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CATALOGUS

CODICU~I HAGIOGRAPHICORUM LATINORU~l


BIBLIOTHECAE UNIVEflSITATIS BONONIENSIS ANALE CT A BOLLAND lANA
Quando codicibus hagiograplzicis bibliothecae Universitatis
Bononiensis \recensendis manum admovit b. m. Albertus Pon-
celet, nonduni,praesto erat index codicum latinorum quem edi-
dit huius bibliot{zecae praejectus, .L. Frati, Indice dei codici
latini conservati nella R. Biblîoteca Universitaria di Bolo-
gna, in Studi ItaÎîr.ni di Filologia Classica, t. XV 1 (1908),
p. 103-432 et t. XVI{ (1909), p. 1-171. lndicibus ergo imper- Extrait du tome (
jectis uti debuit, undefactwn esse putamus ut codicem 1999 el
ultimum illum non signrûum non viderit. Quae de utroque ajje-
runtur, nos quantum potÙ.(mus, collegimus.

CODEX 12
Busta I. Continet/11 codices vàNae formae et aetatis. Ex quibus
éodex 10 (olim ;â~la II, A, capsufa 198) chartaceus, foliorum 180
(Om,237 X 0,165)', exaratus saec. xV;\
Erat olim ex 'biblioiheca Co. Frtmcisèi Zambeccari (fol. 1).
1. (Fol. 113v-117) Florentini Pogii\viri eloquentissimi in
funere Cardinalis = BHL. 6097. \
Reliquis praetermissis, des. confluentibus undecumque
mendicis / (ed. Basil. 1538, p. 264 mê.ç..).
\ ~

Bu.sta II. Continet 11 codices variae formae et 'aetatis.


. '
Codex 1 (olim aula II, A, capsula 199) membraneus, foliorum 3
(Om,200 X 0,135), paginis bipartitis exaratus saec\.XV.
Folia prius signata erant 369-371, postea vero 70-Til.
Erant olim ex biblioiheca Benedicii XIV PP. '
2. (Fol. 1-3v) <Epistula Nicolai de Fara de rebus gestis \
a S. Iohanne de Capistrano> = BHL. 4364.
LES HECUEILS ANTIQUES
DE

MIRACLES DES SAINTS

Pour étudier à fond les récits de miracles chez les hagio-


graphes, il faut évidemment se rendre compte de l'état d'es:
prit de leurs contemporains, et savoir quelle idée ils se fai-
saient de l'intervention divine clans les affaires d'ici-bas.
Sans nous flatter d'avoir épuisé un si grave sujet, nous ne
reviendrons pas sur ce que nous avons dit de l'attitude des
chrétiens des premiers siècles vis,..à-vis du surnaturel,à propos
des miracles de S. Martin racontés par Sulpice Sévère 1 • Le
sujet que nous avons choisi cette fois n'exige pas d'autres
préliminaires. Il s'agit d'étudier un genre de littérature très
particulier, qui s'est formé de bonne heure, s'est largement
à travers les siècles, et n'a jamais réussi à s'imposer
nr•tè>lHtHl't à la confiance des lecteurs cht:étiens. Nous re-

montcm~ trux Jîi'(:tnières manifestations de cette branche de


l'hngiographhl ]1tlt1r tâeher de découvrir si quelque vice ori-
ginel n'explique l'espèce de discrédit qui s'y est attaché.
recherches l\t! pas le vue siècle.
Il y a deux !:HÜnts: ceux qu'ils

t Anal. Boil., t. XXXVIII, Jh


6 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS

ont opérés durant leur vie, et ceux qui sont dus à leur inter- I
cession après leur mort. Nous négligeons complètement les
premiers, et il ne sera pas question des prodiges racontés LES HECUEILS GRECS
dans les Vies de saints proprement dites : la thaumaturgie
des Actes apocryphes des apôtres en tout premier lieu, et Les saints thaumaturges dont les hagiographes grecs ont,
toutes les manifestations surnaturelles dont sont remplies dn IVe au vnc siècle, raconté les miracles dans des livres spé-
les biographies célèbres de S. AntoinP, de S. Polycarpe, de ciaux, sont au nom.b're de neuf. Les recueils sont plus nom-
S. Martin, de S. Hilarion, et les histoires des solitaires breux, ear quelques saints ont fourni la matière de plus
d'Égypte. Nous nous en tiendrons exclusivement aux collec- d'une collection. Plusieurs çle cc Iles-ci relatent presque ex-
tions de miracles opérés par les saints clans les grands centres elusivement des guérisons obtenues par l'intercession des
de culte,et se rapportant chacune à un saint unique. Il n'exis- saints; d'autres sont consacr(:es à des interventions variée~.
te, à notre connaissance, de recueils originaux de ce genre Nous pouvons dès maintenant distinguer deux groupes de Oav-
qu'en grec et en latin. Nous étudierons d'abord le groupe orien- flara : ceux des saints spécialement invoqués en cas de m~la­
tal, puis le groupe occidental. Ce n'est point la langue qui fait die, et les autres. Une première catégorie sera celle des saints
ici la démarcation, c'est l'esprit même de ces récits. Il suf- guérisseurs : les saints Cosme et Damien, les saints ~yr et
fira de juxtaposer les deux séries pour que le contraste Jean, 'S. Artémius et S. Thérapon, auquel on peut aJouter
éclate. le prophète Isaïe. Les saints dont les bienfaits ne sc b01·~ent
Nos hagiographes ne réussiront pas toujours, tant s'en pas à des guérisons sont S. Théodore, S. Ménas, Ste Thecle,
faut, à nous édifier. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. S. Augus- S. Démétrius. Cette division en deux séries n'est p~s pur~­
tin et d'autres auteurs ecclésiastiques nous ont assez dit ment extérieure et artificielle. On verra que la physwnOJme
les étranges excès que l'Église avait à combattre aux époques des recueils de Miracles diffère assez notablement selon la
de l'année où les anniversaires des martyrs attiraient les catégorie. ., 1
foules à leur tombeaux. Or, les pèlerinages fréquentés étaient Les Miracles de S. Georges qui ont été récemment publies
tous les jours le théâtre de pareilles aftluences. Les curieux, n'entreront pas en ligne de compte. Les plus ancien~ ne re-
les aventuriers, les exploiteurs de la crédulité populaire, s'y montent guère plus haut que le XIe siècle et n'appartrer~r~ent
2
mêlaient aux pieux fidèles et créaient une atmosphère sou- pas, par conséquent, à la période. que nou.s avons chorsre •
vent irrespirable pour les chrétiens éclairés. Pour s'étonner Quant aux Miracles de S. Nrcolas, qm so~lt de prov~­
de trouver dans les livres de Miracles, issus de pareils milieux, nance très diverse, ils présentent un caractere trop spe-
les traces d'un état d'esprit qui choque profondément nos cial pour entrer dans le cadre de cette étude~. Nous de-
4
idées et nos habitudes, il faut ignorer que même de nos jours vons écarter aussi les Oavpara de S. Tryphon • La compo-
l'autorité ecclésiastique n'arrive pas sans quelque peine à sition qui porte parfois ce titre est de la catégorie des. Biot
prévenir, dans les centres de pèlerinage, d'autres abus encore neà rov paervglov, dont le plus ancien exemple est la Vre de
que les excès d'une piété indiscrète. S. Polycarpe par Pionius 5 •
On sait qu'à des degrés divers les textes dont nous allons
1 J. B. AuFHAUSER, Miracula S. Georgii, Lipslae, 1913, xv-1?8 ~p;
nous servir sont particulièremen! curieux au point de vue de z AuFHAUSER, Das Drachenwunder des heiligen Georg (LeipZig,
la langue. Nous laisserons aux spécialistes le soin d'exploiter
1911), p. 26-27.
ces richesses, pour n'envisager que le côté littéraire et histo- a BHG. 1351-1361 ; BHL. 6160-6172. Voir surtout le grand ou-
rique. vrage de G. ANRICH, Hagios Nikolaos, Leipzig, 1913-1917, 2 vol:
in-8°.
4 Nous les avons publiés dans les Acta SS., Nov. t. IV, P! 336-43.

5 Les Passions des martyrs et les genres littéraires, V~ 24!


DE MIRACLES DES SAINTS 9
8 LES RECUEILS ANTIQUES

que le premier nom représente un groupe. L'église des Saints


§ 1. Les Miracles des saints Cosme et Damien. Cyr-ct-Jean s'élevait dans la localité appelée plus tar~ Abou·
kir, 'AfJ{Jii Kvgoç. Le second martyr est reste dans l ombr~.
Les saints Cosme ct Damien sont universellement réputés D'autre part, la basilique syrienne à laquelle s'intéressa Justi-
conune les saints guérisseurs par excellence ; Ia légende, i1our nien était placée sous le vocable de nos deux saints Cosme et
exprimer l'intérêt qu'ils portent aux malheureux éprouvés Damien 1 • Parmi les nombreuses églises qui leur furent dédiées
dans leur santé, n'a pas trouvé mieux que de faire d'eux des en divers pays, il faut citer celle de Constantinople, dont la
médecins, et naturellement des médecins qui réalisent l'idéal renommée finit par éclipser celle de la basilique-mère. Très
de la multitude : ils ne s'enrichissent pas aux dépens des ma- probablement elle était située clans le quartier de P.aulin.us,
lades ; leurs soins sont gratuits, cc sont des èmîcyvgot. Leur sE:; ra IlavUJ•ov; et quoi que l'on puisse penser de la situation
culte s'est répandu dans tout Je monde chrétien, en Orient exacte de ce sanctuaire 2 , c'est dans son enceinte que sc sont
surtout où quelques sanctuaires plus célèbres ont créé di- passés les faits racontés dans les Oavp.,ara des SS. Cosme et
verses formes de la légende. Damien.
Ces récits sont assez différents pour avoir donné à croire De nombreux manuscrits nous ont conservé soit intégrale-
qu'il a existé plusieurs groupes homonymes. Les hagiogra- ment soit par extraits plusieurs collections de Miracles de nos
phes, qui ne reculent devant aucune invraisemblance, deux saints. Le P. \Vangncreck a le premier fait connaître les
ne distinguent pas moins de trois de ces groupes ; tous plus intéressantes d'entre elles 3 • M. Deubner, qui s'est occu-
les trois ont fini par se faire une place dans ·les livres pé avec succès de mettre de l'ordre dans la tradition ~or.t COlll-
liturgiques 1 • Nous ne perdrons pas notre temps à discuter pliquée de ces écrits, a distingué six collections d1stmctes,
cette multiplication, qui n'a pas le moindre appui dans l'his- comprenant ensemble 47 récits de m,iracles 4 • ~ous désignero~s
toire. Laissons de côté également cette fantaisie qui essaie ceux-ci (MCD) par les numéros cl ordre qu Il leur a donnes.
de faire passer les saints Cosme ct Damien pour une simple Une première série, la plus ancienne, à ce qu'il semble, est
transformation des Dioscures 2 • Les indiscrétions de leur composée des Miracles 1 à 10, dont la rédaction est assez uni-
clientèle ont donné au culte de nos deux martvrs une forme forme. Le début de chacun de ces récits est fort simple, et ils
spéciale qui de bonne heure a favorisé l'assimilation et fait sont reliés entre eux par des transitions:
dire aux païens que Cosme et Damien n'étaient autres que Les Miracles 11 à 20 se distinguent des précédents par la
Castor et Pollux 3 • Comme dans presque tous les cas du rédaction. Ils sont généralement plus déYeloppés ct précédés
même genre, ces rapprochements superficiels se réduisent d'une courte introduction. Cette seconde collection a été
à leur juste valeur par une simple constatation. Cosme et accolée à la première, peut-être par celui qui a rédigé le
Damien sont des martyrs dont le culte s'est établi dans des court prologue placé en tête de celle-ci. C'est l'opinion de
conditions normales aux lieux mêmes où ils ont souffert. La l\I. Dcubncr, à laquelle nous ne voulons pas contredire, tout
basilique élevée sur leur tombeau se trouvait à Cyr, dans la en la trouvant faiblement appuyée.
Syrie du Nord, ct Théodoret, évêque de cette ville, connaît Un troisième grou pc est .constitué par les Miracles 21 à 26.
S. Cosmas 4 • Si le nom de Damien ne vient jamais sous sa Ils sont précédés d'une préface,où l'écrivain anonyme s'adresse
plume, il convient de se rappeler qu'il n'est pas sans exemple
1 PROCOPE, De aedif., II, 11.
1Synax. BeeZ. CP., pp. 144, 176, 185., z PREGER, Scriptorés originum Constantinopolilanarum, p. 261 ;
2 Nous en avons parlé dans Les légendes hagiographiques, p. 205- cf. PnocoPE, De aedif., I, 6.
a Syntagmatis historici de tribus sanctorum Cosmae et Damiani
208.
3 Voir le n. 9 des Miracles que nous citons plus loin. nomine paribus partes duae, Viennae in Austria, 1660,
4 Kosmas und Damian, Leipzig, 1907, 240 PP·
'Les origines du culte des martyrs, p. 221.
10 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 11

