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À TRAVERS L'ORNEMENTATION DES VASES
ET OBJETS EN CHLORITE DE JlROFT
J. PERROT et Y. MADJIDZADEH
Résumé : Cet article fait suite à la description objective du matériel en chlorite de Jiroft, dans Paléorient 31/2 (2005). Après un rappel
des difficultés que rencontre toute tentative d'interprétation, il mentionne brièvement les données environnementales et archéologiques
concernant le plateau iranien dans la première moitié du IIIe millénaire. Le répertoire iconographique de Jiroft fait appel au monde
extérieur , végétal et animal, ainsi qu 'à l 'imaginaire et au fantastique. Parmi les animaux, il s ' intéresse à ceux portant cornes, crocs,
griffes, serres et crochet, armes naturelles que l'homme emprunte symboliquement au monde animal sous forme de personnages hybrides.
Une comparaison rapide entre le répertoire de Jiroft et celui de la glyptique mésopotamienne contemporaine montre de profondes dif-
férences. Jiroft ne connaît ni scènes de chasse ou de guerre, ni scènes de culte, ni aucune figure susceptible d'être interprétée comme
l 'expression d'un concept du divin. La pensée de Jiroft est tournée vers l 'Homme et ses fins ; elle souligne l 'opposition entre forces favo-
rables et néfastes, bonnes ou mauvaises, dans un esprit qui, à la veille des temps historiques, évoque déjà le dualisme de l 'ancienne pen-
sée iranienne.
Abstract : This article is a follow-up of the objective description of chlorite artefacts from Jiroft, published in Paleorient 31,2 (2005).
After recalling how difficult any attempt is at interpretation, it briefly describes the environmental and archaeological data concerning
the Iranian Plateau in the IIIrd millennium ВС. The iconographie repertory of Jiroft includes the outer world, both animal and vegetal,
as well as imaginary and fantastic. Among the animals, it makes use of those that have horns, claws, talons and hooks, natural weapons
that man symbolically borrows from the animal world, and hybrid creatures.
Comparison of the Jiroft repertory with that of the contemporary Mesopotamian glyptic readily shows strong differences. In Jiroft there
are no war or hunting scenes, nor cultic scenes, nor any figure that might be interpreted as expressions of a concept of the divine. The
spirit of Jiroft is geared toward Man and his endeavours. It stresses the opposition between favourable and noxious forces, and, at the
dawn of historical times, already forebodes the dualism of ancient Iranian thought.
Les images ont leur vie propre. Lorsqu'elles voyagentrecherche concernant la spiritualité de l'Orient « pré-histori-
dans l'espace et le temps leur signification peut changer. Les que », nous avons été trop souvent portés à nous satisfaire de
thèmes décoratifs se transmettent mais ils finissent parfois parnotions tirées de la littérature mésopotamienne du IIe, voire du
exprimer une idéologie différente de celle qu'ils ont d'abord Ier millénaire ; c'est-à-dire de notions anachroniques qui faus-
symbolisée. C'est assez dire que toute tentative d'interpréta- sent toute tentative d'interprétation1. Le cas de la « collection
tion ne saurait relever que du scénario. Et encore, ce scénarioMadjidzadeh » est particulièrement embarrassant. Cette col-
devra se limiter à fournir un cadre à l'interprétation. Nous
sommes prisonniers de notre culture et de nos mythes. Dans 1. Sur ce point, voir AMIET, 1995 ; PERROT et MADJIDZADEH, 2005 :
123-152.
