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Paru dans P. Wagner (dir.), Les philosophes et la science, Paris, Gallimard, 2002

BACHELARD, CANGUILHEM, FOUCAULT


Le "style français" en épistémologie

Il peut paraître paradoxal de parler de "styles nationaux" en philosophie, et plus


encore en philosophie des sciences : la poursuite de l'universel s'accommode mal de
frontières nationales. Il semble pourtant qu'il existe un certain nombre de traits communs à
la philosophie des sciences française contemporaine.
Cet "air de famille" frappe particulièrement les observateurs étrangers. Lorsque Gary
Gutting présente la philosophie des sciences continentale aux lecteurs anglo-saxons, il
évoque un "french network" en philosophie des sciences, ce "réseau" rassemblant Gaston
Bachelard (1884-1962), Georges Canguilhem (1904-1995) et Michel Foucault (1926-
1984)1. Lorsque Pietro Redondi édite pour les lecteurs indiens un choix de textes d'historiens
des sciences français, il parle d'un "débat français" en histoire des sciences 2. Deux des
meilleurs connaisseurs de cette période s'accordent donc pour reconnaître l'existence d'une
certaine tradition française en philosophie des sciences.
Ces traits communs sont également soulignés par d'autres observateurs, français mais
extérieurs, voire hostiles, à ce courant. Ainsi Vincent Descombes ne doute pas qu'il existe
une "école positiviste française, pour laquelle la philosophie passe par l'histoire des concepts
tels qu'ils sont à l'oeuvre dans les différentes spécialités savantes", dont serrait issu Michel
Foucault (39, 131-132). Cette "épistémologie post-bachelardienne", caractérisée par
l'"historicisme" et le "régionalisme épistémologique", conduirait, selon Pierre Jacob, à des
conclusions relativistes, voire "nihilistes" (46, 13).
Pour une vue "de l'extérieur", il semble donc bien qu'il existe quelque chose comme
une "épistémologie française". Cette représentation d'une certaine familiarité peut également
s'appuyer sur des témoignages "de l'intérieur", ceux des auteurs eux-mêmes. Canguilhem a
souvent insisté sur la filiation qui l'unit à Bachelard, auquel il a consacré de nombreux
articles et dont il a systématisé l'oeuvre épistémologique. Canguilhem fait même remonter
cette filiation plus loin, puisqu'il identifie chez Auguste Comte l'origine d'un "style français"
en philosophie des sciences qui se caractériserait par deux traits : l'épistémologie ne peut
être qu'historique, et cette histoire doit être "philosophique", c'est-à-dire critique, valorisée .
De même Foucault s'inscrit dans la lignée de Bachelard et Canguilhem, lorsqu'il
trace, à l'intérieur de la philosophie française contemporaine, une "ligne de partage" entre
une "philosophie de l'expérience, du sens, du sujet et une philosophie du savoir, de la
rationalité, du concept. D'un côté Sartre et Merleau-Ponty ; de l'autre Cavaillès, Bachelard,
Koyré, Canguilhem" (31,4). Foucault fait lui-aussi remonter ce clivage jusqu'au XIXè siècle,
jusqu'à Maine de Biran d'un côté et Comte de l'autre. Et il se réclame lui-même à l'évidence
de la première "filiation", dont il met en outre en avant la participation aux combats de la
Résistance, alors qu'elle semblait pourtant "la plus théoricienne, la plus réglée sur des tâches
spéculatives" (31,4).
Il est certain que Foucault donne ici une représentation extrêmement schématique de
l'histoire de la philosophie française, et Michel Fichant a pu à juste titre noter que la
"juxtaposition" des noms de Cavaillès, Bachelard, Koyré et Canguilhem "fait plus problème
qu'elle ne contribue à éclaircir une situation théorique" : "il serait plus instructif de discerner
ce que chacun de ces quatre noms comporte de propre" (36, 39). Il est en effet très

1Cf. G. Gutting, "Continental philosophy and the history of science", in R.C. Olby, G.N. Cantor, J.R.R.
Christie, M.J.S. Hodge, Companion to the History of Modern Science, Londres-New-York, 1990, p. 133 sq.
2 Cf. P. Redondi, V. Pilai, The History of Sciences. The French Debate, New Delhi, 1989
2

réducteur de faire de Canguilhem et Foucault de simples continuateurs de Bachelard. Les


intuitions premières de Canguilhem sont pour une large part antérieures à la rencontre avec
Bachelard (cf. (34). La lecture de Nietzsche explique sans doute mieux que celle de
Bachelard la genèse de l'oeuvre de Foucault. Quant à l'oeuvre de Bachelard elle-même, elle
n'est sans doute pas conforme à la lecture "canonique" qu'en propose Canguilhem.
Il est pourtant possible de discerner, s'agissant de leur conception de ce que doit être
la philosophie des sciences, un "air de famille" entre ces auteurs. Les deux premiers traits
qui caractérisent cet "air de famille" sont bien résumés par Vincent Descombes, qui reprend
à peu près une formule de Canguilhem : pour l'épistémologie française, "l'épistémologie ne
peut poser sérieusement ses questions qu'à l'intérieur de la philosophie des sciences", et
celle-ci ne "devient intéressante qu'à la condition de prendre la forme d'une histoire des
sciences" (39, 159). Il conviendrait d'ajouter que cette histoire des sciences n'est absolument
pas une histoire comme les autres, puisqu'elle est une histoire "critique", ou philosophique.
Enfin, si l'on veut envisager les conséquences d'une telle approche, il faut souligner, comme
l'a fait Foucault, que cette épistémologie française conduit nécessairement à une réflexion
plus large sur le caractère historique de la rationalité : "elle pose à la pensée rationnelle la
question non seulement de sa nature, de son fondement, de ses pouvoirs et de ses droits,
mais celle de son histoire et de sa géographie" (31,5). Ce sont donc ces quatre traits qui
semblent devoir caractériser l'épistémologie française : elle part d'une réflexion sur les
sciences, cette réflexion est historique, cette histoire est critique, et cette histoire est
également une histoire de la rationalité.
Reste à savoir comment qualifier cette "épistémologie française". Dominique
Lecourt, qui fut pour beaucoup dans la diffusion de ses principaux représentants à
l'étranger, insistait sur le fait qu'ils ne constituent pas une "école" à proprement parler et
estimait qu'il conviendrait plutôt de parler d'une "tradition" française en ce domaine (48, 5).
Cette perspective a certes de solides fondements institutionnels : Abel Rey, Bachelard et
Canguilhem se succédèrent à la Sorbonne et à la direction de l'Institut d'histoire des sciences
et des techniques. On pourrait aussi remarquer que la thèse de Foucault est dirigée par
Georges Canguilhem, qui dédie lui-même sa thèse à Gaston Bachelard, son directeur de
thèse, lequel dédie sa propre thèse à son directeur de thèse, Abel Rey 3. Une telle perspective
resterait superficielle et ne rendrait pas compte de l'originalité de chacun de ces auteurs. Il
pourrait aujourd'hui sembler plus judicieux de décrire les caractères communs à ces divers
auteurs en termes de "style de pensée scientifique", au sens que des philosophes des sciences
comme Ludwig Fleck, puis Alistair Crombie ou Ian Hacking ont pu donner à ce terme.
Parler de "style de pensée scientifique" permet à la fois de désigner des traits communs qui
apparaissent à un moment déterminé et perdurent un certain temps, mais qui en même temps
n'excluent pas l'individualisation de chacun des auteurs qui illustrent ce style. Cette notion de
style, on l'a montré, a tout à la fois une fonction "individualisante" et une fonction
"universalisante"4. Il est possible en ce sens de reconnaître un "style français" en
philosophie des sciences : c'est d'ailleurs ce que faisait Canguilhem lorsqu'il soulignait que,
par sa "conception philosophique" de l'histoire des sciences, Auguste Comte est "la source
de ce qui a été et de ce qui devrait rester, selon nous, l'originalité du style français en histoire
des sciences" (23,63) .
Si l'on admet l'existence d'un tel "style français" en philosophie des sciences, il
conviendrait aussi de choisir les auteurs qui l'illustrent le mieux. Il est certain qu'il faudrait en
chercher les premières manifestations chez Auguste Comte. Il serait également possible

3 Si l'on voulait remonter encore plus loin dans une telle investigation "institutionnelle", on pourrait noter
que la thèse d'A. Rey était dédiée à ... Ernest Renan.
4 Sur cette notion de style, cf J. Gayon, "De la catégorie de style en histoire des sciences", Alliage, 26,
printemps 1996
3

d'évoquer des auteurs moins connus comme Abel Rey, qui lui donnera son assise
institutionnelle. On devrait sans doute, comme le fait Foucault, évoquer l'oeuvre de
Cavaillès ou de Koyré. On pourrait également, en aval, d'évoquer les oeuvres de François
Dagognet ou de Michel Serres. Il serait également justifié de citer des auteurs qui ne sont
pas "français", mais qui retrouvent, à leur manière, certains aspects de cette tradition,
comme Ian Hacking, Lorraine Daston ou Wolf Lepenies. Il n'est en effet pas nécessaire
d'être "français" pour illustrer le "style français" en philosophie des sciences, et il semble
même que ce style connaisse aujourd'hui une plus grande vitalité à l'étranger qu'en France.
Nous nous limiterons pourtant ici aux oeuvres de Bachelard, Canguilhem et
Foucault, qui, chacun à leur manière, se sont le plus préoccupés des questions de méthode
en philosophie des sciences. Un accent particulier sera mis sur l'oeuvre de Canguilhem, à la
fois parce qu'elle est historiquement centrale, et aussi parce que, comme l'a montré François
Dagognet, elle oscille entre les "deux pôles" que représentent son maître Bachelard et son
disciple Foucault, entre l'institution et la contestation, entre le "positif" et le "négatif", "la
rationalité et le nietzschéisme" (37, 11). En ce sens Canguilhem illustre parfaitement les
diverses possibilités, ou, si l'on préfère, les diverses tentations de l'épistémologie française.

