prodigieuses de la société moderne. Il
nous montre, en traits vigoureux, la marche du développement qui
transformait le mode de production du moyén-âge féodal en production
bourgeoise capitaliste, el il marque le rôle que le pouvoir politique de
l’État a joué dans ce long processus à l’avantage de la classe possé­
* 1
dante. Lea classes révolutionnaires cherchent h se rendre maîtresses de
'
l'Etat, qui est essentiellement l’organe de la classe dominante, et sa
puissance concentrée et organisée est utilisée - pour hâter, dans la
; mesure du possible, la transformation qui est nécessitée par les nou­
veaux intérêts. C’est ainsi que cela s’est toujours passé, c'est ainsi
qu’a procédé la bourgeoisie avant qu’elle pût confier scs intérêts aux
« lois naturelles éternelles de la libre concurrence », ainsi fera la démo­
cratie socialiste pour la suppression de ces mêmes « lois naturelles
éternelles».
L'œuvre de Marx qui met à nu, d’une façon géniale et si profonde,
j le caractère historique, la nature intime et la naissance du capita­
lisme, comme aussi les obstacles que le capitalisme m etlui-m ênieàson
. propre développement et contre lesquels il doit nécessairement venir se
J briser à un moment donné, cette œuvre fournit à nôtre parti l’étudé topo­
graphique du terrain sur lequel se livrent nos batailles; elle'nous sert
commode merveilleuse armure théorique, elle développe le sens de là
réalité et la force du jugem ent et fait naître un enthousiasme plus
tenace que ne le pourrait faire la plus brillante utopie de l'avertir. Par
des centaines et des centaines de canaux, tout au moins les pensées
fondamentales les plus générales sé sont répandues dans les phalanges
profondes de nos partisans et leurs effets s'étendent à perte de vue. '
LE 111* VOLUME DU CAPITAL DB KARL MARX 183
Le troisième volume du Capital n'aura pas un très grand nombre de
lecteurs, ce qui est le cas du second qu’Engels a édité il y a neuf ans.
Ce que nous avons dit de l’influence considérable de l’œuvre de Marx
n’est vrai que du premier volume qui expose dans une forme classique
les éléments essentiels de la doctrine. Les deux autres volumes s’ap­
puient sur les résultats du premier et traitent plutôt, pour ainsi dire,
des question* de détail. Ce sont, il est vrai, des questions de la plus
haute importance et qui sont indispensables pour l’intelligence de la
théorie de la valeur de Marx, mai? elles nous retiennent loin du bruit
des luttes journalières et leur étude suppose chez le lecteur une con­
naissance approfondie de la science économique.
Nous allons indiquer en quelques mots tout le plan de l’œuvre el
nous verrons par là la place importante qu’occupe ce troisième volume,
Qu’cst-ce que le capital, celte puissance mystérieuse qui, sur le mar­
ché, traite l’ouvrier nominalement comme un homme libre et qui l’exr
ploite cependant comme jam ais dans les organisations sociales anté­
rieures le maître n’a pressuré ses esclaves? C’est la question que Marx
pose dans le titre même de son livre. Le capital, d’après l’opinion
courante, c’est l’argent que l’on prête, ou que l’on emploie commer­
cialement ou industriellement, pour en retirer une somme d’argent plus
élevée — gain ou profit. Il s’agit de savoir comment cela est possible,
car l’argent n ep c u l pas s’accrotlre de lui-même? Beaucoup d’écono­
mistes, qui ont de,8, prétentions à la profondeur, n’acceptent pas celte
définition du capital. L’argent, disent-ils, n’est pas h proprement par­
ler du capital. Il faut au contraire considérer comme capital tous les
moyens de production, car les moyens de production, la bonne orga­
nisation technique, rendent plus productif le travail de l’ouvrier, et
donnent un surplus de valeur qui se transforme ensuite en gain, en ar­
gent par laventedes richesses produites. Celte définition, qui se donne
l’apparence d’une plus grande profondeur, est beaucoup plus superfi­
cielle que la conception courante. Que le travail fait usage de moyensde
production, que l’amélioration des moyens des production accroit les
richesses produites, par une. même quantité de travail, c’est certaine-
' ment là une vérité extraordinairement banale, qui a été- et qui sera
toujours vraie dans le régime primitif où l’on produisait pour ses be­
soins personnels, dans le régime capitaliste, comme aussi dans le ré­
gime socialiste. Tout régime économique a besoin dé moyens de pro­
duction, et si je me sers du mot capital pour désigner les moyens de
production, je puis dire que tout régime économique a besern de^capi-
tal, et alors il est vrai de dire, que lorsque les socialistes dénoncent l’or­
184 LE DEVENIR SOCIAL