le cas présent, la difficulté est plus grande encore. Dans la
Paléorient, vol. 32/1 , p. 99-1 12 © CNRS ÉDITIONS 2006 Manuscrit reçu le 08 juin2006, accepté le 21 juin 2006
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1 00 J. PERROT et Y. MADJIDZADEH
duit à reconnaître la spécificité de la spiritualité de Jiroft et à tiges d'une occupation antérieure (plusieurs mètres de cou-
préciser sa place dans l'évolution de la pensée orientale à la ches archéologiques10) amorcée dès la fin du IVe millénaire et
veille des temps historiques. caractérisée notamment sur le plan artisanal par la production
des vases et objets en chlorite. La région de Jiroft, alors den-
sément peuplée, semble avoir été à la tête d'un réseau de dis-
tribution qui se serait étendu, avec relais interposés (Tarut et
LES DONNÉES ARCHÉOLOGIQUES
Failaka dans le golfe Persique), vers l'ouest, jusqu'à la
moyenne vallée de l'Euphrate et, à un degré moindre, vers
Nous sommes à Jiroft, dans la dépression du Jazmourian, l'est, jusqu'à la vallée de l'Indus11. Depuis le IVe millénaire,
dans des conditions géographiques et physiques particulières, Jiroft se trouvait déjà probablement sur la route du lapis-lazuli
à mi-distance de la vallée de l'Euphrate et de la vallée de d'Afghanistan vers le détroit d'Ormuz, les côtes de la pénin-
l'Indus, à 1 000 km de l'une et de l'autre (fig. 1). Avant les sule arabique et celles du continent africain, jusqu'à la vallée
du Nil.
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À travers l'ornementation des vases et objets en chlorite de Jiroft 101
Fig. 1 : La géographie physique de la plaine mésopotamienne, en frappant contraste avec celle du haut-p
important dans la pensée symbolique et religieuse des populations de ces deux régions.
12. On en trouvera une bonne présentation dans HUOT, 2004, voir aussi :
AMIET, 1986 ; DESHAYES, 1969 ; CARTER, 1979 ; CARTER and STOLPER, 14. Il y a traces à Konar Sandal de poissons séchés et de coquillages
1984 ; LAMBERG-KARLOVSKY and POTTS, 2001 ; PORADA, 1965. importés des côtes du Makran (DESSE-BERSET, com. pers. ; DESSE-Berset
13. LAMBERG-KARLOVSKY and TOSI, 1973. and Desse, à paraître).
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1 02 J. PERROT et Y. MADJIDZADEH
de LE MILIEU NATUREL
l'alimentation15. Dans son ens
apparaît au IIIe millénaire comme u
relles moins plus
bien définies ou g
L'aspect le plus positif du problème vient de la connais-
agglomérations s'étalent, largement
sance que nous pouvons avoir du milieu naturel ancien dans
longs murs (comme à Malyan17) sus
la région de Jiroft. Du point de vue du climat, le plateau irano
cas de crise les fractions de la popul
indien devait présenter au IIIe millénaire des conditions très
habitants des villages environnan
proches de celles que nous pouvons observer aujourd'hui. Les
ques résidences plus spacieuses la pr
travaux les plus récents de la paléoclimatologie21 - basés sur
lénaire ne connaît pas de constr
des analyses polliniques des fonds marins et lacustres e
celles-ci n'apparaîtront, semble-t-il
Méditerranée orientale et en Asie du Sud-Ouest - permettent
tié du millénaire (plates-formes à d
de penser que les conditions climatiques n'ont pas varié d
res immenses, aujourd'hui ravagé
manière significative dans l'ensemble de l'Asie du Sud-
nous renseignent guère sur les prat
Ouest, comme de l'hémisphère nord, depuis la fin de 1'« opti
croyances ; le fait toutefois que ces
mum climatique », au Ve millénaire. Les pluies d'été se sont
dehors des agglomérations peut être
alors raréfiées ; de vastes zones du Proche et du Moyen
nir d'une vie nomade18. Le proces
Orient furent abandonnées en même temps que s'effondrait le
l'écriture est engagé en Iran comm
mode de vie pastoral. Sur le plateau irano-indien, la popula-
le début du IIIe millénaire ; en tém
tion s'est rassemblée autour des points d'eau sur le pourtour
sur l'ensemble du plateau des tabl
des grands lacs desséchés du Dasht-e Kavir, Dasht-e Lut, etc.
