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L’édito par Sophie Coisne
Rédactrice en chef
La créativité récompensée
L
e début de l’automne a une saveur particulière. ILLUMINATION. Comment sont nées les hypothèses qui
C’est pour notre rédaction l’occasion de choisir ont conduit à ces expériences ? Nombreux sont les
les lauréats des Prix La Recherche, autrement dit auteurs qui évoqueront un déclic à la suite d’une
les auteurs des meilleures publications scienti- recherche bibliographique. Pas Cédric Villani. Dans l’en-
fiques francophones parues dans l’année précédente. tretien qu’il nous a accordé, le mathématicien raconte
Une tâche titanesque ? Vous avez raison. Pour commen- «l’ illumination » qu’il a plusieurs fois ressentie au cours
cer, dès le mois de juin, un aréopage de chercheurs et du travail sur l’amortissement de Landau, travail qui lui a
chercheuses issus des onze disciplines récompensées – valu une médaille Fields. Un « jaillissement » de l’idée
un grand merci à eux ! – passe au crible les publications créatrice survenu après une période mêlant travail
2014 et en sélectionne plusieurs acharné et discussions avec d’autres
dizaines. Au cours d’un comité scien- chercheurs. Au-delà de ce récit pas-
tifique, ils en retiennent un tiers, sou- Prix sionnant de la naissance des idées,
vent dans la douleur : la recherche nous avons interrogé les neuroscien-
francophone est de très haut niveau. La Recherche : tifiques sur les processus que notre
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Cédric Villani
Les mathématiques sont une discipline de règles et de contraintes. Pourtant la
créativité y tient une place fondamentale. À travers son parcours exceptionnel, le
mathématicien Cédric Villani nous raconte son expérience du processus de
recherche et évoque les ingrédients qui, selon lui, favorisent l’émergence des idées.
La créativité, comme
le café, est essentielle
au mathématicien ”
Propos recueillis par Philippe Pajot
L
auréat en 2010 de la médaille Fields, consi- La Recherche De toutes les sciences, les
dérée comme le prix Nobel des mathéma- mathématiques sont peut-être celles
tiques, Cédric Villani est devenu un formi- où l’on doit le plus faire œuvre créatrice : la
dable ambassadeur de sa discipline. Mais découverte de nouvelles idées et de nouveaux
sa notoriété et son éclectisme l’ont conduit à s’inté- chemins intellectuels y est primordiale.
resser à bien d’autres domaines. Qu’il construise un Ressentez-vous les choses ainsi au quotidien ?
dialogue avec Bartabas, une bande dessinée avec Cédric Villani Tout à fait. Pour évoquer le métier,
Edmond Baudoin, ou qu’il s’essaie à une forme certes peu connu, de mathématicien, partons du
semi-poétique, il ne cesse de souligner les liens entre bon mot du Hongrois Paul Erdös, le mathématicien
les mathématiques et le monde qui nous entoure, le plus prolifique du XXe siècle : « Un mathématicien
ALDO SPERBER/MÉDIATHÈQUE EDF/PICTURETANK
mêlant les valeurs cardinales du mathématicien – est une machine à transformer du café en théo-
imagination, ténacité, rigueur, humilité – à celles rèmes. » Prouver des théorèmes, car défricher de
d’autres créatifs. Son nouveau livre, Les Coulisses de nouveaux horizons est son but ; et le café, pour sti-
la création, est ainsi un entretien avec le compositeur muler la réflexion, mais aussi la créativité, les nou-
Karol Beffa, qui était son condisciple à l’École nor- velles idées. L’idée de départ – l’idée créatrice – est
male supérieure. Les deux hommes y comparent le Cédric Villani est indispensable, et d’autant plus importante si l’on
processus créatif de leurs métiers, la créativité étant directeur de l’Institut travaille en sciences fondamentales, sans le soutien
Henri-Poincaré, à
essentielle pour les deux. C’est d’ailleurs un des Paris, et professeur
que peuvent apporter les expériences ou les appli-
sujets de prédilection de Cédric Villani, celui sur à l’École normale cations. Cela dit, le mathématicien ou la mathéma-
lequel, avoue-t-il, il est le plus souvent interrogé. supérieure de Lyon. ticienne ne part jamais complètement dans
(*) Transformée considéré comme une menace majeure pour a relaté maintes fois cette histoire : à l’instant où il
de Fourier : outil l’avenir scientifique des pays développés. monte sur le marchepied d’un tramway, l’idée lui
mathématique qui permet uels sont les cinq autres ingrédients de la
Q vient d’un lien entre deux catégories de transforma-
de transformer une fonction
continue en sommes créativité ? tions mathématiques, d’où il développera toute une
de fonctions discrètes. Je dirais les échanges, que j’ai déjà mentionnés ; la nouvelle théorie. C’est ce genre d’inspiration qui lui
contrainte ; le dosage entre travail acharné et repos ; a permis de devenir l’un des symboles de la créati-
la persévérance et l’environnement de travail. vité mathématique. Mais cette illumination n’arrive
Concernant ce dernier : un chercheur isolé n’existe pas spontanément : il faut au préalable une certaine
pas, il est toujours en interaction avec un environne- maturation des idées. C’est pourquoi le cerveau
ment, un « écosystème de recherche », et cela peut avance selon une alternance de moments de travail
l’influencer énormément. Les idées résultent égale- acharné et d’intuitions. Il n’y a pas l’un sans l’autre !
ment des signaux qui vous sont envoyés par l’envi- Au cours de mon travail sur l’amortissement Lan-
ronnement, et le simple fait d’être dans un lieu dif- dau, j’ai ressenti cette illumination plusieurs fois, et
férent amène à penser différemment. Il s’agit de l’une était très marquante. Je voulais réparer un trou
signaux plus flous que les échanges, mais que je béant dans une preuve de 150 pages… J’étais très
crois également indispensables. C’est une des rai- motivé, car j’avais annoncé à mes collègues que je
savais faire cette preuve, avant de m’apercevoir de
mon erreur ! Et me voici donc, travaillant toute une
Dans un demi-brouillard, une partie de la nuit, triturant les équations dans tous les
sens, sans résultat. À 3 h 30 du matin, je vais me cou-
voix me dit : "Il faut prendre la cher, désespéré. Quand le réveil sonne pour aller
transformée de Fourier et faire passer accompagner les enfants à l’école, j’entends dans un
demi-brouillard une voix me dire : « Il faut prendre la
le second terme de l’autre côté" ! ” transformée de Fourier (*) et faire passer le second
terme de l’autre côté… » Et cela a marché !
e travail acharné implique une certaine
C
sons pour lesquelles nous voyageons tant, tout persévérance…
autour du monde. D’ailleurs, les voyages sont une Oui et c’est pour moi un autre ingrédient de la créa-
nécessité vitale pour de jeunes scientifiques. tivité. D’ailleurs, dans le domaine de l’industrie, l’en-
ous avez mentionné la contrainte, cela
V trepreneur Elon Musk a dit : « Pas d’innovation à
semble paradoxal. Pourquoi la contrainte moins de 60 heures de travail par semaine ! » Mais
amène-t-elle plus de créativité ? j’aime bien rapprocher la persévérance de la chance.
Les deux vont toujours de pair. Pensez que dans le En effet, dans tout projet de longue haleine, vous
domaine littéraire, le genre historiquement le plus rencontrez une multitude de gens, croisez du
contraint en termes d’écriture – la poésie – est aussi monde… et beaucoup d’opportunités en même
celui où la créativité est la plus valorisée. Et le roman temps. L’important est de savoir les reconnaître et les
Pour en savoir plus de Georges Pérec, La Disparition (écrit sans la lettre saisir. Et c’est ce que je dirais à un jeune aspirant
n Cédric Villani et Karol Beffa, « e ») est un bel exemple d’écriture très contrainte et créateur : faites confiance au hasard. S’il est bon
Les Coulisses de la création, très inventive… Les mathématiques sont une d’avoir des projets, souvent le hasard fournit des
Flammarion, 2015. science de contraintes, de règles strictes, où la créa- occasions bien meilleures qu’il faudra savoir saisir.
n Cédric Villani, tivité est valorisée plus que dans d’autres sciences. Dans mon parcours, les meilleurs résultats que j’ai
Les mathématiques sont C’est en effet en cherchant à passer les barrières et démontrés, et ceux qui m’ont valu la médaille Fields,
la poésie des sciences, les contraintes qui s’imposent que l’on donne le sont venus par hasard, par des rencontres, des
L’Arbre de Diane, 2015. meilleur de soi-même. voyages, des concours de circonstances, des prises
n Baudoin et Cédric Villani, n parle souvent d’illumination, d’éclair
O de risque et des mouvements dont je n’avais pas saisi
Les Rêveurs lunaires, Gallimard/ de génie, qui permet d’avancer et de toutes les implications. Après tout, si l’on savait à
Grasset, 2015. dépasser ces contraintes. Est-ce courant en l’avance ce qui va se passer, cela ne serait pas inté-
n Bartabas et Cédric Villani, mathématiques ? ressant. C’est pour cela que la recherche est
Comment conjuguer passion Si la pomme de Newton ou l’Eurêka d’Archimède passionnante. n
et création, Favre, 2014. sont sans doute apocryphes, il existe en effet des
n Cédric Villani, Théorème moments de grâce, où tout se met en place sans que (1) http://tinyurl.com/polymath-bounded-gaps-between
vivant, Grasset, 2012. l’on comprenne bien pourquoi. Poincaré lui-même (2) http://tinyurl.com/edp28-terence-tao
ÉVÉNEMENT : Médicaments et pesticides, un cocktail dangereux DOSSIER : Comment naissent les idées originales
3 ÉDITO
4
ENTRETIEN AVEC CÉDRIC VILLANI
« La créativité, comme le café, est essentielle
34 dossier
au mathématicien »
NEUROSCIENCES
Propos recueillis par Philippe Pajot
12 ILS ÉCRIVENT DANS CE NUMÉRO LES CLÉS DE LA CRÉATIVITÉ
14 COURRIER
16 L’ÉVÉNEMENT : Le secret de l’effet cocktail 36 Créer, c’est raisonner
par Mathieu Cassotti et Marine Agogué
par Anne Debroise
40 Peut-on calculer le potentiel créatif ?
par Anne Debroise
20 actualités
20 EN BREF 46 fondamentaux
22 Physique La physique quantique passe
un nouveau test 46 ENVIRONNEMENT Un virus géant dans le sol
gelé sibérien
RÉGIS DOMERGUE/BIOSPHOTO - RALF HETTLER/ GETTY IMAGES
WWW.NATURADREAM.COM
dossier
ENVIRONNEMENT
> Information quantique
m’inspire une remarque :
L’intrication quantique lorsque l’on analyse une fonc-
QUAND LES ARBRES Deux objets
quantiques de même
nature, des photons
Cas classique Mesure
et Résultat
Déduction
de la couleur
tion hyperbolique de type
ONT CHAUD
par exemple,
Terre
physiques sont
alors corrélés.
Quelle que soit
1 Deux bulles
– une verte et une
rouge – sont placées
dans une boîte noire.
2 On tire l’une d’elles
sans la regarder et
on la place dans
une autre boîte noire.
Lune
3 Une boîte est amenée sur
la Lune, l’autre reste sur Terre.
4 Mesurer
revient à ouvrir
la boîte d’un
certain côté.
5 Quel que soit
le côté choisi,
la couleur de la bulle
reste inchangée.
6 En découvrant la couleur
de la bulle restée sur Terre,
on en déduit de façon instantanée
la couleur de la bulle sur la Lune.
point singulier car « y » est à la
la distance qui
quantiques. Pour Ou
quantiques, un
MACROSCOPIQUE gauche) ou bleue ou orange (s’il ouvre par la droite). L’ob- Sauf mention contraire de leur auteur, toute lettre
parvenue à la rédaction de La Recherche est
servateur sur la Lune n’a aucun moyen d’en déduire quel susceptible d’être éditée et publiée, en tout ou en
partie, dans le journal. Les lettres concernant un
auteur extérieur à la rédaction de La Recherche lui
La lecture de l’article « Le chat choix a été fait sur Terre, et cette expérience ne peut pas sont envoyées. Sans réaction de l’auteur dans un
délai raisonnable, nous les considérons comme
de Schrödinger devient réel » permettre de transmettre d’information instantanément. publiables en tout ou en partie, sans attendre une
éventuelle réponse de sa part. Dans la mesure du
(La Recherche n° 501-502, p. 53) possible, évitez les fax et les lettres manuscrites.
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l’événement
Le secret
de l’effet cocktail
L’effet d’un composé pharmacologique peut être réduit ou au contraire
décuplé dans un organisme se trouvant déjà sous l’influence d’une première substance.
Deux équipes montpelliéraines ont décrypté le mécanisme de ce phénomène.
ils n’ont, individuellement, aucun effet. Surtout, ils ont d’activer la transcription de certains gènes codant des
observé ces deux composés en pleine interaction à l’in- protéines capables de dégrader et d’éliminer ces subs-
térieur même du récepteur. Une première. tances a priori indésirables (Fig. 1) .
Mais PXR est un caillou dans la chaussure des pharma- y figure en bonne place. Il est activé par de nombreux Les pesticides
cologues : en assurant sa mission de protection, ce perturbateurs endocriniens (bisphénol A, pesticides font partie de
récepteur inactive de nombreux médicaments. On l’es- organophosphorés, alkylphénols), par des antibiotiques la famille des
perturbateurs
time capable de réduire au silence, en quelques heures, (rifampicine), par des œstrogènes, etc. endocriniens dits
la moitié des médicaments existants ! L’expérience consiste à mesurer l’activité de ces 40 molé- « organochlorés ».
cules, prises isolément, à diverses concentrations. Mais
DÉTECTER L’ACTIVATION DU RÉCEPTEUR surtout, à tester tous les binômes possibles, c’est-à-dire
780 paires de molécules, également à différentes concen-
En fait, PXR n’est activé que lorsque la concentration des trations. Un travail répétitif qui, heureusement, ne se fait
médicaments ou des hormones dépasse un certain pas à la main. Pour mettre en contact ces milliers de solu-
seuil. Pourquoi semble-t-il parfois beaucoup plus sus- tions avec des cellules humaines exprimant le récepteur,
ceptible ? Son efficacité serait-elle exacerbée par la pré- les biochimistes ont mis au point un dispositif de
sence simultanée de plusieurs composés chimiques ? « criblage moléculaire robotisé ». Celui-ci dépose les
RÉGIS DOMERGUE/BIOSPHOTO
C’est l’hypothèse testée par l’équipe montpelliéraine à mélanges sur des cellules humaines préalablement
partir de 40 molécules recensées par le programme Tox- modifiées pour que le récepteur PXR, une fois activé,
cast de l’Agence de la protection de l’environnement augmente la production d’une protéine luminescente, la
américaine. Ce programme de recherche recense en luciférase de luciole. La luminosité témoigne donc direc-
effet les molécules chimiques toxiques et identifie les tement de l’activation du récepteur. Ce criblage cellulaire
récepteurs sur lesquels elles agissent. Le récepteur PXR porte rapidement ses fruits. Deux substances sortent
Pesticide
Fig. 1 L’effet cocktail à la loupe Contraceptif
Contraceptif Pesticide
RN activé
Récepteur RN activé RN activé
nucléaire
(RN)
Noyau
ADN Production
Production
Production
Cytoplasme
Protéines Protéines
Cellule Protéines
1 2 3
L’hormone d’un contraceptif passe la membrane De la même façon, une molécule de pesticide Lorsque la cellule hépatique se trouve en
d’une cellule du foie, et se fixe au niveau du se fixe au niveau du récepteur nucléaire de présence des deux molécules, contraceptive
récepteur nucléaire. Activé, celui-ci va se fixer sur cette cellule du foie. Une fois activé, celui-ci et pesticide, le récepteur nucléaire voit son
l’ADN et génère la production de protéines. génère également une protéine de nettoyage. activation boostée. C’est l’« effet cocktail ».
Cape d’invisibilité
RECORD DE DISTANCE s’étaient introduites dans la porosité
pour la téléportation du rocher jusqu’à la période actuelle.
Dissimuler des objets en trois dimensions de quantique d’un photon à L. Aquilina et al., Scientific Reports,
taille micrométrique ? C’est possible grâce à travers une fibre optique, doi:10.1038/srep14132, 2015.
une structure de 0,08 micromètre d’épaisseur. quatre fois plus loin que
Il s’agit d’un isolant constellé de rectangles le record précédent. Cette
d’or de tailles différentes qui agissent comme
une antenne qui détourne la lumière.
prouesse technique devrait
accélérer le déploiement
Nous sommes
On reste toutefois loin de la cape d’invisibilité des réseaux d’information déterminés
d’Harry Potter. quantique. à promouvoir
X. Ni et al., Science, 349, 1310, 2015. H. Takesue et al., Optica, 2, 832, 2015.
l’exploration
du système
solaire, mais en
L’impact des particules fines sur la mortalité préservant les
environnements
naturels ”
9000
La Nasa, le10septembre,en
3000
réactionauxdéclarationsd’Elon
Décès dus à la pollution
Musk,quiproposedefaireexploser
700 desbombesnucléairessurMars
pouraidersacolonisation.
200
BIOLOGIE
20
Échange de gènes
Les champignons se développent de
2010 1
mieux en mieux dans le fromage, grâce
à leurs échanges de gènes. Une équipe
française a comparé les génomes de
La pollution de l’air, essentiellement par des particules fines, entraînerait dix espèces de champignons
la mort prématurée de 3,3 millions de personnes chaque année, aux trois Penicillium, dont P. roqueforti et
quarts en Asie. C’est l’un des enseignements d’une étude internationale qui,
JOHANNESLELIEVELD/MPG
J. Lelieveld et al., Nature, 525, 367, 2015. J. Ropars et al., Current Biology, 25, 1, 2015.
Un grand moment pour l’équipe de Ronald Hanson, de l’université de Delft, qui a réussi à Sylvain Guilbaud
tester de manière ultime les prédictions de la physique quantique. (1) B. Hensen et al., arXiv :1508.05949, 2015.
deux biologistes ont longtemps spermatogenèse. « Le tube les chercheurs affirment avoir (2) T. Yokonishi et al. Nat. Commun.,
doi:10.1038/ncomms5320, 2014.
cherché le système de culture d’hydrogel assure aux tubes obtenu des spermatozoïdes à
adéquat. Ils se sont appuyés séminifères que nous prélevons, partir des tubes séminifères (*) Un hydrogel est un matériau com-
portant une matrice de polymères gon-
sur les avancées de Laurent un confinement semblable à prélevés chez des rats, des
flée par une grande quantité d’eau ou de
David, de l’université de Lyon, celui des testicules, explique singes et des hommes infertiles. liquide biologique (tel un liquide nutritif).
dans le domaine des hydro- Marie-Hélène Perrard -Durand. « Il est impossible de vérifier (*) Le chitosane est un polymère
gels(*). Ainsi ils ont placé des Sa paroi permet la diffusion des leurs assertions. Nous ne dispo- obtenu à partir de la chitine, molécule
tubes séminifères dans des éléments nutritifs du milieu de sons pas d’informations sur composant la carapace des crustacés.
SANTE, SOCIAL
PARAMEDICAL
ETUDES
AVEC LE PARRAINAGE DU
METIERS D’AVENIR
> DÉVELOPPEMENT DURABLE ET ENVIRONNEMENT > JEUX VIDÉO ET CINÉMA D’ANIMATION
12 | 13 DÉCEMBRE CONFÉRENCES
ET RENCONTRES
PARIS | ESPACE CHAMPERRET
> PROGRAMME ET INVITATIONS
SUR
actualités PALÉOANTHROPOLOGIE
La Recherche. Une nouvelle espèce Homo. Par ailleurs, les mandibules décrites par
baptisée Homo naledi et découverte en l’équipe de Lee Berger sont graciles, ce qui n’est
Afrique du sud vient d’être décrite (1) . pas du tout le cas d’hominidés plus archaïques
Quelle est la portée de cette découverte ? comme les australopithèques et les paran
Sandrine Prat. Elle est majeure par le nombre de thropes, chez qui la hauteur de branche – la par
restes découverts. En 2013, l’équipe du paléon tie de la mandibule qui s’insère dans le crâne –
tologue américain Lee Berger, responsable des est très importante. De la même façon, les dents,
Sandrine Prat fouilles et de l’analyse des fossiles, a en effet de petite taille, sont compatibles avec les habi
exhumé 1 550 ossements appartenant à quinze tudes alimentaires des représentants du genre
individus différents. C’est le plus grand assem Homo. En fin de compte, ce n’est pas tant l’ap
SES DATES blage de fossiles mis au jour en Afrique, de quoi partenance de naledi au genre Homo que sa
DEPUIS 1998, elle remettre en question l’idée courante selon place dans l’arbre buissonnant de l’évolu
participe aux fouilles laquelle l’Afrique de l’Est serait le tion humaine qui est discutée par la
à l’ouest du lac Turkana seul berceau de l’humanité. En communauté scientifique.
dans le cadre de fait, il est très probable que PLUS QUE Et quelle est sa place,
la « mission préhistorique certaines espèces du genre selon vous ?
au Kenya ». Homo aient pu avoir des
L’APPARTENANCE À la fin de la publication,
DEPUIS 2004, elle origines indépendantes D’HOMO NALEDI AU Lee Berger – qui est un bon
est paléoanthropologue dans différentes régions GENRE HOMO, C’EST SA communicant – explique
au CNRS. d’Afrique. Par ailleurs, PLACE DANS L’ARBRE DE que si l’on arrive à prouver
DEPUIS 2013, elle est cette découverte confirme qu’Homo naledi est plus
coresponsable du la grande diversité des
L’ÉVOLUTION QUI EST ancien que deux millions
programme « Archéologie espèces au sein du genre EN QUESTION d’années, alors il serait à la
des origines », financé Homo et le schéma buissonnant base du genre Homo. Toutefois,
par l’Agence nationale de l’évolution humaine. aucune datation n’a pu être établie
de la recherche. L’attribution de ces fossiles au genre car les fossiles ont été retrouvés dans une
Homo est-elle prématurée ? cavité presque dépourvue de faune. Or la faune
Il me semble que non. Homo naledi s’inscrit bien associée aux fossiles est l’un des principaux indi
dans la variabilité morphologique du genre cateurs pour la datation. Pour donner un
Homo. Bien que son crâne soit comparable à exemple, la morphologie des dents des cochons
celui du genre Australopithecus par le volume, sa s’est modifiée à plusieurs reprises au cours du
forme bombée et arrondie le rapproche davan temps et l’on sait à quelles périodes ces change
tage du genre Homo. Contrairement aux idées ments sont survenus. Si bien que si l’on en
reçues, la capacité crânienne ne me semble pas retrouve aux côtés de fossiles humains, on peut
être un critère déterminant pour attribuer un en déduire l’âge approximatif de ces derniers.
fossile à une espèce ou à un genre. Dans le genre Quels fossiles de faune ont été découverts ?
