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CHAPITRE

2 LA PHÉNOMÉNOLOGIE
DE HUSSERL
Application de la méthode
Investigation relationnelle
Caring pour mieux comprendre
l’expérience infirmière
d’« être avec » la personne
soignée en réadaptation
Louise O’Reilly
Chantal Cara

FORCES
ƒƒ Elle s’attarde à recueillir la perspective des personnes vivant le phénomène
à l’étude.
ƒƒ Elle offre une perspective épistémologique.
ƒƒ Elle permet l’obtention d’une description rigoureuse de la signification
du phénomène étudié.

LIMITES
ƒƒ Le nombre de participants est restreint.
ƒƒ Les résultats reflètent uniquement la perspective des acteurs interrogés.
ƒƒ La transférabilité des résultats de recherche est donc plus limitée.
30  Méthodes qualitatives, quantitatives et mixtes

En sciences humaines et de la santé, un nombre intéressant de méthodes


phénoménologiques existe. À titre d’exemple, citons celles de Paterson
et Zderad (1976), Colaizzi (1978), van Manen (1990), Ray (1991), Benner
(1994), Giorgi, (1997) et Cara (1997, 1999), lesquelles méthodes découlent
principalement de deux écoles de pensée, la phénoménologie transcen-
dantale de Husserl et la phénoménologie interprétative et herméneutique
de Heidegger. La phénoménologie transcendantale de Husserl constituera
l’objet du présent chapitre.
La phénoménologie de Husserl (1970) offre une compréhension et
une description en profondeur d’un phénomène d’intérêt, de même qu’elle
rend possible l’émergence d’une signification (essence) pure et universelle
de l’expérience étudiée. Afin de bien comprendre cette école de pensée,
nous définirons la phénoménologie de Husserl et ces particularités épis-
témologiques. Puis suivra une présentation des méthodes phénoménolo-
giques associées à l’école de pensée de Husserl, notamment celle de Cara
(1997) – dont le caring et la dimension relationnelle correspondent à ses
fondements philosophiques – ainsi que celle de Giorgi (1997) – méthode
bien connue, très explicite et souvent utilisée. Pour clore cette première
partie, nous discuterons des critères de scientificité en recherche qualitative.
La deuxième partie du chapitre est une application concrète des étapes
formant la méthode de Cara ; elle présente les dimensions méthodologiques
de l’étude phénoménologique d’O’Reilly (2007), laquelle recherche visait à
explorer la signification et la contribution de l’expérience d’« être avec » la
personne soignée en contexte de réadaptation.

1. PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE DE HUSSERL


Edmund Husserl (1859-1938), philosophe allemand et d’abord mathéma-
ticien, est reconnu comme étant le père fondateur du mouvement phéno-
ménologique (Giorgi, 1997 ; Spiegelberg, 1982). Pour ce mathématicien
(Husserl, 1970), la science issue du paradigme positiviste, laquelle a pour
but la vérité objective (mesurable), écarte les questions universelles telles
que celles touchant la signification de l’existence humaine. Cela amène
Husserl à réfléchir sur le point suivant : « Comment l’existence humaine
peut-elle avoir une signification quelconque, si la science reconnaît comme
seule vérité, ce qui est objectif ? » Ainsi, et tout au long de sa vie, Husserl
se questionne et approfondit la phénoménologie, qu’il considère comme
1) une philosophie qui guide toute pensée dite scientifique puisqu’elle
permet de prendre en compte la relation du chercheur avec son projet de
recherche, rehaussant ainsi l’objectivité scientifique (bracketing) (Husserl,
1970), et 2) une psychologie qui procure un chemin à l’exploration de la
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dimension spirituelle de l’existence humaine (Husserl, 1970, 1999). Pour