tes »19. Toutefois l'écriture ne conn
La région connaît dans son ensemble une aridité de plus e
loppement aussi rapide qu'en M
plus marquée vers le sud avec une végétation de steppe semi-
inscriptions connues en « élamite lin
aride et quelques bouquets d'arbres au flanc des montagne
déchiffrées. fait, dans une régio En
les plus humides. Dans ce monde désolé, la dépression du Jaz
ne sommes toujours pas en mesure
mourian où se trouve Jiroft présente un tout autre caractère e
période. Pour ce qui est de la chron
raison de sa formation géologique22. Il s'agit d'une foss
drons provisoirement aux notion
d'origine tectonique, longue de 400 km, orientée NO/SE
milieuet de fin du millénaire. Les
comme les plis du Zagros, et résultant de la subduction de la
mésopotamienne ne sont pas moins
plaque arabique sous la plaque iranienne (fig. 1). A une cot
férentes terminologies en usage (Pr
moyenne de 600 m, cette fosse paraît d'autant plus profonde
que Archaïque, Présargonique) co
qu'elle est entourée de montagnes qui culminent au nor
incertitude. Les dates mêmes de
(Jebel Barez) à plus de 4 400 m. Elles constituent un véritabl
revues à la baisse d'un siècle par les
courte20. château d'eau qui alimente le torrentueux Halil Roud et, dans
la plaine alluviale, des puits artésiens dont les eaux jaillissan-
tes irriguent palmeraies et jardins ; la végétation est de type
sub-tropical. Les pentes basses présentent une couvertur
15. Voir p. 101, n. 30. forestière clairsemée avec pistachiers, amandiers, etc. A cet
16. Les meilleurs exemples seraient (fig. 1), dans le nord, la plaine de avantage considérable de la présence d'une eau abondante et
Gorgan et la région de Tépé Hissar au sud de l'Elbourz, ouverte à l'est vers le
Turkménistan et l'Asie Centrale ; à l'est, le Séistan (avec Shahr-i Sukhte) en
qui n'a son égal que dans les grandes vallées, s'ajoute pour
relation avec le bassin du Hilmand et l'Afghanistan ; à l'ouest, la province du Jiroft la proximité de ressources minières diversifiées : à l'est
Fars avec Tépé Malyan, en relation avec la Susiane et le Luristan. surgit un massif de roches cristallines et volcaniques avec de
17. SUMNER, 1976.
gisements de cuivre ; à l'ouest, s'étend une accumulation de
18. Une population pastorale amenée à se déplacer selon le cycle des sai-
sons enterre ses morts le long de sa route ; elle ramènera plus tard leurs restes roches métamorphiques comportant des filons aurifères et de
vers un cimetière commun au point d'ancrage du groupe. Un bon exemple de gisements de chlorite. Les galets du Halil Roud offrent e
cette coutume peut être observé dans le Negev et la plaine côtière du Levant-
sud vers 4 000 av. J.-C.
19. LE BRUN, 1971 ; LE BRUN et VALLAT, 1989 ; VALLAT, 1980 et
2003. 21. ROSSIGNOL-STRICK, 2003 : 4-17.
20. VALLAT, com. pers. 22. FOU ACHE et al., 2005.
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À travers l'ornementation des vases et objets en chlorite de Jiroft 103
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1 04 J. PERROT et Y. Madjidzadeh
LE MONDE VÉGÉTAL
matiques, médicinales ou psychotropes, auraient pu faire
l'objet d'une exportation vers les régions basses environnan-
tes. Le thème des bouquetins approchant le « buisson fleuri »
Le monde végétal occupe à Jir
paraît réservé aux grandes coupes cérémonielles. Celles-ci,
pourrait s'expliquer par la luxu
d'une haute qualité esthétique, semblent n'avoir jamais quitté
tation locale, de type subtropic
le pays, de même que les « tables de jeu » et peut-être aussi les
avec ses palmeraies et ses jardin
« sacs à main ». Cette observation paraît mettre fin à la thèse
que s'étage sur les pentes une v
des vases en chlorite « objets de prestige ».
