You are on page 1of 108

M 01108 - 505 - F: 6,40 E - RD

3’:HIKLLA=]U[YU]:?k@p@a@f@a";
L’édito par Sophie Coisne
Rédactrice en chef

La créativité récompensée

L
e début de l’automne a une saveur particulière. ILLUMINATION. Comment sont nées les hypothèses qui
C’est pour notre rédaction l’occasion de choisir ont conduit à ces expériences ? Nombreux sont les
les lauréats des Prix La Recherche, autrement dit auteurs qui évoqueront un déclic à la suite d’une
les auteurs des meilleures publications scienti- recherche bibliographique. Pas Cédric Villani. Dans l’en-
fiques francophones parues dans l’année précédente. tretien qu’il nous a accordé, le mathématicien raconte
Une tâche titanesque ? Vous avez raison. Pour commen- «l’ illumination » qu’il a plusieurs fois ressentie au cours
cer, dès le mois de juin, un aréopage de chercheurs et du travail sur l’amortissement de Landau, travail qui lui a
chercheuses issus des onze disciplines récompensées – valu une médaille Fields. Un « jaillissement » de l’idée
un grand merci à eux ! – passe au crible les publications créatrice survenu après une période mêlant travail
2014 et en sélectionne plusieurs acharné et discussions avec d’autres
dizaines. Au cours d’un comité scien- chercheurs. Au-delà de ce récit pas-
tifique, ils en retiennent un tiers, sou- Prix sionnant de la naissance des idées,
vent dans la douleur : la recherche nous avons interrogé les neuroscien-
francophone est de très haut niveau. La Recherche :   tifiques sur les processus que notre

DOUZE PRIX. Passe l’été. Début


la recherche cerveau met en œuvre lorsqu’il doit
faire preuve d’originalité.
septembre, la rédaction se réunit francophone est
avec son parrain ou sa marraine. TESTS NEUROLOGIQUES. On
Cette année, nous avons eu la chance de haut niveau ” connaît mieux désormais les ressorts
d’être stimulés, poussés dans nos neurologiques de la créativité et ce
retranchements, par la biologiste Nicole Le Douarin, une qui, au contraire, est susceptible de brider l’émergence
des trop rares femmes à avoir obtenu la médaille d’or du d’idées innovantes. Dans leur article, Mathieu Cassotti et
CNRS. De nos réflexions sont sortis douze prix. Vous Marine Agogué nous expliquent les tests qu’ils ont mis en
découvrirez dans ce numéro les travaux des équipes lau- place pour le comprendre. À sa lecture, nul doute que
réates en physique, en environnement et en technologie. vous vous amuserez vous aussi à évaluer votre potentiel
C’est le début d’un feuilleton qui s’étendra sur quatre créatif en donnant les réponses les plus variées à cette
mois puisque nous avons choisi cette année de vous pré- question : « Comment faire en sorte qu’un œuf de poule
senter en profondeur chacune de ces recherches. lâché d’une hauteur de 10 mètres ne se casse pas ? »

SOPHIA PUBLICATIONS : 8, rue d’Aboukir 75002 Paris. Tél. : 01 70 98 19 19 e-mail rédaction : courrier@larecherche.fr Pour joindre directement par téléphone un membre de la rédaction,
l l

composez le 01 70 98, suivi des quatre chiffres placés après son nom. Par mail, libellez l’adresse sur le modèle : initiale du prénom suivi du nom@sophiapublications.fr (sans accents).

La Recherche est publiée par Sophia Publications, filiale de Sophia Communications Président directeur-général et directeur de la publication : Thierry Verret Directeur éditorial : Maurice Szafran
l l

l Directeur délégué : Jean-Claude Rossignol lSecrétaire général : Louis Perdriell Assistante de direction : Gabrielle Monrose (19 06) ABONNEMENTS : Tarif France : 1 an 10 nos + 1 n° double
l

67 euros. 1 an 10 nos + 1 n° double + 4 hors-séries 89 euros. Tarif international : nous contacter. Tél. : 01 55 56 71 15. 00 (33) 1 55 56 71 15. E-mail : abo.recherche@biwing.fr. Adresse : Service abon-
l

nements La Recherche, 4 rue de Mouchy 60438 Noailles Cedex Suisse : Edigroup. Tél. : (0041) 22 860 84 01 Belgique : Edigroup. Tél. : (0032) 70 233 304 Achat de revues et d’écrins La Recherche –
l l l

BP65 - 24, chemin latéral 45390 Puiseaux. Tél. : 02 38 33 42 89 Rédactrice en chef : Sophie Coisne Rédactrice en chef technique : Catherine Caltaux
l l l Conception graphique : Dominique Pasquet
l Assistante : Gabrielle Monrose (19 06) Chef des informations : Philippe Pajot (19 29) Chefs de rubrique : Hervé Cabibbo (19 30), Mathias Germain (19 33) Rédacteurs : Gautier Cariou (19 31),
l l l

Vincent Glavieux (19 32), Bérénice Robert (19 34) l 1re rédactrice graphiste : Michèle Bourgeois (19 27) Service photo : Claire Balladur (19 41) Secrétaire de rédaction : Véronique Fuvel (19 36)
l l

lOnt collaboré à ce numéro : Antoine Cappelle, Maryvonne Marconville, Françoise Roux Responsable fabrication : Christophe Perrusson (19 10) Activités numériques : Bertrand Clare (19 08) Ressources humaines :
l l l

Agnès Cavanié (19 71) Communication : Florence Virlois (19 21) Directeur des ventes et promotion : Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) Vente messageries VIP-diffusion : Frédéric Vinot numéro vert 0800 51 49 74
l l l l

Responsable gestion abonnements : Isabelle Parez (19 12) Responsable du marketing direct : Linda Pain (19 14) Comptabilité : Teddy Merle (19 15) Diffusion librairies : DIF’POP’. Tél. : 01 43 62 08 07 Fax : 01 43 62 07 42
l l l

Régie publicitaire : Médiaobs. Pour joindre directement une personne, composez le 01 44 88, suivi des quatre chiffres placés après son nom. Directrice générale : Corinne Rougé Directeur commercial :
© Gil Lefauconnier

l l l

Jean-Benoît Robert Directeur des marchés Marketing direct : Xavier Personnaz Assistante commerciale : Marylin Raso (89 02) Directeur du pôle Sciences : Sylvain Mortreuil (97 75) Directrice de
l l l l

clientèle : Karine Grossman (89 08) Imprimerie : G. Canale & C., Via Liguria 24, 10071 Borgaro (TO), Italie. Dépôt légal à parution.
l

Les titres, les intertitres, les textes de présentation et les légendes sont établis par la rédaction du mensuel. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective.
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur, ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4 du Code de propriété intellectuelle).
Toute copie doit avoir l’accord du Centre français du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70. Fax : 01 46 34 67 19). L’éditeur s’autorise à refuser toute insertion qui
semblerait contraire aux intérêts moraux ou matériels de la publication. Commission paritaire : 0919 K 85863. ISSN 0029-5671

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 3


entretien avec

Cédric Villani
Les mathématiques sont une discipline de règles et de contraintes. Pourtant la
créativité y tient une place fondamentale. À travers son parcours exceptionnel, le
mathématicien Cédric Villani nous raconte son expérience du processus de
recherche et évoque les ingrédients qui, selon lui, favorisent l’émergence des idées.

La créativité, comme
le café, est essentielle
au mathématicien ”
Propos recueillis par Philippe Pajot

L
auréat en 2010 de la médaille Fields, consi- La Recherche De toutes les sciences, les
dérée comme le prix Nobel des mathéma- mathématiques sont peut-être celles
tiques, Cédric Villani est devenu un formi- où l’on doit le plus faire œuvre créatrice : la
dable ambassadeur de sa discipline. Mais découverte de nouvelles idées et de nouveaux
sa notoriété et son éclectisme l’ont conduit à s’inté- chemins intellectuels y est primordiale.
resser à bien d’autres domaines. Qu’il construise un Ressentez-vous les choses ainsi au quotidien ?
dialogue avec Bartabas, une bande dessinée avec Cédric Villani Tout à fait. Pour évoquer le métier,
Edmond Baudoin, ou qu’il s’essaie à une forme certes peu connu, de mathématicien, partons du
semi-poétique, il ne cesse de souligner les liens entre bon mot du Hongrois Paul Erdös, le mathématicien
les mathématiques et le monde qui nous entoure, le plus prolifique du XXe siècle : « Un mathématicien
ALDO SPERBER/MÉDIATHÈQUE EDF/PICTURETANK

mêlant les valeurs cardinales du mathématicien – est une machine à transformer du café en théo-
imagination, ténacité, rigueur, humilité – à celles rèmes. » Prouver des théorèmes, car défricher de
d’autres créatifs. Son nouveau livre, Les Coulisses de nouveaux horizons est son but ; et le café, pour sti-
la création, est ainsi un entretien avec le compositeur muler la réflexion, mais aussi la créativité, les nou-
Karol Beffa, qui était son condisciple à l’École nor- velles idées. L’idée de départ – l’idée créatrice – est
male supérieure. Les deux hommes y comparent le Cédric Villani est indispensable, et d’autant plus importante si l’on
processus créatif de leurs métiers, la créativité étant directeur de l’Institut travaille en sciences fondamentales, sans le soutien
Henri-Poincaré, à
essentielle pour les deux. C’est d’ailleurs un des Paris, et professeur
que peuvent apporter les expériences ou les appli-
sujets de prédilection de Cédric Villani, celui sur à l’École normale cations. Cela dit, le mathématicien ou la mathéma-
lequel, avoue-t-il, il est le plus souvent interrogé. supérieure de Lyon. ticienne ne part jamais complètement dans

4 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Entretien avec Cédric Villani

l’inconnu : il cherche un sujet qui paraisse à la mathématiciens œuvrent ensemble à la démonstra­


SES DATES fois intéressant et raisonnable – pas une chimère tion d’un résultat. On peut rapprocher ce type de
5 OCTOBRE 1973 dont on sait qu’elle restera longtemps inaccessible. collaboration de Wikipédia. Polymath a permis
Cédric Villani naît Il faut doser entre ce que l’on souhaite démontrer et d’améliorer de manière spectaculaire les résultats de
à Brive-la-Gaillarde, ce que l’on a une chance de réaliser. Yitang Zhang sur l’écart entre deux nombres pre­
en Corrèze, dans une Pouvez-vous donner un exemple ? miers consécutifs (1) . Et tout récemment, il a permis
famille d’enseignants Prenons le travail que j’ai effectué avec mon ancien à Terence Tao de boucler la démonstration d’une
et d’artistes. étudiant, Clément Mouhot, sur l’amortissement conjecture d’Erdös ( 2 ) . Malgré cela, je reste
1992 Il entre à l’École Landau, un phénomène qui se produit dans les plas­ convaincu que la réflexion la plus profonde, les
normale supérieure, mas, autrement dit les gaz ionisés. C’est un des tra­ avancées les plus significatives se font dans des
à Paris. vaux qui m’ont valu la médaille Fields. C’est très pré­ moments inattendus, le soir par exemple, quand on
1998 Il soutient cisément le 23 mars 2008 que nous avons décidé de est tout seul et qu’on digère le résultat de l’interac­
une thèse sur nous y intéresser. Cinq minutes avant que le phéno­ tion avec les autres. C’est là que j’ai obtenu mes
les équations mène d’amortissement Landau n’arrive dans la résultats les plus importants, et c’est peut­être ainsi,
de transport sous conversation, nous n’avions aucune idée particu­ également, qu’ont été obtenus certains des progrès
la direction de lière concernant les plasmas. Mais dans le feu de la de Polymath. La pensée chemine en nous par des
Pierre-Louis Lions. discussion, alors que nous réfléchissions sur d’autres voies multiples sans que l’on s’en rende compte,
2000 Il est nommé questions, en évoquant des souvenirs de conversa­ oscille entre le collectif et l’individuel.
professeur à l’École tions avec des collègues, l’idée de travailler sur  es mathématiques ont-elles une existence
L
normale supérieure l’amortissement Landau a jailli de notre interaction. propre ou bien sont-elles inventées par les
de Lyon. L’idée créatrice est venue à la fois de notre interac­ chercheurs ?
2009 Il devient tion, mais aussi de la réminiscence de nos inter­ Je fais partie des mathématiciens néoplatoniciens.
directeur de l’Institut actions passées avec d’autres chercheurs. C’est un Autrement dit, j’adhère à la vision selon laquelle les
Henri-Poincaré, à Paris. exemple où l’idée jaillit de la discussion. Et ce n’est mathématiques constituent une sorte de squelette
2010 Il reçoit pas un accouchement socratique, maïeutique, car de la réalité sur lequel la matière et les lois de la phy­
la médaille Fields pour personne en particulier ne fait accoucher l’autre : sique viennent prendre chair. Une position qui n’est
ses travaux sur les gaz c’est une discussion à deux qui apporte la nouvelle pas très originale aujourd’hui. Si l’on pense que l’on
et les plasmas. idée. C’était le premier rebondissement inattendu découvre des choses qui préexistent, et que donc on
2012 Il publie dans une histoire qui en a compté des dizaines… n’invente rien, cela semble rabaisser le rôle de la
Théorème vivant  a discussion est-elle la seule manière de faire
L créativité ; mais l’inventivité se retrouve quand même
(Grasset), émerger une idée ? dans la découverte du chemin et le travail d’imagina­
best-seller international Non, mais c’est une manière que j’apprécie, car tion. Cette question métaphysique peut aussi avoir
retraçant l’aventure l’échange est enrichissant ; et certaines idées n’appa­ une influence sur la créativité, en favorisant la
de la recherche raîtraient jamais autrement. D’ailleurs, les mathé­ « recherche de miracles ». Toutefois, même des
mathématique. matiques sont aujourd’hui une discipline essentiel­ mathématiciens qui se déclarent dans le camp de
lement collective. La majorité de mes articles sont ceux qui considèrent les mathématiques comme une
cosignés et, plus généralement, la majorité des écrits invention humaine, agissent souvent inconsciem­
de recherche en mathématiques ont maintenant ment dans leur recherche comme s’ils cherchaient à
deux ou trois auteurs. C’est un énorme changement découvrir le miracle — en cherchant la coïncidence
par rapport à ce qui se passait il y a un siècle, lorsque reflétant qu’« il y a quelque chose derrière ».
les articles écrits par un unique auteur étaient majo­  haque mathématicien a-t-il un style, à l’image
C
ritaires. Car au début du XXe siècle, quelqu’un du style musical ?
comme Henri Poincaré pouvait encore maîtriser Quand on a un peu l’habitude, on parvient effective­
l’ensemble des mathématiques, et certains de ses ment à reconnaître un style chez certains mathéma­
collègues de larges pans de la discipline. Aujourd’hui, ticiens, de même qu’il est assez facile d’identifier du
étant de plus en plus spécialistes, par nécessité, nous Bach ou du Mozart. Ce style dépend de leur propre
sommes obligés de passer par cette pratique plus histoire, de qui ils sont. Pour prendre l’exemple des
collective pour ne pas nous fermer certaines possi­ quatre mathématiciens avec lesquels j’ai travaillé à
bilités. Et notre domaine devient même un champ mes débuts, Pierre­Louis Lions, mon directeur de
d’expérimentation pour la collaboration massive. thèse, est un analyste extrêmement puissant capable
C’est le cas du projet Polymath initié par le Britan­ de mettre ensemble de manière virtuose tous les élé­
nique Tim Gowers, dans lequel des centaines de ments d’un problème. Il préfère les problèmes

6 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


ardus, ceux où l’on affronte les pentes raides. Yann leur créativité est une autre affaire. Cela dit, la pro-
Brenier, mon tuteur à l’École normale supérieure, ductivité de Tao laisse rêveur : comment parvient-il
procède davantage par le contournement, par la à « produire » autant de théorèmes ? De la même
ruse, ce qui l’a conduit à découvrir des choses tout à façon, on peut se demander comment simplement
fait inattendues. Michel Ledoux, un probabiliste Mozart a pu écrire autant d’œuvres en si peu de
toulousain que j’ai rencontré vers la fin de ma thèse, temps…
est une sorte de magicien faisant apparaître des  riginalité, intuition, quel lien existe-t-il avec
O
architectures surprenantes, des liens entre les pro- la créativité ?
blèmes auxquels personne n’avait jamais pensé. Il En première approximation, originalité et créativité
travaille à la frontière entre probabilité et analyse, se ressemblent beaucoup. Mais l’originalité peut
toujours en quête d’élégance. Quant à Eric Carlen, aussi être une façon d’être plutôt que de faire. Un
un analyste américain qui était en poste à Atlanta exemple littéraire que j’aime beaucoup est celui de
lorsque j’y ai donné un cours, c’est un spécialiste de la nouvelle de Jorge Luis Borges Pierre Ménard,
physique mathématique, à la fois précis, diversifié,
profond et original. Mon propre style résulte sans
doute d’une combinaison de tous ces styles. Les avancées les plus
 es différences de style se reflètent-elles
C
sur la créativité ?
significatives se font dans
Bien entendu. Et ce style se reflète aussi sur le genre des moments inattendus ”
de problème que l’on aborde ou sur le genre d’outil
que l’on utilise. Certains mathématiciens travaillent
longtemps sur le même problème. D’autres reven- auteur du Quichotte. Elle raconte comment un
diquent le fait de pouvoir se concentrer sur des pro- auteur contemporain se met en tête de réécrire Don
blèmes qui se résolvent en quelques mois. Certains Quichotte de Cervantès à l’identique. L’idée est
travaillent sur une multitude de sujets imaginables, qu’un auteur du XXe siècle qui écrit cela, dans une
tandis que d’autres encore se concentrent sur un pro- langue espagnole ancienne, est d’une originalité
blème unique, une seule équation qu’ils étudient leur extraordinaire, alors que cela ne l’était pas à l’époque
vie durant. Prenez le Britannique Andrew Wiles, qui a de Cervantès. Ce n’est donc pas une création, mais
démontré en 1994 la conjecture de Fermat (*) : il a dans ce contexte, c’est très original. Quant à l’intui-
commencé à penser à ce problème quand il avait tion, c’est un des moyens de la créativité, mais un
10 ans et y a consacré la meilleure partie de sa carrière. parmi d’autres.
 t dans ces conditions, comment évaluer cette
E  ar quels moyens l’innovation peut-elle être
P
créativité ? favorisée ?
Il n’est pas clair pour moi que cela soit possible de le Même si l’on ne sait pas d’où viennent les idées, j’ai
faire. Et surtout, quelqu’un qui produit énormément pour habitude de distinguer sept ingrédients indis-
de choses nouvelles doit-il être considéré comme pensables à la recherche mathématique, valables je
plus créatif que quelqu’un qui va faire une œuvre crois pour tous les processus créatifs. En premier lieu
unique très marquante ? Entre Hugo ou Balzac qui la documentation : une contribution s’appuie tou-
ont accumulé les chefs-d’œuvre, et Boulgakov qui jours sur les idées qui ont précédé, et nous sommes
est connu surtout pour un unique roman si mar- « des nains sur les épaules des géants » pour reprendre
quant, qui est le plus créatif ? Difficile de répondre ! la formule de Bernard de Chartres que Newton avait
En mathématiques, la même problématique se pose déjà employée pour décrire son propre travail. À une
entre Terence Tao, un mathématicien australien à la époque, cette documentation se faisait à travers la (*) Conjecture de
Fermat : en 1637, Pierre
productivité déconcertante (non seulement par la fréquentation des bibliothèques ; et c’est pourquoi
de Fermat annonce que
liste de forts résultats qu’il a obtenus, mais aussi par les bibliothèques ont joué un rôle si important en l’équation xn+yn=zn
son blog, sa rapidité de réaction, sa culture éton- science, en particulier en mathématiques. Ce n’est n’admet pas de solution
nante), et Grigori Perelman, dont le principal titre de plus le cas aujourd’hui avec les bases de données entière dès que n est plus
gloire est un théorème unique, la conjecture de bibliographiques sur Internet, mais la documenta- grand que 2. Un résultat
prouvé par Andrew Wiles
Poincaré, probablement le plus important résultat tion reste un ingrédient majeur. Ensuite il faut de la
en 1994 après être
mathématique de ce début de XXIe siècle. Tous deux motivation, et c’est peut-être l’ingrédient le plus devenu un problème
ont reçu la médaille Fields la même année, en 2006. important et le plus mystérieux. D’ailleurs, le manque emblématique de toute
Tao est clairement plus productif, mais comparer de motivation des jeunes pour la science est la théorie des nombres.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 7


Entretien avec Cédric Villani

(*) Transformée considéré comme une menace majeure pour a relaté maintes fois cette histoire : à l’instant où il
de Fourier : outil l’avenir scientifique des pays développés. monte sur le marchepied d’un tramway, l’idée lui
mathématique qui permet  uels sont les cinq autres ingrédients de la
Q vient d’un lien entre deux catégories de transforma-
de transformer une fonction
continue en sommes créativité ? tions mathématiques, d’où il développera toute une
de fonctions discrètes. Je dirais les échanges, que j’ai déjà mentionnés ; la nouvelle théorie. C’est ce genre d’inspiration qui lui
contrainte ; le dosage entre travail acharné et repos ; a permis de devenir l’un des symboles de la créati-
la persévérance et l’environnement de travail. vité mathématique. Mais cette illumination n’arrive
Concernant ce dernier : un chercheur isolé n’existe pas spontanément : il faut au préalable une certaine
pas, il est toujours en interaction avec un environne- maturation des idées. C’est pourquoi le cerveau
ment, un « écosystème de recherche », et cela peut avance selon une alternance de moments de travail
l’influencer énormément. Les idées résultent égale- acharné et d’intuitions. Il n’y a pas l’un sans l’autre !
ment des signaux qui vous sont envoyés par l’envi- Au cours de mon travail sur l’amortissement Lan-
ronnement, et le simple fait d’être dans un lieu dif- dau, j’ai ressenti cette illumination plusieurs fois, et
férent amène à penser différemment. Il s’agit de l’une était très marquante. Je voulais réparer un trou
signaux plus flous que les échanges, mais que je béant dans une preuve de 150 pages… J’étais très
crois également indispensables. C’est une des rai- motivé, car j’avais annoncé à mes collègues que je
savais faire cette preuve, avant de m’apercevoir de
mon erreur ! Et me voici donc, travaillant toute une
Dans un demi-brouillard, une partie de la nuit, triturant les équations dans tous les
sens, sans résultat. À 3 h 30 du matin, je vais me cou-
voix me dit : "Il faut prendre la cher, désespéré. Quand le réveil sonne pour aller
transformée de Fourier et faire passer accompagner les enfants à l’école, j’entends dans un
demi-brouillard une voix me dire : « Il faut prendre la
le second terme de l’autre côté" ! ” transformée de Fourier (*) et faire passer le second
terme de l’autre côté… » Et cela a marché !
 e travail acharné implique une certaine
C
sons pour lesquelles nous voyageons tant, tout persévérance…
autour du monde. D’ailleurs, les voyages sont une Oui et c’est pour moi un autre ingrédient de la créa-
nécessité vitale pour de jeunes scientifiques. tivité. D’ailleurs, dans le domaine de l’industrie, l’en-
 ous avez mentionné la contrainte, cela
V trepreneur Elon Musk a dit : « Pas d’innovation à
semble paradoxal. Pourquoi la contrainte moins de 60 heures de travail par semaine ! » Mais
amène-t-elle plus de créativité ? j’aime bien rapprocher la persévérance de la chance.
Les deux vont toujours de pair. Pensez que dans le En effet, dans tout projet de longue haleine, vous
domaine littéraire, le genre historiquement le plus rencontrez une multitude de gens, croisez du
contraint en termes d’écriture – la poésie – est aussi monde… et beaucoup d’opportunités en même
celui où la créativité est la plus valorisée. Et le roman temps. L’important est de savoir les reconnaître et les
Pour en savoir plus de Georges Pérec, La Disparition (écrit sans la lettre saisir. Et c’est ce que je dirais à un jeune aspirant
n Cédric Villani et Karol Beffa, « e ») est un bel exemple d’écriture très contrainte et créateur : faites confiance au hasard. S’il est bon
Les Coulisses de la création, très inventive… Les mathématiques sont une d’avoir des projets, souvent le hasard fournit des
Flammarion, 2015. science de contraintes, de règles strictes, où la créa- occasions bien meilleures qu’il faudra savoir saisir.
n Cédric Villani, tivité est valorisée plus que dans d’autres sciences. Dans mon parcours, les meilleurs résultats que j’ai
Les mathématiques sont C’est en effet en cherchant à passer les barrières et démontrés, et ceux qui m’ont valu la médaille Fields,
la poésie des sciences, les contraintes qui s’imposent que l’on donne le sont venus par hasard, par des rencontres, des
L’Arbre de Diane, 2015. meilleur de soi-même. voyages, des concours de circonstances, des prises
n Baudoin et Cédric Villani,  n parle souvent d’illumination, d’éclair
O de risque et des mouvements dont je n’avais pas saisi
Les Rêveurs lunaires, Gallimard/ de génie, qui permet d’avancer et de toutes les implications. Après tout, si l’on savait à
Grasset, 2015. dépasser ces contraintes. Est-ce courant en l’avance ce qui va se passer, cela ne serait pas inté-
n Bartabas et Cédric Villani, mathématiques ? ressant. C’est pour cela que la recherche est
Comment conjuguer passion Si la pomme de Newton ou l’Eurêka d’Archimède passionnante. n
et création, Favre, 2014. sont sans doute apocryphes, il existe en effet des
n Cédric Villani, Théorème moments de grâce, où tout se met en place sans que (1) http://tinyurl.com/polymath-bounded-gaps-between
vivant, Grasset, 2012. l’on comprenne bien pourquoi. Poincaré lui-même (2) http://tinyurl.com/edp28-terence-tao

8 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


SORTEZ DES
SENTIERS BATTUS !

À +- 5 MÈTRES DE LA SURFACE DES OCÉANS


Photographies : Joe Bunni
IRRESPIRABLE Textes : Emmanuelle Grundmann
Delphine Prunault et Alice Bomboy Les sublimes photos de Joe Bunni résument les ravages
La pollution atmosphérique touche 9 urbains sur 10, de la pollution des océans. Les plus grands scientifiques
et tue 7 millions de personnes par an. apportent leurs témoignages et des solutions se dessinent.
Ce livre apporte des idées et des solutions. Effrayant mais résolument positif.

DANS LA COLLECTION ARTE EDITIONS

LIVRES EN VENTE PARTOUT

Du 15 octobre au 15 décembre, frais de port offerts pour l’achat de ces livres


sur www.arteboutique.com
sommaire/novembre 2015 - n°505

ÉVÉNEMENT : Médicaments et pesticides, un cocktail dangereux DOSSIER : Comment naissent les idées originales

3 ÉDITO


4

ENTRETIEN AVEC CÉDRIC VILLANI
« La créativité, comme le café, est essentielle
34 dossier
au mathématicien »
NEUROSCIENCES
Propos recueillis par Philippe Pajot
12 ILS ÉCRIVENT DANS CE NUMÉRO LES CLÉS DE LA CRÉATIVITÉ
14 COURRIER
16 L’ÉVÉNEMENT : Le secret de l’effet cocktail 36 Créer, c’est raisonner
par Mathieu Cassotti et Marine Agogué
par Anne Debroise
40 Peut-on calculer le potentiel créatif ?
par Anne Debroise

20 actualités
20 EN BREF 46 fondamentaux
22 Physique La physique quantique passe
un nouveau test 46 ENVIRONNEMENT Un virus géant dans le sol
gelé sibérien
RÉGIS DOMERGUE/BIOSPHOTO - RALF HETTLER/ GETTY IMAGES

23 Médecine Doutes sur la création in vitro de


par Anne Debroise
spermatozoïdes humains
24 Physique La mécanique des nœuds démêlée 51 PHYSIQUE Et la chantilly coupe le son
par Sylvain Guilbaud
26 Paléoanthropologie Homo naledi, l’homme
sans âge 56 TECHNOLOGIE Des microrobots au service
de la médecine par Gautier Cariou
28 Biologie Les gènes clés de l’embryogenèse
60 PRIX LA RECHERCHE Mode d’emploi
29 Climat Le carbone de l’océan Austral mieux absorbé
61 NUMÉRIQUE Les failles de la loi
30 Géologie Fonds marins numériques sur le renseignement
31 Paléontologie Percée dans l’analyse de l’ADN ancien par Claude Castelluccia et Daniel Le Métayer
32 LA CHRONIQUE MATHÉMATIQUE 68 ASTROPHYSIQUE La machine à fabriquer
Les étourneaux topologues des aurores boréales
par Roger Mansuy par Jean Lilensten

10 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


FONDAMENTAUX : Des bulles de savon isolantes IDÉES : Les nouveaux brevets sur le vivant font débat

71 CLIMAT Les gagnants et les perdants de l’Arctique


par Eli Kintisch
100 guide
76 HISTOIRE DES SCIENCES Neptune, une découverte
100 LIVRES La sélection du mois
très disputée par Marie-Christine de La Souchère
104 AGENDA Les manifestations scientifiques

91 idées 106 LA QUESTION DE LA FIN


Pourquoi ne ressent-on pas la rotation de la Terre ?
par Gautier Cariou
91 À QUI APPARTIENT LE VIVANT ?
L’ouverture du marché des gènes
92 MATIÈRE À PENSER
Le vivant, un patrimoine convoité
par Viviane Thivent
96 ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN HUYGHE
« Les brevets sur des gènes natifs freinent
l’innovation » www.larecherche.fr
Propos recueillis par Viviane Thivent RECHERCHER S’INFORMER ACHETER
98 L’ŒIL DU PHILOSOPHE nLes archives nL’actualité nAbonnement
PLANNER/SHUTTERSTOCK - PASIEKA/SPL/AGEFOTOSTOCK

du magazine de la recherche et vente d’anciens


Cet obscur objet du désir numéros
Les sujets qui Retrouvez le
par Bernard Reber
vous intéressent blog des livres nLivres
sélectionnés par
dans une base et l’agenda des
La Recherche
de plus de manifestations Les outils du
20 000 articles. scientifiques. chercheur.

 a recherche sur twitter… Rejoignez-nous sur twitter pour


L
un éclairage original sur la science et les technologies.
Retrouvez La Recherche http://twitter.com/maglarecherche
sur RFI dans l’émission
« Autour de la question », Ce numéro comporte un encart abonnement La Recherche sur les exemplaires kiosque France et
mercredi 4 novembre à 15 h étranger (hors Suisse et Belgique) ; et un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque
Suisse et Belgique.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 11


ils ont collaboré à ce numéro

Marine Agogué Marie-Christine


PROFESSEURE de La Souchère
Marine Agogué enseigne le management de PROFESSEURE
l’innovation et de la création, à HEC Agrégée de physique, Marie-Christine de
Montréal. elle est aussi chercheur associé à La Souchère enseigne au lycée Jean-Baptiste-
la chaire Théorie et Méthodes de la conception innovante de Say, à Paris. À travers ses ouvrages, cette normalienne, passionnée
Mines ParisTech. Elle s’intéresse au rôle des biais cognitifs de vulgarisation scientifique, cherche à faire connaître les sciences
dans les dynamiques industrielles et aux obstacles qui par l’approche historique ou l’anecdote. Cet automne, elle publie
contraignent la génération d’idées créatives. n aux éditions Ellipses Les Sciences et l’Art. n

Mathieu Cassotti Daniel Le Métayer


MAÎTRE DE CONFÉRENCES DIRECTEUR DE RECHERCHE
En plus de ses cours à l’université À Inria Rhône-Alpes Lyon, Daniel Le Métayer
Paris-Descartes, Mathieu Cassotti est responsable du projet Cappris, pour la
est membre junior de l’Institut universitaire protection de la vie privée dans la société
de France et chercheur associé à la chaire Théorie et de l’information. Il est aussi membre de la Commission
Méthodes de la conception innovante de Mines ParisTech. de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique,
Ses recherches portent sur le rôle des émotions et du contrôle à l’Assemblée nationale. Il s’intéresse à l’articulation entre
cognitif dans la prise de décision et la créativité. n l’informatique et le droit, notamment en matière de vie privée. n

Claude Castelluccia Jean Lilensten


DIRECTEUR DE RECHERCHE ASTRONOME
Claude Castelluccia dirige l’équipe Jean Lilensten est directeur de recherche au
Privatics, qui étudie les nouvelles menaces CNRS. Il travaille à l’Institut de planétologie
pour la vie privée liées à la société et d’astrophysique de Grenoble et
de l’information, à Inria Rhône-Alpes. Expert en sécurité est spécialiste de l’activité solaire et de son impact
des réseaux, il travaille à l’amélioration de la protection sur les planètes du système solaire. Il étudie en particulier
des données personnelles. Il s’intéresse entre autres les aurores polaires et les recrée en miniature pour ceux
à la surveillance de masse par les données. n qui n’ont pas la chance de les contempler en vrai. n

Anne Debroise Chloé Poizat


ILLUSTRATRICE
JOURNALISTE
Chloé Poizat collabore depuis vingt ans
Née en 1973, année du choc pétrolier,
avec des maisons d’édition, et la presse
Anne Debroise a effectué ses études
française et internationale. Elle est aussi
d’ingénieur chimiste au moment où les
auteure de livres illustrés, dont Grain-d’Aile de Paul Éluard, paru
questionnements environnementaux bouleversent les sciences
aux éditions Nathan en 2014. Elle crée également des affiches
et la société. Elle entreprend alors des études de journalisme.
pour le théâtre, la musique. Vous pouvez découvrir son travail
Depuis, elle se passionne pour toutes ces découvertes qui nous
sur : http://chloe-poizat-illustration.tumblr.com n
aident à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. n
DR - JULIEN HAY LAPSYDÉ - CHLOÉ POIZAT

Catherine Hänni Bernard Reber


PALÉOGÉNÉTICIENNE PHILOSOPHE
Pionnière dans le domaine de l’ADN Directeur de recherche au CNRS, philosophe au
ancien, Catherine Hänni est aujourd’hui Centre de recherches politiques de Sciences-Po
directrice de recherche au CNRS. À l’École Paris, Bernard Reber est l’auteur notamment
normale supérieure de Lyon (ENSL), elle anime une équipe de La Démocratie génétiquement modifiée (Presses Université Laval,
de recherche et dirige la plate-forme nationale 2011) et directeur du numéro à paraître de la Revue de métaphysique
de paléogénétique, Palgene, créée par le CNRS et l’ENSL. n et de morale intitulé « Gouvernance et éthique du climat ». n

12 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Enfin une courbe qui fera chuter
celle du réchauffement climatique
NATURADOME REND LA NATURE HABITABLE GRÂCE À L’ÉCO CONSTRUCTION
my positive impact : mon impact positif

WWW.NATURADREAM.COM

Vos votes rendent visibles


les solutions pour le climat.
courrier

Adresse électronique : courrier@larecherche.fr

dossier

ENVIRONNEMENT
> Information quantique
m’inspire une remarque :
L’intrication quantique lorsque l’on analyse une fonc-
QUAND LES ARBRES Deux objets
quantiques de même
nature, des photons
Cas classique Mesure
et Résultat
Déduction
de la couleur
tion hyperbolique de type
ONT CHAUD
par exemple,
Terre

y = 1/x, où x = 0, nous avons un


forment parfois
un seul système.
Leurs états Terre Terre Lune

physiques sont
alors corrélés.
Quelle que soit
1 Deux bulles
– une verte et une
rouge – sont placées
dans une boîte noire.
2 On tire l’une d’elles
sans la regarder et
on la place dans
une autre boîte noire.
Lune
3 Une boîte est amenée sur
la Lune, l’autre reste sur Terre.
4 Mesurer
revient à ouvrir
la boîte d’un
certain côté.
5 Quel que soit
le côté choisi,
la couleur de la bulle
reste inchangée.
6 En découvrant la couleur
de la bulle restée sur Terre,
on en déduit de façon instantanée
la couleur de la bulle sur la Lune.
point singulier car « y » est à la
la distance qui

L’article « Il fait trop chaud fois négatif et positif, à l’instar


Création
sépare ces deux Mesure Résultat de la couleur
objets, une mesure
sur l’un affecte
Cas quantique

a u s s i p o u r l e s a r b re s » du chat du Schrödinger à la fois


l’autre de façon LES DEUX BULLES forment un Choix 1
système unique. La première
instantanée. est dans une superposition de Ou
couleurs. La seconde est dans Lune
Ce phénomène une superposition de couleurs
complémentaires.
d’intrication

(La Recherche n° 501-502, p. 24) mort et vivant. Que peut-on


Terre
Terre
quantique s’applique
à tous les systèmes Choix 2

quantiques. Pour Ou

indique que « les simulations et faire de cette remarque dans le


Lune
illustrer l’intrication
de deux objets Terre

quantiques, un

analyses, réalisées sur la cellu- domaine macroscopique ?


analogue simple Choix 3

est une paire de Lune


Ou
Lune
bulles de couleurs Terre
complémentaires.
3 Une boîte est amenée

lose extraite des anneaux de


sur la Lune, l’autre reste sur

n Courriel de Philippe Jean


Terre.
RÉDACTION : GAUTIER CARIOU
1 Deux bulles 2 On tire au sort 5 En mesurant la couleur de la bulle
CONCEPTION : IGOR DOTSENKO ET SÉBASTIEN GLEYZES, quantiques sont l’une d’elles sans la 4 On observe la bulle restée sur Terre. Le choix du côté par lequel sur Terre, on fixe instantanément
LABORATOIRE KASTLER-BROSSEL, À PARIS placées à l’intérieur regarder et on la place on l’observe détermine un couple de couleurs complémentaires la couleur complémentaire de la bulle
© INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS d’une boîte noire. dans une autre boîte noire. pour cette bulle. C’est la mesure qui fixe la couleur. sur la Lune.

croissance des arbres, laissent La réponse de Nicolas Gisin et


34 • La Recherche | juillet-août 2015 • Nº 501-502 Nº 501-502 • juillet-août 2015 | La Recherche • 35

LR_501_502_034INFOGRAPHIE.indd 34-35 16/09/15 14:49

apparaître une gestion plus effi- Nicolas Sangouard : La fonction


cace de la ressource en eau ».
Comment cette efficacité est-
OBSERVER 1/x en 0 n’est ni positive ni
négative, elle est indéfinie, alors
elle observable et quantifiable ?
n Courriel de Sandra Favreau
L’INTRICATION que le chat est bien à la fois
mort et vivant. En effet, comme
La réponse de Valérie Masson- un photon unique dans un
Delmotte : L’efficacité de l’uti- Je me pose une question sur votre très éclairante infogra- interféromètre peut « sentir »
lisation de l’eau par les arbres phie expliquant l’intrication quantique (La Recherche ce qui se passe dans chacun des
reflète la quantité de biomasse n° 501-502, p. 34), où deux bulles multicolores intriquées deux bras (autrement dit être
produite par rapport à la quan- sont placées dans des boîtes séparées, l’une sur Terre et sensible aux deux phases), le
tité d’eau transpirée. Elle peut l’autre sur la Lune. À l’étape 4, la couleur de la bulle conser- chat « sent » ses deux états,
être estimée à partir de la vée sur Terre est mesurée, et change selon le côté par lequel mort et vivant. Notons d’ail-
mesure du rapport entre le car- on l’observe. Cela a pour effet de fixer la couleur de la bulle leurs que les états quantiques
bone-13 et le carbone-12 de la sur la Lune (étape 5). Mais la mesure sur la Lune ne devrait- macroscopiques ne sont pas
cellulose des anneaux de crois- elle pas être impérativement réalisée selon le même choix singuliers. Il se pourrait qu’ils
sance des arbres. En effet, l’ou- que pour la mesure sur Terre ? Le choix 1 serait ainsi une soient très courants. Peut-être
verture des stomates des mesure « par le haut » révélant la couleur verte, le choix 2 trouvera-t-on que la plupart
feuilles agit sur les échanges une mesure « par la gauche » révélant la couleur violette, des états de grands systèmes
gazeux pour maximiser les et le choix 3 une mesure « par la droite » pour la mesure correspondent à des espèces de
gains en carbone et les pertes révélant la couleur orange. Sans cette obligation, l’obser- chats de Schrödinger. Même si
en eau. Elle favorise aussi l’in- vateur sur la Lune pourrait connaître le choix de l’obser- aujourd’hui on ne sait pas le
corporation préférentielle du vateur sur Terre, et en tirer une information qui aurait été mettre en évidence.
carbone-12 dans le dioxyde de transmise instantanément.
carbone atmosphérique. Ce n Courriel de Didier Delcuvellerie Erratum L’expérience Large
phénomène est ensuite obser- La réponse de Sébastien Gleyzes : Effectivement, pour Synoptic Survey Telescope
vable dans la composition du obtenir les résultats montrés sur l’infographie, il faut que (La Recherche n° 501-502,
carbone de la cellulose. les deux observateurs fassent le même choix de direction encadré p. 84) est un projet
de mesure. Si l’observateur sur Terre ouvre la boîte par le franco- américain depuis son
PHYSIQUE haut et trouve la boule rouge, mais que l’observateur sur origine, et non simplement

INTRICATION la Lune ouvre la boîte sur le côté, celui-ci trouvera aléa-


toirement la couleur jaune ou violette (s’il ouvre par la
américain.

MACROSCOPIQUE gauche) ou bleue ou orange (s’il ouvre par la droite). L’ob- Sauf mention contraire de leur auteur, toute lettre
parvenue à la rédaction de La Recherche est
servateur sur la Lune n’a aucun moyen d’en déduire quel susceptible d’être éditée et publiée, en tout ou en
partie, dans le journal. Les lettres concernant un
auteur extérieur à la rédaction de La Recherche lui
La lecture de l’article « Le chat choix a été fait sur Terre, et cette expérience ne peut pas sont envoyées. Sans réaction de l’auteur dans un
délai raisonnable, nous les considérons comme
de Schrödinger devient réel » permettre de transmettre d’information instantanément. publiables en tout ou en partie, sans attendre une
éventuelle réponse de sa part. Dans la mesure du
(La Recherche n° 501-502, p. 53) possible, évitez les fax et les lettres manuscrites.

14 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


EViews 9 ®

DES SOLUTIONS INNOVANTES


POUR L’ANALYSE ÉCONOMÉTRIQUE, LES PRÉVISIONS
ET LA SIMULATION

Présentation des données

Analyse économétrique

Manipulation de données
Prévision

Statistique
Simulation

Programmation

ritme.com/eviews
RITME - 34 bd Haussmann
75009 Paris - France Distributeur officiel en France, Belgique, Luxembourg et Suisse
Tél. : +33 (0)1 42 46 00 42 EViews est une marque déposée de IHS Global Inc . Toutes les marques déposées sont la propriété de leurs sociétés respectives. © 2015 RITME
l’événement

Le secret
de l’effet cocktail
L’effet d’un composé pharmacologique peut être réduit ou au contraire
décuplé dans un organisme se trouvant déjà sous l’influence d’une première substance.
Deux équipes montpelliéraines ont décrypté le mécanisme de ce phénomène.

Anne Debroise, journaliste

aviez-vous qu’une femme qui À l’origine de ce travail, on trouve une pré-


S prend la pilule peut tomber
enceinte si elle est exposée à
occupation face à l’effet, parfois très
décevant, de certains anticancéreux,
un pesticide ? La faute à « l’effet cock- qui oblige les prescripteurs à aug-
tail ». C’est ainsi que les pharmacolo- menter les doses de ces produits
gues définissent la modification de déjà fortement agressifs. « Notre
l’effet d’un médicament en pré- hypothèse, c’était que les méca-
sence d’autres molécules actives. Si nismes qui permettent à notre
le concept est admis, son méca- organisme d’éliminer les molécules
nisme au cœur des cellules était étrangères, comme les anticancé-
méconnu. Plusieurs hypothèses ont reux, se montrent dans certaines
été avancées, mais on n’imaginait occasions beaucoup trop efficaces »,
guère que la combinaison de deux explique Patrick Balaguer. Les méca-
molécules puisse activer une même pro- nismes de détoxification cellulaire
téine située dans le noyau de la cellule, seraient en effet suractivés par la présence
appelée récepteur nucléaire. C’est pourtant le simultanée de plusieurs de ces intrus.
phénomène que viennent d’observer Patrick Bala- Ces opérations de nettoyage impliquent souvent un
guer (Institut de recherche en cancérologie, à Montpel- récepteur appelé PXR (Pregnane X receptor). Il officie à
Quand les
lier) et William Bourguet (Centre de biochimie structu- l’intérieur des noyaux des cellules humaines et fonc-
perturbateurs
rale, à Montpellier). Ils ont montré que, ensemble, une endocriniens tionne comme un détecteur de molécules étrangères.
hormone, l’œstrogène, et un perturbateur endocrinien, annulent l’effet Celles-ci entrent dans la poche du récepteur (une sorte
molécule capable de perturber le système hormonal, des œstrogènes… de cavité aux contours particuliers) et s’y fixent. Cette
activent fortement un de ces récepteurs, à des doses où association déforme le récepteur et lui donne la capacité
GARO/PHANIE

ils n’ont, individuellement, aucun effet. Surtout, ils ont d’activer la transcription de certains gènes codant des
observé ces deux composés en pleine interaction à l’in- protéines capables de dégrader et d’éliminer ces subs-
térieur même du récepteur. Une première. tances a priori indésirables (Fig. 1) .