Homo, l’homme de Florès (*) , par exemple, est Seules quelques dents de rongeurs ont été
doté d’un crâne de 380 à 424 cm3 seulement. Par retrouvées aux côtés des spécimens d’Homo
comparaison, l’australopithèque Lucy possède naledi. Hélas, l’analyse de ces restes n’a pas per
(*) Vieux de 18 000 ans, l’homme un crâne de 450 cm3. La capacité crânienne mis de déterminer l’espèce de ces rongeurs. D’où
de Florès a été découvert en Indonésie, d’Homo naledi – comprise entre 465 et 560 cm3 – l’impossibilité de les dater. Quant aux méthodes
en 2003. n’est donc pas en contradiction avec le genre traditionnelles de datation géologique, elles sont
DR
que les individus retrouvés dans la grotte passés les ossements manquants. du Sud, contient une foire aux
aient fait l’objet d’un rite funéraire (3) . Propos recueillis par Gautier Cariou questions, des photos, des vidéos
Qu’en pensez-vous ? (1) L. Berger et al., eLife, 4:e09560, 2015. et des infographies qui retracent
Le terme de « rite funéraire » me paraît osé et pré- (2) C. Stringer et al., eLife, 4:e10627, 2015. la découverte et l’analyse
maturé. Dans leur raisonnement, les auteurs (3) P. Dirks et al., eLife, 4:e09561, 2015. d’Homo naledi.
S qui constituent
notre ADN, seule
les séquences promotrices de ces
gènes – zones de l’ADN où se fixe
une centaine initie le dévelop- l’enzyme qui permet la trans-
pement de l’œuf lors des trois cription de l’ADN en ARN – se
premiers jours après la chevauchent avec des séquences
fécondation. Le plus intrigant : d’origine virale, ce qui signifie
ces gènes sont en interaction que le démarrage du pro-
avec des gènes d’origine virale, gramme génétique de l’em-
qui ont intégré l’ADN au fil de bryogenèse peut être sous l’in-
notre évolution. Cette décou- fluence de ces séquences, ce qui
verte a été réalisée par des bio- est tout à fait fascinant », sou-
logistes de l’Institut Karolinska, ligne Stéphane Viville, profes-
à Stockholm, et de l’université seur au CHU de Strasbourg.
de Bâle (1) . Dans les cellules de l’embryon de 2 jours, seuls 32 gènes sont activés. Le décryptage des gènes qui
Lorsqu’un spermatozoïde interviennent au tout début de
féconde un ovocyte, il se forme se divise en deux cellules, les collectées provenaient d’em- l’embryogenèse a également
une cellule comprenant leurs blastomères, qui se divisent à bryons surnuméraires issus de un intérêt dans le domaine de
chromosomes respectifs. C’est leur tour : quatre blastomères fécondations in vitro. Les cher- la fécondation in vitro. « Ce tra-
le zygote qui se divise ensuite sont visibles le deuxième jour cheurs ont analysé non pas les vail ouvre des pistes pour iden-
pour fournir l’ensemble des et huit le troisième jour. Les gènes, mais les ARN, c’est-à- tifier des marqueurs biolo-
cellules du futur embryon et du analyses ont été effectuées sur dire les copies réalisées lors du giques de la qualité des
placenta. Vingt-quatre heures des ovocytes, des zygotes et des processus de synthèse des pro- embryons précoces, et détermi-
après la fécondation, le zygote blastomères. Toutes les cellules téines. Ils ont ainsi pu séquencer ner ainsi leur viabilité avant
l’implantation, renchérit Sté-
phane Viville. En outre, cette
étude offre le moyen de mieux
DES VIRUS BÉNÉFIQUES À L’ÉVOLUTION définir le potentiel d’une cellule
souche : de déterminer si elle est
Depuis les années 2000, les scientifiques ont l’université Stanford. Nous avons récemment totipotente, plénipotente ou
constaté que le génome humain portait des découvert dans des cellules embryonnaires pluripotente… Autrement dit,
traces d’infections virales conservées au fil du sixième jour après la fécondation qu’une est-elle capable de produire
de l’évolution. Cette nouvelle étude suédoise séquence d’ADN provenant d’un virus était toutes les cellules de l’orga-
suggère que ces traces joueraient un rôle transcrite en ARN puis traduite en protéine. nisme et les tissus extra-
régulateur dans la transcription des gènes Ce virus aurait infecté l’ancêtre commun des embryonnaires ou seulement
PASCAL GOETGHELUCK/SPL/COSMOS
initiateurs du développement de l’embryon hu- hommes et des chimpanzés. Le plus intéressant les cellules de l’organisme ?
main. « De plus en plus de recherches montrent est que cette protéine d’origine virale stimule Ce sont des notions importantes
que le développement embryonnaire est sous les mécanismes immunitaires des cellules pour le développement de
l’influence de séquences répétées d’ADN viral, embryonnaires. » (1) la thérapie cellulaire. »
souligne Renee Reijo Pera, qui a dirigé le (1) E.J. Grow et al., Nature, Mathias Germain
centre de recherche sur les cellules souches de doi:10.1038/nature14308, 2015. (1) V. Töhönen et al., Nat. Commun., doi:
10.1038/ncomms9207, 2015.
Le carbone de l’océan
Austral mieux absorbé
L’océan Austral puise de nouveau du carbone dans
l’atmosphère. Une bonne nouvelle pour le climat.
L’ l’Antarctique ne
représente qu’un
par des travaux menés par
l’Agence américaine d’obser-
quart de la surface océanique vation océanique et atmosphé-
de notre planète. C’est pour- rique, dans le passage de
tant un puits de carbone essen- Drake (*) . Deux fois par mois,
tiel puisqu’il représente 40 % entre 2002 et 2015, l’équipe de
des absorptions océaniques du Colm Sweeney a réalisé des
carbone émis par les activités mesures du CO2 à la surface de
humaines. Le phénomène est l’océan, constituant un
lié à la différence de concentra- ensemble de données, notam-
tion en CO2 entre l’océan et ment hivernales, unique tant
l’atmosphère. Or, entre 1980 par le nombre que par la cou-
et 2000, les chercheurs en
avaient constaté la satura-
verture temporelle (3) . Et d’une
précision jamais égalée.
■ Le pacifiste,
tion (1) . La cause : l’intensité par haine de la guerre
des vents conduit à des TEMPÊTES SALUTAIRES
mélanges intenses entre les ■ Le poète, par antifascisme
eaux de surface et les eaux pro- Or, l’hiver, les tempêtes sont
fondes déjà riches en CO 2 plus fréquentes et font remonter ■ Le juif, par universalisme
anthropique. Surprise : une des eaux anciennes, dont la
étude internationale indique
que depuis 2002 la tendance
teneur en CO2 est nulle, vers la
surface dont elles ont été éloi-
■ Le savant, par la croyance
s’est inversée (2) . « Le compor- gnées depuis des centaines dans le progrès
tement de l’océan Austral a d’années. « Ces eaux n’ont pas
changé : le CO2 océanique a subi les conséquences de l’aug- ■ Le résistant, par amour
augmenté moins vite que dans
l’atmosphère, conduisant à une
mentation rapide de la concen-
tration de CO2 dans l’atmos-
de la liberté
intensification de la capacité phère. Elles contribuent donc à
d’absorption du puits de car- augmenter la capacité d’absorp- ■ Le prolo, pour faire carrière ?
bone, explique Nicolas Metzl, tion de l’océan », précise Colm
du laboratoire Locean et coau- Sweeney. Bérénice Robert ■ Le sorbonnard,
teur de l’étude. En séparant les
effets de la température et des
(1) C. Le Quéré et al., Science, 316, 1735, 2007.
(2) P. Landschützer et al., Science, 349,
par antiaméricanisme
mélanges verticaux avec les 1221, 2015.
eaux profondes, nous avons (3) D.R. Munro et al., Geophys. Res. Lett.
déterminé que cette tendance doi: 10.1002/2015GL065194, 2015.
est due à un refroidissement et à
un affaiblissement du mélange
(*) Le passage de Drake sépare le cap
Horn, à l’extrême sud de la Terre de Feu
actuellement en kiosque
des eaux. » en Amérique du Sud, de l’île Bridgeman.
Voici la première carte numérique des sédiments marins. Elle a été est supérieure de 30 % à celle des cartes habituelles, tandis que
réalisée par des géologues australiens à partir des données de celle des sédiments siliceux issus de microalgues, les diatomées
14 500 échantillons prélevés lors de campagnes marines, entre (vert clair), et du plancton, les radiolaires (vert foncé) est bien
1950 et aujourd’hui. Puis les zones non couvertes ont été remplies inférieure. La connaissance de cette répartition est indispensable
à l’aide d’un algorithme d’interpolation (1) . Surprise : la répartition pour comprendre les cycles biogéochimiques et la manière dont
sédimentaire est bien plus complexe que celle de toutes les cartes les dépôts profonds de sédiments répondent aux changements
dessinées à la main jusqu’ici, de même que la proportion des environnementaux de surface. Des informations qui nourrissent
différents types de sédiments. Ainsi, la couverture par les les modèles de changement climatique. Philippe Pajot
sédiments calcaires (bleu et bleu foncé) et argileux (marron foncé) (1) A. Dutkiewicz et al., Geology, doi :10.1130/G36883.1, 2015.
Une conférenc
l’ADN du noyau cellulaire dont dertaliens, estime le paléo-
e
il n’existe que deux copies par anthropologue Jean-Jacques
entrée gratuit
cellule. Et mieux conservé car Hublin. Cette analyse prouve
200 000 fois plus court… qu’il y avait des Néandertaliens,
Mais la médaille a son revers : ou des Néandertaliens primitifs
cet ADN mitochondrial se en Europe, il y a 400 000 ans. »
transmet uniquement par la Philippe Pajot
mère et ne se recombine pas. (1) M. Meyer et al., Nature, 505, 403, 2014. www.inserm.fr et www.cite-sciences.fr/citedelasante
L’ADN nucléaire, en revanche, (2) A. Gibbons, Science, DOI: 10.1126/
est issu pour moitié du père et science. aad1740, 2015.
Les étourneaux
topologues
es étourneaux sont-ils des spécialistes particularités de l’espace), cette hypothèse ne tient
L méconnus de l’étude des formes, autrement
dit, sont-ils des topologues ? Avant de répli-
pas. En étudiant les paramètres de tous les individus
d’une nuée, des statisticiens ont démontré que l’étour-
quer que la question est farfelue ou de me taxer neau se comporte en fait bien différemment : il
d’anthropomorphisme, commençons par une petite observe, outre l’environnement local, ses plus proches
séance d’observation. Les délicates arabesques de ces voisins sur ses côtés, en moyenne 7. Si la nuée est com-
nuées d’oiseaux correspondent à des configurations pacte, ces voisins seront effectivement proches, mais
géométriques évoluant au gré des courants d’air, des si le groupe se dilate, ils pourront être beaucoup plus
obstacles ou de la présence d’un prédateur. La précision éloignés. Ce qui signifie que le rayon de la zone avec
du mouvement illustre sans une forte interaction spatiale
l’ombre d’un doute qu’une de trajectoires n’est pas
forte organisation interne constant. Bien au contraire,
émerge des comportements LA TAILLE DE LA NUÉE puisqu’il évolue avec la densité
individuels. Les ornithologues, de la nuée.
ET LE NOMBRE D’OISEAUX
plus avertis, expliquent qu’il n’y
a pourtant pas d’étourneau en DONT LA TRAJECTOIRE EST CETTE CURIOSITÉ ÉTHO-
chef qui piaillerait des ordres LIÉE À CELLE D’UN LOGIQUE peut choquer l’ap-
comme on l’imagine pour une ÉTOURNEAU DONNÉ prenti topologue, mais il s’agit
parade militaire ou un meeting en fait d’un moyen habile de
AUGMENTENT DANS LES
aérien. Il s’agit donc d’un phé- faire apparaître ce qu’on
nomène d’auto-organisation : MÊMES PROPORTIONS appelle une invariance au
chaque étourneau cale sa tra- changement d’échelle : la cor-
jectoire sur le reste de la nuée. rélation entre deux trajectoires
Ou, plus précisément, il interagit avec ses voisins. évolue linéairement avec la taille de la nuée. Autrement
dit, en augmentant la taille de la nuée, on augmente
C’EST LÀ QU’INTERVIENT LA TOPOLOGIE : la dans les mêmes proportions le nombre d’étourneaux
notion de voisinage est bien connue des mathémati- dont la trajectoire est liée à celle d’un étourneau donné :
ciens puisqu’elle apparaît dès que l’on cherche à défi- on passe à 8, 9 voire 10 voisins observés. En consé-
nir les phénomènes de convergence vers une limite ou quence, une nuée, indépendamment de sa taille et de sa
les comportements asymptotiques. Par définition, un densité, conserve toujours la même évolution géomé-
ensemble est un voisinage d’un point (dans un espace trique, quelle que soit la dilatation. Voilà un caractère
muni d’une distance) s’il contient une boule centrée conservé au cours de l’évolution qui semble un avan-
sur ce point. On peut se demander si l’étourneau, fort tage adaptatif. Maintenant répondez à la question : les
d’un bagage de premier cycle universitaire, observe étourneaux sont-ils doués en topologie ? n
tous les autres étourneaux dans une boule de rayon * Roger Mansuy, professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris, nous raconte,
donné, puis s’il adapte sa trajectoire en conséquence. chaque mois, un thème mathématique inspiré par un exposé grand public
L’étude statistique des positions dans une nuée rejette qui a lieu régulièrement à l’Institut Henri-Poincaré.
cette hypothèse ; même en déformant la boule (donc
en changeant la notion de distance) pour tenir compte Retrouvez la conférence d’Ivan Corwin
de différents paramètres naturels (par exemple, en pre- sur ce thème : http://tinyurl.com/ivan-
nant en considération les directions privilégiées ou les corwin-conference
DR
3’:HIKOMB=^U[^UX:?k@a@b@f@p";
LR15_001Couv_001 1
www.larecherche.fr
les scientifiques
Ce que nous révèlent
HORS -SÉRIE
et sur smartphone
Actuellement en kiosque
La conscience
coma…
hallucinations,
rêves,
méditation,
Hypnose,
22/09/15 12:46
dossier
Créer, Peut-on calculer
1 c’est raisonner 2 le potentiel créatif ?
P. 36 P. 40
Les clés de la
CRÉATIVITÉ
La créativité naît de la contrainte, nous explique le
mathématicien Cédric Villani. Et il ne croit pas si
bien dire. Les scientifiques montrent aujourd’hui
que les idées vraiment originales n’émergent de
notre cerveau que si nous faisons l’effort d’inhiber
nos réponses immédiates et automatiques. Essen-
tielle à la créativité, cette tâche l’est aussi à l’appren-
tissage : cette forme d’inhibition permet à l’enfant Les designers et
les grands créateurs,
FRANÇOISE HUGUIER/AGENCE VU
Créer,
c’est raisonner
La créativité naît de l’affrontement, dans le cerveau, des intuitions susceptibles
de conduire à des blocages et des raisonnements cherchant à générer de la rupture.
Mathieu Cassotti, maître de conférences, et Marine Agogué, professeure à HEC Montréal
I
Repères maginez que vous soyez invité à générer que la parcelle recouvre entièrement le lac, com-
le plus de solutions créatives et originales bien de jours faudra-t-il pour que la parcelle
n Lorsque nous cherchons possibles répondant au problème sui- recouvre la moitié du lac ? » Cette classe de pro-
à être créatifs, des vant : « Faire en sorte qu’un œuf de poule blèmes arithmétiques régulièrement évoquée
solutions nous viennent
très vite à l’esprit. Elles
lâché d’une hauteur de 10 mètres ne se par le psychologue lauréat du prix Nobel d’éco-
sont rarement originales casse pas ». Quand nous avons posé cette nomie Daniel Kahneman peut sembler à pre-
et peuvent comporter question à plus de 800 participants, nous avons mière vue aussi élémentaire que futile. D’autant
des erreurs logiques. réalisé que beaucoup de réponses, qui se veulent que, de façon intuitive, une première réponse
n Cet effet dépend de pourtant créatives, sont très souvent semblables. nous vient spontanément à l’esprit : 24 jours. Il
l’âge et de la formation, De façon automatique, un ensemble de connais- est vrai que, la plupart du temps, pour obtenir la
et peut être atténué ou
sances sur des solutions classiques viennent à moitié d’un ensemble, il suffit d’effectuer une
augmenté selon que
nous sommes confrontés l’esprit pour résoudre ce problème. Ainsi, vous division par deux. L’usage quotidien vérifie d’ail-
ou non à des exemples aurez sans doute pensé à des solutions qui leurs parfaitement cette règle simple.
de solution. consistent à utiliser un dispositif physique afin
n Pour générer des idées de ralentir la chute de l’œuf (par exemple en lui INHIBER LE PROCESSUS DE DÉDUCTION
différentes et en rupture, attachant un parachute), de le protéger (par AUTOMATIQUE ET TROMPEUR
il faut être capable exemple en utilisant du papier bulle) ou d’amor-
d’inhiber ces réponses
automatiques. Une tâche
tir le choc (par exemple en mettant un matelas Par exemple, s’il faut 20 jours à des peintres pour
qu’exécute le cortex au sol). Or le fait que ces conceptions soient aisé- repeindre l’intégralité d’une façade d’un bâti-
préfrontal. ment accessibles en mémoire peut conduire à ment, il est tout à fait raisonnable de penser que
limiter considérablement nos capacités créa- 10 jours seront nécessaires pour en repeindre la
tives, et à nous enfermer dans des solutions peu moitié. Mais alors, pourquoi un Prix Nobel d’éco-
originales : c’est ce que l’on appelle « l’effet de nomie s’embarrasse-t-il avec un problème de ce
fixation ». Ainsi, nous sommes biaisés lorsque type pour illustrer les limites des compétences de
nous cherchons à être créatifs. Comment com- raisonnement et de prise de décision des indivi-
prendre ce phénomène surprenant, allant à l’en- dus puisque sa résolution est si évidente pour ne
contre d’une vision romantique de la créativité pas dire triviale ? Tout simplement parce que cette
comme un processus simple et intuitif ? Pour réponse qui survient avec force à l’esprit est
cela, il faut avoir en tête la manière dont notre fausse ! Non, il ne faudra pas 24 jours pour que la
cerveau raisonne. parcelle de nénuphars recouvre la moitié du lac.
Prenons un autre petit problème. « Dans un lac, En répondant ainsi, nous négligeons une partie
il y a une parcelle de nénuphars. Chaque jour, la fondamentale du problème, à savoir que chaque
parcelle double de taille. S’il faut 48 jours pour jour, la parcelle double de taille. Dans ce contexte,
Fig.1 Les types de problèmes traités par nos deux systèmes de pensée
SYSTÈME S’orienter vers la source d’un SYSTÈME d’une personne particulière dans
2
une salle comble et bruyante
1
bruit soudain
Faire une grimace de dégoût face Fouiller dans sa mémoire
à une image horrible pour identifier un son surprenant
Détecter l’hostilité d’une voix Se garer sur une place exiguë
Comprendre des phrases simples Remplir sa déclaration d’impôt
Conduire une voiture sur une Vérifier la validité d’un argument
route déserte logique complexe
Marcher plus vite qu’il ne nous
est naturel
D’après Daniel Kahneman, Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011.
l’approche cognitive de la créativité a permis ralentir la chute ne sont quasiment jamais men-
d’identifier des phénomènes de blocage dans la tionnées à l’inverse des ingénieurs, pour lesquels
génération d’idées. Les individus tendent effec- l’exploration de cette catégorie est une priorité.
tivement à suivre « le chemin de la moindre résis- Ces différences dans la nature de la fixation ne
tance » et proposent des solutions qui sont résultent pas d’une absence de connaissance,
construites sur un ensemble de connaissances comme l’attestent les entretiens qualitatifs que
aisément accessibles en mémoire. C’est exacte- nous avons réalisés avec les enfants (qui
ment ce qui se passe dans la tâche de l’œuf. Dans connaissent très bien les parachutes et les tobog-
une série d’études réalisées au sein de la chaire gans !), mais suggèrent que les opérations men-
Théorie et Méthodes de la conception innovante tales conduisant à des solutions se développent
de Mines ParisTech, nous avons confirmé l’exis- avec l’âge et peuvent être influencées par des
tence, chez des étudiants en psychologie, des apprentissages spécifiques.
ingénieurs et des entrepreneurs, d’un phéno- Les instituteurs ont souvent recours à des
mène de blocage sur un nombre limité d’alterna- exemples de solutions pour faciliter la compré-
tives, alors que des solutions différentes et en hension d’un problème et rendre plus accessible
dehors du cadre sont possibles. En effet, les solu- sa résolution. Si le rôle positif des exemples n’est
tions qui consistent à amortir le choc, protéger plus à démontrer dans ce type de situation, leur
l’œuf ou à ralentir la chute sont surreprésentées efficacité est davantage sujette à controverse lors-
par rapport aux autres voies d’explorations pos- qu’il s’agit non plus de découvrir « LA solution »
sibles. Rares sont les participants qui évoquent la mais de générer une variété d’alternatives. En
possibilité de modifier les propriétés naturelles effet, si les idées peuvent être de nature différente
de l’œuf (le congeler) ou d’utiliser un dispositif (dans la fixation ou bien en dehors de la fixation),
vivant (le faire transporter par un pigeon). le choix de l’exemple pourrait contraindre la
génération d’idées créatives dans certaines cir-
DES VARIATIONS SELON L’ÂGE constances mais être au contraire une source
d’inspiration dans d’autres. Dans ce contexte, a
Si, globalement, les catégories appartenant à la émergé l’idée qu’au-delà de la présence ou non
fixation représentent plus de 80 % des solutions d’un exemple, la nature de celui-ci est susceptible
proposées, nous avons cependant identifié des de provoquer des effets opposés sur la capacité à
différences subtiles liées à l’âge et à la nature de la générer des idées. C’est l’hypothèse que nous
formation initiale (3, 4). Ainsi, alors que les enfants avons testée directement en proposant à des
(*) Les fonctions exécutives
sont les capacités d’inhibition présentent bien une fixation massive sur les caté- individus la tâche de l’œuf seule ou accompagnée
et de changement de stratégie gories consistant à protéger l’œuf ou à amortir le d’exemples de solutions choisis soit parmi les
en mémoire de travail. choc de la chute, les solutions qui impliquent de catégories appartenant à la fixation (par exemple
8O %
leur performance à des tests mesurant l’inhibi- de contrôle exécutif et plus particulièrement de
tion cognitive (5) . Cela suggère que, comme dans l’inhibition dans la créativité lorsqu’il s’agit de
le raisonnement et la prise de décision, résister s’écarter des représentations classiques que l’on
aux intuitions en créativité requiert un processus a de l’usage d’un objet que l’on connaît bien.
de contrôle cognitif. Aujourd’hui, le regard que les scientifiques
portent sur la créativité a beaucoup évolué. Le
ACTIVER LE CONTRÔLE COGNITIF raisonnement créatif est loin d’être un processus DES SOLUTIONS AU
lié au hasard, spontané et facile, réservé à PROBLÈME proposé
Or un tel processus existe dans le cerveau, c’est quelques individus chanceux. Il nécessite que à un échantillon de
ce qu’on appelle l’inhibition cognitive. Sa conno- des solutions faciles, intuitives et susceptibles de 800 personnes et libellé
tation est négative. Pourtant, l’inhibition cogni- conduire à des blocages (dans le système 1) ainsi : « Faire en sorte
tive est une capacité fondamentale : c’est une soient inhibées activement. Cela permet l’explo- qu’un œuf lâché d’une
forme de contrôle neurocognitif et comporte- ration et l’élaboration d’idées fondamentale- hauteur de 10 mètres ne se
mental qui permet notamment de résister aux ment différentes, surprenantes, originales (dans casse pas », consistent à
habitudes. Est-il impliqué dans le dépassement le système 2). Ce raisonnement peut à la fois faire amortir le choc, à protéger
des effets de fixation ? Force est de constater que l’objet d’apprentissages spécifiques et conduire l’œuf ou à ralentir sa chute.
l’inhibition cognitive et, plus généralement, les à des logiques de management dans les équipes
fonctions exécutives (*) ont été globalement et les organisations qui permettent de libérer le
négligées dans le domaine de la créativité. Pour potentiel créatif. n
générer des idées nouvelles, on considère sou- (1) Daniel Kahneman, Système 1, système 2, les deux vitesses de
vent qu’il faut au contraire lever une forme d’in- la pensée, Flammarion, 2011.
hibition sociale qui viendrait entraver l’expres- (2) Olivier Houdé, Le Raisonnement, PUF, 2014.
sion de solutions originales. Cette vision (3) M. Agogué et al., The Journal of Creative Behavior, 48, 1, 2014.
réductrice de l’inhibition ignore la nécessité de (4) M. Agogué et al., Thinking Skills and Creativity, 11, 33, 2014.
résister à des effets de fixation pour pouvoir être (5) S. Edl et al., Personality and Individual Differences, 69, 38, 2014.