(pistachiers, amandiers, genévr
tier est à la base de la subsistance : il entre aussi dans la cons-
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À travers l'ornementation des vases et objets en chlorite de Jiroft 105
Autre
Nous avons décrit sous le nom vernaculaire de espèce opposée au serpent, l'aigle. Ailes é
« bouque-
pattes
tin » les caprins qui ornent les coupes (fig. 4e et f ;écartées, tendues, il enserre des reptiles (p
fig. 5). La
diversité de forme et de courbure des cornes n'a pas
aucun cas permis
l'aigle ne peut être confondu avec le petit r
ne vise
aux spécialistes consultés de distinguer sûrement lesque des charognes. Ailes repliées, il prête sa
espèces.
emblématique
On notera seulement que ces cornes ne montrent à la forme du tablier des «jeux de
pas la torsion
homonyme qui, chez la chèvre, caractérise laQuant à l'aigle à deux têtes37, son bicéphalisme p
domestication.
l'expression
L'image du bouquetin aux longues cornes annelées graphique de la vision large et pénét
retombant
l'oiseau. Il en
en arrière est ancienne au Moyen-Orient, notamment peut découler aussi d'une tendance natu
Iran
dans le décor de la poterie peinte de la nécropole de Suse
l'artisan vers vers
la symétrie.
4 000 av. J.-C. Elle pourrait être liée ici à quelque
L'aigle réminis-
et le guépard sont opposés au serpent (fig.
cence clanique34, ce qui expliquerait sa présence
l'hommeprivilégiée
portant parure cherche de même à détruire
dans un contexte funéraire sur des coupes apparemment liées
moins à écarter (fig . 12e). Gueule ouverte, le reptil
maisL'association
à un rite de passage vers le monde des ancêtres. ne mord pas. Ses entrelacs par ailleurs offrent
de l'animal, sur ces mêmes coupes, à une plante susceptible
variations dans un esprit que l'on peut considérer d
d'affranchir des frontières sensorielles et de Ses anneaux
permettre le définissent
pas- les cases de plusieurs «j
sage vers le monde invisible renforcerait cette assomption.
serpent En a été qualifié à tort de « dragon ».
de Jiroft
dehors des coupes, le bouquetin n'apparaît que commedont
externes jeune
il est gratifié en font peut-être, au sen
victime du lion (fig. 7d ), sort malheureux qu'il partage
gique, avec
un monstre. Il est sans doute effrayant, mais
un jeune bovin (la distinction se faisant par lagon » entraînerait
forme et le mou- une toute autre signification38.
vement des cornes). Quant au scorpion, dont l'image semble servir sou
Le lion se tient à l'écart de l'homme ; il est impliqué
remplir les dans
vides de la composition (fig. 6b et 7c), i
des scènes de caractère narratif où figure un
enpalmier (ou
files sur un
les petits vases cylindriques dont le cont
rait avoir
feuillu en « candélabre » ; fig. 7). A la représentation duété un baume antidouleur. Le scorpion est
fauve
serpent
est régulièrement associé un thème secondaire : celui ;du
onrapace
le trouve aussi en masse grouillante sur
piquant vers le cadavre du petit bovidé quihauts
gît aux pieds
vases du
tronconiques (pl. Ile).
lion ; l'oiseau est assez familier avec le lion pour aller se poser
sur sa croupe (fig. 7e). L'isolement relatif du fauve, et ce qu'il
paraît représenter symboliquement, pousse à le ranger (avec le
L'HOMME
bouquetin et peut-être même avec le palmier) dans une catégo-
rie de valeur totémique ou pseudo totémique.