16 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


n Pour la première fois, des chercheurs ont visualisé deux molécules activant, ensemble, un même récepteur.
Repères n Ce mécanisme révèle comment certains mélanges de molécules déclenchent dans l’organisme des effets
imprévisibles, qui peuvent être supérieurs, inférieurs, ou simplement différents des effets de leurs composants.
n Cet « effet cocktail » expliquerait certaines interactions médicamenteuses et l’activité de certains perturbateurs
endocriniens à faibles doses.

Mais PXR est un caillou dans la chaussure des pharma- y figure en bonne place. Il est activé par de nombreux Les pesticides
cologues : en assurant sa mission de protection, ce perturbateurs endocriniens (bisphénol A, pesticides font partie de
récepteur inactive de nombreux médicaments. On l’es- organophosphorés, alkylphénols), par des antibiotiques la famille des
perturbateurs
time capable de réduire au silence, en quelques heures, (rifampicine), par des œstrogènes, etc. endocriniens dits
la moitié des médicaments existants ! L’expérience consiste à mesurer l’activité de ces 40 molé- « organochlorés ».
cules, prises isolément, à diverses concentrations. Mais
DÉTECTER L’ACTIVATION DU RÉCEPTEUR surtout, à tester tous les binômes possibles, c’est-à-dire
780 paires de molécules, également à différentes concen-
En fait, PXR n’est activé que lorsque la concentration des trations. Un travail répétitif qui, heureusement, ne se fait
médicaments ou des hormones dépasse un certain pas à la main. Pour mettre en contact ces milliers de solu-
seuil. Pourquoi semble-t-il parfois beaucoup plus sus- tions avec des cellules humaines exprimant le récepteur,
ceptible ? Son efficacité serait-elle exacerbée par la pré- les biochimistes ont mis au point un dispositif de
sence simultanée de plusieurs composés chimiques ? « criblage moléculaire robotisé ». Celui-ci dépose les
RÉGIS DOMERGUE/BIOSPHOTO

C’est l’hypothèse testée par l’équipe montpelliéraine à mélanges sur des cellules humaines préalablement
partir de 40 molécules recensées par le programme Tox- modifiées pour que le récepteur PXR, une fois activé,
cast de l’Agence de la protection de l’environnement augmente la production d’une protéine luminescente, la
américaine. Ce programme de recherche recense en luciférase de luciole. La luminosité témoigne donc direc-
effet les molécules chimiques toxiques et identifie les tement de l’activation du récepteur. Ce criblage cellulaire
récepteurs sur lesquels elles agissent. Le récepteur PXR porte rapidement ses fruits. Deux substances sortent

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 17


l’événement A et les phtala
tes
Le bisphénol tiq ues
nts des plas
Ces constitua t
Quelques perturbateurs se retrouvent
un pe u pa rt ou
en vi ronn em ent
endocriniens dans notre
smétiques, et
c.).
(peintures, co le s récep-
nt av ec
du lot : un œstrogène de synthèse (le 17a-ethiny-
Les organoch
lorés Ils interfère s
rogènes et de
lestradiol), que l’on trouve dans les pilules contraceptives ts da ns les huiles, les teurs des œst ient altérer
Présen ), et pour ra
nd ane, DDT, etc. androgènes ,
classiques, et le trans-nonachlore, un pesticide interdit pesticides (li lo ng- tion sexuelle.
ils persisten t la différencia
au début des années 1980, mais que l’on détecte encore les peintures, en t.
nvironnem
souvent dans l’environnement et chez les individus, car temps dans l’e été
eu x so nt ceux qui ont ents
il se dégrade lentement. Seules, ces deux molécules n’ac- Nombr leur s effets Les médicam
de s
interdits à ca
us e
es rejetées par le
tivent le récepteur qu’à des concentrations élevées. Mais ème hormonal
. Les hormon d’élev age
sur notre syst humains et le
s anim aux
ea ux de
en mélange, elles produisent le même effet à des concen- es dans les
sont retrouvé
trations 10 à 100 fois plus faibles ! Cette activation se n.
Les détergen
ts consommatio
montre efficace : elle conduit à une production de pro- alky lphé nols
et les
téines impliquées dans la détoxification des cellules. sés da ns l’industrie
Utili
s dé te rgents
Pour Dino Moras, pionnier de la biologie structurale en et dans le rsont suffisamment proches pour éta-
m es tique s, ils agiraient su
France, « ce qui est remarquable dans ce travail, c’est que do rogè neblir des liaisons entre eux. Ils forment
s
des œst
les chercheurs sont allés jusqu’au bout, en examinant par les récepteurs . comme un ligand supramolécu-
èn es
des outils de cristallographie la structure du récepteur et des androg laire », analyse William Bourguet.
suractivé par les deux molécules. Ils ont ainsi pu expliquer Ce mécanisme expliquerait une partie des interactions
le mécanisme moléculaire de l’activation ». Dans cer- médicamenteuses, voire refléterait le mode d’action de
taines conditions physico-chimiques, les protéines cris- certains perturbateurs endocriniens qui peuvent se
tallisent : elles se figent et leurs atomes forment un empi- montrer nocifs, même à très faible dose.
lement régulier. Comme tous les cristaux, les cristaux de
protéines diffractent les rayons X. Les figures de diffrac- FAUDRA-T-IL RÉVISER LA LÉGISLATION ?
tion obtenues permettent d’obtenir une image précise
de la densité électronique du cristal et de voir ainsi les L’expérience donne par ailleurs une idée de l’impor-
molécules qui le constituent, en distinguant jusqu’aux tance de cet « effet cocktail » : « En testant 40 molécules
atomes. Elles révèlent la structure spatiale de la protéine sur un seul récepteur, nous avons trouvé une paire
et des « ligands » (*) qui y sont fixés. Appliquée aux récep- capable d’interagir, note Patrick Balaguer. Cela suggère

INFOGRAPHIE : SYLVIE DESSERT


teurs PXR mis en présence de leurs deux ligands, la tech- que le phénomène est assez courant. Quand on sait qu’il
nique livre un cliché édifiant : on y voit le récepteur et sa (*) Un ligand est y a 150 000 substances chimiques en circulation dans l’en-
poche, cette cavité où ne devrait entrer qu’une molécule une molécule qui vironnement, on peut penser qu’il reste beaucoup d’inter-
se lie de manière
– ou ligand – à la fois. Et dans cette poche figurent les réversible à une actions à découvrir. » De plus, notre organisme abrite
deux ligands, pris en flagrant délit d’interaction. « Les plus grosse 48 récepteurs nucléaires, et on peut imaginer des inter-
deux ligands ont chacun leur place, mais on voit qu’ils molécule cible. actions à 3 ou à 4 molécules… Pourra-t-on réellement

Pesticide
Fig. 1 L’effet cocktail à la loupe Contraceptif

Contraceptif Pesticide

RN activé
Récepteur RN activé RN activé
nucléaire
(RN)
Noyau

ADN Production
Production
Production
Cytoplasme

Protéines Protéines
Cellule Protéines
1 2 3
L’hormone d’un contraceptif passe la membrane De la même façon, une molécule de pesticide Lorsque la cellule hépatique se trouve en
d’une cellule du foie, et se fixe au niveau du se fixe au niveau du récepteur nucléaire de présence des deux molécules, contraceptive
récepteur nucléaire. Activé, celui-ci va se fixer sur cette cellule du foie. Une fois activé, celui-ci et pesticide, le récepteur nucléaire voit son
l’ADN et génère la production de protéines. génère également une protéine de nettoyage. activation boostée. C’est l’« effet cocktail ».

18 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


évaluer toutes ces interactions ? La tâche semble déme-
surée. À moins que… « Nous allons certainement obser-
ver d’autres exemples d’interactions, avance William
L’effet cocktail peut
Bourguet. Et à partir de ces exemples, nous pourrons
engendrer un modèle informatique qui pourrait prédire aussi être bénéfique
l’activité des combinaisons de différentes molécules. »
Les deux équipes ont commencé à travailler sur une Cette découverte vous surprend-elle ?
banque d’environ 1 600 médicaments courants. Non. Nous savons depuis longtemps que les mélanges
Ces résultats soulignent les failles de notre modèle d’éva- de principes actifs peuvent avoir des effets très su-
luation des effets des substances chimiques. Que ce soit périeurs, parfois même très différents de l’effet de
pour mesurer l’efficacité d’un médicament ou la toxicité chacune des molécules prises isolément. Le méca-
d’un polluant, et que les tests aient lieu au laboratoire nisme qui est démontré ici est intéressant, mais il en
(sur des cellules ou des animaux) ou en clinique (sur des existe beaucoup d’autres. Les enzymes allostériques,
humains), on ne teste jamais qu’une molécule à la fois. par exemple, sont des protéines dont l’activité est
Une situation bien éloignée de la réalité. Il est rare Daniel Cohen, modifiée, ou amplifiée, quand elles s’associent avec
généticien connu
qu’une prescription médicale comporte un seul prin- une ou plusieurs autres molécules.
pour la première
cipe actif. Et nos organismes sont imprégnés de nom- cartographie du En quoi cela est-il intéressant ?
breuses autres molécules actives, provenant de l’air res- génome humain, La revue Nature met cet article en valeur parce que
piré ou des aliments ingérés. a créé, en 2007, l’interaction fait intervenir un perturbateur endo-
Les perturbateurs endocriniens (lire p. 18) présents dans l’entreprise Pharnext. crinien issu des pesticides. Mais la diabolisation
Elle mise sur
les pesticides, l’alimentation et les objets les plus cou- des pesticides me semble exagérée. On en trouve
l’interaction de
rants, sont notamment susceptibles de modifier l’effet molécules déjà partout dans la nature où ils sont produits par des
d’un traitement pharmaceutique. Or ces interactions éprouvées pour plantes. Certaines interactions sont nocives, mais pas
sont largement ignorées. Toutefois, avec les travaux des mettre au point des forcément toutes. Évitons les caricatures. L’article me
chercheurs montpelliérains, le modèle est en train de traitements plus semble intéressant pour d’autres raisons. Certaines
efficaces et moins
changer. Il apparaît urgent de renforcer les législations, interactions de molécules peuvent en effet être très
agressifs.
notamment le système européen Reach imposant aux bénéfiques. On peut en tirer parti pour mettre au point
entreprises qui fabriquent et importent des substances des traitements nouveaux. C’est d’ailleurs le principe
des bi ou des trithérapies, qui permettent de traiter
© ArnAud Joron

chimiques d’évaluer les risques. L’effet cocktail est en


effet susceptible d’exacerber la nocivité de produits la tuberculose ou le sida. L’avantage, c’est que cette
considérés, jusqu’ici, comme inoffensifs. n approche permet d’être efficace avec des doses de
(1) V. Delfosse et al., Nat. Commun., doi:10.1038 ncomms9089, 2015. médicaments très faibles, parfois 100 fois inférieures
au seuil d’efficacité des principes actifs utilisés seuls.
Cela augmente notablement la tolérance, en réduisant
le risque d’effets indésirables.
Activation du récepteur nucléaire en % Votre société exploite cet effet cocktail pour mettre
120 au point de nouveaux traitements. Où en êtes-vous ?
100 Nous avons développé deux familles de mélanges.
Effet attendu Le premier, qui associe un sucre (le sorbitol) et deux
80 contraceptif + pesticide
molécules utilisées contre les addictions (le baclo-
60
fène et le naltrexone), agit contre les atteintes des
40 nerfs périphériques. Nous testons actuellement son
20 efficacité sur des patients (essai de phase 3) atteints
de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, qui entraîne
0
10–8 10–7 10–6 10–5 une faiblesse musculaire et une perte de sensibilité.
Concentration mol/L Le second mélange associe le baclofène et une autre
molécule anti-addiction, l’acamprosate, pour lutter
Effet cocktail Pesticide Contraceptif
contre les dégénérescences du système nerveux
4 central, dans les maladies d’Alzheimer et de Parkinson
Le récepteur nucléaire est plus activé en présence du pes-
ticide et du contraceptif (en rouge) que ce qu’on pourrait notamment. Nous déterminons la dose optimale chez
attendre de la simple addition de l’effet des deux molécules des patients (phase 2). n
(courbe en pointillés).
Propos recueillis par Anne Debroise

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 19


actualités EN BREF

PHYSIQUE en détail et les résultats


suggèrent qu’elles exercent
CARTOGRAPHIER LES MATÉRIAUX un rôle protecteur contre
ATOME PAR ATOME le baculovirus, autre virus
spécifique des arthropodes
Localiser avec précision les atomes indi- sous un grand nombre d’angles différents. très présent dans la nature.
viduels d’un échantillon de matière est En combinant ces mesures avec plusieurs L. Gasmi et al., Plos Genet.,
un défi pour les scientifiques. Une équipe algorithmes d’analyse et de reconstruction, doi:10.1371/journal.pgen.1005470, 2015.
de l’université de Californie à Los Angeles les chercheurs ont pu créer cette image
vient de réussir à déterminer les coordon- 3D dont la précision de la localisation d’un ASTRONOMIE
nées dans les trois dimensions de l’espace atome atteint 19 picomètres, moins que le DE L’EAU TRÈS SALÉE
de 3 769 atomes d’une pointe de rayon d’un atome d’hydrogène. SUR MARS
tungstène. Jusqu’à présent, la À cette échelle, ils ont aussi Des coulées saisonnières
seule technique permet- identifié les défauts sombres à la surface de Mars
tant une cartographie de la pointe de avaient mis la puce à l’oreille
atomique consistait tungstène et aux planétologues. Les
à supposer que les l’écart par rapport analyses de la sonde Mars
atomes du cristal étaient à la structure théo- Reconnaissance Orbiter ont
alignés par blocs de façon par- rique parfaite. Cette technique parlé : la planète Rouge
faite. Du coup, on obtenait une carte par pourrait s’appliquer aux matériaux abriterait de l’eau liquide en
blocs et non la position individuelle des amorphes, ce qui offre en particulier des quantité suffisante pour créer
atomes. Les chercheurs californiens se sont perspectives pour l’imagerie biologique. des coulées. Il s’agirait d’un
affranchis de cette contrainte. Le principe ? R. Xu et al., Nat. Mater., doi:10.1038/nmat4426, 2015. mélange chimique de chlorate
L’échantillon est scanné à l’aide d’un fais- et perchlorate de magnésium
Les 3 769 atomes d’une pointe de tungstène
ceau d’électrons. L’interaction entre ces sont localisés en 3D. Les couleurs indiquent et de perchlorate de sodium
électrons et les atomes est ensuite mesurée différentes hauteurs. avec un peu d’eau. Cette
saumure reste liquide dans les
conditions martiennes de
pression et de température.
NEUROLOGIE transmission d’une molécule BIOLOGIE En revanche, étant donné
COURT-CIRCUITER baptisée acétylcholine d’un DES PAPILLONS sa concentration en sels, il y a
LA PEUR neurone à un autre, ce qui a GÉNÉTIQUEMENT peu de chance qu’elle puisse
Un des mécanismes cérébraux pour effet de réduire, voire de MODIFIÉS abriter de la vie telle que nous
à l’origine de la peur qui supprimer l’expression de la Une guêpe parasite a pour la connaissons.

MARY SCOTT - JIANWEI (JOHN) MIAO/UCLA - NASA/JPL/UNIVERSITÉ D'ARIZONA


conditionne certaines de nos peur. Pour le montrer, des habitude de déposer ses œufs L. Ojha et al., Nat. Geosci.,
actions a été identifié. Cette neuroscientifiques ont inhibé dans des larves de papillons. doi:10.1038/ngeo2546, 2015.
même peur qui nous intime la production des CB1 chez Pour que les œufs ne soient
de fuir à la vision d’une des souris conditionnées pour pas détruits, elle lègue
avalanche. Un circuit cérébral fuir des sons et des odeurs également des virus qui
situé dans l’habenula, associés à des chocs détournent le système
ganglion impliqué dans la électriques et à des maladies immunitaire des larves.
régulation des émotions, gastriques. Résultat : L’équipe de Jean-Michel
contribue à l’expression de contrairement aux souris du Drezen, de l’Institut de
l’anxiété et de la peur. En groupe contrôle – qui fuyaient recherche sur la biologie de
particulier, un déficit des en présence de ces stimuli – l’insecte, à Tours, a démontré
récepteurs cannabinoïdes de les souris inhibées ne que des séquences génétiques
type 1 (CB1) – cible des manifestaient plus la peur. de ces virus intègrent l’ADN
composants psychoactifs du E.Soria-Gomez et al., Neuron, des papillons. Deux de ces
cannabis – augmente la doi:10.1016/j.neuron.2015.08.035, 2015. séquences ont été étudiées Coulées sombres sur Mars.

20 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


ON COMMENCE
À COMPRENDRE AVEC
LES LOIS DE LA PHYSIQUE
COMMENT LES FORMES ET
CLIMAT
LES FONCTIONS COMPLEXES LA MÉMOIRE DE L’EAU
DU VIVANT APPARAISSENT ” Les eaux souterraines de Bretagne
ÉRIC KARSENTI,
biologistecellulairequivient 100 sont les gardiennes de l’histoire
climatique de la planète. L’analyse
derecevoirlamédailled’or
duCNRSpour2015. KM géochimique des eaux situées entre
80 et 400 mètres de profondeur, dans
le massif armoricain, a permis de
reconstituer les variations
climatiques de ces cinq derniers
millions d’années, de l’époque
MATÉRIAUX C’EST LE NOUVEAU
reculée où les eaux océaniques

Cape d’invisibilité
RECORD DE DISTANCE s’étaient introduites dans la porosité
pour la téléportation du rocher jusqu’à la période actuelle.
Dissimuler des objets en trois dimensions de quantique d’un photon à L. Aquilina et al., Scientific Reports,
taille micrométrique ? C’est possible grâce à travers une fibre optique, doi:10.1038/srep14132, 2015.
une structure de 0,08 micromètre d’épaisseur. quatre fois plus loin que
Il s’agit d’un isolant constellé de rectangles le record précédent. Cette
d’or de tailles différentes qui agissent comme
une antenne qui détourne la lumière.
prouesse technique devrait
accélérer le déploiement
Nous sommes
On reste toutefois loin de la cape d’invisibilité des réseaux d’information déterminés
d’Harry Potter. quantique. à promouvoir
X. Ni et al., Science, 349, 1310, 2015. H. Takesue et al., Optica, 2, 832, 2015.
l’exploration
du système
solaire, mais en
L’impact des particules fines sur la mortalité préservant les
environnements
naturels ”
9000

La Nasa, le10septembre,en
3000
réactionauxdéclarationsd’Elon
Décès dus à la pollution

Musk,quiproposedefaireexploser
700 desbombesnucléairessurMars
pouraidersacolonisation.

200

BIOLOGIE
20
Échange de gènes
Les champignons se développent de

2010 1
mieux en mieux dans le fromage, grâce
à leurs échanges de gènes. Une équipe
française a comparé les génomes de
La pollution de l’air, essentiellement par des particules fines, entraînerait dix espèces de champignons
la mort prématurée de 3,3 millions de personnes chaque année, aux trois Penicillium, dont P. roqueforti et
quarts en Asie. C’est l’un des enseignements d’une étude internationale qui,
JOHANNESLELIEVELD/MPG

P. camemberti. Elle a constaté qu’ils


en se fondant sur un modèle chimique de l’atmosphère, a réussi à estimer la
se sont échangé des portions
mortalité prématurée dans les zones urbaines et rurales due à la présence de
conséquentes de leur génome au
particules. La carte représente l’excès de mortalité due à la pollution. Si la
tendance actuelle ne change pas, le bilan sera deux fois plus élevé en 2050. cours des dernières dizaines d’années.

J. Lelieveld et al., Nature, 525, 367, 2015. J. Ropars et al., Current Biology, 25, 1, 2015.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 21


actualités PHYSIQUE

La physique quantique passe un nouveau test


L’étrangeté de la mécanique quantique est confirmée par un test sans faille des inégalités de Bell. Une
expérience qui ouvre la voie aux réseaux quantiques de communication avec, à la clé, une sécurité absolue.

a physique quantique est définitive- que l’échantillon détecté était représentatif de

L ment bien étrange ! Ses prédictions


viennent d’être confirmées par une
toutes les particules. Ensuite, une « faille de loca-
lité » : si les deux dispositifs qui mesurent les pro-
équipe de l’université de Delft, aux Pays-Bas, priétés des particules sont trop proches, un
dans un test expérimental d’envergure (1) . Il signal pourrait se propager entre les deux et exer-
s’agit de vérifier si les inégalités imaginées par le cer une influence qui expliquerait les résultats.
physicien irlandais John Bell sont vraies (ce qui En une seule expérience, l’équipe de Ronald
signifierait que la théorie quantique n’est pas Hanson a réussi la prouesse de combler ces deux
complète) ou fausses (elle aurait raison). Le test failles. Parmi tous les systèmes intriqués à dispo-
consiste à mesurer des couples de particules sition, elle a utilisé le spin d’un ensemble d’élec-
intriquées. Selon la physique quantique, chaque trons confinés dans deux morceaux microsco-
couple doit se comporter comme un seul et piques de diamant éloignés de 1 200 mètres.
unique objet, quelle que soit la distance qui Dans chaque laboratoire, le spin des électrons
sépare les deux particules. Dans ce cas, une contenus dans les diamants est d’abord intriqué
mesure sur l’une d’entre elles modifie instanta- avec un photon. Ces deux photons sont envoyés
nément les propriétés de l’autre. l’un vers l’autre dans des fibres optiques jusqu’à
Ces inégalités de Bell ont été testées à de nom- un troisième lieu où ils sont intriqués ensemble.
breuses reprises depuis le début des années
1980, toujours en faveur de l’étrangeté quan- DES TESTS EXTRAORDINAIRES
Pour en savoir plus tique. Mais il restait deux échappatoires pos-
n Romain Alléaume et Damian sibles. D’abord une « faille de détection ». Les Cette opération transfère automatiquement l’in-
Markham, « Cryptographie : particules ne sont jamais parfaitement détectées : trication entre les deux ensembles d’électrons
la confiance retrouvée », La Recherche, certaines sont perdues et ne donnent pas de confinés au sein des deux diamants. Les deux
juillet-août 2015, p. 42. résultat. Les chercheurs devaient donc supposer spins sont alors mesurés… en moins de
4,27 microsecondes, le temps de parcourir la dis-
tance entre les deux laboratoires à la vitesse de la
lumière. Cela prévient toute faille de localité. De
plus, ces mesures sont faites avec une grande
efficacité, ce qui élimine toute faille de détection.
Cette procédure a été répétée sur 245 couples de
spins intriqués, ce qui a nécessité 9 jours de tra-
vail consécutifs. Résultat : la physique quantique
a bel et bien raison. « Cela en valait la peine, s’en-
thousiasme Nicolas Gisin de l’université de
Genève. Les prédictions de la physique quantique
sont tellement extraordinaires qu’elles méritent
des tests extraordinaires. » Au-delà de ce résultat
fondamental, cette expérience est un nouveau
pas vers des réseaux de communication quan-
tique garantissant un niveau de sécurité absolu.
QU TECH

Un grand moment pour l’équipe de Ronald Hanson, de l’université de Delft, qui a réussi à Sylvain Guilbaud
tester de manière ultime les prédictions de la physique quantique. (1) B. Hensen et al., arXiv :1508.05949, 2015.

22 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Actualités MÉDECINE

l’intégrité génétique et molécu-


laire de ce qu’ils ont obtenu,

Doutes sur la création in vitro estiment plusieurs biologistes,


tel Bernard Jégou, de l’Institut

de spermatozoïdes humains de recherche en santé, envi-


ronnement et travail (Inserm,
université Rennes-I). Ces résul-
Des chercheurs français ont annoncé la réalisation complète d’une spermatogenèse tats donnés directement dans
humaine en laboratoire. Mais sans publication officielle, point de salut… les médias posent un problème
déontologique. Depuis les
années 1970, des équipes ont
ous avons réussi à plusieurs fois annoncé avoir

N produire des sper-


matozoïdes in vitro
produit des spermatozoïdes in
vitro, mais leurs résultats
à partir de prélèvements effec- étaient soit erronés, soit pas
tués chez des hommes infer- reproductibles (1) . C’est un peu
tiles », annonce Marie-Hélène comme le monstre du Loch
Perrard-Durand, de l’Institut Ness, régulièrement des per-
de génomique fonctionnelle sonnes affirment l’avoir vu… »
de Lyon, et cofondatrice avec Marie-Hélène Perrard-Durand
Philippe Durand, ex-directeur explique avoir soumis, depuis
de recherche pour l’Inserm et le brevet, leurs travaux pour le
l’Inra, d’une start-up, baptisée rat et l’homme à publication.
Kallistem. « Démontrer que nos sperma-
La technique a été brevetée en tozoïdes sont bien fécondants
juin. Mais les deux chercheurs, coûterait près de 500 000 euros.
qui travaillent depuis les Nos tutelles ne souhaitaient pas
années 1990 à ce projet, n’ont financer la poursuite de nos tra-
pas publié leurs résultats dans vaux, c’est pour cette raison que
une revue à comité de lecture, nous avons fondé la start-up. »
comme il est d’usage. Seules Pour le moment, seule l’équipe
quelques photos et des expli- de Takehito Ogawa, de l’uni-
cations sur la technique ont été versité de Yokohama, au Japon,
fournies en septembre lors a expérimenté la production in
d’une conférence de presse. Avec ce dispositif, l’équipe lyonnaise assure avoir percé le secret de vitro de spermatozoïdes à par-
la spermatogenèse. Les tubes séminifères ont été placés dans des tubes tir de tissus testiculaires conge-
UNE ANNONCE DE PLUS ? d’hydrogel (en blanc) et mis en culture pendant plus de 70 jours. lés, et réussi avec ces gamètes
des fécondations. C’était en
Face à la complexité du proces- tubes à base d’eau et de chito- culture vers l’intérieur des tubes 2014, chez la souris (2) .
sus – chez un homme pubère, sane (*) et disposé l’ensemble séminifères et maintient une Mathias Germain
la spermatogenèse s’effectue dans un milieu de culture concentration suffisante en
en 70 jours dans les tubes renouvelé et adapté aux hormones à l’intérieur des (1) V. Roulet et al., Hum. Reprod.,
6, 1564, 2006.
séminifères des testicules –, les besoins de chaque étape de la tubes. » Avec cette technique,
CYRIL FRÉSILLON/CNRS PHOTOTHÈQUE/IMP

deux biologistes ont longtemps spermatogenèse. « Le tube les chercheurs affirment avoir (2) T. Yokonishi et al. Nat. Commun.,
doi:10.1038/ncomms5320, 2014.
cherché le système de culture d’hydrogel assure aux tubes obtenu des spermatozoïdes à
adéquat. Ils se sont appuyés séminifères que nous prélevons, partir des tubes séminifères (*) Un hydrogel est un matériau com-
portant une matrice de polymères gon-
sur les avancées de Laurent un confinement semblable à prélevés chez des rats, des
flée par une grande quantité d’eau ou de
David, de l’université de Lyon, celui des testicules, explique singes et des hommes infertiles. liquide biologique (tel un liquide nutritif).
dans le domaine des hydro- Marie-Hélène Perrard -Durand. « Il est impossible de vérifier (*) Le chitosane est un polymère
gels(*). Ainsi ils ont placé des Sa paroi permet la diffusion des leurs assertions. Nous ne dispo- obtenu à partir de la chitine, molécule
tubes séminifères dans des éléments nutritifs du milieu de sons pas d’informations sur composant la carapace des crustacés.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 23


actualités PHYSIQUE

La mécanique des nœuds démêlée


Il y a un lien très fort entre la configuration d’un fil et les forces qui s’exercent dans
un nœud. Plus le fil est vrillé, plus il est difficile d’y former un nœud.

aire un nœud : tout fonction de la manière dont le Afin de tester précisément

1 000 F le monde est un


jour confronté à ce
câble est vrillé. Elle met aussi
en évidence l’importance de la
l’impact de la géométrie du
nœud sur les forces qui y sont à
FOIS problème, du quidam au navi-
gateur, en passant par le
force de friction dans ce
mécanisme (1) .
l’œuvre, les physiciens ont
ajouté des tours à leur câble
chirurgien. Mais pourquoi torsadé. À chaque torsion sup-
IN DI CATE UR choisit-on, dans une situation IMPACT DE LA GÉOMÉTRIE plémentaire, ils ont mesuré la
précise, tel type de nœud plu- force nécessaire pour serrer le
PLUS DE FORCE est tôt qu’un autre ? Le choix reste Dans leur dispositif, les cher- nœud. Résultat : celle-ci est
nécessaire pour serrer à ce jour très empirique, car il cheurs ont utilisé deux câbles mille fois plus importante
un nœud quand il y a n’existe pas de modèle mathé- en Nitinol, matériau rigide et quand il y a dix tours que lors-
dix torsades que quand matique pour déterminer ultra-élastique à base de nickel qu’il n’y en a qu’un. Leur travail
il n’y en a qu’une. comment la forme d’un nœud et de titane, de 66,2 centi- de modélisation leur a permis
– sa géométrie – affecte les mètres de longueur, et tressés de comprendre pourquoi : la
forces qui s’y exercent, telles la pour n’en faire qu’un. Une force de friction jouerait un
friction, la tension et la rigidité extrémité de ce câble torsadé rôle fondamental dans la
à la flexion. était fixée à une table, l’autre résistance grandissante à la
À cette question, des physi- était attachée à un bras méca- fermeture de la boucle. Bien
ciens du MIT, aux États-Unis, et nique. Puis Basile Audoly et ses plus important que celui
de l’université Pierre-et-Marie- collègues ont fait des nœuds qu’avait estimé, dans une pré-
Curie, à Paris, apportent un tout simples : ils ont formé une cédente étude, la partie fran-
début de réponse. Leur étude, boucle au milieu du câble tor- çaise de l’équipe (2) .
à la fois théorique et expéri- sadé, et y ont fait passer le bout Forts de ce nouveau « point de
mentale, établit comment la attaché au bras mécanique, départ », comme le qualifie
résistance à la formation d’un avant de le tendre pour serrer Basile Audoly, les physiciens
nœud simple augmente en le nœud. ont maintenant l’ambition de
tester ce modèle sur des
nœuds plus complexes. Un tra-
vail, assurent-ils, qui permettra
de mieux comprendre com-
ment les nœuds se font et
se défont dans les
chaînes de protéines.
Vincent Glavieux
(1) M.K. Jawed et al., Phys.
Rev. Lett., 115, 118302, 2015.
(2) B. Audoly et al., Phys. Rev.
Lett., 99, 164301, 2007.
MADLEN/SHUTTERSTOCK

La force de friction jouerait


un rôle fondamental
dans la résistance
à la fermeture de la boucle.

24 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


3 SALONS DE
SOUS LE PATRONAGE DU

VOUS ÊTES EN TERMINALE, EN CLASSE PRÉPA


OU CANDIDAT(E) AUX ADMISSIONS PARALLÈLES

GRANDES ECOLESDE COMMERCE & D’INGÉNIEURS


SOUS LE PATRONAGE DU

TOUTES LES FORMATIONS ET LES MÉTIERS QUI RECRUTENT

SANTE, SOCIAL
PARAMEDICAL
ETUDES
AVEC LE PARRAINAGE DU

METIERS D’AVENIR
> DÉVELOPPEMENT DURABLE ET ENVIRONNEMENT > JEUX VIDÉO ET CINÉMA D’ANIMATION

12 | 13 DÉCEMBRE CONFÉRENCES
ET RENCONTRES
PARIS | ESPACE CHAMPERRET
> PROGRAMME ET INVITATIONS
SUR
actualités PALÉOANTHROPOLOGIE

Homo naledi, l’homme sans âge


Notre famille s’agrandit avec la description d’une nouvelle espèce, Homo naledi, découverte en Afrique du Sud.
L’absence de datation soulève des questions quant à sa place dans la lignée humaine.

La Recherche. Une nouvelle espèce Homo. Par ailleurs, les mandibules décrites par
baptisée Homo naledi et découverte en l’équipe de Lee Berger sont graciles, ce qui n’est
Afrique du sud vient d’être décrite (1) . pas du tout le cas d’hominidés plus archaïques
Quelle est la portée de cette découverte ? comme les australopithèques et les paran­
Sandrine Prat. Elle est majeure par le nombre de thropes, chez qui la hauteur de branche – la par­
restes découverts. En 2013, l’équipe du paléon­ tie de la mandibule qui s’insère dans le crâne –
tologue américain Lee Berger, responsable des est très importante. De la même façon, les dents,
Sandrine Prat fouilles et de l’analyse des fossiles, a en effet de petite taille, sont compatibles avec les habi­
exhumé 1 550 ossements appartenant à quinze tudes alimentaires des représentants du genre
individus différents. C’est le plus grand assem­ Homo. En fin de compte, ce n’est pas tant l’ap­
SES DATES blage de fossiles mis au jour en Afrique, de quoi partenance de naledi au genre Homo que sa
DEPUIS 1998, elle remettre en question l’idée courante selon place dans l’arbre buissonnant de l’évolu­
participe aux fouilles laquelle l’Afrique de l’Est serait le tion humaine qui est discutée par la
à l’ouest du lac Turkana seul berceau de l’humanité. En communauté scientifique.
dans le cadre de fait, il est très probable que PLUS QUE Et quelle est sa place,
la « mission préhistorique certaines espèces du genre selon vous ?
au Kenya ». Homo aient pu avoir des
L’APPARTENANCE À la fin de la publication,
DEPUIS 2004, elle origines indépendantes D’HOMO NALEDI AU Lee Berger – qui est un bon
est paléoanthropologue dans différentes régions GENRE HOMO, C’EST SA communicant – explique
au CNRS. d’Afrique. Par ailleurs, PLACE DANS L’ARBRE DE que si l’on arrive à prouver
DEPUIS 2013, elle est cette découverte confirme qu’Homo naledi est plus
coresponsable du la grande diversité des
L’ÉVOLUTION QUI EST ancien que deux millions
programme « Archéologie espèces au sein du genre EN QUESTION d’années, alors il serait à la
des origines », financé Homo et le schéma buissonnant base du genre Homo. Toutefois,
par l’Agence nationale de l’évolution humaine. aucune datation n’a pu être établie
de la recherche. L’attribution de ces fossiles au genre car les fossiles ont été retrouvés dans une
Homo est-elle prématurée ? cavité presque dépourvue de faune. Or la faune
Il me semble que non. Homo naledi s’inscrit bien associée aux fossiles est l’un des principaux indi­
dans la variabilité morphologique du genre cateurs pour la datation. Pour donner un
Homo. Bien que son crâne soit comparable à exemple, la morphologie des dents des cochons
celui du genre Australopithecus par le volume, sa s’est modifiée à plusieurs reprises au cours du
forme bombée et arrondie le rapproche davan­ temps et l’on sait à quelles périodes ces change­
tage du genre Homo. Contrairement aux idées ments sont survenus. Si bien que si l’on en
reçues, la capacité crânienne ne me semble pas retrouve aux côtés de fossiles humains, on peut
être un critère déterminant pour attribuer un en déduire l’âge approximatif de ces derniers.
fossile à une espèce ou à un genre. Dans le genre Quels fossiles de faune ont été découverts ?
Homo, l’homme de Florès (*) , par exemple, est Seules quelques dents de rongeurs ont été
doté d’un crâne de 380 à 424 cm3 seulement. Par retrouvées aux côtés des spécimens d’Homo
comparaison, l’australopithèque Lucy possède naledi. Hélas, l’analyse de ces restes n’a pas per­
(*) Vieux de 18 000 ans, l’homme un crâne de 450 cm3. La capacité crânienne mis de déterminer l’espèce de ces rongeurs. D’où
de Florès a été découvert en Indonésie, d’Homo naledi – comprise entre 465 et 560 cm3 – l’impossibilité de les dater. Quant aux méthodes
en 2003. n’est donc pas en contradiction avec le genre traditionnelles de datation géologique, elles sont
DR

26 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


inapplicables dans la cavité où ont été retrouvés
les fossiles. De fait, la plupart du temps, en parti-
culier en Afrique de l’Est, les sédiments forment
des couches horizontales bien homogènes,
séparées par des coulées de cendres, de sorte
qu’en estimant l’âge de deux couches de cendres
consécutives, on en déduit l’âge des sédiments
qui se trouvent entre les deux couches. Or, à
Rising Star, les sédiments à l’intérieur de la cavité
forment un mélange trop hétérogène pour que
cette méthode de datation soit utilisée.
 Y a-t-il un espoir de dater ces fossiles ?
Peut-être. Comme l’a noté le paléoanthropo-
logue britannique Chris Stringer, dans un com-
mentaire publié à la suite de la description de
naledi (2) , il est étonnant que l’équipe n’ait pas
utilisé la datation au carbone-14 sur des frag-
ments d’os. Certes, cette technique ne peut pas
dépasser cinquante mille ans, mais elle aurait au
moins pu nous indiquer si ces fossiles sont plus
vieux que cet âge. On peut également imaginer
utiliser des analyses génétiques comme l’ont
récemment fait des archéologues pour dater des
fossiles de Prénéandertaliens retrouvés à Sima de
los Huesos, en Espagne (lire p. 31).
  ’analyse morphologique des fossiles
L
ne suffirait-elle pas à déterminer la place font l’analogie avec la « grotte des os », à Sima de Pour reconstituer un crâne
d’Homo naledi dans l’évolution humaine ? los Huesos, où 6 500 fossiles humains ont été entier d’Homo naledi,
Homo naledi présente une mosaïque de carac- retrouvés en 2006. Selon l’équipe de Lee Berger, les moulages des
fossiles (en brun) ont été
tères. Certains sont modernes, d’autres plus la cavité de laquelle ont été exhumés les fossiles complétés par une partie
archaïques. Par exemple, la morphologie des de naledi présente des caractéristiques com- en plâtre. Si le volume
pieds, les jambes, assez longues, et les bras, plu- munes avec la grotte espagnole : un accès unique est proche de celui des
tôt courts, correspondent à des caractéristiques et étroit, l’absence de morsures de charognards australopithèques, sa forme
bombée le rapproche plutôt
modernes, compatibles avec une bipédie stricte, sur les fossiles, indiquant un dépôt intentionnel
du genre Homo.
permettant de longues marches. Dans le même des corps dans le cadre d’un rite funéraire. Les
temps, il présente des phalanges courbes ainsi auteurs vont plus loin dans l’interprétation et
que des épaules adaptées à la vie arboricole. avancent même que pour pénétrer au fond de la
Mais avant qu’un caractère devienne un mar- cavité, il fallait forcément une source de lumière,
queur chronologique, il faudrait que l’on arrive à sans doute du feu.
comprendre sa signification biologique et évolu- De mon point de vue, tout cela est plus spéculatif
tive. Or ce n’est pas le cas. Toute la difficulté est qu’interprétatif. Leur description est intéres-
de déterminer si ces caractères sont liés à une sante mais il faut s’en tenir aux faits. En particu-
adaptation à l’environnement ou simplement un lier, seules sept mandibules sur les quinze indivi- Pour en savoir plus
trait hérité d’un ancêtre commun. dus ont été retrouvées. J’ignore si les fouilles sont n www.wit s.ac.za/homonaledi
  ans une seconde étude publiée le même
D terminées, mais il me semble qu’il faudrait, avant La page web de l’université
jour, la même équipe évoque la possibilité toute conclusion hâtive, comprendre où sont de Witwatersrand, en Afrique
BRET ELOFF PHOTOGRAPHY

que les individus retrouvés dans la grotte passés les ossements manquants. du Sud, contient une foire aux
aient fait l’objet d’un rite funéraire (3) . Propos recueillis par Gautier Cariou questions, des photos, des vidéos
Qu’en pensez-vous ? (1) L. Berger et al., eLife, 4:e09560, 2015. et des infographies qui retracent
Le terme de « rite funéraire » me paraît osé et pré- (2) C. Stringer et al., eLife, 4:e10627, 2015. la découverte et l’analyse
maturé. Dans leur raisonnement, les auteurs (3) P. Dirks et al., eLife, 4:e09561, 2015. d’Homo naledi.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 27


Actualité BIOLOGIE

l’ARN de plus de 300 cellules, ce


qui est exceptionnel vu la rareté

Les gènes clés de l’embryogenèse de ce matériel biologique dispo-


nible pour la recherche.
Sur 23 000 gènes, les cher-
Les gènes qui initient le développement précoce de l’embryon humain viennent cheurs en ont identifié 32 acti-
d’être identifiés. Ils contiennent de surprenantes séquences d’origine virale. vés dans les blastomères du
deuxième jour, et 129 dans les
blastomères du troisième jour.
ur les 23 000 gènes « Ils ont également constaté que

S qui constituent
notre ADN, seule
les séquences promotrices de ces
gènes – zones de l’ADN où se fixe
une centaine initie le dévelop- l’enzyme qui permet la trans-
pement de l’œuf lors des trois cription de l’ADN en ARN – se
premiers jours après la chevauchent avec des séquences
fécondation. Le plus intrigant : d’origine virale, ce qui signifie
ces gènes sont en interaction que le démarrage du pro-
avec des gènes d’origine virale, gramme génétique de l’em-
qui ont intégré l’ADN au fil de bryogenèse peut être sous l’in-
notre évolution. Cette décou- fluence de ces séquences, ce qui
verte a été réalisée par des bio- est tout à fait fascinant », sou-
logistes de l’Institut Karolinska, ligne Stéphane Viville, profes-
à Stockholm, et de l’université seur au CHU de Strasbourg.
de Bâle (1) . Dans les cellules de l’embryon de 2 jours, seuls 32 gènes sont activés. Le décryptage des gènes qui
Lorsqu’un spermatozoïde interviennent au tout début de
féconde un ovocyte, il se forme se divise en deux cellules, les collectées provenaient d’em- l’embryogenèse a également
une cellule comprenant leurs blastomères, qui se divisent à bryons surnuméraires issus de un intérêt dans le domaine de
chromosomes respectifs. C’est leur tour : quatre blastomères fécondations in vitro. Les cher- la fécondation in vitro. « Ce tra-
le zygote qui se divise ensuite sont visibles le deuxième jour cheurs ont analysé non pas les vail ouvre des pistes pour iden-
pour fournir l’ensemble des et huit le troisième jour. Les gènes, mais les ARN, c’est-à- tifier des marqueurs biolo-
cellules du futur embryon et du analyses ont été effectuées sur dire les copies réalisées lors du giques de la qualité des
placenta. Vingt-quatre heures des ovocytes, des zygotes et des processus de synthèse des pro- embryons précoces, et détermi-
après la fécondation, le zygote blastomères. Toutes les cellules téines. Ils ont ainsi pu séquencer ner ainsi leur viabilité avant
l’implantation, renchérit Sté-
phane Viville. En outre, cette
étude offre le moyen de mieux
DES VIRUS BÉNÉFIQUES À L’ÉVOLUTION définir le potentiel d’une cellule
souche : de déterminer si elle est
Depuis les années 2000, les scientifiques ont l’université Stanford. Nous avons récemment totipotente, plénipotente ou
constaté que le génome humain portait des découvert dans des cellules embryonnaires pluripotente… Autrement dit,
traces d’infections virales conservées au fil du sixième jour après la fécondation qu’une est-elle capable de produire
de l’évolution. Cette nouvelle étude suédoise séquence d’ADN provenant d’un virus était toutes les cellules de l’orga-
suggère que ces traces joueraient un rôle transcrite en ARN puis traduite en protéine. nisme et les tissus extra-
régulateur dans la transcription des gènes Ce virus aurait infecté l’ancêtre commun des embryonnaires ou seulement
PASCAL GOETGHELUCK/SPL/COSMOS

initiateurs du développement de l’embryon hu- hommes et des chimpanzés. Le plus intéressant les cellules de l’organisme ?
main. « De plus en plus de recherches montrent est que cette protéine d’origine virale stimule Ce sont des notions importantes
que le développement embryonnaire est sous les mécanismes immunitaires des cellules pour le développement de
l’influence de séquences répétées d’ADN viral, embryonnaires. » (1) la thérapie cellulaire. »
souligne Renee Reijo Pera, qui a dirigé le (1) E.J. Grow et al., Nature, Mathias Germain
centre de recherche sur les cellules souches de doi:10.1038/nature14308, 2015. (1) V. Töhönen et al., Nat. Commun., doi:
10.1038/ncomms9207, 2015.