ganisation économique actuelle comme capitaliste, il y a l'i un non-sens


évident car P« étal futur » lui aussi ne pourra pas sc passer de moyens
de production, c’cst-.Vdire de capital. Ccttlc définition permet Ji ces
économistes de faire de la production du profil une nécessité absolue,
une « loi naturelle » pour chaque régime économique. Le profil appar­
tient au capital, et si le capital ne peut pas être détruit, le profit ne
pourra pas non plus disparaître.
Tous les traits caractéristiques, historiques de la phase économique
moderne qu’implique le mot capital sont tout simplement laissés de
côté par une semblable définition. Si l’on ne sc contente pas d’une
phrase creuse, il faut distinguer le capital des moyens de production. Les
moyens de production ne sont pas, par eux-mêmes, du capital, mais
] ils peuvent, dans certaines circonstances déterminées, réalisées dans
le mode de production et d’échange moderne, devenir du capital. Ils se
transforment en capital, et nous nous rapprochons de l’opinion cou­
rante, quand le possesseur d’argent achète les moyens de production
et lés forces de travail nécessaires pour leur mise en œuvre, afin de
fabriquer des marchandises qu’il vend sur le marché en réalisant un
profit en argent. En d’autres termes, les moyens de production ne sont
capital que s’ils servent h leur possesseur de moyen pour obtenir avec
une quantité donnée d’argent une quantité supérieure. Mais pour que
les moyens de production puissent amener ce résultat, il faut l’achat
et la vente, la production pour le marché, l’antagonisme du possesseur
d ’argent et d’un prolétariat dépourvu de moyens de production, en un
mot il faut une organisation économique bien déterminée, la société
bourgeoise moderne.
La question se pose alors de savoir — et ici l’opinion courante, h la­
quelle nous devions rendre justice devant la définition abstraite de
tant d’économistes, nous abandonne — comment et dans quelles hypo­
thèses on peut, au sein de cette organisation économique bourgeoise,
tirer d’une quantité donnée d’argent une quantité plus grande?
Marx traite la question à fond. Le gain que fait le possesseur d’ar­
gent vient (si nous laissons de côté les capitaux prêtés) directement de
la vente des marchandises. Ce qu’on retire p ar la vente d ’une m ar­
chandise dépend, d’après l’opinion courante; de la valeur de la m ar­
chandise. Il y a lieu de se demander seulement d’après quelle règle
nous déterminons la grandeur de celle valeur. Dans la mesure où la
grandeur de la valeur est soumise à une règle, la grandeur de la valeur,
e t c’est par cette déduction que Marx commence, ne peut-être détermi­
née que par le quantum de travail moyen, techniquement nécessaire,
LE III* VOLUME DU CAPITAL DE KARL MARX 185
contenu dans la marchandise. Ce ^temps de travail nécessaire contenu
dans la marchandise forme sa valeur et la valeur de toutes les murchan-
dises s’exprime et se mesure p arle quantum de marchandise monnaie
(le prix), dans laquelle toutes les marchandises particulières sc trans­
forment. Il peut sans doute arriver que, par la concurrence, les mar­
chandises se vendent au-dessous ou au-dessus de leur valeur, mais
Marx fait complètement abstraction de ces écarts dans le premier \
comme dans le second volume pour répondre d’abord ?i la question fon* \
damentak ; comment l’argent peut-il devenir du capital, si les mar­
chandises sont vendues, d’après la règle générale, à leur valeur?
Si j ’achète les marchandises à leur valeur, et si je dois les vendre de
nouveau h leur valeur, il paraît tout h fait impossible que je puisse
gagner quelque chose dans la manipulation de l’achat et de la vente,
que je puisse gagner de l’argent par l’emploi de mon argent, que je
puisse faire valoir mon argent comme capital. En supposant même
qu’un individu puisse, par ci par lit, attraper quelque chose, ce ne serait
qu’une exception ; il paraît en tout cas impossible que toute une classe
fasse avec de l’argent plus d’argent, comme nous le montre la société
capitaliste. Il y a en réalité (si l’on fait abstraction des capitaux prêtés)
deux sortes de capitalistes, les commerçants et les industriels. Ceux-là.
achètent des marchandises pour les vendreensuite sans les avoir mises
en œuvre, ceux-ci achètent des moyens de production et la force de
travail des prolétaires; ils font mettre en œuvre les moyens de produc­
tion par la force de travail afin d’en obtenir un produit manufacturé
nouveau; ils ne vendent donc pas les marchandises achetées, mais
un nouveau produit fabriqué avec celles-ci. Si la valeur du nouveau
produit était plus grande que la valeur d’achat des moyens de produc- j
lion et des forces de travail pris ensemble, l’industriel évidemment,
même s’il vend le nouveau produit & sa juste valeur, retirerait par la
veate, sous forme argent, une valeur plus grande que celle qu’il a dé­
boursée pour l’achat des moyens de production et des forces de travail.
Il aurait tiré de l’emploi de son argent un bénéfice net (et cela sans
infraction & la loi générale de la valeur); son argent se serait accru, et
comme tel serait devenu capital. On se demande comment la valeur
du nouveau produit peut devenir et devient effectivement ptus grande
que la valeur payée par le capitaliste? La valeur du nouveau produit
est, d’après de loi de la valeur, égale h la valeur des moyens de
production employés (et payés à leur valeur), augmentée de la quan«
tité de valeur que le travail des forces de travail achetées lui a ajou­
tées. Nais plus graod (à intensité égale du travail) est le temps de Ira­
is
186 LE DEVENIR SOCIAL