à un certain FloreuLius, qui l'a engagé à écrire ces pages. à une détermination plus exacte, et de nous prononcer sut'
Il n'y a ni préface ni conclusion à la quatrième série formée l'âge cle chacune de nos séries. L'esprit cle cette littérature
par les Miracles '27 à 32. Il ressort assez du texte qu'ils for- est toujours le même, el nous pouYons l'uliliser dans son
ment un tout. ensemble, sans trop nous soucier cl'en distinguer les cliYerses
L'auteur du cinquième groupe, composô des Miracles 33 couches.
à 38, s'explique sur son dessein clans un prologue. Il n'est pas
le premier à mettre par (·crit les miracles des saints thauma- Les auteurs de nos livres de Miracles écrivent à C onstanti
turges. Il en existe des relations sous des formes variées: nople, cela est certain, eL ils ne cessent de nous parler de la
Orw,urn:own•fu:; JUt[!Ù. TCÏ)JJ Ù!Cupôgm:; xai noÎcVT[!thu>:; avyyëyga- flam},evovaa. S'ils sont visiblement chez c:ux dans Ia vîi!e
tpthwv Il n'apportera, comme une modeste oholl', que quel-
1
• impériale, ils sonL par malheur très réscrYL~s sur la topo-
ques miracles inédits. Ses prlô<l{•cesscurs sont sans doute les graphie du quahier où s'élève le sanctuaire tômoin de lant de
auteurs des trois premières collcclions. Cela ne suffit pas à merveilles, la ÎIH(JtY.IJ aY.IJI'1Î \ l' oixo:; des martyrs, comme ils
dater la sienne avec précision. Il est simplement à noter l'appellent couramment 2 • Cette demeure des deux saints pos-
que de la cinquième série nous possédons un manuscrit du sédait-elle leurs corps'? L'expression aogd:; TrJJ)J ay{wv Î.ël1pÛ-
Xc siècle. )J(O)J , qui revient parfois, le donnerait à penser ;
3
mais elle
Le recueil le plus récent est celui du diacre Maxime, une peut à la rigueur s'expliquer de reliques partielles. Tou-
grande compilation qui a utilisé les collections antérieures. jours est-il que l'auteur de la seconde collection, parlant de
M. Deubncr a négligé les emprunts, pour n'extraire que les la Cyrrhestique, ajoute : lJv()a rù. rl,uw }.s[v,ava ûiJv Oav,aa-
Miracles originaux (n.39-47). Maxime écrivait après la chute Œrcvv TOVTWV ayÙoJ! Y.Cll Oë(!ClJ[(J)JT(I)V TOV XgwrovKoapii Y.Cll iJ C(-
de l'empire Latin ct après la mort (1282) de Georges l'Acro- ,awvov àm5xëtvrat 4 • Il suppose donc que les corps des martyrs
polile 2 , aux environs de 1300. n'avaient cessé cle reposer dans la vieille basilique syrienne,
C'est Iù le seul point d'attache chronologique un peu préeis et nous sommes très embarrassôs de dire ce que contenait
qui se rencontre dans toute la suite de ces miracles. Il y a, la châsse des saints dans leur basilique de Constantinople.
il est vrai, un indice à signaler dans les miracles në[!t rf]:; Cette église, nos hagiographes la connaissent dans le détail,
\ / 1 ' 1 ' 3, C t. JfE(}l' TOV_. JfCl[!ETOV XCll T1):;
T0l1 %C![!Y.LV0l t:zoVrJJ}Ç CE'fl [!ctta:; 1 \ ....
si bien qu'ils indiquent souvent la place occupée par le ma-
(Uû},ov yvvcuxrÎ:; \ appartenant respectivement à la première lade dont ils racontent la guérison. I\ous nous arrètons avec
et à la troisième série. Ces titres sont cités textuellement, au eux au narthex 5, au Y.ctT?JXov,ubwv 6 , au owxovtY.iÎv 7, au bap-
commencement elu VIle siècle, par Sophronc 5, qui attribue tistère 8, près de l'au lei, près d'une colonne 9 , dans le portique
ces miracles aux saints Cosme et Damien. Il ne renvoie pas de droite près de la châsse 10, devant l'imnge du Sauveur qui
expressémcn t ù nos collee ti ons, et en ce qui concerne la troi- sc voyait dans ce même portique, et sur laquelle étaient re-
sième, dédiée à Florentins, il n'est peut-être pas permis de la présentés en même temps la Sainte Vierge, les deux patrons
faire remonter tout entière si haut. Il suffit de savoir que le et un grand personnage du nom de Léontios 11 • C'est trop
miracle du paralytique et de la muette se racontait déjà à la peu, sans doute, pour reconstituer le plan de l'édifice, mais
fin du VIe siècle. C'est bien à cette époque, si pas plus haut celui-ci devait être d'une certaine étendue ; car, comme il
encore, que la couleur des récits, le milieu et les circonstances ressort de toutes les pages de ces Oav,llrJ.Ta, on y pratiquait
nous invitent ù placer les plus anciens Miracles des SS. Cosme l'incubation, e'est-à-dire que les malades y passaient non
et Damien. Il n'est pas indispensable, en cc moment, d'arriver
1 MCD. 13. 2 MCD. 6, 13. 3 MCD. 34.
1 DEUBNER, t. c., p. 179. 2 MCD. 40. 4 MCD. 12. 5 MCD. 10. 6 MCD. :3, 12, 21, 23.
7
3 MCD. 2. 4 MCD. 24. MCD. 10, 35, 8 MCD. 10. 9 MCD. 12.
5 P~G., t. LXXXVII, p! 3520~ ;o MCD~ 34 . 11 MCD. 30.
12 LES RECUEILS ANTIQUES bE MIRACLES DES SAINTS 13

seulement la journée mais la nuit. Les installations étaient la paralvsie r, des abcès 2 • Ils guérissent des maladies d'esto-
évidenunent en rapport avec cette pratique. On sc choisissait mac 3 , clcs crachements de sang 4, de la cécité 5, des métri-
une place que l'on occupait jusqu'à ce que la prière fùt exau- tes 6 ct ainsi de suite. Le narrateur ne juge pas devoir s'ar-
cée, à moins que le suppliant ne renoncât à attendre ce mo- rêter longuement à décrire le mal Il sc borne le plus sou-
ment. Il y avait probablement des cellules pour un certain vent à Je déclarer très grave ; ce qui lui importe, c'est de
nombre de malades, et des s(•parations leur permettant de cons ta ter que le malade a été guéri.
s'isoler. C'est ainsi que nous voyons une certaine Marthe ap- II arrive que la guérison soit instantanée : les saints se
peler auprès d'eJlC d'autres femmes {J1 if} %OI]TÎJJn avûjç 1• Il contentent d'imposer les mains au malade 7 • Ou bien ils ma-
est fait mention, en passant, d'un hôpital, avec pharmacie, nient le bistouri 8 , et la cicatrice permet de constaler la na-
voisin de l'église 2 • ture de leur intervention 9 • Mais cc n'est pas le cas ordinaire.
On sait en quoi consistait essentiellcmcn t le rite de l'incu- Presque toujours ils indiquent un traitement à suivre ou un
bation. Le malade installe sa couche dans la basilique ct at- remède à appliquer ; et pour que la puissance des saints thau-
tend que durant son sommeil le patron du lieu lui apporte maturges s'affirme, le remède n'a par lui-même aucune effi-
le secours qu'il implore. Le plus grand nombre des guérisons cacité. Fréquemment ils recommandent l'application de la
dues à l'intercession des SS. Cosme et Damien sont précé- 'XYJgwn), le cérat, c'est-à-dire une sorte d'emplâtre ou d'on~
dées d'un songe où les saints indiquent au malade le remède guent fait avec la cire recueillie dans le sanctuaire 10, et qm
à employer, lorsqu'ils ne le guérissent pas aussitôt. Le tableau se distribuait par manière d'eulogics. La distribution se
que nos récits nous placent devant les yeux est celui d'un faisait régulièrement à des jours déterminés : cpOaaaaiJ:; Tijç
hôpital où chaque nuit les médecins font leur tournée, s'ar- ' np aafJfJ anp
navvvxu5oç / xat' TIJÇ
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o. 1 .,
rêtent au lit cres malades, s'informent de leur mal, prescrivent vvxn)ç rw Àaco tnaooOetaYJ:; \ D'autres fois c'est l'huile de la
1

un régime ou formulent une ordonnance. Les deux saints ap- lampe d~s s~ints qui servira d'agent à la guérison 12 • Mais
paraissent en costume de médecin : ù axr],uau uov largcov 3 , la prescription n'est pas toujours aussi anodine. C'est ainsi
et ce n'est guère que clans des circonstances exceptionnelles qu'ils insistent pour faire avaler à un malade une potion de
et en dehors de leur domaine qu'ils se montrent dans une autre, résine de cèdre (xeogaîa, xe/Jeta), qui était considérée comme
tenue : ev ŒX1JW~U OV up elwOôu 4 • C'est ainsi que, clans des un poison redoutable. Le malade s'y refuse à plusieurs repri-
circonstances spéciales, et lorsqu'ils ne veulent pas être ses. A la fin, il est forcé de s'exécuter. Les vomissements pro-
immédiatement reconnus, ils se travestissent en clercs 5 et voqués par l'absorption de cet étrange remède déliv~ent le
même en garçons de bains 6 • Dans leurs visites ils examinent patient du mal dont il souffrait 13 •
les patients avec beaucoup de bienveillance. C'est po ur de A en croire les hagiographes, nos saints ne reculaient pas
justes raisons et en vue d'un bien spirituel qu'ils feignent devant des inventions qu'aucune morale ne légit~merait. On
parfois l'indifférence et passent à côté d'un malheureux sans leur attribue- et on a fait la même injure à S. Ménas ct aux
faire attention à lui, comme il arriva à ce païen qui les eon- SS. Cyr et Jean- l'his toi re scandaleuse d'un paralytique qui,
fondait avec Castor ct Pollux 7, et à un arien, à qui les saints sur leur injonction expresse entreprend de faire violence à
déclarèrent qu'ils n'aimaient pas les hérétiques 8 • une femme muette H. A une juive qui s'adresse à eux dans
Les maladies dont souffrent leurs clients sont toujours
indiquées : l'hydropisie 9, le cancer 10, la rétention d'urine 11 ,
1 MCD. 4, 14, 2,1, 31, 3-1.
2 MCD. 5, 11, 13, 32. 3 MCD. 21.
1 MCD. 12. z MCD. 30. a MCD. 29. 4 MCD. 6, 20. 5 MCD. 36. 6
MCD. 8.
4 MCD. 1. o MCD. 18. 6MCD. 14. 1 MCD. 4. 8 MCD. 30. 9 MCD. 33.
7 MCD. 9. s MCD. 10. 9
MCD, 1, 19, 38! 11 MCD. 30.
10 MCD. 13, 16, 30.
lO l\1CP, 2, 11
Mcp, 3; a MCD, 22, 23. 18 MCD. 11. 14
MCD. 24;
14 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 15

