Professional Documents
Culture Documents
CONFÉRENCE
Jean-François Fléjou
0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.annpat.2011.08.001
S28 J.-F. Fléjou
Il était devenu indispensable qu’une nouvelle édition Un bref rappel historique insiste sur la classification de Rid-
de la classification de l’OMS paraisse, compte tenu des dell, décrite pour les lésions précancéreuses développées
changements importants survenus dans la connaissance sur colite inflammatoire, puis étendue aux autres épithé-
des tumeurs digestives en dix ans : meilleure compré- liums glandulaires digestifs [2]. La dualité de terminologie
hension de certains concepts, modifications importantes entre dysplasie et néoplasie intra-épithéliale est ensuite
dans la classification de types tumoraux particuliers tels présentée, ainsi que les différences majeures de compré-
que les tumeurs neuroendocrines, description de nou- hension et d’utilisation de ces termes entres pathologistes
velles entités. La troisième édition de 2000 était intitulée occidentaux (Europe et Amérique du Nord) et japonais. La
« pathologie et génétique des tumeurs du système diges- classification 2000 de l’OMS avait eu le mérite d’introduire
tif », celle de 2010 s’intitule plus simplement « classification officiellement en pathologie digestive le terme de néopla-
OMS des tumeurs du système digestif ». La disparition du sie intra-épithéliale, déjà largement utilisé dans d’autres
mot « génétique » dans le titre ne doit pas être interprétée organes, et signalé alors comme synonyme de celui de dys-
comme une diminution de l’importance de cet aspect des plasie. Mais dans cette édition ne figurait qu’une très courte
tumeurs, mais au contraire comme une reconnaissance de page de définitions, qui comportait entre autres celles de
son intégration totale dans la classification anatomopatholo- la dysplasie et de la néoplasie intra-épithéliale. Au même
gique, qui va maintenant de la macroscopie à la génétique moment, la classification de Vienne apparaissait, visant
moléculaire. La troisième classification avait été coéditée à unifier les terminologies occidentales et japonaises, et
par un pathologiste nord-américain (S.R. Hamilton) et un recommandant le terme de néoplasie non invasive [3]. Entre
généticien européen (L.A. Aaltonen), la quatrième l’a été temps, les lésions précancéreuses d’autres organes diges-
par quatre pathologistes, deux européens (F.T. Bosman et tifs avaient été décrites, utilisant d’emblée le terme de
F. Carneiro) et deux américains (R. Hruban et N. Theise). néoplasie intra-épithéliale dans le pancréas (PanIN pour pan-
Dans les deux traités un peu plus de 100 auteurs ont été mis creatic intraepithelial neoplasia), les voies biliaires (BilIN),
à contribution, dont une dizaine de français. Le travail a l’anus (AIN). La situation était donc devenue inutilement
été coordonné par le centre international pour la recherche complexe. Le mérite du texte de la quatrième classification
sur le cancer (CIRC) de Lyon et finalisé lors d’un meeting de l’OMS est de lister clairement les lésions précancéreuses
à Lyon. Le fascicule a grossi, passant de 314 à 417 pages digestives (Tableau 1) et de définir tous les termes, recom-
et de 2214 références à 3728. Mais la structure générale mandant certains et déconseillant d’autres. La principale
reste la même, présentant les tumeurs par organe et dans notion est que le déclenchement d’un processus néoplasique
chaque organe par type histologique. Les chapitres d’organe intra-épithélial ne s’accompagne pas forcément, ou en tous
comportent tous, en plus de la description macroscopique cas pas toujours précocement, d’anomalies morphologiques
et histologique des tumeurs, une description clinique et détectables sur cytologie ou biopsie. Le terme de néopla-
d’imagerie, un paragraphe étiologique souvent bien docu- sie intra-épithéliale désigne donc les lésions précancéreuses