La qualité de l'exécution de l'ornementation des vases
L'homme de
est figuré à Jiroft selon le schéma élémentaire
d'un
Jiroft (et le soin extrême apporté à ses dessins humain
par Mme debout
Sedi- ou assis sur les talons (fig. 11 et 12). L
ghe Piran) permet d'établir, grâce encore aux différences
tête detournée vers sa droite ; le corps est de fac
est de profil,
les pectoraux
traitement du pelage, une claire distinction entre le lion saillants,
et un les bras ouverts, avant-bras relevés3
Debout,
fauve non moins prestigieux qui, tout en étant les jambes apparaissent séparées sous une jupe
potentiellement
retenue à
dangereux, est cependant peu agressif : le guépard. la taille par une ceinture. Les pieds, tournés v
L'animal
peut faire l'objet d'un dressage ; il semble avoir
l'extérieur,
été asservi
indiquent
au la direction de la marche ; pointes éc
Moyen-Orient à toutes les époques35. L'homme qui le dompte
36. DUNN-VATURI,
(fig. 12j ) porte une parure protectrice (bracelets, collier et 2004.
37. № 133 du « Catalogue Madjidzadeh » (MADJIDZADEH, 2003).
bandeau frontal) mais il est nonchalamment assis sur les
38. L'image du serpent dans le monde oriental n'est pas automatiquemen
talons ; il ne touche pas l'animal. Par ailleurs, on
négative trouve
; dans le d'une économie agricole il apparaît souvent dans
le contexte
guépard luttant aux côtés de l'homme contre rôle
le serpent.
naturel de protecteur des silos à céréales dont il écarte les rongeurs. On
a souvent fait une divinité chtonienne, un symbole de fertilité ou le signe
chaos. Le dragon est un animal fabuleux avec des griffes, des ailes et une qu
de serpent. Dans le style de l'Ecriture, le dragon c'est le démon.
39. La
34. On notera par ailleurs que le corps de l'animal ne porte, seule celui
comme exception dans la « collection de Jiroft » est celle
de l'homme, aucune incrustation en dehors de celle de l'œil.
l'homme chutant d'un arbre sous le regard d'un compagnon (fig . Ile) et cel
35. Ce pourrait être son image qui sert d'accoudoir audes
siège
« buveurs
sur lequel
» (figest
. lie). L'exécution est gauche mais il y a ici une tentativ
assise la dame de Çatal Höyük. d'exprimer le mouvement.
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1 06 J. Perrot et Y. madjidzadeh
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À travers l'ornementation des vases et objets en chlorite de Jiroft 107
dont le du
comme l'armature de la cosmogonie. La présence motif gravé à la pointe ou à la bouterolle n'est pas tou-
fantasti-
que dans cet ensemble contribue à écarter unjours lisible. On
soupçon ajoutera que les motivations de la glyptique
d'incom-
diffèrent de
plétude qui aurait pu naître du fait que le matériel decelles de l'ornementation des objets ; l'importance
Jiroft,
de l'acteque
réputé provenir de cimetières, n'aurait représenté de sceller passe avant celle de l'image. En Mésopota-
la partie,
mie et en plus
à destination funéraire, d'un répertoire symbolique Susiane, cylindres et cachets ont été datés par leur
large.
style plus rassemblé
Sous cet angle, on peut dire que l'abondant matériel souvent que par leur position stratigraphique, tou-
à Jiroft et à Téhéran depuis la publication de ladifficile
jours « collection
à établir. Les interprétations offertes jusqu'ici de
Madjidzadeh » n'apporte pas d'éléments nouveaux
la glyptiqueen dehors
reflètent plus souvent l'attitude mentale et les pré-
conceptions des chercheurs que les croyances et sentiments des
de signes de dégénérescence technique et stylistique.