l'espoir d'être délivrée d'un cancer, ils imposent une condition dit, faites-vous couper la barbe par le paralyticpte.l> Il re tourne
que la conscience de celle femnw réprouve: c'est de manger et reçoit de cc dernier la même rt'ponsc qu'auparavant.
de la viande de porc. En fin cle compte, elle ne sera pas La nuit suivante, les sainls reviennent ù la charge. ;{ou-
réduite ù cette extrémité, mais il n'en est pas moins vrai que velles supplicaliou~ du malade. A ce moment le boucher
l'ordre lui a été donné 1 . l\os auteurs ne reculent pas devant fait un mouvement pour retrouver sous sa couverture un
d'autres inconvenances el osent mdlre sur le compte des, objet qu'il avait apporlt\ et à son grand étonnement y trouve
saints des plaisanteries du plus mauvais goùt. En voici une ce qu'il ne cherchait pas: des outils de barbier qn'il n'av~it
qui passe les borues, mais qu'on ne peut s'empêcher de citer, jamais possédés.Alors, malgré son élat,il se dispose à en fmre
sans risquer de donner une idée ins uHisante de leur manque usage ; les efforts pénibles auxquels il est obligé de se livrer
de tact. A un homme affligé d'une rétention d'urine, nos thau- lui rendent l'usage de ses membres, et bientôt les deux mala-
maturges auraient dit : «Si vous voulez guérir, prenez qud- des sont guéris à la fois. Les saints ordonnent au riche de faire
ques poils be rov ùp1Îf3ov Koa,uâ; brùlez-les et avalez-les dans au pauvre horrune une aumône de cinquante pièces d'or. Le
un peu d'eau. ''Le pauvre homme, on le conçoit, est tout dé- boucher renonce à son métier pour prendre celui qu'il vient
contenancé. Il découvre enfin que le nom de Cosmas a été d'inaugurer clans des circonstances si extraordinaires. Mais
donné à un agrieau apporté en offrande. La bête accourt, se il ne s'éloigne pas de la basilique, et jusqu'à cc jour, dit le
plante devant lui,et ne bouge point jusqu'à ce qu'un barbier narrateur, tous ceux qui au même endroit exercent la même
ait enlevé les poils qui serviront de médicament: l!urrJ l!o)(; ore profession, sont ses élèves, ou les élèves de ses élèves 1 •
o xovgêV:; Èx rov ÈcprÎfJov u.tnov àcpsO.ero nf? au5~Q(P 8aa:; lfxen(s Cette plaisante histoire n'est pas la seule oü nous vo_yo~ls
retxw; z. les saints thaumaturges s'ingénier à faire, c01mne on cl1rmt,
On ne s'étonne plus, après cela, de voir nos saints jouer le coup double. L'anecdote du mari jaloux est digne de la précé-
rôle principal dans des histoires ridicules et grotesques. L'au- dente. Cet hollline soupçonnait injustement sa fernme d'infi-
teur de la cinquième collection veut qu'on ajoute foi à l'his- délité. Devenu malade, il alla passer avec elle quelques jours
toire suivante, bien qu'il ne puisse pas se dire témoin oculaire. dans l'église è1es SS. Cosme et Damien. Lorsqu'il fut guéri, il
«Mais, dit-il, S. Mare, S. Luc et S. Paul n'ont point été dans la demanda à Dieu de l'aider à connaître ce qui lui tenait tant
suite elu Sauveur, et pourtant nous ne les croyons pas moins à cœur. Or, il y avait là un honune menacé de perdre la vue.
que S. Matthieu et S. Jean, ses disciples immédiats. l> Voici Les saints lui indiquèrent comme remède de se frotter les yeux
ce qu'il raconte. Un avocat je traduis ainsi, faute de mieux, avec le lait d'une femme chaste. L'ayant appris, le pauvre
le mot axo},auuxô; affligé d'un cancér (cpayüJwva) implo- mari comprit que l'occasion lui était offerte de découvrir la
rait sa guérison. Or, il y avait dans la bàsilique un pauvre vérité. La femme n'hésita pas à se prêter à l'expérience, qui
homme, boucher de son métier, tout paralysé, qui attendait fut concluante en sa faveur. Le malade guérit et la paix fut
lui aussi la visite des saints médecins. L'avocat les voit en rétablie dans le ménage troublé 2 • On raconte aussi, avec force
songe et leur entend dire : << Si vous voulez être guéri, allez détails, comment. un homme fut à la fois délivré d'un abcès
dans notre église trouver cet homme -le boucher- et priez- et de sa passion pour les jeux elu cirque 3 • Il est difficil~ cl'i:na:
le de vous raser ; cette opération vous guérira. '' Il s'y rend giner rien de plus puéril que cette aventure, compliquee a
aussitôt. Mais le boucher lui assure qu'il ignore le métier; et plaisir d'incidents burlesques que les saints thaumaturges
que d'ailleurs sa paralysie le mettrait hors d'état de l'exercer. sont censés avoir inventés pour arriver à leurs fins.
L'avocat crut avoir été le jouet d'une hallucination et se Le remède n'est pas toujours indiqué au malade lui-même.
remit à prier. Nouvelle apparition : <<Nous vous l'avons déjà Les saints chargent parfois du message un ami ou un voisin.

2 MCD. 3; ! MCD. 34. 2 MCD. 25. ~ MCD. 11.


16 LES RECUElLS ANTIQUES DE MIRA:CLES DES SAINTS 17

Ainsi à cet homme qui vomissait du sang, ils font recommander murs de sa maison. Un jour qu'elle était seule, elle se sent
par un tiers de s'abstenir de manger de la volaille en temps de accablée de vives douleurs. Elle parvient à se lever, et s'en
carême ct de se contenter d'aliments farineux 1 • va gratler la couleur des saintes images. Elle mêle celte
Ces exemples donnent une idée suffisante du ton qui règne poussiôre ù sa boisson, et aussitôt le mal disparaît 1 .
dans nos recueils de Oav,aaw. Chacun des chapitres se compose Sauf quelques exceptions 2 ,- surtout clans le recueil le plus
d'un récit que-l'on a tâché de rendre aussi piquant que possi- récent, les auteurs des Oav,uara ne citent pas un nom propre.
ble, sans souci aucun, à ce qu'il semble, de la dignité surémi- Le miraculé est appelé dr~q TL:; YI).QaUo:;, iiueo:; Ù.vl}f2, ù.v~e
nente de ceux qui en sont les héros. Il est vrai qu'on ne nous u:; cpo{Jovpt:vo:; rôv Eh ôv, av rô ovo,ua b fJ t(JJ,cp t; wij:;, yvvfj u:;
montre jamais nos deux saints dans la gloire du ciel. Quand ûp l!Ovct <E{Jqata, ct bien que les faits soient vi-vement racon-
ils ne sont pas à leur tâche quotidienne, dans ce qu'il faudrait tés, les récits reste:o.t dans la tonalité vague des contes et
bien appeler leur clinique, oules voit auprès d'un malheureux des nouvelles.
occupés à lui rendre toutes sortes de services. Ils transportent Comment ont~ils été recueillis? Nous sonunes à ce sujet
eux-mêmes à bras un malade qui, mécontent de ne pas obte- imparfaitement renseignés. Il est d'abord intéressant d'ap-
nir sa guérison, s'était retiré sur son vaisseau et attendait le prendre que des récits de miracles étaient lus au peuple dans
moment de partir 2 • Un paralytique clans un établissement de la basilique. L'auteur de la cinquième compilation a assisté
bains est si obligeanunent aidé par un des garçons, qu'il re- à ces lectures : rà:; Oavparoveyta:; naeà rwv ôwcpôew:; xat no}.v-
commande de lui donner un généreux pourboire. Mais le rgônw:; avyyeyeacpôrwv lv nT> ayùp avrwv rovup vaip àvayt-
garçon a disparu. On s'aperçoit que c'était un de nos deux vwaxo,uéva:; àxovaa:; 3 • Mais ce n'est pas son seul moyen d'in-
saints 3 • Une autre fois ils prennent la figure de deux cleres, formation. Il a appris les guérisons récentes de la bouche des
accompagnent en ville un de leurs clients qui blasphémait miraculés eux-mêmes, des témoins oculaires et du personnel
leurs lenteurs, le quittent, le rejoignent et tâchent de l'ame- subalterne : xai rà:; uafJ' ixâ.arryv f;péeav re xai d)eav ytJJopéva:;
ner à de meilleurs sentiments. Ils finissent par lui procurer lâ.au:; àxovwv, rà:; fÛ;v nae' ŒVTWJJ TWJJ lafJévrwv, rà:; ôe naeà
une place de précepteur qui comble ses désirs 4 • TWI' avronTWI' xat V7lrJf28TWI' YBVOftévwv TWI' fJEeansvfJévrwv.
Un petit nombre de miracles se passent en dehors du sanc- Le même auteur cite même le texte propre d'un récit que lui
tuaire. Un officier, nommé Constantin, a dû quitter Constan- a remis par écrit cc un homme craignant Dieu, dont le nom est
tinople ; mais il emporte partout une image des saints thau- inscrit au Livre de vie n : ÔtJ)y~aarô ,tiot, ,uriJ.J,ov ôe èyyeâ.cpw:;
maturges. Il se marie à Laodicée ; sa femme tombe malade. èUfJero, o'Ùnvo:; avrà:; rà:; U~ët:; Tfj 7lf20%Btpévn èvéfJr)%(1 neay-
<<Si j'étais à Constantinople,)) dit-il, «je prendrais de la luare{0 4

UrJf2WT~ de mes seigneurs les SS. Cosme et Damien. >l Ceux-ci C'est aussi dans l'enceinte de la basilique que la matière
apparaissent à la femme dans le costume avec lequel ils sont de la troisième collection a été recueillie. L'auteur y a séjour-
représentés sur les images : c'est ainsi qu'elle les reconnaît. né comme malade et n'a pas cessé de la fréquenter. Teâ.cpo,asv
La nuit suivante, ils lui apportent la santé. Une autre fois ils xarà ôvvapll' anse BWf2Û.XŒflBI' xat à.XrJXÔa,usv otâ.yovre:; lv Tip
lui font trouver sous son oreiller de la UrJf2WT~, dont ils lui re- oYxcp avTWV lvôô~cp, ÔtÔÔvu:; VfÛV Ù.cpoepr)v lx TWI' àUywv
commandent l'usage 5 • rà nâ.vra w:; slns'iv àvaÂoyît;wfJat fJœûpara 5 • Il y avait .
Il y a aussi l'histoire d'une femme qui avait ressenti les
effets de leur intercession et visitait souvent leur église. Par 1 MCD. 15.
dévotion, elle avait fait peindre leur image sur tous les
2 MCD. 12: yvvJ) uç ovôp.au Md.eOa; MCD. 13: uvà apoea ovôp.a-ct
KwPr17:aYÛPov.
3
Préface, DEUBNER, p. 179. ~ 4 MCD. 35.
1MCD. 6. 1
MCD. 1. 6 Préface, DEUBNER, p. 154.
5 Anal. Boil. XLIII. - 2.
'MCD! 18. MCD. 13.
18 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 19

dans la maison· des saints grande affluence Je vendredi


soir ct la nuit du samedi 1 ; notre auteur était assidu à § 2. Les J."\!!iracles des saints Cyr et Jean.
ces réunions, où l'on parlait beaucoup des guérisons ohtc-
Jtttes. Tof5 )'rl(! },u.m) rflli'T(!Ézovr:o:; iJv rr, ;{(g' lOoc; ytvou{J'J7 iJxEiae
" ~ . 1 ~
Les saints martyrs Cyr et Jean reposaient primitivement
71JU'i'VXÎÔt, au.f3f5ârov {;uq(!)axofivro:;, o[ rijc; nu.f./ uDrû)JI rvzl5vrrç dans la basilique de Saint-::\Iare, à Alexandrie. Cyrille ·d'Ale-
iâauoc; (Jnw::; hvzoJ' O.t-yol', xrû ·~J' c~>:; r'ûJ 10{ii:; 1JÔOJ!JÎ rte; x 1û Ov- xandrie transporta leurs reliques à ::\Ienonthis, et le sanctuaire
fl1JÔÎa iJv roZ:; rowvTot:; l'hJ 1)'1JfliWP', h~âarov ,u{J)).ov f3Unuv i} où il les installa devint par la suite un pèlerinage des plus
à:ovuv rà }.syr5fteva ooxovvro:; 2 • A en juger par les conversa- fréquentés, où les malades venaient de toutes parts implorer
twns dont nous entendons l'écho dans nos Oœv,uara, c'était là le remède ù leurs maux 1 • On est fort mal renseigné sur la per-
un milieu bien étrange el certes mieux approprié à recueillir sonnalité des deux saints. Le premier passe pour avoir em-
des racontars qu'à fournir les éléments d'une documentation brassé la vie monastique après avoir exercé la médecine ;
sérieuse. Les braves gens qui narraient simplement et sans le second aurait été soldat. Il est assez probable qu'on a fait
recherche leur guérison n'étaient sans doute pas écoutés de S. Cyr uù médecin à la suite des guérisons merveilleuses
avec la même attention que ceux qui avaient l'art de la met- dont la basilique de l\!Ienouthis devint le théâtre. Les deux
tre en scène, et quand le récit déjà suffismmnent dramatisé martyrs ne tardent pas, comme saints guérisseurs, à égaler
avait passé par plusieurs bouches, il se trouvait enrichi de Ja réputation des SS. Cosme ct Damien. Ils deviennent des
détails nouveaux dont l'exactitude était de moins en moins collècr0 Ues : rovç
)'\ aywv:;
~ ' ' xru' av,u,uagrvgaç
avvwrgov:; ' 2, et
garantie. Quelques-unes des histoires les moins recevables nous aurons à constater, d'après les livres des Miracles, que
de nos recueils ont des attestations qui nous rendent singu- les deux groupes finissent par prendre, dans l'imagination
lièrement sceptiques sur la sincérité des écrivains ou des té- de leurs clients respectifs, des physionomies presque identi-
moins qu'ils invoquent. Le prétendu miracle du paralytique ques.
et de la femme muette a été raconté à l'auteur par un homme Les Miracles des SS. Cyr et Jean ne sont pas répartis en
de qualité, àv1]Q Âa,uncô:; u xat iJnfoo!;oç, qui prétend avoir été collections distinctes, comme ceux des SS. Cosme et Damien
là et on ne peut mieux placé pour être renseigné. Malade lui- et ne nous sont pas, comme la plupart de ces derniers, racontés
même, il passait la nuit dans l'église et avait à sa droite la par des anonymes. Le volumineux recueil de 70 miracles a
muette, à sa gauche, le paralytique. <<L'homme du milieu)) pour auteur Sophrone le sophiste, ami de S. Jean l'Aumônier 3 •
racontait aussi la fin de l'histoire, et lui doni1ait ainsi un tour Nous pouvons nous dispenser de nous prononcer ici sur l'iden-
plus moral. Les deux miraculés avaient dans la suite con trac-· tification de ce personnage avec S. Sophrone patriarche de
té une union légitime et vivaient pieusement, proclamant Jérusalem 4 • II nous suffit de savoir que Sophrone le sophiste,
partout la puissance des saints et la faveur dont ils avaient né à Damas vers 550, séjourna deux fois en Égypte, avec son
été l'objet 3 • Quant au miracle du boucher devenu barbier, ami Jean Moschos, et que son second séjour prit fin vers
il était appuyé en partie sur des témoignages oraux, en partie 1 Voir Origines du culte des martyrs, p. 257 ; Les saints d'Abou-
sur des documents écrits : TO oÈ; vvv ngoxdpevov el:; è!;IJynatv kir, dans Anal. Boll., t. XXX, p ..f!!8; J. FAIVRE, Canope, Jl1énou-
eavpa nagà Oeocpt?.c'vv àvogwv TOVTO pÈv àygâcpwç, TOViO oÈ; xat this, Aboukir (Alexandrie, 1917), p. 34-56.
2 MCJ. 30.
iJyygâcpwç nagdâf3opev 4• Ces exemples suffisent à nous édifier
3 BHG. 477-479. Nous citerons ces Miracles en faisant suivre le
sur l'esprit qui animait les rédacteurs de nos livres de Mira-
sigle MCJ de leur numéro d'ordre.
cles, la manière dont ils entendaient glorifier les saints, et 4 Le P. S. VAILHÉ a. discuté le pour et le contre dans son article
leur souci de la vérité. Cherchons à trouver mieux dans un Sophrone le sophiste et Sophrone le patriarche, dansRevue de l'Orient
milieu un peu différent. chrétien, t. VII (1902), p. 360-85; t. VIII, pp. 32-69, 356-87. La
distinction a pour elle de grandes probabilités,
1 MCD. 26, 30. 2
DEUBNER, p. 154.
8
MCD. 24: 4 MCD. 34.
20 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 21