• Philosophie et sciences

L'épistémologie française s'indigne du désintérêt de la philosophie contemporaine


pour les sciences et leurs révolutions. Selon Bachelard, les philosophes ne se soucient guère
"du pluralisme et de la variété des faits scientifiques" (7,2). Ils n'ont pas entrepris l'effort
nécessaire pour intégrer les révolutions scientifiques contemporaines, en particulier la
théorie de la relativité, qui ont donné naissance à un "nouvel esprit scientifique".
Symétriquement Bachelard est déçu par ce qu'Althusser appellera la "philosophie spontanée
des savants". Lorsque les savants font des "professions de foi philosophiques", ils reprennent
quelques philosophies tout d'une pièce, qui ne rendent pas vraiment compte de leur activité
scientifique : "la science n'a pas la philosophie qu'elle mérite" (11,20) .
S'agissant des philosophes, leur éloignement de la science peut prendre deux
formes. Soit celle d'un pur et simple désintérêt pour la science, qu'illustrerait sans doute pour
Canguilhem l'oeuvre de Sartre. Soit, d'une manière plus subtile, celle de l'élaboration, à
propos de la science, d'une "philosophie claire, rapide, facile, mais qui reste une philosophie
de philosophe" (7,8). Il s'agirait alors d'énoncer a priori ce que doit être la science, sans se
préoccuper en rien de la science réellement existante. Ainsi Descartes, cible constante de
Bachelard, comme de Canguilhem ou Foucault, se contente du "je pense" pour fonder la
science : "l'identité de l'esprit dans le je pense est si claire que la science de cette conscience
claire est immédiatement la conscience d'une science, la certitude de fonder une philosophie
du savoir" (7,9).
Ce type d'attitude est critiqué par Bachelard et Canguilhem comme étant une
tentative de "fondation" des sciences : les philosophes "veulent toujours fonder une fois
pour toutes" (11,8). En voulant "fonder" les sciences d'une manière absolue, la philosophie
tente d'annuler leur originalité. L'exemple typique d'une telle erreur est donné par Meyerson,
qui est systématiquement critiqué par Bachelard : le dernier chapitre, "Rectification et
réalité", de l'Essai sur la connaissance approchée est ainsi une réponse à Identité et réalité
de Meyerson. Le "réalisme" et le "continuisme" de la philosophie de Meyerson
témoigneraient de son peu de curiosité pour les sciences effectives. En effet, contre le
"réalisme" la science contemporaine établit qu'il n'existe pas de donné : "le donné est relatif à
la culture, il est nécessairement impliqué dans une construction" (3,14). Et contre le
"continuisme" de Meyerson qui estime que "la science correspond à la même attitude que le
4

sens commun" 5, le "nouvel esprit scientifique" inauguré par la théorie de la relativité montre
qu'une expérience scientifique est alors une expérience qui contredit l'expérience commune"
(5, 10).
De telles tentatives de "fondation" sont inacceptables pour Canguilhem comme pour
Bachelard, car "ce n'est pas au philosophe de fixer à l'avance l'extension du concept de la
science"(21,20). Ainsi la philosophie ne doit pas intervenir "avant" la science pour lui dicter
des conditions. Mais la philosophie ne doit pas non plus intervenir "après" la science, et
réfléchir sur une état figé et dépassé de celle-ci. C'est le sens des critiques que Bachelard
adresse à Kant, dont les concepts de catégorie ou de substance sont invalidés par les
géométries non-euclidiennes ou les théories chimiques modernes. De même qu'il propose
une "épistémologie non cartésienne", Bachelard propose l'"ébauche d'un non-kantisme" à
propos de la notion de substance : cette notion a en effet "fonctionné correctement sur la
science newtonienne", mais il faut "l'ouvrir pour traduire sa fonction correcte dans la science
chimique de demain" (7,15).
Ni avant ni après la science, la philosophie doit donc être "contemporaine" de la
science : elle doit faire preuve d'un "franc modernisme" et "s'instruire dans l'inspiration d'un
esprit scientifique nouveau" (10,23) . Elle doit s'efforcer d'être "vraiment adéquate à la
pensée scientifique en évolution constante" (7,7) . Selon Canguilhem aussi la philosophie
"doit devenir contemporaine de la science"(23,191). En ce sens elle doit donc devenir une
"polyphilosophie", aussi plurielle que les sciences qui l'informent. Bachelard revient très
souvent sur cette idée que la science doit ordonner la philosophie, que "la science crée en
effet de la philosophie" (4,7). Ou bien, suivant une autre formule : "la science instruit la
raison. La raison doit obéir à la science, à la science la plus évoluée, à la science évoluante "
(7,144).
Ce n'est donc pas à la philosophie de déterminer ce que doivent être les sciences, qui
existent indépendamment d'elles et constituent le "donné" sur lequel travaille le philosophe
des sciences. Jean Hyppolite a souligné que Bachelard "part des sciences concrètes, du
phénomène de ces sciences (...). Son épistémologie est exactement une authentique
phénoménologie des sciences de la nature" (45, 668). L'épistémologie française ne se pose
pas la question du fondement des sciences. Il n'existe sur ce point aucune autre autorité que
les sciences elles mêmes dans leur histoire. Canguilhem le note à propos de Bachelard : "ce
rationaliste ne demande à la raison aucun autre titre généalogique, aucune autre justification
d'exercice que la science dans son histoire" (23,200).

• Contre la théorie de la connaissance

Dans la mesure où elle est une réflexion sur les sciences et pas sur la connaissance
"en général", l'épistémologie dans sa signification française, se distingue de l'épistémologie
au sens de théorie de la connaissance. Alors que le terme anglais epistemology, créé en 1854
par le fichtéen James Frederick Ferrier, ou le terme allemand Erkenntnistheorie, popularisé
en 1862 par l'historien de la philosophie Eduard Zeller, ont toujours le sens de théorie de la
connaissance, l'épistémologie française s'est constamment et explicitement déclarée hostile à
toute théorie de la connaissance. C'était déjà le cas chez Comte lorsqu'il critiquait les
notions de méthode ou de psychologie. Selon Comte, il n'est pas possible de connaître
"directement" les "lois de l'esprit humain", ces lois ne pouvant être connues que par l'étude
des résultats de l'esprit humain effectivement en exercice, c'est à dire par l'étude des sciences
et de leur histoire. Ce fut encore le cas chez Abel Rey qui affirmait, en ouverture du premier
numéro de Thalès, revue de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences : "la théorie de

5 E. Meyerson, Identité et réalité, 3ème éd., Paris, 1926, p. 433.


5

la connaissance n'est qu'une idéologie vague ou une dialectique verbale sans l'histoire
philosophique de la science" 6.
Bachelard récuse également la théorie de la connaissance lorsqu'il rejette toute
théorie de la méthode. Ce refus a chez lui une tonalité anticartésienne, comme en témoigne
son intervention au Congrès international de philosophie des sciences de 1966 : "l'heure n'est
plus sans doute à un Discours de la méthode. Déjà Goethe, à la fin de sa vie, écrivait :
Descartes a fait et refait plusieurs fois son Discours de la méthode. Cependant, tel que nous
le possédons aujourd'hui, il ne peut nous être d'aucun secours". La méthode cartésienne n'est
plus "pour ainsi dire" que "la politesse de l'esprit scientifique" (13,38-39). Cette méthode
pèche à la fois par sa fausse clarté et par son caractère statique. Il n'y a pas une, mais des
"méthodes multiples", en mouvement continu, toujours "en pointe", qui cherchent "le
risque" (13,39).
Canguilhem récuse lui aussi cette notion de méthode. Selon lui, il n'existe pas "une
méthode positive ou expérimentale constituée de principes généraux, dont seule l'application
est diversifiée par la nature des problèmes à résoudre". Et il cite sur ce point Bachelard : "les
concepts, les méthodes, tout est fonction du domaine d'expérience ; toute la pensée
scientifique doit changer devant une expérience nouvelle" (23,167,171). Critiquant ailleurs le
positivisme logique, Canguilhem affirme qu'il n'est pas possible de faire un exposé général de
la méthode scientifique : "il n'y a pas à proprement parler de méthode expérimentale"
(14,272) 7.
Dès lors toutes les questions classiques de la théorie de la connaissance sont récusées
par l'épistémologie française. C'est en particulier le cas de la question traditionnelle des
rapports entre le sujet et l'objet. Selon Bachelard, il n'existe pas plus d'objet donné que de
sujet fondateur. "L'objet ne saurait être désigné comme un "objectif immédiat" (5,239).
Construit dans le mouvement de la science, il est défini comme "la perspective des idées"
(3,246). Quant au "sujet" de la science, il n'a rien à voir avec un cogito prétendument
fondateur. Le cogito doit être remplacé par un "cogitamus" , puisque le sujet de la science
est un sujet collectif et historique (8,57). Cette critique d'un donné objectif est reprise par
Canguilhem qui insiste sur la "portée" de l'"axiome" bachelardien que l'"objet est la
perspective des idées" (19,6).
Les mêmes critiques se retrouvent, en d'autres termes, chez Foucault, lorsqu'il s'en
prend aux philosophies du sujet, toujours à travers l'exemple de Descartes, qu'il juge
responsable de "la priorité un peu sacrée conférée au sujet", alors qu'il convient de voir
"comment se produit, à travers l'histoire, la constitution d'un sujet qui n'est pas donné
définitivement, qui n'est pas ce à partir de quoi la vérité arrive à l'histoire, mais d'un sujet qui
se constitue à l'intérieur même de l'histoire" (32,2,540).