vaîl pendant lequel les ouvriers produisent, d’autant plus grande est,
par application rigoureuse de la loi de la valeur, la quantité de valeur
qu’iîsont ajoutée aux moyens de production et qu’ils ont nouvellement
créée, Et cette quantité de valeur, que le capitaliste retire de la, force
\ de travail qu’il a achetée» peut être et sera plus grande que la valeur
de la force de travail elle-même. La force de travail, en effet, est une
marchandise achetée sur le marché comme toutes les autres marchant
dises, et, comme toutes les autres marchandises, la force de travail ne
tombe pas du ciel, mais sa production et son entretien coûte de la dé­
pense de travail. L’ouvrier doit se nourrir, se vêtif, se l.oger, etc., pour
vivre et conserver sa force de travail, il doit acheter sur le marché sa
nourriture, ses vêtements, son logement. La dépense de travail conte­
nue dans ces vêtements, dans celte nourriture» c'est ce qui constitue
la dépense de travail nécessaire pour l’entretien de la marchandise
force de travail et détermine comme telle la valeur de celle-ci. Cette
valeur est relativement faible, d’environ, comme le suppose Marx, six
heures de travail et rien n'empêche le capitaliste omnipotent, s’il doit
payer entièrement cette valeur h l’ouvrier, de le faire travailler plu$
longtemps, îî, 10, 12 ou 14 heures et de lui extorquer ainsi une plus
grande quantité de valeur. C’est cette quantité de valeur, contenue
dans le nouveau produit et pour laquelle le capitaliste n'a rien eu
a payer, que Marx appelle la plus-value. Ce fait que le possesseur d’ar­
gent, qui emploie son argent industriellement, s’approprie de la plus-
value pendant la production et par conséquent qu’il retire par la vente
du nouveau produit, sans devoir le vendre au-dessus de sa valeur, un
excédent sur la somme avancée, ce fait nous donne la clef pour com­
prendre méthodiquement le mécanisme compliqué du système c a p i ­
taliste,
*
De tout cela il résulte que le capital consiste dans une valeur qui
s’accroît d’elle-même. La somme d’argent que le capitaliste emploie
industriellement consiste dans une certaine quantité de valeur qu’il
échange contre des marchandises (moyens de production, force de tra­
vail) d’une valeur égaie. La force de travail et les moyens de produc­
tion sont consommés dans le processus de production qui donne un
produit nouveaui mais un produit d’une valeur supérieure et qui est
ensuite converti en une quantité d’argent plus grande que la quantité
dépensée. Ce processus, dans lequel la valeur du capital se convertit
de forme argent en forme marchandise, de celle-ci dans la forme
d’un nouveau produit dans lequel est cristallisée plus de valeur et
enfin dans un quantum d’argent plus élevé, ce processus de repro-
LE Hl° VOLUME DU CAPITAL DB KARL MARX 187
üuclion, se répétant et se renouvelant incessamment, nous dévoile la
nature propre du capital industriel qui sert en même temps de fon­
dement, dans la société bourgeoise moderne, au capital commercial et
au capital prêté..
Il est évident que, si le capitaliste industriel tire de la plus-value du
processus de production, cette plus-value n’est due qu'à une partie de
son capital, à celle qu’il a employée à l’achat de la force de travail
vivant. Tout le surplus du capital, dépensé en machines, matières pre- >
inières, fie peut pas de lui-même augmenter de valeur. Cependant on >
ne peut pas se passer de cette partie du capital, car, sans elle, les for­
ces de travail achetées ne peuvent évidemment créer aucun produit,
et par suite ni valeur ni plus-value. Donc les marchandises inertes et
sans vie achetées par celte partie du capital ne transmettent au produit
achevé que la valeur qu’elles contiennent, dans la mesure où elles sont
utilisées par le processus de production. Celte transmission de va­
leur n’est pas création de valeur, et moins encore de plus-value. Pour
mettre en évidence ces différences caractéristiques, Marx appellera
partie du capital employée dans l’achat de la force de travail le capital
variable (c’est-à-dire ajoutant de la plus-value dans le processus de
production), et capital constant (c’est-à-dire transm ettant simplement
sa valeur dans le processus de production) la partie du capital em­
ployée à l’achat des moyens de production. Le rapport entre la quan­
tité de plus-value créée par le sur-travail des ouvriers et la valeur que
le capitaliste a payée en salaires aux ouvriers, c’est-à-dire le capital
variable, c’est ce que Marx appelle le tauæ de la plus-value. La plus-
value extorquée aux ouvriers par chaque capital industriel dans le
processus de production est d’autant plus grande qu’est plus petite 1%
valeur de la force de travail, plus longue (à intensité égale de travail)
la durée du travail et plus considérable le nombre des ouvriers em­
ployés p a rle possesseur de capital.
* S