28 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


actualités CLIMAT

Le carbone de l’océan
Austral mieux absorbé
L’océan Austral puise de nouveau du carbone dans
l’atmosphère. Une bonne nouvelle pour le climat.

océan qui entoure Cette tendance a été confirmée

L’ l’Antarctique ne
représente qu’un
par des travaux menés par
l’Agence américaine d’obser-
quart de la surface océanique vation océanique et atmosphé-
de notre planète. C’est pour- rique, dans le passage de
tant un puits de carbone essen- Drake (*) . Deux fois par mois,
tiel puisqu’il représente 40 % entre 2002 et 2015, l’équipe de
des absorptions océaniques du Colm Sweeney a réalisé des
carbone émis par les activités mesures du CO2 à la surface de
humaines. Le phénomène est l’océan, constituant un
lié à la différence de concentra- ensemble de données, notam-
tion en CO2 entre l’océan et ment hivernales, unique tant
l’atmosphère. Or, entre 1980 par le nombre que par la cou-
et 2000, les chercheurs en
avaient constaté la satura-
verture temporelle (3) . Et d’une
précision jamais égalée.
■ Le pacifiste,
tion (1) . La cause : l’intensité par haine de la guerre
des vents conduit à des TEMPÊTES SALUTAIRES
mélanges intenses entre les ■ Le poète, par antifascisme
eaux de surface et les eaux pro- Or, l’hiver, les tempêtes sont
fondes déjà riches en CO 2 plus fréquentes et font remonter ■ Le juif, par universalisme
anthropique. Surprise : une des eaux anciennes, dont la
étude internationale indique
que depuis 2002 la tendance
teneur en CO2 est nulle, vers la
surface dont elles ont été éloi-
■ Le savant, par la croyance
s’est inversée (2) . « Le compor- gnées depuis des centaines dans le progrès
tement de l’océan Austral a d’années. « Ces eaux n’ont pas
changé : le CO2 océanique a subi les conséquences de l’aug- ■ Le résistant, par amour
augmenté moins vite que dans
l’atmosphère, conduisant à une
mentation rapide de la concen-
tration de CO2 dans l’atmos-
de la liberté
intensification de la capacité phère. Elles contribuent donc à
d’absorption du puits de car- augmenter la capacité d’absorp- ■ Le prolo, pour faire carrière ?
bone, explique Nicolas Metzl, tion de l’océan », précise Colm
du laboratoire Locean et coau- Sweeney. Bérénice Robert ■ Le sorbonnard,
teur de l’étude. En séparant les
effets de la température et des
(1) C. Le Quéré et al., Science, 316, 1735, 2007.
(2) P. Landschützer et al., Science, 349,
par antiaméricanisme
mélanges verticaux avec les 1221, 2015.
eaux profondes, nous avons (3) D.R. Munro et al., Geophys. Res. Lett.
déterminé que cette tendance doi: 10.1002/2015GL065194, 2015.
est due à un refroidissement et à
un affaiblissement du mélange
(*) Le passage de Drake sépare le cap
Horn, à l’extrême sud de la Terre de Feu
actuellement en kiosque
des eaux. » en Amérique du Sud, de l’île Bridgeman.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 29

1/2 LR indd.indd 1 07/10/15 11:28


actualités GÉOLOGIE

Fonds marins numériques


UNIVERSITY OF SYDNEY, SYDNEY, NSW 2006, AUSTRALIA

Voici la première carte numérique des sédiments marins. Elle a été est supérieure de 30 % à celle des cartes habituelles, tandis que
réalisée par des géologues australiens à partir des données de celle des sédiments siliceux issus de microalgues, les diatomées
14 500 échantillons prélevés lors de campagnes marines, entre (vert clair), et du plancton, les radiolaires (vert foncé) est bien
1950 et aujourd’hui. Puis les zones non couvertes ont été remplies inférieure. La connaissance de cette répartition est indispensable
à l’aide d’un algorithme d’interpolation (1) . Surprise : la répartition pour comprendre les cycles biogéochimiques et la manière dont
sédimentaire est bien plus complexe que celle de toutes les cartes les dépôts profonds de sédiments répondent aux changements
dessinées à la main jusqu’ici, de même que la proportion des environnementaux de surface. Des informations qui nourrissent
différents types de sédiments. Ainsi, la couverture par les les modèles de changement climatique. Philippe Pajot
sédiments calcaires (bleu et bleu foncé) et argileux (marron foncé) (1) A. Dutkiewicz et al., Geology, doi :10.1130/G36883.1, 2015.

30 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


actualités PALÉONTOLOGIE

Percée dans l’analyse


de l’ADN ancien
Une analyse d’ADN nucléaire éclaire les origines
de l’homme de Neandertal.
Jeudi 26 novembre de 19h à 20h30
a grotte de Sima de pour l’autre de la mère, de sorte
Conquête spatiale :
L los Huesos, en
Espagne, est un des
qu’il s’agit d’une sorte d’image
statistique des milliers d’an-
une part importante de l'innovation en santé
plus remarquables sites de la cêtres. Il reflète ainsi mieux Un duplex entre la Cité des sciences
paléontologie humaine : des l’histoire de l’individu. L’ana- et de l'industrie à Paris
et et le Museum d’histoire naturelle de Toulouse
ossements bien conservés lyse d’ADN nucléaire a donc
d’une trentaine d’individus y souvent été considérée comme L’imagerie par résonance magnétique (IRM), la pompe
ont été retrouvés, datant d’il y a un idéal, jamais atteint pour cardiaque miniaturisée pour les patients en attente
300 000 à 400 000 ans. De quelle des humains aussi vieux du fait d’une greffe, les diodes électroluminescentes pour
espèce s’agit-il ? Si la morpho- de sa trop grande dégradation. traiter les tumeurs sont autant d’exemples d'apports de
la recherche spatiale. Plusieurs grandes innovations en
logie des ossements rapproche On comprend mieux, dès lors, technologies médicales sont issues de celles inventées
ces individus de Neandertal, l’exploit de Matthias Meyer et dans le cadre de la conquête de l'espace ou d'expé-
l’analyse d’ADN a révélé en de son équipe. À partir de cinq riences effectuées en apesanteur ou en microgravité.
2014 une parenté avec le échantillons d’os et de dents
Autant de questions autour desquelles débattra le
groupe des Dénisoviens (1) . issus de fossiles de la grotte public avec les interventions de :
Qui croire ? Pour trancher ce espagnole, ils ont reconstitué
débat, il fallait aller plus loin plusieurs portions d’ADN Pr Pierre Boutouyrie, cardiologue à l'hôpital européen
Georges-Pompidou (PARCC) et chercheur de l’unité Inserm /
dans l’analyse de l’ADN. C’est nucléaire longues d’un million Université Paris Descartes « Physiopathologie, pharmacologie
ce que vient de faire l’équipe de de paires de bases. Puis ils ont et imagerie des grosses artères » (Paris)
Matthias Meyer, de l’Institut recherché des marqueurs Claudie Haignere, astronaute, première femme française
Max-Planck de Leipzig (2) . génétiques spécifiques des dans l'espace, ancienne Ministre et ancienne Présidente
d'Universcience, conseillère du Directeur général
hommes de Neandertal, de (ESA-Cologne)
PROUVÉ PAR MARQUEUR Denisova et des Homo sapiens. Laurence Vico, directrice du laboratoire Inserm de Biologie
Cette reconstitution leur a per- Intégrative du Tissu Osseux à l’Université Jean-Monnet
Jusque-là, les analyses géné- mis de conclure que ces indivi- (Saint-Etienne)
tiques de fossiles ont surtout dus sont proches de Neander- Dr Anne Pavy-Le Traon, neurologue au CHU de Toulouse,
chercheure à l’unité Inserm « Institut des maladies
porté sur l’ADN mitochondrial tal, conformément à leur métaboliques et cardiovasculaires » et à l’Institut de
provenant des usines énergé- morphologie. « Ces ossements Médecine et physiologie spatiales (MEDES)
tiques de la cellule, les mito- sont finalement représentatifs
lienne,
chondries, plus abondant que des premières formes de Néan- par Marina Ju
Débat animé La Recherche.
e citoyenne
journalis te à

Une conférenc
l’ADN du noyau cellulaire dont dertaliens, estime le paléo-
e
il n’existe que deux copies par anthropologue Jean-Jacques
entrée gratuit
cellule. Et mieux conservé car Hublin. Cette analyse prouve
200 000 fois plus court… qu’il y avait des Néandertaliens,
Mais la médaille a son revers : ou des Néandertaliens primitifs
cet ADN mitochondrial se en Europe, il y a 400 000 ans. »
transmet uniquement par la Philippe Pajot
mère et ne se recombine pas. (1) M. Meyer et al., Nature, 505, 403, 2014. www.inserm.fr et www.cite-sciences.fr/citedelasante
L’ADN nucléaire, en revanche, (2) A. Gibbons, Science, DOI: 10.1126/
est issu pour moitié du père et science. aad1740, 2015.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 31


La chronique Mathématique
par Roger Mansuy *

Les étourneaux
topologues
es étourneaux sont-ils des spécialistes particularités de l’espace), cette hypothèse ne tient
L méconnus de l’étude des formes, autrement
dit, sont-ils des topologues ? Avant de répli-
pas. En étudiant les paramètres de tous les individus
d’une nuée, des statisticiens ont démontré que l’étour-
quer que la question est farfelue ou de me taxer neau se comporte en fait bien différemment : il
d’anthropomorphisme, commençons par une petite observe, outre l’environnement local, ses plus proches
séance d’observation. Les délicates arabesques de ces voisins sur ses côtés, en moyenne 7. Si la nuée est com-
nuées d’oiseaux correspondent à des configurations pacte, ces voisins seront effectivement proches, mais
géométriques évoluant au gré des courants d’air, des si le groupe se dilate, ils pourront être beaucoup plus
obstacles ou de la présence d’un prédateur. La précision éloignés. Ce qui signifie que le rayon de la zone avec
du mouvement illustre sans une forte interaction spatiale
l’ombre d’un doute qu’une de trajectoires n’est pas
forte organisation interne constant. Bien au contraire,
émerge des comportements LA TAILLE DE LA NUÉE puisqu’il évolue avec la densité
individuels. Les ornithologues, de la nuée.
ET LE NOMBRE D’OISEAUX
plus avertis, expliquent qu’il n’y
a pourtant pas d’étourneau en DONT LA TRAJECTOIRE EST CETTE CURIOSITÉ ÉTHO-
chef qui piaillerait des ordres LIÉE À CELLE D’UN LOGIQUE peut choquer l’ap-
comme on l’imagine pour une ÉTOURNEAU DONNÉ prenti topologue, mais il s’agit
parade militaire ou un meeting en fait d’un moyen habile de
AUGMENTENT DANS LES
aérien. Il s’agit donc d’un phé- faire apparaître ce qu’on
nomène d’auto-organisation : MÊMES PROPORTIONS appelle une invariance au
chaque étourneau cale sa tra- changement d’échelle : la cor-
jectoire sur le reste de la nuée. rélation entre deux trajectoires
Ou, plus précisément, il interagit avec ses voisins. évolue linéairement avec la taille de la nuée. Autrement
dit, en augmentant la taille de la nuée, on augmente
C’EST LÀ QU’INTERVIENT LA TOPOLOGIE : la dans les mêmes proportions le nombre d’étourneaux
notion de voisinage est bien connue des mathémati- dont la trajectoire est liée à celle d’un étourneau donné :
ciens puisqu’elle apparaît dès que l’on cherche à défi- on passe à 8, 9 voire 10 voisins observés. En consé-
nir les phénomènes de convergence vers une limite ou quence, une nuée, indépendamment de sa taille et de sa
les comportements asymptotiques. Par définition, un densité, conserve toujours la même évolution géomé-
ensemble est un voisinage d’un point (dans un espace trique, quelle que soit la dilatation. Voilà un caractère
muni d’une distance) s’il contient une boule centrée conservé au cours de l’évolution qui semble un avan-
sur ce point. On peut se demander si l’étourneau, fort tage adaptatif. Maintenant répondez à la question : les
d’un bagage de premier cycle universitaire, observe étourneaux sont-ils doués en topologie ? n
tous les autres étourneaux dans une boule de rayon * Roger Mansuy, professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris, nous raconte,
donné, puis s’il adapte sa trajectoire en conséquence. chaque mois, un thème mathématique inspiré par un exposé grand public
L’étude statistique des positions dans une nuée rejette qui a lieu régulièrement à l’Institut Henri-Poincaré.
cette hypothèse ; même en déformant la boule (donc
en changeant la notion de distance) pour tenir compte Retrouvez la conférence d’Ivan Corwin
de différents paramètres naturels (par exemple, en pre- sur ce thème : http://tinyurl.com/ivan-
nant en considération les directions privilégiées ou les corwin-conference
DR

32 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


015 - 6,90 €
N° 15 - OCTOBRE-NOVEMBRE 2015 LA CONSCIENCE LA RECHERCHE HORS-SÉRIE
N° 15 - OCTOBRE-NOVEMBRE 2015 D 8,60 € - BEL 7,90 € - ESP 7,60 € -
GR 7,60 € - ITA 7,60 € - LUX 7,60 € - PORT CONT 7,60 € - CH 13,80 FS - TUN 7,40 TND - MAR 69 DH -
M 04219 - 15H - F: 6,90 E - RD
CAN 10,99 $ CAN - DOM 7,60 € - TOM SURFACE 1000 XPF - TOM AVION 1720 XPF - ISSN 1772-3809

3’:HIKOMB=^U[^UX:?k@a@b@f@p";

LR15_001Couv_001 1
www.larecherche.fr

les scientifiques
Ce que nous révèlent
HORS -SÉRIE

et sur smartphone
Actuellement en kiosque
La conscience

coma…
hallucinations,
rêves,
méditation,
Hypnose,

22/09/15 12:46
dossier
Créer, Peut-on calculer
1 c’est raisonner 2 le potentiel créatif ?
P. 36 P. 40

Les clés de la
CRÉATIVITÉ
La créativité naît de la contrainte, nous explique le
mathématicien Cédric Villani. Et il ne croit pas si
bien dire. Les scientifiques montrent aujourd’hui
que les idées vraiment originales n’émergent de
notre cerveau que si nous faisons l’effort d’inhiber
nos réponses immédiates et automatiques. Essen-
tielle à la créativité, cette tâche l’est aussi à l’appren-
tissage : cette forme d’inhibition permet à l’enfant Les designers et
les grands créateurs,
FRANÇOISE HUGUIER/AGENCE VU

tel Jean-Paul Gaultier,


de résoudre des problèmes sur lesquels il échouait s’affranchissent facilement
de « l’effet de fixation »,
systématiquement avant 7 ans. Reste à savoir com- processus qui conduit notre
cerveau à utiliser ce qui est
ment évaluer la créativité. De nouveaux tests facilement accessible
en mémoire au détriment
permettent d’en mesurer toutes les dimensions. de la recherche d’originalité.

34 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


dossier Les clés de la créativité

Créer,
c’est raisonner
La créativité naît de l’affrontement, dans le cerveau, des intuitions susceptibles
de conduire à des blocages et des raisonnements cherchant à générer de la rupture.
Mathieu Cassotti, maître de conférences, et Marine Agogué, professeure à HEC Montréal

I
Repères maginez que vous soyez invité à générer que la parcelle recouvre entièrement le lac, com-
le plus de solutions créatives et originales bien de jours faudra-t-il pour que la parcelle
n Lorsque nous cherchons possibles répondant au problème sui- recouvre la moitié du lac ? » Cette classe de pro-
à être créatifs, des vant : « Faire en sorte qu’un œuf de poule blèmes arithmétiques régulièrement évoquée
solutions nous viennent
très vite à l’esprit. Elles
lâché d’une hauteur de 10 mètres ne se par le psychologue lauréat du prix Nobel d’éco-
sont rarement originales casse pas ». Quand nous avons posé cette nomie Daniel Kahneman peut sembler à pre-
et peuvent comporter question à plus de 800 participants, nous avons mière vue aussi élémentaire que futile. D’autant
des erreurs logiques. réalisé que beaucoup de réponses, qui se veulent que, de façon intuitive, une première réponse
n Cet effet dépend de pourtant créatives, sont très souvent semblables. nous vient spontanément à l’esprit : 24 jours. Il
l’âge et de la formation, De façon automatique, un ensemble de connais- est vrai que, la plupart du temps, pour obtenir la
et peut être atténué ou
sances sur des solutions classiques viennent à moitié d’un ensemble, il suffit d’effectuer une
augmenté selon que
nous sommes confrontés l’esprit pour résoudre ce problème. Ainsi, vous division par deux. L’usage quotidien vérifie d’ail-
ou non à des exemples aurez sans doute pensé à des solutions qui leurs parfaitement cette règle simple.
de solution. consistent à utiliser un dispositif physique afin
n Pour générer des idées de ralentir la chute de l’œuf (par exemple en lui INHIBER LE PROCESSUS DE DÉDUCTION
différentes et en rupture, attachant un parachute), de le protéger (par AUTOMATIQUE ET TROMPEUR
il faut être capable exemple en utilisant du papier bulle) ou d’amor-
d’inhiber ces réponses
automatiques. Une tâche
tir le choc (par exemple en mettant un matelas Par exemple, s’il faut 20 jours à des peintres pour
qu’exécute le cortex au sol). Or le fait que ces conceptions soient aisé- repeindre l’intégralité d’une façade d’un bâti-
préfrontal. ment accessibles en mémoire peut conduire à ment, il est tout à fait raisonnable de penser que
limiter considérablement nos capacités créa- 10 jours seront nécessaires pour en repeindre la
tives, et à nous enfermer dans des solutions peu moitié. Mais alors, pourquoi un Prix Nobel d’éco-
originales : c’est ce que l’on appelle « l’effet de nomie s’embarrasse-t-il avec un problème de ce
fixation ». Ainsi, nous sommes biaisés lorsque type pour illustrer les limites des compétences de
nous cherchons à être créatifs. Comment com- raisonnement et de prise de décision des indivi-
prendre ce phénomène surprenant, allant à l’en- dus puisque sa résolution est si évidente pour ne
contre d’une vision romantique de la créativité pas dire triviale ? Tout simplement parce que cette
comme un processus simple et intuitif ? Pour réponse qui survient avec force à l’esprit est
cela, il faut avoir en tête la manière dont notre fausse ! Non, il ne faudra pas 24 jours pour que la
cerveau raisonne. parcelle de nénuphars recouvre la moitié du lac.
Prenons un autre petit problème. « Dans un lac, En répondant ainsi, nous négligeons une partie
il y a une parcelle de nénuphars. Chaque jour, la fondamentale du problème, à savoir que chaque
parcelle double de taille. S’il faut 48 jours pour jour, la parcelle double de taille. Dans ce contexte,

36 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


au 47e jour, la parcelle s’étendra sur la moitié du Le système 2, plus lent et plus réfléchi, nécessitant
lac pour le recouvrir dans son intégralité le lende- de l’attention et « une part d’effort relatif mais
main (le 48e jour), après avoir doublé sa surface continu », selon Daniel Kahneman, permet en
comme le mentionne explicitement l’énoncé. revanche d’analyser des situations souvent plus
Afin de rendre compte de ce mauvais raisonne- complexes, voire qui nous sont inconnues. Les
ment, l’idée retenue par une majorité de cher- errances de la raison ne résultent donc pas d’un
cheurs dans les domaines de la résolution de pro- défaut de compétences logiques en soi, mais
blème et de la prise de décision consiste à scinder davantage d’une difficulté à bloquer ou à résister
l’esprit en deux systèmes. Ces théories dites du à des réponses intuitives automatiquement géné-
« double processus » distinguent une forme de rées par le système 1 (2). Ainsi, pour répondre cor-
raisonnement intuitif et heuristique qualifiée de rectement à des problèmes du type de celui des
système 1 et une forme d’opération mentale déli- nénuphars, il ne convient pas uniquement de dis-
bérée et analytique appelée système 2 (1) [Fig. 1]. Le poser des capacités de raisonnement logique
système 1 est un ensemble de raccourcis mentaux indispensables à sa résolution. Il faut aussi et sur-
que nous utilisons pour résoudre des problèmes tout inhiber le processus de déduction trompeur
et prendre des décisions de façon intuitive. appartenant au système 1.
Pour les psychologues Keith Stanovich et Parallèlement à l’existence de biais
Richard West, il fonctionne « rapidement dans la résolution de
avec peu ou pas d’effort et aucune problème et la prise
sensation de contrôle délibéré ». de décision,
ILLUSTRATION : CHLOÉ POIZAT

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 37


dossier Les clés de la créativité

Fig.1 Les types de problèmes traités par nos deux systèmes de pensée

Résoudre 2 + 2 Se concentrer sur la voix

SYSTÈME  S’orienter vers la source d’un SYSTÈME  d’une personne particulière dans

2
une salle comble et bruyante

1
bruit soudain
Faire une grimace de dégoût face Fouiller dans sa mémoire
à une image horrible pour identifier un son surprenant
Détecter l’hostilité d’une voix Se garer sur une place exiguë
Comprendre des phrases simples Remplir sa déclaration d’impôt
Conduire une voiture sur une Vérifier la validité d’un argument
route déserte logique complexe
Marcher plus vite qu’il ne nous
est naturel
D’après Daniel Kahneman, Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011.

l’approche cognitive de la créativité a permis ralentir la chute ne sont quasiment jamais men-
d’identifier des phénomènes de blocage dans la tionnées à l’inverse des ingénieurs, pour lesquels
génération d’idées. Les individus tendent effec- l’exploration de cette catégorie est une priorité.
tivement à suivre « le chemin de la moindre résis- Ces différences dans la nature de la fixation ne
tance » et proposent des solutions qui sont résultent pas d’une absence de connaissance,
construites sur un ensemble de connaissances comme l’attestent les entretiens qualitatifs que
aisément accessibles en mémoire. C’est exacte- nous avons réalisés avec les enfants (qui
ment ce qui se passe dans la tâche de l’œuf. Dans connaissent très bien les parachutes et les tobog-
une série d’études réalisées au sein de la chaire gans !), mais suggèrent que les opérations men-
Théorie et Méthodes de la conception innovante tales conduisant à des solutions se développent
de Mines ParisTech, nous avons confirmé l’exis- avec l’âge et peuvent être influencées par des
tence, chez des étudiants en psychologie, des apprentissages spécifiques.
ingénieurs et des entrepreneurs, d’un phéno- Les instituteurs ont souvent recours à des
mène de blocage sur un nombre limité d’alterna- exemples de solutions pour faciliter la compré-
tives, alors que des solutions différentes et en hension d’un problème et rendre plus accessible
dehors du cadre sont possibles. En effet, les solu- sa résolution. Si le rôle positif des exemples n’est
tions qui consistent à amortir le choc, protéger plus à démontrer dans ce type de situation, leur
l’œuf ou à ralentir la chute sont surreprésentées efficacité est davantage sujette à controverse lors-
par rapport aux autres voies d’explorations pos- qu’il s’agit non plus de découvrir « LA solution »
sibles. Rares sont les participants qui évoquent la mais de générer une variété d’alternatives. En
possibilité de modifier les propriétés naturelles effet, si les idées peuvent être de nature différente
de l’œuf (le congeler) ou d’utiliser un dispositif (dans la fixation ou bien en dehors de la fixation),
vivant (le faire transporter par un pigeon). le choix de l’exemple pourrait contraindre la
génération d’idées créatives dans certaines cir-
DES VARIATIONS SELON L’ÂGE constances mais être au contraire une source
d’inspiration dans d’autres. Dans ce contexte, a
Si, globalement, les catégories appartenant à la émergé l’idée qu’au-delà de la présence ou non
fixation représentent plus de 80 % des solutions d’un exemple, la nature de celui-ci est susceptible
proposées, nous avons cependant identifié des de provoquer des effets opposés sur la capacité à
différences subtiles liées à l’âge et à la nature de la générer des idées. C’est l’hypothèse que nous
formation initiale (3, 4). Ainsi, alors que les enfants avons testée directement en proposant à des
(*) Les fonctions exécutives
sont les capacités d’inhibition présentent bien une fixation massive sur les caté- individus la tâche de l’œuf seule ou accompagnée
et de changement de stratégie gories consistant à protéger l’œuf ou à amortir le d’exemples de solutions choisis soit parmi les
en mémoire de travail. choc de la chute, les solutions qui impliquent de catégories appartenant à la fixation (par exemple

38 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Le raisonnement créatif est loin
d’être un processus lié au hasard,
utiliser un parachute) ou parmi les catégories en
dehors de la fixation (comme congeler l’œuf). spontané et facile, réservé
Nos résultats mettent en évidence que l’évoca-
tion de l’exemple classique du parachute dimi-
à quelques individus chanceux
nue le nombre ainsi que la qualité des idées pro-
posées. L’exemple hors de la fixation provoque à créatif. Alors que l’inhibition sociale peut être un
l’inverse un effet de stimulation. frein à la créativité, l’inhibition cognitive semble
Au-delà de l’exemple qui semble permettre l’ex- en être une des clés. C’est ce que suggèrent
ploration de nouvelles classes de solutions, aujourd’hui les neurosciences qui ont remis au
peut-on apprendre à se « défixer » ? En d’autres cœur du débat l’implication de cette inhibition
termes, dans quelle mesure certaines formations cognitive dans la génération d’idées créatives.
académiques pourraient-elles favoriser la En adaptant des techniques classiques de neuro-
« défixation » ? L’étude des designers a été parti- imagerie fonctionnelle à l’étude de la créativité,
culièrement instructive. En effet, les designers on a pu caractériser plus finement ce qui se passe
sont souvent valorisés pour leurs capacités créa- dans le cerveau lorsque les individus génèrent
tives et leur formation vise tout particulièrement des idées créatives : des régions du cortex pré-
à développer leur capacité à explorer l’inconnu. frontal s’activent. Ce sont précisément les régions
En posant la question de la tâche de l’œuf à un connues pour être impliquées dans la mise en
groupe de designers, nous avons montré que la place des fonctions de contrôle cognitif. Par
force des effets de fixation est modulée par les exemple, lorsqu’on demande à des individus de
formations dédiées à l’exploration et à la créati- générer des utilisations créatives et inhabituelles
vité. En effet, les designers sont moins sensibles d’objets courants comme un parapluie, ils pré-
aux effets de fixation que ne le sont les ingé- sentent une augmentation des activations céré-
nieurs, les entrepreneurs ou les étudiants en psy- brales dans un réseau cérébral impliquant le cor-
chologie. De plus, des recherches récentes ont tex préfrontal (gyrus frontal inférieur), ainsi que
souligné que cette capacité à « sortir de la boîte » des régions pariétales et temporales. L’interpréta-
chez les designers est corrélée positivement à tion proposée suggère un rôle clé des processus

8O %
leur performance à des tests mesurant l’inhibi- de contrôle exécutif et plus particulièrement de
tion cognitive (5) . Cela suggère que, comme dans l’inhibition dans la créativité lorsqu’il s’agit de
le raisonnement et la prise de décision, résister s’écarter des représentations classiques que l’on
aux intuitions en créativité requiert un processus a de l’usage d’un objet que l’on connaît bien.
de contrôle cognitif. Aujourd’hui, le regard que les scientifiques
portent sur la créativité a beaucoup évolué. Le
ACTIVER LE CONTRÔLE COGNITIF raisonnement créatif est loin d’être un processus DES SOLUTIONS AU
lié au hasard, spontané et facile, réservé à PROBLÈME proposé
Or un tel processus existe dans le cerveau, c’est quelques individus chanceux. Il nécessite que à un échantillon de
ce qu’on appelle l’inhibition cognitive. Sa conno- des solutions faciles, intuitives et susceptibles de 800 personnes et libellé
tation est négative. Pourtant, l’inhibition cogni- conduire à des blocages (dans le système 1) ainsi : « Faire en sorte
tive est une capacité fondamentale : c’est une soient inhibées activement. Cela permet l’explo- qu’un œuf lâché d’une
forme de contrôle neurocognitif et comporte- ration et l’élaboration d’idées fondamentale- hauteur de 10 mètres ne se
mental qui permet notamment de résister aux ment différentes, surprenantes, originales (dans casse pas », consistent à
habitudes. Est-il impliqué dans le dépassement le système 2). Ce raisonnement peut à la fois faire amortir le choc, à protéger
des effets de fixation ? Force est de constater que l’objet d’apprentissages spécifiques et conduire l’œuf ou à ralentir sa chute.
l’inhibition cognitive et, plus généralement, les à des logiques de management dans les équipes
fonctions exécutives (*) ont été globalement et les organisations qui permettent de libérer le
négligées dans le domaine de la créativité. Pour potentiel créatif. n
générer des idées nouvelles, on considère sou- (1) Daniel Kahneman, Système 1, système 2, les deux vitesses de
vent qu’il faut au contraire lever une forme d’in- la pensée, Flammarion, 2011.
hibition sociale qui viendrait entraver l’expres- (2) Olivier Houdé, Le Raisonnement, PUF, 2014.
sion de solutions originales. Cette vision (3) M. Agogué et al., The Journal of Creative Behavior, 48, 1, 2014.
réductrice de l’inhibition ignore la nécessité de (4) M. Agogué et al., Thinking Skills and Creativity, 11, 33, 2014.
résister à des effets de fixation pour pouvoir être (5) S. Edl et al., Personality and Individual Differences, 69, 38, 2014.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 39


dossier Les clés de la créativité

Peut-on calculer
le potentiel créatif ?
Qualité recherchée sur le marché de l’emploi et dans la vie personnelle,
la créativité se mesure aujourd’hui grâce à des tests psychologiques.
Mais ceux-ci n’évaluent qu’une partie du potentiel créatif.
Anne Debroise, journaliste

C
Repères itez toutes les utilisations pos- Pour Todd Lubart, directeur du laboratoire adap-
sibles d’une brique… Vous tations travail-individus (Lati), à l’université
n La créativité est avez une minute ! Voilà le Paris-Descartes, « la créativité est considérée
la capacité à réaliser une genre de questions auxquelles comme une compétence clé que l’on cherche à
production originale et
appropriée, quel que soit
vous pourriez être soumis lors développer dans les programmes éducatifs euro-
le domaine d’expression. d’un entretien d’embauche. Il péens et américains. On estime désormais que c’est
n Le test le plus utilisé
s’agit d’une des manières, aujourd’hui clas- un facteur déterminant pour le succès dans sa vie
pour l’évaluer, appelé siques, de mesurer votre degré de créativité. professionnelle. De nombreuses conférences sont
test de Torrance, mesure Autrefois méprisée, interprétée comme le témoi- organisées sur le sujet pour stimuler l’économie. »
la capacité à émettre gnage d’un esprit fantasque et provocateur, cette Nombreux sont les séminaires qui proposent
des idées variées et
qualité est en effet désormais considérée comme d’apprendre à débrider et augmenter sa créati-
originales, mais pas
l’aptitude à les mettre une clé de la réussite professionnelle, notam- vité. Mais pour développer de tels outils, encore
en œuvre. ment dans des postes d’entrepreneur. L’évaluer faudrait-il savoir la mesurer !
n D’autres tests sont de manière objective, par des tests inspirés de ce Or la créativité ne se laisse pas mettre en boîte si
en cours d’élaboration, que les neuroscientifiques sont en train de facilement, comme l’explique John Kounios, de la
qui évaluent ce volet découvrir du processus créatif, est devenu un Drexel University, aux États-Unis : « La créativité est
important de la créativité, enjeu des sciences de l’éducation et de la psy- une collection de processus très divers qui impliquent
nommé pensée
convergente.
chologie d’entreprise. des aires du cerveau différentes » [Fig. 1] .
Car la créativité n’est pas l’apanage des artistes.
Pour les psychologues et les neuroscientifiques TESTS DE PENSÉE DIVERGENTE
qui l’étudient, elle peut s’observer dans tous les
domaines. « Selon la définition la plus largement Parmi ces processus cognitifs, le psychologue
acceptée, la créativité est la capacité à réaliser énumère : l’analyse du problème ou du but
une production originale et appropriée, quel que recherché, l’imagination de solutions diverses et
soit le domaine d’expression », indique Emma- nombreuses, éloignées des solutions conven-
nuelle Volle, de l’Institut du cerveau et de la tionnelles, l’évaluation de la pertinence et de la
moelle épinière, à Paris, On peut donc exprimer faisabilité des solutions envisagées, leur mise en
sa créativité par la peinture ou la musique, mais œuvre pratique. Pour beaucoup de psycholo-
aussi en posant une hypothèse scientifique, en gues, un esprit n’est pas complètement créatif si
imaginant une expérience, en cuisinant, en bri- la création ne voit pas le jour ou manque son but.
colant, en mettant au point un nouveau produit Même les artistes n’échapperaient pas à cette
commercial ou une publicité à succès. dimension utilitaire de la créativité : les idées qui

40 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


naissent de leur imagination ne pourront jamais diversité des types de réponses données), l’origi- La créativité met en
être jugées créatives si elles ne peuvent être nalité des idées (évaluée en fonction de leur fré- œuvre des processus
mises en pratique, ou si, au final, l’œuvre ne parle quence statistique sur l’ensemble de l’échantil- psychologiques et cognitifs
très divers. C’est pourquoi il
à personne. lon testé), et l’élaboration (le degré de détail des est encore difficile d’élaborer
Éducateurs et chasseurs de têtes rêvent donc réponses). des outils permettant de la
d’un quotient créatif que l’on pourrait calculer Son travail a donné naissance aux tests de pensée mesurer et de la développer.
pour suivre le développement des élèves et divergente, qui sont aujourd’hui les tests psycho-
embaucher le candidat capable de faire évoluer métriques les plus utilisés dans le monde pour
la société. Mais la diversité des qualités requises évaluer la créativité. Ces tests furent notamment
rend leur évaluation complexe. C’est à cette éva- développés par un autre psychologue américain,
luation que s’est attelée Joy Paul Guilford dans les Ellis Paul Torrance, dont ils portent désormais le
années 1950. Ce psychologue américain, pour nom : on les appelle TTCT, pour Torrance Tests of
qui la créativité était une ressource vitale, était Creative Thinking. Les épreuves proposées, stan-
persuadé qu’elle pouvait être comptabilisée dardisées, évaluent la capacité de l’individu à
scientifiquement. Il s’est concentré sur ce qu’il produire de nombreuses idées à partir d’un point
considérait comme le processus principal de la de départ simple, et cela dans un temps limité.
créativité : la pensée divergente, c’est-à-dire la Elles s’adaptent à des populations d’âge et de
capacité à imaginer de nombreuses et diverses culture différents. Elles peuvent comprendre des
RALF HETTLER/ GETTY IMAGES

solutions à un problème. Il l’opposait à la pensée tests graphiques et/ou des tests verbaux.
convergente, qui consiste à écarter des options Dans la première catégorie, on propose aux can-
pour n’en sélectionner qu’une seule. Pour lui, la didats de dessiner tout ce qui leur vient à l’esprit
pensée divergente pouvait être évaluée selon à partir d’un élément fourni, par exemple des
quatre critères : la volubilité (le nombre de cercles. Certains utiliseront les cercles pour des-
réponses pertinentes apportées), la flexibilité (la siner des visages en quantité, et ils feront

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 41


dossier Les clés de la créativité

ainsi preuve de volubilité. D’autres produi- Ensuite, parce qu’un candidat qui passe plu-
ront des images entrant dans de nombreuses sieurs variantes de ces tests obtient à peu près les
catégories (un visage, une roue, un ballon…) : ils mêmes résultats. Mais le psychologue a poussé
se montreront flexibles. D’autres feront preuve plus loin la vérification. Il a organisé au fil de sa
d’originalité, imaginant une bombe, une pla- carrière plusieurs études sur les élèves de l’école
nète, un trou de serrure… Enfin, certains dessi- élémentaire qu’il avait testés dans le Minnesota
neront peu, mais avec une profusion de détails : en 1958 pour juger de la réalisation effective de
leur créativité sera alors jugée élaborée. leur potentiel créatif. La dernière étude longitu-
Les multiples usages de la brique figurent dans la dinale de ce type a eu lieu en 2010 (après la mort
ELLIS PAUL TORRANCE version verbale des tests de Torrance. En effet, on de Torrance en 2003) (1) .
(1915-2003) s’est inspiré demande alors aux candidats d’imaginer des
des recherches sur la fonctions nouvelles et utiles pour un objet fami- LA MISE EN ŒUVRE NÉGLIGÉE
pensée divergente menées lier, comme une brique, un stylo ou un trom-
par le psychologue bone. Ce dernier peut par exemple servir à À cette occasion, 60 anciens élèves furent
américain Joy Paul assembler des feuilles, mais peut aussi faire conviés, cinquante ans après leur évaluation, à
Guilford pour créer en office de bouton de manchette, de boucle répondre à des questionnaires sur leur mode de
1966 le « test de pensée d’oreille, de marque-page, d’outil pour réinitiali- vie, leurs réussites personnelles (action dans des
créative de Torrance ». ser un ordinateur, de minitrombone à coulisse à groupes de travail, conception d’une maison,
Ce test est le plus utilisé intégrer à une figurine, etc. D’autres tests création d’un programme éducatif, hob-
aujourd’hui pour évaluer consistent à réécrire l’histoire (que se serait-il bies, etc.), et publiques (diplômes obtenus,
la créativité. passé si les Américains n’avaient pas posé le pied reconnaissances professionnelles, carrière, etc.).
sur la Lune ?), à imaginer les conséquences d’une Les réponses étaient évaluées par des experts.
situation insolite (que se passerait-il si l’on pou- Selon les auteurs, « les scores du test de Torrance
vait changer de sexe ?), ou le début d’une histoire sont effectivement corrélés à un accomplissement
dont la fin est fournie… personnel. » En revanche, « ils ne sont pas reliés à
Ces tests donnent des résultats cohérents : l’accomplissement public ». Une efficacité en
d’abord, comme Ellis Paul Torrance l’a lui-même demi-teinte, donc…
vérifié, parce que les scores obtenus dans chaque En outre, si un bon score au test de Torrance
catégorie varient peu selon l’examinateur. semble bien prédire une meilleure capacité à la
réalisation personnelle, rien ne dit si ces réalisa-
tions ont été réellement créatives. Et c’est l’un
des reproches principaux faits aux tests de Tor-
LE RÔLE FLOU DU CORTEX FRONTAL rance : ils évaluent la capacité à émettre des idées
variées et originales, mais pas la capacité à les
Dans quelle zone céré- Selon des profession- rôle important des zones mettre en œuvre. Qui, elle, exige des qualités bien
brale la créativité naît- nels, elle faisait même frontales et préfrontales différentes. Dans ces tests, les idées pertinentes
elle ? La question n’est preuve d’un sens de la dans la créativité. Mais et constructives n’ont pas plus de valeur que des
pas simple, comme en composition étonnant il existe des cas de pa- propositions peu appropriées. Ainsi, dans les
atteste le cas de M me pour quelqu’un qui tients atteints de DFT multiples usages que l’on peut faire d’une brique,
YCFZ, 83 ans. En 2014, n’avait jamais dessiné. chez lesquels l’activité on peut répondre « assommer ma vieille voi-
Emmanuelle Volle, de Son IRM a révélé une artistique semble exa- sine ». Ce qui sera sûrement jugé original, mais
l’Institut du cerveau et dégénérescence du cerbée. » Cette ardeur ne s’avère guère constructif.
UNIVERSITY OF GEORGIA COLLEGE OF EDUCATION

de la moelle épinière, a lobe frontal (DFT). « Le artistique reflète-t-elle Pour Todd Lubart, les scores de Torrance « ne per-
décrit le comportement plus souvent, les pa- une augmentation de la mettent pas de capter l’ensemble du processus
de cette vieille dame (1). tients atteints de DFT créativité ? La réponse à créatif. Ils s’intéressent à l’idéation, mais négligent
Depuis deux ans, celle- voient une diminution cette question permet- l’analyse du problème, l’évaluation des idées et
ci effectuait des gestes de leurs capacités créa- trait de préciser le rôle, enfin leur implémentation. » Des processus fai-
répétitifs (comme ranger tives évaluées par des peut-être ambigu, que sant plutôt appel à la pensée convergente. Sans
son sac ou manger une tests psychométriques, joue le lobe frontal dans cette capacité à analyser les différentes solutions,
banane à heure fixe), et explique la chercheuse. le processus créatif. se concentrer sur la plus pertinente et la plus effi-
s’était mise à dessiner Ces études ont d’ailleurs (1) L.C de Souza et al, Frontiers cace, l’améliorer, s’organiser pour la mettre en
de manière compulsive. permis d’identifier le in Psychology, 5, 761, 2014. œuvre, pas de création. La pensée convergente

42 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Fig.1 Neurologie de la créativité
Les bases cérébrales de la
créativité ne sont pas encore
élucidées. Mais deux
ensembles semblent jouer
un rôle important : le cortex
préfrontal, situé sous le front,
et les lobes temporaux, au
niveau des tempes. Le cortex
préfrontal est associé à de
nombreux processus créatifs,
comme l’inhibition de
certaines réponses. Le lobe
temporal droit, lui, s’active
notamment lorsque l’individu
accède subitement à une
solution, ce que John Kounios
appelle le moment « Eurêka »,
ou « Haha ».

Cortex préfrontal antérieur


Combinaison d’informations
d'une manière nouvelle
et originale
Cortex préfrontal
Volubilité
Flexibilité
Contrôle cognitif

Cortex temporal
Manipulation
de nos connaissances
sur le monde

jouerait notamment un grand rôle quand un à une fin d’histoire. Viennent ensuite les épreuves
entrepreneur sélectionne les idées promet- de pensée convergente (ou intégrative). On
teuses, et au moment où il détermine si un pro- demande à l’enfant de combiner des éléments
cessus de création est abouti ou s’il doit encore le fournis pour élaborer un dessin, ou de combiner
travailler. Avec son équipe de l’université de des personnages qui lui sont décrits pour bâtir
Paris-Descartes, Todd Lubart a donc entrepris de une histoire.
développer une autre batterie de tests, destinée Les productions sont évaluées avec une échelle
aux enfants et baptisée Epoc (évaluation du de Likert (qui consiste à demander à l’enfant lui-
potentiel créatif des enfants) (2) . Celle-ci évalue même s’il est plus ou moins d’accord avec telle
INFOGRAPHIE : SYLVIE DESSERT

dans un premier temps la pensée divergente appréciation de sa création), mais peuvent aussi
exploratoire : un élément de dessin est fourni à être soumises à un panel d’évaluateurs, en géné-
l’enfant, qui doit à partir de là élaborer d’autres ral des professeurs ayant été formés à ce type
dessins, les plus nombreux et variés possibles. De d’évaluations. L’ensemble des réponses définit
la même manière, il doit aussi trouver un maxi- un profil de potentiel créatif, avec des scores plus
mum de fins à un début d’histoire ou de débuts ou moins élevés dans les quatre domaines

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 43


dossier Les clés de la créativité

Il y a plusieurs formes de créativité. chologues des universités de Harvard et de


Toronto répertorie par exemple les réalisations
C’est pourquoi Einstein n’est pas des individus dans dix domaines (arts visuels,

connu pour ses poèmes, ni Rimbaud musique, écriture créative, danse, théâtre, archi-
tecture, humour, découverte scientifique, inven-
pour ses démonstrations. tions et arts culinaires). Dans chaque domaine,
celui-ci coche des exemples précis de réussite
(citation de son talent musical dans une revue
testés : pensée divergente graphique et ver- locale, obtention d’une bourse de recherche, etc.),
bale, pensée convergente graphique et verbale. et obtient des points qui permettent de calculer
Comme la plupart des autres tests, la version un score. Mais la liste des questions, forcément
actuelle du test Epoc suppose que la créativité restrictive, limiterait encore le champ de la créa-
s’exprime essentiellement dans le langage et le tivité, en excluant de fait les réalisations les plus
dessin. Pourtant, il y a d’autres formes de créati- originales.
vité, admet Todd Lubart : « On peut être très créa- Le test idéal pourrait émerger d’une meilleure
tif dans un domaine mais peu dans l’autre : par compréhension des processus créatifs grâce à

4
exemple en science et pas en littérature ». C’est la l’imagerie médicale. Depuis une quinzaine d’an-
raison pour laquelle Einstein n’est pas connu nées, les publications en neurosciences s’intéres-
pour ses poèmes, ni Rimbaud pour ses démons- sant au mécanisme de la créativité et à ses mani-
CRITÈRES trations mathématiques ! Or ces nuances seraient festations dans le cerveau se multiplient.
très utiles : « Il serait intéressant de pouvoir aider Celles-ci souffrent cependant du manque d’har-
les gens à identifier dans quel domaine ils ont du monie dans la définition de la créativité et dans
potentiel et à développer leur créativité, pour les méthodes pour provoquer et évaluer le pro-
SELON LE PSYCHOLOGUE trouver un travail qui leur convienne mieux par cessus créatif. En 2010, le neuropsychologue Rex
JOY PAUL GUILFORD , exemple, dans lequel ils se révéleraient plus per- Jung, de l’université du Nouveau-Mexique, avait
permettent d’évaluer formants ». Il étudie d’ailleurs comment tester la tenté de dresser le bilan de 45 études d’imagerie
la créativité : la volubilité, créativité musicale, scientifique ou sociale. Cette cérébrale traquant les circuits de la cognition
la flexibilité, l’originalité diversité n’est aujourd’hui présente que dans un créative dans le cerveau (4) : il y trouvait presque
des idées et l’élaboration. type de tests : les tests biographiques. autant de tests différents que d’études ! Une
diversité qui empêchait toute interprétation…
QUESTIONNAIRE DE RÉUSSITE CRÉATIVE Et d’appeler de ses vœux une révision et une har-
monisation des tests psychométriques… n
Ces tests biographiques, qui ne s’adressent
qu’aux adultes, consistent à questionner les gens (1) M.A. Runco et al., Creativity Research Journal, 22, 361, 2010.
sur les créations qu’ils ont effectivement réali- (2) T. Lubart et al., Évaluation du potentiel créatif (EPoC). Paris :
sées au cours de leur vie. Le « questionnaire de Hogrefe France, 2011.
réussite créative » (Creative Achievement Ques- (3) S. Carson et al., Creativity Research Journal, 17, 37, 2005.
tionnaire) (3) développé par un groupe de psy- (4) R. Arden et al., Behav. Brain Res., 214,143, 2010.