Peut-on calculer
le potentiel créatif ?
Qualité recherchée sur le marché de l’emploi et dans la vie personnelle,
la créativité se mesure aujourd’hui grâce à des tests psychologiques.
Mais ceux-ci n’évaluent qu’une partie du potentiel créatif.
Anne Debroise, journaliste
C
Repères itez toutes les utilisations pos- Pour Todd Lubart, directeur du laboratoire adap-
sibles d’une brique… Vous tations travail-individus (Lati), à l’université
n La créativité est avez une minute ! Voilà le Paris-Descartes, « la créativité est considérée
la capacité à réaliser une genre de questions auxquelles comme une compétence clé que l’on cherche à
production originale et
appropriée, quel que soit
vous pourriez être soumis lors développer dans les programmes éducatifs euro-
le domaine d’expression. d’un entretien d’embauche. Il péens et américains. On estime désormais que c’est
n Le test le plus utilisé
s’agit d’une des manières, aujourd’hui clas- un facteur déterminant pour le succès dans sa vie
pour l’évaluer, appelé siques, de mesurer votre degré de créativité. professionnelle. De nombreuses conférences sont
test de Torrance, mesure Autrefois méprisée, interprétée comme le témoi- organisées sur le sujet pour stimuler l’économie. »
la capacité à émettre gnage d’un esprit fantasque et provocateur, cette Nombreux sont les séminaires qui proposent
des idées variées et
qualité est en effet désormais considérée comme d’apprendre à débrider et augmenter sa créati-
originales, mais pas
l’aptitude à les mettre une clé de la réussite professionnelle, notam- vité. Mais pour développer de tels outils, encore
en œuvre. ment dans des postes d’entrepreneur. L’évaluer faudrait-il savoir la mesurer !
n D’autres tests sont de manière objective, par des tests inspirés de ce Or la créativité ne se laisse pas mettre en boîte si
en cours d’élaboration, que les neuroscientifiques sont en train de facilement, comme l’explique John Kounios, de la
qui évaluent ce volet découvrir du processus créatif, est devenu un Drexel University, aux États-Unis : « La créativité est
important de la créativité, enjeu des sciences de l’éducation et de la psy- une collection de processus très divers qui impliquent
nommé pensée
convergente.
chologie d’entreprise. des aires du cerveau différentes » [Fig. 1] .
Car la créativité n’est pas l’apanage des artistes.
Pour les psychologues et les neuroscientifiques TESTS DE PENSÉE DIVERGENTE
qui l’étudient, elle peut s’observer dans tous les
domaines. « Selon la définition la plus largement Parmi ces processus cognitifs, le psychologue
acceptée, la créativité est la capacité à réaliser énumère : l’analyse du problème ou du but
une production originale et appropriée, quel que recherché, l’imagination de solutions diverses et
soit le domaine d’expression », indique Emma- nombreuses, éloignées des solutions conven-
nuelle Volle, de l’Institut du cerveau et de la tionnelles, l’évaluation de la pertinence et de la
moelle épinière, à Paris, On peut donc exprimer faisabilité des solutions envisagées, leur mise en
sa créativité par la peinture ou la musique, mais œuvre pratique. Pour beaucoup de psycholo-
aussi en posant une hypothèse scientifique, en gues, un esprit n’est pas complètement créatif si
imaginant une expérience, en cuisinant, en bri- la création ne voit pas le jour ou manque son but.
colant, en mettant au point un nouveau produit Même les artistes n’échapperaient pas à cette
commercial ou une publicité à succès. dimension utilitaire de la créativité : les idées qui
solutions à un problème. Il l’opposait à la pensée tests graphiques et/ou des tests verbaux.
convergente, qui consiste à écarter des options Dans la première catégorie, on propose aux can-
pour n’en sélectionner qu’une seule. Pour lui, la didats de dessiner tout ce qui leur vient à l’esprit
pensée divergente pouvait être évaluée selon à partir d’un élément fourni, par exemple des
quatre critères : la volubilité (le nombre de cercles. Certains utiliseront les cercles pour des-
réponses pertinentes apportées), la flexibilité (la siner des visages en quantité, et ils feront
ainsi preuve de volubilité. D’autres produi- Ensuite, parce qu’un candidat qui passe plu-
ront des images entrant dans de nombreuses sieurs variantes de ces tests obtient à peu près les
catégories (un visage, une roue, un ballon…) : ils mêmes résultats. Mais le psychologue a poussé
se montreront flexibles. D’autres feront preuve plus loin la vérification. Il a organisé au fil de sa
d’originalité, imaginant une bombe, une pla- carrière plusieurs études sur les élèves de l’école
nète, un trou de serrure… Enfin, certains dessi- élémentaire qu’il avait testés dans le Minnesota
neront peu, mais avec une profusion de détails : en 1958 pour juger de la réalisation effective de
leur créativité sera alors jugée élaborée. leur potentiel créatif. La dernière étude longitu-
Les multiples usages de la brique figurent dans la dinale de ce type a eu lieu en 2010 (après la mort
ELLIS PAUL TORRANCE version verbale des tests de Torrance. En effet, on de Torrance en 2003) (1) .
(1915-2003) s’est inspiré demande alors aux candidats d’imaginer des
des recherches sur la fonctions nouvelles et utiles pour un objet fami- LA MISE EN ŒUVRE NÉGLIGÉE
pensée divergente menées lier, comme une brique, un stylo ou un trom-
par le psychologue bone. Ce dernier peut par exemple servir à À cette occasion, 60 anciens élèves furent
américain Joy Paul assembler des feuilles, mais peut aussi faire conviés, cinquante ans après leur évaluation, à
Guilford pour créer en office de bouton de manchette, de boucle répondre à des questionnaires sur leur mode de
1966 le « test de pensée d’oreille, de marque-page, d’outil pour réinitiali- vie, leurs réussites personnelles (action dans des
créative de Torrance ». ser un ordinateur, de minitrombone à coulisse à groupes de travail, conception d’une maison,
Ce test est le plus utilisé intégrer à une figurine, etc. D’autres tests création d’un programme éducatif, hob-
aujourd’hui pour évaluer consistent à réécrire l’histoire (que se serait-il bies, etc.), et publiques (diplômes obtenus,
la créativité. passé si les Américains n’avaient pas posé le pied reconnaissances professionnelles, carrière, etc.).
sur la Lune ?), à imaginer les conséquences d’une Les réponses étaient évaluées par des experts.
situation insolite (que se passerait-il si l’on pou- Selon les auteurs, « les scores du test de Torrance
vait changer de sexe ?), ou le début d’une histoire sont effectivement corrélés à un accomplissement
dont la fin est fournie… personnel. » En revanche, « ils ne sont pas reliés à
Ces tests donnent des résultats cohérents : l’accomplissement public ». Une efficacité en
d’abord, comme Ellis Paul Torrance l’a lui-même demi-teinte, donc…
vérifié, parce que les scores obtenus dans chaque En outre, si un bon score au test de Torrance
catégorie varient peu selon l’examinateur. semble bien prédire une meilleure capacité à la
réalisation personnelle, rien ne dit si ces réalisa-
tions ont été réellement créatives. Et c’est l’un
des reproches principaux faits aux tests de Tor-
LE RÔLE FLOU DU CORTEX FRONTAL rance : ils évaluent la capacité à émettre des idées
variées et originales, mais pas la capacité à les
Dans quelle zone céré- Selon des profession- rôle important des zones mettre en œuvre. Qui, elle, exige des qualités bien
brale la créativité naît- nels, elle faisait même frontales et préfrontales différentes. Dans ces tests, les idées pertinentes
elle ? La question n’est preuve d’un sens de la dans la créativité. Mais et constructives n’ont pas plus de valeur que des
pas simple, comme en composition étonnant il existe des cas de pa- propositions peu appropriées. Ainsi, dans les
atteste le cas de M me pour quelqu’un qui tients atteints de DFT multiples usages que l’on peut faire d’une brique,
YCFZ, 83 ans. En 2014, n’avait jamais dessiné. chez lesquels l’activité on peut répondre « assommer ma vieille voi-
Emmanuelle Volle, de Son IRM a révélé une artistique semble exa- sine ». Ce qui sera sûrement jugé original, mais
l’Institut du cerveau et dégénérescence du cerbée. » Cette ardeur ne s’avère guère constructif.
UNIVERSITY OF GEORGIA COLLEGE OF EDUCATION
de la moelle épinière, a lobe frontal (DFT). « Le artistique reflète-t-elle Pour Todd Lubart, les scores de Torrance « ne per-
décrit le comportement plus souvent, les pa- une augmentation de la mettent pas de capter l’ensemble du processus
de cette vieille dame (1). tients atteints de DFT créativité ? La réponse à créatif. Ils s’intéressent à l’idéation, mais négligent
Depuis deux ans, celle- voient une diminution cette question permet- l’analyse du problème, l’évaluation des idées et
ci effectuait des gestes de leurs capacités créa- trait de préciser le rôle, enfin leur implémentation. » Des processus fai-
répétitifs (comme ranger tives évaluées par des peut-être ambigu, que sant plutôt appel à la pensée convergente. Sans
son sac ou manger une tests psychométriques, joue le lobe frontal dans cette capacité à analyser les différentes solutions,
banane à heure fixe), et explique la chercheuse. le processus créatif. se concentrer sur la plus pertinente et la plus effi-
s’était mise à dessiner Ces études ont d’ailleurs (1) L.C de Souza et al, Frontiers cace, l’améliorer, s’organiser pour la mettre en
de manière compulsive. permis d’identifier le in Psychology, 5, 761, 2014. œuvre, pas de création. La pensée convergente
Cortex temporal
Manipulation
de nos connaissances
sur le monde
jouerait notamment un grand rôle quand un à une fin d’histoire. Viennent ensuite les épreuves
entrepreneur sélectionne les idées promet- de pensée convergente (ou intégrative). On
teuses, et au moment où il détermine si un pro- demande à l’enfant de combiner des éléments
cessus de création est abouti ou s’il doit encore le fournis pour élaborer un dessin, ou de combiner
travailler. Avec son équipe de l’université de des personnages qui lui sont décrits pour bâtir
Paris-Descartes, Todd Lubart a donc entrepris de une histoire.
développer une autre batterie de tests, destinée Les productions sont évaluées avec une échelle
aux enfants et baptisée Epoc (évaluation du de Likert (qui consiste à demander à l’enfant lui-
potentiel créatif des enfants) (2) . Celle-ci évalue même s’il est plus ou moins d’accord avec telle
INFOGRAPHIE : SYLVIE DESSERT
dans un premier temps la pensée divergente appréciation de sa création), mais peuvent aussi
exploratoire : un élément de dessin est fourni à être soumises à un panel d’évaluateurs, en géné-
l’enfant, qui doit à partir de là élaborer d’autres ral des professeurs ayant été formés à ce type
dessins, les plus nombreux et variés possibles. De d’évaluations. L’ensemble des réponses définit
la même manière, il doit aussi trouver un maxi- un profil de potentiel créatif, avec des scores plus
mum de fins à un début d’histoire ou de débuts ou moins élevés dans les quatre domaines
connu pour ses poèmes, ni Rimbaud musique, écriture créative, danse, théâtre, archi-
tecture, humour, découverte scientifique, inven-
pour ses démonstrations. tions et arts culinaires). Dans chaque domaine,
celui-ci coche des exemples précis de réussite
(citation de son talent musical dans une revue
testés : pensée divergente graphique et ver- locale, obtention d’une bourse de recherche, etc.),
bale, pensée convergente graphique et verbale. et obtient des points qui permettent de calculer
Comme la plupart des autres tests, la version un score. Mais la liste des questions, forcément
actuelle du test Epoc suppose que la créativité restrictive, limiterait encore le champ de la créa-
s’exprime essentiellement dans le langage et le tivité, en excluant de fait les réalisations les plus
dessin. Pourtant, il y a d’autres formes de créati- originales.
vité, admet Todd Lubart : « On peut être très créa- Le test idéal pourrait émerger d’une meilleure
tif dans un domaine mais peu dans l’autre : par compréhension des processus créatifs grâce à
4
exemple en science et pas en littérature ». C’est la l’imagerie médicale. Depuis une quinzaine d’an-
raison pour laquelle Einstein n’est pas connu nées, les publications en neurosciences s’intéres-
pour ses poèmes, ni Rimbaud pour ses démons- sant au mécanisme de la créativité et à ses mani-
CRITÈRES trations mathématiques ! Or ces nuances seraient festations dans le cerveau se multiplient.
très utiles : « Il serait intéressant de pouvoir aider Celles-ci souffrent cependant du manque d’har-
les gens à identifier dans quel domaine ils ont du monie dans la définition de la créativité et dans
potentiel et à développer leur créativité, pour les méthodes pour provoquer et évaluer le pro-
SELON LE PSYCHOLOGUE trouver un travail qui leur convienne mieux par cessus créatif. En 2010, le neuropsychologue Rex
JOY PAUL GUILFORD , exemple, dans lequel ils se révéleraient plus per- Jung, de l’université du Nouveau-Mexique, avait
permettent d’évaluer formants ». Il étudie d’ailleurs comment tester la tenté de dresser le bilan de 45 études d’imagerie
la créativité : la volubilité, créativité musicale, scientifique ou sociale. Cette cérébrale traquant les circuits de la cognition
la flexibilité, l’originalité diversité n’est aujourd’hui présente que dans un créative dans le cerveau (4) : il y trouvait presque
des idées et l’élaboration. type de tests : les tests biographiques. autant de tests différents que d’études ! Une
diversité qui empêchait toute interprétation…
QUESTIONNAIRE DE RÉUSSITE CRÉATIVE Et d’appeler de ses vœux une révision et une har-
monisation des tests psychométriques… n
Ces tests biographiques, qui ne s’adressent
qu’aux adultes, consistent à questionner les gens (1) M.A. Runco et al., Creativity Research Journal, 22, 361, 2010.
sur les créations qu’ils ont effectivement réali- (2) T. Lubart et al., Évaluation du potentiel créatif (EPoC). Paris :
sées au cours de leur vie. Le « questionnaire de Hogrefe France, 2011.
réussite créative » (Creative Achievement Ques- (3) S. Carson et al., Creativity Research Journal, 17, 37, 2005.
tionnaire) (3) développé par un groupe de psy- (4) R. Arden et al., Behav. Brain Res., 214,143, 2010.
apprend à résister à ses Livres n Jacques Hadamard, Essai sur Development, and Practice, Villani-Beffa
intuitions », juillet 2014, p. 62. n Daniel Kahneman, Système 1, la psychologie de l’invention Elsevier, Academic Press, 2007. Conférence sur la créativité en
n Marie-Pier Elie, « Imagine – système 2, les deux vitesses de dans le domaine mathématique, n Todd Lubart, Psychologie de la musique et en mathématiques,
Jonah Lehrer », septembre 2012, la pensée, Flammarion, 2011. Henri Poincaré, L’Invention créativité, Armand Colin, 2003. de Cédric Villani et Karol Beffa
p. 104. n Jacques Cottraux, À chacun mathématique, Éditions Jacques n Howard Gardner, Les Formes à l’École Normale supérieure,
n Olivier Houdé, « L’intelligence sa créativité. Einstein, Mozart, Gabay, 2007. de la créativité, Odile Jacob, 2001. juin 2014.
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Environnement
LE PRIX
Un virus géant
dans le sol gelé sibérien
La découverte d’un nouveau virus géant, près de dix fois plus gros que les virus habituels, et doté
d’un génome aussi complexe que celui des bactéries bouscule le regard que l’on porte sur le vivant.
Anne Debroise, journaliste
U
n virus dix fois plus gros Mieux. Ces deux dernières familles, les Pithovirus Repères
que la normale ! Voici la et Mollivirus, ont été identifiées dans le sol gelé
taille du micro-orga- sibérien, le pergélisol, où les virus étaient restés n Pithovirus sibericum est
nisme dévoilé en 2014 inactivés pendant trente mille ans. Avec cette le plus gros virus géant
identifié à ce jour.
par l’équipe de Jean- découverte, les microbiologistes confirment que
n Sa découverte, dans un
Michel Claverie au les virus géants sont présents partout où on les
échantillon de sol gelé
laboratoire d’informa- cherche, y compris dans les milieux les plus sibérien, démontre que
tion génomique et improbables. En réactivant le virus après son les virus géants sont
structurale de Marseille (1) . Alors que les manuels long séjour dans les glaces, ils pointent aussi du nombreux et diversifiés.
de biologie présentent encore les virus comme doigt le danger représenté par l’exploitation des n D’autres virus, présents
des organismes de petite taille, entre 0,01 et sols arctiques, rendue possible par le change- dans le pergélisol,
pourraient être réactivés
0,3 micromètre (μm), le Pithovirus sibericum fait ment climatique. Enfin, ils alimentent la polé-
à l’occasion du
figure de géant. Sa capside, la structure qui mique ouverte avec Mimivirus il y a douze ans : réchauffement climatique.
entoure le génome, atteint 1,5 μm de long… soit faut-il désormais considérer les virus comme des
la taille d’une belle bactérie. L’équipe n’en est pas êtres vivants ? Une polémique qui pourrait bou-
à son coup d’essai, puisqu’elle avait déjà parti- leverser toute l’histoire de la vie terrestre.
cipé à l’identification de la première espèce de Comment en est-on arrivé là ? Pour Chantal
virus géant, Mimivirus, en 2003 (0,5 μm de dia- Abergel, coauteur de ces découvertes successives
MGTHERINWEISE/GETTYIMAGES
mètre) (2) , puis découvert la famille des Pando- et chercheuse dans le laboratoire de Jean-Michel
ravirus, en 2013 (1 μm de long) (3) . En accrochant Claverie, l’histoire de cette publication a com-
à son tableau de chasse cette troisième famille de mencé en 2012 : « Une nouvelle extravagante fai-
virus géants, à laquelle il vient d’ajouter en sep- sait le tour du Web : une équipe russe avait réussi
Le dégel des terres
tembre dernier celle des Mollivirus, le laboratoire à faire germer une graine de plante à fleur qui sibériennes libère des virus
marseillais peut s’enorgueillir d’avoir ouvert une avait été enfouie dans le sol gelé sibérien trente enfouis sous les glaces
nouvelle branche de la biologie. mille ans auparavant par un écureuil. depuis trente mille ans.
N°505 • Novembre 2015 | La Recherche • 47
fondamentaux
Environnement
À Marseille, nous nous sommes dit : s’ils ont ment bactériens. Ils l’observent au microscope
redonné vie à une plante, nous devrions être électronique. Et découvrent alors une forme ico-
capables de faire de même avec des virus ! » saédrique (un polyèdre à 20 faces), typique des
Contact est pris avec l’équipe russe, qui accepte virus. D’où la dénomination de Mimivirus.
de faire parvenir au laboratoire un échantillon de L’expérience exacerbe la curiosité des microbio-
sol gelé extrait du pergélisol de la région de logistes pour les échantillons exotiques. Per-
Chukotka, dans l’extrême nord-est sibérien. suadé que Mimivirus n’est pas un « phénomène
de foire » mais le premier exemplaire d’un
LE PREMIER EXEMPLAIRE D’UN MONDE monde totalement ignoré des biologistes,
TOTALEMENT IGNORÉ DES BIOLOGISTES Jean-Michel Claverie passe au crible les banques
de gènes séquencés lors des expéditions mari-
La démarche surprend moins quand on connaît times de Craig Venter entre 2004 et 2006 dans la
la courte histoire de la découverte des virus mer des Sargasses. Il identifie des centaines de
géants. L’échantillon dans lequel figurait le pre- séquences caractéristiques des Mimivirus…
mier de ces micro-organismes provenait d’une Avec Chantal Abergel, il se rend dans plusieurs
collection de prélèvements effectués en 2002 stations biologiques à travers le monde afin d’ef-
dans les tours de refroidissement d’un hôpital fectuer des prélèvements dans les milieux natu-
britannique. L’établissement était alors le théâtre rels les plus divers possibles. Ils reviennent avec
de nombreux cas de pneumonie. Ayant été obser- Megavirus chilensis qui pourrait être classé, avec
La particule virale
vée au microscope optique, la particule avait été Mimivirus et d’autres organismes identifiés par
du Pithovirus est entourée
d’une enveloppe épaisse d’emblée rangée parmi les bactéries puisque les le groupe de Didier Raoult, dans une grande
de 0,06 micromètre en forme virus ne sont pas visibles avec ce type d’appareil. famille : les Mégavirus. Mais surtout, ils extraient
d’amphore. À l’extrémité Mais quand, en 2012, la collection parvient dans de sédiments profonds du Chili, et d’une mare
se trouve l’ouverture le laboratoire du virologue Didier Raoult, à la d’eau douce australienne, deux exemplaires qui
par laquelle elle injecte
son matériel génétique faculté de médecine de Marseille, les chercheurs ne semblent pas partager grand-chose avec leurs
et des protéines à l’intérieur sont intrigués par cette bactérie : après analyse, prédécesseurs : Pandoravirus salinus et Pando-
de la cellule qu’elle infecte. elle s’avère dépourvue de certains gènes typique- ravirus dulcis sont encore plus gros, exhibent
une capside allongée, et comptent environ
2 500 gènes. Le monde des virus géants apparaît
plus diversifié qu’on ne le croyait.