II

Dans le deuxième volume (je ne résume que ce qui est nécessaire


pour comprendre le troisième volume), Marx examine la circulation du
capital industriel, son renouvellement (ceci l’amène à la détermination \
de la période de travail et de la période de circulation), le rapport \
qui existe entre la vitesse de renouvellement du capital et la quantité
de plus-yalue créée par lui annuellement, enfin la différence entre le
capital fixe et le.capjtal circulant, que les anciens économistes avaient
188 LB DEVENIR SOCIAL

confondue avec la distinction entre le capital variable et le capital cons­


tant. Comme conclusion, nous avons un exposé très intéressant, mais
difficile îv comprendre du modo suivant lequel le produit total, créé
capilalistiquement el dont une parlie consiste en moyens de consom­
mation et l’autre en moyens de production, doit se partager entre les
ouvriers et les capitalistes, s’il n’y a, dans aucune branche industrielle,
disproportion entre l’offre el la demande et si les transactions se font
de telle sorte que les capitalistes peuvent continuer la production sur
la même échelle qu’ils l’ont fait jusqu’alors. Ces recherches nous mon­
trent que la libre concurrence ne peut que'rarem ent atteindre sur tous
les points, îi cet équilibre de l’offre et de la demande e tq u ’elle tend par­
tout à détruire cet équilibre el h provoquer, sur une plus ou moins
vaste étendue, la surproduction et les crises.
Si le second volume apporte une série de compléments très impor­
tants h ce qui a été développé dans le premier, mais en m aintenant
l’hypothèse fondamentale que l’échange des marchandises se règle en
définitive d’après le travail contenu en elles, le troisième volume étudie
ces cas de formation des prix qui sont en contradiction apparente avec
les conséquences de la loi de la valeur développées dans les deux pre<
miers volumes. On voit ici que la formule : le travail détermine
indirectement et en définitive la valeur d’échange des marchandises, a
besoin d’élre modifiée pour devenir une juste expression de la réalité
capitaliste. Si les marchandises sont vendues h leur valeur, le gain, que
le possesseur d’argent fait annuellement avec un capital d’une gran­
deur donnée, ne dépend que de la quantité de plus-value que les ou­
vriers employés dans l’année par le capitaliste ont produite dans le
procès de production. Le gain annuel (profit) de capitaux d’égale
grandeur doit par suite être différent suivant qu’ils occupent dans
Cannée plus ou moins d’ouvriers. En réalité les différences entre les
quantités d’ouvriers occupés par des capitaux égaux ou les différences
de leur capital variable sont très importantes. Ainsi, par exemple, daua
les fabriques de tissage bien outillées, on emploie beaucoup de matières
premières et de machines, mais peu d’ouvriers, le capital variable est
très peu considérable comparé au capital constant, tandis qüe dans
toute la production primitive (mine et agriculture), il est très considé­
