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Revue belge de philologie et

d'histoire

Κ. Svoboda. L'Esthétique d'Aristote


J. Hardy

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Hardy J. Κ. Svoboda. L'Esthétique d'Aristote. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 7, fasc. 3, 1928. pp. 1041-1043;

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COMPTES RENDUS

Κ.kianae
212
Svoboda.
p. Brunensis,
OperaL'Esthétique
facultatis
n. 21 ; prix
d'Aristote,
philosophiae
: 20 kc. Brno
Universitatis
1927, 1 vol.Masary-
in-8°,

L'esthétique d'Aristote n'avait plus fait la matière d'un livre


de langue française depuis l'ouvrage, fort insuffisant d'ailleurs,
de Ch. Bénard (Paris 1889). M. S. expose, en quinze chapitres, la
doctrine d'Aristote sur l'art et le beau en général, sur les
différents arts et sur la poésie.
L'esthétique générale d'Aristote se ramène à celle de Platon.
Elle tient à peu près toute entière dans les règles d'ordre, de
symétrie et de « limite », ce dernier terme étant matière à
discussion. Aristote fait aussi de la grandeur un élément de beauté
(notre mot « ampleur » répond bien à ce concept). La beauté
d'Aristote est donc une beauté abstraite, intérieure aux êtres et
pour ainsi dire mathématique, émanant de la structure, non de
la forme : Aristote ne considère pas la beauté extérieure de la
nature ou de l'art : il est aux antipodes du romantisme.
Les arts utilisent la nature et visent à une fin pratique,
comme l'art médical, ou bien ils imitent la nature et sont
désintéressés : ce sont nos « beaux arts », peinture, sculpture, danse,
musique, à l'exclusion de l'architecture, toujours rangée chez les
Grecs parmi les arts utiles. Les idées d'Aristote sur chacun des
beaux arts, éparses dans ses traités, sont exposées dans quelques
chapitres de la fin. M. S. a consacré la plus grande partie de son
travail à la doctrine littéraire contenue dans la Poétique et
dans certains chapitres de la Rhétorique.
Cette doctrine littéraire, relative au langage ou style du poète
(le terme « diction » était à éviter), à la tragédie, à l'épopée à la
comédie, M. S. en donne tout le détail, il l'explique, la commente
et assez souvent l'apprécie. Il est telles de ces explications et de
ces appréciations qui m'ont paru contestables.
Ainsi M. S. est choqué parce qu'Aristote place dans la pure
raison la source du plaisir esthétique. Expliquant la poésie
par la peinture, l'auteur de la Poétique dit : «... apprendre est
un plaisir... on a plaisir à voir des images parce qu'en les regar-
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dant on se rend compte et juge par exemple que telle figure