Husserl (1970), la phénoménologie correspond à l’étude d’un phénomène
d’intérêt dans le but de le décrire et de le comprendre. Cette phénoméno-
logie se dit « épistémologique » puisqu’elle vise à décrire en détail et de façon
rigoureuse la structure d’un phénomène. On dit alors que c’est une phéno-
ménologie descriptive, laquelle contribue à une compréhension profonde
de l’expérience étudiée. De même, la phénoménologie de Husserl est dite
« transcendantale » puisque l’objectif final vise l’émergence d’une significa-
tion (essence) pure et universelle du phénomène, c’est-à-dire une essence
qui expose le discours commun issu de l’ensemble des entrevues analysées.
La phénoménologie transcendantale de Husserl comprend quatre
concepts épistémologiques majeurs. La conscience (awareness, conscious-
ness), le premier d’entre eux, est essentielle dans la mesure où elle est « le
moyen d’accès à tout ce qui se vit dans l’expérience, puisqu’il n’est rien qui
puisse être dit ou à quoi on se rapporte qui n’inclut pas implicitement la
conscience » (Giorgi, 1997, p. 343). Ainsi, la conscience, grâce à sa nature
intrinsèque, contribue à donner une signification à l’expérience vécue. Le
deuxième concept, l’intentionnalité (intentionality) ou la conscience inten-
tionnelle (intentional consciousness), qui est un élément de la conscience,
représente la relation d’intention indissociable entre le sujet (p. ex., parti-
cipant de recherche), sa conscience (qui va donner un sens véritable au
phénomène étudié) et l’objet de la phénoménologie (le phénomène à
l’étude) (Giorgi, 1997 ; Husserl, 1999).
Le troisième concept épistémologique, la réduction phénoménolo-
gique, est constitué de deux attitudes, le bracketing et la réduction eidé-
tique. Pour Husserl (1970, 1999), le bracketing (terme grec : epochè) désigne la
reconnaissance et la mise entre parenthèses, par le chercheur, de ses valeurs,
croyances, préjugés et connaissances théoriques relatives au phénomène à
l’étude. Dans le même ordre d’idées, Giorgi (1997, p. 347) mentionne « qu’il
faut mettre à l’écart ou rendre non influente toute connaissance passée en
lien avec le phénomène sous investigation ». Pour cet auteur, une attitude
neuve est requise, c’est-à-dire une attitude de ne pas savoir (unknowing) afin
d’accueillir et de ne pas juger les propos des participants. La deuxième atti-
tude de la réduction phénoménologique se nomme la réduction eidétique
(épochè eidetic). Elle correspond à un processus d’abstraction qui requiert
de mettre de côté les faits particuliers ou individuels des témoignages pour
tendre vers ce qui est universel (discours commun des entrevues). Grâce à ce
processus d’abstraction, le chercheur parvient à faire émerger les structures
essentielles (discours commun), lesquelles dévoilent la signification univer-
selle du phénomène étudié. Cette signification est aussi qualifiée de pure
puisqu’elle transcende (« qui va au-delà ») les discours, valeurs, croyances,
préjugés et expériences personnels (Husserl, 1970, 1999).
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Le dernier concept, l’intuition (intuition), s’intéresse au processus


du chercheur pour décrire l’expérience quotidienne telle qu’elle est vécue
par les participants, à partir d’une ouverture d’esprit et de l’utilisation de
plusieurs modes de conscience (multiple modes of awareness) (Reeder, 1991).
Aux yeux de Husserl (1970), c’est l’ouverture qui nous permet d’aller
au-delà de l’expérience physique immédiate. Ainsi, parmi les divers modes
de conscience, outre les cinq sens corporels, certains auteurs (Cara, 2002 ;
Reeder, 1991) citent l’intuition intellectuelle, l’imagination, l’anticipation,
la mémoire et les sentiments comme étant des exemples d’une conscience
plus large pouvant être engagée pour décrire l’expérience.