Un réveil alarmant
Faut-il craindre le réveil de La réactivation de Pithovirus sous l’effet du réchauffement pathogènes pour l’homme et
micro-organismes pris dans sibericum après plus de trente climatique ouvre en effet des les animaux ». Il n’est pas ex-
les sols gelés de l’Arctique ? mille ans de sommeil indique voies maritimes vers ces sols clu, par exemple, que ces sols
Ceux-ci offrent en effet des que les virus, eux, supportent riches en pétrole, en gaz na- sibériens renferment encore des
conditions de conservation très bien une telle hiberna- turel, en charbon, en or et en particules de variole, une mala-
optimales pour la matière or- tion. Le virus, qui infectait des tungstène. Leur exploitation mi- die qui a sévi en Sibérie avant
ganique : pH neutre, pauvreté amibes au Pléistocène, une nière et industrielle va mettre en d’être éradiquée de la surface
en oxygène (ce qui empêche époque où vivaient encore contact des hommes avec des de la Terre par des campagnes
la fermentation), absence d’es- les derniers représentants de virus qui y sont enfouis depuis de vaccination.
pèces chimiques oxydantes… l’homme de Neandertal, a repris des millénaires. Pour Richard Pour évaluer le danger, le labo-
Ces conditions permettent la sans dommage apparent son Sempéré, directeur de l’Institut ratoire d’information génomique
préservation de l’ADN pendant cycle de prolifération. méditerranéen d’océanologie, et structurale de Marseille re-
plus d’un million d’années. On L’expérience pointe le danger il s’agit d’un danger à prendre cherche des séquences virales
supposait cependant qu’elles ne représenté par l’exploitation très au sérieux, car « on va re- connues dans des couches de
permettaient pas de conserver des sols des hautes latitudes. mettre en circulation des micro- sol sibérien affichant jusqu’à un
les organismes qui les abritent. La fonte de la banquise arctique organismes qui pourraient être million d’années.
Environnement
Q
uel est le point com- seulement 0,4 % d’air dans un volume d’eau, la
mun entre le fait de vitesse du son dans le liquide chute de 1 500 m/s
se délasser dans un à 200 m/s. On peut mettre en évidence ce phéno-
bain, de se délecter mène avec l’effet « chocolat chaud » : tapotez
d’ u n e c h a n t i l l y votre cuillère sur le fond de votre tasse dans
onctueuse et d’être laquelle vous venez de dissoudre le chocolat en
de corvée de vais- poudre. Au début, la fréquence de la note pro-
selle ? Ces trois acti- duite est assez basse car le mélange a introduit
vités de la vie quotidienne mettent en jeu un état des bulles d’air dans le liquide, ce qui ralentit le
de la matière bien particulier : la mousse liquide. son, mais rapidement, les bulles disparaissent, la
Qu’on la mange ou qu’on la frotte, la mousse est vitesse du son produit par votre cuillère aug-
très prisée pour sa texture comme pour son com- mente et la hauteur du tintement également.
portement atypique, à la fois élastique, plastique Si l’acoustique des liquides bulleux dilués est
et fluide. De nombreux mathématiciens, physi- assez bien étudiée, ce n’est pas le cas des mousses
ciens et chimistes se sont donc penchés sur ce
Vitesse de propagation des ultrasons à basse fréquence
phénomène afin de percer les secrets de la stabi-
lité ou de la rhéologie (*) des mousses. En
revanche, leurs propriétés acoustiques sont res- 1 500 m/s dans l’eau
tées quasi inexplorées. Elles sont pourtant tout
aussi singulières. Le physicien Valentin Leroy et
340 m/s dans l’air
ses collègues du laboratoire matière et systèmes
complexes de Paris et de l’Institut de physique de
Rennes ont ainsi montré qu’une fine couche de 30 m/s dans de la mousse avec 10 % d’eau
mousse pouvait stopper les ondes sonores sur
une large plage de fréquence (1) ! Une qualité qui
pourrait être utilisée pour sonder et caractériser liquides dans lesquelles les bulles sont très
précisément la structure de ces mousses. concentrées. Elles sont même entassées les unes
Dans le vocabulaire des physiciens, les mousses sur les autres au point de perdre leur forme sphé-
liquides font partie de la famille des milieux bul- rique. Afin de minimiser l’énergie de la structure,
leux. Autrement dit, des milieux qui contiennent elles s’empilent sous la forme de polyèdres. La
des bulles de gaz. Comme l’eau qui renferme des majorité du liquide se répartit sur les arêtes, aussi
(*) La rhéologie est l’étude
bulles d’air. Même en faible quantité, ce gaz est appelées « bords de Plateau », tandis que le reste de la déformation et de
capable de modifier considérablement les pro- constitue les minces films, d’épaisseur inférieure l’écoulement de la matière sous
priétés acoustiques du liquide. En introduisant au micromètre, qui constituent les faces des l’effet d’une contrainte.
Dans une mousse liquide, les bulles de gaz ne sont pas sphériques mais peuvent être considérées comme des polyèdres constitués de faces
et d’arêtes. Une structure qui permet aux physiciens d’expliquer la modification de la vitesse des ultrasons en fonction de leur fréquence.
Repères bulles. « La structure des mousses et la façon étudiées, les chercheurs ont donc mélangé avec
dont elles s’écoulent sont bien comprises, note l’eau du dodécyl-sulfate de sodium, un tensio-
n Les mousses liquides Valentin Leroy. En revanche, on savait leurs pro- actif (*) utilisé dans certains produits du quoti-
contiennent une grande priétés acoustiques très riches, mais seuls quelques dien comme les liquides vaisselle. Pour faire les
concentration de bulles,
formées de films et
articles s’y intéressaient. De plus, les chercheurs bulles, ils ont rajouté à l’air de la vapeur de per-
d’arêtes comme des trouvaient des résultats très contradictoires. Cer- fluorohexane. Ce gaz traverse plus difficilement
polyèdres. tains observaient des vitesses de propagation très les parois des bulles et ralentit donc leur mûris-
n Les mouvements basses tandis que d’autres trouvaient des résultats sement. La taille typique des bulles croît donc de
désynchronisés de ces proches de la vitesse dans l’air ! » (2) (3) 5 micromètres à 50 micromètres environ, mais
films et de ces arêtes Pour mieux comprendre le phénomène, le projet suffisamment lentement pour qu’elle n’évolue
peuvent stopper la
Samousse (Sonde Acoustique pour les Mousses), pas lors d’une mesure acoustique.
propagation de certains
ultrasons. lancé par Valentin Leroy et ses collègues, s’ap- Seconde étape pour mesurer l’acoustique de la
n Cette découverte
puie sur l’expertise en acoustique des physi- mousse, il faut s’assurer de connaître la propor-
pourrait conduire à des ciens, mais également sur un savoir-faire en tion de gaz et de liquide, appelée fraction volu-
nouveaux matériaux avec physico-chimie des mousses liquides. La pre- mique. Pour contrôler précisément sa valeur, pas
des propriétés d’isolation mière étape consiste en effet à obtenir une question de faire une mousse comme à la mai-
acoustique.
mousse stable ! Si la composition chimique ne son, avec un fouet et de l’huile de coude ! Il serait
joue pas énormément sur les propriétés acous- alors difficile de déterminer la quantité de gaz
tiques, elle est très importante pour la fabrica- incorporée. La technique standard en labora-
tion de ces mousses… qui ont une fâcheuse ten- toire est celle des « deux seringues ». On introduit
dance à disparaître. L’écume des mers, par dans une seringue 1 millilitre (par exemple)
exemple, est très éphémère. Pourquoi ? D’une d’eau mélangée avec du tensioactif, on complète
part, le liquide a tendance à s’écouler vers le bas jusqu’à 10 millilitres avec du gaz si on désire
(drainage). D’autre part, les bulles grossissent au obtenir une fraction volumique de 10 %. Puis on
PLANNER/SHUTTERSTOCK
cours du temps avec le passage du gaz des bulles connecte une seconde seringue à l’extrémité de
de petites tailles vers les plus grandes. C’est ce la première. Des va-et-vient rapides entre les
qu’on appelle le mûrissement. Enfin les films seringues mélangent le liquide et le gaz pour for-
s’amincissent jusqu’à éclater. Pour produire des mer une mousse, très semblable à de la mousse
mousses suffisamment stables pour être à raser. Simple et efficace.
soit très modifiée, mais à une vitesse très ralentie Haute fréquence
d’environ 30 m/s, contre 340 m/s dans l’air. Ce 800 kilohertz
comportement est similaire à celui des autres
liquides bulleux. À haute fréquence, les ultrasons
La fréquence est trop élevée pour que les anneaux réagissent. Les films eux-mêmes réagissent
se propagent quant à eux plus rapidement à une contre la pression de l’onde à cause de leur inertie. Les ultrasons se propagent à nouveau.
vitesse proche de 220 m/s. « Cette différence de
Physique
(*) La résonance est un attendions à observer quelque chose, mais plus suivre les ondes sonores et ne bougent qua-
phénomène dans lequel certains pas un phénomène d’aussi grande ampleur », siment plus. Les films, eux, continuent de suivre
systèmes physiques réagissent très ajoute le chercheur. Cet effet dépend aussi forte- le mouvement imprimé par le son de manière
fortement à des excitations de
fréquence précise. ment de la taille des bulles. Plus elles sont petites, élastique. Le comportement effectif du milieu est
plus la résonance (*) se produit avec des ultra- dicté par les films, alors qu’ils ne représentent
(*) Un métamatériau est un sons de fréquences élevées. qu’une minorité de la masse de la mousse. « Cette
matériau artificiel conçu pour avoir
des propriétés électromagnétiques dernière se comporte donc de façon atypique,
ou acoustiques particulières, L’INERTIE EN QUESTION comme un matériau doté d’une masse volumique
comme celle de bloquer la négative ! Ce qui explique des comportements
propagation d’ondes de certaines Comment expliquer ces observations ? L’équipe contre-intuitifs, comme celui de bloquer les ultra-
fréquences. a conçu un modèle théorique de mousse liquide sons », précise Valentin Leroy. Quand on aug-
pour comprendre ce comportement physique. mente encore la fréquence des ultrasons, cet
Dans la mousse, les bulles entassées perdent leur effet s’arrête : les films ne peuvent plus réagir
rondeur et forment des polyèdres, avec des immédiatement et retrouvent un comportement
arêtes et des faces, les « films ». Les physiciens à contretemps dicté par leur inertie. L’onde n’est
ont donc assimilé les arêtes à un anneau rigide plus entravée que par ce mouvement normal des
sur lequel est tendue une surface élastique simu- légers films de savon et elle se propage à une
lant le film. Lorsqu’elle se propage dans cette vitesse proche de celle du son dans l’air.
mousse modélisée, l’onde sonore rencontre une Si ce modèle explique bien les données de l’ex-
succession d’anneaux et de membranes séparés périence, il reste encore des inconnues à lever. En
par des couches d’air. particulier sur l’origine, à l’échelle microsco-
La masse des anneaux, où se concentre la grande pique de la mousse, de l’atténuation des ultra-
majorité de la masse liquide, est bien plus impor- sons. En termes d’applications, ces recherches
tante que celle des films. Et c’est ce qui explique pourraient aboutir à des sondes acoustiques. Ces
l’atténuation du son. En effet, les anneaux ont outils permettraient de déterminer la structure
une grande inertie tandis que les films ont une des mousses, c’est-à-dire la fraction volumique
inertie faible, mais une grande élasticité. Ces élé- de liquide, la taille des bulles, l’épaisseur des
Pour en savoir plus ments ne vont donc pas se comporter de la films, à partir de la connaissance de la vitesse de
n http://tinyurl.com/q6t7jjv même façon lorsque des ultrasons les traversent. propagation et de l’atténuation du son dans les
Le site web de l’équipe de Valentin L’onde sonore exerce une force de pression sur la mousses. Tous ces paramètres ne sont pas évi-
Leroy, avec des illustrations mousse. À basse fréquence, les anneaux réa- dents à mesurer à l’heure actuelle et intéressent
de phénomènes acoustiques gissent à contretemps par rapport à cette force, à les industries qui utilisent les mousses, comme
dans les milieux bulleux. cause de leur inertie. Au contraire, les films se les industries pétrolières, minières et nucléaires
n Isabelle Cantat et al., déforment immédiatement dans le sens de la où le pouvoir couvrant des mousses est utilisé
Les Mousses, Belin, 2010. pression des ultrasons. Mais c’est le mouvement pour la décontamination.
n F. Graner, « La mousse », des anneaux qui dicte le mouvement du milieu. Enfin, le blocage des ondes acoustiques pourrait
La Recherche 345, Lorsque la fréquence augmente, arrive un servir à l’isolation sonore. Si l’effet a été démon-
septembre 2001, p. 46. moment où les anneaux, trop lourds, ne peuvent tré dans les ultrasons, rien n’empêche en théorie
qu’il se produise dans les fréquences audibles
par l’être humain. Mais il faudrait que la taille des
3 RAISONS DE RÉCOMPENSER CETTE PUBLICATION bulles soit de l’ordre du millimètre, ce qui ren-
drait la mousse plus instable. Ce travail apporte
Pour la rédaction donc une motivation supplémentaire au projet
n Ce travail d’une équipe dynamique menée par un jeune chercheur décrypte
de contrôler les mousses afin de façonner leurs
les propriétés acoustiques fondamentales des mousses liquides, un domaine propriétés physiques très précisément. Ce qui
jusque-là peu exploré. nécessite de trouver comment les stabiliser et les
n Il montre que les mousses se comportent comme des métamatériaux (*) solidifier tout en gardant leur caractéristique de
naturels, capables de couper des ondes de fréquences particulières, mousse liquide. n
ici des ultrasons. (1) J. Pierre et al., Phys. Rev. Lett. 112, 148307, 2014.
n C’est l’avènement de l’utilisation de l’acoustique comme une sonde (2) V. Zamashchikov et al., Soviet physics, 37, 248, 1991.
non intrusive pour caractériser un milieu complexe, la mousse liquide, très
(3) Z. Orenbakh et al., Acoustical physics, 39, 63, 1993.
utilisé dans l’industrie.
(4) J.Pierre et al., Eur. Phys. J. E, 36, 113, 2013.
w
€
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2015 60 DHS - LUX 6,80 €
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NOVEMBRE 20
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05/10/15 15:
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fondamentaux
Technologie LE PRIX
Des microrobots au
service de la médecine
Des robots microscopiques imaginés par une équipe franco-américaine peuvent se propulser
dans des fluides biologiques. Objectif : réaliser des actes médicaux à l’échelle cellulaire.
Gautier Cariou, journaliste
L
Repères es yeux rivés sur son écran, moins importante, si bien que le poids est négli-
un médecin observe en geable devant d’autres forces, par exemple la ten-
n Demain, des robots temps réel l’intérieur de l’ar- sion de surface. La dynamique des fluides devient
capables de se propulser tère d’un patient. À l’aide alors contre-intuitive et certains mouvements de
comme des bactéries
pourraient intervenir d’un joystick, il contrôle à nage qui sont efficaces à notre échelle ne le sont
dans des échantillons distance les déplacements et plus à l’échelle microscopique. » De fait, pour être
biologiques. les mouvements d’un robot efficace, le mouvement doit impérativement être
n Les roboticiens étudient microscopique. Grâce à un de nature « non réciproque », c’est-à-dire ne pas
donc des prototypes système de retour d’effort, il perçoit les forces se répéter de façon périodique. C’est le cas du
miniatures pour définir auxquelles est soumis le robot et parvient à mouvement des vis sans fin des tire-bouchons
les meilleurs systèmes
déboucher délicatement l’artère obstruée. Cette ou encore des hélices.
de propulsion.
scène de science-fiction est l’idéal vers lequel
n Ils ont récemment mis
en évidence que tendent les chercheurs en robotique micro- PROPULSÉS PAR FLAGELLE ARTIFICIEL
l’utilisation de plusieurs scopique, une discipline émergente qui consiste
flagelles de forme à contrôler des objets de quelques micromètres, C’est donc tout naturellement que les roboti-
torsadée augmente voire quelques nanomètres. ciens ont envisagé une propulsion par hélice. Le
la vitesse de ces robots.
Première étape pour faire de ce rêve de roboti- premier modèle du genre a été imaginé en 2009
cien une réalité : réussir à fabriquer un robot par des chercheurs de l’Institut de robotique et
microscopique capable de se propulser efficace- des systèmes intelligents, à Zurich, en Suisse. Il
ment dans des fluides biologiques. C’est juste- s’agissait d’un robot d’une quarantaine de
ment ce que sont parvenus à faire Stéphane micromètres de long capable de nager à la vitesse
Régnier, responsable du groupe Micro-nano de 18 micromètres par seconde (2) ; par compa-
robotique à l’Institut des systèmes intelligents et raison, un spermatozoïde parcourt 50 micro-
de robotique de Paris, et ses collègues Mettin Sitti mètres par seconde. Le système de propulsion
et Zhou Ye, de l’université Carnegie Mellon aux consiste en une hélice magnétique et rigide qui
États-Unis. Dans une publication parue en 2014, se met en rotation en présence d’un champ
ils ont testé des prototypes de robots miniatures magnétique. Depuis, ce système a été sans cesse
et ont ainsi pu démontrer des vitesses de propul- amélioré, avec des modèles atteignant seule-
sion accrues pour certaines architectures (1) . ment 2 micromètres de long et encore plus
« Dans le micromonde, la physique est très diffé- rapides. À des fins médicales, toutefois, l’utilisa-
(*) La photolithographie
rente de celle dont on fait l’expérience tous les tion d’une telle hélice peut s’avérer délétère. Du
est une technique qui consiste
à réaliser un modelage dans jours, souligne Stéphane Régnier. Aussi faut-il fait de sa rigidité, elle pourrait en effet causer des
de la résine au moyen prendre cela en compte dans le design des robots. dégâts considérables au contact des cellules et
de radiations lumineuses. En particulier, l’influence de la gravitation est des tissus biologiques environnants.
miers robots de ce type (3) . Long de 5,8 micro- ment dans ces simulations, à savoir la taille du
mètres, il est composé d’un flagelle fin et souple flagelle, sa forme, son angle par rapport au corps
relié à un aimant de 150 nanomètres de dia- du robot, la position de son point d’ancrage,
mètre. Sous l’action d’un faible champ magné- ainsi que le nombre de flagelles, les chercheurs
Bactérie
tique, l’aimant tourne sur lui-même et entraîne ont pu définir les profils les mieux adaptés. Res- Longueur : 10 micromètres
la rotation du flagelle qui propulse ainsi le robot. tait à confirmer la justesse et la pertinence de ces
Le flagelle étant souple, le mouvement qui en résultats par l’expérience. En s’inspirant des
découle est suffisamment chaotique pour ne pas meilleures performances des simulations, Sté- Spermatozoïde
Longueur :
se répéter de façon périodique, ce qui assure phane Régnier et ses collègues ont fabriqué plu- 55 micromètres
bien un mouvement non réciproque. sieurs prototypes de robots avec des techniques
En 2014, Stéphane Régnier, Mettin Sitti et Zhou de photolithographie (*) (Fig.1) , avant de confron-
Ye améliorent le système avec des prototypes de ter leurs prédictions numériques à la réalité.
robots nageurs de moins d’un millimètre, dotés Les prototypes en question mesurent en
non pas d’un, mais de plusieurs flagelles moyenne 600 micromètres de long. Bien plus
flexibles. Après avoir mesuré la vitesse de leurs que les quelques dizaines de micromètres requis
robots, les chercheurs ont démontré qu’en aug- pour des applications médicales. « En fait, nous
mentant le nombre de flagelles ou en leur travaillons à des échelles intermédiaires, car les
conférant une forme sinusoïdale, c’est-à-dire robots sont plus grands et donc plus faciles à
torsadée, la force de propulsion, et donc la construire et à étudier, explique Stéphane En 2015, le mouvement
de ce robot long de
vitesse maximale des robots s’en trouvent aug- Régnier. Deux caméras optiques suffisent à mesu- 17 millimètres a pu être
mentées. D’où des prototypes cinq fois plus rer leur vitesse de déplacement. On pourrait pen- contrôlé dans les trois
rapides que leurs prédécesseurs. ser que l’étude de ces robots est vaine mais ce directions de l’espace.
UPMC/ISIR
Technologie
n’est pas le cas : les résultats obtenus avec des robots ont été étudiés successivement dans les
prototypes de l’ordre du millimètre sont en effet mêmes conditions expérimentales. Déposé dans
transposables à des modèles de quelques micro un récipient disposé au milieu d’un ensemble de
mètres, à condition d’adapter la viscosité du fluide six bobines orientées dans les trois directions de
de façon à rester dans le même régime d’écoule l’espace, chaque robot était soumis à un champ
ment. » De fait, en mécanique des fluides, deux magnétique tournant. Deux caméras optiques,
4
mouvements qui s’exercent à des échelles diffé- l’une placée au-dessus du récipient, l’autre sur le
rentes sont considérés analogues s’ils ont lieu côté, filmaient en permanence le mouvement
dans un même régime d’écoulement. Or ce der- des robots. Résultat : la vitesse augmente propor-
nier est caractérisé par un paramètre appelé tionnellement au nombre de flagelles. Mais
« nombre de Reynolds », proportionnel au rap- au-delà de quatre flagelles, la vitesse chute de
port entre la viscosité du fluide et la dimension façon drastique lorsque la fréquence de rotation
du robot. Deux nombres de Reynolds identiques du champ magnétique dépasse un certain seuil.