c'est un tel » (Poétique, IV). Cette idée n'est cependant qu'un
corollaire du principe de la mimesis. Si l'art est imitation, la
grande règle de l'art est la vérité. Dès lors comment Aristote
n'expliquerait-il pas par la perception, par la découverte de cette
vérité, le plaisir du spectateur d'un bas-relief ou d'un tableau?
La tragédie est une imitation, mais elle joint à la vérité (la
règle de la vraisemblance est une des idées maîtresses de la
Poétique) la propriété d'émouvoir : elle « effectue par la pitié et
la crainte la purgation propre aux émotions de ce genre ». M.
Svoboda ne pouvait manquer de reprendre cette très vieille
question de la Catharsis. Son opinion est celle-ci : «... On
débarrasse la passion des éléments nuisibles. Donc la purification
ne désigne pas une détente de l'inclination à la passion, comme
Bernays l'a interprété, ni un retranchement complet,même
temporaire, de la passion... mais une purification réelle des passions,
en les débarrassant du nuisible... Il n'y a pas de raison pour
considérer le génitif « des passions » comme un génitif subjectif »
(p. 95). Je pense au contraire qu'on a bien ici un génitif
subjectif. L'idée d'une purification des passions, de passions qui sont
purifiées, est une idée peut-être courante chez les
néo-platoniciens mais on ne la trouve ni dans Platon ni dans Aristote.
Le passage fameux de la Politique (1342 a 7-11) qu'un siècle
avant Bernays et Weil, — je tiens à le signaler à M. S. — Bat-
teux citait et analysait déjà pour s'expliquer la catharsis, ce
passage donne l'idée d'une satisfaction générale éprouvée par
l'âme. Dans sa définition de la tragédie « Aristote ne dit pas que la
tragédie purge ou épure la pitié ou la crainte » (Weil).
M. S. a invoqué entre autres passages, pour expliquer la
catharsis, un endroit des Lois (790c), où Platon parle du
traitement auquel on soumet les enfants difficiles à endormir et les
gens sujets au délire religieux ; on calme les uns en les berçant
et en leur chantant des mélodies, les autres par la danse et la
musique, bref on guérit ces agités par du mouvement et du
bruit. Il faut avouer qu'on est loin ici des effets produits par la
tragédie et qu'il n'y a de commun que l'idée d'une cure homceo-
pathique.
J'ai rappelé plus haut l'aphorisme répété plus d'une fois par
Aristote « apprendre est agréable ». M. S. qui en conteste la
vérité (p. 65) n'en saisit pas bien, je pense, la portée. Nous savons
tous par expérience qu'apprendre est mélangé de plaisir et de
peine. L'étude est peine dans la mesure où elle est effort vers le
vrai ; plaisir dans la mesure où elle est découverte du vrai. La
découverte du vrai peut toujours se ramener à la découverte
COMPTES RENDUS , 1043

d'un rapport. C'est cette brusque et joyeuse découverte


qu'envisage Aristote, qui explique par là le charme de la métaphore, des
expressions énigmatiques et des jeux de mots.
Gardons-nous de juger Aristote à la mesure d'idées modernes.
Sa doctrine, je ne dirai pas de la langue poétique — l'idée d'une
« langue poétique » est aussi étrangère à Aristote que la « règle
des unités» et la « purification des passions » — mais du langage,
de la λέξίς en poésie, est justifiée par toute la tradition littéraire
grecque. M. S. objecte (p. 58) : « même des mots simples,
communs, peuvent donner un bon poème ». Chez nous, oui peut-être,
et encore faut-il faire des réserves. On met bruyamment « le
bonnet rouge au vieux dictionnaire », on raille le mot « noble » mais
on écrit, par exemple :
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine.
Dans l'ensemble, l'ouvrage de M. S. est un exposé très complet
des théories d'Aristote et qui ferait très bonne impression si les
personnes qui se sont chargées de le revoir au point de vue de la
rédaction en français s'étaient mieux acquittées de leur tâche.
Malheureusement on a laissé subsister pas mal de « vices
d'oraison » qui déparent le texte. Ainsi p. 79 « d'exemple sert la
locution... », p. 127 « Aristote les classifie... », p. 204 « la couleur la plus
préférée... » p. 116, « Athena empêche que les Athéniens ne
s'enfuient pas.. » etc. (*).
J. Hardy.

Lane Cooper and Alfred Gudeman. A bibliography of the


Poetics of Aristotle. New-Haven, Yale University Press, 1928,
in-8°, 193 pages, (Cornell studies in English, XI) 2 dollars.
Jusqu'à présent, il n'y avait guère que deux sources
bibliographiques pour la Poétique : le grand catalogue manuscrit du
British Museum et les pages 299-321 de la Bibliographie
d'Aristote par Schwab (Paris, 1896), publication autographiée fort
imparfaite (B. Nat. : Q. 2339, 8°).
La bibliographie de MM. Cooper et Gudeman est le fruit d'un
long labeur. Elle comprend 1583 numéros répartis entre les
rubriques suivantes : I. Texte grec, avec ou sans traduction. —
II. Traductions, avec ou sans commentaire. — III.
Commentaires dans les éditions et traductions citées sub η18 I et II. —

(*) L'accueil fait par la critique au livre de Lane Cooper


(An Aristotelian Theory of Comedy, 1924) ne permet pas de dire
que cet auteur « a reconstitué la théorie d'Aristote sur la
comédie » (p. 8).

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