• Une réflexion historique sur les sciences

L'épistémologie française est donc une réflexion a posteriori sur les sciences. La
question qui se pose alors est de savoir comment cette épistémologie peut éviter d'être une
simple redite de la science, en moins bien informé ? Il peut sembler quelquefois que la

6A. Rey, "Avant-propos", Thalès, 1, 1935, p. XVIII. Rey se réfère ailleurs effectivement à Comte, "le
premier qui ait cherché à décrire l'évolution de la pensée en partant des faits, c'est à dire de son histoire, au
lieu de prendre pour base les théories dialectiques de la connaissance, la psychologie idéologique et la
logique traditionnelle" (A. Rey, "De la pensée primitive à la pensée actuelle", in Encyclopédie française, t.I,
1937, 1.10.11)
7 Cette condamnation est reprise par Bourdieu, Chamboredon et Passeron qui s'inspirent directement des
"Leçons sur la méthode" de Canguilhem, qu'ils publient en partie : "il serait vain de rechercher une logique
antérieure et extérieure à l'histoire de la science en train de se faire" (P. Bourdieu, J.C. Chamboredon, J.C.
Passeron, Le métier de sociologue. Préalables épistémologiques, 4ème éd., Paris, 1983, p. 21).
6

philosophie n'ait d'une certaine manière rien à ajouter à la science et le risque d'un
positivisme, ou plutôt d'un "scientisme" à la manière d'Abel Rey, semblerait pouvoir exister
chez Bachelard, comme le note Canguilhem lui-même, qui y voit une "difficulté" : "d'une
part Bachelard est très éloigné du positivisme. Il ne donne pas sa philosophie scientifique
pour une science philosophique. D'autre part, il ne décolle pas de la science quand il s'agit
d'en décrire et d'en légitimer la démarche" (23,200).
Comte répondait à cette critique en proposant que la philosophie "systématise" les
sciences. Ce n'est bien sûr absolument pas le type de rapport que l'épistémologie française
veut instaurer entre la philosophie et les sciences, puisqu'elle propose, avec Bachelard, une
"philosophie dispersée", une "polyphilosophie" : la philosophie n'a pas une fonction de
surplomb par rapport aux sciences, qu'elle classerait ou systématiserait.
C'est en fait son approche historique qui permet à l'épistémologie française de ne pas
simplement répéter les sciences : la philosophie des sciences est toujours en même temps une
histoire des sciences. A condition de comprendre qu'il ne s'agit pas d'une approche historique
en un sens classique. En même temps qu'ils se réfèrent à l'histoire des sciences, Bachelard,
Canguilhem ou Foucault refusent toute approche "historienne" au sens courant 8. Selon
Canguilhem "sans référence à l'épistémologie , une théorie de la connaissance serait une
médiation sur le vide et sans relation à l'histoire des sciences, une épistémologie serait un
doublet parfaitement superflu de la science dont elle prétendrait discourir" (23,12). Ce n'est
que dans la mesure où il est fondé sur l'histoire des sciences que le rapport entre philosophie
et sciences peut être fécond. C'est dans l'histoire des sciences que l'épistémologie française
espère trouver des réponses à des questions philosophiques traditionnelles, comme celles de
l'objectivité des sciences ou de la vérité et de l'erreur : en ce sens, selon Bachelard "tout
historien des sciences est nécessairement un historiographe de la vérité" (11,86).
Il serait sans doute possible de retrouver la même tradition de pensée "historique"
dans l'oeuvre de Paul Tannery, de Pierre Duhem ou de Léon Brunschvicg ou plus
anciennement encore dans l'oeuvre de Comte, et on a récemment pu juger que la rupture
entre Bachelard et ces auteurs a peut-être été surestimée par l'interprétation althussérienne 9.
Il n'en reste pas moins que l'épistémologie française fait du caractère historique des sciences
un trait essentiel, voire constituant. Ainsi Canguilhem fait paradoxalement de l'historicité un
critère de démarcation entre ce qui est scientifique et ce qui ne l'est pas. Alors que
l'historicité est couramment conçue comme contradictoire avec l'objectivité, Canguilhem voit
au contraire la preuve de la scientificité d'une discipline dans son caractère historique. "Une
science qui n'a pas d'histoire, c'est-à-dire une science dans laquelle il n'y a pas récusation de
certaines conditions d'objectivité à un moment donné et substitution de conditions
d'objectivité plus objectivement définies, une discipline ainsi conçue n'est pas une science"
(24,235) 10. C'est en cela que les sciences véritables s'opposent aux "fausses sciences",
comme l'astrologie, dont le propre est qu'elles n'ont pas d'histoire.
Cet intérêt pour l'histoire des sciences n'est pas simplement d'occasion, il est central
chez tous ces auteurs. La différence de style est claire avec la philosophie des sciences
anglo-saxonne, d'inspiration analytique, qui, jusqu'à Kuhn, choisissait de négliger l'étude du

8 Lorsque quelqu'un comme J. Roger se réclamait naguère d'une "histoire historienne des sciences", c'est en
partie à l'école française d'épistémologie historique qu'il s'opposait. Le débat existait déjà dans les années
1930 à Paris lorsque s'opposaient les "historiens" partisans de "l'histoire des sciences", comme P.Brunet et
A.Mieli, et les "philosophes" défenseurs d'une "histoire philosophique de la science" et critiques de
l'"histoire érudite" ou "historisante", avec A. Rey, H. Metzger, L. Febvre puis A. Koyré. Cf. sur ce point la
préface de P. Redondi à A. Koyré, De la mystique à la science, Paris, 1986.
9 Cf E. Castelli Gatinara, Les inquiétudes de la raison. Épistémologie et histoire en France dans l'entre-
deux-guerres, Paris, 1998, et surtout P. Redondi, Epistemologia e storia della scienza, Milan, 1978.
10 Cf. E. Balibar, "Science et vérité dans la philosophie de Georges Canguilhem", in Collectif, Georges
Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Paris, 1993.
7

"contexte de découverte" pour s'interroger uniquement sur le "contexte de justification", sur


les conditions auxquelles une théorie peut être reconnue comme scientifique.
Mais l'histoire des sciences telle que la conçoit l'épistémologie française s'oppose
point par point à l'histoire traditionnelle. Alors que la première règle de l'historien est un
impératif d'objectivité, l'épistémologie française proclame que l'histoire des sciences est une
histoire "jugée". Quand l'histoire est présentée, notamment par Comte, comme évolutive et
continue, l'histoire des sciences "à la française" est essentiellement discontinue. Quand
l'"histoire philosophique", à la manière de Hegel, se place au point de vue de la raison
universelle, l'histoire des sciences selon l'épistémologie française est une histoire
essentiellement régionale 11 .

• Une histoire "jugée" et "récurrente"

Cette histoire des sciences ne doit pas être "objective", mais "jugée". Dans
"L'actualité de l'histoire des sciences" Bachelard énonce cette règle ouvertement
scandaleuse : "en opposition complète aux prescriptions qui recommandent à l'historien de
ne pas juger, il faut au contraire demander à l'historien des sciences des jugements de valeur"
(13,141). C'est un point qui distingue radicalement l'histoire des sciences de "l'histoire des
empires et des peuples" qui "a pour idéal, à juste titre, le récit objectif des faits " (10,24).
Pour Canguilhem également l'histoire des sciences est une histoire normative. Selon
lui, "au modèle du laboratoire, on peut opposer, pour comprendre la fonction et le sens d'une
histoire des sciences, le modèle de l'école ou du tribunal, d'une institution et d'un lieu où l'on
porte des jugements sur le passé du savoir, sur le savoir du passé" (23,13). Le juge c'est
l'épistémologie "qui est appelée à fournir à l'histoire le principe d'un jugement, en lui
enseignant le dernier langage parlé par telle science" (ibid.).
Le Nietzsche des Considérations inactuelles est bien sûr ici présent en arrière-plan,
chez l'un comme chez l'autre auteur. Bachelard le cite d'ailleurs : "en histoire des sciences, il
faut nécessairement comprendre, mais aussi juger. Là est vraie plus qu'ailleurs cette opinion
nietzschéenne : "ce n'est que par la plus grande force du présent que doit être réinterprété le
passé" (10,24).
Cette idée de jugement suppose un regard porté du présent sur le passé. Ce retour du
présent sur le passé est pensée par Bachelard sous le concept de "récurrence", introduit
dans l'Activité rationaliste de la physique contemporaine. Il convient, selon lui, de "formuler
une histoire récurrente, une histoire qu'on éclaire par la finalité du présent, une histoire qui
part des certitudes du présent, et découvre, dans le passé, les formations progressives de la
vérité" (10,26). Bachelard illustre également cette notion de récurrence en parlant de
"réactivité du sommet sur la base" (10,2), du présent sur le passé. C'est au nom de l'état
présent de la science, de la "science fraîche", qu'est jugé le passé de la science. Ce n'est
donc pas le passé mais le présent qui est fondamental : il faut inverser le rapport passé-
présent, contre "l'axiome qui voudrait que le primitif fut toujours fondamental" (10,2).
D'une certaine manière le présent reconstruit et réordonne le passé de la science. Cette
importance du présent permet de mieux comprendre certains traits de l'épistémologie
française, mais soulève aussi un certain nombre de difficultés.