FLAGELLES permettent correspondent donc à deux régimes d’écoule- La mise en évidence de ce phénomène appelé
aux microrobots ment analogues. Dans le cas d’une bactérie ou « coupure de fréquence » est l’un des principaux
de se propulser jusqu’à d’un microrobot de quelques micromètres de apports de la publication de Stéphane Régnier
cinq fois plus vite long se déplaçant dans des fluides peu visqueux et de ses collègues américains. « Les simulations
qu’avec un seul. comme le sang, ce nombre est proche de zéro. ne l’avaient pas du tout prévu, explique-t-il.
Avec des robots de 600 micromètres, il suffit Imaginez une compétition d’aviron où l’un des
d’utiliser un fluide suffisamment visqueux pour rameurs perdrait le rythme de ses coéquipiers.
obtenir un nombre de Reynolds similaire et Instantanément, la vitesse du bateau chuterait.
transposer les résultats obtenus. C’est exactement ce qui se passe avec les micro
robots : lorsque la fréquence de rotation du
COUPURES DE FRÉQUENCE IMPRÉVUES champ magnétique dépasse un certain seuil, les
flagelles n’arrivent plus à suivre le rythme et se
Les expériences réalisées par Stéphane Régnier désynchronisent. »
et son équipe ont consisté à tester les capacités Les chercheurs expliquent cette coupure de fré-
de propulsion des prototypes dans de l’huile de quence par les forces qu’engendre chaque fla-
silicone très visqueuse, de façon à conserver un gelle sur ses voisins. Au-delà de quatre, les fla-
nombre de Reynolds quasi nul. Au total, huit gelles sont trop proches les uns des autres, si
Corps magnétique
INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS
4 5 cylindrique
NICOLE LE DOUARIN
LA MARRAINE 33 publications
n Médaille d’or du CNRS en 1986 retenues
n Chercheuse en biologie
du développement et
en embryologie Délibération du jury
n Secrétaire perpétuelle
de l’Académie des sciences n Le jury se compose des membres de la rédac-
12 lauréats
n Professeur honoraire
tion de La Recherche et d’une marraine. dont 1 prix
n Il désigne un lauréat par catégorie et un prix
au Collège de France
« coup de cœur du jury », choisi parmi les finalistes « coup de cœur
non récompensés.
du jury »
« R
enforcer la lutte pondant à des profils particuliers liés à leurs Repères
contre le terro- relations sociales, leurs comportements ou
risme en dotant leurs centres d’intérêt. Cette surveillance de n Votée à la suite
les services de ren- masse soulève des questions de fond. des attentats contre
l’hebdomadaire Charlie
seignement de Le premier écueil concerne les libertés indivi- Hebdo et l’Hyper Cacher
capacités d’action duelles et la protection de la vie privée. En effet, porte de Vincennes,
accrues », tel est afin d’identifier de potentiels suspects, la loi début 2015, la loi sur
l’objectif de la loi autorise la collecte des données de connexion le renseignement
sur le renseignement élaborée à la suite des des internautes ou des données techniques, éga- valide le principe
d’une surveillance
attentats de janvier dernier et votée en juin. Cette lement appelées métadonnées. Il ne s’agit pas de masse par l’analyse
loi repose avant tout sur la collecte d’informa- des contenus eux-mêmes, mais des informa- des métadonnées.
tions sur Internet puisque le réseau mondial est tions contextuelles : dates, heures, lieux, durées n Les algorithmes
considéré comme un vecteur essentiel de l’em- des communications. programmés à cet effet
brigadement extrémiste. Ces métadonnées sont les données de surveil- risquent d’identifier
Si le besoin d’un encadrement juridique des lance par excellence et leur collecte s’apparente comme suspects
nombre d’innocents.
activités de renseignement n’est guère à l’action du détective à la recherche d’indices
n Pour le moins, des
contesté, le périmètre de la loi (en réalité bien sur les rencontres entre personnes, les lieux fré-
mesures devraient être
plus large que la lutte contre le terrorisme) quentés, les parcours… Par exemple, il est plus prises pour mieux
ainsi que nombre de ses dispositions font l’ob- instructif de savoir qu’un appel téléphonique est contrôler les usages des
jet de sévères critiques. Un article propose destiné au bureau des alcooliques anonymes (les données par les services
notamment un changement radical de métadonnées) que d’écouter la conversation de de renseignement.
modèle : il entérine le passage d’une surveil- prise de rendez-vous correspondant à cet appel
lance ciblée à une surveillance de masse. (les données).
Concrètement, cela signifie qu’à l’avenir, il ne Très utilisées par les publicitaires pour catégori-
s’agit plus seulement de confirmer ou d’infir- ser les internautes, ces métadonnées peuvent
mer les soupçons qui pèsent sur une personne donc être très intrusives, parfois plus que les
mais de faire émerger des suspects en analy- données elles-mêmes. Ainsi, c’est à partir de
sant les comportements de tout un chacun. l’analyse de métadonnées que la liaison de
Pour reprendre un exemple abondamment l’ex-directeur de la CIA David Petraeus a été
cité par les défenseurs du projet de loi, l’ana- découverte. Plus précisément, il a pu être établi
lyse des connexions à un site hébergeant une que différentes connexions à un compte de mes-
vidéo de décapitation permettra de désigner sagerie avaient été effectuées via les réseaux wifi
des suspects potentiels. Le principe général d’hôtels à partir de chambres dont l’occupante
consiste donc à pointer des personnes corres- s’est avérée être la maîtresse de Petraeus !
Même avec un algorithme Plus globalement, la nouvelle loi autorise l’ana- problème, c’est qu’il existe très peu de données
très performant présentant lyse des métadonnées collectées en masse, afin disponibles sur les « profils internet » de terro-
un taux de faux positifs d’identifier des terroristes potentiels à partir des ristes. Ont-ils des comportements vraiment dif-
de 0,5 %, la surveillance
de masse, pour identifier « signaux de faible intensité ». Ces signaux corres- férents des autres utilisateurs ? Et si tel est le cas,
3 000 terroristes potentiels pondent, par exemple, au fait d’accéder à des est-il possible de définir des profils ? Cela reste à
parmi 30 millions sites web suspects ou de regarder un type de démontrer et ce point est loin de faire l’unani-
de personnes, ferait vidéos. Mais en analysant des métadonnées mité (1). Par ailleurs, cette collecte systématique
apparaître comme suspects
aussi riches que la liste des sites visités par un uti- et automatique de métadonnées peut être source
150 000 innocents.
lisateur, on peut aussi en inférer ses centres d’in- de discriminations. Nous pourrions assister par
térêt ou son orientation politique. Pour détermi- exemple à une multiplication du nombre de per-
ner si un individu est suspect ou pas, l’analyse va sonnes interdites de vol sur des bases infondées
vraisemblablement reposer sur des algorithmes (et opaques) simplement parce qu’un système
de classification binaire. Comme leur nom l’in- informatique l’aura décidé.
dique, ils permettent de classifier un ensemble
de points en deux catégories à partir de critères PARADOXE DES FAUX POSITIFS
et de modèles, qui sont soit spécifiés par le pro-
grammeur, soit automatiquement découverts Deuxième point, la surveillance de masse peut se
par l’algorithme dans une phase d’apprentissage révéler très inefficace dans la lutte contre le ter-
à partir de données existantes. Or, pour être effi- rorisme. Car même si l’on arrivait à établir des
CHRISTOPHE MORIN/IP3
caces, ces algorithmes nécessitent d’être entraî- profils précis, le nombre d’erreurs, c’est-à-dire
nés sur une quantité importante de données d’innocents suspectés à tort, serait considérable !
(mais dont le nombre varie en fonction des cas) En effet, dès lors que l’événement à identifier est
ou d’avoir défini des modèles, c’est-à-dire des rare – ce qui est le cas ici puisqu’il s’agit de retrou-
profils types de suspects, précis et distinctifs. Le ver quelques milliers de personnes dans une
Numérique
actuellement être effectué avec des temps compréhensible par des humains. Quand un tel
de calcul raisonnables que pour certaines opé- langage est muni d’une sémantique claire (par
rations (comme la multiplication ci-dessus). exemple sur la base d’un modèle mathématique)
L’utilisation des données de renseignement pose il présente l’avantage de lever toute ambiguïté
aussi des questions complexes en matière de sur le sens des règles à appliquer, concernant
contrôle d’accès. Tout d’abord, les règles d’utili- notamment l’obligation d’effacement des don-
sation des données ne sont pas de simples asso- nées ou les autorisations d’accès (3) .
ciations entre types de données et agents autori- Reste le contrôle a posteriori, une forme de
sés. De façon plus subtile, on peut vouloir contrôle essentielle en matière de renseigne-
exprimer, par exemple, le fait qu’un agent de ren- ment, qui relève de l’audit. Il peut consister par
seignement d’un service donné peut utiliser les exemple à vérifier, après les faits, que les traite-
coordonnées téléphoniques des personnes avec ments effectués sur les données personnelles
qui un suspect désigné est entré en contact pen- sont conformes aux exigences légales et régle-
dant les trois derniers mois (et peut-être aussi les mentaires. Ces vérifications pourraient être lar-
contacts de ses contacts, etc.). En d’autres gement automatisées à l’aide d’analyseurs de
termes, mener son enquête ne doit pas lui per- logs (Fig. 1). Les logs sont les fichiers informa-
mettre d’accéder à la totalité de la base de don- tiques qui stockent l’historique des événe-
nées du service mais uniquement à la partie en ments du système. Les analyseurs sont eux-
rapport avec son enquête. On peut aussi vouloir mêmes des logiciels qui intègrent les règles à
restreindre l’accès à certaines finalités et dans vérifier et parcourent les fichiers logs pour
certaines conditions (par exemple avec l’autori- déterminer si ces règles ont été respectées,
sation d’un supérieur et à des fins de recherche fournissant ainsi une aide précieuse aux audi-
de complicités d’acte de terrorisme). teurs. Cependant, pour que ce type de contrôle
Dans ces conditions, la difficulté consiste à expri- soit probant, il faut que tous les moyens soient
mer des règles qui traduisent des obligations mis en œuvre pour assurer la sincérité et la
juridiques ou réglementaires, dans un langage sécurité des logs : il est crucial en effet que
qui soit à la fois traitable par une machine et ceux-ci reflètent l’ensemble des opérations
Donnée 3
ouverte par
Donnée 4
effacée
Analyseur de logs 3
agent Y L’analyseur de
logs compare
l’historique avec
les règles
INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS
d’utilisation.
pertinentes sur les données et qu’ils ne puissent disposera des transcriptions des renseigne-
être altérés (par exemple pour masquer des ments collectés de façon à pouvoir vérifier leur
activités non conformes). « caractère nécessaire et proportionné ».
Il va de soi que la confidentialité de ces logs doit Même si les recherches doivent être amplifiées
également être préservée, faute de quoi ceux-ci sur ces sujets (4), les techniques existantes
pourraient représenter un risque accru de divul- peuvent déjà contribuer à concilier renseigne-
gation de données personnelles. Ces contrôles ment et protection de la vie privée dans le cadre
a posteriori ne peuvent pas, par définition, d’une démarche d’accountability qui accorde-
apporter de garantie absolue. Ils relèvent de ce rait de véritables contre-pouvoirs à une entité
qu’on appelle parfois l’accountability, c’est-à- tierce indépendante. Cette démarche inspire
dire la responsabilisation, le mot accountability également le futur règlement européen sur les
étant à prendre au sens de « rendre des données personnelles, réforme globale des
comptes ». En d’autres termes, il s’agit d’une règles adoptées par l’Union européenne en 1995
démarche de surveillance des surveillants, en matière de protection des données person-
nécessaire pour assurer aux citoyens que les nelles, et qui devrait être adopté définitivement
pouvoirs accordés aux services en matière de en 2015. Cependant, ce règlement ne concerne
collecte et de traitement de données person- pas les activités de police et de justice qui seront
nelles ne sont pas dévoyés. régies par une directive spécifique. Idéalement,
ce principe d’accountability, qui pourrait contri-
UN CONTRE-POUVOIR INDÉPENDANT buer à renforcer la confiance des citoyens,
devrait s’imposer à tous les acteurs, privés
Cependant, les défis en la matière ne sont pas comme publics, qui traitent des données per-
seulement techniques. Ce contrôle devrait être sonnelles, la surveillance par des sociétés pri-
effectué par une entité véritablement indépen- vées méritant tout autant d’attention que la sur-
dante, disposant des moyens suffisants, tant veillance d’État. n
sur le plan financier qu’en matière d’expertise N.B. : Cet article reflète exclusivement l’opinion de ses auteurs
technique. On peut donc regretter que la Com- et n’engage en aucune façon Inria.
mission nationale de contrôle des techniques (1) Commission de réflexion et de propositions
de renseignement prévue par la loi sur le ren- sur le droit et les libertés à l’âge numérique de l’Assemblée
seignement n’apporte pas les garanties suffi- nationale, « Recommandation sur le projet de loi relatif
santes, notamment en matière d’expertise au renseignement », 1er avril 2015.
technique (une seule personnalité qualifiée (2) J. Parra-Arnau, C. Castelluccia. « Dataveillance and the False- Pour en savoir plus
Positive Paradox », HAL, mai 2015.
parmi les neuf membres de la commission). n http://tinyurl.com/
(3) D. Butin, D. Le Métayer, « Log Analysis for Data Protection
Cette commission devra donner son avis avant Accountability », Formal Methods, LNCS 8442, 63, Springer, 2014. homelandsecuritynewswire
toute autorisation de mise en œuvre d’une (4) National Research Council of the National Academies,
« Terrorists’ personality traits
technique de renseignement. Elle sera aussi « Bulk collection of signals intelligence : technical options », indistinguishable from traits of the
informée de leurs modalités d’exécution et The National Academies Press, 2015. general population: Experts »
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fondamentaux
Astrophysique
La machine à fabriquer
des aurores boréales
Conçue au départ pour expliquer la formation des aurores polaires au grand public,
la Planeterrella a permis aux physiciens de découvrir les aurores bleues sur Mars.
Jean Lilensten, astronome
B
Repères ien peu de Français ont devient vert. Il s’agit d’une aurore diffuse. Parfois,
eu la chance d’assister à ce vert danse comme des rideaux derrière une
n Jusqu’à la fin une aurore polaire, qu’on fenêtre ouverte : il s’agit d’un voile auroral. Plus
du XIXe siècle, la science appelle « boréale » dans haut, vers 200 kilomètres d’altitude, le ciel se pare
ne parvient pas à
expliquer les aurores
l’hémisphère Nord et d’un pourpre cardinal. Si une éruption solaire a
boréales. « australe » dans l’hémis- eu lieu, alors les particules du vent solaire vont
n Le savant norvégien phère Sud. Car il faut plus vite et pénètrent plus profondément dans
Kristian Birkeland met pour cela aller à haute l’atmosphère. Là, elles se heurtent au diazote et
alors au point la Terrella latitude – la Laponie pour l’Europe, entre 60 et au dioxygène qui nous sont familiers. Ces molé-
qui permet de reproduire 65° nord. Il est nécessaire qu’il fasse nuit, qu’il n’y cules émettent de nouvelles couleurs, plus
les aurores boréales.
ait ni Lune ni nuage, et attendre dans des tempé- variées – du mauve, du rose, du bleu, du jaune,
n La Planeterrella, ratures qui peuvent friser – 30 °C. La haute atmo- jusqu’à 80 kilomètres environ au-dessus de nos
qui s’inspire de cette
expérience, dépasse sphère du Soleil, enfin, doit avoir éjecté des élec- têtes. Les formes deviennent dynamiques. Un
le cadre pédagogique trons et des protons – c’est le vent solaire – en spectacle magnifique, mais impossible à admirer
pour servir la recherche quantité assez abondante, et à une vitesse de sous nos latitudes. Alors pourquoi ne pas le fabri-
fondamentale. 370 kilomètres par seconde (km/s) environ. Ce quer soi-même ? C’est ce que nous avons cherché
vent solaire souffle ces particules chargées en à faire en construisant la Planeterrella.
permanence sur la Terre. Il faut éventuellement
qu’une éruption solaire, un phénomène local et LE MÉCANISME DÉMONTRÉ
sporadique à la surface de notre étoile, ait pro-
pagé dans l’espace une grosse bouffée de ces L’idée n’est pas neuve. Au XIXe siècle, les géo-
particules, jusqu’à 1 000 km/s et que celles-ci graphes établissent que les aurores polaires se
aient croisé, sur leur chemin, celui de la Terre au produisent surtout autour des pôles magné-
cours de son orbite autour du Soleil. tiques, dessinant ce qu’on appellera les « ovales
(*) L’oxygène atomique est Si toutes ces conditions sont réunies, la récom- auroraux ». Autrement dit, elles se produisent sur
une molécule composée d’un seul pense est à la hauteur des attentes. Car après un anneau centré sur les pôles magnétiques. En
atome d’oxygène contrairement au avoir interagi de façon complexe avec la magné- parallèle, les travaux en électromagnétisme
dioxygène que l’on respire. tosphère, c’est-à-dire le champ magnétique qui conduisent à postuler l’existence de particules
(*) Un plasma est un milieu englobe la Terre, une partie du vent solaire vient chargées, les électrons. On appelait alors ces par-
constitué de charges libres frapper la haute atmosphère. Entre 100 et ticules « les rayons de cathode ».
(ions, électrons). On restreint 150 kilomètres d’altitude, ce choc excite les molé- À la fin du XIXe siècle, le physicien norvégien
le plus souvent les plasmas
aux gaz, mais certains commencent cules d’oxygène atomique (*). En réponse, ces Kristian Birkeland, expérimentateur de génie,
à considérer des plasmas solides, molécules émettent de la lumière dont la couleur réussit à reproduire ce phénomène en tirant des
comme les métaux. est caractéristique de leur composition. Le ciel « rayons de cathode » sur une sphère magnétisée
SIMULATIONS ET PRÉDICTIONS
20
première démonstration en laboratoire du méca- Aujourd’hui, elle sert d’outil pédagogique à l’IUT
nisme des aurores polaires, et retrouver les ovales de Toulouse ou à Grenoble pour des analyses
auroraux. Hélas, les connaissances de l’époque spectrales. Des élèves ingénieurs font des études
ne lui permirent pas d’expliquer ce qu’il voyait. Il techniques pour l’améliorer. Elle est utilisée éga-
faudra attendre le XXe siècle pour que la physique lement pour des projets de master en modélisa-
atomique révèle comment des molécules exci- tion numérique, en particulier pour simuler la
tées émettent de la lumière de couleurs variées. PLANETERRELLAS SONT propagation des électrons dans l’atmosphère.
La première Planeterrella a été créée en 2007 à EN ACTIVITÉ dans Plus étonnante est son utilisation à des fins scien-
l’Institut de planétologie et d’astrophysique de le monde : au Palais tifiques. L’Observatoire royal de Belgique s’en sert
Grenoble (Ipag) sous ma direction, avec notam- de la découverte, à Paris, comme premier test pour des sondes de Langmuir,
ment Mathieu Barthélémy, Cyril Simon, Guil- à l’Observatoire royal destinées à mesurer le potentiel électrique des
© PHOTRI.INC/AGE
laume Gronoff, David Bernard et Olivier Brissaud. de Belgique à Bruxelles, plasmas (*) à bord d’instruments spatiaux. Celles-ci
Elle s’inspire de la Terrella de Birkeland, mais en au Cern à Genève, au Nasa sont introduites dans la Planeterrella afin de véri-
multiplie les possibilités. Elle se présente comme Langley, aux États-Unis… fier la sensibilité de leur mesure.
Astrophysique
fois que le satellite survole une anomalie magné- n’existe toutefois à ce jour pour observer les
tique, une zone où le champ magnétique de la aurores visibles qui devraient se produire du côté
croûte martienne est intense. Pour Jean-Loup nuit sur Mars ! Finalement, la Planeterrella aura
Pour en savoir plus Bertaux, responsable scientifique de Spicam, il permis à la fois de montrer la beauté des aurores
n http://planeterrella.obs.ujf- s’agit sans doute d’un effet dû aux électrons du et de faire des avancées scientifiques. Que
grenoble.fr vent solaire, qui excitent le dioxyde de car- demander de plus à cette petite expérience ? n
n Jean Lilensten, Chasseur d’Aurores, bone (CO2) contenu dans l’atmosphère de Mars, (1) J.-L. Bertaux et al., Nature, 435, 790, 2005.
La Martinière, 2014. lequel émet des rayons ultraviolets en retour. (2) J. Lilensten et al., Planet. Space Sci., 115, 48, 2015.
S
Les gagnants et les
perdants de l’Arctique
Le réchauffement rapide de l’océan Arctique est à l’origine d’une succession de bouleversements
biologiques de grande ampleur. Les animaux auront-ils le temps de s’adapter ?
Eli Kintisch, journaliste, et Jean-Clément Nau, traducteur
Cet article est publié et adapté avec l’autorisation de l’AAAS. Paru dans Science 349, 578, 2015.
C
haque jour, entre juin et situées plus au sud). L’impact de ce phénomène Repères
septembre, le biologiste se fait ressentir « à tous les niveaux de la chaîne ali-
Markus Brand et l’un de mentaire », explique Marcel Babin, océanographe n À Ny-Ålesund, en
mètres au nord du cercle Arctique. Les vagues animaux qui vivent sur la glace. Les ours polaires « atlantification » de
l’Arctique, avec des
d’un mètre de haut et la neige poudreuse sont se sont réfugiés sur la terre ferme ; ils y chassent les
installations importantes
monnaie courante dans l’archipel de Svalbard, où oiseaux de mer pour survivre. Les morses qui, en de nouvelles espèces
se rencontrent les océans Arctique et Atlantique. temps normal, se reposent sur la banquise, s’en- dans le Grand Nord.
Mais Markus Brand ne se décourage pas. En diffé- tassent désormais sur les côtes de l’Alaska ; l’été n L’augmentation massive
rents endroits du fjord, cet étudiant de troisième dernier, des vingtaines de leurs petits sont morts de la productivité du
cycle de l’Institut Alfred Wegener (IAW) d’Helgo- dans des mouvements de foule. La détresse des phytoplancton risque
également de provoquer
land, en Allemagne, hisse plusieurs casiers d’acier grands prédateurs a transformé l’Arctique (et ses
un « immense
depuis le fond de l’océan. En trois ans, il a attrapé mutations) en cause célèbre (*) pour les écologistes. bouleversement ».