rable par rapport au capital constant. Si donc la grandeur d'échange
et le prix des marchandises sont déterminés directement p ar le travail
qu’elles contiennent, alors, je le répète, des capitaux égaux dans dés
branches différentes doivent rapporter aux capitalistes un profit annuel
de grandeur différente, car le profit de chaque capital dépend, par
f f f ÿ - ••

LE III* VOLUME DU CAPITAL DB KARL MARX 189


application de la loi de la valeur, de la masse de plus-value créée
annuellement, mais celle-ci se détermine non pas d'après la totalité
du capital employé par l’entrepreneur, mais d’après le capital variable,
payé en salaires, qui, pour des quantités égales de capital, v*rie beau­
coup suivant les branches d’industries considérées.
Il apparaît ici que la concurrence, dont l’influence sur les rapports
d’échange des marchandises a été complètement laissée de côté dans
les deux, premiers volumes,doit avoir non seulement accidentellement,
ici et là, mais partout dans le domaine entier de l’économie capitaliste,
comme suite nécessaire d’amener un écart entre le prix de la marchan­
dise et la quantité abstraite de travail qu’elle contient. Il est évident,
en effet, que si la possibilité est donnée de faire valoir l’argent comme
capital, la concurrence des capitalistes doit tendre & ce que la quantité
de gain annuel du capital s’harmonise d’une façon générale avec la
grandeur de l’avance de capital, de sorte que pour des capitaux égaux,
dans des branches différentes, le profit ne soit pas différent mais égal.
Supposons pour un instant que les marchandises soient vendues à
leur juste valeur, les gains seront donc différents dans les différentes
branches selon la quantité de capital variable employé. Quelle en serait
la conséquence nécessaire ? Dans le libre mouvement de la concurrence,
des quantités de plus en plus grandes de capitaux afflueraient des
branches non favorisées dans les branches favorisées (c’est-à-dire dans
celles qui, par rapport au capital employé, donnent un profit très au-
dessus de la moyenne). Ce va-et-vient de capitaux aurait pour consé­
quence, ici, d’augmenter continuellement l’offre des marchandises pro­
duites capitalisliquement, là de le diminuer. En suite de l’augmentation
de l’offre (lorsqu’elle n’est pas accompagnée par la hausse correspon­
dante de la demande) les marchands (ici les capitalistes des branches
les plus favorisées) doivent baisser le prix des marchandises s’ils ne
veulent pas garder pour compte une partie de leurs produits. En suite
de la baisse de l’offre, au contraire, les marchands (ici les capitalistes des
branches les moins favorisées) peuvent élever le prix. L’afflux des
capitaux aurait donc comme conséquence immédiate dans les bran­
ches d’industrie les plus favorisées un abaissement de prix des mar- j
chandises, et dans les branches moins favorisées une hausse de prix ]
des marchandises au-dessus de leur valeur, et ce mouvement durerait!
* w t