Pour en savoir plus


La Recherche a publié se construit par l’inhibition », Picasso… et nous, Odile Jacob, n Mark A. Runco, Creativity : Sur le Web
n Olivier Houdé, « L’enfant novembre 2011, p. 48. 2010. Theories and themes: Research, n http://tinyurl.com/debat-

apprend à résister à ses Livres n Jacques Hadamard, Essai sur Development, and Practice, Villani-Beffa
intuitions », juillet 2014, p. 62. n Daniel Kahneman, Système 1, la psychologie de l’invention Elsevier, Academic Press, 2007. Conférence sur la créativité en
n Marie-Pier Elie, « Imagine – système 2, les deux vitesses de dans le domaine mathématique, n Todd Lubart, Psychologie de la musique et en mathématiques,
Jonah Lehrer », septembre 2012, la pensée, Flammarion, 2011. Henri Poincaré, L’Invention créativité, Armand Colin, 2003. de Cédric Villani et Karol Beffa
p. 104. n Jacques Cottraux, À chacun mathématique, Éditions Jacques n Howard Gardner, Les Formes à l’École Normale supérieure,
n Olivier Houdé, « L’intelligence sa créativité. Einstein, Mozart, Gabay, 2007. de la créativité, Odile Jacob, 2001. juin 2014.

44 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


OFFRE SPÉCIALE
Abonnez-vous et recevez ce livre
Les Simpson et la science
À tous ceux que la science ne laisse pas indifférents - qu’ils soient profanes
ou savants - Marco Malaspina propose de redécouvrir les grands problèmes
scientifiques d’aujourd’hui avec humour… dans le canapé des Simpson !
L’auteur met en lumière le regard critique que porte sur la science la célèbre
série télévisée.
• Auteur : Marco Malaspina • Édition : Vuibert • Prix public : 18€.

1 an - 10 numéros
+ 1 numéro double : Plus de

30%
5€ seulement
par mois
de réduction !


BULLETIN D’ABONNEMENT
À retourner sous enveloppe affranchie à La Recherche - Service Abonnements - 4, rue de Mouchy - 60438 Noailles cedex

OUI, je m’abonne à La Recherche et je reçois le livre MANDAT DE PRÉLÈVEMENT SEPA


“Les Simpson et la science” (A69) :

PLRC505
En signant ce formulaire de mandat, vous autorisez La Recherche à envoyer des
10 nos + 1 no double pour 5 € seulement par mois (*).
instructions à votre banque pour débiter votre compte. Vous autorisez également
votre banque à débiter votre compte conformément aux instructions de La Re-
Je remplis le mandat de prélèvement SEPA ci-contre pour cherche. Vous bénéficiez du droit d’être remboursé par votre banque selon les mo-
profiter de ce mode de règlement particulièrement avantageux. dalités décrites dans la convention que vous avez passée avec elle. Toute demande
de remboursement doit être présentée dans les 8 semaines suivant la date de débit
Je préfère règler en une seule fois 60 € au lieu de 89,90 €. de votre compte. Vos droits concernant ce mandat sont expliqués dans une notice
disponible auprès de votre banque. Il s’agit d’un prélèvement récurrent : le premier
Pour le règlement en une seule fois, je règle par : prélèvement sera effectué après l’enregistrement de votre abonnement.
Chèque bancaire à l’ordre de La Recherche
Créancier Identification du créancier
Carte bancaire
Sophia Publications - LA RECHERCHE
N° 8, rue d'Aboukir - 75002 Paris FR48ZZZ440981
Signature obligatoire
Expire fin Inscrivez VOS COORDONNÉES (merci d’écrire en majuscules)
Je note les 3 derniers chiffres Nom
du numéro inscrit dans la zone
signature, au dos de ma carte Prénom

M. Mme Mlle Adresse

Nom :
Code Postal Ville
Prénom :
Indiquez LES COORDONNÉES DE VOTRE COMPTE (disponibles sur votre R.I.B.)
Adresse : IBAN - Numéro d’identification international du compte bancaire

Code postal : Ville :


BIC - Code international d’identification de votre banque
Téléphone : N’oubliez pas de joindre un
Relevé d’Identité Bancaire (R.I.B.).
E-mail : @
À Le / /
Pour recevoir plus rapidement les informations relatives à votre abonnement, merci d’indiquer votre e-mail.
(*) Pour un minimum de 12 prélèvements. Au terme des 12 mois votre abonnement se poursuivra au même tarif préférentiel, Signature obligatoire
et pourra être interrompu à tout moment par simple courrier.
Je peux acquérir séparément les numéros normaux au prix de 6€40, le numéro double au prix de 7€90, le livre Les Simpson et
la science au prix de 18€. Offre réservée aux nouveaux abonnés jusqu’au 31/12/2015 et dans la limite des stocks disponibles.
Loi informatique et libertés : vous disposez d’un droit d’accès, rectification et de suppression des informations vous concernant. Sophia Publications - SA au capital de 9 115 568 € - 562 029 223 RCS Paris
Elles sont destinées exclusivement à SOPHIA PUBLICATIONS et à ses partenaires sauf opposition de votre part en cochant la Service abonnements : ✆ France : 01 55 56 71 15 - ✆ Etranger : 00 33 155 56 71 15
case ci-après . E-mail : abo.recherche@biwing.fr
fondamentaux
Physique Technologie Numérique Astrophysique Climat
P. 51 P. 56 P. 61 P. 68 P. 71

Environnement
LE PRIX
Un virus géant
dans le sol gelé sibérien
La découverte d’un nouveau virus géant, près de dix fois plus gros que les virus habituels, et doté 
d’un génome aussi complexe que celui des bactéries bouscule le regard que l’on porte sur le vivant.
Anne Debroise, journaliste

U
n virus dix fois plus gros Mieux. Ces deux dernières familles, les Pithovirus Repères
que la normale ! Voici la et Mollivirus, ont été identifiées dans le sol gelé
taille du micro-orga- sibérien, le pergélisol, où les virus étaient restés n Pithovirus sibericum est

nisme dévoilé en 2014 inactivés pendant trente mille ans. Avec cette le plus gros virus géant
identifié à ce jour.
par l’équipe de Jean- découverte, les microbiologistes confirment que
n Sa découverte, dans un
Michel Claverie au les virus géants sont présents partout où on les
échantillon de sol gelé
laboratoire d’informa- cherche, y compris dans les milieux les plus sibérien, démontre que
tion génomique et improbables. En réactivant le virus après son les virus géants sont
structurale de Marseille (1) . Alors que les manuels long séjour dans les glaces, ils pointent aussi du nombreux et diversifiés.
de biologie présentent encore les virus comme doigt le danger représenté par l’exploitation des n D’autres virus, présents
des organismes de petite taille, entre 0,01 et sols arctiques, rendue possible par le change- dans le pergélisol,
pourraient être réactivés
0,3 micromètre (μm), le Pithovirus sibericum fait ment climatique. Enfin, ils alimentent la polé-
à l’occasion du
figure de géant. Sa capside, la structure qui mique ouverte avec Mimivirus il y a douze ans : réchauffement climatique.
entoure le génome, atteint 1,5 μm de long… soit faut-il désormais considérer les virus comme des
la taille d’une belle bactérie. L’équipe n’en est pas êtres vivants ? Une polémique qui pourrait bou-
à son coup d’essai, puisqu’elle avait déjà parti- leverser toute l’histoire de la vie terrestre.
cipé à l’identification de la première espèce de Comment en est-on arrivé là ? Pour Chantal
virus géant, Mimivirus, en 2003 (0,5 μm de dia- Abergel, coauteur de ces découvertes successives
MGTHERINWEISE/GETTYIMAGES

mètre) (2) , puis découvert la famille des Pando- et chercheuse dans le laboratoire de Jean-Michel
ravirus, en 2013 (1 μm de long) (3) . En accrochant Claverie, l’histoire de cette publication a com-
à son tableau de chasse cette troisième famille de mencé en 2012 : « Une nouvelle extravagante fai-
virus géants, à laquelle il vient d’ajouter en sep- sait le tour du Web : une équipe russe avait réussi
Le dégel des terres
tembre dernier celle des Mollivirus, le laboratoire à faire germer une graine de plante à fleur qui sibériennes libère des virus
marseillais peut s’enorgueillir d’avoir ouvert une avait été enfouie dans le sol gelé sibérien trente enfouis sous les glaces
nouvelle branche de la biologie. mille ans auparavant par un écureuil. depuis trente mille ans.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 47
fondamentaux

Environnement

À Marseille, nous nous sommes dit : s’ils ont ment bactériens. Ils l’observent au microscope
redonné vie à une plante, nous devrions être électronique. Et découvrent alors une forme ico-
capables de faire de même avec des virus ! » saédrique (un polyèdre à 20 faces), typique des
Contact est pris avec l’équipe russe, qui accepte virus. D’où la dénomination de Mimivirus.
de faire parvenir au laboratoire un échantillon de L’expérience exacerbe la curiosité des microbio-
sol gelé extrait du pergélisol de la région de logistes pour les échantillons exotiques. Per-
Chukotka, dans l’extrême nord-est sibérien. suadé que Mimivirus n’est pas un « phénomène
de foire » mais le premier exemplaire d’un
LE PREMIER EXEMPLAIRE D’UN MONDE monde totalement ignoré des biologistes,
TOTALEMENT IGNORÉ DES BIOLOGISTES Jean-Michel Claverie passe au crible les banques
de gènes séquencés lors des expéditions mari-
La démarche surprend moins quand on connaît times de Craig Venter entre 2004 et 2006 dans la
la courte histoire de la découverte des virus mer des Sargasses. Il identifie des centaines de
géants. L’échantillon dans lequel figurait le pre- séquences caractéristiques des Mimivirus…
mier de ces micro-organismes provenait d’une Avec Chantal Abergel, il se rend dans plusieurs
collection de prélèvements effectués en 2002 stations biologiques à travers le monde afin d’ef-
dans les tours de refroidissement d’un hôpital fectuer des prélèvements dans les milieux natu-
britannique. L’établissement était alors le théâtre rels les plus divers possibles. Ils reviennent avec
de nombreux cas de pneumonie. Ayant été obser- Megavirus chilensis qui pourrait être classé, avec
La particule virale
vée au microscope optique, la particule avait été Mimivirus et d’autres organismes identifiés par
du Pithovirus est entourée
d’une enveloppe épaisse d’emblée rangée parmi les bactéries puisque les le groupe de Didier Raoult, dans une grande
de 0,06 micromètre en forme virus ne sont pas visibles avec ce type d’appareil. famille : les Mégavirus. Mais surtout, ils extraient
d’amphore. À l’extrémité Mais quand, en 2012, la collection parvient dans de sédiments profonds du Chili, et d’une mare
se trouve l’ouverture le laboratoire du virologue Didier Raoult, à la d’eau douce australienne, deux exemplaires qui
par laquelle elle injecte
son matériel génétique faculté de médecine de Marseille, les chercheurs ne semblent pas partager grand-chose avec leurs
et des protéines à l’intérieur sont intrigués par cette bactérie : après analyse, prédécesseurs : Pandoravirus salinus et Pando-
de la cellule qu’elle infecte. elle s’avère dépourvue de certains gènes typique- ravirus dulcis sont encore plus gros, exhibent
une capside allongée, et comptent environ
2 500 gènes. Le monde des virus géants apparaît
plus diversifié qu’on ne le croyait.

UN DOGME BOULEVERSÉ : LE BAGAGE


GÉNÉTIQUE MINIMAL DES VIRUS

On comprend mieux, dès lors, l’intérêt des scien-


tifiques marseillais pour l’échantillon de pergéli-
sol sibérien… Dès que celui-ci est arrivé sur leur
paillasse, ils lui ont appliqué le protocole spécifi-
quement développé pour identifier les virus CNRS PHOTOTHÈQUE/AMU/IGS/JULIA BARTOLI/CHANTAL ABERGEL

géants. Parce qu’ils cherchent des virus, les


microbiologistes commencent par arroser
l’échantillon d’antibiotiques, qui élimineront les
bactéries et les protistes, mais épargneront leur
cible. Ils tirent ensuite profit de la sensibilité des
amibes à ces pathogènes. Les amibes sont des
organismes unicellulaires qui se nourrissent de
bactéries, mais sont facilement infectées par des
virus. Ils mettent donc leur échantillon au
contact de plusieurs variétés d’amibes (A. poly-
phaga, A. castellanii, A. griffini).
0,1 micromètre
Au bout de quatre à six heures, les amibes pré-
sentent les premiers signes d’infection. Des par-

48 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


ticules virales se sont multipliées dans leur La taille de ces virus géants
cytoplasme et le cycle viral va se poursuivre
jusqu’à leur mort. Après dix à vingt heures de serait anecdotique si leur génome
prolifération, la membrane des cellules infectées
se désagrège, et des centaines de virions, prêts à
n’était pas aussi démesuré
infecter d’autres amibes, sont libérés. Si le scéna-
rio infectieux est classique, les particules virales,
elles, sortent de l’ordinaire. Elles arborent une présente pas de danger pour l’homme. La salle
taille exceptionnelle. D’une forme oblongue, dans laquelle officie l’équipe est de niveau P2,
4 FAMILLES DE
elles mesurent 1,5 μm de long pour 0,5 μm de c’est-à-dire équipée pour recevoir des patho-
VIRUS GÉANTS
large : du jamais vu ! gènes de classe 2 (peu virulents et peu dange- MÉGAVIRUS
Le nouveau virus, inconnu des virologues, reux). Vérification faite, le virus réactivé se Premier représentant :
emprunte des caractéristiques des deux grandes montre incapable d’infecter les cellules animales Mimivirus ; 0,5 mm de
familles identifiées jusqu’ici : celle des Mégavirus avec lesquelles il est mis en contact, que ce soit diamètre ; 1 262 gènes.
et celle des Pandoravirus, à laquelle fait penser sa des cellules de souris ou des cellules humaines. PANDORAVIRUS
forme en amphore. En revanche, il ne se réplique Aucun danger de ce côté-là. Premier représentant :
pas, comme eux, dans le noyau de l’amibe, mais L’équipe de Jean-Michel Claverie entreprend Pandoravirus dulcis ;
directement dans son cytoplasme. Ils n’ont en alors de séquencer son génome. Même si elle 1 mm de long ; 1 900
effet pas besoin de la machinerie réplicative de surprend, la taille des virus géants serait en effet à 2 500 gènes.
leur hôte. Quand un virion a pénétré dans une anecdotique si ceux-ci ne renfermaient pas un PITHOVIRUS (2014)
cellule, il met en place sa propre « usine virale » génome tout aussi démesuré. Avant leur décou- Premier représentant :
dans le cytoplasme de l’amibe infectée. Cette verte, on considérait en effet que les virus étaient Pithovirus sibericum ;
structure ressemble à un noyau cellulaire, dans dotés d’un bagage génétique minimal, juste suf- 1,5 mm ; 467 gènes.
lequel le génome du virus se réplique, et où les fisant pour assurer l’entrée du virion dans la cel- MOLLIVIRUS (2015)
particules virales sont synthétisées et assem- lule et pour détourner les outils moléculaires Premier représentant :
blées. Le nouveau virus est baptisé Pithovirus destinés à la réplication. Le virus du sida, ou celui Mollivirus sibericum ;
sibericum, en référence à la forme en amphore de la grippe, ne comptent par exemple qu’une 0,6 mm de long ;
(pithos en grec) de sa capside. dizaine de gènes. La découverte des virus géants 500 gènes environ.
Lorsqu’un nouveau virus est ainsi découvert, la a bouleversé ce dogme. Les Mégavirus disposent
première précaution consiste à s’assurer qu’il ne en effet de plus d’un millier de gènes, et les

Un réveil alarmant
Faut-il craindre le réveil de La réactivation de Pithovirus sous l’effet du réchauffement pathogènes pour l’homme et
micro-organismes pris dans sibericum après plus de trente climatique ouvre en effet des les animaux ». Il n’est pas ex-
les sols gelés de l’Arctique ? mille ans de sommeil indique voies maritimes vers ces sols clu, par exemple, que ces sols
Ceux-ci offrent en effet des que les virus, eux, supportent riches en pétrole, en gaz na- sibériens renferment encore des
conditions de conservation très bien une telle hiberna- turel, en charbon, en or et en particules de variole, une mala-
optimales pour la matière or- tion. Le virus, qui infectait des tungstène. Leur exploitation mi- die qui a sévi en Sibérie avant
ganique : pH neutre, pauvreté amibes au Pléistocène, une nière et industrielle va mettre en d’être éradiquée de la surface
en oxygène (ce qui empêche époque où vivaient encore contact des hommes avec des de la Terre par des campagnes
la fermentation), absence d’es- les derniers représentants de virus qui y sont enfouis depuis de vaccination.
pèces chimiques oxydantes… l’homme de Neandertal, a repris des millénaires. Pour Richard Pour évaluer le danger, le labo-
Ces conditions permettent la sans dommage apparent son Sempéré, directeur de l’Institut ratoire d’information génomique
préservation de l’ADN pendant cycle de prolifération. méditerranéen d’océanologie, et structurale de Marseille re-
plus d’un million d’années. On L’expérience pointe le danger il s’agit d’un danger à prendre cherche des séquences virales
supposait cependant qu’elles ne représenté par l’exploitation très au sérieux, car « on va re- connues dans des couches de
permettaient pas de conserver des sols des hautes latitudes. mettre en circulation des micro- sol sibérien affichant jusqu’à un
les organismes qui les abritent. La fonte de la banquise arctique organismes qui pourraient être million d’années.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 49


fondamentaux

Environnement

Pandoravirus, 2 500, c’est-à-dire 10 % du La richesse génétique des virus géants bouscule


nombre de gènes de l’espèce humaine ! le regard que l’on portait sur le vivant. La taxono-
Et Pithovirus sibericum ? Parce qu’il ressemble, mie traditionnelle considère en effet que les virus
par sa forme, aux Pandoravirus, les chercheurs ne sont pas vivants, qu’ils sont dotés d’un
s’attendaient à y trouver un génome assez sem- génome simplifié incapable de leur permettre de
blable. La surprise fut au rendez-vous. La taille de fabriquer leur propre énergie et de se répliquer.
son génome, quoique encore très importante Malgré leur génome complexe, les virus géants
pour un virus, est plus modeste : 467 gènes. Et, à la ne disposent effectivement pas de gènes permet-
surprise des chercheurs, seulement cinq d’entre tant la traduction des ARN en protéine, la pro-
eux semblent communs aux deux espèces… duction d’énergie chimique ou la division cellu-
Avec Pithovirus sibericum, la branche des virus laire. Cela en fait bien des virus. Mais ils
géants compte alors trois grandes familles possèdent en revanche des caractéristiques d’or-
ganismes vivants : ils sont capables de se repro-

Une quatrième branche de l’arbre duire et d’évoluer. En 2008, l’équipe de Didier


Raoult montrait par ailleurs que les virus géants
du vivant, à côté des bactéries, peuvent être infectés par d’autres virus, et que
cette infection nuit à leur développement. Tout
des archées et des eucaryotes comme des bactéries !
Au laboratoire d’information génomique et
(Mégavirus, Pandoravirus et Pithovirus) et une structurale de Marseille, on envisage donc que
dizaine d’espèces. La diversité génétique dont ils les virus géants constituent une quatrième
font preuve suggère qu’il ne s’agit que de la par- branche de l’arbre du vivant, à côté des bactéries,
tie émergée de l’iceberg. Mais, s’ils sont si nom- des archées et des eucaryotes (cet ensemble des
breux, comment se fait-il qu’on ne les remarque organismes possédant des cellules avec noyaux,
qu’aujourd’hui ? « Jusqu’en 2003, on considérait qui comprennent notamment les plantes et les
que les virus étaient forcément d’une taille infé- animaux). Mais où placer cette quatrième
rieure à 0,2 μm, explique Chantal Abergel. Pour branche ? Les virus géants sont-ils apparus en
identifier les virus d’un échantillon, on commen- même temps, avant ou après les autres orga-
çait donc par le filtrer, ce qui éliminait toutes les nismes vivants ? Pour Jean-Michel Claverie,
bactéries et autres gros micro-organismes pol- l’étrangeté de leurs gènes pourrait indiquer qu’ils
luant la solution. Cette méthode ne pouvait évi- sont plus anciens que les autres. Devenus
demment conduire qu’à la découverte de virus de capables de parasiter leurs congénères, ils
petite taille ! C’était un biais d’observation auraient alors perdu les gènes leur permettant de
énorme. » La preuve qu’on ne trouve que ce que se reproduire de manière autonome. Un an après
l’on cherche, et que pour faire des découvertes la découverte de Pithovirus sibericum, l’équipe
originales, il peut être payant de ne pas avoir vient d’identifier, dans le même échantillon de
trop d’idées préconçues sur l’objet de sa pergélisol sibérien, un second virus géant. Les
recherche ! particules de ce dernier sont délimitées par une
capside molle, d’environ 0,6 μm de long. Sa
forme, oblongue, rappelle celle d’un Pithovirus,
mais en plus petit. Son mode de multiplication
3 RAISONS DE RÉCOMPENSER CETTE PUBLICATION est également différent, puisqu’il utilise le noyau
Pour Richard Sempéré, directeur de l’Institut méditerranéen de l’amibe qu’il infecte pour se multiplier,
d’océanologie de Marseille comme les Pandoravirus. Il contiendrait environ
500 gènes. Avec Mollivirus sibericum, on dispose
n La découverte de ce nouveau virus géant est le fruit d’une démarche
désormais de quatre familles de virus géants. Et
scientifique créative.
la certitude d’avoir mis la main sur une famille
n Elle souligne l’impact du changement climatique sur les populations
nombreuse et diversifiée. n
de micro-organismes qui jouent un rôle essentiel dans l’équilibre
des écosystèmes.
(1) M. Legendre et al., PNAS, 111, 427, 2014.
n Elle pose des questions fondamentales sur l’émergence de la vie
et sa définition. (2) B. La Scola B et al., Science, 299, 2033, 2003.
(3) N. Philippe et al., Science, 341, 281, 2013.

50 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Physique
LE PRIX
Et la chantilly
coupe le son
La texture particulière des mousses, entre fluide et solide, cache la surprenante propriété
de bloquer certains ultrasons. Une porte ouverte sur de nouvelles techniques d’isolation.

Sylvain Guilbaud, journaliste

Q
uel est le point com- seulement 0,4 % d’air dans un volume d’eau, la
mun entre le fait de vitesse du son dans le liquide chute de 1 500 m/s
se délasser dans un à 200 m/s. On peut mettre en évidence ce phéno-
bain, de se délecter mène avec l’effet « chocolat chaud » : tapotez
d’ u n e c h a n t i l l y votre cuillère sur le fond de votre tasse dans
onctueuse et d’être laquelle vous venez de dissoudre le chocolat en
de corvée de vais- poudre. Au début, la fréquence de la note pro-
selle ? Ces trois acti- duite est assez basse car le mélange a introduit
vités de la vie quotidienne mettent en jeu un état des bulles d’air dans le liquide, ce qui ralentit le
de la matière bien particulier : la mousse liquide. son, mais rapidement, les bulles disparaissent, la
Qu’on la mange ou qu’on la frotte, la mousse est vitesse du son produit par votre cuillère aug-
très prisée pour sa texture comme pour son com- mente et la hauteur du tintement également.
portement atypique, à la fois élastique, plastique Si l’acoustique des liquides bulleux dilués est
et fluide. De nombreux mathématiciens, physi- assez bien étudiée, ce n’est pas le cas des mousses
ciens et chimistes se sont donc penchés sur ce
Vitesse de propagation des ultrasons à basse fréquence
phénomène afin de percer les secrets de la stabi-
lité ou de la rhéologie (*) des mousses. En
revanche, leurs propriétés acoustiques sont res- 1 500 m/s dans l’eau
tées quasi inexplorées. Elles sont pourtant tout
aussi singulières. Le physicien Valentin Leroy et
340 m/s dans l’air
ses collègues du laboratoire matière et systèmes
complexes de Paris et de l’Institut de physique de
Rennes ont ainsi montré qu’une fine couche de 30 m/s dans de la mousse avec 10 % d’eau
mousse pouvait stopper les ondes sonores sur
une large plage de fréquence (1) ! Une qualité qui
pourrait être utilisée pour sonder et caractériser liquides dans lesquelles les bulles sont très
précisément la structure de ces mousses. concentrées. Elles sont même entassées les unes
Dans le vocabulaire des physiciens, les mousses sur les autres au point de perdre leur forme sphé-
liquides font partie de la famille des milieux bul- rique. Afin de minimiser l’énergie de la structure,
leux. Autrement dit, des milieux qui contiennent elles s’empilent sous la forme de polyèdres. La
des bulles de gaz. Comme l’eau qui renferme des majorité du liquide se répartit sur les arêtes, aussi
(*) La rhéologie est l’étude
bulles d’air. Même en faible quantité, ce gaz est appelées « bords de Plateau », tandis que le reste de la déformation et de
capable de modifier considérablement les pro- constitue les minces films, d’épaisseur inférieure l’écoulement de la matière sous
priétés acoustiques du liquide. En introduisant au micromètre, qui constituent les faces des l’effet d’une contrainte.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 51


fondamentaux

Dans une mousse liquide, les bulles de gaz ne sont pas sphériques mais peuvent être considérées comme des polyèdres constitués de faces
et d’arêtes. Une structure qui permet aux physiciens d’expliquer la modification de la vitesse des ultrasons en fonction de leur fréquence.

Repères bulles. « La structure des mousses et la façon étudiées, les chercheurs ont donc mélangé avec
dont elles s’écoulent sont bien comprises, note l’eau du dodécyl-sulfate de sodium, un tensio-
n Les mousses liquides Valentin Leroy. En revanche, on savait leurs pro- actif (*) utilisé dans certains produits du quoti-
contiennent une grande priétés acoustiques très riches, mais seuls quelques dien comme les liquides vaisselle. Pour faire les
concentration de bulles,
formées de films et
articles s’y intéressaient. De plus, les chercheurs bulles, ils ont rajouté à l’air de la vapeur de per-
d’arêtes comme des trouvaient des résultats très contradictoires. Cer- fluorohexane. Ce gaz traverse plus difficilement
polyèdres. tains observaient des vitesses de propagation très les parois des bulles et ralentit donc leur mûris-
n Les mouvements basses tandis que d’autres trouvaient des résultats sement. La taille typique des bulles croît donc de
désynchronisés de ces proches de la vitesse dans l’air ! » (2) (3) 5 micromètres à 50 micromètres environ, mais
films et de ces arêtes Pour mieux comprendre le phénomène, le projet suffisamment lentement pour qu’elle n’évolue
peuvent stopper la
Samousse (Sonde Acoustique pour les Mousses), pas lors d’une mesure acoustique.
propagation de certains
ultrasons. lancé par Valentin Leroy et ses collègues, s’ap- Seconde étape pour mesurer l’acoustique de la
n Cette découverte
puie sur l’expertise en acoustique des physi- mousse, il faut s’assurer de connaître la propor-
pourrait conduire à des ciens, mais également sur un savoir-faire en tion de gaz et de liquide, appelée fraction volu-
nouveaux matériaux avec physico-chimie des mousses liquides. La pre- mique. Pour contrôler précisément sa valeur, pas
des propriétés d’isolation mière étape consiste en effet à obtenir une question de faire une mousse comme à la mai-
acoustique.
mousse stable ! Si la composition chimique ne son, avec un fouet et de l’huile de coude ! Il serait
joue pas énormément sur les propriétés acous- alors difficile de déterminer la quantité de gaz
tiques, elle est très importante pour la fabrica- incorporée. La technique standard en labora-
tion de ces mousses… qui ont une fâcheuse ten- toire est celle des « deux seringues ». On introduit
dance à disparaître. L’écume des mers, par dans une seringue 1 millilitre (par exemple)
exemple, est très éphémère. Pourquoi ? D’une d’eau mélangée avec du tensioactif, on complète
part, le liquide a tendance à s’écouler vers le bas jusqu’à 10 millilitres avec du gaz si on désire
(drainage). D’autre part, les bulles grossissent au obtenir une fraction volumique de 10 %. Puis on
PLANNER/SHUTTERSTOCK

cours du temps avec le passage du gaz des bulles connecte une seconde seringue à l’extrémité de
de petites tailles vers les plus grandes. C’est ce la première. Des va-et-vient rapides entre les
qu’on appelle le mûrissement. Enfin les films seringues mélangent le liquide et le gaz pour for-
s’amincissent jusqu’à éclater. Pour produire des mer une mousse, très semblable à de la mousse
mousses suffisamment stables pour être à raser. Simple et efficace.

52 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Maintenant que la mousse est prête, l’expérience comportement en fonction de la fréquence des (*) Un tensioactif est
des physiciens va consister à mesurer le temps ultrasons explique pourquoi les auteurs des pré- une molécule composée d’une
de propagation d’une onde sonore qui la tra- cédents articles observaient chacun des vitesses partie hydrophile et d’une partie
hydrophobe facilitant la formation
verse. La vitesse du son dans le milieu est obte- très différentes du son dans la mousse », indique de mousse.
nue par comparaison avec le temps que mettrait Valentin Leroy. Cependant, le comportement le
la même onde pour se propager dans l’air. On plus surprenant intervient pour des ultrasons de
mesure également l’atténuation de l’onde après fréquences intermédiaires. La mousse liquide
la traversée de la mousse par rapport à son devient alors un milieu très dispersif. Cela signi-
amplitude de départ. Pour en déduire ces carac- fie que la vitesse de propagation des ondes
téristiques, vitesse et atténuation, il faut change drastiquement quand on varie un petit
connaître précisément l’épaisseur de mousse peu leur fréquence. Certaines fréquences sont si
traversée par l’onde. Les chercheurs ont décidé atténuées par la mousse que les ultrasons sont
de travailler sur des épaisseurs très faibles afin bloqués ! La mousse peut donc bel et bien arrêter
de voir un maximum de phénomènes : 0,5 milli- totalement certains sons. « Nous nous
mètre ! Pour cela, ils ont emprisonné la mousse
entre deux plaques horizontales rigides dont
l’épaisseur est fixée par des entretoises. Ces
plaques sont percées de trous circulaires afin de Fig.1 Simuler le comportement
laisser passer l’onde acoustique. À ces endroits,
la mousse n’est retenue que par un fin film plas-
des mousses liquides
tique qui perturbe peu l’onde acoustique.
Dans les mousses liquides, les bulles sont L’onde acoustique produit une force
Celle-ci est émise par un transducteur large 1 polyédriques. Le modèle en reproduit 2 de pression sur la mousse.
deux éléments clés : les anneaux, où se On décompose les mouvements de
bande, une membrane qui fait vibrer l’air à la trouve la majorité du liquide, et les films. la mousse dans le temps pour diffé-
manière d’un haut-parleur, à des fréquences rentes fréquences d’ultrasons.
qui sont ici ultrasonores, entre 60 et
600 kilohertz (kHz) (4). Anneau Pression exercée
(bord de Plateau) par les ultrasons
Film
UN SURPRENANT BLOCAGE À 150 KHZ Anneau t2
Vue en coupe Temps
t1 t3 t5 (t)
Toute la mousse fabriquée par la technique des Film
deux seringues n’est pas utilisée pour cette t4
mesure. Le reste sert à contrôler la taille des 3 t1 t2 t3 t4 t5
bulles. Elle augmente au fil du temps sous l’effet
du mûrissement. Toutes les dix minutes environ, Basse fréquence
30 kilohertz
une partie de la mousse restante est prélevée,
étalée sur une petite nappe d’eau. Une image
prise au microscope permet alors de mesurer le
rayon des bulles. Comme elles proviennent
toutes du même échantillon, on suppose que À basse fréquence, les anneaux réagissent fortement et dictent son mouvement au milieu.
Les ultrasons sont ralentis mais pas stoppés.
leur taille évolue de la même façon. À chaque
envoi d’ultrasons, on connaît donc l’épaisseur de Fréquence
la mousse et la taille des bulles traversées. intermédiaire
150 kilohertz
Les scientifiques ont observé trois comporte-
ments pour les ondes en fonction de leur fré-
quence. Les ultrasons de basse fréquence Le mouvement élastique des films l’emporte alors que leur masse est plus faible que celles
des anneaux. Les ultrasons sont stoppés.
passent dans la mousse sans que leur intensité
INFOGRAPHIE : SYLVERT DESSERT

soit très modifiée, mais à une vitesse très ralentie Haute fréquence
d’environ 30 m/s, contre 340 m/s dans l’air. Ce 800 kilohertz
comportement est similaire à celui des autres
liquides bulleux. À haute fréquence, les ultrasons
La fréquence est trop élevée pour que les anneaux réagissent. Les films eux-mêmes réagissent
se propagent quant à eux plus rapidement à une contre la pression de l’onde à cause de leur inertie. Les ultrasons se propagent à nouveau.
vitesse proche de 220 m/s. « Cette différence de

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 53


fondamentaux

Physique

(*) La résonance est un attendions à observer quelque chose, mais plus suivre les ondes sonores et ne bougent qua-
phénomène dans lequel certains pas un phénomène d’aussi grande ampleur », siment plus. Les films, eux, continuent de suivre
systèmes physiques réagissent très ajoute le chercheur. Cet effet dépend aussi forte- le mouvement imprimé par le son de manière
fortement à des excitations de
fréquence précise. ment de la taille des bulles. Plus elles sont petites, élastique. Le comportement effectif du milieu est
plus la résonance (*) se produit avec des ultra- dicté par les films, alors qu’ils ne représentent
(*) Un métamatériau est un sons de fréquences élevées. qu’une minorité de la masse de la mousse. « Cette
matériau artificiel conçu pour avoir
des propriétés électromagnétiques dernière se comporte donc de façon atypique,
ou acoustiques particulières, L’INERTIE EN QUESTION comme un matériau doté d’une masse volumique
comme celle de bloquer la négative ! Ce qui explique des comportements
propagation d’ondes de certaines Comment expliquer ces observations ? L’équipe contre-intuitifs, comme celui de bloquer les ultra-
fréquences. a conçu un modèle théorique de mousse liquide sons », précise Valentin Leroy. Quand on aug-
pour comprendre ce comportement physique. mente encore la fréquence des ultrasons, cet
Dans la mousse, les bulles entassées perdent leur effet s’arrête : les films ne peuvent plus réagir
rondeur et forment des polyèdres, avec des immédiatement et retrouvent un comportement
arêtes et des faces, les « films ». Les physiciens à contretemps dicté par leur inertie. L’onde n’est
ont donc assimilé les arêtes à un anneau rigide plus entravée que par ce mouvement normal des
sur lequel est tendue une surface élastique simu- légers films de savon et elle se propage à une
lant le film. Lorsqu’elle se propage dans cette vitesse proche de celle du son dans l’air.
mousse modélisée, l’onde sonore rencontre une Si ce modèle explique bien les données de l’ex-
succession d’anneaux et de membranes séparés périence, il reste encore des inconnues à lever. En
par des couches d’air. particulier sur l’origine, à l’échelle microsco-
La masse des anneaux, où se concentre la grande pique de la mousse, de l’atténuation des ultra-
majorité de la masse liquide, est bien plus impor- sons. En termes d’applications, ces recherches
tante que celle des films. Et c’est ce qui explique pourraient aboutir à des sondes acoustiques. Ces
l’atténuation du son. En effet, les anneaux ont outils permettraient de déterminer la structure
une grande inertie tandis que les films ont une des mousses, c’est-à-dire la fraction volumique
inertie faible, mais une grande élasticité. Ces élé- de liquide, la taille des bulles, l’épaisseur des
Pour en savoir plus ments ne vont donc pas se comporter de la films, à partir de la connaissance de la vitesse de
n http://tinyurl.com/q6t7jjv même façon lorsque des ultrasons les traversent. propagation et de l’atténuation du son dans les
Le site web de l’équipe de Valentin L’onde sonore exerce une force de pression sur la mousses. Tous ces paramètres ne sont pas évi-
Leroy, avec des illustrations mousse. À basse fréquence, les anneaux réa- dents à mesurer à l’heure actuelle et intéressent
de phénomènes acoustiques gissent à contretemps par rapport à cette force, à les industries qui utilisent les mousses, comme
dans les milieux bulleux. cause de leur inertie. Au contraire, les films se les industries pétrolières, minières et nucléaires
n Isabelle Cantat et al., déforment immédiatement dans le sens de la où le pouvoir couvrant des mousses est utilisé
Les Mousses, Belin, 2010. pression des ultrasons. Mais c’est le mouvement pour la décontamination.
n F. Graner, « La mousse », des anneaux qui dicte le mouvement du milieu. Enfin, le blocage des ondes acoustiques pourrait
La Recherche 345, Lorsque la fréquence augmente, arrive un servir à l’isolation sonore. Si l’effet a été démon-
septembre 2001, p. 46. moment où les anneaux, trop lourds, ne peuvent tré dans les ultrasons, rien n’empêche en théorie
qu’il se produise dans les fréquences audibles
par l’être humain. Mais il faudrait que la taille des
3 RAISONS DE RÉCOMPENSER CETTE PUBLICATION bulles soit de l’ordre du millimètre, ce qui ren-
drait la mousse plus instable. Ce travail apporte
Pour la rédaction donc une motivation supplémentaire au projet
n Ce travail d’une équipe dynamique menée par un jeune chercheur décrypte
de contrôler les mousses afin de façonner leurs
les propriétés acoustiques fondamentales des mousses liquides, un domaine propriétés physiques très précisément. Ce qui
jusque-là peu exploré. nécessite de trouver comment les stabiliser et les
n Il montre que les mousses se comportent comme des métamatériaux (*) solidifier tout en gardant leur caractéristique de
naturels, capables de couper des ondes de fréquences particulières, mousse liquide. n
ici des ultrasons. (1) J. Pierre et al., Phys. Rev. Lett. 112, 148307, 2014.
n C’est l’avènement de l’utilisation de l’acoustique comme une sonde (2) V. Zamashchikov et al., Soviet physics, 37, 248, 1991.
non intrusive pour caractériser un milieu complexe, la mousse liquide, très
(3) Z. Orenbakh et al., Acoustical physics, 39, 63, 1993.
utilisé dans l’industrie.
(4) J.Pierre et al., Eur. Phys. J. E, 36, 113, 2013.

54 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


S
APOSTROP HE
LES AN NÉES
SOPH E DE LA JOIE I
AL LE PH ILO
DOSSIER PASC

w

A 1500 CFP - MAY 6,80
- TOM /S 950 CFP - TOM/

N° 561
- TUN 7,50 TND
2015 60 DHS - LUX 6,80 €
- NOVEM BR E CONT 6,80 € - MAR
30 £ - GR 6,80 € - PORT
E LIT TÉ RA IR E - N° 561 7,70€ - ITL 6,80 € - ESP 6,80 € - GB 5,
8,99 $ CAN - ALL
LE MAGAZIN

M 02049 - 561 - F:
6,2
/S 6,80 € - BEL 6,70

0 E - RD
€ - CH 12,00 FS - CAN
DOM

NOVEMBRE 20
15
w

Suppl
w

561_001 1
é

B
.

e
me

r
a
3’:HIKMKE=^U[WUZ:?k@f@g@l@a";

na
n
m

nt 32

Apostpar
n
a

rd Piv
pages
g

ées

ot
Les rophes
azine -li

Il faut l
t

e
t

r
e

Dossier
r

PAS
e
a

d
i

é
r

En vente
e

C
.

a
c

c
o

t
ri

u
m

A
r
o

e
David Foster W

ll
Et aussi
Claudi Magris
allace
Louise Michel
Mark Twain
Gilles Deleuze...

e
par Jean
L
Les réfugiés v
des deux rRiv

m
et Hakan Günda
us
es
ouaud
y

e
05/10/15 15:

n
49

t
fondamentaux

Technologie LE PRIX

Des microrobots au
service de la médecine
Des robots microscopiques imaginés par une équipe franco-américaine peuvent se propulser
dans des fluides biologiques. Objectif : réaliser des actes médicaux à l’échelle cellulaire.
Gautier Cariou, journaliste

L
Repères es yeux rivés sur son écran, moins importante, si bien que le poids est négli-
un médecin observe en geable devant d’autres forces, par exemple la ten-
n Demain, des robots temps réel l’intérieur de l’ar- sion de surface. La dynamique des fluides devient
capables de se propulser tère d’un patient. À l’aide alors contre-intuitive et certains mouvements de
comme des bactéries
pourraient intervenir d’un joystick, il contrôle à nage qui sont efficaces à notre échelle ne le sont
dans des échantillons distance les déplacements et plus à l’échelle microscopique. » De fait, pour être
biologiques. les mouvements d’un robot efficace, le mouvement doit impérativement être
n Les roboticiens étudient microscopique. Grâce à un de nature « non réciproque », c’est-à-dire ne pas
donc des prototypes système de retour d’effort, il perçoit les forces se répéter de façon périodique. C’est le cas du
miniatures pour définir auxquelles est soumis le robot et parvient à mouvement des vis sans fin des tire-bouchons
les meilleurs systèmes
déboucher délicatement l’artère obstruée. Cette ou encore des hélices.
de propulsion.
scène de science-fiction est l’idéal vers lequel
n Ils ont récemment mis
en évidence que tendent les chercheurs en robotique micro- PROPULSÉS PAR FLAGELLE ARTIFICIEL
l’utilisation de plusieurs scopique, une discipline émergente qui consiste
flagelles de forme à contrôler des objets de quelques micromètres, C’est donc tout naturellement que les roboti-
torsadée augmente voire quelques nanomètres. ciens ont envisagé une propulsion par hélice. Le
la vitesse de ces robots.
Première étape pour faire de ce rêve de roboti- premier modèle du genre a été imaginé en 2009
cien une réalité : réussir à fabriquer un robot par des chercheurs de l’Institut de robotique et
microscopique capable de se propulser efficace- des systèmes intelligents, à Zurich, en Suisse. Il
ment dans des fluides biologiques. C’est juste- s’agissait d’un robot d’une quarantaine de
ment ce que sont parvenus à faire Stéphane micromètres de long capable de nager à la vitesse
Régnier, responsable du groupe Micro-nano de 18 micromètres par seconde (2) ; par compa-
robotique à l’Institut des systèmes intelligents et raison, un spermatozoïde parcourt 50 micro-
de robotique de Paris, et ses collègues Mettin Sitti mètres par seconde. Le système de propulsion
et Zhou Ye, de l’université Carnegie Mellon aux consiste en une hélice magnétique et rigide qui
États-Unis. Dans une publication parue en 2014, se met en rotation en présence d’un champ
ils ont testé des prototypes de robots miniatures magnétique. Depuis, ce système a été sans cesse
et ont ainsi pu démontrer des vitesses de propul- amélioré, avec des modèles atteignant seule-
sion accrues pour certaines architectures (1) . ment 2 micromètres de long et encore plus
« Dans le micromonde, la physique est très diffé- rapides. À des fins médicales, toutefois, l’utilisa-
(*) La photolithographie
rente de celle dont on fait l’expérience tous les tion d’une telle hélice peut s’avérer délétère. Du
est une technique qui consiste
à réaliser un modelage dans jours, souligne Stéphane Régnier. Aussi faut-il fait de sa rigidité, elle pourrait en effet causer des
de la résine au moyen prendre cela en compte dans le design des robots. dégâts considérables au contact des cellules et
de radiations lumineuses. En particulier, l’influence de la gravitation est des tissus biologiques environnants.