11Il est certain qu'il conviendrait d'étudier cette remise en question de l'histoire traditionnelle en parallèle
avec les critiques que l'école des Annales et l'histoire des mentalités développent à peu près à la même
période. Sur ce point cf. Y. Conry, "Combats pour l'histoire des sciences. Lettre ouverte aux historiens des
mentalités", Revue de synthèse, 111-112, juillet-décembre 1983. Il conviendrait ainsi de réfléchir sur le sens
de la collaboration suivie qui fut celle de L. Febvre et du fondateur de l'Institut d'histoire des sciences, A.
Rey.
8

Elle permet par exemple de comprendre le caractère quasi politique de l'histoire des
sciences telle que la pratique Canguilhem. On s'est souvent étonné du caractère
apparemment très technique de ses études d'histoire des sciences. Mais il faut en fait
souligner que le choix de ses sujets d'étude répond à des raisons très actuelles, qui éclairent
le caractère souvent fort polémique de ses exposés. Si Canguilhem choisit de faire l'histoire
de la formation du concept de réflexe, c'est pour s'attaquer, à une époque où la réflexologie
pavlovienne et le béhaviorisme watsonien sont dominants, au modèle d'une explication
mécaniste du vivant, répondant sous l'influence du milieu. Car une telle explication est selon
lui éthiquement inacceptable. Canguilhem l'explique dans son introduction à la Formation du
concept de réflexe : il s'agit de sauver l'autonomie de l'homme, la "dignité éminente qu'à tort
ou à raison l'homme attribue à la vie humaine (...) L'essence de la dignité, c'est le pouvoir de
commander, c'est le vouloir" (18,7). La même explication vaut bien sûr plus encore pour ce
morceau d'histoire des sciences de combat que constitue "Qu'est ce que la psychologie ?"
(cf. (35)) .
Cette idée d'une histoire récurrente, qui présente certaines analogies avec ce que les
anglo-saxons qualifient de "whiggisme" historique, permet également de mieux distinguer le
"style français" en histoire des sciences de l'oeuvre d'Alexandre Koyré, dont on connaît
l'importance pour Kuhn. Koyré essaie en effet de décrire un moment dans l'histoire de la
pensée scientifique tel qu'il a pu apparaître à ses protagonistes, plutôt que de le traduire dans
un langage moderne et de le juger. Pour Koyré l'histoire de la pensée scientifique, vise à
"replacer les oeuvres étudiées dans leur milieu intellectuel et spirituel, à les interpréter en
fonction des habitudes mentales, des préférences et des aversions de leurs auteurs" et donc à
"étudier les erreurs et les échecs avec autant de soin que les réussites" 12.
Cette notion de récurrence soulève également toute une série de difficultés. Le
premier risque consisterait à reconstruire le passé de manière à ce qu'il annonce les vérités
présentes. On retomberait ainsi dans ce que Canguilhem disqualifie sous le nom d'"histoire
des savants", telle qu'elle apparaît par exemple dans les préliminaires ou "abrégés
historiques" en introduction aux manuels scientifiques, et qui consiste à voir dans le passé
l'annonce de la vérité présente et à permettre ainsi à un savant "d'accréditer sa découverte
dans le passé, faute momentanément de pouvoir le faire dans le présent" (23,11).
Canguilhem dénonce également l'erreur très répandue qui consiste à rechercher des
"précurseurs". Ce "virus du précurseur" serait le "symptôme le plus net d'inaptitude à la
critique épistémologique" (23,21) 13. Une telle recherche des précurseurs interdit de saisir la
nouveauté véritable en histoire : "s'il existait des précurseurs l'histoire des sciences perdrait
tout sens, puisque la science elle même n'aurait de dimension historique qu'en apparence
(ibid.). Mais elle empêcherait aussi de comprendre le sens d'un concept à l'intérieur d'un
système ou d'une époque déterminés. Lorsqu'on fait de Lamarck le "précurseur" de Darwin,
on se condamne à ne comprendre ni l'originalité de Darwin, ni la cohérence de Lamarck.
Cette notion de précurseur est tout à fait contradictoire puisqu'un précurseur "ce serait un
penseur de plusieurs temps, du sien et de celui ou de ceux qu'on lui assigne comme ses
continuateurs"(ibid.). Une telle notion supposerait en outre que l'histoire ait un caractère
linéaire, qu'elle soit une "course" unique : "un précurseur serait un penseur, un chercheur qui

12 A. Koyré, Etudes d'histoire de la pensée scientifique, Paris, 1973, p. 14. On peut voir ici une première
formulation du "principe de symétrie" cher à B. Barnes et D. Bloor qui veut que l'on traite de la même
manière les croyances vraies et les croyances fausses.
13 L'expression de "virus du précurseur" est empruntée à J.T. Clark, "The philosophy of science and the
history of science", in M. Clagett (éd.), Crititical Problems in the History of Science, Madison, 1959. Une
même réflexion sur la notion de "précurseur" se retrouve chez Hélène Metzger, "Le rôle des précurseurs dans
l'évolution de la science" (1939), in H. Metzger, La méthode philosophique en histoire des sciences, Paris,
1987.
9

aurait fait jadis un bout de chemin achevé plus récemment par un autre" (ibid.). Or il n'est
absolument pas certain qu'il s'agisse bien du même chemin.
Conscient de cette difficulté Bachelard avait noté qu'"il faut un véritable tact pour
manier les récurrences possibles" (13,143). Pourtant lorsqu'il voit dans l'histoire des sciences
une histoire "du progrès des liaisons rationnelles du savoir" (13,146) ou une "histoire des
défaites de l'irrationalisme"(10, 27), Bachelard ne se dégage sans doute pas entièrement de
l'idéologie du progrès qui va de pair avec cette histoire des savants. Canguilhem est sans
doute plus sensible que Bachelard aux risques de cette notion de récurrence. Il avoue ses
réserves face à une application mécanique de la théorie de la récurrence et prêche pour un
"bon usage des récurrences" : "la méthode historique de récurrence épistémologique ne
saurait être tenue pour un passe-partout" (27,24). Selon Canguilhem, elle est d'ailleurs sans
doute très liée au champ dans lequel elle a été conçue par Bachelard, celui de la physique
mathématique et de la chimie des synthèses calculées.
Une seconde difficulté soulevée par cette histoire récurrente tient au fait qu'elle
donne un caractère absolument provisoire à toute histoire des sciences. Bachelard reconnaît
cet "élément ruineux" qui tient au "caractère éphémère de modernité de la science" (13,144).
Il faudrait refaire l'histoire des sciences à chaque nouvelle découverte importante. Bachelard
assume franchement cette conséquence "relativiste" : "à chacun de ses succès la science
redresse la perspective de son histoire"(10,17) 14. Mais il existe selon lui une "dialectique
d'histoire périmée et d'histoire sanctionnée par la science actuellement active" (10,25) :
certaines théories, comme celle du phlogistique, sont absolument périmées car elles reposent
sur une "erreur fondamentale", alors que d'autres travaux, comme la théorie du calorique de
Black, "même s'ils contiennent des parties à reprendre, affleurent dans les expériences
positives de la détermination des chaleurs spécifiques" (10,25-26). Canguilhem accepte lui
aussi une telle conséquence et son histoire du concept de réflexe comprend dès lors comme
élément essentiel une "histoire de l'historique du réflexe". Ailleurs il reconnaît volontiers que
ses propres travaux sur le vitalisme sont en partie invalidés par les découvertes de la biologie
moléculaire et qu'il devrait sans doute les réécrire dans cette perspective.
Une troisième difficulté que soulève cette notion de récurrence est la question de la
définition même du passé. Il semble que ce passé soit lui-même reconstruit, qu'il ne puisse
pas être considéré comme donné. Canguilhem souligne que "pris absolument le concept de
passé d'une science est un concept vulgaire. Le passé est le fourre-tout de l'interrogation
rétrospective" (27,13). Le passé d'une science est en ce sens autre chose qu'une
chronologie. Le rythme même de l'histoire des sciences varie suivant l'intensité des périodes
ou la richesse des domaines étudiés : "le temps de l'histoire des sciences ne saurait être un
filet latéral du cours général du temps (...) le temps de l'avènement de la vérité scientifique,
le temps de la véri-fication, a une liquidité ou une viscosité différentes pour des disciplines
différentes aux mêmes périodes de l'histoire générale" (23,19). Cette reconstruction du passé
par l'épistémologie ouvre donc de vastes mais périlleuses perspectives à l'histoire des
sciences, comme le note Suzanne Bachelard, citée par Canguilhem : "l'historien (des
sciences) construit son objet dans un espace-temps idéal. A lui d'éviter que cet espace-temps
ne soit imaginaire" (27,14).

• Discontinuités et "ruptures"

Il est un autre point sur lequel l'histoire épistémologique des sciences se distingue
très nettement de l'histoire au sens classique, c'est celui de la discontinuité. Contre l'histoire

14 C'est ce que note aussi Kuhn : "les manuels et la tradition historique qu'ils impliquent doivent être
réécrits après chaque révolution scientifique (La structure des révolutions scientifiques , Paris, 1983, p.
191-192).
10

"continuiste", l'histoire des sciences à la française est une histoire discontinuiste, une histoire
des "ruptures". Cet interprétation a sans doute été majorée par l'interprétation
althussérienne de Bachelard, qui radicalise la "rupture" en la transformant en "coupure
épistémologique", mais elle constitue néanmoins un caractère essentiel de cette histoire des
sciences, au moins chez Bachelard et Foucault 15. Il faut aussi noter que ces ruptures
découvertes par l'histoire des sciences ne sont pas seulement des ruptures au sens temporel,
mais aussi des fractures au sens spatial, géographique, du terme. L'histoire des sciences à la
française est une histoire des ruptures, mais aussi une histoire des "régions" ou des
"continents" du savoir.
Il est courant de dire que ce discontinuisme de l'épistémologie française s'oppose au
"continuisme" de Duhem ou de Meyerson. Il s'agit aussi, voire surtout pour Canguilhem, de
se démarquer de l'histoire des sciences évolutionniste d'Auguste Comte, qui ne laisse place
pour aucune véritable nouveauté, tout étant en quelque sorte "en germe" dès le point de
départ. Canguilhem critique explicitement Comte, pour qui "l'histoire de l'humanité (...)
connaît des transformations, des métamorphoses, mais jamais de crises véritables, jamais de
ruptures et jamais d'innovations" (20,24). Selon Canguilhem l'histoire des sciences "doit être
écrite comme une histoire et non comme une science, comme une aventure et non comme un
déroulement" (18,157). Ici aussi il est possible de penser à Nietzsche. A l'histoire antiquaire
qui veut toujours retrouver des continuités, "qui ne s'entend qu'à conserver la vie" et "fait
toujours trop peu de cas de ce qui est dans son devenir", Nietzsche oppose une généalogie
qui doit au contraire permettre "la robuste décision en faveur de ce qui est nouveau"16.
Pour Bachelard l'histoire des sciences est d'abord caractérisée par "une rupture, de
perpétuelles ruptures, entre connaissance commune et connaissance scientifique" (11, 207).
C'est en particulier le cas avec le "nouvel esprit scientifique" qui contredit radicalement
l'expérience commune, ce que n'a pas su voir Meyerson : "l'époque contemporaine
consomme précisément la rupture entre connaissance commune et connaissance
scientifique"(8,102) . La science n'est pas le "pléonasme de l'expérience" (8,38) , le
phénomène scientifique est le résultat complexe d'une construction théorique et technique.
La formule selon laquelle tout réel progrès de la pensée scientifique nécessite "non
seulement une réforme de la connaissance vulgaire, mais encore une conversion" semble
pouvoir être interprétée de manière traditionnelle, platonicienne, comme une dévalorisation
de l'expérience sensible (8,24). Ce n'est en fait pas le cas, puisque Bachelard souligne la
richesse de cette expérience sensible, qui n'est pas pure privation, comme le montrent les
ressources de l'imaginaire qu'examinent ses ouvrages "poétiques".
De manière plus originale Bachelard montre que le progrès à l'intérieur même de la
science est caractérisé par des "révolutions", "ruptures" ou "mutations" entre théories
scientifiques successives. "Ainsi, même dans l'évolution historique d'un problème particulier,
on ne peut cacher de véritables ruptures, des mutations brusques, qui ruinent la thèse de la
continuité épistémologique" (3,270). Son intérêt pour la physique mathématique le conduit à
souligner de telles ruptures. Bachelard utilise la notion d'"actes épistémologiques" pour
désigner ces "saccades du génie scientifique qui apporte des impulsions inattendues dans le
cours du développement scientifique"(10,25) .
Foucault reprend ce point de vue discontinuiste. Il note que l'histoire des sciences
"échappe en grande partie au travail de l'historien et à ses méthodes" dans la mesure où son
attention s'est déplacée vers des "phénomènes de rupture" (30,10). Il se réclame
explicitement de Bachelard : "dans ses réflexions sur la discontinuité dans l'histoire des
sciences et dans l'idée d'un travail de la raison sur elle-même au moment où elle se constitue