jusqu’à ce que les prix soient fixés partant de telle façon qu’ils garàn-l
tissent aux capitalistes qui emploient le même capital un profit moyen
égal danig toutes les branches d’industrie.
. Il résulte donc que le prix des marchandises produites capitalislique-
190 LE DEVENIR SOCIAL

ruent, comme elles donnent en moyenne le même profit au capital, doi­


vent s’écarter de la valeur, c’est-à-dire de la quantité de travail contenu
dans la marchandise. La concurrence exige cet écart. Mais si la concur­
rence doit, pour les différentes marchandises considérées individuelle­
ment et pour réaliser l'égalité du profit, amener un écart entre les prix
cl leur valeur, ces écarts, au-dessus et au-dessous de leur valeur peu­
vent s’équilibrer pour la totalité des marchandises produites capitalis-
tiquement, de sorte que le prix payé pour la production nationale
représente.une valeur réellement équivalente aux quantités de travail
contenues dans toute la production nationale. Dans ce cas, le gain, que
chaque capitaliste fait par la réalisation de la plus-value contenue dans
son produit, s’écarterait de la grandeur de celle plus-value, mais la
somme de tous les gains obtenus annuellement par toute la classe des
capitalistes correspondrait toujours à la somme de surlravail extorquée
annuellement îi la classe ouvrière par toute la classe capitaliste. Celle-
ci retirerait par la vente du produit autant de valeur ou de temps de
travail, sous forme de profit, qu’ils auraient obtenu de plus-value eu
de surlravail de la totalité des ouvriers pendant le procès de produc­
tion.
Marx admet que, d’une façon générale, celte égalisation se produit,
el que par conséquent le profit total réalisé sous forme d’argent par la
classe capitaliste est déterminé par la quantité de plus-value contenue
dans l'ensemble des produits. Ici se pose la question de savoir si cette
supposition est nécessaire, ou si, d’après les conditions particulières du
marché, la classe capitaliste peut gagner ou perdre dans la réalisation
de la plus-value, de sorte que le profit total de la classe s’écarte aussi
du surlravail extorqué au prolétariat dans le procès de production?
Marx ne parle qu’en passant de cette éventualité (qui doit en tout cas
être étudiée de plus près) et s’en tient à son hypothèse, comme au
cas normal. Mais si le profit total annuel est déterminé par le surlra­
vail gagné annuellement par la totalité des capitalistes dans le pro­
cessus de production, nous avons aussi par là le taux du profit que le
capital total industriel rapporte annuellement. De même que la somme
de plus-value nationale est en rapport avec la vaieur de tout le capital
avancé, de même la somme de tous les profils en argent doit être en
rapport avec la somme de tout le capital argent employé, et ce rap­
port nous donne le taux pourcenluel, d’après lequel le capital total
— et partant en moyenne, chaque capital privé — est rémunéré an­
nuellement. Ce rapport est le taux du profit tnoyen.
