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De la Bible au sionisme
Shlomo Sand
16 octobre 2008
« Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre,
du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon
historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la
notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle
prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants,
recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. » Pour Marc
Bloch, qui se présentait ainsi dans les pages introductives de son dernier ouvrage
« L’Etrange Défaite, » l’origine Khazar des juifs Ashkénazes était une évidence,
mentionnée simplement en passant. Cette vérité historique fait pourtant l’objet d’un
refoulement en Israël, car elle contredit les mythes fondateurs. Shlomo Sand,
historien à l’université de Tel Aviv, vient de publier un ouvrage qui revisite ce passé
oublié, et dont la résurgence éclaire d’une lumière tragique la réalité actuelle. Celle
d’une terre où des hommes convertis au judaïsme mènent au nom de leur foi une
guerre impitoyable aux lointains descendants du « peuple élu, » celui des bâtisseurs
du Temple : les Palestiniens.
Le professeur d’histoire Shlomo Sand est le premier surpris par le succès remporté
par son dernier ouvrage, présent durant 19 semaines sur la liste des best-sellers en
Israël, en dépit du fait que ses thèses remettent en cause le plus grand tabou israélien.
M. Sand affirme que l’idée d’une nation juive - pour laquelle la nécessité de disposer
d’un havre de paix a été utilisé depuis l’origine pour justifier la création de l’État
d’Israël - est un mythe inventé il y a de cela un peu plus d’un siècle.
En outre, il affirme que les Juifs n’ont jamais été exilés de la Terre Sainte, que la
plupart des Juifs d’aujourd’hui n’ont pas de lien historique à la terre nommée Israël
et que la seule solution politique au conflit avec les Palestiniens est d’abolir l’État juif.
Les traductions sont en cours dans une douzaine de langues, y compris en arabe et en
anglais. M. Sand s’attend à une réaction musclée du lobby pro Israélien lorsque le
livre sera publié aux États-Unis l’an prochain. En revanche, le public Israélien, peu
favorable à sa thèse, s’est montré au moins curieux à son sujet. Tom Segev, l’un des
grands journalistes du pays, a qualifié son livre de « fascinant et stimulant ».
Le principal argument du Dr Sand est que, il y a de cela un peu plus d’un siècle, les
Juifs eux-mêmes ne se pensaient en tant que juifs que parce qu’ils partageaient une
religion commune. Au tournant du 20e siècle, note-t-il, les Juifs sionistes ont
contesté cette idée et ont commencé à construire une histoire nationale en inventant
l’idée que les Juifs existent en tant que peuple distinct de leur religion.
De même, l’idée sioniste moderne selon laquelle les Juifs doivent retourner d’exil vers
la Terre promise a été totalement étrangère au judaïsme, précise-t-il.
« Je n’ai pas été élevé comme un sioniste, mais comme tous les autres Israéliens, je
tenais pour acquis que les Juifs étaient un peuple qui vivait en Judée et en qui en
avait été exilé par les Romains en 70 après Jésus-Christ.
« Mais lorsque j’ai commencé à chercher des éléments de preuve, j’ai découvert que
les royaumes de David et Salomon étaient des légendes, » indique M. Sand.
« Concernant l’exil, les choses sont semblables. En fait, vous ne pouvez pas expliquer
la judéité sans l’exil. Mais lorsque j’ai commencé à rechercher des livres d’histoire
décrivant les événements de cet exil, je n’ai pu en trouver aucun. Pas un seul. »
« C’est parce que les Romains n’ont pas exilé le peuple juif. En fait, les Juifs en
Palestine étaient en leur écrasante majorité des paysans et tous les éléments de
preuve indiquent qu’ils sont restés sur leurs terres. »
Il croit au contraire plus plausible une autre théorie : l’exil était un mythe promu par
les premiers chrétiens pour recruter les Juifs à leur nouvelle foi. « Les chrétiens
voulaient que les descendants de Juifs croient que leurs ancêtres avaient été exilés
par une punition de Dieu ».
Mais s’il n’y a pas eu d’exil, comment se fait-il qu’un si grand nombre de Juifs ait été
dispersés dans le monde entier avant que l’État moderne d’Israël commence à
encourager leur « retour » ?
Le Dr Sand indique que durant les siècles qui ont précédé et suivi le début de l’ère
chrétienne, le judaïsme était une religion prosélyte, tentant à tout prix de convertir.
« Ceci est mentionné dans la littérature romaine de l’époque. »
Les Juifs se sont rendus dans d’autres régions, cherchant à convertir, en particulier
au Yémen et parmi les tribus berbères de l’Afrique du Nord. Des siècles plus tard, le
peuple du royaume Khazar, dans ce qui est aujourd’hui la Russie du Sud, s’est
converti en masse au judaïsme, donnant naissance aux Juifs Ashkénazes d’Europe
centrale et orientale.
Le Dr Sand insiste sur l’étrange état de déni dans lequel vivent la plupart des
Israéliens. La découverte récente de la capitale du royaume Khazar, proche de la mer
Caspienne a donné lieu à une importante couverture médiatique. YNet, le site Web de
Yedioth Ahronoth, le plus populaire des journaux israélien, a publié un article
intitulé : « Des archéologues russes retrouvent une capitale juive oubliée. » Et
pourtant, aucun de ces articles, ajoute-t-il, n’a examiné l’importance de cette
découverte en regard des conceptions habituelles de l’histoire juive.
L’autre question soulevée par le travail du Dr Sand, comme il le note lui-même est
celle-ci : si la plupart des Juifs n’ont jamais quitté la Terre Sainte, que sont-ils
devenus ?
« Ce n’est pas enseigné dans les écoles israéliennes, mais la plupart des premiers
dirigeants sionistes, dont David Ben Gourion, qui le premier occupa le poste de
Premier ministre, estimaient que les Palestiniens sont les descendants des premiers
juifs de la région. Ils pensaient que les Juifs s’étaient par la suite converti à l’islam. »
« J’ai été critiqué en Israël pour avoir écrit sur l’histoire juive alors ma spécialité est
l’histoire de l’Europe. Mais un livre comme celui-ci requerrait un historien qui soit
familier avec les concepts standard de la recherche historique utilisés par les
universités dans le reste du monde. »
Présentation de l’éditeur
Biographie de l’auteur
Lire aussi :
Sur le Web :
La citation de Marc Bloch est extraite de l’Etrange Défaite, disponible en ligne sur le
site de l’Université du Quebec à Chicoutimi