5 000 poissons. Il en dissèque quelques-uns et en « C’est un océan qui meurt, et un autre qui naît »,
rejette d’autres à l’eau après les avoir marqués. explique Peter Thor, biologiste à l’Institut polaire
Markus Brand fait la chronique d’une invasion norvégien de Tromsø.
venue du Sud. Ainsi, des variétés de morues de L’impressionnant phénomène nordique se propa-
l’Atlantique vivant d’ordinaire bien en dessous du gera peu à peu vers le sud et finira par atteindre des
cercle Arctique apparaissent dans le Svalbard – et cieux tempérés. De récentes études indiquent que
s’y épanouissent. Les chercheurs parlent d’une la fonte de l’Arctique altérerait les configurations
« atlantification » de l’Arctique, qui amènerait des météorologiques de l’hémisphère Nord. Et les
populations entières de poissons à s’installer dans dérèglements biologiques se feront ressentir plus
le Grand Nord. Mais la migration des poissons au sud : la plupart des poissons et des oiseaux qui
n’est qu’une goutte dans la cascade de boulever- fréquentent l’Arctique sont des migrateurs. « Ce
sements biologiques générée par le réchauffe- qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arc-
ment de l’Arctique (les températures y grimpent tique », résume Howard Epstein, géoscientifique
plus de deux fois plus vite que dans les régions de l’université de Virginie, aux États-Unis. (*) En français dans le texte [NDT]
Climat
Juché sur la bordure orientale du détroit de moins nutritives pour leurs prédateurs, tel que le
Fram (à seulement 1 000 kilomètres au sud du canard eider à duvet. « Il y a des zones de la mer
pôle Nord), l’archipel norvégien du Svalbard de Béring où les proies du canard sont deux fois
n’était jadis guère plus qu’un avant-poste de moins nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a vingt
pêche à la baleine dans le Grand Nord. Puis, en ans », précise-t-elle. Pour d’autres espèces, cette
1964, la Norvège convertit l’un de ses villages de « nouvelle norme » est synonyme de croissance
mineurs, Ny-Ålesund, en base de recherche éclair. Les images des satellites montrent des
scientifique. Une décision éclairée : des cher- éclosions massives de phytoplancton dans les
cheurs de dix nationalités différentes accourent, zones maritimes nouvellement dégelées.
trop heureux d’être aux premières loges des L’autre facteur clé demeure l’amincissement de
immenses changements qui agitent cette région. la banquise elle-même. Constellée de poches
Chaque jour, des ballons-sondes traversent les d’eau fondue, cette dernière laisse passer de plus
cieux au-dessus de Ny-Ålesund. Leurs relevés en plus de lumière. En juillet 2011, des cher-
étayent les constatations déjà établies, selon les- cheurs ont embarqué dans un brise-glace pour
quelles l’Arctique s’est réchauffé de plus de 2 °C mener une campagne océanographique dans la
depuis 1993. Selon les résultats de campagnes mer des Tchouktches ; et pour la toute première
océanographiques organisées autour du Sval- fois, ils ont constaté des éclosions massives de
bard, de plus en plus d’eau douce, provenant de phytoplancton sous la glace (1) . « Nous étions
abasourdis. Biologiquement parlant, les éclosions
étaient aussi productives que n’importe quel autre
C’est un océan qui meurt, écosystème océanique de la planète », explique
l’océanographe Kevin Arrigo, de l’université
et un autre qui naît ” Stanford, en Californie, qui a codirigé l’étude.
Thor, biologiste à l’Institut polaire norvégien de Tromsø
Peter Dans un hors-série de la revue Progress in
Oceanography paru en août 2015 et consacré aux
perturbations dans l’Arctique, des chercheurs
rivières et de la fonte de glaciers, afflue dans le évaluent par ailleurs l’augmentation de la pro-
détroit et se heurte à une eau plus chaude ache- ductivité primaire (*) – qui permet de mesurer la
minée vers le nord par les courants océaniques. photosynthèse marine – à 30 % dans l’océan
« L’Arctique change à vue d’œil », affirme Roland Arctique entre 1998 et 2012 (2) .
Neuber, spécialiste de l’atmosphère à l’IAW.
La fonte de la banquise demeure le bouleverse- QUELQUES SIGNES DE RÉSISTANCE
ment le plus conséquent. Depuis 1979, la ban-
quise arctique aurait perdu 75 % de son volume, Pour Kevin Arrigo, l’augmentation de
un calcul réalisé à partir de la surface minimale phytoplancton constituera « un immense boule-
estivale. Ce phénomène a porté un coup des plus versement pour de nombreux animaux ». Parmi
rudes à quelques espèces sous-marines dans les les grands gagnants : le zooplancton et les pois-
eaux les moins profondes, le long des côtes qui sons, qui se nourrissent de phytoplancton, situés
bordent l’océan Arctique. La banquise nourrit le au milieu de la colonne d’eau, ainsi que les pré-
plancher océanique : lorsque les algues qui s’ac- dateurs de haute mer – ou « pélagiques » – qui
crochent sous sa partie inférieure et rugueuse n’ont pas besoin d’avoir accès à une glace stable
meurent, leurs restes coulent et viennent nourrir (contrairement aux ours polaires et aux morses).
des créatures benthiques (*) – vers, escargots, Entre 2003 et 2012, les phoques annelés des
crustacés, coquillages… Des communautés ben- régions du Béring et des Tchouktches ont ainsi
thiques sont déjà en train de perdre du terrain et consommé 8 % de poissons en plus par an (en
(*) Le benthos est l’ensemble trouvent refuge plus au nord, dans les mers de moyenne) qu’ils n’en avaient consommé sur la
des organismes aquatiques vivant
dans les profondeurs des océans, Béring et des Tchouktches, entre la Sibérie et période 1975-1984, rapporte Justin Crawford, du
des lacs et des rivières. l’Alaska, selon Jacqueline Grebmeier, océano- ministère de la Pêche et de la Chasse de l’Alaska,
graphe de l’université du Maryland, aux États- dans le hors-série de Progress in Oceanography.
(*) La productivité primaire
nette est la quantité de matière Unis. « Certains estiment que c’est la nouvelle La baleine boréale, qui filtre le plancton, se porte
végétale produite sur une période norme », explique-t-elle. On a observé des types comme un charme. En outre, selon Sue Moore,
donnée. de palourdes qui rapetissent peu à peu et sont spécialiste en biologie marine à l’Administration
La fonte de la banquise
en mer de Barents favorise
l’éclosion du phytoplancton
qui, vu de l’espace,
apparaît comme
une nappe bleu turquoise.
fondamentaux
Climat
Mer de
Beaufort
Mer de
Laptev
ÎLES DE LA REINE-
ÉLISABETH
PÔLE NORD
Mer de
Kara
GROENLAND
L’augmentation de la lumière Le morse du Pacifique
et le réchauffement des eaux a besoin de la glace
génèrent plus d’éclosions Le recul de la glace pour se reposer ; son avenir
de phytoplancton. met les ours polaires est incertain.
en grande difficulté.
La taxinomiste Catherine Mecklenburg, de Les chercheurs ont plus d’informations sur les
l’Académie des sciences de Californie, explique populations de fruits de mer présents dans les
qu’un récapitulatif complet des « gagnants » et eaux subarctiques, et sont prêts à parier sur les
des « perdants » nécessiterait des campagnes plus susceptibles de s’étendre vers le nord. Dans
océanographiques fréquentes au centre de un rapport paru en 2013 dans la revue Fisheries
l’océan Arctique – mais qu’aucun État ne sou- Oceanography, 34 experts estimaient que 12 des
haite financer de telles expéditions. Il existe ainsi 17 populations clés des mers de Barents,
peu de données concernant les 235 espèces de de Norvège et de Béring avaient un « potentiel »
INFOGRAPHIE : SYLVIE DESSERT
poissons déjà observées dans l’Arctique. Selon ou un « fort potentiel » d’expansion vers le Haut
ses estimations, plus de la moitié d’entre elles ont Arctique ; parmi elles, le crabe des neiges ou
migré sur les lieux depuis des zones situées plus le flétan du Groenland (3) .
au sud. « Dans ce contexte, il est difficile d’identi- S’adapter ou périr : nulle autre option ne semble
fier les espèces qui sont récemment arrivées dans donc s’offrir aux habitants de l’Arctique. Manfred
l’Arctique », affirme-t-elle. Enstipp espère pouvoir observer l’adaptation en
2 °C
Ny-Ålesund, des océanographes ont constaté Face à tant d’incertitudes quant à la résistance de
que ces oiseaux étaient en train de changer de ces écosystèmes, cinq pays [les États-Unis, la
proie. Des copépodes un dixième de fois plus Russie, le Canada, la Norvège et le Danemark,
petits, que l’on retrouve généralement plus au NDLR] ont récemment convenu d’interdire la
sud, ont fait leur apparition aux alentours du pêche dans l’ensemble de l’Arctique. Car si cer-
Svalbard. Manfred Enstipp cherche à savoir si les tains poissons sont susceptibles de s’épanouir,
petits pingouins peuvent s’adapter à la petite d’autres populations pourraient bien s’effondrer. C’EST L’AUGMENTATION
taille de ces nouvelles proies en en avalant plus. Pour protéger les dernières régions où la ban- constatée de la
Il « espère les voir passer en mode “recherche de quise est censée résister au réchauffement de la température en Arctique
nourriture” » ; les voir cesser d’avaler les proies planète, le Fonds mondial pour la nature (WWF) depuis 1993.
plus grosses et commencer à filtrer les plus petits a appelé à un renforcement de l’attention portée
spécimens. à cette « zone de glace persistante », dont la
majorité est située près des îles canadiennes du
COPÉPODES EN MANQUE DE LUMIÈRE Haut Arctique et du nord-ouest du Groenland.
Selon Clive Tesar, du WWF à Ottawa, cela redon-
Ces nouveaux venus de plus petite taille seront nerait un peu d’espoir aux défenseurs des ours et
peut-être capables de rivaliser avec les copépo- d’autres espèces menacées.
des existants, mais le calendrier pourrait bien De son côté, Manfred Enstipp craint de voir les
gêner leur capacité à persister dans l’Arctique. Et petits pingouins aller au-devant de jours diffi-
ce parce que les cycles de croissance saisonniers ciles. Son séjour d’un mois à Ny-Ålesund touche
des copépodes du sud sont beaucoup trop longs à sa fin ; s’il est parvenu à réaliser de superbes
étant donné le peu de lumière que l’Arctique leur prises de vue des oiseaux en train de chasser sous
fournit – comme le rapportent des chercheurs l’eau avec la plus grande énergie, il n’a malheu-
dirigés par l’océanographe Rubao Ji, de l’Institut reusement observé aucun d’entre eux adopter
océanographique de Woods Hole, dans le Massa- l’alimentation par filtrage. Si les copépodes de
chusetts. « Quelques jours en moins [dans la sai- plus petite taille continuent de gagner du terrain,
son de croissance] peuvent à eux seuls avoir un il estime que « les petits pingouins auront peut- Pour en savoir plus
important impact négatif sur leur capacité à se être bien du mal à s’en sortir, énergétiquement La Recherche a publié
préparer pour l’hiver », explique-t-il. Pour les parlant ». Et une espèce de plus se verra n Thibault Panis, « Les oiseaux
chercheurs, cela signifie que les copépodes contrainte à lutter pour sa survie dans un océan marins victimes de l’ours blanc »,
migrants ne seront peut-être pas capables de Arctique en plein bouleversement. n juin 2015, p. 17.
remplacer les populations de copépodes nor- n Nigel Gilles Yoccoz et Dominique
(1) K. Arrigo et al., Science, 336, 1408, 2012.
diques sur le déclin – ce qui provoquerait le recul (2) S. E. Moore et P. J. Stabeno (dir.), « Synthesis of Artic
Berteaux, « Ces espèces qui
des populations de zooplancton. Research (SOAR) », Progress in Oceanography, 136, 2015. colonisent le Grand Nord »,
Le pronostic à long terme est donc des plus (3) A. Babcock Hollowed et al., Fisheries Oceanography, Les Dossiers de La Recherche n° 51,
troubles pour l’Arctique. Selon l’océanographe doi: 10/1111/fog.12027, 2013. septembre 2012, p. 32.
Neptune,
Résolu à en avoir le cœur net, le directeur de
l’Observatoire de Paris, François Arago, persuade
Urbain Le Verrier, mathématicien confirmé,
une découverte
d’abandonner son étude des comètes pour se
pencher sur les perturbations de l’orbite
d’Uranus. Celui-ci compulse les indications por-
très disputée
tées dans les registres de l’Observatoire de Paris
entre 1801 et 1845, et dans ceux de Greenwich,
en Angleterre, entre 1781 et 1801. Il reprend les
calculs de Bouvard, les corrige, et montre qu’Ura-
Marie-Christine de La Souchère, agrégée de physique nus ne peut pas être soumise aux seules actions
du Soleil, de Jupiter et de Saturne.
Le Verrier passe alors en revue différentes hypo-
thèses. La loi de la gravitation de Newton per-
L
drait-elle de sa rigueur loin du Soleil ? Jusqu’à pré-
e 13 mars 1781, le Britan- sent toutes les tentatives visant à la remettre en
nique William Herschel question se sont soldées par un échec. L’éther, ce
découvre Uranus, septième fluide dont on imaginait qu’il emplissait l’espace,
planète du système solaire. entraverait-il le mouvement de la planète ? Sa
Quarante ans plus tard, les résistance se manifeste à peine pour des corps de
astronomes disposent de faible densité et dans des circonstances autre-
40 observations de la planète ment propices. Un gros satellite escorterait-il Ura-
lors de son passage au méri- nus ? Il n’aurait pu échapper à l’observation. Une
dien. À cela s’ajoutent 19 observations effectuées comète aurait-elle percuté la planète et modifié
entre 1690 et 1781 par des astronomes qui, brusquement sa trajectoire ? Le mouvement de la
n’ayant pas remarqué le mouvement apparent de planète entre 1781 et 1820 s’explique sans le
l’astre, l’avaient pris pour une étoile de sixième recours à une force perturbatrice. Les relevés
grandeur (*). À l’aide de ces données, Alexis effectués durant cette période devraient donc se
Bouvard, membre du Bureau des longitudes, raccorder soit aux observations nouvelles soit aux
entreprend de construire les tables de la planète observations anciennes. Ce qui n’est pas le cas.
et de calculer son orbite. Mais il lui est impossible Reste l’hypothèse, déjà esquissée par Bouvard et
de concilier les observations modernes avec les l’astronome allemand Friedrich Bessel, d’une
observations anciennes. Bouvard choisit alors planète inconnue troublant lentement et de
d’écarter ces dernières. manière continuelle le mouvement d’Uranus. Et
Malheureusement, dès 1845, il s’avère que les comme une loi empirique, la loi de Titius-Bode,
prévisions ainsi effectuées ne s’accordent pas postule que les planètes les plus éloignées du
(*) La « grandeur », davantage avec l’observation. Pourtant, Bouvard Soleil s’échelonnent à des distances à peu près
également appelée magnitude
BRIDGEMAN IMAGES
a tenu compte des perturbations exercées par doubles les unes des autres, Le Verrier admet que
apparente, donne une indication
sur la luminosité de l’astre. Plus Jupiter et par Saturne. Se pourrait-il que la pla- cette planète inconnue est deux fois plus éloi-
la magnitude apparente est élevée, nète, rebelle aux formules, soit soumise à gnée qu’Uranus. Le 31 août 1846, fort de
moins l’astre paraît lumineux. quelque action demeurée inaperçue jusqu’alors ? quelques hypothèses supplémentaires relatives
3
servation (cette portion d’Univers n’est pas officielles, prétend faussement que le Bureau des
visible la nuit, en hiver), Le Verrier s’impatiente. longitudes s’est déjà prononcé pour le nom de
Avant de se souvenir d’un correspondant alle- Neptune. Quelques jours plus tard, le 1er octobre,
mand, Johann Gottfried Galle, qui a déjà à son Challis découvre la planète à son tour. L’astre était
BIBLIOTHÈQUE DE L'OBSERVATOIRE, PARIS
actif la découverte de plusieurs comètes et lui a passé dans le champ de sa lunette à deux reprises
fait parvenir une copie de sa thèse un an aupara- durant le mois d’août mais il avait négligé de
vant. Une thèse sans rapport réel avec les préoc- NOMS ONT ÉTÉ dépouiller ses observations au jour le jour.
cupations de Le Verrier mais qu’importe ! C’est PROPOSÉS pour baptiser À Paris, on triomphe. Et Arago déclare à l’Acadé-
un excellent prétexte pour le contacter. la planète Neptune : mie : « M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans
Le 18 septembre 1846, Le Verrier prend la plume Janus, par Galle ; Oceanus avoir besoin de jeter un regard vers le ciel : il l’a vu
pour remercier Galle et, après avoir dûment loué par Challis et Adams ; et au bout de sa plume. » Lequel Le Verrier fait savoir
son travail, prie l’« infatigable observateur » de Le Verrier par… Le Verrier ! à Arago qu’il souhaiterait en définitive que la
BASF
au service de la chimie
co-créative
150 ans
d’innovation
publi-communiqué
Cahier partenaire
E
BASF en chiffres
n 2050 neuf milliards
d’hommes, de femmes et
d’enfants auront à se partager
des ressources toujours plus 113 000
collaborateurs dont
limitées. L’entreprise allemande veut
2800 en France
mettre son expertise au service de l’in-
novation pour apporter une contribu-
tion interactive et pérenne aux enjeux 74 milliards d’euros de
chiffres d’affaires dont 2
du XXIe siècle. BASF fait plus que fabri- milliards réalisés en France
quer des produits chimiques, il crée de
la chimie pour un avenir durable.
380 sites de
production dont
LES VALEURS DE BASF 14 en France
Chez BASF, salariés, dirigeants et par-
ties prenantes sont aussi les ambas-
sadeurs de valeurs au service d’une
1,75 milliards
d’euros dans des
chimie innovante et co-créative tour- projets de R&D
née vers un avenir durable. Depuis
ses premiers pas sur les rives du Rhin, Le mot de Xavier Susterac Des clients dans plus
Pour BASF, la sécurité est une priorité quotidienne :
celle des collaborateurs mais aussi des populations voisines de ses sites
de 200 pays,
des partenariats avec
de production, celle des utilisateurs de ses produits, ou encore des de grandes marques
consommateurs. Ce qui est très important pour moi, françaises, dont L’Oréal,
c’est de pouvoir annoncer un jour qu’il n’y a PSA, Faurecia, Bouygues,
plus aucun incident en France.” adidas, AOC Pomerol
Créateur de chimie
pour un avenir durable
L’industrie chimique est une source constante d’innovations et un moteur de développement
économique pour tous les secteurs d’activité. BASF, leader de l'industrie chimique
mondiale, apporte des solutions aux enjeux planétaires du 21e siècle. Des enjeux liés
à l’énergie et au changement climatique, à l’eau et à l’alimentation, à l’accroissement
démographique et à la santé, à la préservation des ressources et à l’environnement. C’est
pour jouer pleinement son rôle par rapport aux attentes de la société, tout en assumant
sa responsabilité sociale que BASF a créé « une chimie pour un avenir durable ».
L
e groupe a structuré sa améliorer la sécurité et les perfor- sûreté, à la protection de la santé et
stratégie de développe- mances environnementales de leurs de l’environnement. Depuis 2000, il
ment autour de trois pôles produits et solutions. Le groupe a est aussi membre du Global Compact,
technologiques : les nou- ainsi mis en place un système de ges- lancé par Kofi Annan, secrétaire gé-
velles matières premières, les nano- tion responsable du Responsible Care néral de l’ONU. C’est la plus large
technologies et les biotechnologies (RCMS) qui s’applique à toutes ses initiative mondiale en matière de Le saviez-vous ?
« blanches ». Une part importante sociétés pour garantir une maitrise développement durable, rassemblant BASF a des systèmes de
de son budget est consacrée à la et une amélioration continue de tous plus de 1000 organisations engagées production intégrée
(Verbund) très efficaces,
recherche et développement (1,75 les aspects liés à la sécurité et à la dans 160 pays. Les organismes des permettant de faire de
milliard d’euros en 2015). Pour accom- nombreuses économies de
pagner sa croissance durable, BASF a ressources (matières
premières, déchets, eau,
mis en place plusieurs outils d'évalua- Un groupe au cœur du développement durable énergie) et de réduire
tion de la durabilité de ses produits. fortement l’impact
Le dernier en date est le Sustainability Depuis 2007, BASF dispose d’un rapport intégré (RI) : dans un environnemental de ses
Solution SteeringTM. activités. Grâce au « Energy
document unique sont regroupées les performances financières, Verbund », BASF a économisé
environnementales et sociétales de l’entreprise. Plus qu’un simple environ 18 millions de MWh
BASF, PARTENAIRE DE rapport, le RI est un outil permettant d’établir des priorités stra- en 2014, ce qui équivaut à une
NOMBREUSES INITIATIVES tégiques et de peser sur les décisions prises par l’entreprise. réduction annuelle des
DE PREMIER PLAN émissions de CO2 de
BASF en France fait partie de l’association Entreprises pour 3,6 millions de tonnes
Depuis 1992, BASF est membre de l’environnement (EpE). Créée en 1992, elle regroupe une qua- métriques. D’autre part, les
Responsible Care, démarche volon- rantaine de grandes entreprises françaises qui partagent la produits vendus par BASF en
taire de l’industrie chimique mon- même vision de l'environnement comme source de progrès et 2014 vont permettre de faire
diale dans laquelle les entreprises économiser 520 millions de
d'opportunités. tonnes d’équivalents CO2.
s’engagent à travailler ensemble pour
Cahier partenaire
L’innovation, la co-création
et la durabilité, une longue
histoire chez BASF
L’ADN de BASF, c’est plus que l’histoire de la chimie
moderne. C’est l’histoire d’une chimie durable, une
chimie pour tous, pour la vie de tous les jours.
1929
BASF ENTRE DANS L’UNIVERS
DES POLYMERES
La physique et la chimie explorent un nouveau
champ de recherche : les polymères. Dans les
années 1930, à partir du raffinage du pétrole, la
synthèse du styrène permet la fabrication de
nombreux plastiques. En 1951, avec son isolant
de première classe, le Styropor, un polystyrène
expansé composé à 98% d’air, BASF conquiert 1949
les marchés du monde entier. BASF ENTRE DANS L’UNIVERS DES PRODUITS
PHYTOSANITAIRES
Après trois ans de tests conduits par la Station de
LE STYRÈNE, STAR DE CINÉMA
recherche agricole, fondée en 1914, l’herbicide U 462
En 1958, Alain Resnais réalise un documentaire de 19 minutes, Le chant fait son entrée sur le marché et BASF ses débuts dans
du styrène. Le court-métrage raconte a rebours les étapes de fabrica- le domaine de la protection des cultures. Un an après,
tion d’un bol, du produit fini aux matières premières en passant par le elle lance le Kumulus, son premier fongicide à base de
styrène qui le compose. La voix off de Pierre Dux déclame les alexan- soufre, et le Perfektan, son premier insecticide pour
drins de Raymond Queneau : permettre aux agriculteurs de protéger les cultures
«O temps, suspends ton bol, ô matière plastique contre les parasites et les maladies. Depuis, BASF a
D’où viens-tu ? Qui es-tu ? et qu’est-ce qui explique élaboré plus de 150 produits phytosanitaires.