56 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


C’est pourquoi il fallait imaginer un mode de Ces performances sont le fruit d’un minutieux À peine plus gros qu’une
propulsion mieux adapté à des milieux travail d’optimisation. Afin de dégager les bactérie, c’est la taille
biologiques fragiles : un flagelle artificiel, une architectures qui produisent les nages les plus que doivent atteindre les
robots pour opérer sans
sorte de nageoire fine rudimentaire, analogue à rapides, les roboticiens ont tout d’abord travaillé danger dans une cellule.
celle qu’utilisent les spermatozoïdes et les bacté- sur des simulations numériques de robots munis
ries pour se déplacer. En 2010, des ingénieurs d’un seul flagelle rectiligne. Après avoir modifié Microrobot
américains et coréens ont présenté l’un des pre- un à un les paramètres des équations du mouve- Longueur : 100 micromètres

miers robots de ce type (3) . Long de 5,8 micro- ment dans ces simulations, à savoir la taille du
mètres, il est composé d’un flagelle fin et souple flagelle, sa forme, son angle par rapport au corps
relié à un aimant de 150 nanomètres de dia- du robot, la position de son point d’ancrage,
mètre. Sous l’action d’un faible champ magné- ainsi que le nombre de flagelles, les chercheurs
Bactérie
tique, l’aimant tourne sur lui-même et entraîne ont pu définir les profils les mieux adaptés. Res- Longueur : 10 micromètres
la rotation du flagelle qui propulse ainsi le robot. tait à confirmer la justesse et la pertinence de ces
Le flagelle étant souple, le mouvement qui en résultats par l’expérience. En s’inspirant des
découle est suffisamment chaotique pour ne pas meilleures performances des simulations, Sté- Spermatozoïde
Longueur :  
se répéter de façon périodique, ce qui assure phane Régnier et ses collègues ont fabriqué plu- 55 micromètres
bien un mouvement non réciproque. sieurs prototypes de robots avec des techniques
En 2014, Stéphane Régnier, Mettin Sitti et Zhou de photolithographie (*) (Fig.1) , avant de confron-
Ye améliorent le système avec des prototypes de ter leurs prédictions numériques à la réalité.
robots nageurs de moins d’un millimètre, dotés Les prototypes en question mesurent en
non pas d’un, mais de plusieurs flagelles moyenne 600 micromètres de long. Bien plus
flexibles. Après avoir mesuré la vitesse de leurs que les quelques dizaines de micromètres requis
robots, les chercheurs ont démontré qu’en aug- pour des applications médicales. « En fait, nous
mentant le nombre de flagelles ou en leur travaillons à des échelles intermédiaires, car les
conférant une forme sinusoïdale, c’est-à-dire robots sont plus grands et donc plus faciles à
torsadée, la force de propulsion, et donc la construire et à étudier, explique Stéphane En 2015, le mouvement
de ce robot long de
vitesse maximale des robots s’en trouvent aug- Régnier. Deux caméras optiques suffisent à mesu- 17 millimètres a pu être
mentées. D’où des prototypes cinq fois plus rer leur vitesse de déplacement. On pourrait pen- contrôlé dans les trois
rapides que leurs prédécesseurs. ser que l’étude de ces robots est vaine mais ce directions de l’espace.
UPMC/ISIR

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 57


fondamentaux

Technologie

n’est pas le cas : les résultats obtenus avec des robots ont été étudiés successivement dans les
prototypes de l’ordre du millimètre sont en effet mêmes conditions expérimentales. Déposé dans
transposables à des modèles de quelques micro­ un récipient disposé au milieu d’un ensemble de
mètres, à condition d’adapter la viscosité du fluide six bobines orientées dans les trois directions de
de façon à rester dans le même régime d’écoule­ l’espace, chaque robot était soumis à un champ
ment. » De fait, en mécanique des fluides, deux magnétique tournant. Deux caméras optiques,

4
mouvements qui s’exercent à des échelles diffé- l’une placée au-dessus du récipient, l’autre sur le
rentes sont considérés analogues s’ils ont lieu côté, filmaient en permanence le mouvement
dans un même régime d’écoulement. Or ce der- des robots. Résultat : la vitesse augmente propor-
nier est caractérisé par un paramètre appelé tionnellement au nombre de flagelles. Mais
« nombre de Reynolds », proportionnel au rap- au-delà de quatre flagelles, la vitesse chute de
port entre la viscosité du fluide et la dimension façon drastique lorsque la fréquence de rotation
du robot. Deux nombres de Reynolds identiques du champ magnétique dépasse un certain seuil.
FLAGELLES permettent correspondent donc à deux régimes d’écoule- La mise en évidence de ce phénomène appelé
aux microrobots ment analogues. Dans le cas d’une bactérie ou « coupure de fréquence » est l’un des principaux
de se propulser jusqu’à d’un microrobot de quelques micromètres de apports de la publication de Stéphane Régnier
cinq fois plus vite long se déplaçant dans des fluides peu visqueux et de ses collègues américains. « Les simulations
qu’avec un seul. comme le sang, ce nombre est proche de zéro. ne l’avaient pas du tout prévu, explique-t-il.
Avec des robots de 600 micromètres, il suffit Imaginez une compétition d’aviron où l’un des
d’utiliser un fluide suffisamment visqueux pour rameurs perdrait le rythme de ses coéquipiers.
obtenir un nombre de Reynolds similaire et Instantanément, la vitesse du bateau chuterait.
transposer les résultats obtenus. C’est exactement ce qui se passe avec les micro­
robots : lorsque la fréquence de rotation du
COUPURES DE FRÉQUENCE IMPRÉVUES champ magnétique dépasse un certain seuil, les
flagelles n’arrivent plus à suivre le rythme et se
Les expériences réalisées par Stéphane Régnier désynchronisent. »
et son équipe ont consisté à tester les capacités Les chercheurs expliquent cette coupure de fré-
de propulsion des prototypes dans de l’huile de quence par les forces qu’engendre chaque fla-
silicone très visqueuse, de façon à conserver un gelle sur ses voisins. Au-delà de quatre, les fla-
nombre de Reynolds quasi nul. Au total, huit gelles sont trop proches les uns des autres, si

Fig.1 Fabriquer un robot microscopique


3
On introduit
1 2 le squelette
Polymère du robot dans
On On laisse
un mélange
verse un durcir le Moule
liquide de
polymère polymère puis
polyuréthane
liquide on assemble
et de micro-
dans les deux
particules
un moule parties du
magnétiques.
en résine. microrobot.

Flagelle souple Microparticule


Moule Polyuréthane
magnétique

Corps magnétique
INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS

4 5 cylindrique

Sous l’effet d’un champ


Le mélange est magnétique, le corps
durci à l’aide d’un Champ magnétique cylindrique tourne sur
champ magnétique lui-même, entraînant la
(en bleu). rotation des flagelles
qui propulsent le robot à
la manière d’une hélice. 1 millimètre

58 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


bien que leur action réciproque nuit à la pro­ 3 RAISONS DE RÉCOMPENSER CETTE PUBLICATION
pulsion du robot. Outre ce résultat imprévu, les
mesures de vitesse des prototypes ont confirmé Pour Raja Chatila, directeur de l’Institut des systèmes
des performances accrues pour les robots munis intelligents et de robotique à Paris
de flagelles sinusoïdaux par rapport à ceux n Ces travaux originaux portent sur un domaine de recherche en pleine
munis de flagelles rectilignes. « On observe que les expansion et interdisciplinaire, associant la robotique, la mécanique
meilleurs modes de propulsion ressemblent à ce des interactions, la physique des surfaces et les microsystèmes.
que la nature a fait, remarque Stéphane Régnier. n Les applications sont importantes, en particulier dans le domaine
Même si nous n’avions pas l’intention de l’imiter, biomédical. Les futurs robots qu’inspireront ces travaux pourraient
il se trouve que, comme nos robots, les bactéries révolutionner les laboratoires sur puce ou la médecine intracorporelle
par la possibilité d’aider le diagnostic in situ ou de délivrer une thérapie
ont adopté le mode de déplacement le plus perfor-
localisée dans des zones aujourd’hui hors d’atteinte.
mant qui soit. » Ces résultats sont importants car
n En France, peu de laboratoires travaillent sur cette thématique de la
ils ouvrent de nouvelles perspectives de
microrobotique. Stéphane Régnier et son équipe possèdent une excellente
recherche mettant en jeu des architectures plus visibilité, confirmée par des publications internationales de grande qualité
complexes et plus efficaces qu’auparavant. et des réussites dans des compétitions, dans un contexte de concurrence
mondiale importante, notamment avec l’Allemagne, les États-Unis,
CONTRÔLE DES MOUVEMENTS EN 3D le Japon et la Suisse.

Depuis la publication de cette étude, l’équipe de


Stéphane Régnier a pu montrer que le système le
plus rapide est un robot muni de deux flagelles niques ont vocation à rassembler plusieurs
de forme sinusoïdale. Inconvénient : leur trajec­ fonctions classiques des laboratoires tradition­
toire chaotique. La prochaine étape sera donc le nels comme l’analyse de toxines, l’analyse de
contrôle précis des mouvements de ces robots. sang, d’urine, la détection des cancers, l’analyse
En 2015, les chercheurs sont parvenus à contrô­ génétique, etc. « À l’avenir, je pense que ces micro-
ler les déplacements de prototypes de longueur robots ont vraiment un rôle à jouer dans l’optimi-
variant de 1 millimètre à 2 centimètres, munis sation de ces laboratoires miniatures. On peut
d’un seul flagelle sinusoïdal, dans les trois direc­ tout à fait imaginer les exploiter pour prélever de
tions de l’espace, alors que les générations pré­ l’ADN avec précision dans des échantillons de
cédentes étaient cantonnées à des déplacements sang. Ou encore pour déposer des marqueurs bio-
dans un plan. Dans un avenir proche, ils souhai­ logiques sur des cibles particulières. »
teraient pouvoir contrôler trois robots simulta­ À plus long terme, les chercheurs en microrobo­
nément. Toutefois, la méthode employée pour tique aimeraient que la commande des robots se
commander ces robots miniatures est fondée sur fasse au moyen d’interfaces dites « haptiques »,
leur localisation au moyen de deux caméras. c’est­à­dire des manettes à retour d’effort. Le
Aussi ce système n’est­il pas envisageable pour pilote du robot pourrait alors ressentir l’environ­
contrôler la position de robots de quelques nement immédiat de son micro­bolide, et donc
micromètres, invisibles à l’œil nu. Comment les adapter sa force lors d’une opération délicate sur
repérer ? Comment les contrôler ? « Nous n’en une cellule, par exemple. Toute la difficulté de ce
sommes pas là pour l’instant, insiste Stéphane champ de recherche en plein essor est de tra­ Pour en savoir plus
Régnier. Mais lorsque nous saurons contrôler par- duire des forces de nature électrostatique – celles n Le Voyage fantastique, de
faitement des robots miniatures d’un millimètre, qui dominent à l’échelle microscopique – en une Richard Fleischer. Dans ce film de
il sera tout à fait possible d’imaginer remplacer les sensation de toucher qui permette au conduc­ science-fiction américain sorti en
caméras optiques par un système IRM. » teur du robot de bien interpréter ce qui se passe 1967, des scientifiques miniaturisent
Stéphane Régnier ne voit pas comme application à proximité de sa machine. L’enjeu de la micro­ un sous-marin qu’ils injectent dans
la plus prometteuse de ces robots une utilisation robotique n’est autre que de faire disparaître les le corps d’un chercheur dans le coma
in vivo chez l’homme, évoquée la plupart du frontières qui séparent le monde microscopique afin de le soigner de l’intérieur.
temps par les roboticiens pour justifier l’intérêt de notre monde macroscopique. n n http://micro.seas.harvard.edu
de leurs recherches. Plus réaliste, il estime que Sur son site, le laboratoire
ces microrobots seraient particulièrement adap­ (1) Z. Ye et al., IEEE Transaction on robotics, 30, 3, 2014. de microrobotique de l’université
tés pour améliorer les laboratoires sur puce (2) L. Zhang et al., Appl. Phys. Lett., 94, 064107-1, 2009. d’Harvard, aux États-Unis, propose
(lab-on-chip en anglais). Ces puces électro­ (3) U. Cheang et al., Appl. Phys. Lett., 97, 213704-1, 2010. un tour d’horizon de ses activités.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 59


fondamentaux

Prix La Recherche LE PRIX


mode d’emploi
Réunion du comité scientifique
n Le comité est constitué de 16 chercheurs, 73
représentant chaque discipline récompensée. publications
n Chacun propose quatre à six travaux.
Les critères :
présentées
- constituer une véritable avancée dans leur en 2015
champ de recherche ;
- impliquer des chercheurs francophones ;
- faire l’objet d’une communication aux pairs
en 2014.

NICOLE LE DOUARIN
LA MARRAINE 33 publications
n Médaille d’or du CNRS en 1986 retenues
n Chercheuse en biologie
du développement et
en embryologie Délibération du jury
n Secrétaire perpétuelle
de l’Académie des sciences n Le jury se compose des membres de la rédac-
12 lauréats
n Professeur honoraire
tion de La Recherche et d’une marraine. dont 1 prix
n Il désigne un lauréat par catégorie et un prix
au Collège de France
« coup de cœur du jury », choisi parmi les finalistes « coup de cœur
non récompensés.
du jury »

LES DISCIPLINES RÉCOMPENSÉES Remise des prix


Archéologie, astrophysique, biologie, chimie, n Retrouvez la soirée du 22 octobre sur
environnement, mathématiques, neurosciences, physique, www.leprixlarecherche.com
santé, sciences de l’information et technologie.

LES MEMBRES DU COMITÉ SCIENTIFIQUE 2015


MAXENCE BAILLY maître de conférences en préhistoire à l’université de Provence. MONSEF BENKIRANE responsable de l’équipe
« virologie moléculaire » de l’Institut de génétique humaine, à Montpellier. LAURE BLANC-FÉRAUD directrice de recherche CNRS à
l’université de Sophia-Antipolis, laboratoire d’informatique, signaux et systèmes. PHILIPPE BOURGES directeur de recherche au CEA,
à Saclay, laboratoire Léon-Brillouin. SERGE CANTAT directeur de recherche à l’Institut de recherche de mathématiques de Rennes.
GUILLAUME CASSABOIS professeur à l’université Montpellier-II, laboratoire Charles-Coulomb. RAJA CHATILA directeur de recherche
au CNRS, directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique de l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris. PIERRE CORDELIER
directeur de recherche au Centre de recherche en cancérologie, à Toulouse. AGNÈS DELMAS directrice de recherche au Centre de bio-
physique moléculaire, à Orléans. DAVID ELBAZ chef du laboratoire cosmologie et évolution des galaxies au CEA, à Saclay. ÉRIC FALCON
directeur de recherche à l’université Paris-Diderot, laboratoire matière et systèmes complexes. PIERRE LABADIE chargé de recherche
ASTRID DI CROLLALANZA

CNRS à l’université de Bordeaux, laboratoire environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux.


JEAN-MICHEL MULLER directeur de recherche au CNRS, laboratoire de l’informatique du parallélisme de l’ENS, à Lyon. SANDRINE PRAT
chargée de recherche au CNRS dans l’unité « dynamique de l’évolution humaine ». FRANCK RAMUS professeur attaché à l’ENS, à Paris,
et directeur de recherche au CNRS, laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique. RICHARD SEMPÉRÉ directeur de l’Institut
méditerranéen d’océanologie, à Marseille.

60 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Numérique

Les failles de la loi


sur le renseignement
Les attentats de janvier ont intensifié la nécessité de détecter les terroristes potentiels. Mais les mesures
prévues par la récente loi sur le renseignement risquent de conduire à suspecter des citoyens innocents.
Claude Castelluccia et Daniel Le Métayer, directeurs de recherche chez Inria

« R
enforcer la lutte pondant à des profils particuliers liés à leurs Repères
contre le terro- relations sociales, leurs comportements ou
risme en dotant leurs centres d’intérêt. Cette surveillance de n Votée à la suite

les services de ren- masse soulève des questions de fond. des attentats contre
l’hebdomadaire Charlie
seignement de Le premier écueil concerne les libertés indivi- Hebdo et l’Hyper Cacher
capacités d’action duelles et la protection de la vie privée. En effet, porte de Vincennes,
accrues », tel est afin d’identifier de potentiels suspects, la loi début 2015, la loi sur
l’objectif de la loi autorise la collecte des données de connexion le renseignement
sur le renseignement élaborée à la suite des des internautes ou des données techniques, éga- valide le principe
d’une surveillance
attentats de janvier dernier et votée en juin. Cette lement appelées métadonnées. Il ne s’agit pas de masse par l’analyse
loi repose avant tout sur la collecte d’informa- des contenus eux-mêmes, mais des informa- des métadonnées.
tions sur Internet puisque le réseau mondial est tions contextuelles : dates, heures, lieux, durées n Les algorithmes
considéré comme un vecteur essentiel de l’em- des communications. programmés à cet effet
brigadement extrémiste. Ces métadonnées sont les données de surveil- risquent d’identifier
Si le besoin d’un encadrement juridique des lance par excellence et leur collecte s’apparente comme suspects
nombre d’innocents.
activités de renseignement n’est guère à l’action du détective à la recherche d’indices
n Pour le moins, des
contesté, le périmètre de la loi (en réalité bien sur les rencontres entre personnes, les lieux fré-
mesures devraient être
plus large que la lutte contre le terrorisme) quentés, les parcours… Par exemple, il est plus prises pour mieux
ainsi que nombre de ses dispositions font l’ob- instructif de savoir qu’un appel téléphonique est contrôler les usages des
jet de sévères critiques. Un article propose destiné au bureau des alcooliques anonymes (les données par les services
notamment un changement radical de métadonnées) que d’écouter la conversation de de renseignement.
modèle : il entérine le passage d’une surveil- prise de rendez-vous correspondant à cet appel
lance ciblée à une surveillance de masse. (les données).
Concrètement, cela signifie qu’à l’avenir, il ne Très utilisées par les publicitaires pour catégori-
s’agit plus seulement de confirmer ou d’infir- ser les internautes, ces métadonnées peuvent
mer les soupçons qui pèsent sur une personne donc être très intrusives, parfois plus que les
mais de faire émerger des suspects en analy- données elles-mêmes. Ainsi, c’est à partir de
sant les comportements de tout un chacun. l’analyse de métadonnées que la liaison de
Pour reprendre un exemple abondamment l’ex-directeur de la CIA David Petraeus a été
cité par les défenseurs du projet de loi, l’ana- découverte. Plus précisément, il a pu être établi
lyse des connexions à un site hébergeant une que différentes connexions à un compte de mes-
vidéo de décapitation permettra de désigner sagerie avaient été effectuées via les réseaux wifi
des suspects potentiels. Le principe général d’hôtels à partir de chambres dont l’occupante
consiste donc à pointer des personnes corres- s’est avérée être la maîtresse de Petraeus !

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 61


fondamentaux

Même avec un algorithme Plus globalement, la nouvelle loi autorise l’ana- problème, c’est qu’il existe très peu de données
très performant présentant lyse des métadonnées collectées en masse, afin disponibles sur les « profils internet » de terro-
un taux de faux positifs d’identifier des terroristes potentiels à partir des ristes. Ont-ils des comportements vraiment dif-
de 0,5 %, la surveillance
de masse, pour identifier « signaux de faible intensité ». Ces signaux corres- férents des autres utilisateurs ? Et si tel est le cas,
3 000 terroristes potentiels pondent, par exemple, au fait d’accéder à des est-il possible de définir des profils ? Cela reste à
parmi 30 millions sites web suspects ou de regarder un type de démontrer et ce point est loin de faire l’unani-
de personnes, ferait vidéos. Mais en analysant des métadonnées mité (1). Par ailleurs, cette collecte systématique
apparaître comme suspects
aussi riches que la liste des sites visités par un uti- et automatique de métadonnées peut être source
150 000 innocents.
lisateur, on peut aussi en inférer ses centres d’in- de discriminations. Nous pourrions assister par
térêt ou son orientation politique. Pour détermi- exemple à une multiplication du nombre de per-
ner si un individu est suspect ou pas, l’analyse va sonnes interdites de vol sur des bases infondées
vraisemblablement reposer sur des algorithmes (et opaques) simplement parce qu’un système
de classification binaire. Comme leur nom l’in- informatique l’aura décidé.
dique, ils permettent de classifier un ensemble
de points en deux catégories à partir de critères PARADOXE DES FAUX POSITIFS
et de modèles, qui sont soit spécifiés par le pro-
grammeur, soit automatiquement découverts Deuxième point, la surveillance de masse peut se
par l’algorithme dans une phase d’apprentissage révéler très inefficace dans la lutte contre le ter-
à partir de données existantes. Or, pour être effi- rorisme. Car même si l’on arrivait à établir des
CHRISTOPHE MORIN/IP3

caces, ces algorithmes nécessitent d’être entraî- profils précis, le nombre d’erreurs, c’est-à-dire
nés sur une quantité importante de données d’innocents suspectés à tort, serait considérable !
(mais dont le nombre varie en fonction des cas) En effet, dès lors que l’événement à identifier est
ou d’avoir défini des modèles, c’est-à-dire des rare – ce qui est le cas ici puisqu’il s’agit de retrou-
profils types de suspects, précis et distinctifs. Le ver quelques milliers de personnes dans une

62 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Il y a fort à parier que
nombre de terroristes
population de plusieurs millions d’individus – parier que nombre de ter- utilisent ou utiliseront
surgit le « paradoxe des faux positifs » (2). Le phé- roristes utilisent ou utili-
nomène est bien connu des mathématiciens. seront ces techniques de les techniques
Pour l’expliquer, il faut savoir que les perfor-
mances d’un algorithme de classification binaire
contournement, ce qui
aura comme consé-
de contournement
sont caractérisées par deux paramètres calculés quence de diminuer considérablement le taux
indépendamment : le taux de vrais positifs ou de vrais positifs défini précédemment, et donc
d’identifications correctes (la probabilité qu’un les performances du système de détection.
terroriste soit effectivement détecté comme ter- Que peut faire la technique pour réduire les dan-
roriste par le système), et le taux de faux positifs gers posés par ces systèmes de détection ? La loi
ou d’identifications incorrectes (la probabilité ne précise pas les moyens qui seront mis en place
qu’un innocent soit détecté comme terroriste). pour réaliser l’analyse de trafic, ni qui va s’en
Considérons un algorithme de classification charger. Par exemple, une cellule dépendant du
binaire présentant un taux de vrais positifs de ministère de l’Intérieur ou un sous-traitant privé.
99 % et un taux de faux positifs de 0,5 %, qui Une première mesure de précaution consisterait
serait utilisé pour identifier 3 000 terroristes à éviter la centralisation des données collectées
potentiels parmi 30 millions de personnes. Cet par le système. La centralisation est générale-
algorithme détecterait correctement 3 000 x 0,99 ment vue comme une faiblesse en sécurité infor-
= 2 970 terroristes, mais ferait environ matique car elle introduit un point de vulnérabi-
(30 000 000 − 3 000) x 0,5/100 = 149 985 erreurs ! lité unique. En d’autres termes, un acteur
150 000 innocents en moyenne seraient donc malveillant capable de casser la sécurité du site
suspectés à tort. En d’autres termes, un individu aura accès à la totalité des données. Par ailleurs,
identifié comme terroriste par notre système il est préférable de séparer les données collectées
n’aurait qu’une probabilité de 1,9 % [2 970/ par différents organismes pour des buts distincts.
(2 970+149 985)] d’être réellement un terroriste, Par exemple, les données collectées pour lutter
malgré un algorithme très performant ! contre le terrorisme ne devraient pas être
Troisième problème inhérent à cette surveillance utilisées pour détecter la fraude aux allocations
de masse, le contournement. En clair, qui veut familiales.
éviter de se faire repérer peut contourner le sys-
tème à l’aide de connexions chiffrées. Le jeu CONFIDENTIALITÉ DES DONNÉES
consiste à chiffrer toutes ses communications
avec un logiciel gratuit, à télécharger légalement, De manière générale, toute donnée personnelle
par exemple PGP (Pretty Good Privacy, « assez doit être stockée de façon chiffrée et leur accès
bonne intimité »). Ce système de chiffrement à doit être contrôlé. On peut aller plus loin en
clé publique repose sur l’utilisation d’une double assurant dans certains cas la protection des
clé, l’une publique pour le chiffrement et large- données, aussi pendant les calculs. On citera par
ment diffusée, l’autre privée pour le déchiffre- exemple le chiffrement homomorphe, qui per-
ment et donc confidentielle. En résumé, celui qui met d’effectuer des calculs sur les données chif-
ne dispose pas de la clé privée ne peut accéder frées sans avoir besoin de les déchiffrer. Par
qu’à du bruit. Pour contourner le système, une exemple, si on note CK l’algorithme de chiffre-
autre parade consiste à passer par un réseau dit ment avec une clé K et DK l’algorithme de
« d’anonymisation », comme TOR (lire p. 65), où déchiffrement correspondant, si DK (CK (n) x CK
l’anonymat est la règle, et qui protège contre (m)) = n x m, on pourra dire que le schéma de
l’analyse des métadonnées. chiffrement est homomorphe pour la multipli-
Dans tous les cas, ces contournements tech- cation. En d’autres termes, il est possible de cal-
niques sont faciles à mettre en œuvre et la seule culer le produit sur les valeurs chiffrées elles-
information exploitable serait l’établissement mêmes. De ce fait, la confidentialité des valeurs
d’une connexion chiffrée entre une machine et à protéger (ici n et m) peut être préservée vis-à-
un ou plusieurs serveurs (en France ou à l’étran- vis de l’agent réalisant le calcul (ici la multiplica-
ger). En particulier, aucune information sur le tion). On notera cependant que, même s’il est
destinataire final de l’information ou le contenu applicable en théorie à tout calcul, le principe du
du message ne serait exploitable. Il y a fort à chiffrement homomorphe ne peut

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 63


fondamentaux

Numérique

actuellement être effectué avec des temps compréhensible par des humains. Quand un tel
de calcul raisonnables que pour certaines opé- langage est muni d’une sémantique claire (par
rations (comme la multiplication ci-dessus). exemple sur la base d’un modèle mathématique)
L’utilisation des données de renseignement pose il présente l’avantage de lever toute ambiguïté
aussi des questions complexes en matière de sur le sens des règles à appliquer, concernant
contrôle d’accès. Tout d’abord, les règles d’utili- notamment l’obligation d’effacement des don-
sation des données ne sont pas de simples asso- nées ou les autorisations d’accès (3) .
ciations entre types de données et agents autori- Reste le contrôle a posteriori, une forme de
sés. De façon plus subtile, on peut vouloir contrôle essentielle en matière de renseigne-
exprimer, par exemple, le fait qu’un agent de ren- ment, qui relève de l’audit. Il peut consister par
seignement d’un service donné peut utiliser les exemple à vérifier, après les faits, que les traite-
coordonnées téléphoniques des personnes avec ments effectués sur les données personnelles
qui un suspect désigné est entré en contact pen- sont conformes aux exigences légales et régle-
dant les trois derniers mois (et peut-être aussi les mentaires. Ces vérifications pourraient être lar-
contacts de ses contacts, etc.). En d’autres gement automatisées à l’aide d’analyseurs de
termes, mener son enquête ne doit pas lui per- logs (Fig. 1). Les logs sont les fichiers informa-
mettre d’accéder à la totalité de la base de don- tiques qui stockent l’historique des événe-
nées du service mais uniquement à la partie en ments du système. Les analyseurs sont eux-
rapport avec son enquête. On peut aussi vouloir mêmes des logiciels qui intègrent les règles à
restreindre l’accès à certaines finalités et dans vérifier et parcourent les fichiers logs pour
certaines conditions (par exemple avec l’autori- déterminer si ces règles ont été respectées,
sation d’un supérieur et à des fins de recherche fournissant ainsi une aide précieuse aux audi-
de complicités d’acte de terrorisme). teurs. Cependant, pour que ce type de contrôle
Dans ces conditions, la difficulté consiste à expri- soit probant, il faut que tous les moyens soient
mer des règles qui traduisent des obligations mis en œuvre pour assurer la sincérité et la
juridiques ou réglementaires, dans un langage sécurité des logs : il est crucial en effet que
qui soit à la fois traitable par une machine et ceux-ci reflètent l’ensemble des opérations

Fig.1 Contrôler la bonne utilisation des données Règles d’utilisation


Agent X peut
L’analyseur de logs est un outil essentiel Toutes les manipulations accéder au
pour tracer l’activité d’un utilisateur 2 des données sont conservées
fichier A
pour usage U
dans un réseau. Voici comment sous forme d’historique.
Agent Y n’y a pas
fonctionnerait cet outil dans le cadre Historique accès
de la loi pour le renseignement. Agent X peut
Donnée 1 Donnée 2 y accéder pour
utilisée par transférée usage Z
agent X dans un
autre service

Donnée 3
ouverte par
Donnée 4
effacée
Analyseur de logs 3
agent Y L’analyseur de
logs compare
l’historique avec
les règles
INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS

d’utilisation.

Agent Y n’avait pas


Agent X Agent Y
1 le droit de regarder
les données
Des agents consultent des données Donnée 1 Donnée 2 Un auditeur vérifie
d’internautes dans le cadre
d’enquêtes en fonction de mots clés.
Agent Y Donnée 3 Donnée 4
4 qu’aucune règle n’a été
violée par les agents. Auditeur

64 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


TOR, UN LOGICIEL POUR ÉCHAPPER À LA SURVEILLANCE
TOR, qui peut être téléchargé « boîtes noires ». Il utilise un trois couches de chiffrement, connexion. Néanmoins, TOR ne
librement (www.torproject.org), routage décentralisé qui repose un peu comme un oignon (d’où cache pas forcément le conte­
est un logiciel qui permet d’ano­ sur des relais intermédiaires dé­ le nom TOR pour The Onion nu des communications. C’est
nymiser les communications sur ployés par des volontaires à tra­ Router). Le déchiffrement du un simple transporteur d’infor­
Internet. Avec lui, un utilisateur vers le monde. Chaque message message est également réalisé mation au sens de l’article 12
peut se connecter sur un site est transporté par trois relais en trois étapes successives, par de la directive européenne
sans révéler au site ou à un ob­ distincts, R1, R2 et R3, choisis les trois relais, pour être envoyé 2000/31/CE du 8 juin 2000.
servateur du réseau son adresse par le système. Chaque message au destinataire final. Aucun ob­ Comme La Poste, il n’est pas
IP. TOR protège ainsi de la sur­ est ainsi chiffré trois fois succes­ servateur ne peut identifier la responsable des informations
veillance grâce aux fameuses sivement et donc enveloppé de source et la destination d’une qu’il transporte.

pertinentes sur les données et qu’ils ne puissent disposera des transcriptions des renseigne-
être altérés (par exemple pour masquer des ments collectés de façon à pouvoir vérifier leur
activités non conformes). « caractère nécessaire et proportionné ».
Il va de soi que la confidentialité de ces logs doit Même si les recherches doivent être amplifiées
également être préservée, faute de quoi ceux-ci sur ces sujets (4), les techniques existantes
pourraient représenter un risque accru de divul- peuvent déjà contribuer à concilier renseigne-
gation de données personnelles. Ces contrôles ment et protection de la vie privée dans le cadre
a posteriori ne peuvent pas, par définition, d’une démarche d’accountability qui accorde-
apporter de garantie absolue. Ils relèvent de ce rait de véritables contre-pouvoirs à une entité
qu’on appelle parfois l’accountability, c’est-à- tierce indépendante. Cette démarche inspire
dire la responsabilisation, le mot accountability également le futur règlement européen sur les
étant à prendre au sens de « rendre des données personnelles, réforme globale des
comptes ». En d’autres termes, il s’agit d’une règles adoptées par l’Union européenne en 1995
démarche de surveillance des surveillants, en matière de protection des données person-
nécessaire pour assurer aux citoyens que les nelles, et qui devrait être adopté définitivement
pouvoirs accordés aux services en matière de en 2015. Cependant, ce règlement ne concerne
collecte et de traitement de données person- pas les activités de police et de justice qui seront
nelles ne sont pas dévoyés. régies par une directive spécifique. Idéalement,
ce principe d’accountability, qui pourrait contri-
UN CONTRE-POUVOIR INDÉPENDANT buer à renforcer la confiance des citoyens,
devrait s’imposer à tous les acteurs, privés
Cependant, les défis en la matière ne sont pas comme publics, qui traitent des données per-
seulement techniques. Ce contrôle devrait être sonnelles, la surveillance par des sociétés pri-
effectué par une entité véritablement indépen- vées méritant tout autant d’attention que la sur-
dante, disposant des moyens suffisants, tant veillance d’État. n
sur le plan financier qu’en matière d’expertise N.B. : Cet article reflète exclusivement l’opinion de ses auteurs
technique. On peut donc regretter que la Com- et n’engage en aucune façon Inria.
mission nationale de contrôle des techniques (1) Commission de réflexion et de propositions
de renseignement prévue par la loi sur le ren- sur le droit et les libertés à l’âge numérique de l’Assemblée
seignement n’apporte pas les garanties suffi- nationale, « Recommandation sur le projet de loi relatif
santes, notamment en matière d’expertise au renseignement », 1er avril 2015.
technique (une seule personnalité qualifiée (2) J. Parra-Arnau, C. Castelluccia. « Dataveillance and the False- Pour en savoir plus
Positive Paradox », HAL, mai 2015.
parmi les neuf membres de la commission). n http://tinyurl.com/
(3) D. Butin, D. Le Métayer, « Log Analysis for Data Protection
Cette commission devra donner son avis avant Accountability », Formal Methods, LNCS 8442, 63, Springer, 2014. homelandsecuritynewswire
toute autorisation de mise en œuvre d’une (4) National Research Council of the National Academies,
« Terrorists’ personality traits
technique de renseignement. Elle sera aussi « Bulk collection of signals intelligence : technical options », indistinguishable from traits of the
informée de leurs modalités d’exécution et The National Academies Press, 2015. general population: Experts »

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 65


[ Une sélection unique
de produits
et services culturels ]
Découvrez notre choix de livres
à offrir ou à vous offrir.

Jeux mathématiques Jeux mathématiques Jeux mathématiques Jeux - Testez votre


et énigmes policière Spécial jeux de Spécial élections intelligence
Qu’apportent les mathé- cartes, poker, magie Les sondages, les stratégies Dans ce numéro exceptionnel,
matiques à la progression Mathématiques et jeux de de votes, le découpage élec- les plus grands spécialistes des
rigoureuse des enquêtes cartes, c’est un mariage naturel. toral n’auront bientôt plus de neurosciences font le point sur
policières ? Des articles scien- Les mathématiques ont aussi secrets pour vous. Plaisir de les dernières avancées, quitte
tifiques tentent d’y répondre. un rôle fondamental dans jouer, plaisir de comprendre, à bousculer bien des idées
Ils alternent avec des énigmes nombre de tours de magie vivez un agréable divertisse- reçues. Quant aux meilleurs
policières que vous serez utilisant des cartes. En suivant ment avec les mathématiques créateurs de jeux, ils mettent
amenés à résoudre avec pour les conseils donnés dans ces électorales. en application sur près de 40
seule arme votre ingéniosité. pages, vous en comprendrez les Réf. LR11 5,50s pages, toutes les facettes du jeu
Réf. LR09 5,50s ressorts et éblouirez vos amis. d’intelligence.
Réf. LR10 5,50s Réf. LR12 5,50s

Dossiers Santé
Débusquer le hasard 100 idées reçues sur la
Compilation d’articles parus dans santé dont il faut se méfier
La Recherche, cet ouvrage décrit Dans ce numéro spécial :
32 situations où mathématiques des informations et conseils sur
rime avec efficacité. ce qui vous intéresse au plus haut
Réf. LR05 16,00s point, votre santé.
- 5% soit 15,20s Réf. LR07 5,90s

Les grandes controverses Le cœur


scientifiques La Recherche et ses partenaires
Ce livre raconte douze controverses de la presse quotidienne régionale
qui ont accompagné les grandes et de Belgique vous présentent ce
découvertes scientifiques. « Dossier Santé » où l’information
Réf. LR06 14,50s claire et accessible est validée par
- 5% soit 13,78s des spécialistes.
Réf. LR08 4,90s

Votre
Livraison à domicile rapide commande
@chetez 7 jours/7 sur sophiaboutique.fr atteint 49€
FRAIS DE PORT
Livraison OFFERTS
Entrez la référence du produità domicile
(inscriterapide
àPaiement
côté de sécurisé
chaque article)
dans le moteur de recherche et achetez en quelques clics.
Livraison
Livraisonà domicile rapide
à domicile rapide
NOUVEAU ! livraison en Point Relais Paiement
Paiement sécurisé
sécurisé Satisfait
Satisfait ouou remboursé 100% des articles en stock
remboursé

1
Complétez votre collection

LE MENSUEL LES DOSSIERS


6,40€ le numéro
DE LA RECHERCHE
Année 2014
6,90€ le numéro
 N°483 janvier 2014  N°494 décembre 2014 Année 2013
SPÉCIAL : Le top des 10 découvertes Dossier : Maths, les femmes SP02 : Les origines de la vie
de l’année prennent-elles le pouvoir ? SP03 : Les abysses
 N°484 février 2014 Année 2015 SP04 : Les particules élémentaires
Entretien : Peter Higgs  N°495 janvier 2015 SP05 : Jeux de mathématiques
 N°485 mars 2014 Dossier : Les 10 découvertes les et de physique
Dossier : ordinateur quantique. plus importantes de l’année. SP06 : Addictions
 N°486 avril 2014  N°496 février 2015 SP07 : L’album de l’année 2013
Dossier : Le génie d’Alexandre Dossier : L’origine de l’univers Année 2014 NOUVELLE
Grothendieck. dévoilée. SP08 : L’intelligence artificielle FORMULE
 N°487 mai 2014  N°497 mars 2015 SP09 : Les nouvelles dimensions du son
Dossier : T-Rex. Enquête sur la star Dossier : Stress, comment il modifie SP10 : Piloter la machine par la pensée
des dinosaures. notre cerveau. SP11 : Internet, pour le meilleur
 N°488 juin 2014  N°498 avril 2015 et pour le pire
Dossier : Bitcoin, la monnaie devient Dossier : Intelligence artificielle, SP12 : La télévision du futur
numérique. jusqu’où iront les réseaux sociaux. SP13 : Comment les robots perçoivent
 N°489 juillet-août 2014  N°499 mai 2015 le monde
SPECIAL : La réalité n’existe pas. Dossier : Kilo, Ampère, Kelvin, Mole Année 2015
 N°490 août 2014 Pourquoi les physiciens redéfinissent SP14 : La lumière
Les 40 livres de science indispensables. les unités de mesure.
 N°491 septembre 2014  N°500 juin 2015
Dossier : Qui sont vraiment Dossier : Neurosciences. Et pour conserver
nos ancêtres ? Comment l’empathie naît votre collection précieusement
 N°492 octobre 2014 chez l’Homme.
Dossier : Incertitude quantique.  N°501-502 juillet-août 2015  l’écrin 12 numéros
 N°493 novembre 2014 NUMÉRO DOUBLE
Dossier : Les révolutions
18 seulement
Dossier : Comment savons-nous
que nous sommes morts ? quantiques. (hors frais de port)

Retrouvez l’intégralité des numéros disponibles sur le site www.sophiaboutique.fr



Bon de commande À retourner sous enveloppe affranchie à LA RECHERCHE
BP 65 - 24 chemin Latéral - 45390 Puiseaux -  33 (0) 2 38 33 42 89 - nchevallier.s@orange.fr

V505

Nom : Prénom :

Adresse :

Code postal : Ville : Pays :

Tél. E-mail : @
Pour recevoir plus rapidement des informations sur votre commande, merci de nous indiquer votre e-mail.

Oui, je souhaite recevoir dans les 10 jours la commande ci-dessous Je règle aujourd’hui par :
Indiquez ci-dessous les numéros souhaités Quantité Prix unitaire TOTAL
 chèque à l’ordre de SOPHIA PUBLICATIONS  carte bancaire
LA RECHERCHE
 

6,40 € € Je note aussi les 3 derniers chiffres du numéro inscrit au dos
de ma carte bancaire,
LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE
  au niveau de la signature : Expire fin :
6,90€

Signature obligatoire :
L’écrin LA RECHERCHE 12 numéros
  18,00 € € Votre commande sera
FRAIS DE PORT : France métropolitaine (Étranger, nous contacter) expédiée à réception
1,50€ le numéro / + 0,50€ le numéro supplémentaire € de votre règlement.
6,85€ l’écrin / 8,35€ de 2 à 3 / 9,10€ de 4 à 5
Au-delà de 5 écrins, nous contacter. €
Loi informatique et libertés : vous disposez d’un droit d’accès et de rectification des données
Total de ma commande (Frais de port inclus) € vous concernant. Elles pourront être cédées à des organismes extérieurs sauf si vous cochez
la case ci-contre 
fondamentaux

Astrophysique

La machine à fabriquer
des aurores boréales
Conçue au départ pour expliquer la formation des aurores polaires au grand public,
la Planeterrella a permis aux physiciens de découvrir les aurores bleues sur Mars.
Jean Lilensten, astronome

B
Repères ien peu de Français ont devient vert. Il s’agit d’une aurore diffuse. Parfois,
eu la chance d’assister à ce vert danse comme des rideaux derrière une
n Jusqu’à la fin une aurore polaire, qu’on fenêtre ouverte : il s’agit d’un voile auroral. Plus
du XIXe siècle, la science appelle « boréale » dans haut, vers 200 kilomètres d’altitude, le ciel se pare
ne parvient pas à
expliquer les aurores
l’hémisphère Nord et d’un pourpre cardinal. Si une éruption solaire a
boréales. « australe » dans l’hémis- eu lieu, alors les particules du vent solaire vont
n Le savant norvégien phère Sud. Car il faut plus vite et pénètrent plus profondément dans
Kristian Birkeland met pour cela aller à haute l’atmosphère. Là, elles se heurtent au diazote et
alors au point la Terrella latitude – la Laponie pour l’Europe, entre 60 et au dioxygène qui nous sont familiers. Ces molé-
qui permet de reproduire 65° nord. Il est nécessaire qu’il fasse nuit, qu’il n’y cules émettent de nouvelles couleurs, plus
les aurores boréales.
ait ni Lune ni nuage, et attendre dans des tempé- variées – du mauve, du rose, du bleu, du jaune,
n La Planeterrella, ratures qui peuvent friser – 30 °C. La haute atmo- jusqu’à 80 kilomètres environ au-dessus de nos
qui s’inspire de cette
expérience, dépasse sphère du Soleil, enfin, doit avoir éjecté des élec- têtes. Les formes deviennent dynamiques. Un
le cadre pédagogique trons et des protons – c’est le vent solaire – en spectacle magnifique, mais impossible à admirer
pour servir la recherche quantité assez abondante, et à une vitesse de sous nos latitudes. Alors pourquoi ne pas le fabri-
fondamentale. 370 kilomètres par seconde (km/s) environ. Ce quer soi-même ? C’est ce que nous avons cherché
vent solaire souffle ces particules chargées en à faire en construisant la Planeterrella.
permanence sur la Terre. Il faut éventuellement
qu’une éruption solaire, un phénomène local et LE MÉCANISME DÉMONTRÉ
sporadique à la surface de notre étoile, ait pro-
pagé dans l’espace une grosse bouffée de ces L’idée n’est pas neuve. Au XIXe siècle, les géo-
particules, jusqu’à 1 000 km/s et que celles-ci graphes établissent que les aurores polaires se
aient croisé, sur leur chemin, celui de la Terre au produisent surtout autour des pôles magné-
cours de son orbite autour du Soleil. tiques, dessinant ce qu’on appellera les « ovales
(*) L’oxygène atomique est Si toutes ces conditions sont réunies, la récom- auroraux ». Autrement dit, elles se produisent sur
une molécule composée d’un seul pense est à la hauteur des attentes. Car après un anneau centré sur les pôles magnétiques. En
atome d’oxygène contrairement au avoir interagi de façon complexe avec la magné- parallèle, les travaux en électromagnétisme
dioxygène que l’on respire. tosphère, c’est-à-dire le champ magnétique qui conduisent à postuler l’existence de particules
(*) Un plasma est un milieu englobe la Terre, une partie du vent solaire vient chargées, les électrons. On appelait alors ces par-
constitué de charges libres frapper la haute atmosphère. Entre 100 et ticules « les rayons de cathode ».
(ions, électrons). On restreint 150 kilomètres d’altitude, ce choc excite les molé- À la fin du XIXe siècle, le physicien norvégien
le plus souvent les plasmas
aux gaz, mais certains commencent cules d’oxygène atomique (*). En réponse, ces Kristian Birkeland, expérimentateur de génie,
à considérer des plasmas solides, molécules émettent de la lumière dont la couleur réussit à reproduire ce phénomène en tirant des
comme les métaux. est caractéristique de leur composition. Le ciel « rayons de cathode » sur une sphère magnétisée

68 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


une enceinte de 50 litres dans laquelle le vide est
fait pour reproduire les conditions atmosphéri-
ques qui règnent à 80 km d’altitude. Dans cette
enceinte se trouvent un petit tube métallique (une
buse) ainsi que deux sphères en métal de 5 et
10 cm de diamètres respectifs. Ces éléments sont
mobiles. Un générateur complète le dispositif.
Les multiples configurations permettent de
visualiser de nombreux phénomènes spatiaux.
Dans le cas des ovales auroraux, la petite sphère,
que l’on relie au pôle négatif du générateur, se
transforme en « étoile » et éjecte dans l’enceinte
des électrons qui simulent le vent solaire. La
grande sphère, reliée aux pôles positifs, joue le
rôle de la Terre qui reçoit le vent solaire. À l’inté-
rieur de la sphère, un aimant produit un champ
magnétique semblable à la magnétosphère. Des
anneaux illuminent alors les pôles de la planète
miniature. Ce sont les ovales auroraux.