15 L. Althusser s'est flatté d'avoir "donné tout son tranchant" à cette notion bachelardienne de "rupture
épistémolgique" en la qualifiant de "coupure épistémologique" (2, 31).
16F. Nietzsche, Seconde considération intempestive (1874), Paris, 1988, p.99-100.
11

des objets d'analyse, il y avait toute une série d'éléments dont j'ai tiré profit et que j'ai repris"
(32,4,56) 17. L'"archéologie" foucaldienne se distingue de l'"histoire des idées" dans la
mesure où elle entend parler "de coupures, de failles, de béances, de formes entièrement
nouvelles de positivité, et de redistributions soudaines " (30,221).
Canguilhem n'est sans doute pas aussi sensible aux ruptures. Dans l'histoire des
sciences biologiques et médicales à laquelle il se consacre, il est en effet difficile de constater
de véritables ruptures. Il préfère donc envisager plus que des ruptures uniques, des "ruptures
successives ou des ruptures partielles" dans l'oeuvre d'un même personnage historique
(27,25) . Canguilhem va même assez loin en ce sens puisque qu'il conteste le caractère de
rupture d'un épisode aussi emblématique que la révolution copernicienne : même "les
révolutions copernicienne et galiléenne ne se sont pas faites sans conservation d'héritage"
(ibid.). Ou alors, dans une vision oecuménique, il tente de dépasser l'opposition entre
continuisme et discontinuisme, qui ne serait sans doute pas aussi essentielle qu'on a voulu le
dire : "l'épistémologie des ruptures convient à la période d'accélération de l'histoire des
sciences (....), l'épistémologie de la continuité trouve dans les lents commencements ou
l'éveil d'un savoir ses objets de préférence" (27,26). Plutôt que de marquer des ruptures,
Canguilhem préfère rechercher des "filiations", comme dans La formation du concept de
réflexe, où il entreprend de montrer que le véritable "père" du concept de réflexe est le
médecin vitaliste Willis et non le mécaniste Descartes : "en matière d'histoire des sciences, le
premier devoir est de reconnaître comme père celui qui l'est effectivement, même si tel autre
est jugé plus digne d'avoir pu l'être" (18,69) .

• "Obstacles épistémologiques" et erreurs

Le constat de l'existence de ruptures épistémologiques est premier dans la pensée de


Bachelard, dès l'époque de sa thèse. Comme l'a souligné Canguilhem, c'est seulement
"ensuite qu'il a élaboré les concepts philosophiques aptes à en rendre compte" (23, 185).
Rupture implique qu'il y a quelque chose à rompre, et ce avec quoi il faut rompre, c'est ce
que Bachelard qualifiera d'"obstacles épistémologiques". "C'est en termes d'obstacles qu'il
faut poser le problème de la connaissance scientifique" (5,13). Selon Bachelard ces obstacles
à la connaissance scientifique sont internes à la connaissance elle même. "C'est dans l'acte
même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle,
des lenteurs et des troubles" (ibid.). Cette idée d'obstacles inhérents à l'esprit humain ne peut
manquer d'évoquer ce que Francis Bacon qualifiait d'"idoles de la tribu", notamment dans le
Novum organum en 1620.
Ces obstacles sont décrits par Bachelard en termes psychologiques ou
anthropologiques, ce que déploreront ensuite Canguilhem comme Foucault. Dans La
Formation de l'esprit scientifique Bachelard énumère, à propos de la naissance de la
science moderne au XVIIè et au XVIIIè siècles, toute une série d'obstacles qui consistent
essentiellement dans la persistance d'images au sein de la science : l'enracinement dans
l'expérience quotidienne, l'obstacle verbal où un mot ou une image constitue l'explication,
l'obstacle substantialiste ou réaliste, l'obstacle animiste qui valorise la vie, l'excès de
précision. Tous ces obstacles ne sont pas pure privation, mais ils manifestent aussi une réelle
richesse, notamment d'un point de vue imaginaire et poétique.
Pour combattre ces obstacles Bachelard propose une "psychanalyse de la
connaissance objective", qui est en fait surtout une "catharsis intellectuelle", ou mieux

17Une telle représentation de l'histoire des sciences évoque également la notion kuhnienne de "révolutions
scientifiques" (Cf. T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, (1962), Paris, 1983).
12

encore une "réforme de la pensée", une "surveillance intellectuelle de soi", selon le titre d'un
chapitre du Rationalisme appliqué 18.
Cette notion d'obstacle n'a cependant pas une signification purement négative. Les
obstacles sont nécessaires pour que la pensée existe puisque c'est en butant contre eux
qu'elle se constitue et prend forme. Bachelard insiste toujours à sa manière sur la positivité
du négatif : il faut "détruire pour créer" (9,48) .
D'où l'importance corrélative de la notion d'erreur, qui prime, à tous les sens du
terme, sur la notion de la vérité. L'erreur est première chronologiquement, elle est toujours
déjà là : "il ne saurait y avoir de vérité première. Il n'y a que des erreurs premières" (12,89).
C'est contre cette erreur première et nécessaire que se constitue la connaissance
scientifique : "la connaissance scientifique est toujours la réforme d'une illusion" (12, 14).
Comme le dit le Bachelard poète "la source initiale est impure" (6,9).
Canguilhem insiste lui-aussi sur le "primat théorique de l'erreur" puisqu'il en fait le
"premier axiome" de l'épistémologie bachelardienne (19,5). Pour Canguilhem aussi la
connaissance est toujours impure, au moins aux commencements. Il va même jusqu'à
reconnaître que la connaissance scientifique commence par le mythe : "les théories
scientifiques, pour ce qui est des concepts fondamentaux qu'elles font tenir dans leurs
principes d'explication, se greffent sur d'antiques images, et nous dirions sur des mythes, si
ce terme n'était aujourd'hui dévalorisé". Le "plasma initial" est-il autre chose qu'un avatar
logique du fluide mythologique générateur de toute vie, de l'onde écumante d'où émergea
Vénus ?"(17,79). Mais les obstacles à la connaissance scientifique seront de plus en plus
conçus par Canguilhem comme sociaux ou politiques. C'est pour cette raison qu'il emprunte
à Althusser et Foucault la notion d'"idéologie" pour forger, dans les années 1970, le concept,
apparemment contradictoire, d'"idéologie scientifique". Le recours à cette notion est selon
lui "une façon de rafraîchir, sans la rejeter, la leçon (de Bachelard) dont quelques libertés
qu'ils aient prises avec elle, mes jeunes collègues s'étaient en fait inspirés et fortifiés" (27,9).
Canguilhem définit l'idéologie scientifique comme une "croyance qui louche du côté d'une
science déjà instituée, dont elle reconnaît le prestige et dont elle cherche à imiter le style"
(27,44). L'histoire des sciences a alors pour devoir de ne pas s'intéresser seulement aux
sciences mais aussi aux idéologies contre lesquelles elles se constituent. L'histoire des
sciences doit d'un côté "séparer" science et idéologie scientifique, "revendiquer et inclure
aussi l'histoire des rapports d'éviction de l'inauthentique par l'authentique" (27, 33). Mais elle
doit aussi "entrelacer" science et idéologie, pour éviter "de réduire l'histoire d'une science à
la platitude d'un historique, c'est-à-dire d'un tableau sans ombres de relief" (27,45).
Là aussi, comme chez Bachelard, il y a une véritable positivité du négatif. L'idéologie
scientifique, contrairement à l'idéologie au sens marxiste, n'est pas qu'illusoire, elle a, dans
bien des cas, une fonction positive. Ainsi le vitalisme, quoiqu'erroné, exprime une
revendication légitime d'autonomie de la biologie : le vitalisme convient "à toute biologie
soucieuse de son indépendance à l'égard des ambitions annexionnistes des sciences de la
matière" (17,84). L'idéologie scientifique a également une fonction d'anticipation, de
"condition de possibilité" pour la constitution de la science : "la production progressive de
connaissances scientifiques nouvelles requiert, à l'avenir comme dans le passé, une certaine
antériorité de l'aventure intellectuelle sur la rationalisation, un dépassement présomptueux,
par les exigences de la vie et de l'action de ce qu'il faudrait déjà connaître et avoir vérifié,
avec prudence et méfiance" (27, 38).