Tes rares qualités ? De quoi donc es-tu fait ? Années 1960
D’où donc es-tu parti ? Remontons de l’objet BASF DÉVELOPPE L’IMPLANTATION DE SES SITES
À ses aïeux lointains !» DE PRODUCTION DANS LE MONDE ENTIER
VIVRE EN VILLE
D’ici 2050, plus de 70 % de la population mondiale habitera la ville. Avec des mégalopoles de plus
de 50 millions d’habitants, le traitement de l’eau et la sécurité de son approvisionnement, la gestion
intelligente des déchets, la mobilité au sein de l’espace urbain seront plus que jamais des enjeux vitaux.
BASF propose des outils et des solutions aux urbanistes d’aujourd’hui pour les villes de demain.
VIVRE EN VILLE
DANS L’ESPACE URBAIN, COMMENT
SE DÉPLACER SANS FATIGUE ?
Les semelles des chaussures Energy Boost fabriquées
avec le matériau innovant Infinergy donnent des ailes à la
ville. Grâce à un partenariat étroit avec adidas, BASF a donné un regain
d’énergie à l’univers du running en remplaçant la mousse classique des
semelles de leurs chaussures de course par des milliers de micro-cap-
sules en polyuréthane expansé. Les contacts avec le sol se font en dou-
ceur pour un meilleur rebond et un plein d’énergie à chaque foulée.
BASF ET ADIDAS,
UN PARTENARIAT GAGNANT
Par le passé, les coureurs n’avaient pas d’autre alter-
native que de porter des chaussures de compétition
élastiques rigides, ou des chaussures d’entraînement
souples très amortissantes. En moins de trois ans de
coopération, adidas et BASF ont réussi à mettre fin
à ce dilemme. Ainsi la technologie BOOST™ d’adidas
est-elle la première application mondiale du maté-
riau Infinergy, testée et approuvée par de nombreux
coureurs de fond, comme les marathoniens Patrick
Makau et Dennis Kimetto, détenteurs de nombreux
records du monde. Ces chaussures innovantes et
inspirantes ont notamment été élues « Best Debut »
par Runner’s World, le magazine de la course à pied.
Le saviez-vous ?
COMMENT PRÉSERVER L’AIR QUE L’ON RESPIRE ?
Le filtre à particules FWC™ donne de l’air à la ville. Grâce à sa technolo- Contrairement à l’ozone stratosphérique, qui
gie 4 voies, le catalyseur FWC™ (Four Way Catalyst) combine en un seul composant nous protège des rayons solaires ultraviolets,
les fonctions d’un catalyseur essence classique avec celle d’un filtre : il traite les mo- l’ozone troposphérique est le principal
noxydes de carbone, les hydrocarbures et les oxydes d’azote mais aussi les particules composant du smog et met en danger
des gaz d’échappement. la qualité de l’air.
LE POLLEN D’AMBROISIE
Introduite par mégarde au XIXe siècle dans la région
Rhône-Alpes, cette plante est devenue un fléau. Elle
se développe à très forte densité dans les cultures
de printemps. A la fin de l’été, son pic d’émission
de pollen provoque des allergies qui affectent de 6
à 12% de la population de la Provence à la région
Poitou-Charentes. Sur les 101 départements français,
seuls 9 sont épargnés par l’ambroisie. En région
Rhône-Alpes par exemple, plus d’un habitant sur 5
souffre d’allergies diverses à cause d’elle. Pour limi-
ter son expansion, les pouvoirs publics ont rendu sa
destruction obligatoire avant le stade de la pollini-
sation et l’ont inscrite dans le plan national santé
environnement (PNSE).
À qui appartient
le vivant ?
L’ouverture du marché
des gènes
Des industriels vont-ils devenir propriétaires de
gènes de légumes ou d’animaux ? En accordant
un nouveau type de brevet, l’Office
européen des brevets a-t-il ouvert
la boîte de Pandore ? C’est ce que
craignent certaines associations,
tandis que les scientifiques s’in-
quiètent de l’impact de cette
PASIEKA/SPL/AGEFOTOSTOCK
Matière à penser
À
qui appartient le brocoli ? À la question « si l’on découvre un lien Résultat : à peine accordé par l’OEB, ce bre-
À vous, à moi, à l’humanité entre une séquence génétique existant vet a été contesté par deux entreprises du
dont ce serait un bien com- naturellement dans une plante cultivée et secteur de la semence, Limagrain et
mun ? Plus tout à fait. Un des un caractère particulier de cette plante, Syngenta.
gènes de ce légume pourrait bientôt appar- peut-on devenir propriétaire de toutes les
tenir à Plant Bioscience Limited. Cette plantes exprimant ce caractère ? », la BATAILLE JURIDIQUE
entreprise en détiendrait alors le brevet. La Grande Chambre de recours de l’OEB a
particularité de ce gène ? Il permet à la répondu oui. Un jugement dont l’impact Commence alors un long feuilleton juri-
plante de produire en grande quantité des n’est pas perceptible à première vue dique. La chambre des recours de l’OEB va
substances supposées anticancérigènes, puisque, si l’on se réfère au rapport de à deux reprises interroger la Grande
des glucosinolates, une capacité acquise No Patents On Seeds, d’autres brevets sur Chambre de recours de l’OEB pour déter-
après un croisement avec un brocoli sau- de telles séquences – des gènes natifs – ont miner si, oui ou non, le procédé mis en
vage. Or ce brevet qui doit encore être été accordés par l’OEB, notamment sur le œuvre – un marquage génétique lors d’un
validé pose problème. Car le gène des poivron. Du moins en théorie. En pratique, croisement traditionnel – puis le gène natif
glucosinolates est un gène natif, autrement « aucun de ces brevets n’est valide, des pouvaient être brevetés. Si en 2010, la
dit un gène naturel, qui n’a fait l’objet d’au- recours ont été déposés à chaque fois », Grande Chambre répond non sur le pre-
cune modification biotechnologique. Si assure Hélène Guillot, de l’Union française mier point, en mars 2015, elle répond oui
Plant Bioscience Limited en réclame la des semenciers. au second : un gène natif peut, selon elle,
propriété, c’est qu’elle a découvert son Le premier brevet à avoir été accordé, sus- être breveté. « Mais cela ne signifie pas que
potentiel effet anticancérigène. pendu, puis jugé, c’est justement celui por- le brevet sur le brocoli sera accepté, insiste
Le cas n’est pas nouveau. En février 2014, le tant sur le gène des glucosinolates du bro- Hélène Guillot. Il faut maintenant que la
collectif No Patents On Seeds alertait déjà coli, breveté en 2002 par Plant Bioscience Grande Chambre de recours se prononce sur
l’opinion publique à propos d’un brevet Limited. « Il ne s’agit en aucun cas d’une les trois autres critères de délivrance d’un
accordé par l’Office européen des brevets invention puisque cette propriété existait brevet, à savoir la nouveauté, l’activité
(OEB) et permettant à l’entreprise agro- déjà dans la nature, s’insurge Christian inventive et l’application industrielle. »
chimique suisse Syngenta « de s’approprier Huyghe, de l’Inra. Il n’y avait absolument « Ces brevets restent toutefois inquiétants car
une résistance aux insectes copiée d’un poi- pas lieu de déposer un brevet sur ce gène ! » très flous, assure Guy Kastler, du Réseau
vron sauvage ». En octobre de la même
année, le collectif récidivait en dénonçant
dans un rapport l’existence de 120 brevets
accordés par l’OEB et portant sur des Les brevets sont inquiétants car
plantes issues de méthodes de croisement
conventionnelles. très flous. On ne sait pas si c’est le gène,
Le grand public, lui, n’a réellement décou-
vert la polémique qu’en 2015, le 25 mars,
la fonction dans la plante, l’espèce ou
lorsque la Grande Chambre de recours de le groupe entier qui est breveté ! ”
l’OEB s’est prononcée sur le cas du brocoli. Kastler, du Réseau semences paysannes
Guy
semences paysannes. Ils ne contiennent un vif émoi en Europe. Et pour cause : « La instance de l’Union européenne ; il s’agit
même pas la séquence génétique exacte ou le plupart des pays européens, en particulier d’une organisation intergouvernementale
PHOTOTHÈQUE R.MAGRITTE/BI, ADAGP, PARIS 2015© ADAGP, PARIS 2015
mode d’obtention ! Et puis on ne sait pas réel- la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, sont indépendante.
lement si c’est le gène, la fonction dans la très réticents au brevetage des gènes natifs », L’idée de créer l’OEB est née dans les
plante, l’espèce ou le groupe entier qui est bre- assure Guy Kastler. Un point là encore dif- années 1970. « Il s’agissait alors de stimuler
veté. » Effectivement, sur ce point, les ver- ficile à saisir. Pourquoi un organisme euro- l’innovation en Europe en réduisant le
sions divergent d’un interlocuteur à l’autre, péen irait-il en effet prendre des décisions nombre de demandes de brevets à déposer »,
même si, d’après l’OEB, les choses sont contraires à la position de l’Union euro- rappelle Christine Noiville, du Haut Conseil
claires : pour espérer obtenir un brevet sur péenne ? « À cause d’un conflit d’intérêts : des biotechnologies, à Paris. En 1973, soit
un gène, il faut faire état « d’une fonction ou l’OEB est payé par les redevances des déten- bien avant la constitution de l’Union
activité véritable qui mène à une application teurs de brevet », répond Guy Kastler. européenne, une convention sur le brevet
technique : une simple séquence ne constitue « Parce que cet office ne réunit que des européen est signée à Munich par tous les
pas un enseignement technique ». experts européens, et non des représentants futurs membres de l’UE mais aussi par la
Que le brevet sur le brocoli soit ou non légitimes des nations européennes », ajoute Suisse et la Turquie. De fait, l’OEB n’a aucun
accordé, la décision de la Grande Chambre Hélène Guillot. Mais il est une raison plus compte à rendre à l’UE. Il ne fait ses choix
de recours de l’OEB a d’ores et déjà suscité évidente que les autres : l’OEB n’est pas une qu’en fonction de son règlement
Matière à penser
d’exécution et de la convention de donc d’identifier plus rapidement des qui n’est pas sans poser problème dès qu’il
Munich. À la marge, elle peut aussi s’ap- gènes dignes d’intérêt dans le patrimoine est question de gènes natifs. Quid en effet
puyer sur certains textes de l’UE, en parti- génétique des plantes ou des animaux. des brocolis qui contiennent ou contien-
culier la directive 98/44/CE sur la breveta- En parallèle, le marché des OGM a décliné. dront naturellement le gène breveté ?
bilité des inventions biotechnologiques. Confrontés à d’importantes difficultés d’ex- Seront-ils aussi la propriété de Plant Bios-
Un texte sensible, rédigé sur fond de polé- ploitation, les leaders du marché des cience Limited ?
miques OGM, et qui a mis dix ans avant semences ont fini par renoncer, en particu- « La polémique ne concerne pas seulement
d’être adopté par l’Union européenne. lier en Europe. « Pourquoi s’obstiner à dépo- les plantes, poursuit la juriste. L’homme est
À l’époque, les scientifiques commen- ser des brevets qui ne peuvent être exploités ? le premier à avoir été touché par ce pro-
çaient à insérer des gènes étrangers ou arti- explique Christine Noiville. Mieux vaut blème. » Et pour cause : si la directive 98/44
ficiels dans des génomes bactériens, végé- investir sur des technologies non transgé- stipule que « le corps humain, aux diffé-
taux ou animaux, créant de nouveaux niques », comme la sélection de gènes assis- rents stades de sa constitution et de son
micro-organismes, plantes, animaux, mais tée par marqueurs, utilisée notamment développement, ainsi que la simple décou-
aussi une cascade de problèmes juri- dans le cas du brocoli, mais aussi du tourne- verte d’un de ses éléments, y compris la
diques. « Du coup, lorsque les hommes poli- sol, du poivron et de la tomate. séquence ou la séquence partielle d’un gène,
tiques et les juristes ont rédigé cette directive, ne peuvent constituer des inventions breve-
ils n’avaient que les OGM en tête, reprend LA DIRECTIVE EUROPÉENNE tables », elle précise aussi qu’« un élément
Guy Kastler. Ils n’avaient pas anticipé les INADAPTÉE isolé du corps humain ou autrement pro-
problèmes pouvant découler des brevets sur duit par un procédé technique, y compris la
les gènes natifs. » À cause de ces multiples changements, la séquence ou la séquence partielle d’un gène,
Il faut se rappeler le contexte : « En 2005, il directive 98/44/CE est devenue imprécise peut constituer une invention brevetable,
avait fallu sept années de recherche interna- voire inadaptée, notamment l’article 9 qui même si la structure de cet élément est iden-
tionale pour séquencer le génome du riz. étend la protection du gène à toute la tique à celle d’un élément naturel. » Autre-
Aujourd’hui, on peut le faire en quelques plante : « La protection conférée par un bre- ment dit : nos gènes ne sont pas breve-
jours à un coût moindre », insiste Guy vet à un produit contenant une information tables tant qu’ils restent dans nos cellules ;
Kastler. Cette accélération inouïe de la génétique ou consistant en une information mais ils le deviennent dès lors qu’ils sont
vitesse de séquençage du génome associée génétique s’étend à toute matière, sous amplifiés par PCR (abréviation anglaise de
à une chute vertigineuse des coûts permet réserve (…) que l’information génétique réaction de polymérase en chaîne).
désormais de mixer facilement les apports contenue exerce sa fonction. » Une préci- Des gènes humains, en revanche, ont bel et
de la bio-informatique et de la biologie, et sion compréhensible pour un OGM mais bien été brevetés. Les premiers brevets
16,8 %
22,1 % 28,5 % ont abouti
32,6 % ont abouti ont abouti
ont été
retirées 46,9 % 51,8 %
ont été ont été 31,4 %
INFOGRAPHIE : MICHÈLE BOURGEOIS
D’après la directive européenne 98/44, les variétés de plantes et les procédés essentiellement biologiques ne sont pas
brevetables. Mais les gènes ou les plantes en elles-mêmes le sont. (*) depuis 1995 - Source : Office européen des brevets.
que dans le cas de Myriad Genetics Inc, rien natifs », explique François Burgaud, du pas près de se refermer. n
de nouveau n’avait été créé. Le système Groupement national interprofessionnel
judiciaire américain faisant la part belle à la des semences. Ce genre de réponse a d’ores Pour en savoir plus
jurisprudence, avec ce jugement, la Cour et déjà été mis en place en France ou en n www.epo.org. Le site de l’Office européen des brevets.
Entretien
avec Christian Huyghe
LaRecherche.L’Office européen des 50 % de son alimentation, ce qui rend obli- vitesse de croissance du blé, cela permet de
brevets a octroyé plusieurs brevets gatoire la notion de progrès, pour la pro- donner une direction au progrès et d’ac-
portant sur des gènes natifs chez ductivité. Alors le chercheur, avec d’autres, croître l’innovation utile. Par exemple, en
les végétaux, c’est-à-dire des gènes imagine un système permettant de booster 1993, l’Australie a ratifié la convention de
présents dans la nature et qui n’ont l’innovation végétale tout en la protégeant. l’Upov. En conséquence, la recherche aus-
à aucun moment été inventés par Cela conduira à la mise en place en 1961 de tralienne sur les nouvelles variétés végé-
l’homme. Est-ce que cette décision l’Union internationale pour la protection tales a fait un bond, passant du monde uni-
vous a surpris ? des obtentions végétales (Upov) dont la versitaire à une multitude d’entreprises
ChristianHuyghe.Absolument. Les végé- convention a été signée par 72 instances privées. L’écosystème des COV a donc ten-
taux concernés par ces brevets, brocolis et nationales ou internationales. Les grands dance à maximiser le progrès.
tomates, ne sont pas issus d’une procédure absents de l’Upov sont les États-Unis, qui Ce n’est pas le cas avec les brevets ?
de sélection innovante. Ils ne sont pas non privilégient la philosophie du brevet. Non, car la logique du brevet est très diffé-
plus porteurs de gènes inventés. Ils ne uelle est la particularité du certificat
Q rente. En effet, le brevet ne vise qu’à maxi-
relèvent en rien de l’innovation. Pour l’Ins- d’obtention végétale par rapport au miser le profit individuel et non l’innova-
titut national de la recherche agronomique brevet ? tion collective. Et pour cause : pour faire un
(Inra), rien ne justifiait donc le dépôt ou Son principal intérêt, c’est que la variété progrès en s’appuyant sur une variété bre-
l’obtention de ces brevets. végétale est protégée seulement lors de la vetée, il faudrait demander l’autorisation à
ourquoi ces brevets sont-ils
P commercialisation. Elle peut être libre- « l’inventeur » de la variété, et lui payer des
problématiques ? ment réutilisée par des semenciers ou des royalties. La nouvelle variété obtenue pour-
Parce qu’à terme, ils pourraient constituer chercheurs qui souhaitent réaliser des rait à son tour être brevetée, mais sans pour
une entrave à l’innovation. Je m’explique. croisements pour produire de nouvelles autant invalider le précédent brevet. Pour
Pour des raisons essentiellement histo- variétés. Ces dernières pourront à leur tour espérer utiliser à nouveau cette variété
riques, il existe plusieurs systèmes de pro- être protégées par un COV. Le fond géné- pour en produire une nouvelle, il faudrait
tection de la propriété intellectuelle. Les tique reste à tout moment disponible pour rémunérer non pas un mais deux déten-
secteurs de la chimie et de l’industrie uti- la réutilisation. Si ce système est combiné teurs de brevet, ce qui fait grimper les prix
lisent le brevet pour protéger une innova- avec des orientations déterminées par et finit par décourager ceux qui souhai-
tion. Le monde agricole, lui, use plutôt du l’État, par exemple une amélioration de la taient améliorer encore cette variété. Au
certificat d’obtention végétale (COV), qui
permet de protéger les nouvelles variétés
végétales. Ce système a été imaginé dès la
fin de la Seconde Guerre mondiale par un Rien ne dit qu’à terme,
Français, Jean Bustarret, futur chef de
département de l’Inra. À l’époque, l’Europe
les chercheurs ne devront pas payer
meurt de faim. La France importe plus de pour travailler sur les variétés ”
96 • La Recherche | Novembre 2015 • N°505
PARCOURS
CHRISTIAN HUYGHE
est directeur
scientifique adjoint
« agriculture » de
l’Inra. Il a travaillé sur
l’amélioration des
plantes (lin, lupin,
luzerne…). Il est
président du Groupe
d’étude et de
contrôle des variétés
et des semences, et
du comité d’orien-
tation scientifique
et technique
de l’Association
de coordination
technique agricole.
final, l’innovation est freinée… ce qui est séquences humaines impliquées dans le façon ponctuelle et précise la séquence
très dommageable dans le contexte actuel. cancer du sein. Ces brevets qui proté- d’un gène. Cette méthode est si perfor-
D’après un rapport de l’Institut national geaient des tests de diagnostic ont posé mante que des questions juridiques se
d’études démographiques (Ined), publié problème en Europe comme aux États- posent quant au statut exact des séquences
en septembre, il faudra nourrir 10 milliards Unis et ils ont dû être invalidés entre autres génétiques qu’elle permet de produire.
de personnes en 2050. Cela ne sera pas pos- pour permettre la mise sur le marché de Cela crée une situation juridique nouvelle,
sible sans progrès dans le secteur agricole. méthodes plus performantes, élaborées qu’il convient d’analyser avec attention.
ourtant l’Inra aussi pose des
P par des laboratoires concurrents. ourquoi les brevets sur les gènes
P
brevets sur des végétaux, comme es brevets sur les gènes natifs
C natifs vous inquiètent-ils autant ?
celui portant sur l’hybride de colza, pourraient-ils constituer un frein à la Parce que leur champ d’action reste très
ogu-Inra, qui lui rapporte 50 % des recherche académique ? flou. Tout le monde a son interprétation de
royalties perçus par ses brevets ? Oui. Depuis dix ans, on sent d’ailleurs un ces brevets. Pour certains, ils portent sur le
Qui rapportait. Ce brevet est tombé récem- net durcissement de la situation. Avec les gène, pour d’autres, sur la fonction, alors
ment. Oui, l’Inra pose des brevets mais certificats d’obtention végétale, les cher- que ces deux notions sont si liées l’une à
seulement sur des nouveaux procédés de cheurs avaient toute liberté pour travailler. l’autre qu’elles ne peuvent, en réalité, être
sélection, sur des séquences artificielle- Avec les brevets, ils sont de plus en plus vraiment dissociées. Que se passera-t-il
ment créées. Dans le cas de l’ogu-Inra, c’est obligés de demander des autorisations aux alors si des agriculteurs utilisent des varié-
un procédé qui avait été breveté : en fusion- inventeurs. Et rien ne dit qu’à terme, ils ne tés contenant de façon naturelle l’un de ses
nant les protoplastes du radis et du colza, devront pas payer pour travailler sur les gènes brevetés ? Comment même pour-
nous avions montré qu’il était possible de variétés, soit brevetées, soit intégrant une ront-ils le savoir ? De plus, ces brevets ne
créer des plantes de colza dont la fleur séquence ou un gène protégé par un bre- sont pas déposés sur des plantes ornemen-
mâle était stérile : de quoi accroître les pos- vet. L’arrivée de procédés d’édition du tales mais sur des plantes alimentaires.
sibilités de sélection. Nous sommes com- génome révolutionnaires est aussi en train Aujourd’hui, c’est le brocoli, mais demain
GABRIEL OMNÈS
plètement opposés à l’idée de breveter des de bouleverser la donne. Je pense en parti- ce sera potentiellement le blé. On perd
gènes natifs. Les premiers brevets déposés culier à la méthode CrispR/Cas9 dévelop- complètement de vue l’objectif initial :
sur les gènes natifs ont concerné des pée en 2012 qui permet de modifier de assurer la sécurité alimentaire. n
L’œil du philosophe
L
e 25 mars dernier, la Grande dangereux de toutes sortes ont pu être pro- convaincre. Et sans être naïf, je pense que ce
Chambre de recours de l’Office tégés par des brevets : des poisons, des n’est pas qu’une affaire d’effets de manches,
européen des brevets s’est dite explosifs ou des substances chimiques. d’idéologies, de défense d’intérêts ou
favorable à ce qu’un gène natif Dans ce texte, la Grande Chambre ne se encore d’appartenances culturelles ou reli-
soit breveté. Pour ou contre cette décision ? prononce pas non plus sur l’aspect éthique gieuses. Quelques théories morales peuvent
Avant d’adopter une posture et de se lancer de sa décision. Sur le plan scientifique, elle aider à s’orienter et faire valoir sa concep-
tête baissée dans une querelle éthique, reste à distance, estimant d’ailleurs que le tion. Encore faut-il savoir à propos de quel
voyons d’abord les deux textes relatifs à recours à une interprétation classique est « objet » les mobiliser.