SIMULATIONS ET PRÉDICTIONS

La Planeterrella peut aussi rendre visibles les


ceintures de Van Allen. Ce sont des zones de la
magnétosphère terrestre, situées à plusieurs mil-
liers de kilomètres au-dessus de la surface, où
sont piégées des particules du vent solaire. Ces
ceintures sont invisibles, puisque la densité des
Cette lumière verte dans le ciel de l’Alaska est le résultat de l’excitation de molécules particules chargées n’y est pas assez forte pour
d’oxygène atomique par le vent solaire, à une altitude comprise entre 100 et 150 kilomètres. engendrer des phénomènes auroraux. D’autres
situations peuvent être reproduites, de façon
moins fidèle à la réalité physique, par exemple la
suspendue dans une enceinte à vide. La cathode formation de la couronne solaire et des taches
représentait le Soleil, les rayons, l’atmosphère sombres à la surface de notre étoile.
solaire (que Parker définira en 1959 comme le À l’origine, la Planeterrella a été conçue pour être
« vent solaire ») et la sphère magnétisée, la Terre. montrée dans des classes autour de Grenoble,
Sa vie durant, il construisit 14 variantes de son des maisons de la jeunesse et de la culture, etc.
expérience, la Terrella. Grâce à elle, il put faire la Elle est donc facile à monter et à transporter.

20
première démonstration en laboratoire du méca- Aujourd’hui, elle sert d’outil pédagogique à l’IUT
nisme des aurores polaires, et retrouver les ovales de Toulouse ou à Grenoble pour des analyses
auroraux. Hélas, les connaissances de l’époque spectrales. Des élèves ingénieurs font des études
ne lui permirent pas d’expliquer ce qu’il voyait. Il techniques pour l’améliorer. Elle est utilisée éga-
faudra attendre le XXe siècle pour que la physique lement pour des projets de master en modélisa-
atomique révèle comment des molécules exci- tion numérique, en particulier pour simuler la
tées émettent de la lumière de couleurs variées. PLANETERRELLAS SONT propagation des électrons dans l’atmosphère.
La première Planeterrella a été créée en 2007 à EN ACTIVITÉ dans Plus étonnante est son utilisation à des fins scien-
l’Institut de planétologie et d’astrophysique de le monde : au Palais tifiques. L’Observatoire royal de Belgique s’en sert
Grenoble (Ipag) sous ma direction, avec notam- de la découverte, à Paris, comme premier test pour des sondes de Langmuir,
ment Mathieu Barthélémy, Cyril Simon, Guil- à l’Observatoire royal destinées à mesurer le potentiel électrique des
© PHOTRI.INC/AGE

laume Gronoff, David Bernard et Olivier Brissaud. de Belgique à Bruxelles, plasmas (*) à bord d’instruments spatiaux. Celles-ci
Elle s’inspire de la Terrella de Birkeland, mais en au Cern à Genève, au Nasa sont introduites dans la Planeterrella afin de véri-
multiplie les possibilités. Elle se présente comme Langley, aux États-Unis… fier la sensibilité de leur mesure.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 69


fondamentaux

Astrophysique

C’est le mécanisme d’une aurore. Mon équipe


confirme cette intuition par le calcul : l’énergie
nécessaire pour produire de tels rayons ultravio-
lets est estimée autour de 500 électronvolts (eV).
Or c’est typiquement l’énergie apportée par les
particules du vent solaire (1). Nous avons prouvé
l’existence des aurores martiennes !
Mais comme il s’agit d’un résultat théorique, et
que les aurores elles-mêmes restent invisibles à
l’œil humain, la découverte fait peu de bruit. Une
polémique se développe alors autour des éner-
gies électroniques nécessaires à la formation des
aurores sur Mars : 500 eV ou plus ? Pour en avoir
le cœur net, en avril 2014, nous décidons de
reproduire l’atmosphère martienne en remplis-
sant l’enceinte de la Planeterrella de CO2. À notre
grande surprise, nous observons des aurores
Ici, la Planeterrella simule une étoile magnétisée (à droite) qui s’entoure d’un anneau visibles de couleur bleue ! De retour au labora-
de courant. Le vent stellaire est reçu par la planète (à gauche). Celle-ci se recouvre toire, un peu de bibliographie nous apprend que,
d’une ceinture de radiation et d’ovales auroraux, dont le profil est bien visible au pôle Nord. lorsqu’il est excité, le CO2 émet notamment de la
lumière bleue dans la bande spectrale (*) dite de
« Fox-Duffenbak-Barker ». Nous introduisons
(*) Une bande spectrale Notre expérience permet aussi de faire des cette donnée dans notre simulation numérique
est une gamme de longueur d’onde prédictions. À Grenoble, nous avons prédit grâce d’aurores, et découvrons qu’il devrait en effet
que peut émettre ou absorber à elle la forme des aurores d’Uranus. Cette géante exister des aurores bleues visibles à l’œil nu sur la
une molécule.
gazeuse a ceci de particulier que son axe magné- Planète rouge. Une petite expérience avec la Pla-
tique est quasiment dirigé vers le Soleil. Il suffit neterrella nous a donc mis sur la voie de cette
pour simuler cet effet de basculer l’aimant situé découverte ! Mieux. Nous démontrons numéri-
à l’intérieur d’une des sphères, qui représente quement qu’on trouve des aurores vertes à
Uranus, vers la buse, qui joue le rôle du Soleil. 140 km au-dessus de la surface de Mars, et des
Nous avons aussi montré que l’on devrait obser- rouges, à 160 km. Ces dernières sont dues à l’oxy-
ver deux ovales auroraux, un côté jour, un côté gène atomique, qui se recombine trop vite pour
nuit. Un effet qui n’a pas encore été totalement qu’on puisse en injecter dans la Planeterrella.
vu en pratique. Enfin, récemment, la Planeter- L’article paraît en ligne, sur le site de Planetary
rella nous a aussi permis de découvrir l’existence and Space Science, le 26 mai 2015 (2) , et fait l’ob-
d’aurores multicolores sur Mars. jet de plusieurs communiqués. La nouvelle se
répand. Une requête en anglais – « blue aurora
DES AURORES SUR MARS mars » – sur un moteur de recherche donne
jusqu’à 2 millions de réponses, plus encore en
Tout a commencé en 2005. L’instrument Spicam, espagnol. Ce qui nous amuse le plus, c’est que
embarqué à bord du satellite de l’Agence spatiale nos trois photomontages deviennent très rapide-
européenne Mars Express, observe le rayonne- ment, à tort, « les premières photos des aurores
ment ultraviolet de la Planète rouge. On mesure bleues martiennes prises par la Nasa ». Certains
une amplification de ce rayonnement à chaque en font même des films. Aucun instrument
© DAVID BERNARD, IUT MONTPELLIER/IPAG

fois que le satellite survole une anomalie magné- n’existe toutefois à ce jour pour observer les
tique, une zone où le champ magnétique de la aurores visibles qui devraient se produire du côté
croûte martienne est intense. Pour Jean-Loup nuit sur Mars ! Finalement, la Planeterrella aura
Pour en savoir plus Bertaux, responsable scientifique de Spicam, il permis à la fois de montrer la beauté des aurores
n http://planeterrella.obs.ujf- s’agit sans doute d’un effet dû aux électrons du et de faire des avancées scientifiques. Que
grenoble.fr vent solaire, qui excitent le dioxyde de car- demander de plus à cette petite expérience ? n
n Jean Lilensten, Chasseur d’Aurores, bone (CO2) contenu dans l’atmosphère de Mars, (1) J.-L. Bertaux et al., Nature, 435, 790, 2005.
La Martinière, 2014. lequel émet des rayons ultraviolets en retour. (2) J. Lilensten et al., Planet. Space Sci., 115, 48, 2015.

70 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Climat PÉ
C I AL
1
COP2

S
Les gagnants et les
perdants de l’Arctique
Le réchauffement rapide de l’océan Arctique est à l’origine d’une succession de bouleversements
biologiques de grande ampleur. Les animaux auront-ils le temps de s’adapter ?
Eli Kintisch, journaliste, et Jean-Clément Nau, traducteur
Cet article est publié et adapté avec l’autorisation de l’AAAS. Paru dans Science 349, 578, 2015.

C
haque jour, entre juin et situées plus au sud). L’impact de ce phénomène Repères
septembre, le biologiste se fait ressentir « à tous les niveaux de la chaîne ali-
Markus Brand et l’un de mentaire », explique Marcel Babin, océanographe n À Ny-Ålesund, en

ses collègues montent à l’université Laval, au Québec. Norvège, les chercheurs


de dix nationalités
dans un petit bateau. Ils Simple exemple : avec la fonte de la banquise, de étudient les
naviguent lentement plus en plus de lumière pénètre dans la colonne conséquences du
vers un fjord situé dans d’eau, provoquant des éclosions massives de réchauffement climatique
la périphérie de Ny- phytoplancton. Une bonne nouvelle pour cer- sur l’océan Arctique.
Ålesund, base de recherche située à 1 000 kilo- tains poissons, mais une triste situation pour les n Ils constatent une

mètres au nord du cercle Arctique. Les vagues animaux qui vivent sur la glace. Les ours polaires « atlantification » de
l’Arctique, avec des
d’un mètre de haut et la neige poudreuse sont se sont réfugiés sur la terre ferme ; ils y chassent les
installations importantes
monnaie courante dans l’archipel de Svalbard, où oiseaux de mer pour survivre. Les morses qui, en de nouvelles espèces
se rencontrent les océans Arctique et Atlantique. temps normal, se reposent sur la banquise, s’en- dans le Grand Nord.
Mais Markus Brand ne se décourage pas. En diffé- tassent désormais sur les côtes de l’Alaska ; l’été n L’augmentation massive
rents endroits du fjord, cet étudiant de troisième dernier, des vingtaines de leurs petits sont morts de la productivité du
cycle de l’Institut Alfred Wegener (IAW) d’Helgo- dans des mouvements de foule. La détresse des phytoplancton risque
également de provoquer
land, en Allemagne, hisse plusieurs casiers d’acier grands prédateurs a transformé l’Arctique (et ses
un « immense
depuis le fond de l’océan. En trois ans, il a attrapé mutations) en cause célèbre (*) pour les écologistes. bouleversement ».
5 000 poissons. Il en dissèque quelques-uns et en « C’est un océan qui meurt, et un autre qui naît »,
rejette d’autres à l’eau après les avoir marqués. explique Peter Thor, biologiste à l’Institut polaire
Markus Brand fait la chronique d’une invasion norvégien de Tromsø.
venue du Sud. Ainsi, des variétés de morues de L’impressionnant phénomène nordique se propa-
l’Atlantique vivant d’ordinaire bien en dessous du gera peu à peu vers le sud et finira par atteindre des
cercle Arctique apparaissent dans le Svalbard – et cieux tempérés. De récentes études indiquent que
s’y épanouissent. Les chercheurs parlent d’une la fonte de l’Arctique altérerait les configurations
« atlantification » de l’Arctique, qui amènerait des météorologiques de l’hémisphère Nord. Et les
populations entières de poissons à s’installer dans dérèglements biologiques se feront ressentir plus
le Grand Nord. Mais la migration des poissons au sud : la plupart des poissons et des oiseaux qui
n’est qu’une goutte dans la cascade de boulever- fréquentent l’Arctique sont des migrateurs. « Ce
sements biologiques générée par le réchauffe- qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arc-
ment de l’Arctique (les températures y grimpent tique », résume Howard Epstein, géoscientifique
plus de deux fois plus vite que dans les régions de l’université de Virginie, aux États-Unis. (*) En français dans le texte [NDT]

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 71


fondamentaux

Climat

Juché sur la bordure orientale du détroit de moins nutritives pour leurs prédateurs, tel que le
Fram (à seulement 1 000 kilomètres au sud du canard eider à duvet. « Il y a des zones de la mer
pôle Nord), l’archipel norvégien du Svalbard de Béring où les proies du canard sont deux fois
n’était jadis guère plus qu’un avant-poste de moins nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a vingt
pêche à la baleine dans le Grand Nord. Puis, en ans », précise-t-elle. Pour d’autres espèces, cette
1964, la Norvège convertit l’un de ses villages de « nouvelle norme » est synonyme de croissance
mineurs, Ny-Ålesund, en base de recherche éclair. Les images des satellites montrent des
scientifique. Une décision éclairée : des cher- éclosions massives de phytoplancton dans les
cheurs de dix nationalités différentes accourent, zones maritimes nouvellement dégelées.
trop heureux d’être aux premières loges des L’autre facteur clé demeure l’amincissement de
immenses changements qui agitent cette région. la banquise elle-même. Constellée de poches
Chaque jour, des ballons-sondes traversent les d’eau fondue, cette dernière laisse passer de plus
cieux au-dessus de Ny-Ålesund. Leurs relevés en plus de lumière. En juillet 2011, des cher-
étayent les constatations déjà établies, selon les- cheurs ont embarqué dans un brise-glace pour
quelles l’Arctique s’est réchauffé de plus de 2 °C mener une campagne océanographique dans la
depuis 1993. Selon les résultats de campagnes mer des Tchouktches ; et pour la toute première
océanographiques organisées autour du Sval- fois, ils ont constaté des éclosions massives de
bard, de plus en plus d’eau douce, provenant de phytoplancton sous la glace (1) . « Nous étions
abasourdis. Biologiquement parlant, les éclosions
étaient aussi productives que n’importe quel autre
C’est un océan qui meurt, écosystème océanique de la planète », explique
l’océanographe Kevin Arrigo, de l’université
et un autre qui naît ” Stanford, en Californie, qui a codirigé l’étude.
 Thor, biologiste à l’Institut polaire norvégien de Tromsø
Peter Dans un hors-série de la revue Progress in
Oceanography paru en août 2015 et consacré aux
perturbations dans l’Arctique, des chercheurs
rivières et de la fonte de glaciers, afflue dans le évaluent par ailleurs l’augmentation de la pro-
détroit et se heurte à une eau plus chaude ache- ductivité primaire (*) – qui permet de mesurer la
minée vers le nord par les courants océaniques. photosynthèse marine – à 30 % dans l’océan
« L’Arctique change à vue d’œil », affirme Roland Arctique entre 1998 et 2012 (2) .
Neuber, spécialiste de l’atmosphère à l’IAW.
La fonte de la banquise demeure le bouleverse- QUELQUES SIGNES DE RÉSISTANCE
ment le plus conséquent. Depuis 1979, la ban-
quise arctique aurait perdu 75 % de son volume, Pour Kevin Arrigo, l’augmentation de
un calcul réalisé à partir de la surface minimale phytoplancton constituera « un immense boule-
estivale. Ce phénomène a porté un coup des plus versement pour de nombreux animaux ». Parmi
rudes à quelques espèces sous-marines dans les les grands gagnants : le zooplancton et les pois-
eaux les moins profondes, le long des côtes qui sons, qui se nourrissent de phytoplancton, situés
bordent l’océan Arctique. La banquise nourrit le au milieu de la colonne d’eau, ainsi que les pré-
plancher océanique : lorsque les algues qui s’ac- dateurs de haute mer – ou « pélagiques » – qui
crochent sous sa partie inférieure et rugueuse n’ont pas besoin d’avoir accès à une glace stable
meurent, leurs restes coulent et viennent nourrir (contrairement aux ours polaires et aux morses).
des créatures benthiques (*) – vers, escargots, Entre 2003 et 2012, les phoques annelés des
crustacés, coquillages… Des communautés ben- régions du Béring et des Tchouktches ont ainsi
thiques sont déjà en train de perdre du terrain et consommé 8 % de poissons en plus par an (en
(*) Le benthos est l’ensemble trouvent refuge plus au nord, dans les mers de moyenne) qu’ils n’en avaient consommé sur la
des organismes aquatiques vivant
dans les profondeurs des océans, Béring et des Tchouktches, entre la Sibérie et période 1975-1984, rapporte Justin Crawford, du
des lacs et des rivières. l’Alaska, selon Jacqueline Grebmeier, océano- ministère de la Pêche et de la Chasse de l’Alaska,
graphe de l’université du Maryland, aux États- dans le hors-série de Progress in Oceanography.
(*) La productivité primaire
nette est la quantité de matière Unis. « Certains estiment que c’est la nouvelle La baleine boréale, qui filtre le plancton, se porte
végétale produite sur une période norme », explique-t-elle. On a observé des types comme un charme. En outre, selon Sue Moore,
donnée. de palourdes qui rapetissent peu à peu et sont spécialiste en biologie marine à l’Administration

72 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


75 %
nationale américaine des affaires océaniques et alternatives via un rayonnement ultraviolet (UV),
atmosphériques, les baleines à bosse et les ror- de plus en plus présent dans l’Arctique du fait de
quals communs sont de plus en plus nombreux l’appauvrissement de la couche d’ozone. Les tra-
au nord du détroit de Béring. Même si l’on ignore vaux effectués dans la base ont montré que le
s’il s’agit « d’un signal climatique ou simplement varech arrivé à maturité pourrait supporter une
d’un rétablissement de leur population dû à la eau plus chaude et une plus grande acidité due à
baisse de la chasse ». l’absorption par l’eau de mer du dioxyde de car- C’EST LE VOLUME
À Ny-Ålesund, après sa pause déjeuner, Kai bone présent dans l’atmosphère. Les plantes qu’aurait perdu
Bischof, physiologiste des végétaux à l’université seraient aussi capables de résister à une hausse du la banquise arctique
de Brême, en Allemagne, apporte deux boîtes de rayonnement UV. Aujourd’hui, Kai Bischof étudie depuis 1979.
Pétri au laboratoire. Elles contiennent des frag- les spores et leur capacité à résister aux rapides
ments de varech prélevé dans le fjord. Dans les changements environnementaux. D’autres
chambres froides du laboratoire, des casiers espèces montrent également des signes de résis-
débordent d’échantillons d’algues exposés à des tance. Peter Thor et ses collègues ont en effet
produits chimiques ou à d’autres stimuli afin de détecté une lueur d’espoir chez de jeunes copépo-
simuler un éventail d’états potentiels de l’Arc- des, une variété clé de zooplancton norvégien,
tique. Les nouveaux échantillons de Kai Bischof plus résistants à l’eau acidifiée que leurs parents.
devront traverser l’une de ces dures réalités Il s’agit peut-être d’une adaptation génétique.
JACQUES DESCLOITRES, MODIS RAPID RESPONSE TEAM, NASA/GSFC

La fonte de la banquise
en mer de Barents favorise
l’éclosion du phytoplancton
qui, vu de l’espace,
apparaît comme
une nappe bleu turquoise.
fondamentaux

Climat

Fig.1 Un nouvel océan Arctique


Les animaux qui dépendent La mer de Béring abrite la plus grande  Les guillemots à miroir  Les capelins comptent 
de la banquise pour se reposer population de baleines boréales ;   souffrent du recul   parmi les poissons  
celles-ci s’y reproduisent à vive allure. de la banquise estivale. avantagés par l’essor  
ou chasser souffrent du du zooplancton.
réchauffement de l’Arctique,
tandis que d’autres en tirent
profit. Deux instantanés
montrent la banquise Mer de Béring
à trente-cinq ans d’écart
(surface minimale estivale). ÉTATS-UNIS RUSSIE
Détroit
Source : Sea Ice Index (National Snow  de Béring
and Ice Data Center). Banquise
en septembre 1979 Mer des
Alaska Tchouktches
Banquise
en septembre 2014

Mer de
Beaufort

Mer de
Laptev

ÎLES DE LA REINE-
ÉLISABETH
PÔLE NORD

Mer de
Kara

GROENLAND

L’augmentation de la lumière  Le morse du Pacifique  
et le réchauffement des eaux  a besoin de la glace  
génèrent plus d’éclosions   Le recul de la glace   pour se reposer ; son avenir 
de phytoplancton. met les ours polaires   est incertain.
en grande difficulté.

La taxinomiste Catherine Mecklenburg, de Les chercheurs ont plus d’informations sur les
l’Académie des sciences de Californie, explique populations de fruits de mer présents dans les
qu’un récapitulatif complet des « gagnants » et eaux subarctiques, et sont prêts à parier sur les
des « perdants » nécessiterait des campagnes plus susceptibles de s’étendre vers le nord. Dans
océanographiques fréquentes au centre de un rapport paru en 2013 dans la revue Fisheries
l’océan Arctique – mais qu’aucun État ne sou- Oceanography, 34 experts estimaient que 12 des
haite financer de telles expéditions. Il existe ainsi 17 populations clés des mers de Barents,
peu de données concernant les 235 espèces de de Norvège et de Béring avaient un « potentiel »
INFOGRAPHIE : SYLVIE DESSERT

poissons déjà observées dans l’Arctique. Selon ou un « fort potentiel » d’expansion vers le Haut
ses estimations, plus de la moitié d’entre elles ont Arctique ; parmi elles, le crabe des neiges ou
migré sur les lieux depuis des zones situées plus le flétan du Groenland (3) .
au sud. « Dans ce contexte, il est difficile d’identi- S’adapter ou périr : nulle autre option ne semble
fier les espèces qui sont récemment arrivées dans donc s’offrir aux habitants de l’Arctique. Manfred
l’Arctique », affirme-t-elle. Enstipp espère pouvoir observer l’adaptation en

74 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


action chez les petits pingouins, les oiseaux sau- Paul Wassman, de l’université de Tromsø, l’abon-
vages les plus courants dans l’Arctique. À Ny- dance de phytoplancton pourrait ne pas durer.
Ålesund, ce zoologue, qui travaille pour l’Institut Sa mise en garde repose en partie sur son modèle
pluridisciplinaire Hubert-Curien de Strasbourg, informatique : ce dernier prévoit, d’ici à 2100,
a consacré plusieurs jours à la préparation d’une une fonte des glaces terrestres et maritimes telle
piscine longue de 5 mètres couverte de filets en que plusieurs mètres d’eau douce pourraient
plastique. Il y a placé deux petits pingouins et des être déversés chaque année au-dessus des eaux
copépodes (leur proie favorite) pêchés dans les salées et riches en éléments nutritifs, ce qui
eaux voisines. Depuis, il a les yeux rivés sur des gênerait l’éclosion du phytoplancton. D’autres
écrans d’ordinateurs douze heures par jour, concepteurs de modèles informatiques consi-
attendant le moment où les oiseaux se préci- dèrent toutefois que les vents pourraient mélan-
pitent sous l’eau pour avaler les copépodes. ger l’eau douce à des eaux plus profondes, évi-
Dans la nature, les petits pingouins sont voraces. tant la stratification qui gêne l’éclosion.
Les rares données disponibles indiquent qu’ils
attrapent jusqu’à 60 000 de leurs proies de 5 mil- INTERDIT DE PÊCHER DANS L’ARCTIQUE
limètres par jour ! Mais en 2013, en dehors de

2 °C
Ny-Ålesund, des océanographes ont constaté Face à tant d’incertitudes quant à la résistance de
que ces oiseaux étaient en train de changer de ces écosystèmes, cinq pays [les États-Unis, la
proie. Des copépodes un dixième de fois plus Russie, le Canada, la Norvège et le Danemark,
petits, que l’on retrouve généralement plus au NDLR] ont récemment convenu d’interdire la
sud, ont fait leur apparition aux alentours du pêche dans l’ensemble de l’Arctique. Car si cer-
Svalbard. Manfred Enstipp cherche à savoir si les tains poissons sont susceptibles de s’épanouir,
petits pingouins peuvent s’adapter à la petite d’autres populations pourraient bien s’effondrer. C’EST L’AUGMENTATION
taille de ces nouvelles proies en en avalant plus. Pour protéger les dernières régions où la ban- constatée de la
Il « espère les voir passer en mode “recherche de quise est censée résister au réchauffement de la température en Arctique
nourriture” » ; les voir cesser d’avaler les proies planète, le Fonds mondial pour la nature (WWF) depuis 1993.
plus grosses et commencer à filtrer les plus petits a appelé à un renforcement de l’attention portée
spécimens. à cette « zone de glace persistante », dont la
majorité est située près des îles canadiennes du
COPÉPODES EN MANQUE DE LUMIÈRE Haut Arctique et du nord-ouest du Groenland.
Selon Clive Tesar, du WWF à Ottawa, cela redon-
Ces nouveaux venus de plus petite taille seront nerait un peu d’espoir aux défenseurs des ours et
peut-être capables de rivaliser avec les copépo- d’autres espèces menacées.
des existants, mais le calendrier pourrait bien De son côté, Manfred Enstipp craint de voir les
gêner leur capacité à persister dans l’Arctique. Et petits pingouins aller au-devant de jours diffi-
ce parce que les cycles de croissance saisonniers ciles. Son séjour d’un mois à Ny-Ålesund touche
des copépodes du sud sont beaucoup trop longs à sa fin ; s’il est parvenu à réaliser de superbes
étant donné le peu de lumière que l’Arctique leur prises de vue des oiseaux en train de chasser sous
fournit – comme le rapportent des chercheurs l’eau avec la plus grande énergie, il n’a malheu-
dirigés par l’océanographe Rubao Ji, de l’Institut reusement observé aucun d’entre eux adopter
océanographique de Woods Hole, dans le Massa- l’alimentation par filtrage. Si les copépodes de
chusetts. « Quelques jours en moins [dans la sai- plus petite taille continuent de gagner du terrain,
son de croissance] peuvent à eux seuls avoir un il estime que « les petits pingouins auront peut- Pour en savoir plus
important impact négatif sur leur capacité à se être bien du mal à s’en sortir, énergétiquement La Recherche a publié
préparer pour l’hiver », explique-t-il. Pour les parlant ». Et une espèce de plus se verra n Thibault Panis, « Les oiseaux
chercheurs, cela signifie que les copépodes contrainte à lutter pour sa survie dans un océan marins victimes de l’ours blanc »,
migrants ne seront peut-être pas capables de Arctique en plein bouleversement. n juin 2015, p. 17.
remplacer les populations de copépodes nor- n Nigel Gilles Yoccoz et Dominique
(1) K. Arrigo et al., Science, 336, 1408, 2012.
diques sur le déclin – ce qui provoquerait le recul (2) S. E. Moore et P. J. Stabeno (dir.), « Synthesis of Artic
Berteaux, « Ces espèces qui
des populations de zooplancton. Research (SOAR) », Progress in Oceanography, 136, 2015. colonisent le Grand Nord »,
Le pronostic à long terme est donc des plus (3) A. Babcock Hollowed et al., Fisheries Oceanography, Les Dossiers de La Recherche n° 51,
troubles pour l’Arctique. Selon l’océanographe doi: 10/1111/fog.12027, 2013. septembre 2012, p. 32.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 75


histoire des sciences

Trahie par les perturbations qu’elle provoque dans l’orbite d’Uranus,


l’existence de la planète Neptune fut confirmée en 1846. Mais à qui
revient la paternité de cette découverte ? Le Verrier ou Adams, qui
en ont calculé la position, ou Galle, qui l’a observée le premier ?
Urbain Le Verrier
(1811-1877)

Neptune,
Résolu à en avoir le cœur net, le directeur de
l’Observatoire de Paris, François Arago, persuade
Urbain Le Verrier, mathématicien confirmé,

une découverte
d’abandonner son étude des comètes pour se
pencher sur les perturbations de l’orbite
d’Uranus. Celui-ci compulse les indications por-

très disputée
tées dans les registres de l’Observatoire de Paris
entre 1801 et 1845, et dans ceux de Greenwich,
en Angleterre, entre 1781 et 1801. Il reprend les
calculs de Bouvard, les corrige, et montre qu’Ura-
Marie-Christine de La Souchère, agrégée de physique nus ne peut pas être soumise aux seules actions
du Soleil, de Jupiter et de Saturne.
Le Verrier passe alors en revue différentes hypo-
thèses. La loi de la gravitation de Newton per-

L
drait-elle de sa rigueur loin du Soleil ? Jusqu’à pré-
e 13 mars 1781, le Britan- sent toutes les tentatives visant à la remettre en
nique William Herschel question se sont soldées par un échec. L’éther, ce
découvre Uranus, septième fluide dont on imaginait qu’il emplissait l’espace,
planète du système solaire. entraverait-il le mouvement de la planète ? Sa
Quarante ans plus tard, les résistance se manifeste à peine pour des corps de
astronomes disposent de faible densité et dans des circonstances autre-
40 observations de la planète ment propices. Un gros satellite escorterait-il Ura-
lors de son passage au méri- nus ? Il n’aurait pu échapper à l’observation. Une
dien. À cela s’ajoutent 19 observations effectuées comète aurait-elle percuté la planète et modifié
entre 1690 et 1781 par des astronomes qui, brusquement sa trajectoire ? Le mouvement de la
n’ayant pas remarqué le mouvement apparent de planète entre 1781 et 1820 s’explique sans le
l’astre, l’avaient pris pour une étoile de sixième recours à une force perturbatrice. Les relevés
grandeur (*). À l’aide de ces données, Alexis effectués durant cette période devraient donc se
Bouvard, membre du Bureau des longitudes, raccorder soit aux observations nouvelles soit aux
entreprend de construire les tables de la planète observations anciennes. Ce qui n’est pas le cas.
et de calculer son orbite. Mais il lui est impossible Reste l’hypothèse, déjà esquissée par Bouvard et
de concilier les observations modernes avec les l’astronome allemand Friedrich Bessel, d’une
observations anciennes. Bouvard choisit alors planète inconnue troublant lentement et de
d’écarter ces dernières. manière continuelle le mouvement d’Uranus. Et
Malheureusement, dès 1845, il s’avère que les comme une loi empirique, la loi de Titius-Bode,
prévisions ainsi effectuées ne s’accordent pas postule que les planètes les plus éloignées du
(*) La « grandeur », davantage avec l’observation. Pourtant, Bouvard Soleil s’échelonnent à des distances à peu près
également appelée magnitude
BRIDGEMAN IMAGES

a tenu compte des perturbations exercées par doubles les unes des autres, Le Verrier admet que
apparente, donne une indication
sur la luminosité de l’astre. Plus Jupiter et par Saturne. Se pourrait-il que la pla- cette planète inconnue est deux fois plus éloi-
la magnitude apparente est élevée, nète, rebelle aux formules, soit soumise à gnée qu’Uranus. Le 31 août 1846, fort de
moins l’astre paraît lumineux. quelque action demeurée inaperçue jusqu’alors ? quelques hypothèses supplémentaires relatives

76 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


à son orbite, il est en mesure de révéler les élé-
ments de la planète fantôme. Celle-ci se trouve-
rait à 5 degrés environ à l’est de l’étoile la plus
brillante de la constellation du Capricorne.
De l’autre côté de la Manche, un jeune géo-
mètre britannique, John Couch Adams,
attentif lui aussi aux bizarreries d’Uranus,
est parvenu à des résultats similaires. Dès
septembre 1845, le directeur de l’Observa-
toire de Cambridge, James Challis, l’avait
incité à rencontrer George Biddell Airy, l’in-
fluent patron de l’Observatoire de
Greenwich. Adams avait tenté à plusieurs
reprises de joindre Airy, qui était occupé ou
en déplacement. De guerre lasse, en
octobre 1845, il avait fini par adresser à ce der-
nier une note renfermant les éléments de l’hypo-
thétique planète. Courrier auquel Airy n’avait
donné suite qu’en novembre, demandant à
Adams une précision technique. Jugeant la ques- c o n s a c re r
tion futile, celui-ci avait négligé de répondre. quelques ins-
Airy n’avait accordé quelque crédit à l’existence tants à l’examen de
d’une nouvelle planète qu’après la publication la zone clé. La lettre arrive
des premiers travaux de Le Verrier, devenu dès en Allemagne le 23 septembre. Le
lors son correspondant privilégié. Réalisée dans le cadre soir même, assisté d’un étudiant, Heinrich Louis
d’un projet de plafond pour d’Arrest, Galle braque une lunette de neuf pouces
ÉTOILE OU PLANÈTE l’Observatoire de Paris, d’ouverture dans la direction indiquée. Il y
cette esquisse représente
Urbain Le Verrier découvrant découvre, à moins d’un degré de l’endroit pré-
La recherche de la planète s’organise à l’été 1846. la planète Neptune grâce à sumé, un astre de huitième grandeur, absent de
En France, Le Verrier n’étant guère rompu au ses calculs. la carte. Étoile ou planète ? Pour trancher, il faut
maniement des instruments, Arago charge déterminer si l’astre se déplace ou non sur le fond
quelques collègues de répertorier les astres des étoiles. Et donc attendre la nuit suivante. La
jusqu’à la huitième grandeur. En Angleterre, Airy nuit qui suit, l’astre a bougé. C’est une planète !
donne délégation à Challis, qui se propose d’in- Le 25 septembre, Galle écrit à Le Verrier pour lui
ventorier les astres jusqu’à la onzième grandeur. communiquer la nouvelle en proposant de bap-
Mais le travail est fastidieux et la lassitude s’ins- tiser la planète Janus, du nom du dieu latin à deux
talle. D’autant que ni la France ni l’Angleterre ne visages. Cette double face serait emblématique
possèdent de cartes détaillées de la région du d’une position aux frontières du système solaire.
Capricorne. Comme la configuration de la voûte Mais Le Verrier redoute de voir Galle s’approprier
céleste est de moins en moins favorable à l’ob- la découverte. Et, s’abritant derrière les instances

3
servation (cette portion d’Univers n’est pas officielles, prétend faussement que le Bureau des
visible la nuit, en hiver), Le Verrier s’impatiente. longitudes s’est déjà prononcé pour le nom de
Avant de se souvenir d’un correspondant alle- Neptune. Quelques jours plus tard, le 1er octobre,
mand, Johann Gottfried Galle, qui a déjà à son Challis découvre la planète à son tour. L’astre était
BIBLIOTHÈQUE DE L'OBSERVATOIRE, PARIS

actif la découverte de plusieurs comètes et lui a passé dans le champ de sa lunette à deux reprises
fait parvenir une copie de sa thèse un an aupara- durant le mois d’août mais il avait négligé de
vant. Une thèse sans rapport réel avec les préoc- NOMS ONT ÉTÉ dépouiller ses observations au jour le jour.
cupations de Le Verrier mais qu’importe ! C’est PROPOSÉS pour baptiser À Paris, on triomphe. Et Arago déclare à l’Acadé-
un excellent prétexte pour le contacter. la planète Neptune : mie : « M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans
Le 18 septembre 1846, Le Verrier prend la plume Janus, par Galle ; Oceanus avoir besoin de jeter un regard vers le ciel : il l’a vu
pour remercier Galle et, après avoir dûment loué par Challis et Adams ; et au bout de sa plume. » Lequel Le Verrier fait savoir
son travail, prie l’« infatigable observateur » de Le Verrier par… Le Verrier ! à Arago qu’il souhaiterait en définitive que la

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 77


histoire des sciences

s’expliquer devant la Société astronomique


royale. Challis pour avoir entrevu la planète sans
s’en rendre compte ; Airy pour avoir accueilli
avec réserve et dédaigné le manuscrit d’Adams,
qu’il avait reçu dès octobre 1845.
Tandis que se poursuit la polémique relative au
nom de la planète, qui ne s’achèvera qu’à l’été
1847 avec l’adoption de celui de Neptune, la
controverse se déplace sur le terrain scientifique.
Les données sur Neptune ont été affinées. Le
10 octobre 1846, l’Anglais William Lassell a
découvert Triton, un satellite de Neptune. Les lois
de la mécanique céleste vont permettre de calcu-
ler la masse réelle de Neptune, qui se révélera être
20 fois et non pas 36 fois celle de la Terre. L’exagé-
ration de la masse a été compensée dans les
Publiée dans L’Illustration nouvelle planète porte son nom. Arago, qui calculs par une surévaluation de la distance du
en 1846, cette caricature ne peut rien refuser à son protégé, défend cette Soleil à Neptune. L’écart entre valeurs réelles et
de Cham met en scène résolution devant l’Académie française le calculées fait dire au mathématicien américain
le géomètre britannique
John Couch Adams 5 octobre. Il est d’usage de donner aux comètes le Benjamin Peirce que Neptune n’était pas la pla-
découvrant la nouvelle nom de leur découvreur. Pourquoi les planètes nète prévue par la théorie : Le Verrier n’a fait que
planète dans le rapport échapperaient-elles à la règle ? Mais les Anglais ne bénéficier d’un heureux concours de circons-
du mathématicien français l’entendent pas de cette oreille. Le 17 octobre, tances. Et comme on n’est jamais mieux trahi que
Urbain Le verrier.
Challis et Adams proposent le nom d’Oceanus, par les siens, l’académicien français Jacques
fils d’Uranus et premier dieu des eaux. Babinet lui emboîte le pas le 21 août 1848, dénon-
çant lui aussi des erreurs grossières.
JALOUSIES ET TRAHISONS Babinet suggère en outre l’existence d’une deu-
xième planète, Hypérion, située aux confins des
Le conflit entre la France et l’Angleterre serait constellations du Verseau et du Capricorne, dont
toutefois resté larvé si la publication, le 3 octobre, l’action se combinerait à celle de Neptune pour
d’une lettre de l’astronome John Herschel, adres- produire les perturbations observées. La masse
sée à la revue londonienne de littérature L’Athe- d’Hypérion serait égale à la différence entre la
naeum, n’avait mis le feu aux poudres. Le fils du masse réelle de Neptune et la masse calculée par
découvreur d’Uranus y revendique pour Adams Le Verrier. Impitoyable, Le Verrier tourne en ridi-
une part, voire l’antériorité, de la découverte. Le cule son adversaire, qu’il juge « inutile à l’astro-
19 octobre, à l’Académie des sciences de Paris, nomie » et dont les théories, qui reposent sur une
l’indignation est à son comble. À la tribune, sous méconnaissance flagrante des lois de la méca-
les applaudissements de ses collègues, Arago nique, mèneraient tout droit à l’existence d’un
déclare que la seule façon d’écrire l’histoire des deuxième voire d’un troisième Soleil. Quant aux
sciences de manière juste et rationnelle est de écarts existant entre la théorie prédite de Nep-
Pour en savoir plus « s’appuyer exclusivement sur des publications tune et celle qui résulte des observations,
n James Lequeux, Le Verrier, ayant une date certaine ». Adams, dont le travail Le Verrier a beau jeu de montrer qu’ils sont
savant magnifique et détesté, est resté « clandestin », n’a le droit de figurer dans contenus « en dedans des limites que l’incertitude
EDP Sciences, 2009. l’histoire de la découverte « ni par une citation des données permettait d’atteindre ».
n Comptes rendus hebdomadaires détaillée, ni même par la plus légère allusion ! » Dans la foulée, fort de son prestige, Le Verrier
des séances de l’Académie des
COLLECTION KHARBINE TAPABOR

L’Entente cordiale, le rapprochement diploma- tente d’expliquer les anomalies du mouvement


sciences, note de M. Babinet intitulée tique entre la France et le Royaume-Uni, n’est de Mercure, rebelle lui aussi à toute modélisation,
« Sur la planète complémentaire plus qu’un lointain souvenir. Dans la presse, les par l’existence d’une planète proche du Soleil. Le
de Neptune… », août 1848. caricaturistes se déchaînent. À Paris, on dénonce 12 septembre 1859, Le Verrier précise les élé-
n Caricatures dans L’Illustration une jalousie odieuse et le vol de la planète. ments de celle qu’il appelle Vulcain, du nom du
et dans Le Charivari, par Cham, À Londres, on traite la France de « nation stu- dieu des forges, et que tous les observatoires
7 novembre 1846 et 1er janvier 1847. pide » tandis qu’Airy et Challis sont sommés de s’empressent de rechercher. En pure perte ! n

78 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Supplément à La Recherche N°504 - © Photos : Shutterstock / BASF / Olivier Brunet

BASF

au service de la chimie
co-créative
150 ans
d’innovation
publi-communiqué
Cahier partenaire

BASF, l’art de la chimie innovante


et co-creative depuis 150 ans
Fondé en 1865, le groupe allemand souffle en 2015 ses cent cinquante bougies.
Il en faut du souffle ! Et BASF n’en manque pas. Partenaire majeur de l’industrie,
de l’agriculture et de la recherche, il a su s’adapter depuis le premier jour
aux défis posés par la planète. Fidèle à ses valeurs et tourné vers l’avenir,
il continue à évoluer avec le monde qui l’entoure et croître avec l’humain.

E
BASF en chiffres
n 2050 neuf milliards
d’hommes, de femmes et
d’enfants auront à se partager
des ressources toujours plus 113 000
collaborateurs dont
limitées. L’entreprise allemande veut
2800 en France
mettre son expertise au service de l’in-
novation pour apporter une contribu-
tion interactive et pérenne aux enjeux 74 milliards d’euros de
chiffres d’affaires dont 2
du XXIe siècle. BASF fait plus que fabri- milliards réalisés en France
quer des produits chimiques, il crée de
la chimie pour un avenir durable.
380 sites de
production dont
LES VALEURS DE BASF 14 en France
Chez BASF, salariés, dirigeants et par-
ties prenantes sont aussi les ambas-
sadeurs de valeurs au service d’une
1,75 milliards
d’euros dans des
chimie innovante et co-créative tour- projets de R&D
née vers un avenir durable. Depuis
ses premiers pas sur les rives du Rhin, Le mot de Xavier Susterac  Des clients dans plus
Pour BASF, la sécurité est une priorité quotidienne :
celle des collaborateurs mais aussi des populations voisines de ses sites
de 200 pays,
des partenariats avec
de production, celle des utilisateurs de ses produits, ou encore des de grandes marques
consommateurs. Ce qui est très important pour moi, françaises, dont L’Oréal,
c’est de pouvoir annoncer un jour qu’il n’y a PSA, Faurecia, Bouygues,
plus aucun incident en France.” adidas, AOC Pomerol

le géant de l’industrie chimique mise UNE VISION


sur l’audace et le mariage des talents DU MONDE ET
de chacun dans le souci constant de DES PRIORITES
Le mot de Xavier Susterac perfectionner ses produits, ses services L’innovation, ça se cultive : pour être Nous souhaitons renforcer
Président de BASF France  et ses solutions. Grâce au dialogue et toujours plus compétitif dans le respect la co-création, un thème central
Notre stratégie s’organise autour à l’échange, il s’enrichit des opinions, de l’environnement et de la sécurité de à l’heure de nos 150 ans. Nous
d’un certain nombre de théma- des expériences et des capacités de tous. Ainsi met-elle sa chimie créative voulons travailler davantage
tiques phares : le développement tous pour transformer les besoins du au service des trois enjeux majeurs du encore en partenariat avec les
durable en est une. marché en innovations rêvées par ses XXIe siècle : la préservation du climat, organismes scientifiques, avec
Grâce à ses technologies et ses partenaires et ses clients. Chez BASF, la l'accès pour tous à une alimentation de les PME innovantes et
innovations, en dialoguant aussi règle d'or est le respect de la sécurité qualité et à une eau potable et l'utili- nos clients en France.”
étroitement avec toutes les parties pour tous et des normes de confor- sation raisonnée et équitable des res- Jean-Marc Petat
prenantes (les clients, les autorités mité des produits et des solutions. sources, dans le respect de la diversité Directeur Développement
et les institutions) BASF contribue Créativité, ouverture d’esprit et res- et des spécificités de leur milieu naturel durable et Affaires publiques,
au mieux-être de la planète.” ponsabilité sont ses valeurs moteurs. et humain. BASF en France
publi-communiqué
80/81

Créateur de chimie
pour un avenir durable
L’industrie chimique est une source constante d’innovations et un moteur de développement
économique pour tous les secteurs d’activité. BASF, leader de l'industrie chimique
mondiale, apporte des solutions aux enjeux planétaires du 21e siècle. Des enjeux liés
à l’énergie et au changement climatique, à l’eau et à l’alimentation, à l’accroissement
démographique et à la santé, à la préservation des ressources et à l’environnement. C’est
pour jouer pleinement son rôle par rapport aux attentes de la société, tout en assumant
sa responsabilité sociale que BASF a créé « une chimie pour un avenir durable ».