l'année 615. Les Miracles furent écrits sous l'ôpiscopat de savoir long sur l'histoire du pèlerinage 1 • On peut être cer-
S. Jean l'Aumônier r, c'est-à-dire entre G10 et f\19. Sophrone tain qu'il y avait, clans le sanctuaire, des ex-voto avec les
souffrait des yeüx et était venu demander aux saints thauma- noms des donateurs, que Sophrone avait pu recueillir
turges la guérison de son mal. C\'st en reconnaissance du bien- aisément. Les noms étaient-ils accompagn('s d'un texte
fait obtenu qu'il écrivit un long panégyrique des saints mar- rappelant les eirconstan~es de la guérison? l\ous n'avons
tyrs 2, suivi de Û1. ÔtiÎYt;cfl:; 011v,uâr(I)J'. Il groupa ses récits en pas de preuVes pour l' dfirme r, et il cs t plus probable que
trois séries: les miracles opérés ut faveur des AJexaudriiis, c'était là l'cxeeption. Car Sophrone, qui aime à accumuler
au nombre de 35; les miracles en faveur des I:~gyptieris, et des les dôtails conerets, y aurait fait allusion. Il mentionne uile
Libyens, au nombre de 15; les miraeles, au nornbre de 20, en peinture placée iton loin elu tombeau des saints par Némé-
faveur des étrangers venus de tous les pays 3 , en tout 70 mi- sion, ex-préfet, qui avait été pour un autre l'instrument d'un
racles. miracle. Le sujet en est indiqué: elle représentait le Christ,
Sophrone n'a pas besoin de nous elire qu'il a vécu en Égypte, S.Jean-Baptiste, S. Cyr et Némésion lui-même 2 • Mais Sophrone
et qu'il a séjourné à l\Ienouthis. Il est familiarisé avec ne cite qu'une seule fois, et textuellement, une inscription
l'histoire religieuse et la topographie de la contrée, et connaît placée dans la basilique par un client de nos saints :
tous les recoins du sanctuaire des martyrs. On devine aisé-
ment qu'il a fait de la sophistique une étude spéciale. Verbeux, 'Eyà> 'lwâvv1):;, m)}.ewc; ri):; 'Pw p.17:; og,u(v,uevoc;; rvrpÂàc;
recherché dans son style ct ne dédaignant pas les jeux de mots, ihcrâJ xerSvovc; yev(S,aevo:; b8âoe o1à ûjc; ru!v aytwv Kveov
s '
r.,w, . oJavvov uvva,uewr;
1 '[ ' '
ngoauagregrJŒa:; , '{11/,e7pa 3.
ave
il fait précéder chaque chapitre ou Miracle d'une courte intro-
duction et le termine par quelques réflexions qui servent Cette inscription se lisait, en caractères très visibles, sur
le plus souvent à marquer la transition à un autre sujet. Le le mur de la basiliqut~ faisant face à la porte cl' entrée. Il es.t
récit lui-même est clair et vivement présenté. assez intôressant de constater comment Sophrone s'y prenait
On est d'abord frappé du contraste de la frivolité de ces pour tirer d'un texte concis, Ull' récit qui, à première vue, pa-
histoires avec la précision de la narration. Pour le fond, elles raît fort circonstancié. En habile sophiste il a appliqué à
ne sont guère plus sérieuses que les Oav,uara des SS. Cosme chacun des éléments de ce texte la méthode du développement
et Damien, et quelques-unes les dépassent, en ineptie. Mais usitée dans les écoles.
alors que dans les précédents recueils les noms propres sont Le chapitre Ilegî 'lwâPvov rof5 rvrp}.of5 peut être divisé
rares, ici il n'y a pas de miraculés anonymes ; l'auteur sait en six paragraphes. Le. premier ne renferme que des consi-
même nous dire presque toujours de quelle localité ils sont dérations générales. C'est de la rhétorique pure. Le second
originaires et souvent il donne quelques détails sur la famille fait valoir la circonstance que le patient est venu de
ou la condition du personnage. Comment s'est-il documenté? Rome pour chereher sa guérison dans la basilique des martyrs.
Nullepart il n'est fait mention d'une source écrite, et dans le Dans le troisième l'auteur explique, avec les détails usités en
panégyrique ne sont citées que les courtes homélies de S. Cy- pareille matière, comment le malheureux a dépensé sa fortune
rille 4 • C'est évidemment le personnel ac
la basilique et la en remèdes et en consultations de médecins, et s'est décidé
foule qui la fréquentait qui ont fourni à l'auteur la plus à recourir à des guérisseurs plus puissants.
grande partie des détails rapportés clans ses récits. Il Le départ pour le sanctuaire de Menou this fait l'objet du
est fait mention d'un vieillard, depuis 67 ans attaché à la paragraphe suivant. Ici un détail qui n'est pas exprimé dans
basilique, que tout le ITlOHde connaissait, et qui devait en l'inscription. Notre aveugle a juré de ne pas entrer dans la
basilique avant d'être guéri. Il s'établit donc devant la porte,
1 MCJ. 8. 2 BHG. 476. 3 MCJ. 51.
4 BHG. 472-474.
1 MCJ. 51. 2 MCJ. 28. 3
MCJ. 69!
22 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS

et demeure là, durant huit ans, bravant toutes les rigueurs pèlerinage à lVIenouthis avec ses deux fils, Calliniquc ct
des saisons. On aurait tort de croire que ccci provient d'une. I~pimaque. Pendant qu'ils se reposent sous un arbre, les
autre source. C'est tout simplement Ie développement, par un enfants trouvent un œuf, qu'ils prennent pour un œuf
sophiste doué d'une imagination vive, des mots Ô%TC~ zgôvovc; d'oiseau, mais qui était un œuf de serpent, et près d'éclore.
Èv0éu5e ngoa%(1[JTE:(}~aac;. <t Ici, )) c'est-à-dire dans Ia basilique. Callinique s'en empare et s'empresse de le gober. Il n'éprouve
Mais Sophrone veut comprendre que c'est l'endroit même oü d'abord aucun mal; mais arrivô ù lVIcnouthis, il commence à
est placée l'inscription: ned rrjç m5}.Jr; rofi u,ubovç. /dors il sentir des douleurs d'entrailles intolérables. Le serpent
se figure qu'au lieu de cherchn son refuge, comme tout le qu'il a avalé s'agite ct cherche à sc frayer une issue. Le mal-
monde, à l'intl~rieur du temple, Jean s'eu est interdit l'enlrée. heureux Callinique se roule à terre et pousse des cris ]amen-
Enfin, clans la dernière section est racontée la guérison, qui tables. La mère adresse aux saints de ferventes prières et
s'accomplit dans les conditions ordinaires. Les deux saints finit par s'endormir. Alors les saints lui apparaissent en songe,
apparaissent à l'aveugle durant son sommeil, ct lui rendent et lui ordonnent de faire sortir son enfant, de le placer dans
la vue en touchant du doigt ses yeux malades. Au comble elu la cour, d'empêcher qu'on ne s'approche de lui et de se tenir
bonheur, Jean entre enfin dans la basilique, va remercier ses elle-même à distance. Voilà qu'après une demi-heure, la mère
bienfaiteurs, et place sur la muraille l'inscription qui doit du serpent qui tourmentait Callinique, ij rd wdv È%elt'O yevv~­
perpétuer le souvenir cle la gràcc reçue. Et voilà ce qu'une aaaa oeétxatva, arrive,_ en rampant et en sifflant, appelant
exégèse ingénieuse parvient à tirer d'un texte de trois li- à sa manière son petit, comme ferait une femme à la recher-
gnes. che de son enfant. ta foule s'enfuit, et le serpent sc précipite
La méthode de Sophronc l'a servi sans doute en d'autres vers. le jeune Callinique, tourne autour de lui, lui siffle clans
occasions. Mais il est évident qu'il a été souvent aidé par les l'oreille, s'approche de sa bouche signalant doucement sa pré-
habitués ou par ]cs gardiens d'e la basilique, qui lui communi- sence. Reconnaissant la voix de sa mère, le jeune serpent
quaient les souvenirs se rattachant à des noms inscrits sur remonte ct sort par la bouche de Callinique ; après quoi les
les offrandes. L'avocat ( oocoUyoc;) Cyrus lui expliqua l'his- deux reptiles regagnent joyeusement leur nid 1 • Voilà ce que
toire de Némésion, qui s'était fait représenter sur une pein- Sophronc raconte avec le même sérieux que tout le reste.
ture, en souvenir, non de sa propre guérison qu'il n'obtint Certaines de ses histoires ne sont que des adaptations de
pas, mais de celle d'un certain Photinus, où il avait joué le thèmes littéraires, conune par exemple celle de Théophile,
rôle d'intermédiaire 1 • D'autres lui firent part de leurs dont les mains et les pieds étaient <t liés)) par un sortilège 2 •
expériences personnelles, comme ce fut le cas pour l'économe Les saints lui prescrivent de faire .marché avec un pêcheur,
Christodore 2 et sa famille. Il ouvrait largement l'oreille aux pour la première capture ; celle-ci lui apportera le remède
racontars des pèlerins, qui ne reculaient devant aucune exagé- cherché. Le marché est conclu, mais le pêcheur ramène dans
ration. Et Sophrone, uniquement préoccupé d'enrichir son ré- ses filets une corbeille. Il refuse de la donner, sous prétexte
pertoire et de mettre en lumière la puissance et l'inépuisable qu'il a vendu du poisson et non un objet quelconque. Le ma-
bonté des grands thaumaturges de Menou this, recueillait avec lade maintient ses droits, et le litige est déféré à l'économe de
avidité tout ce qui pouvait servir à son dessein. la basilique. Celui-ci commence par faire ouvrir la corbeille;
Sa crédulité est sans bornes, ct il faut donner un exem- et qu'y trouve-t-on? Une petite statuette avec des clous en-
ple des inepties qu'il se permet de raconter au public, foncés dans les mains et les pieds. On comprit que Théophile
sous couleur de glorifier les saints. Dorothée allait en était victime d'une << défixion )) magique, c'est-à-dire d'une
manœuvre d'envoùtement. Les clous furent enlevés, et à
1
Ce Photinus vendait des fruits :n:eà t'OV vsw t'WV aytwv Tr;:twJJ
llaUJwv, à Alexandrie, MCJ. 28. Plus haut, p. 21.
2 MCJ~ 1 :MCJ. 34. 2
MCJ. 35.
8, 91 10! .
24 LES RECUEILS ANTIQUES DE MITIACLES DES SAINTS 25
mesure qu'on les retirait, il recouvrait l'usage de ses mains basilique, et qui est appelé ?,ovrgàv rwv ayÎwl', et d'une source :
et de ses pieds. Ûc; r»v avro)v TOJY1JV 1