1.1. But, question de recherche et échantillon


Comme mentionné préalablement, le but de la phénoménologie de Husserl
consiste à décrire et à comprendre la signification de l’expérience pour la
personne qui la vit quotidiennement (selon sa perception et sa perspective).
De façon concrète, la question ou les questions de recherche découlent du
but visé par la recherche. L’échantillon est de type raisonné et se compose
de personnes ayant vécu l’expérience en lien avec le phénomène étudié et
qui acceptent de partager leur expérience vécue (critères d’inclusion). Des
critères d’exclusion peuvent être mentionnés et justifiés tels que ne pas
comprendre une langue précise ni être capable de s’exprimer dans celle-ci.
Selon le contexte et le but de l’étude, d’autres critères d’inclusion et d’exclu-
sion peuvent s’ajouter. L’important est de viser un échantillon diversifié de
participants (Lincoln et Guba, 1985). En effet, une plus grande diversité
de participants permet de recueillir des propos divergents, ce qui contribue
à enrichir la description du phénomène. Par conséquent, les résultats de
recherche pourront mieux décrire le phénomène étudié, ce qui rehaussera
la crédibilité des résultats de la recherche phénoménologique.

1.2. Collecte des données


Du côté de la collecte des données (guide d’entrevue et entrevues), celle-ci
s’organise autour de la ou des questions de recherche. À partir de ces
grandes questions de recherche, le chercheur aura la tâche de développer
un guide d’entrevue dans lequel les sous-questions doivent être claires et
leur ordre très bien établi. La clarté des sous-questions reste fondamen-
tale afin d’obtenir des réponses pertinentes aux questions de recherche.
L’ordre des questions demeure aussi important. Par exemple, il est suggéré
de débuter par des questions plus simples, c’est-à-dire celles touchant l’expé-
rience vécue de même que les perceptions et les sentiments en lien avec
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le phénomène étudié, puis de terminer par des questions plus complexes,


notamment celles en lien avec la signification du phénomène. Cette organi-
sation logique de questions aide le participant à s’imprégner tranquillement
du phénomène à l’étude. Finalement, pour tester la clarté et l’organisation
des questions formant le guide d’entrevue, un moyen facile consiste à poser
ces questions à des collègues ou à des experts en recherche qualitative.
Munhall (2012) recommande plus d’une entrevue, car, selon elle, la
première entrevue sert à établir le lien de confiance entre le chercheur et
le participant. Pour cette auteure, la réalisation d’entrevues phénoménolo-
giques exhorte à se décentrer de soi pour être présent à l’autre. Sans cette
condition, elle nous rappelle qu’il n’y a pas d’étude phénoménologique.
Toujours selon Munhall, il est important, lors des entrevues, de préciser aux
participants que c’est leur perception que nous recherchons, et qu’il n’y a
donc pas de bonne ou de mauvaise réponse. Dans la même perspective que
cette dernière, Paillé (2008) stipule que l’écoute et l’empathie, dans le cadre
d’une collecte de données qualitatives, demeurent deux attitudes essen-
tielles. Paillé définit la première comme étant « l’écoute initiale complète et
totale des témoignages pour ce qu’ils ont à nous apprendre, avant que nous
soyons tentés de les faire parler. Cela consiste à donner la parole, d’accorder
de la valeur à l’expérience de l’autre. Les propos des personnes ne sont pas
la réalité du chercheur. C’est pour cette raison qu’il doit donner la parole
aux autres puisque c’est eux qui connaissent leur réalité » (p. 86). Il décrit
ensuite l’empathie de cette manière :
Éviter un jugement hâtif ou interprétation puisqu’on ne veut pas parler
de soi, mais bien des personnes que l’on a questionnées. Toute notre
attention est portée vers les verbatim d’autrui. Une valeur de vérité leur
est momentanément accordée. Il s’agit d’honorer la situation observée
ou le témoignage rendu, d’accorder du crédit à ce qui a été exprimé, se
laisser toucher, lâcher prise, par rapport à nos catégories interprétatives
impératives. C’est de voir, penser et comprendre autrement. Se laisser
transformer (p. 88).

2. MÉTHODE PHÉNOMÉNOLOGIQUE SCIENTIFIQUE DE GIORGI


La méthode phénoménologique applicable aux sciences humaines et de la
santé d’Amedeo Giorgi (1997) découle de l’école de pensée de Husserl. De
ce fait, la réduction phénoménologique de Husserl, définit précédemment,
demeure centrale à sa méthode phénoménologique. La méthode phénomé-
nologique de Giorgi se compose de cinq étapes, que nous détaillons dans
les lignes qui suivent.

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