A titre d’exemple de co-création, notre site de


recherche et de production de Pulnoy (Meurthe-et-
Moselle) s’est associé à la plateforme de recherche
BioProLor (Bioactifs produits en Lorraine) afin de
travailler sur le concept des biomolécules à
destination de l’industrie pharmaceutique ou
cosmétique. Ce partenariat témoigne par ailleurs de
notre volonté de nous engager encore davantage
dans la dynamique franco-allemande.
Dunja Umhoefer
Directrice de la Communication institutionnelle,
BASF en France

L
e groupe a structuré sa améliorer la sécurité et les perfor- sûreté, à la protection de la santé et
stratégie de développe- mances environnementales de leurs de l’environnement. Depuis 2000, il
ment autour de trois pôles produits et solutions. Le groupe a est aussi membre du Global Compact,
technologiques : les nou- ainsi mis en place un système de ges- lancé par Kofi Annan, secrétaire gé-
velles matières premières, les nano- tion responsable du Responsible Care néral de l’ONU. C’est la plus large
technologies et les biotechnologies (RCMS) qui s’applique à toutes ses initiative mondiale en matière de Le saviez-vous ? 
« blanches ». Une part importante sociétés pour garantir une maitrise développement durable, rassemblant BASF a des systèmes de
de son budget est consacrée à la et une amélioration continue de tous plus de 1000 organisations engagées production intégrée
(Verbund) très efficaces,
recherche et développement (1,75 les aspects liés à la sécurité et à la dans 160 pays. Les organismes des permettant de faire de
milliard d’euros en 2015). Pour accom- nombreuses économies de
pagner sa croissance durable, BASF a ressources (matières
premières, déchets, eau,
mis en place plusieurs outils d'évalua- Un groupe au cœur du développement durable énergie) et de réduire
tion de la durabilité de ses produits. fortement l’impact
Le dernier en date est le Sustainability Depuis 2007, BASF dispose d’un rapport intégré (RI) : dans un environnemental de ses
Solution SteeringTM. activités. Grâce au « Energy
document unique sont regroupées les performances financières, Verbund », BASF a économisé
environnementales et sociétales de l’entreprise. Plus qu’un simple environ 18 millions de MWh
BASF, PARTENAIRE DE rapport, le RI est un outil permettant d’établir des priorités stra- en 2014, ce qui équivaut à une
NOMBREUSES INITIATIVES tégiques et de peser sur les décisions prises par l’entreprise. réduction annuelle des
DE PREMIER PLAN émissions de CO2 de
BASF en France fait partie de l’association Entreprises pour 3,6 millions de tonnes
Depuis 1992, BASF est membre de l’environnement (EpE). Créée en 1992, elle regroupe une qua- métriques. D’autre part, les
Responsible Care, démarche volon- rantaine de grandes entreprises françaises qui partagent la produits vendus par BASF en
taire de l’industrie chimique mon- même vision de l'environnement comme source de progrès et 2014 vont permettre de faire
diale dans laquelle les entreprises économiser 520 millions de
d'opportunités. tonnes d’équivalents CO2.
s’engagent à travailler ensemble pour
Cahier partenaire

Le saviez-vous ?  fournisseurs de l’industrie chimique.


En 2013, BASF a commercialisé Ainsi BASF soutient-il ses fournisseurs Il s’agit d’engager toutes les Business Units,
plus de 300 nouveaux produits dans le développement de mesures les sites de production et les fonctions transverses de
Avec plus de 1300 brevets l’hexagone dans une démarche commune et cohérente qui
déposés en 2014, BASF est en accord avec ses normes. En 2013, il
à la première place du a contrôlé 155 sites et lancé 550 éva- permettra de mesurer, avec des indicateurs communs,
Patent Asset Index dans le luations de la durabilité. Au terme de la réalisation des engagements pris au regard de ses parties
domaine chimie pour la ses contrôles, il a cessé sa collabora- prenantes externes : clients, fournisseurs, pouvoirs publics,
cinquième année consécutive. Le organismes de recherche et ONG.”
Patent Asset Index est la mesure tion avec douze fournisseurs ne res-
objective de la force pectant pas ses attentes en termes de Caroline Pétigny,
technologique globale et de développement durable. Responsable Développement Durable, BASF en France
l’innovation. Il considère
l’ensemble du portefeuille
mondial de brevets et prend en BASF EN FRANCE
BASF France et ses plateformes d’échanges
compte à la fois le nombre PILOTE EN MATIÈRE DE
d’inventions protégées par des DÉVELOPPEMENT DURABLE
brevets et leur qualité. BASF France est l’un des premiers membres du
Juin 2013, BASF France crée un pôle
Développement Durable. Au-delà de forum NanoRESP lancé en 2013 par VivAgora, une
Nations-Unies, le monde du travail et sa responsabilité sociétale en tant association qui parie sur l’expertise pluraliste et la
la société civile sont réunis autour de qu’entreprise, BASF mène un travail concertation pour inscrire l’innovation dans le débat
10 principes universels regroupés en 4 spécifique sur sa responsabilité en tant démocratique. Le Forum NanoRESP permet le dia-
domaines : droits de l’homme, normes que chimiste, autour de ses produits logue constructif autour des nanotechnologies et des
internationales du travail, environne- et solutions, de leur durabilité et des nanomatériaux utilisés pour l'énergie, la construction,
ment, lutte contre la corruption. Le interrogations qu’ils peuvent susciter. la cosmétique, la pharmacie …
groupe BASF a apporté son soutien Il est aussi l'un des premiers groupes Il est partenaire d’un consortium de recherche et
financier à la fondation brésilienne mondiaux à s’être dotée d’un comité d’innovation sur le biocontrôle lancé par Stéphane Le
Abrinq, qui lutte contre le travail des développement durable. La mission de Foll, Ministre de l’Agriculture et François Houllier, pré-
enfants. Après les attentats du 11 sep- ce comité ? La création de structures et sident Directeur Général de l’Inra.
tembre 2001, il a fait don d’un équi- d’instruments favorables au dévelop- Il est membre du réseau Biodiversité pour les abeilles
pement de lutte anti-incendie assorti pement durable mais aussi la forma- (RBA), une démarche pionnière qui rassemble des api-
d’une somme d’un million de dollars lisation des démarches dans des pays culteurs, des agriculteurs et des organisations profes-
aux sociétés de secours. Enfin, il est pilotes, dont la France, afin d’adapter sionnelles, soutenue par des entreprises du secteur. En
membre fondateur de Together for les stratégies aux spécificités cultu- s’associant au réseau Biodiversité, tous les partenaires
Sustainability (2001), initiative créée relles, réglementaires, économiques et affirment leur volonté de conjuguer production agricole
pour évaluer l’engagement RSE des politiques de chaque pays. de qualité et respect de l’environnement.
publi-communiqué
82/83

L’innovation, la co-création
et la durabilité, une longue
histoire chez BASF
L’ADN de BASF, c’est plus que l’histoire de la chimie
moderne. C’est l’histoire d’une chimie durable, une
chimie pour tous, pour la vie de tous les jours.

BASF, une chimie toujours innovante LE BLEU DE MÉTHYLÈNE, UN COLORANT


ALLIÉ DE LA BACTÉRIOLOGIE
6 avril 1865 En 1882, grâce à une technique de coloration
ET LE GOUDRON DE HOUILLE CREA BASF composée de bleu de méthylène, le méde-
Friedrich Engelhorn fonde à Mannheim, en Allemagne, la cin allemand Robert Koch découvre la bacté-
société « Badische Anilin- & Sodafabrik », dont le siège est rie responsable de la tuberculose, baptisée
transféré une semaine plus tard sur la rive opposée du « le bacille de Koch ».
Rhin à Ludwigshafen.
1869
BASF DEVIENT MAITRE DE LA SYNTHESE
DES COLORANTS NATURELS
Après avoir réussi la synthèse d’un colorant naturel, l’alizarine
rouge avec la collaboration de deux chimistes berlinois, Heinrich
Caro, directeur des recherches chez BASF, synthétise des nuances
de bleu : le bleu de méthylène, l’« Indigo Pur BASF - la couleur
phare des « blue-jeans » - et le bleu d’indanthrène dont la tenue et
la stabilité à la lumière sont sans égal.

Friedrich Engelhorn éclaire la ville de


Mannheim avec sa compagnie de gaz de 1902
houille. Depuis la découverte faite par l’étu- AVEC LE PROCEDE HABER-BOSCH,
diant anglais Henry William Perkin en 1856, BASF ENTRE DANS L’UNIVERS DE LA HAUTE PRESSION
le goudron engendré par la production de Dans son laboratoire de l’université de Karlsruhe, Fritz Haber est parvenu à
gaz de houille  vaut de l’or. L’oxydation de synthétiser l’ammoniac, un composé d’azote et d’hydrogène. Chez BASF, une
l’un de ses composants, l’aniline, permet la équipe dirigée par Carl Bosch met au point un procédé pour exploiter cette
fabrication de la mauvéine, premier colorant découverte à l’échelle industrielle. La synthèse de l’ammoniac permet la création
synthétique. Avec BASF, Engelhorn maîtrise d’engrais azotés qui entrent dans la composition de nombreux fertilisants.
toute la chaîne de fabrication de ce colorant
mauve. Une manne pour l’industrie textile. LA HAUTE PRESSION ET UN PRIX NOBEL
Des technologies haute pression ont permis la
Le saviez-vous ? 
production du caoutchouc en 1907, la synthèse
Les terres naturellement riches en azote sont très
fertiles et permettent une croissance optimale du méthanol en 1923, la liquéfaction de la houille
des cultures. A chaque récolte, leur teneur diminue en 1927. Cette année-là, la première voiture à
car les plantes ont consommé une partie de l’azote du essence issue de la houille quitte le site de BASF
sol. Bien que l’azote constitue 78% de notre
atmosphère, il faut passer par la chimie pour le à Leuna. Carl Bosch reçoit le prix Nobel de chimie
transformer en engrais. Grâce à la synthèse de en 1931 en reconnaissance de sa contribution à
l’ammoniac, le rendement des cultures a connu une l’invention et au développement des méthodes
croissance exponentielle, permettant de nourrir des
centaines de millions d’êtres vivants. chimiques à haute pression.
Cahier partenaire

1929
BASF ENTRE DANS L’UNIVERS
DES POLYMERES
La physique et la chimie explorent un nouveau
champ de recherche : les polymères. Dans les
années 1930, à partir du raffinage du pétrole, la
synthèse du styrène permet la fabrication de
nombreux plastiques. En 1951, avec son isolant
de première classe, le Styropor, un polystyrène
expansé composé à 98% d’air, BASF conquiert 1949
les marchés du monde entier. BASF ENTRE DANS L’UNIVERS DES PRODUITS
PHYTOSANITAIRES
Après trois ans de tests conduits par la Station de
LE STYRÈNE, STAR DE CINÉMA
recherche agricole, fondée en 1914, l’herbicide U 462
En 1958, Alain Resnais réalise un documentaire de 19 minutes, Le chant fait son entrée sur le marché et BASF ses débuts dans
du styrène. Le court-métrage raconte a rebours les étapes de fabrica- le domaine de la protection des cultures. Un an après,
tion d’un bol, du produit fini aux matières premières en passant par le elle lance le Kumulus, son premier fongicide à base de
styrène qui le compose. La voix off de Pierre Dux déclame les alexan- soufre, et le Perfektan, son premier insecticide pour
drins de Raymond Queneau : permettre aux agriculteurs de protéger les cultures
«O temps, suspends ton bol, ô matière plastique contre les parasites et les maladies. Depuis, BASF a
D’où viens-tu ? Qui es-tu ? et qu’est-ce qui explique élaboré plus de 150 produits phytosanitaires.
Tes rares qualités ? De quoi donc es-tu fait ? Années 1960 
D’où donc es-tu parti ? Remontons de l’objet BASF DÉVELOPPE L’IMPLANTATION DE SES SITES
À ses aïeux lointains !»  DE PRODUCTION DANS LE MONDE ENTIER

BASF, une chimie responsable et durable


PROTÉGER ET ÉDUQUER
1866 
Prendre en considération le bien être de ses salariés, fait
partie sans conteste d’un des principes fondateurs de
BASF. Un an après sa création, elle embauche un médecin
du travail. Une première dans l’industrie chimique TRAVAILLER EN TOUTE PROTÉGER L’ENVIRONNEMENT
allemande. Une première qui en annonce d’autres : SÉCURITÉ Depuis 1920
la construction de 400 logements dans l’un des plus vieux 1913 Ludwigshafen produit des additifs pour carburant
quartiers de Ludwigshafen (1872) et d’un sanatorium en BASF crée sur ses sites sa brigade qui aident à protéger l’environnement en réduisant la
Rhénanie (1892), la création d’une assurance maladie de pompiers qui, en plus de consommation de carburant, l’émission des polluants
(1875) et d’une mutuelle d’entreprise (1885), l’installation lutter contre les incendies, fournit et les gaz à effet de serre. En 1964, elle adopte les
de son propre réseau téléphonique (1882). A l’orée assis-tance et premiers secours. fours tournants pour l’incinération des déchets.
du XXe siècle, BASF propose aussi de nombreuses En 1929, l’entreprise recrute son 1974 
activités culturelles. Aujourd’hui, les crèches d’entreprise premier ingénieur sécurité. Le premier site de traitement des eaux usées de
permettent de concilier vie professionnelle et vie privée. 1978 BASF voit le jour. C’est pour l’heure le plus important
1949 BASF en France crée un Service en Europe. Depuis, BASF exploite une soixantaine de
BASF propose le premier cursus d’été pour des étudiants Environnement Securité (SES). stations d’épuration des eaux dans le monde.
étrangers. Les opportunités éducatives ne sont À partir de 1988, le SES met en 1985 
désormais plus limitées aux seuls employés de BASF. En place un dispositif d’alerte en cas Pour la première fois, BASF établit une directive
1997, elle lance son programme mondial, le Kids’ Lab, d’accident. environnementale : les considérations économiques
pour sensibiliser la génération de demain à la magie de 2008 ne doivent pas prendre le pas sur la protection de
la chimie. Presque 500 000 enfants dans 35 pays BASF lance sa campagne de sensi- l’environnement. Cette règle est valable pour les
différents y ont déjà participé. bilisation « Sécurité tous acteurs ». sites de BASF du monde entier.
2013 2012 2011 
BASF offre aux enfants de ses collaborateurs la chance BASF crée le Safety Performance Avec son nouveau slogan, « Nous créons de la chimie
de séjourner dans la famille d’un ou d’une collègue d’un Profile (SPP) pour optimiser la pour un avenir durable », BASF inscrit la protection de
autre pays : Global Family. sécurité de toutes ses unités. l’environnement au cœur de sa stratégie de croissance.
publi-communiqué
84/85

Des innovations durables


au service du monde de demain
BASF est l’une des entreprises les plus innovantes au monde. Face aux mutations de la planète,
elle combine excellence opérationnelle, connaissance du marché, relations privilégiées avec
ses clients et expertise scientifique. Elle sait ainsi transformer leurs besoins en solutions
innovantes qui améliorent notre vie quotidienne et préservent notre environnement.

VIVRE EN VILLE
D’ici 2050, plus de 70 % de la population mondiale habitera la ville. Avec des mégalopoles de plus
de 50 millions d’habitants, le traitement de l’eau et la sécurité de son approvisionnement, la gestion
intelligente des déchets, la mobilité au sein de l’espace urbain seront plus que jamais des enjeux vitaux.
BASF propose des outils et des solutions aux urbanistes d’aujourd’hui pour les villes de demain.

DANS L’ESPACE URBAIN, COMMENT COLLECTER,


TRANSPORTER ET RECYCLER L’EAU, CET OR BLEU ?
Les membranes MULTIBORE fabriquent une eau fiable et ultrapure. Grâce
à ses pores ultrafins (nanopores), ces membranes d’ultrafiltration nouvelle génération
filtrent, traitent et purifient toutes les eaux : eaux souterraines, eaux douces, eaux de mer,
eaux de piscine, eaux usées.
BASF et Aquasource, centre d'excellence des systèmes membranaires du groupe Suez, ont
mis en place ensemble depuis 2012 des projets co-innovants dans le domaine des techniques
membranaires par Ultra Filtration (UF) et, en avril 2014, un partenariat stratégique a été conclu.

Cette coopération stratégique permettra à nos clients de bénéficier de la compétence


de deux leaders sur leur marché, pour développer des technologies membranaires
innovantes ; inge (BASF) se concentrant sur l’optimisation des membranes et Aquasource
DANS L’ESPACE URBAIN COMMENT STOCKER, sur la fourniture de systèmes membranaires pour les usines de traitements des eaux.”
TRANSPORTER ET RÉDUIRE LES DÉCHETS Marc Messerli, COO d’Aquasource (Groupe Suez)
SANS NUIRE À L’ENVIRONNEMENT ?
Avec ecovio®, BASF anticipe la loi de transition VIVE L’ULTRAFILTRATION 
énergétique. Offrant la même qualité de service que les
sacs en plastique traditionnels, les sacs ecovio® sont consti- L’ultrafiltration permet la clarification et la désinfection de l’eau en
tués d'un plastique biodégradable, parciellement biosourcé une seule étape. La paroi des membranes agit comme un filtre pour
et compostable, selon la norme NF 13432. Ils sont solides, toutes les particules de taille supérieure à 10 nm : pollens, algues,
hygiéniques et étanches. Aussi compostable qu’une éplu- parasites, bactéries, virus, germes et molécules organiques. Son
chure de pomme, il est le plastique de demain : à partir de pouvoir filtrant est 1 000 fois supérieur à celui des filtres classiques
2017, selon la loi relative à la transition énergétique votée tout en préservant l’équilibre minéral de l’eau.
en juillet 2015, les sacs de supermarchés destinés aux fruits
et légumes ainsi qu’aux viandes et poissons devront être
bio-compostables. Ce bioplastique très polyvalent entre
dans la composition de nombreux produits, de la capsule
de café aux boîtes à sandwich, en passant par les embal-
lages cosmétiques.
En septembre 2015, BASF a été partenaire de la dernière
campagne de sensibilisation au tri des bio déchets organi-
sée par le Syndicat Centre Hérault en mettant à disposition
dans les magasins partenaires plus 250 000 sacs ecovio® aux
rayons fruits et légumes.
Cahier partenaire

VIVRE EN VILLE
DANS L’ESPACE URBAIN, COMMENT
SE DÉPLACER SANS FATIGUE ?
Les semelles des chaussures Energy Boost fabriquées
avec le matériau innovant Infinergy donnent des ailes à la
ville. Grâce à un partenariat étroit avec adidas, BASF a donné un regain
d’énergie à l’univers du running en remplaçant la mousse classique des
semelles de leurs chaussures de course par des milliers de micro-cap-
sules en polyuréthane expansé. Les contacts avec le sol se font en dou-
ceur pour un meilleur rebond et un plein d’énergie à chaque foulée.

BASF ET ADIDAS,
UN PARTENARIAT GAGNANT 
Par le passé, les coureurs n’avaient pas d’autre alter-
native que de porter des chaussures de compétition
élastiques rigides, ou des chaussures d’entraînement
souples très amortissantes. En moins de trois ans de
coopération, adidas et BASF ont réussi à mettre fin
à ce dilemme. Ainsi la technologie BOOST™ d’adidas
est-elle la première application mondiale du maté-
riau Infinergy, testée et approuvée par de nombreux
coureurs de fond, comme les marathoniens Patrick
Makau et Dennis Kimetto, détenteurs de nombreux
records du monde. Ces chaussures innovantes et
inspirantes ont notamment été élues « Best Debut »
par Runner’s World, le magazine de la course à pied.

Le saviez-vous ?
COMMENT PRÉSERVER L’AIR QUE L’ON RESPIRE ?
Le filtre à particules FWC™ donne de l’air à la ville. Grâce à sa technolo- Contrairement à l’ozone stratosphérique, qui
gie 4 voies, le catalyseur FWC™ (Four Way Catalyst) combine en un seul composant nous protège des rayons solaires ultraviolets,
les fonctions d’un catalyseur essence classique avec celle d’un filtre : il traite les mo- l’ozone troposphérique est le principal
noxydes de carbone, les hydrocarbures et les oxydes d’azote mais aussi les particules composant du smog et met en danger
des gaz d’échappement. la qualité de l’air.

LA NORME ANTI-POLLUTION EURO 6 


En vigueur depuis le 1er septembre 2014,
cette norme anti-pollution décidée par la
Commission européenne impose aux construc-
teurs automobiles d’utiliser de nouveaux sys-
tèmes de dépollution pour réduire de manière
drastique les rejets d’oxyde d’azote (NOx) de
180 à 80 mg/km. Le dioxyde d’azote, c’est LE
polluant à éliminer. Ce gaz qui donne à nos
ciels urbains cette couleur d’air brunâtre, est à
l’origine de nombreux troubles respiratoires et
Principe de fonctionnent du FWC (Four Way Catalyst), filtre essence catalysé de problèmes cardio-vasculaires.
publi-communiqué
86/87

SE NOURRIR SAIN ET ÉQUILIBRÉ


Pour être dans son assiette, il faut bien se nourrir et manger équilibré. Pourtant, selon l’OMS, deux milliards d’êtres
humains souffrent encore de carences en vitamines, en iode, en fer ; 805 millions d’entre eux ne mangent pas à
leur faim. D’autre part, la surconsommation alimentaire pourrait tuer trois fois plus que la malnutrition. En matière
d’alimentation, nombreux sont les défis à relever : lutter contre la malnutrition mais aussi contre le gaspillage, les
mauvaises habitudes alimentaires, la surconsommation afin de permettre aux habitants du monde entier de consommer
des aliments sains et nutritifs couvrant leurs besoins alimentaires tout en répondant à leurs préférences alimentaires.

COMMENT PRÉSERVER LE MONDE VÉGÉTAL ?


MAQS® (Mite Away Quick Strip) contrIbue à lutter contre le déclin des LES ABEILLES, LES ENTREMETTEUSES
abeilles domestiques. BASF s’est associé à un laboratoire canadien NOD Apiary DU MONDE VÉGÉTAL 
Products pour proposer aux apiculteurs européens, une solution de lutte contre l‘ennemi Les abeilles ne font pas que produire du
n°1 des abeilles : l’acarien parasite Varroa. Cette solution MAQS® , à base d’acide formique miel, elles sont des actrices majeures dans
et enveloppé dans un film biodégradable ecovio®, contribuera à limiter le déclin des po- le phénomène de la pollinisation qui permet
pulations d’abeilles domestiques qui est observé en Europe depuis plusieurs années.
la reproduction des plantes. En butinant de
fleur en fleur, les abeilles se frottent aux éta-
mines, récoltent le pollen qu’elles déposent
Les cathédrales, les pyramides, la Joconde sont ensuite sur le pistil d’autres fleurs. Sans
à tous les hommes. Pourquoi en serait-il autrement elles, nous ne mangerions plus de fruits et
avec la nourriture et le pétrole ? » de légumes, si précieux pour notre santé et
Albert Jacquard notre bien-être.
Conférence du 4 novembre 2008 à Laval 
Cahier partenaire

SE NOURRIR SAIN ET ÉQUILIBRÉ


COMMENT COMBATTRE LES ALLERGIES ?
Clearfield® lutte contre les mauvaises herbes. Le datura (plante Cette technologie permet aux agriculteurs, entre
toxique) et l’ambroisie (plante allergène) sont deux fléaux de la culture du autres, de lutter contre une plante invasive dont le
tournesol en France. BASF a mis au point la technologie Clearfield® en associant pollen est fortement allergène et qui pose ainsi de
l’herbicide Pulsar® 40 et des variétés tolérantes à cet herbicide. Le désherbage du sévères problèmes de santé publique : l'ambroisie.”
tournesol est simplifié, la santé retrouvée. Jean-Marc Petat,
Directeur Développement durable et Affaires
publiques, BASF en France

LE POLLEN D’AMBROISIE 
Introduite par mégarde au XIXe siècle dans la région
Rhône-Alpes, cette plante est devenue un fléau. Elle
se développe à très forte densité dans les cultures
de printemps. A la fin de l’été, son pic d’émission
de pollen provoque des allergies qui affectent de 6
à 12% de la population de la Provence à la région
Poitou-Charentes. Sur les 101 départements français,
seuls 9 sont épargnés par l’ambroisie. En région
Rhône-Alpes par exemple, plus d’un habitant sur 5
souffre d’allergies diverses à cause d’elle. Pour limi-
ter son expansion, les pouvoirs publics ont rendu sa
destruction obligatoire avant le stade de la pollini-
sation et l’ont inscrite dans le plan national santé
environnement (PNSE).

COMMENT PROTÉGER LES VIGNES ?


La gamme Rak protège les vignes et les vergers. Utilisés depuis
une vingtaine d’années en France, les diffuseurs de phéromones Rak ne
cessent d’être améliorés afin d’augmenter leur efficacité et de réduire leur
prix. La pose des diffuseurs se fait au tout début du premier vol des insectes
nuisibles. Ils doivent être répartis de façon à couvrir de manière uniforme
l’îlot concerné. La pose se fait en ligne ou en quinconce, sur le cep ou sur le
fil, à raison d’un diffuseur pour 20 m 2. Une seule pose suffit pour protéger
les vignes jusqu’à la vendange. La méthode de la confusion sexuelle protège
31 000 hectares du vignoble français, mais aussi 25 000 hectares de vergers,
permettant ainsi de diminuer les utlisations d'insecticides. La Champagne fait
figure de pionnière.

LE PROCÉDÉ DE LA CONFUSION SEXUELLE 


Ce procédé consiste à installer des diffuseurs de phéro-
mones dans les vignes pour lutter contre les insectes nui-
sibles. Semblables aux phéromones émises par les insectes
femelles, elles désorientent les mâles. Les accouplements
sont contrariés, les pontes plus rares, ce qui diminue forte-
ment les vers, responsables du pourrissement des grains de
raisins. La lutte insecticide par confusion sexuelle est une
voie d’avenir pour la protection des vignobles contre les
ravageurs de la grappe. Plusieurs pays d’Europe l’ont déjà
adoptée avec succès.
La simplicité de pose du diffuseur de phéromones Rak,
directement sur la branche de l'arbre
publi-communiqué
88/89

PRIVILÉGIER LES ÉNERGIES INTELLIGENTES


Dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles et de lutte contre le changement climatique, les
enjeux énergétiques sont au cœur des défis économiques, sociaux et scientifiques du XXIe siècle. D’ici 2018,
les énergies renouvelables représenteront presque un quart de la production brute d’électricité mondiale
contre 20% en 2011. La plus grande part de cette production proviendra d’abord de l’énergie hydroélectrique.
Mais l’éolien, le solaire, la biomasse et la géothermie, devraient, selon les prévisions, atteindre 8% de la
production totale d’ici 2018. Toutefois, ces énergies nouvelles ne deviendront un élément essentiel du mix
énergétique que si elles sont concurrentielles en termes de coûts et de sécurité d’approvisionnement.

COMMENT AMÉLIORER LE STOCKAGE DE L’ÉNERGIE ?


LES MOFs (Metal-Organic Framework) améliorent le stockage du gaz.
La structure particulière de ces polymères leur confère une surface spécifique immense
(jusqu’à 10 000 m2/g). A la manière de véritables éponges, ces matériaux sont capables
d’absorber et de diffuser de grandes quantités de gaz. Matériaux aux propriétés d’adsorp-
tion phénoménales, ils ouvrent un champ d’applications extraordinaires, notamment dans
le stockage de gaz pour l’automobile.

BASF, LAURÉAT DU PRIX PIERRE POTIER 


Chaque année, le prix Pierre Potier récompense des entreprises qui ont déve-
loppé un produit ou un procédé chimique «propre». Ce prix de l’innovation
de la chimie en faveur du développement durable a été décerné en 2012 à
BASF dans la catégorie « Procédés pour ses travaux sur les solides hybrides
poreux », pour les MOFs. Ce procédé est un formidable levier pour le dévelop-
pement de ces technologies dans le domaine de l'énergie et des transports.
Metal-Organic Frameworks pour le stockage des gaz naturels

COMMENT RÉDUIRE LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE ?


Nous avions recherché pour ce materiel isolant Slentite,
SlentiteTM réduit la consommation d’énergie. SlentiteTM, un aérogel organique de
plus que des propriétés basiques. Pour cela, nous avons
très haute performance à base de polyuréthane, consiste en une plaque de nanomousse :
développé de nouvelles stratégies chimiques. Il était
à performance thermique comparable, il est 20 à 50 % plus fin que les autres isolants.
évident que nous avions besoin de pores à l’échelle
SlentiteTM répond aux enjeux de la construction durable. Grâce à ses pores nanoscopiques,
nanométrique pour réduire la conductivité thermique
il emprisonne l’air. En hiver il maintient la chaleur, en été, la fraîcheur. Ainsi offre-t-il une
et maximiser l’isolation.”
solution d’isolation hyper performante sans perte d’espace habitable. Un partenaire idéal
Marc Fricke,
pour toutes ces villes où les m2 valent de l’or.
BASF Polyurethanes à Lemförde (Allemagne) 
Réponse inédite aux objectifs ambitieux fixés par le Grenelle de l'environnement concer-
nant le bâtiment, le projet européen BuildTog repose sur la collaboration entre des bailleurs
sociaux (FSM pour BuildTog à Lieusaint, première réalisation française), le cabinet d'archi- BASF S'ENGAGE POUR
tecture Nicolas Michelin (A/NM/A), le leader de la chimie BASF, avec ses isolants, ainsi que L'ÉDUCATION SCIENTIFIQUE
sa filiale Luwoge Consult spécialisée en études thermiques.
En avril 2015, à l’occasion des Olympiades
Nationales de la Chimie qui se tenaient à
la Maison de la Chimie à Paris, BASF a pré-
senté SlentiteTM, le résultat de sept années de
recherche. « Chimie et énergie », le thème de
l’édition 2015, a servi de fil rouge au concours
organisé par l’UIC (Union des Industries
Chimiques), en partenariat avec le Ministère de
l’Education Nationale et proposé chaque année
aux étudiants post-bac : le Chemical World
Tour (CWT). Le CWT4, qui s’est achevé mi-mars
2015, a récompensé un duo d’étudiants pour
leur reportage sur l’innovation BASF SlentiteTM.
SlentiteTM, l'isolant innovant et efficace qui booste la construction durable
publi-communiqué
Cahier partenaire

Creator Space™ online


La plateforme de co-création de BASF

Plateforme collaborative et interactive


Trois thématiques d’actualité et d’avenir : la vie en ville, les énergies intelligentes et l’alimentation.
Quelle solution pour mieux manger ? Comment améliorer la gestion des déchets ? Comment
imagineriez-vous les transports en 2050 ?

Consommateurs, citoyens, étudiants,


scientifiques… proposez vos idées !
Bien plus qu’un espace virtuel, le Creator Space™ online est un espace d’échanges et de
collaboration composé d’un forum de discussions mais aussi d’un blog partageant avec le lecteur
l’anniversaire de l’entreprise grâce à des actualités, des interviews et des focus sur des innovations.

N’hésitez plus et rejoignez la communauté Creator SpaceTM online !


www.creator-space.basf.com
idées
Matière à penser
P. 92
Entretien
P. 96
L’œil du philosophe
P. 98

À qui appartient
le vivant ?
L’ouverture du marché
des gènes
Des industriels vont-ils devenir propriétaires de
gènes de légumes ou d’animaux ? En accordant
un nouveau type de brevet, l’Office
européen des brevets a-t-il ouvert
la boîte de Pandore ? C’est ce que
craignent certaines associations,
tandis que les scientifiques s’in-
quiètent de l’impact de cette
PASIEKA/SPL/AGEFOTOSTOCK

décision sur leurs travaux


d’amélioration des plantes et
des animaux d’élevage.
idées

Matière à penser

Le vivant, un patrimoine convoité


Gènes de plantes et gènes humains font régulièrement l’objet de demandes de brevet, simplement
parce qu’une entreprise a découvert leur fonction. Comment en est-on arrivé là ?
Viviane Thivent, journaliste

À
qui appartient le brocoli ? À la question « si l’on découvre un lien Résultat : à peine accordé par l’OEB, ce bre-
À vous, à moi, à l’humanité entre une séquence génétique existant vet a été contesté par deux entreprises du
dont ce serait un bien com- naturellement dans une plante cultivée et secteur de la semence, Limagrain et
mun ? Plus tout à fait. Un des un caractère particulier de cette plante, Syngenta.
gènes de ce légume pourrait bientôt appar- peut-on devenir propriétaire de toutes les
tenir à Plant Bioscience Limited. Cette plantes exprimant ce caractère ? », la BATAILLE JURIDIQUE
entreprise en détiendrait alors le brevet. La Grande Chambre de recours de l’OEB a
particularité de ce gène ? Il permet à la répondu oui. Un jugement dont l’impact Commence alors un long feuilleton juri-
plante de produire en grande quantité des n’est pas perceptible à première vue dique. La chambre des recours de l’OEB va
substances supposées anticancérigènes, puisque, si l’on se réfère au rapport de à deux reprises interroger la Grande
des glucosinolates, une capacité acquise No Patents On Seeds, d’autres brevets sur Chambre de recours de l’OEB pour déter-
après un croisement avec un brocoli sau- de telles séquences – des gènes natifs – ont miner si, oui ou non, le procédé mis en
vage. Or ce brevet qui doit encore être été accordés par l’OEB, notamment sur le œuvre – un marquage génétique lors d’un
validé pose problème. Car le gène des poivron. Du moins en théorie. En pratique, croisement traditionnel – puis le gène natif
glucosinolates est un gène natif, autrement « aucun de ces brevets n’est valide, des pouvaient être brevetés. Si en 2010, la
dit un gène naturel, qui n’a fait l’objet d’au- recours ont été déposés à chaque fois », Grande Chambre répond non sur le pre-
cune modification biotechnologique. Si assure Hélène Guillot, de l’Union française mier point, en mars 2015, elle répond oui
Plant Bioscience Limited en réclame la des semenciers. au second : un gène natif peut, selon elle,
propriété, c’est qu’elle a découvert son Le premier brevet à avoir été accordé, sus- être breveté. « Mais cela ne signifie pas que
potentiel effet anticancérigène. pendu, puis jugé, c’est justement celui por- le brevet sur le brocoli sera accepté, insiste
Le cas n’est pas nouveau. En février 2014, le tant sur le gène des glucosinolates du bro- Hélène Guillot. Il faut maintenant que la
collectif No Patents On Seeds alertait déjà coli, breveté en 2002 par Plant Bioscience Grande Chambre de recours se prononce sur
l’opinion publique à propos d’un brevet Limited. « Il ne s’agit en aucun cas d’une les trois autres critères de délivrance d’un
accordé par l’Office européen des brevets invention puisque cette propriété existait brevet, à savoir la nouveauté, l’activité
(OEB) et permettant à l’entreprise agro- déjà dans la nature, s’insurge Christian inventive et l’application industrielle. »
chimique suisse Syngenta « de s’approprier Huyghe, de l’Inra. Il n’y avait absolument « Ces brevets restent toutefois inquiétants car
une résistance aux insectes copiée d’un poi- pas lieu de déposer un brevet sur ce gène ! » très flous, assure Guy Kastler, du Réseau
vron sauvage ». En octobre de la même
année, le collectif récidivait en dénonçant
dans un rapport l’existence de 120 brevets
accordés par l’OEB et portant sur des Les brevets sont inquiétants car
plantes issues de méthodes de croisement
conventionnelles. très flous. On ne sait pas si c’est le gène,
Le grand public, lui, n’a réellement décou-
vert la polémique qu’en 2015, le 25 mars,
la fonction dans la plante, l’espèce ou
lorsque la Grande Chambre de recours de le groupe entier qui est breveté ! ”
l’OEB s’est prononcée sur le cas du brocoli.  Kastler, du Réseau semences paysannes
Guy

92 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


La Chambre d’écoute, huile sur toile de René Magritte, vers 1958.

semences paysannes. Ils ne contiennent un vif émoi en Europe. Et pour cause : « La instance de l’Union européenne ; il s’agit
même pas la séquence génétique exacte ou le plupart des pays européens, en particulier d’une organisation intergouvernementale
PHOTOTHÈQUE R.MAGRITTE/BI, ADAGP, PARIS 2015© ADAGP, PARIS 2015

mode d’obtention ! Et puis on ne sait pas réel- la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, sont indépendante.
lement si c’est le gène, la fonction dans la très réticents au brevetage des gènes natifs », L’idée de créer l’OEB est née dans les
plante, l’espèce ou le groupe entier qui est bre- assure Guy Kastler. Un point là encore dif- années 1970. « Il s’agissait alors de stimuler
veté. » Effectivement, sur ce point, les ver- ficile à saisir. Pourquoi un organisme euro- l’innovation en Europe en réduisant le
sions divergent d’un interlocuteur à l’autre, péen irait-il en effet prendre des décisions nombre de demandes de brevets à déposer »,
même si, d’après l’OEB, les choses sont contraires à la position de l’Union euro- rappelle Christine Noiville, du Haut Conseil
claires : pour espérer obtenir un brevet sur péenne ? « À cause d’un conflit d’intérêts : des biotechnologies, à Paris. En 1973, soit
un gène, il faut faire état « d’une fonction ou l’OEB est payé par les redevances des déten- bien avant la constitution de l’Union
activité véritable qui mène à une application teurs de brevet », répond Guy Kastler. européenne, une convention sur le brevet
technique : une simple séquence ne constitue « Parce que cet office ne réunit que des européen est signée à Munich par tous les
pas un enseignement technique ». experts européens, et non des représentants futurs membres de l’UE mais aussi par la
Que le brevet sur le brocoli soit ou non légitimes des nations européennes », ajoute Suisse et la Turquie. De fait, l’OEB n’a aucun
accordé, la décision de la Grande Chambre Hélène Guillot. Mais il est une raison plus compte à rendre à l’UE. Il ne fait ses choix
de recours de l’OEB a d’ores et déjà suscité évidente que les autres : l’OEB n’est pas une qu’en fonction de son règlement

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 93


idées

Matière à penser

d’exécution et de la convention de donc d’identifier plus rapidement des qui n’est pas sans poser problème dès qu’il
Munich. À la marge, elle peut aussi s’ap- gènes dignes d’intérêt dans le patrimoine est question de gènes natifs. Quid en effet
puyer sur certains textes de l’UE, en parti- génétique des plantes ou des animaux. des brocolis qui contiennent ou contien-
culier la directive 98/44/CE sur la breveta- En parallèle, le marché des OGM a décliné. dront naturellement le gène breveté ?
bilité des inventions biotechnologiques. Confrontés à d’importantes difficultés d’ex- Seront-ils aussi la propriété de Plant Bios-
Un texte sensible, rédigé sur fond de polé- ploitation, les leaders du marché des cience Limited ?
miques OGM, et qui a mis dix ans avant semences ont fini par renoncer, en particu- « La polémique ne concerne pas seulement
d’être adopté par l’Union européenne. lier en Europe. « Pourquoi s’obstiner à dépo- les plantes, poursuit la juriste. L’homme est
À l’époque, les scientifiques commen- ser des brevets qui ne peuvent être exploités ? le premier à avoir été touché par ce pro-
çaient à insérer des gènes étrangers ou arti- explique Christine Noiville. Mieux vaut blème. » Et pour cause : si la directive 98/44
ficiels dans des génomes bactériens, végé- investir sur des technologies non transgé- stipule que « le corps humain, aux diffé-
taux ou animaux, créant de nouveaux niques », comme la sélection de gènes assis- rents stades de sa constitution et de son
micro-organismes, plantes, animaux, mais tée par marqueurs, utilisée notamment développement, ainsi que la simple décou-
aussi une cascade de problèmes juri- dans le cas du brocoli, mais aussi du tourne- verte d’un de ses éléments, y compris la
diques. « Du coup, lorsque les hommes poli- sol, du poivron et de la tomate. séquence ou la séquence partielle d’un gène,
tiques et les juristes ont rédigé cette directive, ne peuvent constituer des inventions breve-
ils n’avaient que les OGM en tête, reprend LA DIRECTIVE EUROPÉENNE tables », elle précise aussi qu’« un élément
Guy Kastler. Ils n’avaient pas anticipé les INADAPTÉE isolé du corps humain ou autrement pro-
problèmes pouvant découler des brevets sur duit par un procédé technique, y compris la
les gènes natifs. » À cause de ces multiples changements, la séquence ou la séquence partielle d’un gène,
Il faut se rappeler le contexte : « En 2005, il directive 98/44/CE est devenue imprécise peut constituer une invention brevetable,
avait fallu sept années de recherche interna- voire inadaptée, notamment l’article 9 qui même si la structure de cet élément est iden-
tionale pour séquencer le génome du riz. étend la protection du gène à toute la tique à celle d’un élément naturel. » Autre-
Aujourd’hui, on peut le faire en quelques plante : « La protection conférée par un bre- ment dit : nos gènes ne sont pas breve-
jours à un coût moindre », insiste Guy vet à un produit contenant une information tables tant qu’ils restent dans nos cellules ;
Kastler. Cette accélération inouïe de la génétique ou consistant en une information mais ils le deviennent dès lors qu’ils sont
vitesse de séquençage du génome associée génétique s’étend à toute matière, sous amplifiés par PCR (abréviation anglaise de
à une chute vertigineuse des coûts permet réserve (…) que l’information génétique réaction de polymérase en chaîne).
désormais de mixer facilement les apports contenue exerce sa fonction. » Une préci- Des gènes humains, en revanche, ont bel et
de la bio-informatique et de la biologie, et sion compréhensible pour un OGM mais bien été brevetés. Les premiers brevets

Fig.1 Toutes les demandes de brevets n’aboutissent pas


PLANTES NON OGM * PLANTES TRANSGÉNIQUES* GÈNES HUMAINS
Sur 705 demandes de brevet Sur 6 598 demandes de brevet Sur 10 992 demandes de brevet

16,8 %
22,1 % 28,5 % ont abouti
32,6 % ont abouti ont abouti
ont été
retirées 46,9 % 51,8 %
ont été ont été 31,4 %
INFOGRAPHIE : MICHÈLE BOURGEOIS

retirées refusées sont toujours


45,3% 24,6 % ou retirées en instance
sont toujours sont toujours
en instance en instance

D’après la directive européenne 98/44, les variétés de plantes et les procédés essentiellement biologiques ne sont pas
brevetables. Mais les gènes ou les plantes en elles-mêmes le sont. (*) depuis 1995 - Source : Office européen des brevets.