menté, une description des lésions précancéreuses et une épithéliales dans leur ensemble, qui s’accompagnent très
description des principales anomalies génétiques. Chaque fréquemment mais pas toujours d’altérations morpholo-
chapitre d’organe débute par un double tableau, classifica- giques, qu’on peut appeler dysplasie, terme considéré
tion histologique et système TNM. comme synonyme de néoplasie intra-épithéliale au plan
Dans ce texte ne seront soulignés que les changements morphologique. Le terme de carcinome in situ est décon-
significatifs de la quatrième édition par rapport à la précé- seillé, car considéré comme non distinguable de lésions de
dente, notamment la création de deux nouveaux chapitres néoplasie intra-épithéliale (ou dysplasie) de haut grade. On
« transversaux » sur les lésions précancéreuses et sur les doit cependant signaler que ce terme de carcinome in situ
tumeurs neuroendocrines, la réorganisation de certains cha- figure dans le système TNM. . . La définition du carcinome
pitres (tumeurs ampullaires par exemple), l’introduction de intra-muqueux est rappelée et les divergences de vue persis-
nouvelles entités, et l’apparition pour les tumeurs du foie tantes sur cette définition entre Europe—États-Unis et Asie
et les tumeurs du pancréas, de chapitres de synthèse pré- sont soulignées. Enfin, le terme d’ « atypie » est déconseillé,
sentant des algorithmes diagnostiques. l’utilisation de la catégorie « indéfinie pour la dysplasie »,
introduite pour la première fois par Riddell pour désigner
les anomalies morphologiques faisant suspecter une lésion
Lésions précancéreuses digestives néoplasique mais insuffisantes pour l’affirmer, étant pré-
conisée. Il faut noter que, en plus de ce texte introductif
Il y a maintenant longtemps que la notion de lésion pré- transversal sur les lésions précancéreuses, un paragraphe
cancéreuse est reconnue dans le tube digestif. Mais des sur ce thème, généralement détaillé et illustré, figure dans
problèmes majeurs de classification et de terminologie chaque chapitre d’organe du fascicule.
demeurent. Ils sont pour la première fois abordés de front
dans la classification de l’OMS, qui consacre un chapitre spé-
cifique à ce sujet. Certes, ce chapitre est court, bien que Tumeurs neuroendocrines
(ou parce que ?) signé par 17 coauteurs. Mais, il est le fruit
de discussions longues et parfois animées entre différentes L’autre éternelle pomme de discorde en pathologie tumorale
écoles de pathologistes sur ce thème qui a longtemps divisé digestive est constituée par les tumeurs neuroendocrines
et divise encore. Il ne fut finalement pas possible d’arriver (Tableau 2). Là encore, l’OMS a affronté clairement ce
à un consensus réel lors du meeting de Lyon qui rassem- problème, et propose un court chapitre transversal de
bla la plupart des auteurs quelques mois avant la parution nomenclature et de classification. Premier point, il faut
de la classification et qui visait à s’accorder sur tous les de nouveau parler de tumeur neuroendocrine et non plus
points encore en suspens. Finalement, le texte publié est de tumeur endocrine comme recommandé en 2000. Si ces
court et évite de prendre trop clairement partie pour un tumeurs sont bien endocrines, l’expression de marqueurs
camp ou un autre. . . Mais ce texte a le mérite d’exister, neuraux par les cellules tumorales justifie l’utilisation de
et énonce clairement des choses simples mais importantes. cette dénomination. Ensuite, le débat (le mot est faible)
Classification OMS 2010 des tumeurs digestives : la quatrième édition S29
gène CDH1 codant pour la E-cadhérine est mal connu, et dans la génétique de ce cancer et sur la relevance de
constitue un modèle très intéressant de cancérogenèse. Le la connaissance de certaines anomalies moléculaires dans
chapitre sur les tumeurs neuroendocrines prend en compte l’évaluation pronostique et la prise en charge des patients.