cette décision et qui comptent tout de suffisant. Le débat interdisciplinaire n’est Plusieurs stratégies existent pour défendre
même 68 pages pour l’un et 69 pages pour donc pas clos : il n’a pas commencé ! ses positions éthiques dans ce débat.
l’autre. Pour un non-juriste, ces textes sont L’une d’elles consiste à déterminer des
incompréhensibles. Pourtant, passé le DÉFINIR LE VIVANT AVANT TOUT entités, par exemple les espèces, comme
temps de l’ésotérisme, ces documents des éléments qu’on ne peut s’approprier
s’avèrent très instructifs à plusieurs titres. Un débat éthique, pour être mené en bonne et donc comme des ressources com-
Tout d’abord, le pouvoir de la Chambre de et due forme, doit respecter certaines règles munes – avec les biens communs (com-
recours, aussi Grande fut-elle, est très d’argumentation. On n’a plus automatique- mons) qui sont en libre accès ou la pro-
limité. Elle n’a pas pour mandat de s’enga- ment l’éthique dans son camp aujourd’hui ; priété d’une communauté d’acteurs. Les
ger dans une politique législative. Elle le dit elle est mise au défi du pluraliste. Il faut offices qui protègent les brevets l’ont inté-
plusieurs fois au cours de son texte, notam-
ment parce qu’elle est consciente que des
La question
du brevetage du
gène natif requiert
une réflexion
ontologique
attaqués. En passant, je signale que les
opposants ne sont pas des organisations
non gouvernementales, mais des multi-
nationales, donc des concurrents ayant
recours à des procédés proches. Je ne C’est à Munich, au siège de l’Office européen des brevets, que se joue l’avenir du brocoli.
pense pas qu’ils adhèrent à cette idée de
bien commun, mais qu’ils voient tout
d’abord les problèmes de concurrence qu’on ne peut s’approprier le vivant. Mais vivant ne pourra pas faire l’économie de ce
que pourrait engendrer pareille décision il faut aussi se mettre d’accord pour nom- qu’on entend par vivant. La biologie reste
de l’Office européen des brevets. mer ce qui est en jeu avec ce brocoli. Une assez peu loquace sur le sujet, refusant
À proprement parler, toutes les instances traduction entre biologie, droit et éthique même de se frotter à la question. Quant aux
délivrant les brevets protègent le matériel est nécessaire pour savoir de quoi on parle. institutions qui enregistrent les brevets, il
génétique qui n’a pas été transformé techni- Or cette description est si sommaire qu’il semble qu’elles ne cherchent pas à breve-
quement. Le gène « naturel » n’est donc pas n’est pas certain que les biologistes eux- ter le vivant ici mais à breveter un nouveau
une propriété comme une autre. La ques- mêmes s’y retrouvent. terme avec ce fameux gène natif. C’est l’en-
tion du brevetage du gène natif requiert Dans un deuxième temps, on pourra jeu. L’ontologie et la métaphysique ont de
donc une réflexion ontologique et des pré- débattre, une fois nos intuitions morales beaux jours devant elles, quand bien
cautions épistémiques. Le préalable : savoir ébranlées. En effet, chacun ne réagit pas de même les rangs des étudiants en ces
de quoi on parle exactement, pour ensuite la même manière sur le plan éthique, selon matières sont clairsemés. n
instruire la question avec la même justesse ! les positions que les uns et les autres
OEB, MUNICH
Qu’entend-on donc exactement par gène adoptent sur une telle question. Finale- Pour en savoir plus
natif ? On peut se mettre d’accord sur le fait ment, la discussion sur le brevetage du n Alain Prochiantz, Qu’est-ce que le vivant ?, Seuil, 2012.
Neandertal : à la recherche
des génomes perdus
de Svante Pääbo
Q
ui sommes-nous et d’où venons-nous ? – cet ADN, hérité de manière maternelle et présent en un grand
Pour répondre à ces questions, nous nous nombre de copies par cellule – puis quelques gènes particuliers,
sommes longtemps heurtés à une dualité : et enfin son génome complet issu d’ADN nucléaire. Environ
la paléontologie, fondée sur l’étude des trente ans après les premiers balbutiements de la paléogéné-
caractères morphologiques à partir tique, Svante Pääbo et son équipe sont les acteurs du séquençage
des fossiles, tentait de comprendre d’où et du décryptage du génome de Neandertal.
nous venions. L’approche génétique, quant à elle, s’attachait à C’est cette fabuleuse histoire que Svante Pääbo nous raconte,
inventorier et comprendre la fonction des gènes pour appré- non sans suspense. On vibre ainsi avec son équipe lorsque les
hender ce que nous sommes. Caractères anatomiques et ana- concurrents américains risquent de publier un résultat plus rapi-
lyses des caractères visibles, sur les restes du passé d’une part ; dement, mais aussi peut-être de façon moins rigoureuse. Dans
gènes et analyses génétiques sur l’homme un récit fourmillant d’anecdotes, le lecteur
actuel, d’autre part. découvrira également comment s’est mis en
Mais au début des années 1980, tout change. place le programme de recherche sur le
Grâce à l’avancée des connaissances et des génome complet de Neandertal, quelles ont
techniques, l’idée naît que le matériel géné- été les grandes avancées techniques en la
tique puisse être conservé dans des restes matière et surtout ce que l’acquisition des
anciens. En Suède, elle se concrétise dans les données de ce génome permet aujourd’hui de
travaux d’un étudiant en médecine de l’uni- conclure : que les Néandertaliens ont bel et
versité d’Uppsala, passionné d’Égypte bien apporté des gènes aux humains actuels.
ancienne, Svante Pääbo. Ce dernier travaille L’auteur livre également quantité d’éléments
sur les mécanismes immunitaires humains, au sur Neandertal.
sein d’un laboratoire pionnier dans le clonage Même pour un spécialiste, la lecture est parfois
et la manipulation d’ADN dans des bactéries. ardue car très touffue et dense en informations,
En quasi-secret, il va mener une expérience et la traduction aurait pu être plus fluide. Mais
fondatrice pour notre discipline en recher- cette manière d’écrire reflète aussi très forte-
chant de l’ADN ancien dans des tissus de ment la complexité des problèmes scienti-
momies égyptiennes. Cette avancée majeure fiques rencontrés et leur enchevêtrement.
permettra à d’autres, dont notre équipe, de Chercheur brillant ayant passé sa vie à décryp-
pousser ces recherches sur d’autres restes fossiles, tels que les ter les mystères de l’ADN issu des fossiles, Svante Pääbo n’en est
ossements et les dents d’un grand nombre d’espèces animales pas moins humain. Avec humour, tendresse et sincérité, le paléo-
de la dernière glaciation. Le champ des possibles, l’accès au généticien raconte certains éléments de sa vie privée. Sentiments
génome d’espèces et de populations disparues, s’ouvre alors et d’homme, d’amant, de père, mais aussi les liens amicaux et d’af-
naît une nouvelle discipline : la paléogénétique. fection qui peuvent se tisser entre les membres d’une équipe de
Mais Svante Pääbo a une obsession : connaître les caractéris- recherche, dont le leader pourrait être sur la voie du prix Nobel. n
tiques génétiques de l’homme de Neandertal. Une tâche qui Catherine Hänni, chercheuse en paleogénétique
s’avère dès le départ difficile car les fossiles sont contaminés par à l’École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon) et
de l’ADN humain actuel. Il y parvient néanmoins, d’abord en directrice de recherche au CNRS
obtenant quelques paires de bases de son ADN mitochondrial Éditions Les Liens qui Libèrent, 2015, 394 p., 24 €.
ÉCONOMIE
Beau livre
Le Consommateur planétaire
Serait-il possible de réconcilier les thèses Une belle histoire
néolibérales vantant les bienfaits de la
libéralisation avec les mouvements
altermondialistes en faveur d’une économie locale
de l’homme
et de proximité ? Oui, répond Éric Lambin, L’Homme est-il une es-
géographe et professeur à l’université de Louvain, pèce évoluée comme
en Belgique, et à l’université Stanford, en une autre ? Comment
Californie. Dans son ouvrage, il prône en effet la mort est-elle vécue ?
l’avènement d’une troisième voie, qui s’appuierait sur un Sept milliards d’humains
« consommateur planétaire » responsable, plus altruiste. Avec aujourd’hui, combien
un objectif : vivre ensemble de manière plus équitable. demain ? Voici quelques-
Éric Lambin, Le Pommier, 2015, 280 p., 22 €. unes des questions posées
par les auteurs de cet ou-
vrage, fruit d’une collabo-
PSYCHOLOGIE ration entre Flammarion et
le Muséum national d’his-
60 questions étonnantes toire naturelle. Leur objectif : raconter l’aventure humaine en
sur l’alimentation soixante questions, chacune développée sur deux pages de
Quel est l’impact de la taille de l’assiette sur le façon pédagogique et accessible au grand public, de nom-
sentiment de satiété ? Quelle influence a une breuses illustrations à l’appui. Des paléoanthropologues, des
étiquette de vin dans l’appréciation d’un repas ? généticiens, des démographes et des ethnologues retracent
Comment mesurer le poids des informations notre histoire évolutive, éclairent l’origine de notre diversité
nutritionnelles dans la décision d’achat ? Ce nouvel et interrogent notre rapport à la nature et à la culture. Se sont
ouvrage, très grand public, de la collection prêtés au jeu des personnalités comme Yves Coppens, René
« In psycho Veritas », passe en revue des expériences scientifiques, Frydman, Guillaume Lecointre et Marylène Patou-Mathis pour
parfois étonnantes, pour répondre objectivement à des questions, ne citer qu’eux. Les thèmes abordés dans ce livre constituent
souvent pertinentes et quelquefois saugrenues, autour de l’alimentation. par ailleurs le fil rouge de l’exposition permanente du musée de
Instructif et drôle. l’Homme, à Paris, qui a rouvert ses portes le 17 octobre dernier.
Maxime Morsa, Mardaga, 2015, 144 p., 14,90 €. Evelyne Heyer (dir.), Flammarion, 2015, 144 p., 25 €.
MÉDECINE COSMOLOGIE
CLIMAT
Évolution
Crime climatique stop !
Sapiens, une brève histoire La journaliste et essayiste canadienne Naomi
Klein, le climatologue français Jean Jouzel, ou
de l’humanité encore l’archevêque Desmond Tutu, Prix Nobel
de la paix en 1984, voici quelques-unes des
C’est à un formidable voyage dans le temps que nous convie 29 personnalités qui signent cet ouvrage
Yuval Noah Harari, historien à l’université de Jérusalem. L’excur- exhortant à stopper le « crime climatique » en
sion démarre il y a près de 2,5 millions d’années en Afrique. Les train de se jouer et qui s’interrogent sur les gaz
hominidés sont alors des animaux parmi les autres, qui auront de schiste, l’anthropocène, la géo-ingéniérie ! Car
la maîtrise du feu environ deux millions d’années plus tard. « aujourd’hui, le changement climatique est notre ennemi à tous »,
Mais attachez vos ceintures car l’histoire s’accélère : domesti- assène l’archevêque sud-africain en préface de l’ouvrage. Et en guise de
cation du blé il y a 9 000 ans, apparition des premières villes conclusion, l’Appel de la société civile, et ses cent premiers signataires.
et des premiers empires il y a 5 000 ans, premières pièces de Collectif, Seuil, 2015, 320 p., 15 €.
monnaie deux siècles et demi plus tard, jusqu’à la révolution
scientifique, commencée il y a 50 ans à peine… Homo sapiens
bouscule maintenant les frontières biologiques et génétiques. MÉDECINE
L’auteur ne se contente pas de donner des repères à travers les
millénaires, il s’interroge sur Immunothérapie des cancers
Homo sapiens. Comment a-t- au troisième millénaire
il pris le dessus sur ses cousins Après plus d’un siècle de tâtonnements,
hominidés ? À quoi sont dues l’immunothérapie révolutionne le traitement
les révolutions agricoles et du cancer. Le concept est simple : stimuler
scientifiques ? En s’appuyant notre système de défense, le système immunitaire,
sur plusieurs disciplines, il pour qu’il vienne à bout des tumeurs. Cet ouvrage
propose quelques hypo- spécialisé, écrit par des médecins, explique
thèses. Mais il cherche encore les premiers succès de cette stratégie. Par exemple, l’utilisation
la preuve que le bien-être des des anticorps monoclonaux, qui peuvent reconnaître les cellules
hommes s’améliore inévita- cancéreuses, s’y lier et bloquer leur croissance dans certains cancers
blement au fil du temps. du sein. Une avancée qui profitera à d’autres pathologies.
Yuval Noah Harari, Albin Michel, Laurence Zitvogel, Dalil Hannani, Nicolas Martin, Edp Sciences, 2015,
2015, 450 p., 24 €. 420 p., 100 €.
L
a peste. Un exemple de ces maladies qualifiées de de la contagion, jusqu’à l’épisode « Le virus de Gettysburg » de
« réémergentes ». Des maladies virulentes qu’on pen- la série Seven Days [Sept jours pour agir, NDLR], dans lequel
sait éradiquées au milieu du XXe siècle et auxquelles le héros tente de sauver la population mondiale menacée par
se consacrent aujourd’hui des chercheurs de l’Institut une nouvelle forme du virus Ebola !
Pasteur à Paris. Car depuis les années 1970, des agents infec- Sean Martin raconte les efforts déployés à travers les siècles
tieux associés à des maladies nouvelles (Ebola, pour affronter la peste noire, la fièvre jaune,
VIH, virus H5N1…) ou qu’on croyait contrôlées la variole, la poliomyélite, le sida… La donne a
(choléra, tuberculose…) sont découverts presque changé à partir du dernier quart du XIXe siècle,
chaque année. Dans le même temps, d’autres lorsque les microbes ont été identifiés. Avec
maladies ont connu une extension géogra- Louis Pasteur, Robert Koch, Rudolf Virchow et
phique, à l’instar de la dengue. Joseph Lister, la révolution microbienne a ouvert
Avec A Short History of Disease, le poète et la voie à l’hygiène préventive, la vaccination
cinéaste anglo-irlandais Sean Martin s’intéresse et, au XXe siècle, aux antibiotiques et diverses
à l’histoire sociale de ces maladies de la Pré- mesures de santé publique. Avec comme résultat
histoire à nos jours. À travers diverses sources la chute drastique de la mortalité due aux ma-
– textes religieux, mythologiques ou littéraires, ladies infectieuses dans les pays industrialisés.
études scientifiques, films…, il présente les mul- L’auteur termine sur le lien entre les maladies
tiples représentations de ces maladies. Ainsi, le infectieuses et l’état des sociétés. Aujourd’hui,
papyrus Edwin Smith est le plus ancien docu- elles sont le symptôme des inégalités nord-sud,
ment connu sur la chirurgie. Datant de l’Égypte causant ici 1 % des décès contre 43 % là-bas.
antique, il attribuait aux maladies « le souffle d’un dieu extérieur Sans oublier les défis que représentent la résistance aux anti-
ou de la mort ». Dieu qui, dans l’Ancien Testament biblique, a biotiques et l’émergence de nouvelles maladies.
inventé les dix plaies d’Égypte pour convaincre Pharaon de li- Julie Bouchard, maître de conférences, université Paris-XIII/Labisc
bérer le peuple hébreu. Tant d’autres récits activent l’imaginaire Oldcastle Books, 320 p., 2015, 16,95 $.
CHRONIQUES ÉPISTÉMOLOGIE
Que reste-t-il
nous ne percevons pas de cette année est la mé-
tous les détails. Il possé- moire et sera notamment
dait la capacité de se pro- abordé le 20 novembre à
à découvrir ?
jeter dans l’abstraction, et 9 h 30 au cours d’un col-
avait des préoccupations loque organisé à l’univer-
spirituelles. Son environne-
ment est ici reconstitué,
Pour sa troisième édition, le forum du accompagné de plusieurs
CNRS est consacré aux changements productions artistiques
climatiques. Comment les prévoir et les de Neandertal.
modéliser ? Quelles solutions sont envisa- Grand-Pressigny (Indre-
geables pour limiter leur impact ? Destiné et-Loire), musée de la
à favoriser les échanges entre les scienti- Préhistoire.
fiques et la société, le programme propose www.prehistoire
35 conférences qui illustrent les multiples grandpressigny.fr
facettes du travail des chercheurs français
sur les énergies, les ressources naturelles, Jusqu’au sité d’Évry-Val d’Essonne.
les conséquences du réchauffement cli- 30 novembre Des chercheurs évoque-
matique sur le vivant ou l’urbanisme. Les Figures de la terre ront la mémoire à travers
intervenants sont réunis en tables rondes, parfois avec l’appui d’extraits de En 2013, des figurines en le vécu individuel, mais
documentaires. Pour certains thèmes, deux chercheurs confrontent leurs terre cuite gallo-romaines aussi l’évolution du vivant.
points de vue. Des séries de trois conférences de dix minutes permettent ont été découvertes sur Dans 25 localités
également de présenter différentes approches d’un même sujet. Enfin, certains le site archéologique de l’Essonne.
chercheurs bénéficient d’une carte blanche, comme la paléoclimatologue de Vendeuil-Caply, en www.collectifculture91.com
Valérie Masson-Delmotte, ou le spécialiste en hydrologie Ghislain de Marsily. Picardie. 80 de ces œuvres
Les 13 et 14 novembre, Paris, la Sorbonne. www.leforum.cnrs.fr sont exposées, aux côtés Du 13 au
de 50 autres, prêtées par 15 novembre
d’autres musées, qui Des étoiles
(Dordogne), musée de Grenoble a participé à montrent la diversité de et des ailes
EXPOSITIONS national de Préhistoire. son maintien parmi les plus cette production dans le La 6e édition du festival
http://tinyurl.com/eyzies- grands musées de France. Nord de la Gaule romaine. Aérospatial présente
Jusqu’au neolithique Ce travail est mis en lu- Vendeuil-Caply (Oise), des conférences autour de
15 novembre mière à travers l’exposition musée archéologique l’aéronautique et de l’aéro-
Signes de richesse Jusqu’au de spécimens exception- de l’Oise. spatiale, dont certaines
À la fin de la Préhistoire, 15 novembre nellement sortis des ré- www.ocim.fr/2015/04/ sont orchestrées par des
l’agriculture et l’élevage Troisième vie : serves, représentatifs de la figures-de-la-terre personnalités scientifiques.
entraînent le passage à quand les diversité des adaptations Parmi elles, le planéto-
une économie de produc- acquisitions de la faune à son milieu. logue Sylvestre Maurice
tion. Des objets façonnés s’exposent Grenoble (Isère), muséum. FESTIVALS donne des nouvelles de la
en matériaux nobles ou Depuis 1980, la politique http://tinyurl.com/ mission Rosetta, et l’astro-
exotiques constituent alors d’acquisition du muséum echosciences-troisieme-vie Du 4 novembre physicienne Sylvie Vauclair
des signes de richesse qui au 19 décembre fait le point sur des décou-
témoignent de l’émer- Jusqu’au La science de l’art : vertes récentes au sujet
gence des premières 30 novembre la mémoire des corps célestes
sociétés hiérarchisées. Neandertal, Des installations à la croi- qui peuplent l’Univers.
L’exposition dévoile ces un mystère sée de l’art et de la science Toulouse (Haute-
objets, colliers, poignards préhistorique sont présentées dans tout Garonne), Cité de
ou bracelets, et met en L’homme de Neandertal le département de l’espace.
évidence leur circulation. a développé une société l’Essonne par le Collectif http://tinyurl.com/etoiles-
Les Eyzies-de-Tayac complexe et riche dont Culture Essonne. Le thème ailes-prog
É
tendu sur une plage équatorienne à l’ombre n’est pas tout à fait droite puisque la Terre l’entraîne dans
d’un parasol, un touriste dort à poings fermés. sa rotation. Passagers et touristes sont donc bel et bien
Rien ne semble troubler son sommeil. Pas soumis à une force. Ce n’est autre que la pesanteur, la
même la rotation de la Terre qui, à l’équateur, somme de la force gravitationnelle – causée par la masse
s’effectue pourtant à la vitesse de 1 670 kilomètres/heure, de la Terre – et de la force centrifuge – provoquée par sa
soit deux fois plus vite qu’un Airbus A320 ! Dans ce même rotation. La première nous attire vers le sol. La seconde a
avion qui fend l’air à vitesse constante, les passagers ne plutôt tendance à nous en arracher, à l’image des occu-
ressentent rien de particulier non plus. Est-ce à dire qu’ils pants d’un manège, repoussés vers l’extérieur. Bien que
ne sont soumis à aucune force ? ces deux forces s’opposent, la rotation de la Terre est suf-
Souvenons-nous de nos cours de physique. Newton lui- fisamment lente pour que la force centrifuge soit négli-
même écrivait en 1687 que tout objet immobile ou évo- geable devant la gravitation. À l’équateur, où elle est
luant à vitesse constante et selon une trajectoire recti- maximale, la force centrifuge ne contribue ainsi qu’à
ligne n’est soumis à aucune force. Aucune force ? Ce serait 0,3 % de la pesanteur. Trop faible pour que nous ressen-
oublier que nous vivons sur une planète qui tourne. tions son effet et donc la rotation de la Terre.
Notre touriste affalé sur sa serviette n’est donc pas vrai- Si nous avions vécu il y a 4,5 milliards d’années, la chose
ment immobile. De même que la trajectoire de l’Airbus aurait été tout autre. À cette époque, selon les astronomes
américains Matija Cuk et Sarah Stewart, la Terre
exécutait un tour complet sur elle-même en…
deux heures et demie (1) . La force centri-
fuge était alors près de cent fois plus
importante qu’aujourd’hui. Autant dire
que toute sieste aurait été exclue !
Une autre question mérite d’être soule-
vée. Pourquoi ne voit-on pas la Terre tour-
ner ? Eh bien parce que la vitesse est une
notion relative et que, dans le référentiel ter-
restre, tout tourne en même temps et à la
même vitesse : vous, le touriste, la plage, le
parasol, la mer et l’air. Si bien que nous
n’avons pas l’impression de vitesse. Un peu
comme si les fenêtres d’un TGV lancé à
vitesse constante étaient opaques : privés de
repères visuels extérieurs, les passagers
n’auraient aucun moyen de se rendre
compte de la vitesse du train. Mais un
badaud situé au bord de la voie, dans un
référentiel fixe par rapport au train, pourrait
l’évaluer. Pour observer le mouvement de
toupie de la Terre, il faudrait donc s’arracher
Jean-Michel Thiriet
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