• "Rationalismes régionaux"

18Cf. l'analyse ironique que M. Serres fait de la "moralisation" bachelardienne de la science ("La réforme
et les sept péchés " (50, 211 sq.).
13

De même que l'épistémologie historique se caractérise par des ruptures dans le


temps, elle est aussi marquée par des décrochages dans l'espace. Chez Bachelard comme
chez Canguilhem, l'idée est largement développée que les méthodes scientifiques ne sont pas
les mêmes suivant les disciplines, suivant les "régions" du savoir. La conclusion d'un tel point
de vue a été tirée par Bachelard qui n'a pas hésité à parler de "rationalismes régionaux" : il
existe des "régions distinctes dans l'organisation rationnelle du savoir" (8,119). Bachelard
étudie ainsi dans le Rationalisme appliqué un "rationalisme électrique" ou un "rationalisme
mécanique". Contre un rationalisme "épris d'unité", il ne faut pas hésiter à "fragmenter le
rationalisme pour bien l'associer à la matière qu'il informe, aux phénomènes qu'il règle, à la
phénoménotechnique qu'il fonde" (8,131). En même temps Bachelard convient que les
rationalismes régionaux sont dotés d'une certaine puissance d'intégration : "dans tout
rationalisme régional, il y a un germe de rationalisme général" (13,69). Cette notion de
région a sans doute aussi chez Bachelard une dimension ontologique et Jean Hyppolite
notait justement que Bachelard parlait "d'édifices divers, de domaines de rationalité, par
analogie avec ce que Husserl nommait des ontologies régionales" et qu'il se refusait ainsi à
une "philosophie de la totalité" (45, 650) .
Canguilhem reprend lui-aussi cette métaphore géographique, lorsqu'il note, pour
caractériser l'épistémologie historique, que, "par opposition à la philosophie des sciences,
c'est une étude spéciale ou régionale (...) ; l'étude critique des principes, des méthodes et des
résultats d'une science" (21,19). Selon lui, "il n'est de critique philosophique que de la part
de la raison appliquée et toute application est par nécessité régionale" (26, 66). Toute une
série de métaphores spatiales -frontières, déplacements, importations et exportations de
concepts- permettent également à Canguilhem de décrire les rapports entre science et
idéologie scientifique : ainsi l'idéologie scientifique serait "dé-portée" par rapport au site que
viendra tenir la science : "quand une science vient occuper une place que l'idéologie semblait
indiquer, ce n'est pas à l'endroit que l'on attendait" (27,40) .
Quant à Foucault, il présente Les mots et les choses comme "une étude strictement
"régionale" (32,2,8) et l'"archéologie" comme une "comparaison toujours limitée et
régionale" (29,206) . Il privilégie délibérément une telle étude spatiale par rapport à une
étude historique : il s'agit de cartographier des "territoires archéologiques" et de décrire
"non pas tant la genèse de nos sciences qu'un un espace épistémologique propre (32,2,9).
La métaphore spatiale avait aussi été reprise et radicalisée par Althusser qui évoquait, dans
Lénine et la philosophie, des "continents" scientifiques : "si nous considérons en effet les
grandes découvertes scientifiques de l'histoire humaine, il semble que nous puissions
rapporter ce que nous nommons les sciences, comme autant de formations régionales à ce
que nous appellerons les grands continents théoriques". "Deux continents", mathématiques
et physique, auraient été ouverts à la connaissance scientifique par Thalès et Galilée, Marx
lui ouvrirait un "troisième continent, le continent histoire" (1,24). De même qu'il préférait la
coupure à la rupture, Althusser expliquait préférer le continent à la région, car cette
métaphore du continent accentue une idée de coupure que ne comporte pas celle de la
région.

Ce régionalisme épistémologique, ou cette pluralité des rationalismes, semble être


conforme au caractère pluriel, irréductiblement divers des sciences. L'unité, ou la recherche
de l'unité, serait un caractère essentiellement "philosophique", au mauvais sens du terme,
alors que les sciences sont toujours "désunies", comme disent désormais les auteurs anglo-
saxons 19.

19Cf sur ce point Galison, Peter, Stump, D. J., The Disunity of Science. Boundaries, Contexts, and Power,
Stanford, 1996.
14

C'est là une des critiques majeures que Canguilhem fait au positivisme logique,
auquel il oppose le positivisme comtien extrêmement sensible à l'"irréductibilité" des diverses
sciences dans la classification. L'épistémologie de Canguilhem se flatte d'être une étude
régionale par opposition à la philosophie des sciences qui "a comme objectif l'unification des
savoirs" et "qui peut, mais ce n'est pas sans danger, se prolonger en théorie de la
connaissance" (21,19-20).

• Histoire et géographie des rationalités

La nouvelle épistémologie que développent ces auteurs les conduit à une réflexion
sur le devenir de la raison, qui ne peut être connue qu'à travers les sciences. La conception
qui s'en dégage tend à rendre les formes de la raison dépendantes de conditions historiques
ou "géographiques".
Ainsi Bachelard explique que, puisque "la raison doit obéir à la science", elle doit en
suivre les "dialectiques" : "la doctrine traditionnelle d'une raison absolue et immuable n'est
qu'une philosophie. C'est une philosophie périmée" (7,145). Le rationalisme nouveau ou
"surrationalisme" que Bachelard propose est toujours à conquérir. Cette querelle autour du
rationalisme et de l'irrationalisme est certes pour une large part un débat très daté pour
sociétés françaises de philosophie. Foucault ne veut bien sûr pas y participer de cette
manière et "jouer le rôle arbitraire et ennuyeux du rationaliste ou de l'irrationaliste" (32, 4,
135). Il retient en revanche la leçon bachelardienne et canguilhemienne de l'historicité de la
rationalité et reconnaît "avoir tiré profit" de l'idée de Bachelard d'un "travail de la raison sur
elle-même au moment où elle se constitue des objets d'analyse" (32,4,56). Il s'agit de
"dégager la forme de rationalité qui est présentée comme dominante et à laquelle on donne
le statut de la raison pour la faire apparaître comme l'une des formes possibles du travail de
la rationalité" (32,4,440). Refusant "le chantage qu'on a très souvent exercé à l'égard de
toute critique de la raison ou de toute interrogation critique sur l'histoire de la rationalité",
Foucault estime qu'il est possible de "faire une "histoire contingente de la rationalité" comme
il est possible de faire une "critique rationnelle de la rationalité" (32,4,440). Si Foucault
revient à plusieurs reprises sur le texte de Kant "Qu'est ce que les Lumières ?", c'est qu'il y
voit la première tentative pour poser à la raison la question "de son histoire et de sa
géographie, celle de son passé immédiat et de ses conditions d'exercice, celle de son
moment, de son lieu, et de son actualité" (31,5). La rationalité, tout en prétendant à
l'universel, connaît des formes historiquement déterminées.
La raison est également déterminée par son domaine d'application. Canguilhem
distingue ainsi du "rationalisme français traditionnel", rationalisme des "idées claires" fondé
sur les sciences mathématiques, un "rationalisme vital", enté sur la biologie, qui propose une
définition toute nouvelle de la raison : "si l'on entend par raison moins un pouvoir
d'aperception de rapports essentiels inclus dans la réalité des choses ou de l'esprit qu'un
pouvoir d'institution de rapports normatifs dans l'expérience de la vie, alors en ce sens nous
voulons nous dire aussi rationaliste ou, plus exactement, nous pouvons souscrire à la belle
formule de M. Bachelard, dans son livre l'Eau et les rêves : "rationaliste ? Nous nous
efforçons de le devenir...." (16,332). Dans cette même "Note sur la philosophie biologique"
de 1947, Canguilhem évoquait déjà une "histoire et géographie" des rationalistes à propos
des critiques contemporains de la philosophie biologique : "les condamnations brutales de
certaines attitudes philosophiques nous paraissent relever de l'histoire et de la géographie
des rationalistes bien plutôt que de l'universalité de la raison" (16,328).
Chez Foucault une telle spatialisation de la raison permet en outre d'établir un lien
plus net entre les savoirs et les pouvoirs : "dès lors qu'on peut analyser le savoir en termes
de région, de domaine, d'implantation, de déplacement, de transfert, on peut saisir le
15

processus par lequel le savoir fonctionne comme un pouvoir, et en reconduit les effets"
(32,3, 33). C'est autour de cette représentation spatiale que se noue le fameux lien
foucaldien entre pouvoir et savoirs.