94 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


comme celui sur la relaxine n’ont guère fait
parler d’eux. Mais d’autres ont défrayé la
chronique plusieurs fois, comme ceux por-
tant sur deux gènes dont les mutations
sont associées à des prédispositions au
cancer du sein et de l’ovaire : BRCA-1 et
BRCA-2. Séquencés par Myriad Genetics
Inc et l’université de l’Utah dans les années
1990, ces gènes ont fait l’objet de brevets
aux États-Unis comme en Europe, don-
nant à Myriad Genetics Inc un monopole
sur les tests de diagnostic.
En Europe, la situation a rapidement dégé-
néré. À partir de 2001, l’Institut Curie,
rejoint par l’Assistance Publique-Hôpitaux
de Paris et l’Institut Gustave-Roussy à Ville-
juif, s’est progressivement opposé à tous
les brevets de Myriad Genetics Inc, notam- En Allemagne, le 27 octobre 2014, des militants écologistes manifestent devant l’Office
ment parce qu’ils empêchaient la com- européen des brevets à Munich pour demander l’arrêt des brevets sur les plantes et les animaux.
mercialisation de méthodes de diagnostic
plus performantes. En 2007, les brevets
sont en partie récusés en Europe mais suprême a invalidé tous les brevets améri- Allemagne avec l’exception du sélection-
davantage sur des arguments de forme cains sur les gènes natifs. « Sur ce sujet, les neur. Au moment de la transcription de la
(défaut de description) que de fond (la États-Unis sont désormais en avance sur directive européenne 98/44 en droit natio-
non-brevetabilité d’un gène). l’Europe », murmure-t-on dans les couloirs nal, ces deux États ont en effet décidé de
des instances européennes. permettre aux chercheurs comme aux
UNE SIMPLE DÉCOUVERTE, L’Union européenne ne s’est pas officielle- sélectionneurs de travailler librement sur
PAS UNE INVENTION ment opposée aux brevets sur les gènes des espèces brevetées, sans avoir à payer
natifs. Toutefois, plusieurs mécanismes de royalties au détenteur du brevet.
Outre-Atlantique, il faut attendre 2009 pour pourraient être déclenchés pour tenter de Enfin, l’Union européenne pourrait déci-
que la polémique enfle. Cette année-là, une trancher la question. D’abord, la voie der de réviser la directive 98/44. Les Pays-
association de médecins, de patientes et de légale : l’UE n’est tout simplement pas obli- Bas, aux manettes de l’Europe en 2016, ont
citoyens s’attaque aux brevets de Myriad gée de reconnaître ces brevets. Une fois d’ores et déjà annoncé vouloir mettre cette
Genetics Inc. Elle considère que l’on ne peut délivrés, ils pourraient être juridiquement question à l’ordre du jour. En attendant,
breveter un gène sous le seul prétexte qu’on attaqués sur les territoires nationaux et depuis décembre 2013 et pendant deux
en a compris sa fonction : il s’agit d’une invalidés. Cela pourrait amener l’OEB à ans, quinze experts désignés par l’UE tra-
simple découverte, pas d’une invention. réviser son règlement d’exécution et donc vaillent et tentent de mieux comprendre
Cette fois, la plainte porte sur le fond du pro- ses positions sur les gènes natifs. « Per- les conséquences et les implications de la
blème, et non sur la forme. À la suite d’une sonne n’a en effet envie de deux ordres juri- directive 98/44 sur les plantes notamment.
série de rebondissements juridiques, l’af- diques », assure Christine Noiville. Ensuite, En outre, il est désormais question de créer
faire finit mi-2013 à la Cour suprême des la directive européenne n’a de valeur sur un brevet unitaire européen. Délivré par
États-Unis qui tranche en faveur des plai- les territoires des pays membres qu’à partir l’OEB sur des critères définis par l’UE, il ne
gnants. Après avoir rappelé un jugement du moment où elle est retranscrite en droit serait validé qu’au sein de l’Union euro-
antérieur, rendu dans les années 1980 et national : « Les États pourraient donc, indi- péenne, à l’exception de l’Italie et de la
ayant permis de breveter un micro-orga- viduellement, créer des lois pour expliciter Croatie. Le dossier qui commence à être
nisme fabriqué par l’homme, elle a estimé leur position face aux brevets sur les gènes surnommé « brocoli-tomate » n’est donc
CHRISTOF STACHE/AFP

que dans le cas de Myriad Genetics Inc, rien natifs », explique François Burgaud, du pas près de se refermer. n
de nouveau n’avait été créé. Le système Groupement national interprofessionnel
judiciaire américain faisant la part belle à la des semences. Ce genre de réponse a d’ores Pour en savoir plus
jurisprudence, avec ce jugement, la Cour et déjà été mis en place en France ou en n www.epo.org. Le site de l’Office européen des brevets.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 95


idées

Entretien
avec Christian Huyghe

« Les brevets sur des gênes natifs


freinent l’innovation »
Le brevetage de gênes présents naturellement dans des végétaux risque de nuire à l’amélioration
des variétés. Un progrès pourtant indispensable pour relever le défi alimentaire mondial.
Propos recueillis par Viviane Thivent

LaRecherche.L’Office européen des 50 % de son alimentation, ce qui rend obli- vitesse de croissance du blé, cela permet de
brevets a octroyé plusieurs brevets gatoire la notion de progrès, pour la pro- donner une direction au progrès et d’ac-
portant sur des gènes natifs chez ductivité. Alors le chercheur, avec d’autres, croître l’innovation utile. Par exemple, en
les végétaux, c’est-à-dire des gènes imagine un système permettant de booster 1993, l’Australie a ratifié la convention de
présents dans la nature et qui n’ont l’innovation végétale tout en la protégeant. l’Upov. En conséquence, la recherche aus-
à aucun moment été inventés par Cela conduira à la mise en place en 1961 de tralienne sur les nouvelles variétés végé-
l’homme. Est-ce que cette décision l’Union internationale pour la protection tales a fait un bond, passant du monde uni-
vous a surpris ? des obtentions végétales (Upov) dont la versitaire à une multitude d’entreprises
ChristianHuyghe.Absolument. Les végé- convention a été signée par 72 instances privées. L’écosystème des COV a donc ten-
taux concernés par ces brevets, brocolis et nationales ou internationales. Les grands dance à maximiser le progrès.
tomates, ne sont pas issus d’une procédure absents de l’Upov sont les États-Unis, qui Ce n’est pas le cas avec les brevets ?
de sélection innovante. Ils ne sont pas non privilégient la philosophie du brevet. Non, car la logique du brevet est très diffé-
plus porteurs de gènes inventés. Ils ne  uelle est la particularité du certificat
Q rente. En effet, le brevet ne vise qu’à maxi-
relèvent en rien de l’innovation. Pour l’Ins- d’obtention végétale par rapport au miser le profit individuel et non l’innova-
titut national de la recherche agronomique brevet ? tion collective. Et pour cause : pour faire un
(Inra), rien ne justifiait donc le dépôt ou Son principal intérêt, c’est que la variété progrès en s’appuyant sur une variété bre-
l’obtention de ces brevets. végétale est protégée seulement lors de la vetée, il faudrait demander l’autorisation à
 ourquoi ces brevets sont-ils
P commercialisation. Elle peut être libre- « l’inventeur » de la variété, et lui payer des
problématiques ? ment réutilisée par des semenciers ou des royalties. La nouvelle variété obtenue pour-
Parce qu’à terme, ils pourraient constituer chercheurs qui souhaitent réaliser des rait à son tour être brevetée, mais sans pour
une entrave à l’innovation. Je m’explique. croisements pour produire de nouvelles autant invalider le précédent brevet. Pour
Pour des raisons essentiellement histo- variétés. Ces dernières pourront à leur tour espérer utiliser à nouveau cette variété
riques, il existe plusieurs systèmes de pro- être protégées par un COV. Le fond géné- pour en produire une nouvelle, il faudrait
tection de la propriété intellectuelle. Les tique reste à tout moment disponible pour rémunérer non pas un mais deux déten-
secteurs de la chimie et de l’industrie uti- la réutilisation. Si ce système est combiné teurs de brevet, ce qui fait grimper les prix
lisent le brevet pour protéger une innova- avec des orientations déterminées par et finit par décourager ceux qui souhai-
tion. Le monde agricole, lui, use plutôt du l’État, par exemple une amélioration de la taient améliorer encore cette variété. Au
certificat d’obtention végétale (COV), qui
permet de protéger les nouvelles variétés
végétales. Ce système a été imaginé dès la
fin de la Seconde Guerre mondiale par un Rien ne dit qu’à terme,
Français, Jean Bustarret, futur chef de
département de l’Inra. À l’époque, l’Europe
les chercheurs ne devront pas payer
meurt de faim. La France importe plus de pour travailler sur les variétés ”
96 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505
PARCOURS
CHRISTIAN HUYGHE
est directeur
scientifique adjoint
« agriculture » de
l’Inra. Il a travaillé sur
l’amélioration des
plantes (lin, lupin,
luzerne…). Il est
président du Groupe
d’étude et de
contrôle des variétés
et des semences, et
du comité d’orien-
tation scientifique
et technique
de l’Association
de coordination
technique agricole.

final, l’innovation est freinée… ce qui est séquences humaines impliquées dans le façon ponctuelle et précise la séquence
très dommageable dans le contexte actuel. cancer du sein. Ces brevets qui proté- d’un gène. Cette méthode est si perfor-
D’après un rapport de l’Institut national geaient des tests de diagnostic ont posé mante que des questions juridiques se
d’études démographiques (Ined), publié problème en Europe comme aux États- posent quant au statut exact des séquences
en septembre, il faudra nourrir 10 milliards Unis et ils ont dû être invalidés entre autres génétiques qu’elle permet de produire.
de personnes en 2050. Cela ne sera pas pos- pour permettre la mise sur le marché de Cela crée une situation juridique nouvelle,
sible sans progrès dans le secteur agricole. méthodes plus performantes, élaborées qu’il convient d’analyser avec attention.
 ourtant l’Inra aussi pose des
P par des laboratoires concurrents.  ourquoi les brevets sur les gènes
P
brevets sur des végétaux, comme  es brevets sur les gènes natifs
C natifs vous inquiètent-ils autant ?
celui portant sur l’hybride de colza, pourraient-ils constituer un frein à la Parce que leur champ d’action reste très
ogu-Inra, qui lui rapporte 50 % des recherche académique ? flou. Tout le monde a son interprétation de
royalties perçus par ses brevets ? Oui. Depuis dix ans, on sent d’ailleurs un ces brevets. Pour certains, ils portent sur le
Qui rapportait. Ce brevet est tombé récem- net durcissement de la situation. Avec les gène, pour d’autres, sur la fonction, alors
ment. Oui, l’Inra pose des brevets mais certificats d’obtention végétale, les cher- que ces deux notions sont si liées l’une à
seulement sur des nouveaux procédés de cheurs avaient toute liberté pour travailler. l’autre qu’elles ne peuvent, en réalité, être
sélection, sur des séquences artificielle- Avec les brevets, ils sont de plus en plus vraiment dissociées. Que se passera-t-il
ment créées. Dans le cas de l’ogu-Inra, c’est obligés de demander des autorisations aux alors si des agriculteurs utilisent des varié-
un procédé qui avait été breveté : en fusion- inventeurs. Et rien ne dit qu’à terme, ils ne tés contenant de façon naturelle l’un de ses
nant les protoplastes du radis et du colza, devront pas payer pour travailler sur les gènes brevetés ? Comment même pour-
nous avions montré qu’il était possible de variétés, soit brevetées, soit intégrant une ront-ils le savoir ? De plus, ces brevets ne
créer des plantes de colza dont la fleur séquence ou un gène protégé par un bre- sont pas déposés sur des plantes ornemen-
mâle était stérile : de quoi accroître les pos- vet. L’arrivée de procédés d’édition du tales mais sur des plantes alimentaires.
sibilités de sélection. Nous sommes com- génome révolutionnaires est aussi en train Aujourd’hui, c’est le brocoli, mais demain
GABRIEL OMNÈS

plètement opposés à l’idée de breveter des de bouleverser la donne. Je pense en parti- ce sera potentiellement le blé. On perd
gènes natifs. Les premiers brevets déposés culier à la méthode CrispR/Cas9 dévelop- complètement de vue l’objectif initial :
sur les gènes natifs ont concerné des pée en 2012 qui permet de modifier de assurer la sécurité alimentaire. n

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 97


idées

L’œil du philosophe

Cet obscur objet du désir


Les variétés végétales ou les races animales ne peuvent être brevetées. Un gène natif peut-il l’être
davantage ? Le débat éthique est difficile tant la définition de ce type de gène est vague.
Bernard Reber

L
e 25 mars dernier, la Grande dangereux de toutes sortes ont pu être pro- convaincre. Et sans être naïf, je pense que ce
Chambre de recours de l’Office tégés par des brevets : des poisons, des n’est pas qu’une affaire d’effets de manches,
européen des brevets s’est dite explosifs ou des substances chimiques. d’idéologies, de défense d’intérêts ou
favorable à ce qu’un gène natif Dans ce texte, la Grande Chambre ne se encore d’appartenances culturelles ou reli-
soit breveté. Pour ou contre cette décision ? prononce pas non plus sur l’aspect éthique gieuses. Quelques théories morales peuvent
Avant d’adopter une posture et de se lancer de sa décision. Sur le plan scientifique, elle aider à s’orienter et faire valoir sa concep-
tête baissée dans une querelle éthique, reste à distance, estimant d’ailleurs que le tion. Encore faut-il savoir à propos de quel
voyons d’abord les deux textes relatifs à recours à une interprétation classique est « objet » les mobiliser.
cette décision et qui comptent tout de suffisant. Le débat interdisciplinaire n’est Plusieurs stratégies existent pour défendre
même 68 pages pour l’un et 69 pages pour donc pas clos : il n’a pas commencé ! ses positions éthiques dans ce débat.
l’autre. Pour un non-juriste, ces textes sont L’une d’elles consiste à déterminer des
incompréhensibles. Pourtant, passé le DÉFINIR LE VIVANT AVANT TOUT entités, par exemple les espèces, comme
temps de l’ésotérisme, ces documents des éléments qu’on ne peut s’approprier
s’avèrent très instructifs à plusieurs titres. Un débat éthique, pour être mené en bonne et donc comme des ressources com-
Tout d’abord, le pouvoir de la Chambre de et due forme, doit respecter certaines règles munes – avec les biens communs (com-
recours, aussi Grande fut-elle, est très d’argumentation. On n’a plus automatique- mons) qui sont en libre accès ou la pro-
limité. Elle n’a pas pour mandat de s’enga- ment l’éthique dans son camp aujourd’hui ; priété d’une communauté d’acteurs. Les
ger dans une politique législative. Elle le dit elle est mise au défi du pluraliste. Il faut offices qui protègent les brevets l’ont inté-
plusieurs fois au cours de son texte, notam-
ment parce qu’elle est consciente que des

Les vertus du brevetage


décisions nationales et au niveau du Parle-
ment européen prennent diversement
position sur la question de la brevetabilité.
Cette chambre n’a pour responsabilité que Le brevet a certaines vertus : il peut motiver, Même si on peut douter des raisons de son
« d’interpréter les interprétations des prin- protéger et récompenser l’investissement. utilité, le brevet est encore valorisé dans
cipes acceptés dont use de façon générale Il doit même permettre d’enseigner un les carrières scientifiques, au point qu’on
l’Office européen des brevets dans l’interpré- savoir-faire. Il est donc source de connais- demande dans les rapports bisannuels des
tation des traités internationaux » (sic). sance. Un brevet n’est pas une possession chercheurs du CNRS par exemple, et donc
Toutes ces précautions étant prises, il reste éternelle. Il est limité dans son extension aussi en sciences humaines et sociales
beaucoup à dire et à penser sur le plan et dans le temps. On pourrait très bien étonnamment, s’ils ont déposé des brevets.
éthique. La chambre ne se prononce pas innover sans breveter ses découvertes, En revanche, les règles pour l’obtention des
pour savoir si on enfreint les « bonnes mais il faudrait être rémunéré autrement. brevets sont strictes. Une découverte n’est
mœurs » ou le trouble à l’ordre public. Ces À l’heure des réductions de déficits pu- pas encore une invention et elle nécessite
possibilités sont rarement utilisées, blics, je vois mal ce qui remplacerait le une application. Dans le cas du brocoli et de
comme l’a remarqué le spécialiste des bre- système de l’innovation industriel tel qu’il la tomate, ils offrent des améliorations : l’un
vets Ulrich Schatz, alors même qu’en fonctionne. De même, la recherche dans les est censé avoir des vertus anticancéreuses
Europe ou dans le monde, des produits entreprises privées doit bien être financée. et l’autre résister à la déshydratation.

98 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


gré depuis longtemps en vertu notam-
ment de l’article 53 b de la Convention sur
le brevet européen (1973). Ce dernier sti-
pule ce qui ne peut faire l’objet d’un bre-
vet : « Les variétés végétales ou les races ani-
males ainsi que les procédés essentiellement
biologiques d’obtention de végétaux ou
d’animaux, cette disposition ne s’appli-
quant pas aux procédés microbiologiques
et aux produits obtenus par ces procédés ».
L’un des enjeux pour la Grande Chambre
était de savoir comment, du point de vue
du droit, cet article et sa première partie
sont respectés par l’entreprise Plant Bios-
cience pour le brocoli, et par le ministère
de l’Agriculture d’Israël pour la tomate
croisée, détenteurs des brevets discutés et

La question
du brevetage du
gène natif requiert
une réflexion
ontologique
attaqués. En passant, je signale que les
opposants ne sont pas des organisations
non gouvernementales, mais des multi-
nationales, donc des concurrents ayant
recours à des procédés proches. Je ne C’est à Munich, au siège de l’Office européen des brevets, que se joue l’avenir du brocoli.
pense pas qu’ils adhèrent à cette idée de
bien commun, mais qu’ils voient tout
d’abord les problèmes de concurrence qu’on ne peut s’approprier le vivant. Mais vivant ne pourra pas faire l’économie de ce
que pourrait engendrer pareille décision il faut aussi se mettre d’accord pour nom- qu’on entend par vivant. La biologie reste
de l’Office européen des brevets. mer ce qui est en jeu avec ce brocoli. Une assez peu loquace sur le sujet, refusant
À proprement parler, toutes les instances traduction entre biologie, droit et éthique même de se frotter à la question. Quant aux
délivrant les brevets protègent le matériel est nécessaire pour savoir de quoi on parle. institutions qui enregistrent les brevets, il
génétique qui n’a pas été transformé techni- Or cette description est si sommaire qu’il semble qu’elles ne cherchent pas à breve-
quement. Le gène « naturel » n’est donc pas n’est pas certain que les biologistes eux- ter le vivant ici mais à breveter un nouveau
une propriété comme une autre. La ques- mêmes s’y retrouvent. terme avec ce fameux gène natif. C’est l’en-
tion du brevetage du gène natif requiert Dans un deuxième temps, on pourra jeu. L’ontologie et la métaphysique ont de
donc une réflexion ontologique et des pré- débattre, une fois nos intuitions morales beaux jours devant elles, quand bien
cautions épistémiques. Le préalable : savoir ébranlées. En effet, chacun ne réagit pas de même les rangs des étudiants en ces
de quoi on parle exactement, pour ensuite la même manière sur le plan éthique, selon matières sont clairsemés. n
instruire la question avec la même justesse ! les positions que les uns et les autres
OEB, MUNICH

Qu’entend-on donc exactement par gène adoptent sur une telle question. Finale- Pour en savoir plus
natif ? On peut se mettre d’accord sur le fait ment, la discussion sur le brevetage du n Alain Prochiantz, Qu’est-ce que le vivant ?, Seuil, 2012.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 99


livres
Le livre du mois

Neandertal : à la recherche
des génomes perdus
de Svante Pääbo

Q
ui sommes-nous et d’où venons-nous ? – cet ADN, hérité de manière maternelle et présent en un grand
Pour répondre à ces questions, nous nous nombre de copies par cellule – puis quelques gènes particuliers,
sommes longtemps heurtés à une dualité : et enfin son génome complet issu d’ADN nucléaire. Environ
la paléontologie, fondée sur l’étude des trente ans après les premiers balbutiements de la paléogéné-
caractères morphologiques à partir tique, Svante Pääbo et son équipe sont les acteurs du séquençage
des fossiles, tentait de comprendre d’où et du décryptage du génome de Neandertal.
nous venions. L’approche génétique, quant à elle, s’attachait à C’est cette fabuleuse histoire que Svante Pääbo nous raconte,
inventorier et comprendre la fonction des gènes pour appré- non sans suspense. On vibre ainsi avec son équipe lorsque les
hender ce que nous sommes. Caractères anatomiques et ana- concurrents américains risquent de publier un résultat plus rapi-
lyses des caractères visibles, sur les restes du passé d’une part ; dement, mais aussi peut-être de façon moins rigoureuse. Dans
gènes et analyses génétiques sur l’homme un récit fourmillant d’anecdotes, le lecteur
actuel, d’autre part. découvrira également comment s’est mis en
Mais au début des années 1980, tout change. place le programme de recherche sur le
Grâce à l’avancée des connaissances et des génome complet de Neandertal, quelles ont
techniques, l’idée naît que le matériel géné- été les grandes avancées techniques en la
tique puisse être conservé dans des restes matière et surtout ce que l’acquisition des
anciens. En Suède, elle se concrétise dans les données de ce génome permet aujourd’hui de
travaux d’un étudiant en médecine de l’uni- conclure : que les Néandertaliens ont bel et
versité d’Uppsala, passionné d’Égypte bien apporté des gènes aux humains actuels.
ancienne, Svante Pääbo. Ce dernier travaille L’auteur livre également quantité d’éléments
sur les mécanismes immunitaires humains, au sur Neandertal.
sein d’un laboratoire pionnier dans le clonage Même pour un spécialiste, la lecture est parfois
et la manipulation d’ADN dans des bactéries. ardue car très touffue et dense en informations,
En quasi-secret, il va mener une expérience et la traduction aurait pu être plus fluide. Mais
fondatrice pour notre discipline en recher- cette manière d’écrire reflète aussi très forte-
chant de l’ADN ancien dans des tissus de ment la complexité des problèmes scienti-
momies égyptiennes. Cette avancée majeure fiques rencontrés et leur enchevêtrement.
permettra à d’autres, dont notre équipe, de Chercheur brillant ayant passé sa vie à décryp-
pousser ces recherches sur d’autres restes fossiles, tels que les ter les mystères de l’ADN issu des fossiles, Svante Pääbo n’en est
ossements et les dents d’un grand nombre d’espèces animales pas moins humain. Avec humour, tendresse et sincérité, le paléo-
de la dernière glaciation. Le champ des possibles, l’accès au généticien raconte certains éléments de sa vie privée. Sentiments
génome d’espèces et de populations disparues, s’ouvre alors et d’homme, d’amant, de père, mais aussi les liens amicaux et d’af-
naît une nouvelle discipline : la paléogénétique. fection qui peuvent se tisser entre les membres d’une équipe de
Mais Svante Pääbo a une obsession : connaître les caractéris- recherche, dont le leader pourrait être sur la voie du prix Nobel. n
tiques génétiques de l’homme de Neandertal. Une tâche qui Catherine Hänni, chercheuse en paleogénétique
s’avère dès le départ difficile car les fossiles sont contaminés par à l’École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon) et
de l’ADN humain actuel. Il y parvient néanmoins, d’abord en directrice de recherche au CNRS
obtenant quelques paires de bases de son ADN mitochondrial Éditions Les Liens qui Libèrent, 2015, 394 p., 24 €.

100 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


PHYSIQUE NEUROSCIENCES

Traité de la matière Les Sortilèges du cerveau


La matière est un univers à part entière. Voilà ce Fascinant organe qui représente à peine 3 % du
que nous montre ce livre complet et richement poids de notre corps, le cerveau reste une énigme
illustré. En partant des matériaux de la vie qui détient la clé de nos comportements, de nos
courante – argiles, métaux, plastiques –, émotions et de nombreuses maladies : Alzheimer,
l’ouvrage tisse des liens entre les techniques Parkinson, autisme, épilepsie, schizophrénie,
artisanales, la créativité artistique et la science hystérie, dépression, etc. Pour Patrick Berche,
qui explique leur structure intime. Il s’adresse directeur de l’Institut Pasteur de Lille, ce sont des
à un vaste public désireux de contempler et de comprendre les détails « sortilèges ». Pour chacune de ces maladies, il nous propose une
des objets qui nous entourent. Une seconde partie, plus mathématique, plongée dans l’histoire, celle de leur découverte et des progrès
contentera les lecteurs les plus motivés. thérapeutiques réalisés au fil des décennies. En introduction, une
Libero Zuppiroli, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2015, première partie traite de l’exploration du cerveau au cours des siècles.
462 p., 81 €. Patrick Berche, Flammarion, 2015, 228 p., 22 €.

ÉCONOMIE
Beau livre
Le Consommateur planétaire
Serait-il possible de réconcilier les thèses Une belle histoire
néolibérales vantant les bienfaits de la
libéralisation avec les mouvements
altermondialistes en faveur d’une économie locale
de l’homme
et de proximité ? Oui, répond Éric Lambin, L’Homme est-il une es-
géographe et professeur à l’université de Louvain, pèce évoluée comme
en Belgique, et à l’université Stanford, en une autre ? Comment
Californie. Dans son ouvrage, il prône en effet la mort est-elle vécue ?
l’avènement d’une troisième voie, qui s’appuierait sur un Sept milliards d’humains
« consommateur planétaire » responsable, plus altruiste. Avec aujourd’hui, combien
un objectif : vivre ensemble de manière plus équitable. demain ? Voici quelques-
Éric Lambin, Le Pommier, 2015, 280 p., 22 €. unes des questions posées
par les auteurs de cet ou-
vrage, fruit d’une collabo-
PSYCHOLOGIE ration entre Flammarion et
le Muséum national d’his-
60 questions étonnantes toire naturelle. Leur objectif : raconter l’aventure humaine en
sur l’alimentation soixante questions, chacune développée sur deux pages de
Quel est l’impact de la taille de l’assiette sur le façon pédagogique et accessible au grand public, de nom-
sentiment de satiété ? Quelle influence a une breuses illustrations à l’appui. Des paléoanthropologues, des
étiquette de vin dans l’appréciation d’un repas ? généticiens, des démographes et des ethnologues retracent
Comment mesurer le poids des informations notre histoire évolutive, éclairent l’origine de notre diversité
nutritionnelles dans la décision d’achat ? Ce nouvel et interrogent notre rapport à la nature et à la culture. Se sont
ouvrage, très grand public, de la collection prêtés au jeu des personnalités comme Yves Coppens, René
« In psycho Veritas », passe en revue des expériences scientifiques, Frydman, Guillaume Lecointre et Marylène Patou-Mathis pour
parfois étonnantes, pour répondre objectivement à des questions, ne citer qu’eux. Les thèmes abordés dans ce livre constituent
souvent pertinentes et quelquefois saugrenues, autour de l’alimentation. par ailleurs le fil rouge de l’exposition permanente du musée de
Instructif et drôle. l’Homme, à Paris, qui a rouvert ses portes le 17 octobre dernier.
Maxime Morsa, Mardaga, 2015, 144 p., 14,90 €. Evelyne Heyer (dir.), Flammarion, 2015, 144 p., 25 €.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 101


livres

MÉDECINE COSMOLOGIE

Puisqu’il faut bien mourir L’Univers à portée de main


Le centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, « Vous n’êtes plus sur une plage, mais dans l’espace. 
à Paris, a pour but d’apporter une aide en cas de Flottant dans le vide ». C’est ainsi que débute
décision « éthiquement » difficile. Sa directrice, le récit proposé par le physicien Christophe Galfard.
Véronique Fournier, est ainsi confrontée chaque jour Son ambition ? Faire comprendre la cosmologie
aux questions des familles comme du personnel – la science qui étudie la structure, l’origine et
soignant autour de malades dans un état l’évolution de l’Univers – à un public n’ayant pas
neurovégétatif, entre autres. Pour appréhender toute la moindre connaissance préalable, simplement
la difficulté de la question centrale — faut-il et jusqu’où peut-on aider à par un effort d’imagination. Ce livre s’adresse à tous les curieux qui,
mourir ? —, elle nous livre ici des histoires de vie et de mort, celles de scrutant la voûte céleste avec perplexité, auraient envie de mieux
patients passés par le centre depuis sa création en 2002. connaître ce qui s’y passe vraiment.
Véronique Fournier, La Découverte, 2015, 248 p., 18 €. Christophe Galfard, Flammarion, 2015, 432 p., 19,90 €.

CLIMAT
Évolution
Crime climatique stop !
Sapiens, une brève histoire La journaliste et essayiste canadienne Naomi
Klein, le climatologue français Jean Jouzel, ou
de l’humanité encore l’archevêque Desmond Tutu, Prix Nobel
de la paix en 1984, voici quelques-unes des
C’est à un formidable voyage dans le temps que nous convie 29 personnalités qui signent cet ouvrage
Yuval Noah Harari, historien à l’université de Jérusalem. L’excur- exhortant à stopper le « crime climatique » en
sion démarre il y a près de 2,5 millions d’années en Afrique. Les train de se jouer et qui s’interrogent sur les gaz
hominidés sont alors des animaux parmi les autres, qui auront de schiste, l’anthropocène, la géo-ingéniérie ! Car
la maîtrise du feu environ deux millions d’années plus tard. « aujourd’hui, le changement climatique est notre ennemi à tous », 
Mais attachez vos ceintures car l’histoire s’accélère : domesti- assène l’archevêque sud-africain en préface de l’ouvrage. Et en guise de
cation du blé il y a 9 000 ans, apparition des premières villes conclusion, l’Appel de la société civile, et ses cent premiers signataires.
et des premiers empires il y a 5 000 ans, premières pièces de Collectif, Seuil, 2015, 320 p., 15 €.
monnaie deux siècles et demi plus tard, jusqu’à la révolution
scientifique, commencée il y a 50 ans à peine… Homo sapiens
bouscule maintenant les frontières biologiques et génétiques. MÉDECINE
L’auteur ne se contente pas de donner des repères à travers les
millénaires, il s’interroge sur Immunothérapie des cancers
Homo sapiens. Comment a-t- au troisième millénaire
il pris le dessus sur ses cousins Après plus d’un siècle de tâtonnements,
hominidés ? À quoi sont dues l’immunothérapie révolutionne le traitement
les révolutions agricoles et du cancer. Le concept est simple : stimuler
scientifiques ? En s’appuyant notre système de défense, le système immunitaire,
sur plusieurs disciplines, il pour qu’il vienne à bout des tumeurs. Cet ouvrage
propose quelques hypo- spécialisé, écrit par des médecins, explique
thèses. Mais il cherche encore les premiers succès de cette stratégie. Par exemple, l’utilisation
la preuve que le bien-être des des anticorps monoclonaux, qui peuvent reconnaître les cellules
hommes s’améliore inévita- cancéreuses, s’y lier et bloquer leur croissance dans certains cancers
blement au fil du temps. du sein. Une avancée qui profitera à d’autres pathologies.
Yuval Noah Harari, Albin Michel, Laurence Zitvogel, Dalil Hannani, Nicolas Martin, Edp Sciences, 2015,
2015, 450 p., 24 €. 420 p., 100 €.

102 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Lu d’ailleurs

A Short History of Disease


de Sean Martin

L
a peste. Un exemple de ces maladies qualifiées de de la contagion, jusqu’à l’épisode « Le virus de Gettysburg » de
« réémergentes ».  Des maladies virulentes qu’on pen- la série Seven Days [Sept jours pour agir, NDLR], dans lequel
sait éradiquées au milieu du XXe siècle et auxquelles le héros tente de sauver la population mondiale menacée par
se consacrent aujourd’hui des chercheurs de l’Institut une nouvelle forme du virus Ebola !
Pasteur à Paris. Car depuis les années 1970, des agents infec- Sean Martin raconte les efforts déployés à travers les siècles
tieux associés à des maladies nouvelles (Ebola, pour affronter la peste noire, la fièvre jaune,
VIH, virus H5N1…) ou qu’on croyait contrôlées la variole, la poliomyélite, le sida… La donne a
(choléra, tuberculose…) sont découverts presque changé à partir du dernier quart du XIXe siècle,
chaque année. Dans le même temps, d’autres lorsque les microbes ont été identifiés. Avec
maladies ont connu une extension géogra- Louis Pasteur, Robert Koch, Rudolf Virchow et
phique, à l’instar de la dengue. Joseph Lister, la révolution microbienne a ouvert
Avec A Short History of Disease, le poète et la voie à l’hygiène préventive, la vaccination
cinéaste anglo-irlandais Sean Martin s’intéresse et, au XXe siècle, aux antibiotiques et diverses
à l’histoire sociale de ces maladies de la Pré- mesures de santé publique. Avec comme résultat
histoire à nos jours. À travers diverses sources la chute drastique de la mortalité due aux ma-
– textes religieux, mythologiques ou littéraires, ladies infectieuses dans les pays industrialisés.
études scientifiques, films…, il présente les mul- L’auteur termine sur le lien entre les maladies
tiples représentations de ces maladies. Ainsi, le infectieuses et l’état des sociétés. Aujourd’hui,
papyrus Edwin Smith est le plus ancien docu- elles sont le symptôme des inégalités nord-sud,
ment connu sur la chirurgie. Datant de l’Égypte causant ici 1 % des décès contre 43 % là-bas.
antique, il attribuait aux maladies « le souffle d’un dieu extérieur Sans oublier les défis que représentent la résistance aux anti-
ou de la mort ». Dieu qui, dans l’Ancien Testament biblique, a biotiques et l’émergence de nouvelles maladies.
inventé les dix plaies d’Égypte pour convaincre Pharaon de li- Julie Bouchard, maître de conférences, université Paris-XIII/Labisc
bérer le peuple hébreu. Tant d’autres récits activent l’imaginaire Oldcastle Books, 320 p., 2015, 16,95 $.

CHRONIQUES ÉPISTÉMOLOGIE

La Science improbable L’Information : l’histoire,


du Dr Bart la théorie, le déluge
Le journaliste Pierre Barthélémy reprend les recettes Qu’est-ce que l’information ? s’interroge
qui ont fait le succès de ses deux premiers ouvrages. James Gleick, ancien responsable de la rubrique
Ce troisième tome est donc un nouveau recueil sciences du New York Times et auteur du best-seller
des Chroniques d’improbablologie parues dans La Théorie du chaos. Dans cet ouvrage, il propose
Le Monde. Avec un humour décapant, il nous fait de répondre à la question en racontant l’histoire
partager les études qui donnent une réponse de l’invention de l’alphabet, du code Morse utilisé
scientifique à une question loufoque. De l’étude très sérieuse du suaire dans les réseaux de télégraphes, ou encore la mise au point du bit,
de Turin à celle imaginée pour savoir quelles parties du corps en informatique. D’une façon plus générale, il s’intéresse
sont plus sensibles aux piqûres d’abeilles, tous les domaines sont passés à la nature même de cette information, qui dépasse le simple cadre
en revue. De la science avec le sourire. de la technologie, et que l’on retrouve jusque dans notre ADN,
Pierre Barthélémy, Marion Montaigne (illustrations), Dunod-Le Monde, 2015, sous la forme d’un code génétique.
208 p., 14,90 €. James Gleick, Cassini, 2015, 544 p., 24 €.

N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 103


agenda

Que reste-t-il
nous ne percevons pas de cette année est la mé-
tous les détails. Il possé- moire et sera notamment
dait la capacité de se pro- abordé le 20 novembre à

à découvrir ?
jeter dans l’abstraction, et 9 h 30 au cours d’un col-
avait des préoccupations loque organisé à l’univer-
spirituelles. Son environne-
ment est ici reconstitué,
Pour sa troisième édition, le forum du accompagné de plusieurs
CNRS est consacré aux changements productions artistiques
climatiques. Comment les prévoir et les de Neandertal.
modéliser ? Quelles solutions sont envisa- Grand-Pressigny (Indre-
geables pour limiter leur impact ? Destiné et-Loire), musée de la
à favoriser les échanges entre les scienti- Préhistoire.
fiques et la société, le programme propose www.prehistoire
35 conférences qui illustrent les multiples grandpressigny.fr
facettes du travail des chercheurs français
sur les énergies, les ressources naturelles, Jusqu’au sité d’Évry-Val d’Essonne.
les conséquences du réchauffement cli- 30 novembre Des chercheurs évoque-
matique sur le vivant ou l’urbanisme. Les Figures de la terre ront la mémoire à travers
intervenants sont réunis en tables rondes, parfois avec l’appui d’extraits de En 2013, des figurines en le vécu individuel, mais
documentaires. Pour certains thèmes, deux chercheurs confrontent leurs terre cuite gallo-romaines aussi l’évolution du vivant.
points de vue. Des séries de trois conférences de dix minutes permettent ont été découvertes sur Dans 25 localités
également de présenter différentes approches d’un même sujet. Enfin, certains le site archéologique de l’Essonne.
chercheurs bénéficient d’une carte blanche, comme la paléoclimatologue de Vendeuil-Caply, en www.collectifculture91.com
Valérie Masson-Delmotte, ou le spécialiste en hydrologie Ghislain de Marsily. Picardie. 80 de ces œuvres
Les 13 et 14 novembre, Paris, la Sorbonne. www.leforum.cnrs.fr sont exposées, aux côtés Du 13 au
de 50 autres, prêtées par 15 novembre
d’autres musées, qui Des étoiles
(Dordogne), musée de Grenoble a participé à montrent la diversité de et des ailes
EXPOSITIONS national de Préhistoire. son maintien parmi les plus cette production dans le La 6e édition du festival
http://tinyurl.com/eyzies- grands musées de France. Nord de la Gaule romaine. Aérospatial présente
Jusqu’au neolithique Ce travail est mis en lu- Vendeuil-Caply (Oise), des conférences autour de
15 novembre mière à travers l’exposition musée archéologique l’aéronautique et de l’aéro-
Signes de richesse Jusqu’au de spécimens exception- de l’Oise. spatiale, dont certaines
À la fin de la Préhistoire, 15 novembre nellement sortis des ré- www.ocim.fr/2015/04/ sont orchestrées par des
l’agriculture et l’élevage Troisième vie : serves, représentatifs de la figures-de-la-terre personnalités scientifiques.
entraînent le passage à quand les diversité des adaptations Parmi elles, le planéto-
une économie de produc- acquisitions de la faune à son milieu. logue Sylvestre Maurice
tion. Des objets façonnés s’exposent Grenoble (Isère), muséum. FESTIVALS donne des nouvelles de la
en matériaux nobles ou Depuis 1980, la politique http://tinyurl.com/ mission Rosetta, et l’astro-
exotiques constituent alors d’acquisition du muséum echosciences-troisieme-vie Du 4 novembre physicienne Sylvie Vauclair
des signes de richesse qui au 19 décembre fait le point sur des décou-
témoignent de l’émer- Jusqu’au La science de l’art : vertes récentes au sujet
gence des premières 30 novembre la mémoire des corps célestes
sociétés hiérarchisées. Neandertal, Des installations à la croi- qui peuplent l’Univers.
L’exposition dévoile ces un mystère sée de l’art et de la science Toulouse (Haute-
objets, colliers, poignards préhistorique sont présentées dans tout Garonne), Cité de
ou bracelets, et met en L’homme de Neandertal le département de l’espace.
évidence leur circulation. a développé une société l’Essonne par le Collectif http://tinyurl.com/etoiles-
Les Eyzies-de-Tayac complexe et riche dont Culture Essonne. Le thème ailes-prog

104 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


Du 17 au films expérimentaux, art Le 5 novembre, des organes et des tissus. cela pose de nombreuses
26 novembre vidéo ou encore anima- 18 h 30 Dans le cadre du cycle de questions. Par exemple,
Terres d’ailleurs, tion : tous les genres sont Rome et l’Étrurie, conférences Scènes de comment interpréter les
les expéditions représentés dans ce festi- l’histoire contrastée science, il explique com- expériences des roboti-
scientifiques d’hier val de films de sciences. d’un bilinguisme ment cette méthode, tes- ciens ? Pourquoi les inter-
à aujourd’hui La sélection internationale Du VIIe au VIe siècle avant tée sur les rats, permet de actions homme-machine
Partez sur les traces des aborde tous les champs notre ère, Rome était gou- fermer des blessures pro- dépassent-elles l’imagina-
grands explorateurs, Paul- des sciences fondamen- vernée par des souverains fondes, ou de faciliter des tion de leurs concepteurs ?
Émile Victor, Théodore tales, mais également l’en- d’origine étrusque, dont la opérations sur le cœur. Aubervilliers (Seine-Saint-
Monod ou encore Ernest vironnement, la médecine, langue n’appartenait pas à Denis), conservatoire
Shackleton : les expédi- les sciences humaines la famille indo-européenne. Aubervilliers-La Courneuve.
tions scientifiques sont au et sociales. Ateliers et Dominique Briquel, www.campus-condorcet.fr
centre des conférences, rencontres avec cinéastes professeur à la Sorbonne,
projections et débats du et chercheurs complètent raconte comment la Le 19 novembre,
festival Terre d’ailleurs. Les le programme. conquête romaine a fait 18 h
invités de cette 7e édition, Marseille (Bouches-du- disparaître cette langue, La parure et
notamment le paléonto- Rhône), dans deux dont les dernières traces ses techniques
logue Gaël Clément et bibliothèques, deux ne vont pas au-delà du au Néolithique
l’éthologue Myriam Baran cinémas et au muséum tournant de notre ère. La parure est un mode
tentent de répondre à d’histoire naturelle. Montpellier (Hérault), Paris, théâtre de communication qui
http://tinyurl.com/ musée Henri-Prades. de la Reine blanche. montre le développement
pollymaggoo-risc http://museearcheo. http://tinyurl.com/ d’une certaine complexifi-
montpellier3m.fr reineblanche-science cation de la société préhis-
torienne. Sandrine
CONFÉRENCES Le 8 novembre, Le 16 novembre, Bonnardin présente les
11 h 19 h différentes techniques
Le 3 novembre, Recoller les vivants Les robots de fabrication des parures
19 h 30 Le physicien Ludwik doivent-ils se au Néolithique.
Le photon, Faiblet est l’inventeur mêler de tout ? Nice (Alpes-Maritimes),
particule ou onde ? d’une solution pour Il paraît que nous vivrons musée d’archéologie, site
la question : que nous La notion de particule « recoller les vivants » : des bientôt entourés de de Terra Amata.
apportent encore au- de lumière — le photon — nanoparticules pouvant robots. Pour l’anthropo- http://tinyurl.com/nice-
jourd’hui ces expéditions ? est difficile à concilier avec être utilisées pour réparer logue Emmanuel Grimaud, parures
Toulouse (Haute- le modèle ondulatoire de
Garonne), muséum la lumière, fermement
d’histoire naturelle, établi au XIXe siècle. Le
puis à Tarbes (Hautes-
Pyrénées) les 23 et
physicien Alain Aspect
décrit des expériences
L’incroyable voyage
24 novembre et à Auch récentes qui illustrent Il y a cent cinquante ans, en juillet 1865, le muséum de Toulouse ouvrait ses
(Gers) le 26 novembre. le caractère étonnant portes au public. Pour marquer cet anniversaire, une grande exposition Les
http://tinyurl.com/ de cette dualité onde- Savanturiers illustre l’histoire des collections et des personnalités qui les ont
terresdailleurs particule, aujourd’hui mise constituées. Des objets du monde entier y racontent comment les collec-
à profit dans certaines tions ont été enrichies au fil des ans  : chacun d’eux dévoile le parcours d’un
Du 21 au procédures de crypto- homme dont les motivations diffèrent en fonction de sa vie, de sa fonction,
28 novembre graphie quantique. de l’époque et du contexte dans lesquels il a évolué. L’exposition propose
Rencontres Paris, Institut un kaléidoscope de thématiques en lien avec la diversité des objets présen-
internationales d’astrophysique. tés et interroge sur le rôle des musées aujourd’hui, à l’aune des évolutions
sciences & cinémas www.iap.fr/science/ scientifiques, idéologiques et géopolitiques de ces 150 dernières années.
Courts et longs métrages, manifestations/conferences/ Jusqu’au 26 juin 2016, muséum de Toulouse (Haute-Garonne).
documentaires, fictions, conferences.php http://tinyurl.com/incroyable-voyage

N°505• Novembre 2015 | La Recherche • 105


La question de la fin

Pourquoi ne ressent-on pas


la rotation de la Terre ?

É
tendu sur une plage équatorienne à l’ombre n’est pas tout à fait droite puisque la Terre l’entraîne dans
d’un parasol, un touriste dort à poings fermés. sa rotation. Passagers et touristes sont donc bel et bien
Rien ne semble troubler son sommeil. Pas soumis à une force. Ce n’est autre que la pesanteur, la
même la rotation de la Terre qui, à l’équateur, somme de la force gravitationnelle – causée par la masse
s’effectue pourtant à la vitesse de 1 670 kilomètres/heure, de la Terre – et de la force centrifuge – provoquée par sa
soit deux fois plus vite qu’un Airbus A320 ! Dans ce même rotation. La première nous attire vers le sol. La seconde a
avion qui fend l’air à vitesse constante, les passagers ne plutôt tendance à nous en arracher, à l’image des occu-
ressentent rien de particulier non plus. Est-ce à dire qu’ils pants d’un manège, repoussés vers l’extérieur. Bien que
ne sont soumis à aucune force ? ces deux forces s’opposent, la rotation de la Terre est suf-
Souvenons-nous de nos cours de physique. Newton lui- fisamment lente pour que la force centrifuge soit négli-
même écrivait en 1687 que tout objet immobile ou évo- geable devant la gravitation. À l’équateur, où elle est
luant à vitesse constante et selon une trajectoire recti- maximale, la force centrifuge ne contribue ainsi qu’à
ligne n’est soumis à aucune force. Aucune force ? Ce serait 0,3 % de la pesanteur. Trop faible pour que nous ressen-
oublier que nous vivons sur une planète qui tourne. tions son effet et donc la rotation de la Terre.
Notre touriste affalé sur sa serviette n’est donc pas vrai- Si nous avions vécu il y a 4,5 milliards d’années, la chose
ment immobile. De même que la trajectoire de l’Airbus aurait été tout autre. À cette époque, selon les astronomes
américains Matija Cuk et Sarah Stewart, la Terre
exécutait un tour complet sur elle-même en…
deux heures et demie (1) . La force centri-
fuge était alors près de cent fois plus
importante qu’aujourd’hui. Autant dire
que toute sieste aurait été exclue !
Une autre question mérite d’être soule-
vée. Pourquoi ne voit-on pas la Terre tour-
ner ? Eh bien parce que la vitesse est une
notion relative et que, dans le référentiel ter-
restre, tout tourne en même temps et à la
même vitesse : vous, le touriste, la plage, le
parasol, la mer et l’air. Si bien que nous
n’avons pas l’impression de vitesse. Un peu
comme si les fenêtres d’un TGV lancé à
vitesse constante étaient opaques : privés de
repères visuels extérieurs, les passagers
n’auraient aucun moyen de se rendre
compte de la vitesse du train. Mais un
badaud situé au bord de la voie, dans un
référentiel fixe par rapport au train, pourrait
l’évaluer. Pour observer le mouvement de
toupie de la Terre, il faudrait donc s’arracher
Jean-Michel Thiriet

au référentiel terrestre et se poster sur la Lune,


par exemple. Gautier Cariou
(1) M. Cuk et S. Stewart, Science, 338, 1047, 2012.

106 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505


AGISSONS CONTRE LE CANCER DU SEIN

ENSEMBLE,
PLUS FORTS

Informer et soutenir la recherche médicale


cancerdusein.org
CASDEN Banque Populaire - Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable. Siège social : 91 Cours des Roches - 77186 Noisiel. Siret n° 784 275 778 00842 - RCS Meaux. Immatriculation ORIAS n° 07 027 138
BPCE - Société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 155 742 320 €. Siège social : 50 avenue Pierre Mendès France - 75201 Paris Cedex 13. RCS PARIS n° 493 455 042. Immatriculation ORIAS n° 08 045 100

Banque coopérative créée par des enseignants, la CASDEN repose sur un système alternatif
et solidaire : la mise en commun de l’épargne de tous pour financer les projets de chacun.
Comme plus d’un million de Sociétaires, faites confiance à la CASDEN !
- Illustration : Killoffer.

Découvrez la CASDEN L’offre CASDEN est disponible


sur www.casden.fr ou contactez dans les Délégations Départementales CASDEN
un conseiller au 01 64 80 64 80* et les agences Banques Populaires.
Accueil téléphonique ouvert du lundi au vendredi
de 8h30 à 18h30 (heure de Paris).
Appel non surtaxé. Coût selon votre opérateur.

You might also like