Or, cette discussion entre le pêcheur et le client est un des C'est durant le sommeil que les saints thaumaturges appor-
sujets de << controverse n ou de déclamation que les rhéteurs tent aux malades la santé ou du moins le remède approprié
avaient l'habitude de proposer à leurs disciples. C'est pré- à leurs maux. Comme les SS. Cosme ct Damien, ils font ré-
cisément l'exemple que Su(•tom~ propose de ce genre d'exer- gulièrement la visite des malades de l'hôpital qu'est leur ba-
cice. Aesliuo lempore adolescentes urbani cum Osliam vcnissenl, silique. Gé~néralemen l ils sont habi!H~s comme les médecins 2 ;
lifus ingrcssi, piscalores lmlzenles rele adicmnl cl pepigerunt, parfois ils portent l'habit monacal; cxcqJtionneUement ils
bolwn quanti emcrent; nummos soluerunl; diu e:rspeclaucrunt, adoptent le costume des prêtres 3 ou se font passer pour des
dum relia e:riralzerenfur; aliquando exlraclis, piscis nullus af- personnages connus de leurs clients : iv ay,!Î.uan Xgtaroocô-
fuit, sed sporla auri obsula. Tum emptores bolum suum aiunt, gov, 'fovJ,wvoiJ bwxÔl'OV, iv Q(!XOVTOÇ El08l T8 XCÛ TIÎ~El -l.
piscaiores suum 1• Le Miracle de Théophile n'est que le Les maladies dont ils guérissent sont de toute espèce ; les
développement de ee lieu commun. Il est possible qu'o!.l en plus communes comme ks plus extraordinaires, car il y en a
découvre d'autres de la même catégorie. qui sont bien faites pour embarrasser les médecins : on nous
présente des malheureux qui ont la tête remplie de vers 5 ,
Comme on a pu le comprendre, les guérisons s'obtenaient
ou de mouches 6 •
à Menouthis dans des conditions analogues à celles que nous
Mais ce sont les remèdes qui nous intéressent davantage.
avons constatées dans la basilique des SS. Cosme et Da-
Parmi les prescriptions révélées par les saints aux malades
mien : on y pratiquait l'incubation. A Théodora qui sc refu-
endormis, il y en avait sans doute un bon nombre qui étaient
sait à suivre son mari Christodore, nommé économe de Me-
classiques dans la médecine du temps. Sophrone 7 raconte
nouthis, les saints montrent en songe la multitude des mala-
d'un nonuné Gésius, aussi savant médecin que mauvais chré-
des coucl}és dans la basilique et lui expliquent leurs diffé-
tien, qu'il sc moquait des mùtyrs, répétant qu'ils ne guéris-
rentes maladies 2 • Une femme du norü de Rhodope voit dans saient pas par la puissance de Dieu mais par les recette-s ci'I-Iifl-
son rêve les saints parcortrant les rangées de malades, gué- pocrate, de Galien et de Démocrite; il allait jusqu'à indiquer
rissant les uns et prescrivant aux autres les remèdes à appli- les passages de leurs traités où on pouvait trouver les formu-
quer 3 • les. Les cas de guérison obtenue de cette manière ont sans
Il semble que les lits ôtaient disposés dans une galerie doute paru trop peu intéressants à Sophrone, visiblement
extérieure communiquant avec l'église. Un malade, du préoccupé de l'idée que les méthodes des saints n'ont rien de
nom de Georges, avait sa paillasse placée de telle sorte commun avec celles des largcuv naZot:c;. A le lire, on doit com-
qu'un oiseau (vvxnx6ga~) nichant au-dessus de lui sur le prendre que nos thaumaturges voient de mauvais œil ceux
toit la salissait continuellement. Les employés le trans- qui ont confiance dans la thérapeutique profane ; ils punissent
portent plus loin ; l'oiseau s'installe au-dessus 4 • On déplace parfois ceux qui oublient de recourir à eux et s'adressent aux
le lit dix fois, l'oiseau s'obstine à suivre :piège du démon pour médecins 8 •
pousser le pauvre infirme au désespoir: Les malades, en at- 11 serait difficile d'indiquer, parmi leurs ordonnances, un
tendant que leur prière fût exaucée, ne quittaient point la remède quelconque ayant par lui-même la moindre efficacité
basilique. Quelques-uns y restaient deux, trois, huit ans 5 • pour guérir le mal. En voici quelques-uns parmi les plus
Il est fait mention, à plusieurs reprises, d'un bain voisin de la
1 1 MCJ. 9. Cf. 52, 58.
De rheloribus, RoTH, p. 269. Le rapprochement a été fait par
DEUBNER, De incubaiione, p. 88. 2 MCJ. 33. 2 MCJ. 38, 52. 8 MCJ. 37.
2 MCJ. 9. 3 MCJ. 62. 4 MCJ. 67. 4 MCJ. 32, 36, 38. 5 MCJ. 18.

5 ~CJ~ 48, 69, etc. 6


MCJ~ 23! 7
MCJ~ 30! 8
MCJ! 67!
26 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 27

simples. Un verre d'cau pour délivrer une femme tourmentée Voici ce que les saints prescrivent à Élie qui demande d'être
par une grenouille qu'elle avait avalée 1 ; même remède pour délivré de la lèpre qui lui couvrè tout le corps. Près de la fon-
guérir une muette 2 ; un emplâtre de fromage de Bithynie taine il verra quatre-chameaux. Il recueillera la fiente du qua-
mêlé à de la xr)(!Oxn) contre la cataracte 3 ; du verre pilé dans trième de ces animaux, la diluera dans l'eau de la fontaine
de l'eau contre la iegà J Ôaoc; 4 ; des compresses de poumon de
1 et s'en frottera partout. Le malheureux fit ce qui lui était
porc rôti mêlé à du vin pour redresser des pieds tordus 5 ; commandé, mais s'abstint d'enduire sa figure. La lèpre
de la chair de crocodile rôtie et pilée au mortier pour guérir disparut de son corps, mais il garda toute $a vie sur sou vi-
des yeux malades 6 • Un homme qui a une excroissance sur le sage les stigmates de sa désobéissance 1 •
nez devra priser du .poivre : ; une religieuse qui a avalé par Dans la guérison de Gennadius, << l'homme à la tête remplie
mégarde trois reptiles appelés aafw,atOw est envoyée au ca- de mouches )), intervient, comme clans le cas de Paul, le coup
baret voisin où elle devra prendre à jeûn trois verres de vin 8 • de bâEon qui lui ouvre le cràne, et laisse échapper l'essaim,
Il s'ensuit des vomissements qui la délivrent de ses hôtes mais aussi, comme pour Élie, la fiente cl 'un chameau dési-
importuns. Et ainsi de suite. gné d'avance, le troisième, pour guérir la plaie 2 •
Il n'est pas rare que les saints recommandent des moyens On se souvi(mt de Gésius, qui niait la puissance surnaturelle
visiblement choisis pour mettre à l'épreuve la foi elu malade. des saints 3 • Il fut réduit lui-même, par la malaèlie, à im-
De là toute une classe de remèdes ridicules. Donnons quel- plorer leur aide. La condition qu'ils mirent à sa guérison était
ques échantillons. Un jeune homme nommé Paul souffrait bien faite pour abattre son orgueil, et il se vit contraint
d'intolérables maux de tête, dont la cause semblait mysté- d'avouer, cette fois, que la recette n'était point dans Hippo-
rieuse. Il lui est ordonné de sortir, le matin, par la porte qui crate. Voici ce qu'il entendit dans sou sommeil : << Mets-toi
conduit à la mer et de donner un soufflet au premier passant sur le dos le bât d'un âne, ct à l'heure de midi fais le tour de
qu'il rencontrera. Notre homme hésite, ct il faut que l'ordre la basilique en criant à haute voix: Je suis fou et sans intelli-
soit réitéré jusqu'à trois fois. Il se décide enfin à obéir; sa gence. Fais cela, et tu seras guéri. )) Illusion, pensa-t-il
main tombe sur le visage cl 'un soldat- qui, furieux, lui assène cl 'abord. Mais les saints lui apparurent de nouveau. Ils répé-
sur la tête un formidable coup de bâton. Mais c'est là le remède tèrent la même chose et exigèrent en outre qu'il se mît au
prévu. De la large blessure s'échappent, avec le sang, une cou un grelot ou une sonnette. Une troisième fois, ils ajou-
multitude de vers, qui étaient la cause du mal 9 • Théodore tèrent la bride, qui devait être tenue par un de ses esclaves.
souffrait des entrailles par suite d'un empoisonnement. Le A la fiu, Gésius se résigna à la pénible épreuve, et on le vit,
remède qui lui est recommandé en songe, mais qui lui répu- clans cet équipage ridicule, proclamer sa folie. L'étrange
gne souverainement, c'est de manger un serpent. Les saints remède produisit son effet ; en même temps qu'il dépo-
reviennent trois fois à la charge, mais sans succès. Une qua- sait l'humiliant attirail, Gésius se sentit délivré de ses
trième fois, ils lui disent : << Allez le matin à notre source et souffrances.
mangez hardiment ce que vous y trouverez. )) Et il trouve un La guérison d'Antoine le Thébain, qui avait des maux
concombre clans lequel il n'hésite pas à mordre et qui lui d'entrailles, fut obtenue, après deux ans de prières, sans con-
paraît excellent. Mais au dernier morceau, il s'aperçoit qu'en dition préalable. Mais les saints lui imposèrent une compen-
réalité c'est un serpent qu'il vient d'avaler. Son estomac ne sation assez singulière. Revenu dans son pays, il planterait
peut le garder ; c'est ce qu'il fallait pour le débarrasser du une vigne en leur nom et I'exploiterail en compte à demi pour
poison 10 • eux et pour lui-même. Il disposerait de sa part comme il
l'entendrait. La part des saints serait apportée à la basilique
1 MCJ. 26. MCJ. 64.
2 3 MCJ. 5i. et distribuée aux malades 4 •
5
4 MCJ. 15. MCJ. 55. 6
MCJ~ 24,
7 MCJ. 53. s MCJ. 44. 1
lVlCJ~ 13,
D MCJ~ 18! ~o MCJ! 27!
28 LES RECUEILS ANTIQUES DE J\IIHACLES DES SAINTS 29

On a pu voir que parfois les saints ont recours à des voies rentré chez soi, retournez à l'(·glisc pour communier.'' Julien
détourné('S pour vaincre l'obstination de leurs clients ct les suivit ces conseils ponctuellemeill. l\Iais au mon:ent où il
amener à exécuter leurs prescriplions. Ils _poussent fort était ageJÎouillé et recevait Je corps elu Seigneur, on vit entrer
loin les ménagements et donnent des conseils difficiles à une centaine de clercs de l'hh·ésie des Gaïanites qui venaient
concilier avec l'esprit de l'l::vangile. On Jùn sera que médio- prier, selon leur habitude, l'office terrninô. Ils furent stupé-
crement étonné si l'on veut se rappeler que Sophrone n'hé- faits de voir Julien leur (~ehapper, et eclui-ei ne le fut pas moins
sile pas ù admettre au nombre des miracles des SS. Cvr et d'avoir élé cléeouYert d'une façon aussi inatlendue. Sophrone
.Jean une répétition de la scène de la mueLte et du par~llyti­ veut dire qu'il est tombé dans le piège, et n'a pas l'air de sen-
que 1 • Il s'agit ici de la guérison d'un comte Julien qui ôtait tir combien de pareils procédés sont peu dignes des saints.
atlaché à la seclc cles Apollinarisles. L'histoire est intéressante On aura noté en passant les détails importants que renferme
par plus d'un côté et mérite d'être rapportée avec quelque cc récit sur la vic religieuse de l'époque, dans l'i•glise d'Ale-
détail. Comn:e on pouvait s'y attendre, avant de lui accorder xandrie. Ici comme ailleurs, en Égypte, la fête ou synaxe sc
la guérison qu'il implore, les saints c:ommenc:enL par exiger célébrait non pas dans toutes les églises mais dans une église
de Julien qu'il abandonne l'hérésie et embrasse la communion déterminée 1 • Les dissidents fréquentent les églises catholiques,
catholique. Ils se montrent à lui plusieurs fois, portant mais n'assistent qu'à une partie de la messe ou se contentent
l'eucharistie, et l'engagent à recevoir le sacrement. Mais de venir prier après les offices. Remarquons aussi que la
Julien s'obstine clans l'erreur. D'autre part, le mal augmente, communion se distribuait en dehors de la messe, et que le
et le malheureux redouble ses prières. Les saints insistent retour à l'Église catholique s'accom.r,>lissait sans aucun acte
et lui répètent que ni les Gaïanites ni les Théodosiens n'ap- de réparation avant la participation à l'eucharistie 2 •
partiennent au troupeau du Christ 2 • Enfin, vaincu par le mal, Nous ne quitterons pas ce sujet sans signaler quelques
il sc décide à abandonner la secte ; mais il a honte de re mlre autres miracles faits en faveur d'hérétiques, dont la guérison
publique sa conversion eu s'approchant des sacrements. Une est subordonnée à l'abjuration 3 • L'histoire du sous-diacre
nouvelle vision lui apprend le moyen de s'épargner la confu- Théodore mérite d'être rapportée pour les détails curieux
sion. qu'elle renferme. Les visions et les remontrances des saints
On était aux approches de la fête de Noël. A Alexandrie se succèdent sans vaincre son obstination. Dans une de leurs
cette fête sc célébrait dans l'église de Théonas, dédiée à la visites, ils lui proposent d'aller prier à leur tombeau. On passe
Sainte Vierge. << Allez-y, lui elisent les saints ; mêlez-vous aux devant le baptistère (cpwncrr:~etov) où sc trouve conservée
fidèles, prenez part à la psalmodie et écoutez la lecture des la sainte eucharistie (llvea !;wonotà Xewrov xëlrat ,uvar~ew).
leçons des apôtres et de l'évangile, comme le fout ceux de Théodore est invité à entrer ct à communier. Il refuse. <<Je
votre secte ; après quoi, sortez selon votre habitude. Pour suis, dit-il, d'une autre opinion. Aujourd'hui même doit ar-
éviter tout soupçon, allez attendre au O[!Ôfl,or; (la place publi- river ma mère', qui m'apportera les saintes espèces. Mais
que voisine) la fin de l'office, et quand tout le monde sera laissez-moi approcher du tombeau ct prendre de l'huile de
la lampe.'' Et Sophrone fait remarquer que beaucoup de ceux
1
qui ne veulent pas communier avec les orthodoxes preimcnt
MCJ. 30, à la fin.
2 de l'huile de la lampe des saints à la place du corps et du sang
Gaïanus ct Théodose, patriarches rivaux, en 537, représentaient
deux sectes monophysites, celle des " Phantasiastes, ,, qui prirent du Seigdeur. Les saints refusent à Théodore cc qu'il demande,
le nom de Gaïanites, et celle des" Phartholatrcs "qui furent les Théo- et finissent par lui dire que, s'il ne s'approche du sacrement
dosiens. Le diacre Libera tus, qui écrivait vers 560, dit qu' Alexan-
drie était encore divisée par ce schisme. P.L., t. LXVIII, p. 1037.
1 Voir à ce sujet Le calendrier d'Qxyrhynque, dans Anat Boll.,
On voit ici qu'il n'était pas éteint au commencement du siècle t. XL II, p. 83-99.
suivant. 2 MCJ. 12. s MCJ. 36-39.
30 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 31