Nous voyons donc que la détermination de la valeur par ,1e temps
I
LE IIIe VOLUME DU CAPITAL DE KARL MARX
«
191
de travail, d’où Marx était parti et qui formait la base de sa théorie
du capital est, en même temps contredite et renforcée dans le troisième
volume où il s’agit de l’explication de l’égalisation du profil. Elle est
contredite en tant que les prix pour les produits des capitaux indivi­
duels doivent s’écarter de la valeur du travail de ceux-ci dans l’intérêt
de l’égalisation du profit, mais ils doivent (et c’est là le revers de la
médaille) s'écarter de la valeur directe du travail selon une règle géné­
rale, de telle sorte'que les variations des prix de la valeur du travail \
et des profits de la plus-value du travail pour la somme de tous les
produits obtenus capilalisliquement s’annulent réciproquement.
Ce produit total est donc vendu à un prix correspondant à sa valeur,
son prix renferme une somme de profit en argent correspondant si la
somme de la plus-value pour la classe des capitalistes. En tant que la
règle existe, que les variations des prix particuliers de la valeur doi­
vent s’égaliser réciproquement pour le produit total et en tant que les
écarts sont réglés justem ent par cette norme générale, on se lient à
la détermination de la valeur du travail comme au point de départ
nécessaire pour la compréhension de la formation des prix. Sans cela
on s'égarerait sans direction dans les ténèbres.
C’est ainsi que Marx cherche à faire concorder, dans son troisième
volume, les phénomènes de la formation réelle des prix avec les résul­
tats de sa théorie de la valeur et de sa théorie du capital. Nous n’avons
jusqu’ici surtout parlé que du capital industriel. Reste la question de
savoir comment le capital commercial et le capital prêté qui, dans la
société moderne, soutiennent et rendent possibles les mouvement du
capital industriel, se procurent leur gain? Car, s’ils ne reliraient aucun
profit, ces deux sortes de capitaux n’existeraient pas, et les fonctions,
très importantes, qui leur incombent dans l’ensemble du mécanisme
capitaliste, ne seraient pas accomplies. Il est évident aussi que ni
le capital marchand commercial, ni le capital prêté, n’emploient d‘ou-
viïers pour la confection de nouveaux produits, de valeur et de plus-
value. Mais, si les capitaux ne concourent en rien à la masse de plus-
value créée par l’erisemble dû capital industriel, et cependant empochent
un gain proportionné à leur grandeur, leur gain représente d ’après
Marx une déduclioh de la quantité de profit national déterminé par l a ,
totalité de la plus-value industrielle. L’hypothèse que le profit total
déterminé par la quantité de plus-value se partage entre les seuls capi­
taux industriels d’après leur grandeur, doit être modifiée en ceci que
la totalité des capitaux marchands et des,capitaux prêtés participe, j
proportionnellement k leur quantité, également k ce profit total. Le '
192 Lli DEVENIR SOCIA|.