• De la vérité aux normes

Foucault ne s'en tient cependant pas au simple constat d'une historicité de la raison.
Il souligne à plusieurs reprises que la lecture de Nietzsche, dans cette perspective, lui a
montré qu'"il ne suffit pas de faire une histoire de la rationalité, mais l'histoire même de la
vérité" (32,4,54) . Foucault se pose donc une question différente : "au lieu de demander à
une science dans quelle mesure son histoire l'a rapprochée de la vérité (...), ne faudrait-il pas
plutôt se dire que la vérité consiste en un certain rapport que le discours, le savoir entretient
avec lui-même et se demander si ce rapport n'est ou n'a pas lui même une histoire" ?
(32,4,54). L'ordre du discours propose l'ébauche d'une telle histoire de la "volonté de
vérité".
Une même interrogation sur la vérité se retrouve chez ce "nietzschéen sans cartes"
qu'était aussi Canguilhem 20. La vérité scientifique ne renvoie pas chez lui à une quelconque
objectivité, mais à l'histoire des énoncés scientifiques eux-mêmes et de leurs rectifications
successives : "la véridicité ou le dire vrai de la science ne consiste pas dans la reproduction
fidèle de quelque vérité inscrite de toujours dans les choses ou l'intellect. Le vrai, c'est le dit
du dire scientifique. A quoi le reconnaître ? A ceci qu'il n'est jamais dit premièrement"
(27,21). Cette conception conduit Canguilhem à définir la vérité comme une décision,
comme un événement. "Il n'y a pas de définition possible des mathématiques avant les
mathématiques, c'est-à-dire avant la succession encore en cours des inventions et décisions
qui constituent les mathématiques" (27,20). Cela ne vaut pas seulement pour les
mathématiques mais aussi pour les autres domaine de l'histoire des sciences. Dans la
Formation du concept de réflexe Canguilhem note que "sous un certain rapport, tout
jugement scientifique est un événement" (18, 156).
Canguilhem ne pose ainsi la question de la vérité qu'à l'intérieur d'une histoire du
discours scientifique. "Une science est un discours normé par sa rectification critique"
(27,21) , et le vrai "n'est pas une pro-position mais une pré-sup-position normative"
(25,176). L'histoire des sciences manifeste une incessante remise en question des énoncés
antérieurs, une réorganisation perpétuelle de son discours. Il est certain que cette conception
canguilhemienne de l'histoire des sciences ne peut se comprendre qu'à partir de sa
conception du vivant, qu'il définit par son caractère normatif. Dans son ouvrage classique, le
Normal et le pathologique, Canguilhem explique que "la vie est en fait une activité
normative", qui "institue des normes" (15,77). Dans la mesure où les sciences sont
l'expression du vivant humain, elles sont également caractérisées par cette capacité
normative : l'histoire des sciences est normative par rapport à elle-même, comme le vivant à
l'égard de lui-même. Selon Canguilhem "la normativité essentielle à la conscience humaine
ne s'expliquerait pas si elle n'était pas de quelque façon en germe dans la vie" (15,77). Cette
prégnance de la biologie dans la réflexion de Canguilhem est manifeste lorsqu'il emprunte les
termes biologiques de "formation" et de "déformation" pour définir l'histoire des sciences
comme "histoire de la formation, de la déformation et de la rectification des concepts
scientifiques" (23,235) .
Mais en même temps qu'il identifie science et vérité, Canguilhem avance, avec
Nietzsche, que la science est une "activité du vivant" humain parmi d'autres, telles que l'art
ou la morale, "sans privilège particulier au regard du jugement philosophique" (25,177).
Dans son article le plus nietzschéen, "De la science et de la contre-science", Canguilhem
20 C'est ainsi que Canguilhem se décrivait lui-même à M. Fichant (36, 48).
16

note qu'il y a la "possiblité d'un choix autre que celui dont procède la science"(25,176).
Celle-ci n'a pas un caractère de nécessité : "le principe de contradiction ne contraint pas à la
constitution de la science" (25,176). Et il conclut ainsi que la vérité est une valeur parmi
d'autres valeurs, comme le beau ou le bien. En ce sens valeur est un "terme plus général que
celui de vérité" (21,85), et "la vérité n'est pas la seule valeur à laquelle l'homme puisse se
consacrer" (21,28). Canguilhem se réfère ici explicitement à Nietzsche et à sa "théorie du
parti pris axiologique pour la vérité", Nietzsche qui "n'a jamais cessé de tenir la vérité
comme une valeur à situer parmi une pluralité de valeurs" (25,177). Sur ces questions
Canguilhem semble également s'inspirer d'un autre lecteur attentif de Nietzsche, Max
Weber, et de ses remarques sur le "polythéisme des valeurs" 21.
Cette idée que la science est une valeur parmi d'autres valeurs conduit Canguilhem à
des formules provocatrices, comme de dire qu'"il n'y a pas de vérité philosophique",
puisque "la valeur de vérité ne peut convenir expressément qu'à la connaissance scientifique"
(21,80). Ou encore à assurer "que "connaissance vraie" est un pléonasme ; que
"connaissance scientifique" aussi ; que "science et vérité" aussi" (21,22). Devant
l'étonnement de ses lecteurs philosophes, Canguilhem s'explique et précise : dire qu'il n'y a
de vérité que scientifique, cela "ne veut pas dire que la philosophie soit un jeu sans portée",
qu'elle n'a pas d'objet (21,28). La fonction de la philosophie est d'arbitrer entre les diverses
valeurs, scientifiques, esthétiques, morales ou politiques. Selon Canguilhem la philosophie
est le lieu où la vérité de la science se confronte avec d'autres valeurs, telles que les valeurs
esthétiques ou les valeurs éthiques. "La valeur philosophique", c'est "une idée, c'est l'idée
d'un tout où chacune des valeurs serait à sa place relativement aux autres" (21,28-29). Mais
Canguilhem conclut cependant : "voilà ce n'est peut être pas très clair" (21,86). Comme n'est
pas évidente non plus, selon lui, la coexistence chez Bachelard de "conscience de
rationalité" et "conscience créante du poète" : Bachelard est resté "parfaitement discret sur
l'économie de cette réussite" (25,177).
En même temps Canguilhem refuse les conséquences relativistes que l'on pourrait
tirer de sa définition du vrai. Il existe, selon lui, une différence entre un discours normatif,
une science, et tout autre type de discours. C'est cette question des normes qui distinguerait
sa propre épistémologie de celles de Foucault ou de Kuhn. Canguilhem note, dans son
compte-rendu des Mots et les choses , qu'il n'y a "pas de philosophie moins normative" que
celle de Foucault : or "s'agissant d'un savoir théorique est-il possible de le penser dans la
spécificité de son concept sans référence à quelque norme ?" (22,612) . De même
Canguilhem reproche à Kuhn de méconnaître les concepts de "critique philosophique" et
d'en rester au niveau de la "psychologie sociale" : malgré l'usage du terme de "science
normale" Kuhn méconnaîtrait la "rationalité spécifiquement scientifique" (27,23) 22.
Sur cette question du relativisme il semble cependant que Canguilhem puisse être
exposé aux mêmes critiques que Foucault. Lorsque des lecteurs anglo-saxons s'en prennent
au relativisme de Foucault, ils développent un certain nombre d'objections qui peuvent valoir
contre toute l'épistémologie française. Mais, à l'inverse, lorsque d'autres commentateurs
défendent l'idée qu'il est possible d'interpréter Foucault en un sens "rationnel", ils pourraient
par la même occasion "sauver " l'épistémologie historique.

21 On trouve la même inspiration dans la préface d'A. Rey au livre sur La philosophie des valeurs d'Alfred
Stern (Paris, 1936, p. 3), où Rey note que "le vrai est une valeur, tout comme le beau et le bien ; la recherche
de la vérité, qui est l'objet de la Science comme de la Philosophie (...) est la poursuite d'une valeur".
22 P. Jacob fait remarquer avec malice que si l'oeuvre de Kuhn est inacceptable pour Canguilhem, c'est qu'il
"dit tout haut ce que l'épistémologie post-bachelardienne pense tout bas : les changements de théories
scientifiques confèrent aux concepts une signification tellement différente qu'avant et après une révolution
scientifique le monde n'est plus le même". Cette "conclusion idéaliste" serait difficilement acceptable pour
cette épistémologie post-bachelardienne" (Jacob 29).
17

Selon Hilary Putnam ou Richard Rorty, la cause est entendue : Foucault est un
"relativiste" d'autant plus dangereux selon Putnam, qu'il est subtil et cultivé. Pour Rorty, il
est un "relativiste extrême", un nietzschéen, qui veut "abandonner la recherche de
l'objectivité et l'intuition de l'unicité de la Vérité" et "pour qui la vérité est subordonnée au
pouvoir" (44, 60). Selon Charles Taylor enfin, le lien que Foucault établit entre savoir et
pouvoir a des conséquences pratiques extrêmement destructrices, en interdisant toute action
libératrice : "la libération au nom de la "vérité" ne pourrait donc se faire qu'en substituant à
ce régime de pouvoir un autre" (44, 114). De la même manière Pierre Jacob a vu dans les
épistémologues français des apôtres de la destruction de la raison : "dans ses versions les
plus radicales, le régionalisme épistémologique peut arriver à épouser la thèse de la pluralité
des logiques : toute science, ou pour parler comme Althusser, tout "continent" scientifique,
ou, pour parler comme Foucault, toute épistémè, a ses propres lois logiques et ses propres
règles d'inférence" (47, 287) 23.
Il est cependant possible de soutenir avec quelque vraisemblance un autre point de
vue. On peut estimer, avec Gary Gutting, que l'archéologie foucaldienne "n'est pas un
instrument de scepticisme ou de relativisme, détruisant toutes les prétentions à la vérité et à
l'objectivité", mais qu'elle laisse subsister "un noyau substantiel de vérité objective" (41, XI)
24
. Le scepticisme de Foucault ne porte que sur les sciences qu'il qualifie de "douteuses" : "si
on pose à une science comme la physique théorique ou comme la chimie organique le
problème de ses rapports avec les structures politiques et économiques de la société, est-ce
qu'on ne pose pas un problème trop compliqué ?", reconnaît Foucault (32, 3, 141). Il semble
que dans ce cas le statut scientifique d'une discipline n'ait pas même à être mis en question.
La médecine elle-même "a certainement une structure scientifique beaucoup plus forte que le
psychiatrie" (32,3, 141) et va jusqu'à offrir le modèle d'une science de l'individuel, contre "la
vieille loi aristotélicienne qui interdisait sur l'individu le discours scientifique" (28, 175) 25.