propriétaires
S'il est bien complet, le répertoire de Jiroft n'apparaît et des graveurs des sceaux.
pas
Sans entrer
encore cependant comme un système témoignant d'uneici dans une comparaison détaillée du réper-
cons-
toire deest
truction de l'esprit. L'impression qui s'en dégage Jiroft avec celui de la glyptique mésopotamienne45,
à rappro-
on notera
cher de celle que donne au même moment (dans que celle-ci est sensible aussi au milieu naturel et
la première
qu'elle fait largementde
moitié du IIIe millénaire) le processus de développement appel au monde animal. On y trouve,
l'écriture, à mi-chemin des pictogrammes et comme à Jiroft,
des signes bovidés, fauves, rapaces, scorpions et ser-
trans-
crivant la langue. Les images fonctionnent pents,
déjàainsi
icique des thèmes tels que celui des bouquetins asso-
comme
ciés à un
une sorte de langage avec un vocabulaire et avec unemotif végétal ou celui d'un personnage flanqué de
syntaxe
formes
qui procède par juxtapositions, associations animales. Nombre de ces schémas relèvent d'un vieux
et combinaisons
fond iconographique
des divers éléments, en accord ou en opposition. commun à l'ensemble du Moyen-Orient
Elles laissent
depuis le Ve
toutefois du point de vue esthétique un sentiment millénaire. Les différences toutefois sont percep-
d'inachevé.
tiblesladès
La préoccupation première du sculpteur est que l'on rapproche les motifs. Le « taureau » méso-
production
d'objets rituels. Elle est dominée par le soucipotamien n'est pas le zébu mais le descendant domestique de
de la répétition
fidèle d'un modèle, cette fidélité étant seule l'aurochs
garante; le
dezébu, nouvellement introduit sur le plateau ira-
l'effi-
cacité du rite. Le choix des motifs dans le milieu naturel a ses nien est encore à demi sauvage à Jiroft (il n'hésite pas à atta-
racines dans l'observation attentive de la réalité. À côté de quer le lion alors qu'en Mésopotamie on trouve plus souvent
traits archaïques (le schéma du corps humain bras levés), le fauve sur l'échiné d'un bovidé). A côté du lion on distingue
celle-ci est source d'émotions et de sentiments ; le sens esthé- à Jiroft, un guépard dont le comportement est bien différent de
tique s'éveille. Il s'agit encore cependant d'un art qui ne se celui du lion dans ses rapports avec l'homme. La forme
sait ni ne se veut « art » ; même si quelques artisans semblent humaine, dans la glyptique mésopotamienne archaïque, pré-
avoir pris plaisir à leur travail ; par exemple dans l'ornemen- sente une grande variété d'attitudes ; c'est souvent celle d'un
tation des grandes coupes (pl. /). Des maîtres ont stylisé la homme nu ou porteur d'une jupe longue et d'un bandeau fron-
nature et créé des modèles dont la reprise donne à l'ensemble tal. Le « héros dompteur », lorsqu'il apparaît, est montré de
un niveau esthétique relativement élevé. face, barbu et cheveux en boucles. Ce type est inconnu à
Jiroft ; mais surtout, Jiroft ne connaît ni scènes de chasse ou
de guerre, ni représentations de la vie quotidienne46, ni scènes
de présentation ou de soumission d'un personnage à un autre ;
ÉTUDE COMPARATIVE
dans l'ornementation des vases aucune image ne peut être rap-
portée au concept du divin. A ce sujet, on rappellera, avec
Sur l'horizon de la première moitié du IIIe millénaire, le Pierre Amiet47 que « "héros dompteur" ou "maître des ani-
répertoire de Jiroft ne trouve guère d'éléments de comparaisonmaux" n'ont jamais fait l'objet en Mésopotamie d'un culte
en Iran44 ou hors d'Iran en dehors de la glyptique. Celle-ci seautorisant à les considérer comme divins ; leurs héritiers des
réduit souvent en Iran à des empreintes plus ou moins nettes
laissées sur l'argile par des cachets ou des cylindres-sceaux 45. AMIET, 1961.