en bonne conscience, il n'a qu'à partir comme il est venu. qui sont malades. )) S. Cyr promet sa visite. Voyant que les
Après de nouveaux incidents, il se résigne enfin. Les saints saints s'attardent à table, Sophrone s'approche de S. Théo-
se montrent encore, et lui accordent la santé 1 • dore et le prie d'intercéder pour lui auprès de S. Cyr. Ille fit,
el S. Cyr traça trois fois le signe de la croix autour de Sophrone.
Le rapide exposé qui précède manqucraiL d'un dément Ce n'était pas encore la gu(crison, mais l'annonce de la guéri-
essenlid si nous n{·gligions le témoignage de l'auteur sur la son.
faveur dont il fullui-mème l'objet de la part des SS. Cyr Plusieurs jours après, les saints apparaissent encore à So-
et Jean. Le récit est d'une longueur inusitée, et nous serons pln·one durant son sommeil. Cette fois intervient S. Thomas,
forcés de l'abréger 2 • qui faisait beaucoup de miracles à Damas, la patrie de So-
La troisième nuit après son arrivée, les deux saints lui phrone, dont le frère avait été guôri par lui. Sophrone se de-
apparurent durant son sommeil. L'un d'eux, S. Cyr, était mande si S. Cyr a pris la figure de l'apôtre, ou si l'apôtre ac-
revêtu de l'habit de moine ct avait pris les traits de Jean compagne S. Cyr, suivi d'une foule de martyrs. Quoi qu'il en
Moschos, le maître et père spirituel de Sophrone. L'autre, soit, l'apôtre fait trois fois le signe de la croix sur la paupière
S. Jean, portait une chlamyde brmante et ressemblait à de l'œil gauche.Sophronc dcn1ancla qu'il fît cle même pour l'œil
Pierre, préfet du prétoire. Ce dernier demanda à son compa- droit, mais l'apôtre l'assura qu'il n'avait plus aucun mal, puis .
gnon qui représentait Moschos: «Avez-vous un disciple nom- disparut.
mé Homère? n Ceci faisait allusion à la cécité du patient. Cyr Sophrone, en s'éveillant, fut partagé entre la joie et la
répond qu'il n'a qu'un disciple, qui ne s'appelle pas Homère tristesse. Il avait reçu la visite des saints, mais non pas la
et qui n'a jamais touché un vers d'Homère. Le dialogue con- bénédiction pour son œil droit. Quand il se fut rendormi,· le
tinue, en termes assez peu clairs ; mais il ressort que les saints martyr Jean vint le consoler et lui annoncer que ses deux yeux
sont disposés à venir. en aide à Sophrone. étaient bien guéris. Et c'est ce qu'il eut la joie de constater
Peu de jours après, il~ reviennent, portant le costume mo- à son réveil.
nastique, et ordonnent à Sophrone de se mettre sur les yeux . Cet étrange récit, oü Sophrone nous fait part si minutieuse-
de la UJJ(!W1?1j délayée dans l'huile de· leur lampe. Sophrone ment de ses expériences personnelles et par lequel il termine
obéit et fut partiellement guéri. Mais ils avaient l'intention de son livre, contraste, clans une certaine mesure, avec la plu-
lui accorder sa guérison complète. Ce fut à la suite d'une part de ceux qui précèdent. L'incohérence, la bizarrerie, le
nouvelle vision. Sophrone vit durant son sommeil son maître vague du rêve y sont fort bien rendus. Le rôle donné aux saints
Moschos, qui avait invité tous les malades de Menouthis. Au rappelle celui des autres miracles, mais il n'est pas poussé
haut de la table se trouvait S. Théodore, auquel Sophrone jusqu'à l'extravagance. Ce qui paraît certain, c'est que So-
avait une dévotion particulière ; aux côtés du martyr les pa- phrone revint de Menou this entièrement guéri. Il attribue sa
trons du lieu. Sophrone servait, tandis que Moschos préparait guérison à une intervention céleste. Quoi qu'il en soit; ses
les plats dans une cellule voisine. Après le repas, S. Théodore visions, pour être un peu moins ridicules que certaines autres
interpelle Sophrone : « Appelle ton maître, pour que S. Cyr enregistrées par lui, n'ont rien qui soit digne d'une telle ori-
lui paie ce qui est dû. )) Moschos, averti, accourt aussitôt et gine. Elles supposent un état d'exaltation peu commun, en-
assure qu'on ne lui doit rien. Le saint insiste, mais Moschos tretenu sans cloute par le récit des faits extraordinaires dont
sc contente de demander pour toute faveur : << Je supplie le la basilique avait été le théâtre, et par des lectures comme celle
martyr de nous visiter fréquemment dans notre petite cel- des Miracles des SS. Cosme et Damien; rappelons-nous qu'il
lule, de bénir ceux qui sont en bonne s_anté et de guérir ceux les connaissait 1 • Son expérience personnelle l'a ensuite dis-
posé à accepter sans contrôle tout ce qui se racontait au sujet
1 MCJ. 36. 2 MCJ. 70~
32 l.ES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 33

des saints thaumaturges et de leurs elients. Un écrivain qui los-Kerameus 1, d'après trois manuscrits, le 1468 de la biblio-
de nos jours raconterait la moitié de cc que nous lisons dans thèque ::\ationalc de Paris, le 27 du fonds de Saint-Sabas de
le livre des LXX miracles, serait accusé d'impiété, et son J érusalern, le 42 de Messine, auxquels on peut ajou ter l'an-
ouvrage attentatoire à l'honneur des sainls. Sophrone était cienne version slavonne de l'édition critique des l\lénées pu-
un homme cttltivl\ et un bon chrétien ; sa piété et sa recon- bliée par la Corrmission archéographique de Saint-Péters-
naissance pour ses célestes bienfaiteurs sont au-dessus de bourg. Les quarante-cinq Miracles dont est composée la col-
toul soupçon. Qu'il ait été amené à créer un pendant aux lection ne sont pas reprèsentés dans tous les manuscrits et
Miracles des SS. Cosme et Damien, qu'il ait pu dépasser il n'est pas impossible qu'elle en ait compté un plus grand
parfois son modèle et s'imaginer que les saints venaient l'en- nombre. En effet, clans l'extrait ir. uûv OavfUÎTWl' rov U.ytov
courager dans cette besogne, cela ne s'explique que par la pâerw.Jo; 'Aeuptov que Papadopoulos a tiré du manuscrit
vogue d'un genre de littérature, qui, hélas, ne contribuait Coislin :104, il y a un Miracle, le VIe, qui n'est pas représenté
pas précisément à élever le niveau religieux. dans la grande collection. Il est impossible, avec les moyens
dont nous disposons, de se rendre exactement compte de la
tradition du recueil. Le style et l'allure des récits ne s'opposent
§ 3. Les 1Vliracles de S. Arlémius. pas à ce qu'ils soient sortis d'une même plume. Mais l'auteur
s'y serait repris à deux fois, et il y aurait au moins deux par-
S. Artémius est un martyr célèbre, que sa légende rattache ties à distinguer : la première comprenant les Miracles l-XVII,
à la persécution de Julien. L'église grecque le fête au 30 oc- la seconde, les autres 2 • Le Miracle XVII se termine dans le
tobi·e. Nous n'avons pas à nous occuper ici de ses Actes. Il manuscrit de Jérusalem par une doxologie. Plus loin, après
nous suffit de rappeler qu'ils font de lui un officier de la le XXe, il y en a encore une. C'est une indication qu'il ne faut
cour impériale, et lui donnent les titres de oov~, avyovarâ- pas négligà, mais qui est assez décevante. Le scribe termine
},w;, narebcw;. Bien qu'il appartienne à la catégorie des tout naturellement parIa phrase consacrée IC dernier Miracle
saints guérisseurs, la légende ne l'a pas transformé en mé- qu'il transcrit, et la doxologie peut être simplement l'indice
decin, et l'auteur des Miracles dont nous allons nous occuper d'une copie incomplète. Mieux vàut insister sur la rédaction
fait expressément remarquer qu'il ne l'était pas : oov~ rr1v plus serrée des dix-sept premiers Miracles, qui fait contraste
vnseox~v irvyxavsv à},J.' ovr. lare6; 1 • Ses reliques furent trans- avec la prolixité des suivants.
férées à Constantinople dans l'église Saint-Jean-Baptiste du Notre collection paraît dater du milieu du VIIe siècle. Plu-
quartier d' 'O~sia. sieurs guérisons de personnes qui sont encore en vie eurent
C'est dans cette église que nous transporte le livre des Mi- lieu sous le règne d'Héraclius. Le Miracle XXIII se termine
racles de S. Artémius, qui n'a été livré au public que dans par cette phrase : -cavra rfj vvv naedeovan uaaaesar.atosr.ârn
ces dernières années et n'a été l'objet jusqu'ici d'aucun tra- ysyovsv
' entvS,WJŒEt
' ' srov;
" nsvrsr.atuer.arov
SI ' rry;
- fJ aatAêtaÇ
, ' K wv-
vail d'ensemble 2 malgré l'importance exceptionnelle du ré- a-cavrtvov viov tûv Kwvaravr!vov, iyy6vov oè •Hear.},dov. L'em-
cueil à divers points de vue. Il a été publié par A. Papadopou- pereur Constantin dont il s'agit, est ordinairemfnt appelé
Constant (641-668). La quatorzièn:e indiction tombe en l'an-
Miracle 24. Voir p. 33, note 1.
1 née 656. Le miracle XLI eut lieu up àr.rwr.atosr.âup lut ûj;
Il a été analysé dans un compte rendu par M. KouGÉAS dans
2 fiaatÎ.s{aç TOV OsoGTrj(JlY.TOV ijpwv osan6rov Kwvaravrtvov vlov
LlaoyeafPla, t. III (1911), p. 277-95. M. P. MAAS l'a étudié surtout
au point de vue archéologique, Artemioskult in Constantinopel, 1 Varia graeca sacra (Petropoli, 1900), p. 1-79. Nous citons MA,
dans Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, t. I (1920), p. 377-80. avec le numéro d'ordre du Miracle.
M. N. BAYNEs, dans Journal of Hellenic Studies, t. XXXI (1911), p. 2 KouGÉAS, t. c., p. 280-81.
266-68 s'est spécialement intéressé à la topographie. · Anal. Boil. XLIII. - 3.
34 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 35