Foucault peut alors être considéré comme un historien des sciences d'un genre
nouveau et non plus comme un "prophète de l'extrême". Il s'agit certes là, comme le note
Rorty, d'une "interprétation déflationniste" (44, 56) mais elle semble convenir assez bien,
tout au moins aux premiers travaux, "archéologiques", de Foucault. C'est en particulier le
cas de ce qui est de ce point de vue son livre le plus achevé, Naissance de la clinique, qui
s'inscrit explicitement dans la tradition française de l'épistémologie historique et peut à
certains égards être considéré comme une sorte de supplément historique au Normal et au
pathologique 26.
Cette interprétation rationnelle est également celle que propose Ian Hacking qui voit
dans l'oeuvre de Foucault une reprise historique des questions kantiennes : l'archéologie
23 Ces critiques rappellent celles que Julien Benda faisait à Bachelard, mais aussi à Léon Brunschvicg ou à
Abel Rey, lors de séances de la Société française de philosophie, en 1947 puis en 1950. Benda reprochait par
exemple au "surrationalisme" de Bachelard comme au "transrationalisme" de Bergson de "refuser toute
constance à l'esprit scientifique", alors que "la raison est une chose stable, identique à elle-même (Bulletin
de la Société française de philosophie, t.XLII, 1948, p. 113, 109).
24 G. Gutting fait remarquer que les textes perspectivistes de Foucault les plus souvent cités sont tirés de son
article "Nietzsche, la généalogie, l'histoire" où il expose et commente les idées de Nietzsche plus que les
siennes propres (41, 274).
25 Rendant compte de Naissance de la clinique F. Dagognet a pu s'étonner de ce "renoncement soudain à la
dialectique", de cet "optimisme" qui fait de la médecine une science achevée et voit dans la médecine
clinique de l'Ecole de Paris "le commencement d'un savoir, ou la fin d'une préhistoire" ("Archéologie ou
histoire de la médecine ?", Critique, 21, 1965, p. 444).
26 Naissance de la clinique est d’ailleurs publié dans la collection Galien, collection d’"histoire et
philosophie de la biologie et de la médecine " dirigée aux P.U.F. par G. Canguilhem. Cf. F. Bing, J.F.
Braunstein "Le regard et la mort : Foucault et la Naissance de la clinique", in P. Pichot, W. Rein,
L'approche clinique en psychiatrie, t.2, Le Plessis-Robinson, 1993.
18

foucaldienne c'est du "Kant historicisé, mais historicisé à la manière de Bachelard et non de


Hegel" (43, 74) . C'est sans doute le sens de la notion paradoxale et assez énigmatique d'"a
priori historique". Foucault explique en effet que l'analyse archéologique est "une étude qui
s'efforce de retrouver à partir de quoi connaissances et théories ont été possibles (...) sur
fond de quel a priori historique et dans l'élément de quelle positivité des idées ont pu
apparaître, des sciences se constituer, des expériences se réfléchir dans des philosophies, des
rationalités se former, pour, peut être, se dénouer et s'évanouir bientôt" (29,13) 27. Ian
Hacking continue lui-même les recherches ultérieures, "généalogiques", de Foucault lorsqu'il
explique que les catégorisations des sciences humaines ont pour effet de "façonner les gens"
(" making up people "), de transformer la réalité, et qu'elles sont ainsi des sciences
directement efficaces. Mais Ian Hacking explique en même temps que ces "savoirs" ne se
réduisent pas à des "pouvoirs" : avec ses travaux sur la "mémoro-politique" il se donne pour
objectif de démontrer que " la biopolitique illustre à merveille comment la connaissance est,
et n'est pas, un pouvoir " 28. Il est donc sans doute possible de se servir des instruments
forgés par l'épistémologie française pour faire une histoire des concepts qui ne conduise pas
à un relativisme de principe.

*****

Derrière la communauté de style qui unit Bachelard, Canguilhem et Foucault, il est


certain qu'il existe entre leurs philosophies de la science d'importantes différences, qui
tiennent pour une large part aux sciences particulières sur lesquelles ils réfléchissent
prioritairement. L'épistémologie bachelardienne des ruptures et des obstacles vaut
particulièrement pour les mathématiques et la physique mathématique, où les révolutions
non euclidienne, relativiste et quantique introduisent de véritables césures par rapport aux
sciences antécédentes et aussi par rapport aux représentations du sens commun. Bachelard
ne cache pas s'inspirer de "l'histoire d'une science modèle, l'histoire des mathématiques"
(13,141) et son rationalisme est d'abord un rationalisme mathématique. Dans l'histoire des
sciences biologiques qui est l'objet propre de Canguilhem, il est difficile de repérer "quelque
fracture conceptuelle de même effet révolutionnaire que la physique relativiste ou la
mécanique quantique", sans doute même pas le darwinisme (27,24) . Et dans l'histoire des
sciences médicales à laquelle il se consacre plus encore Canguilhem constate
l'enchevêtrement des sciences et des techniques, leur lien à des questions sociales et
politiques, voire éthiques. Son rationalisme, centré autour de la question des normes, a pu à
juste titre être qualifié de "rationalisme vital" 29. Enfin Foucault n'a jamais prétendu traiter
d'autre chose que des sciences humaines, disciplines qui n'ont pas encore "franchi le seuil de
la formalisation" (29,244) et qui ont un effet en retour sur l'objet qu'elles étudient, voire
même le constituent.

BIBLIOGRAPHIE

OEUVRES
27 Sur cette question de l'a priori historique, cf. B. Han, L'ontologie manquée de Michel Foucault. Entre
l'historique et le transcendantal, Grenoble, 1998.
28 I. Hacking, "Biopower and the avalanche of printed numbers", Humanities and society, 5, 1983, p. 279.
29 Cette expression, d’origine canguilhemienne, est utilisée par P. Rabinow pour caractériser l’oeuvre de
Canguilhem dans son introduction à un utile recueil de textes, accompagné d’une bibliographie très
complète : F. Delaporte (éd.), A Vital Rationalist. Selected Writings from Georges Canguilhem , New-York,
1994.
19

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(2) Althusser, Louis, Eléments d'autocritique, Paris, 1974
(3)Bachelard, Gaston, Essai sur la connaissance approchée, (1928), 6ème éd., Paris, 1987
(4)Bachelard, Gaston, Le nouvel esprit scientifique, (1938),
(5)Bachelard, Gaston, La formation de l'esprit scientifique, (1938), 8ème éd., Paris, 1972
(6)Bachelard, Gaston, La psychanalyse du feu (1938), Paris, 1968
(7)Bachelard, Gaston, La philosophie du non (1940), 9ème éd., 1983
(8)Bachelard, Gaston, Le rationalisme appliqué (1949), 3ème éd., Paris, 1966
(9)Bachelard, Gaston, La terre et les rêveries de la volonté, (1948), Paris, 1965
(10)Bachelard, Gaston, L'activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, 1951
(11)Bachelard, Gaston, Le matérialisme rationnel, Paris, 1953
(12)Bachelard, Gaston, Etudes, Paris, 1970
(13)Bachelard, Gaston, L'engagement rationaliste, Paris, 1972
(14)Canguilhem, Georges, "Leçons sur la méthode" (1941-1942), reproduites dans P.
Bourdieu, J.C. Chamboredon, J.C. Passeron, Le métier de sociologue, (1968), 4ème éd,
Paris, 1983
(15)Canguilhem, Georges, Le normal et le pathologique (1943),
(16)Canguilhem, Georges, "Note sur la situation faite en France à la philosophie
biologique", Revue de métaphysique et de morale, 52, 1947
(17)Canguilhem, Georges, La connaissance de la vie (1952), 2ème éd., Paris, 1975
(18)Canguilhem, Georges, La formation du concept de réflexe aux XVIIè et XVIIIè siècles
(1955), 2ème éd., Paris, 1977
(19)Canguilhem, Georges, "Sur une épistémologie concordataire", Hommage à Gaston
Bachelard, Paris, 1957
(20)Canguilhem, Georges (et al.), Du développement à l'évolution au XIXè siècle, (1962)
Paris, 1982
(21)Canguilhem, Georges, "Philosophie et science", "Philosophie et vérité", Emissions de la
Radio-Télévision scolaire, janv. 1965, mars 1965, retranscrites dans les Cahiers
philosophiques, hors série, juin 1993
(22)Canguilhem, Georges, "Mort de l'homme ou épuisement du cogito ?", Critique, juillet
1967
(23)Canguilhem, Georges, Etudes d'histoire et de philosophie des sciences (1968), 7ème
éd., Paris, 1994
(24)Canguilhem, Georges, "Objectivité et historicité", in Collectif, Structuralisme et
marxisme, Paris, 1970
(25)Canguilhem, Georges, "De la science et de la contre-science", in S. Bachelard et al.,
Hommage à Jean Hyppolite, Paris, 1971
(26) Canguilhem, Georges, "Bachelard" in Scienzati e tecnologie contemporanei, Milan,
1974, vol. 1.
(27)Canguilhem, Georges, Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie,
Paris, 1977
(28)Foucault, Michel, Naissance de la clinique, (1963), 4ème éd., Paris, 1975
(29)Foucault, Michel, Les mots et les choses, Paris, 1968
(30)Foucault, Michel, L'archéologie du savoir, Paris, 1969
(31)Foucault, Michel, "La vie : l'expérience et la science", Revue de métaphysique et de
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(32)Foucault, Michel, Dits et écrits, 4 vol. Paris, 1994.

ETUDES
20

(33)Bing, François, Braunstein, Jean-François, Roudinesco Elisabeth, Actualité de Georges


Canguilhem. Le normal et le pathologique, Le Plessis-Robinson, 1998.
(34) Braunstein, Jean-François, "Canguilhem avant Canguilhem", Revue d'histoire des
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(35) Braunstein, Jean-François, "La critique canguilhemienne de la psychologie", Bulletin de
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(36)Collectif, Georges Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Paris, 1993
(37)Dagognet, François, Georges Canguilhem. Philosophe de la vie, Le Plessis-Robinson,
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(38)Descombes, Vincent, Le même et l'autre. Quarante-cinq ans de philosophie française
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(39)Descombes, Vincent, "Vers une crise d'identité en philosophie française. Merleau-Ponty,
Hyppolite, Canguilhem", in Collectif, Les enjeux philosophiques des années 50, Paris, 1989
(40)Fichant, Michel, "L'épistémologie en France", in F. Châtelet (éd.), Histoire de la
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Cantor, J.R.R. Christie, M.J.S. Hodge, Companion to the history of modern science,
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(46)Jacob, Pierre, L'empirisme logique. Ses antécédents, ses critiques, Paris, 1980
(47)Jacob, Pierre, "Il regionalismo epistemologico : una tendenza della filosofia
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(48)Lecourt, Dominique, Pour une critique de l'épistémologie, Paris, 1972
(49)Redondi, Pietro, Epistemologia e storia della scienza, Milan, 1978.
(50)Serres, Michel, "La réforme et les sept péchés", in Hermès II. L'interférence, Paris,
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