profil qui reste aux industriels est ainsi plus petit que la quantité de
plus-value extorquée par eux à la classe ouvrière.
Les industriels, les commerçants, les prêteurs n’épuisent pas la liste
de» classes qui vivent du profit. Les propriétaires du sol moissonnent
aussi là oit ils n’onl pas semé, cl la renie foncière, qu’ils empochent,
est une des formes les plus importantes du revenu sans travail dans
la société moderne. En lenninanl, nous dirons quelques mois de la
théorie de la rente développée dans ce troisième volume du capital.
Le fait qu’un prix plus élevé doit être payé pour les meilleures caté­
gories de lerres utilisées dans la production primitive, Marx l’explique
d ’après Iticardo (mais en approfondissant ses théories) comme un
résultat du sur-profit moyen produit par les capitaux qui travail­
lent les meilleures terres. La valeur se détermine pour chaque espèce
de marchandises, comme Marx l’a développé amplement dans le pre­
mier volume, d’après la quantité de travail moyen qui doit être em­
ployée pour sa confection. Dans l’industrie, nous savons déjà que le
temps de travail nécessaire pour la confection de produits industriels
déterminés s’écarte considérablement de celte moyenne dans les dif­
férents établissements. D’après la qualité de leur matériel technique,
les différents capitalistes dé celte branche industrielle dépensent plus
ou moins que le temps de travail moyennement nécessaire. Les éta­
blissements les mieux outillés, dont le produit contient moins que le
travail nécessaire en moyenne, ont ainsi épargné du travail et de la
valeur. La valeur épargnée leur assure un profit supérieur à celui de
leurs concurrents, un surplus de profit, comme dit Marx. Celte règle
que les capitalistes, qui épargnent du travail par une technique amé­
liorée, emploient moins que la dépense moyenne du travail, retirent
un surprofit correspondant, demeure vraie, si les prix du marché de
loulcs les branches s’écartent, à cause de l’égalisation des profijt d’après
la règle développée ci-dessus, de la valeur du travail. Dans l’agricul­
ture et dans les mines, la circonstance qu’un entrepreneur emploie
moins que la dépense moyenne du travail pour la confection d’une
certaine quantité de produit ne dépend qu’en partie des moyens
techniques employés, mais elle dépend avant tout de la bonlé et de la
productivité du sol lui-méme, C’est ainsi que la propriété de celle
terre priviliégée est la source du surprofit qu’on lire de la production
primitive. Par la vente des propriétés, des mines, etc., le nouvel ache­
teur aura à payer non seulement le capital fixe incorporé au sol, mais
de plus le montanl capitalisé du surplus de prolH annuel. S’il n’avait
pas à le payer, il aurait obtenu gratis, avec le sol, une source d’extra*
LE 111° VOLUME DU CAPITAL DE KARL MARX 193
profit, cl on ne fait cadeau de rien dans la société capitaliste. Ce mon-
lant capitalisé d ’exlra-profil, que la culture de pièces de terrains déter­
minées donne au cultivateur, représente le prix de cette pièce de ter­
rain. Si le propriétaire du sol ne veut pas cultiver lui même, mais s’il
ne veut pas non plus le vendre, il le loue et le fermier doit payer cha­
que année Pexlra-proflt sous forme de renie foncière au propriétaire,
il ne lui (au fermier) reste que le profit moyen de son capital employé
îi la culture, et très souvent pas même autant. Mais le point de vue
rnis ici en évidence forme, pour Marx, seulement la base générale dont j
il part pour scs recherches plus étendues sur la nature et le mouve­
ment de la rente foncière. Celle simple indication suffit ici.
Puisse ce troisième volume ne pas trouver trop peu de lecteursI La
lecture n’en est pas facile; mais la difficulté, comme aussi les répéti­
tions nombreuses et les longueurs, ne devraient pas nous empêcher
d’éludier ce livre, ou plutôt ce manuscrit (car notre grand théoricien
n’a malheureusement pas pu l’achever). Incomparable est chez Marx là
pénétration de la pensée, incomparable la perspicacité, avec laquelle il
recherche partout la nature des phénomènes. L'ensemble de son œuvre
s’élève majestueusement au-dessus de toutes les constructions élevées
dans le domaine de la science économique; niais il va de soi que celte
œuvre ne peut ni ne veut être une limite posée k l’examen théorique.
Beaucoup de points restent obscurs, el nécessitent de nouvelles recher­
ches: Marx aurait été le dernier k le contester. Mais il y a critique et
critique. Ce que les économistes officiels ont jusqu’ici eu l’habitude de
désigner sous ce nom ne consistait d’ordinaire qu’en un fatras d’er­
reurs lamentables. La véritable critique consistera k continuer ces
recherches.
C o n r a d S c h m id t .

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