' Kwvarœvnvov,
pev ' , ,
eyyovov >l''Howo.ewv,
ue 1' ur;vt' oxroJ
' fJ, '
o Uil rerao- y élait fort serré, à cc qu'il semble. Le nommé Zontos avait
T?J, c'est-à-dire en 659. " ' ~ ' " aulour de lui quatre malades souffrant du même mal que lui 1 •
L'auteur anonyme à qui nous devons le recueil des Mira- U y avait aussi des cellules. Une femme de distinction, Ser-
cles de S. Artémius habitait la ville impériale. Peu de pièces gia, en occupait une, avec son enfant malade : èv np xdUrp
hagiographiques sont aussi riches en donnôt•s topographiques. rrp os~là roü xanixovfhePeiov 2 • L'affluence des malades était
Le sanctuaire où repose le saint corps est ainsi désigné : elc; parfois telle qu'ils envahissaient les dépendances. Un certain
rôv li.ywv 'lwiÎ1'1'J]V rôv {Janrwn}J!, eiç TIJJ! 'O~eîaP, n},J]CJÎov rwv André est transporté à l'église Saint-Jean-Baptiste le jour
iJowtvov è,u{Jô}.wv 1 • Près des portiques de Domninos se trouve même de la fète de S. Artémius : sa paillasse est déposée dans
aussi l'église n)ç ayîaç 'Avaanwîrxç 2 ct l'hospice TCUJ' Xgwro- le baptistère s. C'était une faveur de pouvoir coucher dans
O(hi]Ç s. Ces édifices étaient donc proches du forum de Constan- le VDisinage inunédiat des reliques ; elle s'accordait rarement
tin 4 : Parmi les églises citées en passant il y a celles de la ct le dimanche seulement 4 •
Vierge rà Kvgov 5 et celle rijç II1Jyifç avec le monastère 6, celle Le corps du martyr était déposé sous Je maître-autel : vno-
de Saint-Pantéléémon elç rà 'Povrptvov 7, de Saint-Adrien ni- xâuu rov fleyiÎÂov OvataŒTFJ(!fov 5, et renfermé dans un sarco-
eav èv 'Aeyveonôl!.et 8 • Le Deuteron 9, l'Hebdomon 10, la Mag- phage de plomb, po?.t{JOiv17 aocôc;, Or]xr1 6 , protégé par une grille:
naura 11 sont bien connus. Outre l'hôpital uuv Xgwrooôn 7ç 12 xâyxd},a rijç u,utaç aoeoü 7 • Un homme à qui les gardiens
notons celui rwv Eap1pôw 13, les bains roii EevwJ'oc; fjrot ye II aa- de semaine ont refusé l'entrée de la crypte place sa couchette
xevdov 14, TÔ iJ ayw(Jiov 15 près duquel Se trouvaient ]es an- l!pngoa8ev rijc; Blxôvo; TOV ay{ov 'Iwâvvov l!v8a f] 7:(!07llXYJ xarà
ciennes écuries des chevaux de l'Hippodrome, le bain rwv rijv àexrrv rijç oe~tàc; xara{Jâaew; 8 • Nous ignorons la signifi-
'Av8e,utov rô Âeyôpevov At{Javov 16 ; les habitations ou quartiers cation exacte du mot reomxr] ; niais la phrase indique que
rà 'Ioeoâvov 17, rà Bt{Jwvoii 18, rô Kavodâgtv 19 • Il est fait men- l'on descendait dans l'église souterraine par des escaliers
tion d'un gardien TOV oetov rwv Kawae{ov rov Ènt}.eyopbov à gauche et à droite de l'autel. ~
Aa,uîaç 20 ,
A droite se trouvait une chapelle de Sainte-Fébronie 9 •
Cette martyre joue un rôle important dans les Miracles de
La basilique de Saint-J cau-Baptiste avec ses moindres re- S. Artémius. Elle y apparaît comme une sorte d~assistante:
coins est familière à notre auteur. Il sait au besoin indiquer vnoveyô; TOV ay{ov 10, ou si l'on veut, de suppléante. C'est à
la place exacte occupée par le malade dont il relate la gué- elle qu'il confie les femmes qui viennent implorer leur guéri-
rison : par exemple, la quatrième colonne du portique de
son 11 ; cela, par un sentiment de délicatesse qui s'explique
gauche 21 • Car, de même que dans l'église des SS. Cosme et
aisément. S. Artémius n'était invoqué que pour une catégorie
Damien et dans celle des SS. Cyr et Jean, l'incubation était toute spéciale d'affections, c'est-à-dire ·les tumeurs externes
la forme de supplication usitée au tombeau de S. Artémius.
de la région du bassin : hernie, varicocèle, etc. A deux excep-
C'est dans Je portique de gauche, allant du axevorpvÂiÎxt ov 22
tions près, tous les miracles de S. Artémius se rapportent à ce
au narthex 2s, qu'étaient déposés les matelas des patients. On
genre de maladies, que l'auteur décrit avec beaucoup de sim- •
plicité ct sans pruderie, dans un langage technique qui peut
1 MA. 4. 5. 2
MA. 29. s MA. 22. être signalé aux historiens de la médecine.
4 MAAS, t. c., p. 378. 5
MA. 12.
6 MA. 36, 37. 7 MA. 13.
8 MA. 32. 9
MA. 11. 10
MA. 5. 1 MA. 30. 2 MA. 31. 3 MA. 37.
11 MA. 5. 12 MA. 22. 13
MA. 21. 4 MA. 17. 5 MA. 24.
14 MA. 11. 15 MA. 13. 16
MA. 21. 6 MA. 33, 34. 7 MA. 27.
17 MA. 21. 18 MA. 21. 19 MA. 34. 9 MA. 22, 24, 38.
20 MA. 16. 21
8MA. 17.
MA. 32. 22
MA~ 15, 41 ; ct 38, 1o MA. 24. 11 MA. 24, 45.
23 MA. 32.
36 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLE5> DES SAINTS 37

La guérison est précédée, comme nous l'avons n1 dans les d'un boucher, portant ses instruments et un seau d'cau. Il
autres cas, d'une vision du saint, qui se montre tantôt en uni- lui ouvre le ventre, enlèw les entrailles, les nettoie et les re-
forme de sénateur, de patrice OU de eomle, X},apÛÔa fPO(!(UJJ met en place 1 •
;ca2 auxofJahfôwJ' ', tantùt en costume de m(~deein 2 • C'est Dans ecrtaius cas la faveur temporelle devient l'occasion
ainsi qu'il apparaît sous la figure du mt'decin en chef qui élait d'une leçon morale ou d'une grùce spirituelle 2 • Le saint n'hé-
de service à l'hôpital durant Je mois: rou rrlv pfJl'et :;wwvvroç site pas à punir le blasphème et le .mauque de foi, et il montre
àgxuJ.rgov :l. Lui aussi prend parfois l'apparence d'un ami '1 • parfois son pouvoir en envoyaut le mal dont il a l'habitude
Il lui arrive même de se travestir en boucher 5, en marin 6 • de gu(~rir. Il est vrai qu'il finit par céder aux supplications
Lui encore, comme ses collègues dont nous avons raconté de ceux qui l'invoquent alors dans leur détresse.
les cures merveilleuses, fait journellement sa tournée cl'ins- Presque toujours notre auteur connaît le nom, l'origine, la
pection : nâgoôov CVÇ èn2 /:;BJ!(Î))J()Ç BlwOBt notÛJ1 0 aywç 7 ; il profession, souvent l'àge et les antéeédents des miraculés,
s'informe de l'état du malade et prescrit le n'mède. avec les circonstances de leur maladie. C'est Euporos, négo-
Le remède c'est souvent l'emplàtrc fait avec la xrigmnj 8 , ciant de Chios 3 ; Acace le bijoutier '1 ; Sergius d'Alexandrie,
une friction avec du vinaigre et du sel 9 ou avec l'huile du q;vÂa/:; rov oe!ov nuv KaWil(!ÎOV rov lmÂt:yordvov . ÂCtftlllÇ fi ;
sanctuaire 10 • L'huile n'est pas toujours à l'usage externe ; c'est un chantre de l'église Saint-Jean-Baptiste, ~·â.).},wJ' rà
des malades la boivent 11 , et à propos de l'un d'entre eux, adxrJ rov iv ayîotç ranBtJJofJ 'Pw,uavov flÉX!}l rov JJV)J 6 ; le sé-
l'aJ)teur ne peut s'empêcher de s'écrier: cc Quel est donc le nateur Sergius, rd bdx).rJv 6 ;.carà èivOgwnov, ôc; i]v narebaoc; xal
médecin qui guérit les hernies en faisant avaler de l'huile 12 ? >> Odoc; ôtxaar~c; 7 ; une femme nommée Anna, ij rd èn{x).rJV ràc;
La guérison s'obtient quelquefois par la simple imposition àywrac; 8 ; Georges, xagrovJ.agw:; rofJ 8t:îov J.oyo8wîov 9 ;
de la main du thaumaturge 13 • D'autres fois celui-ci a recours Étienne, diacre de la Grande Église, xa2 notrirr)ç ,uéeovç Bt:vé-
à une opération chirurgicale 14, ou sc contente de mettre le rov 10 ; Polychronius, o xa1 I:réqmvoc; 11 ; la fenu11e qui tient
pied sur le siège du mal 15 • Voici quelques moyens tout à fait l'établissement de bains, rd Môvflov ),ovredv ~ rov Et:vcuPoc; if rot
extraordinaires. Le saint envoie son client chez le maréchal YB li CtŒXBVTlOV, rov on oc; nÀIJŒlO)J TOV netAililOV rov !J BVrB(!OV 12 '
ferrant, qui le guérira, assure-t-il. Le malade obéit, mais et ainsi de suite. Cette précision n'est nullement affectée, et
l'artisan déclare ne pas se connaître en remèdes. Nouvel ordre on ne peut douter que le rédacteur n'ait été bien renseigné
du saint ; le malade re':ient à la charge chez le maréchal fer- sur les personnes dont il parle. Il y a parmi elles des amis qui
raut qui, en sa qualité de Cilicien, nous dit-on, était un lui out raconté leur histoire, et c'est évidemment de la bou-
personnage très irritable : furieux, il le met à la porte. Une che du chantre de Saint-Jean-Baptiste qu'il a recueilli les
troisième fois le malheureux est envoyé à la même adresse. détails minutieux qui remplissent les Miracles XVIII et XXII.
Exaspéré, le Cilicien finit par lui tlire : cc Eh bien, soit, pla- Tout indique que ce chroniqueur du sanctuaire de S. Arté-
cez-vous sur l'enclume. )) Il lève le marteau des deux mains, mius est de la maison, et en continuelle relation avec tous
mais avant que celui-ci ne soit retombé, le patient est g~téri 16 • • ceux qui la fréquentent.
A un nommé Georges, S. Artémius apparaît sous la figure Le portrait qu'il fait du martyr ressemble à celui que les
livres de Miracles tracent des SS. Cosme et Damien, Cyr et
1 MA. 6, 37, 14, 16, 29, etc. Jean. Il a les mêmes pouvoirs et les mêmes habitudes ; la
2 MA. 2, 23, 42, 44.
3 MA. 22. 4 MA. 22, 31. 6 MA. 25.
1 2 MA. 8, 9.
7 MA. 6. 8 MA. 3, 13, 15, etc.
MA.
25.
6 MA. 27.
10 MA. 19, 37. 11 MA. 15.
3 5.
MA. 4 MA. 10.
9 MA. 20.
5
MA.
16. 6 MA. 18, 22. 7 MA: 17.
12 MA. 30. 1 3 MA. 12, 32. 14 MA. 3. 15 MA. 7, 14.
8 MA.34. 9 MA. 19. 10 MA. 21!
16 MA. 26.
:U MA, 41; l2 MA! tl!
DE MIRACLES DES SAINTS 39
38 LES RECUEILS ANTIQUES

basilique est son dom aine ; il y vient en aide aux malheureux Elle fut le théâtre de nombreuses guérisons, dont quel-
par des moyens aussi extraordinaires, et s'il faut en croire ques-unes sont sommairement racontées dans l' 'Ey'Xwpwv.
notre hagiographe, pas plus que les autres sainls guérisseurs, On y pratiquait l'incubation. Ainsi, un certain Georges~
S. Artémius ne dédaignait la plaisanterie ; el elle passait Oéxaexoç, après quelques jours passés dans l'église, est averti
parfois les bornes, comme dans l'anecdote du maréchal fer- en songe d'avoir à se faire frotter d'huile par le gardien. Après
rant et dans celle du comédien cl 'Alexandrie qui revient de trente jours, un paralytique reçoit, en songe, de la main du
la basilique avec la maladie dont son compagnon a été guéri 1 • saint, du pain et du vin, et guérit. Dans un autre cas, une bles-
sure est fermée par l'application de la 'XIJ(!Wit). L'auteur du
panégyrique ne se perd pas dans les détails et sc borne sou-
§ 4. Les Miracles de S. Thérapon el vent à indiquer en deux mots la nature de la maladie et le
de S. Isaïe. bienfait reçu. Ses récits y perdent beaucoup en intérêt ct eu
pittoresque ; mais ils en disent assez pour faire compren.dre
Nous ignorerions tout de S. Thérapon, s'il ne nous restait, que S. Thérapon guérissait, conune les SS. Cosme et Dam1en,
avec le résumé des synaxaires, un panégyrique, t'yxc!J,uwv ëlç en songe, soit directement soit en prescrivant le remède ;
-rà Oavpa-ra -roiJ ayfov fJcgânov-roç, ou, si l'on préfère, un {Jtoç que l'huile de sa lampe ou la 'XIJ(!Wif} étaient les principaux
èv avv-r6prp xa( flé(!l%1) Oavpârwv otr)yYJatç, publié d'après un agents de la médication, auxquels il faut ajouter le baume
médiocre manuscrit, le Laureutianus IX. 14, dans les Acta qui découlait de ses reliques : np rwv },Enpâvwv ànopvgîattail.
Sanctorum 2 • M. Deubner 3 en a donné un rr.eilleur texte en L'hagiographe a-t-il travaillé sur les ex-voto exposés dans
s'aidant en .outre du manuscrit de Messine 29. le sanctuaire'? On peut le penser; mais il n'est fait mention
Sur le saint lui-mên:e, cette pièce ne nous apprend rien qu'une seule fois d'un document de cc genre. Un certain
de bien précis. Thérapon serait un évêque de Chypre 4, Florinus rov re nU.Oom; %at n]ç O.cvOee{aç -rùv 0e{apf3ov èyxi]-
on ne sait de quelle ville, martyrisé pour la foi, on ne eotç ÈGirjJ..tiEVGE n{va;tv 1 •
sait quand. Ses reliques furent transportées à Constantino- On a essayé de dater les Miracles de S. Thérapon par une
ple à l'époque de l'invasion des Sarrasins, et déposées dans allusion aux barbares qui menaçaient Constantinople : arij-
une église de la Sainte Vierge : %at -rov-rovt ràv rijç fJcor6'Xov aov rr)v %a0' ~pwv à.nEtÂIJV nvv f3aef3âewv, Oeavwv rà rpeâypara ...
vcwv è'XJ..E;â,ucvoç 5 • On s'est demandé quel pouvait être ce a).yl]GOV %at vvv VJT:B(! xewnavwv ra},atnW(!OVflBYWV %V%AW0cv
sanctuaire, et sur un indice sans portée, on s'est prononcé roïç l!Ovcat 2 • En 626, Constantinople était assiégé par les
pour l'église des Blachernes 6, alors que l'église de la Vierge A vares et les Slaves, et le roi de Perse est à Chalcédoine.
rnç 'EJ..afaç est clairement désignée. C'est là en effet ql!'un Le panégyrique serait ainsi daté de 626 3 • Je crains que les
malade est envoyé pour se faire guérir par S. Thérapon : ~eàç phrases citées ne comportent pas une explication aussi pré-
ràv EV%i1}(!tov ol'Xov n]ç fJcop1)roeoç Ycao, IJanç rijç 'E},afaç neoa- cise.
ovopâl;crat. avr60t yâq, f[!YJGÎV, laOfJan roiJ nrwparoç 7 • D'ail-
leurs, le synaxaire de Constantinople est formel. S. Thérapon Les reliques du prophète Isaïe furent transportées à Con-
était honoré n},YJatov rijç 'EJ.alaç 8 • Sa chapelle était sans doute stantinople, on ne sait à quelle époque, dans l'église Saint-
contiguë à l'église de la Sainte Vierge. Laurent près des Blachernes. Le fait est consigné dans le
synaxaire '1• On ignorait jusqu'ici que cette église fût un Ocea-
1 MA.17. 2 BHG. 1798. nctaç olxoç et que le prophète y fît des miracles. Tout récem-
3 De incubatione, p. 120-34.
4 Cf. Saints de Chypre, dans Anal. Boll., t. XXVI, p. 247-49.
1 DEUBNER, p. 127. 2 DEUBNER, p. 125.
5 DEUBNER, p. 125.
6 DEUBNER, p. 106; cf. 126. 7 DEUBNER, P~ 126,
3 DEUBNER, p. 118.
s Synax~ Eccl. CP., p. 710.
4 Synax. EccL CP., p. 667!
40 LES HECUEILS ANTIQUES DE MIHACLES DES SAINTS 41