46. A l'exception peut-être de la scène des « buveurs » (fig . 11c), suscep-
44. Quelques statuettes de belle qualité mais de provenance incertaine tible d'ailleurs d'une autre interprétation que celle des « banquets » ; et de celle
sont attribuées à l'Iran proto-élamite au début du IIIe millénaire (ARUZ and de l'homme chutant d'un arbre secoué par le zébu qu'il a attaché à son pied
WALLERFEDS, 2003 : 46-48). Elles n'ont aucun lien avec les figurines de Jiroft(fig. Пе).
(MADJIDZADEH, 2003 : 150-151) ; MlROSCHEDJI, 1973. 47. AMIET, 1995 : 487, 496 ; PlTTMAN, 2001.
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108 j. PERROT et Y. MADJIDZADEH
LA SIGNIFICATION APPARENTE zébu (fig. lié) autre chose que l'illustration d'un dicton popu-
laire suggérant, non sans humour, qu'il est dangereux de
grimper dans un arbre au pied duquel on a attaché un animal
L'ornementation d'un vase a pour but de lui donner unTrois figures, celles du bouquetin, du lion et du pal-
furieux.
sens en relation avec son usage, avec sa place dans lemier,rituelsont
; susceptibles, au-delà de leur sens apparent, d'une
elle est supposée accroître l'efficacité du rite. Le rite interprétation
est dirigé particulière. On pourrait envisager, concernant
vers un objectif, il constitue l'action humaine par excellence
le bouquetin, une relation de type totémique. L'animal a cer-
et nous avons quelque chance de remonter par son intermé-
tainement joué un rôle dans un mode de vie plus ancien,
diaire jusqu'à la pensée humaine. Lorsque l'ornementation se
dominante « chasseur » ; on le trouve associé à Jiroft aux rite
limite à la représentation rythmée d'un seul et mêmedeélément
passage vers le monde des ancêtres. Un statut voisin pour
- motif géométrique ou animal en file - on peut penser que celui du lion qui se tient généralement à l'écart de tou
rait être
l'artisan, non dépourvu de sensibilité esthétique, se livre, plus
engagement direct avec les autres espèces (c'est sous les trait
ou moins consciemment, à la recherche d'un effet décoratif.
de l'homme - lion qu'il terrasse les hommes - scorpions dans
Le goût de la symétrie est très ancien ; il est attesté par
unlescombat
pre- mythologique 'fig. 12f). Quant au palmier, associé
miers tailleurs de bifaces en amande. Lorsque le rite vise(et
au lion à sous sa forme de rejet, au bouquetin), il est pa
l'obtention de quelque avantage, visible ou invisible, nous « arbre de vie ». Ces trois symboles témoignen
excellence
touchons avec lui au monde de la magie. Lorsque l'ornemen-
d'une ambiance neutre ou bienveillante. Place est faite à
tation introduit le fantastique, nous abordons le domaine du
l'imaginaire, au fantastique, avec le zébu unicorne et avec
sacré en devenir. Les vases et objets de Jiroft sont réputés
l'aigle pro-
bicéphale ; à l'action avec les personnages hybrides
qui apparaissent hiérarchisés dans le bien comme dans le
48. VALLAT, 1989.
mal ; le scorpion et le serpent symbolisent respectivement la
49. La fouille en cours à Konar Sandal a déjà livré plusieurs centaines
souffrance
d'empreintes dont l'analyse est en cours ; mais ce matériel provient des et la mort. De l'autre côté, favorable, l'homme
contrôle
niveaux supérieurs qui sont d'un âge plus avancé dans le IIIe millénaire. ou accompagne le zébu sans avoir à porter une parure
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À travers l'ornementation des vases et objets en chlorite de Jiroft 109
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