les changements de classification, et celui sur les lymphomes Le syndrome Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer
établit clairement la différence entre les deux lymphomes (HNPCC) s’appelle de nouveau syndrome de Lynch, comme
gastriques les plus fréquents, le lymphome du MALT, de bas recommandé en raison de la fréquence de tumeurs extra-
grade et le lymphome B diffus à grandes cellules. Parmi les coliques non prises en compte dans la dénomination HNPCC.
tumeurs conjonctives, à noter l’apparition du synovialosar- Une maladie reconnue en 2002 fait son apparition, la poly-
come et du fibromyxome plexiforme. pose associée à MUTYH, forme de polypose adénomateuse
de transmission autosomale récessive. Le long chapitre sur
Région ampullaire les polypes et polyposes festonnés présente de façon très
précise mais assez complexe un des sujets les plus nova-
Nouveauté importante de cette classification, les tumeurs teurs de la pathologie digestive. Les critères diagnostiques
de la région ampullaire bénéficient maintenant d’un cha- des différents types de polypes festonnés du côlon et du rec-
pitre spécifique, tout à fait justifié compte tenu de leurs tum sont présentés, et les connaissances actuelles sur les
particularités morphologiques, évolutives et de prise en mécanismes moléculaires mis en jeu dans cette voie de la
charge. Elles étaient auparavant incluses dans le chapitre cancérogenèse colorectale décrite relativement récemment
sur les tumeurs de l’intestin grêle, et ne disposaient en sont résumées.
pratique pas d’une véritable classification identifiée. Ce
chapitre comporte trois sous-chapitres, adénomes et autres Canal anal
lésions précancéreuses, adénocarcinome invasif, tumeurs
neuroendocrines. La classification de ces tumeurs dont la fréquence aug-
mente fait l’objet de peu de modifications. On peut noter un
Intestin grêle tableau très clair indiquant le profil immunohistochimique
des tumeurs anales.
Peu de modifications majeures dans ce chapitre qui décrit
des tumeurs toutes relativement rares. Il faut noter que Foie et voies biliaires intrahépatiques
le sous-chapitre sur le syndrome de Peutz-Jeghers a été
déplacé de ce chapitre à celui sur les tumeurs du côlon, Les tumeurs bénignes hépatocytaires n’étaient pas traitées
ce qui n’est pas illogique puisqu’il figure maintenant près dans la classification OMS 2000. Elles font leur appari-
de ceux consacrés aux autres polyposes digestives. tion dans la classification 2010. Deux raisons à cela : la
reconnaissance des liens de l’une d’entre elles, l’adénome
Appendice hépatocellulaire, avec des cas rares de carcinome hépato-
cellulaire et les très grands progrès faits récemment dans
Ce chapitre comporte maintenant des classifications claires la classification morphologique et surtout moléculaire des
et bien relatées dans des tableaux des pseudomyxomes ces tumeurs. Il faut souligner que ces progrès sont en
péritonéaux et des tumeurs mucineuses appendiculaires, grande partie venus de France, des équipes de J. Zucman-
chapitres complexes et souvent présentés de façon peu Rossi sur le plan moléculaire, et de P. Bioulac-Sage sur le
claire dans les différents traités spécialisés de pathologie plan anatomopathologique. La classification des adénomes
digestive. La classification des tumeurs neuroendocrines de comporte maintenant les adénomes mutés HNF1 alpha, les
l’appendice bénéficie des clarifications citées plus haut dans adénomes mutés bêta-caténine et les adénomes inflam-
ce texte. matoires. Des marqueurs immunohistochimiques peuvent
aider à cette classification, importante sur le plan du
Côlon et rectum risque évolutif de ces lésions. Moins de changement dans
la description et la classification des tumeurs malignes, en
Ce chapitre dont la longueur est justifiée par la très grande soulignant cependant la description et la classification des
fréquence de ces tumeurs comporte en particulier d’une lésions précancéreuses hépatiques sur le foie cirrhotique,
partie très claire expliquant les progrès importants faits de mieux en mieux connues. Le terme générique de tumeur
Classification OMS 2010 des tumeurs digestives : la quatrième édition S31