ment a été publié ici-même un recueil intitulé de; ra ù nù


navaénnp vacp uÂwOévui Oav,uara YVJll TOV ayfov %al ,usy6.}.o'v § 5. Les Miracles de S. Théodore.
ngoqnîrov 'Haatov 1 • L'auteur ne sc propose pas de faire con-
naître les innombrables miracles du prophète ; il s'en tient Le corps du martyr Théodore était conservé à Euchaïta,
aux miracles contemporains : ù r?) xaO' 'Jpiiç ysl's(i, ou comme dans le Pont, où une superbe basilique s'ôtait élevée sur sou
l'indique le titre: vvvi rûwObra. Malheureusement, rien n'in- tombeau\ S. Grégoire de r\ysse, qui a prêché dans cette é~glise
dique à quelle époque il vécut, et la seule limite chronolo"i- le jour de la fète du saint, nous en a laissé une description
que que nous ayons à noter est l'àge du manuscrit de la Bod- "' brillante 2• Les pèlerins y accouraient en foule. On ne peut
léienne, Barocc. 240 (fol. 72v-74), d'où nous avons tiré ce texte: douter que parmi eux il ne se soit trouvé des malades venus
il est du XIIe siècle. La narratiôn est courte et rapide, et se pour demander au puissant intercesseur un remède à leurs
borne souvent à enregistrer le nom du malade, Ja nature de maux, et il y a lieu de eroire que lous ne sont pas rentrés chez
son mal et la guérison. Parfois l'auteur entre dans quelques eux sans avoir éprouvé les effets de son pouvoir auprès de
détails, et fait assez comprendre que l'incubation était en Dieu. Rien n'indique pourtant que l'aspect de sa basilique ait
honneur dans l'église Saint-Laurent près du tombeau de ressemblé à celles des saints spécialement secourables aux
S. Isaïe. Constantin, un vigneron originaire de Paphlagonie, malades, et que le sol des portiques füt encombré de matelas
avait, en buvant, avalé des grenouilles, qui s'étaient dévelop- ou de nattes. Le principal document que nous ayons pour
pées dans ses entrailles et lui causaient de cruels tourments. nous renseigner sur le culte de S. Théodore, est, après le
Il se rendit au tombeau du prophète, qui lui apparut et lui panégyrique de S. Grégoire de Nysse, celui qui a pour auteur
ordonna de passer la nuit dans l'église. Le prophète se fit Chrysippe, prêtre de Jérusalem, qui mourut en 479, et laissa
voir aussi au gardien, râ) uv as{Jaatdw vacv naoauévoPrt et
~ ~ ~ " ""' 1 '
un certain nombre d'écrits qui n'ont pas été tous publiés.
lui enjoignit de mêler l'huile sainte à la nourriture du patient. L' Èy%W,UlOP slç ràv aywv ,usya}.o,u6.grvea 8eôoweov, d'abord
La mixture produisit une réaction salutaire qui délivra notre édité par Phocylidès 3, puis par A. Sigalas 4, a trouvé place
homme de ses hôtes importuns. dans les Acta Sanctorum au 9 novembre 5 • On peut distinguer
Souffrant de maux de gorge, un pêcheur va se recommander deux recensions, qu'il n'est pas néc'essaire de caractériser
au prophète. Au bout de quelques jours, il reçoit l'ordre de ici, mais qui sont représentées respectivement dans les deux
jeter ses filets, et ramène non pas des poissons mais des dernières éditions du texte.
paquets d'encens. Il les offre au saint qui, en échange, lui Le discours est divisé en deux pohlts : S. Théodore, illustre
rend la santé. par son martyre ; S. Théodore, illustre par ses miracles. Le
Dans d'autres circonstances le prophète guérit directement premier est emprunté à la Passion de S. Théodore intermédiaire
le malade, comme il fit pour ce Théophylaete qu'il délivra de entre le sermon de S. Grégoire et le texte métaphrastique.
la paralysie en traçant le signe de la croix sur tous ses mem- Il ne nous intéresse pas pour le moment. Nous aurons à exa--
bres. miner à quelle source est puisée la seconde partie du panégy-
Il serait inutile de pousser plus loin l'analyse d'un recueil rique.
dont le principal intérêt consiste à nous faire connaître un
nouveau sanctuaire où la guérison s'obtient par l'incubation. 1
Voir notre travail Euchaïta et la légende de S. Théodore, dans
.Anatolian Studies presented to Sir William 1\1ilchell Ramsay (Man-
chester, 1923), p. 129-3,1.
1 .Anal. Boll., t. XLII, p. 257-65. 2 BHG. 1760.
3
Nia .Etrf:w, t. XI (1911), p. 557-78.
4
Des Chrysippos von Jerusalem Enkomion auf den hl. Theodoros
Teron (Leipzig, 1921), p. 50-79.
5
,f!.ct~ SS., Nov~ t~ IV, P: 55-72.
42 LES HECUEILS ANTIQUES DE 1\!IHACLES DES SAINTS

Celle-ci est tout simplement un récit, à peine entrecoupé il veut sortir, sa main est comme paralysée; elle s'ouvre du
de quelques rt·flexions, de douze miracles de S. Théodore. moment qu'il fait mine de replacer l'objet. Il recommence
Voici en quelques mots le sujet de ces récits. plusieurs fois ainsi. Kaïvemcnt il prie le saint de lui donner
1. lJn homme fort dt:·vot à S. Théodore a prêté à un voi- une arme dont au ciel on n'a que faire. Le saint apparaît
sin son ftne et lui a confié cu même lemps son fils pour lui au prêtre ct lui donne l'ordre de n·metlre l'objet ù l'enfant.
servir de compagnon de voyage et ramener la bête. L'étranger 7. Un dôpositaire infidèle est puni cl forcé par S. Théodore
garde l'animal et vend l'enfant comme esclave aux Ismaéli- à restituer le dépôt.
tes; l'on n'entend plus parler de lui. S. Théodore a pitié du 8. Des voleurs ont cléva1isô une église dédiée à S. Thôodore ;
père et de l'enfnnt. Sous 1a figure d'un cavalier, il s'approche ils ne parviennent pas ù sortir, et sont surpris. On leur fait
du jeune esclave, le délivre, lui donne un cheval et le ra- restituer le butin; mais, tel est l'ordre elu saint, en ·Jes congé-
mène au foyer paternel. diant on leur donne quelque secours.
2. Une pauvre femme qui nourrissait des oiseaux de basse- 9. Un soldat, venu en pèlerinage, attache son cheval à
cour, voulait offrir une de ces volailles à S. Théodore. Un une colonne. Tandis qu'il est en prières, on le lui vole. Il se
soldat la lui vole et la fait rôtir. La punition ne se fait pas plaint au saint, qui lui fait donner un des chevaux offerts
atteudre : son cheval d'armes meurt. Alors le coupable ren- par les pèlerins, en recommanda nt de ne pas poursuivre
tre en lui-même et va porter à la basilique deux pièces de le pauvre diable de voleur.
volaille. Or, on venait précisément de faire au sanctuaire 10. Un homme amène un bœuf pour l'offrir à S. Théodore.
l'offrande d'un cheval. Le saint ordonne au gardien de le En route quelqu'un donne à manger à la bête sans demander
donner au soldat repentant. de rétribution. Le martyr avertit le prêtre de ne pas accepter
3. Un disque précieux a été volé chez un orfèvre. Ses soup- l'offrande au nom d'un seul, mais au nom des deux qui y ont
çons tombent sur son apprenti, ct ille chasse. Le malheureux · contribué pour leur part.
est innocent ; il prie S. Théodore, qui lui indique le moyen 11. Le onzième miracle est représenté par des gônéralités.
de découvrir le coupable : c'est la première personne qu'il On nous dit ce qu'il faut faire pour découvrir, par l'interven-
rencontrera au sortir de l'église. Mais il lui recommande en tion du saint, les voleurs ou les serviteurs qui ont pris la
même temps de n'exiger du voleur que la restitution de fuite.
l'objet. Et il en fut ainsi. 12. A Constantinople un palais voisin d'un oratoire de
4. Des objets précieux confiés au desservant d'une église S. Théodore prend feu. Le saint est invoqué, et on le voit
dédiée à S Théodore ont été volés par son domestique. Le prê- apparaître au milieu du brasier, éteignant les flammes. Il
tre est cité en justice et court risque d'être condamné. ne préserve pas sa propre chapelle, qui est remplacée par une
Mais S. Théodore, siégeant comme juge, ayant comme as- basilique.
sesseurs~ deux autres martyrs honorés dans la même église,
fait comparaître le coupable et l'oblige à sc déclarer. S. Théodore, on le voit, a une clientèle spéciale. Il nous
5. Un pauvre homme poursuivi par ses créanciers, prie est présenté comme le patron de ceux qui ont été injustement
le saint de lui permettre d'emporter une des lampes d'argent lésés dans leurs intérêts matériels ; j'allais ajouter : et des
qui brùlent près de son autel, de façon à avoir de quoi payer voleurs, car il se montre à leur égard d'une remarquable
ses dettes. Le saint acquiesce et favorise l'enlèvement de indulgence. Tous les miracles, sauf le dernier, reviennent à
l'objet. La lampe est emportée, sans que personne s'en aper- réparer ou à empêcher quelque injustice.
çoive, et vendue. Quand sa fortune est rétablie, le voleur se Il serait curieux de savoir comment Chrysippe s'y est pris
déclare et restitue la lampe.· pour recueillir ces récits. Il pratique malheureusement le
6. Un coutelas précieux, déposé en offrande sur l'autel, système, cher aux rhéteurs, de supprimer, partout oü il le
excite la convoitise d'tin enfant, qui s'en empare. Mais quand peut, les noms de personnes et les noms de lieux. Ses périphra-
LES HEGUEILS ANTIQUES DE MinAGLES DES SAINTS 45

ses nous laissent complètement dans le vague, ct les points trop le jugement des martyrs coutre Julien l'apostat ou Va-
de repère font défaut. Ce qui est certain, c'est que nous n'avons lens et la délégation qu'ils donnent à deux d'entre eux pour
pas ici le livre des Miracles d'un sanctuaire local. A Jérusa- l'exécuter, pour ne pas voir clans le Miraelc IV une rôminis-
lem - et c'est un des rares renseignements précis que l'on cence de cette histoire 1 • Les deux marlyrs ô,w)rgonot Ka(
parvient à retirer de la lecture du recueil- il n'y avait pas avl'liOst.:; rof! ,uâgrvgo:; daient sans cloute nommés. Une ver-
encore, au temps de Chrysippe, d'oratoire ou de chapelle du sion du Miracle XI, conservée dans l'homélie de Philotht''e
saint. Quelques-uns des personnages mis en scène vont en de Constantinople, donne cette curieuse explication de la
pèlerinage à Saint-Théodore. C'est peut-être Euchaïta qui est lenteur que met le saint à exaucer un client: il avait été
désigné, mais certes pas toujours. Dans le Miracle IV il s'agit obligé de s'absenter trois jours durant pour assister à la mort
d'une église <<que S. Théodore habite avec d'autres martyrs)). de S. Joseph l'hymuographe et conduire son àme au ciel.
Ailleurs (Mir. III), nous voyons un malheureux se réfugier Dans la Vie de S. Sabas, S. Théodore indique un motif analo-
bd ilJV lyxwgîœv av}.r)v iOV ,uagrvgo:;. Rien n'indique que Chry- gue au bijoutier Romulus qu'on avait volé et qui implorait
sippe soit allé recueillir sur place les histoires qu'il raconte, l'assistance elu saint: S. Sabas était mort, et S. Théodore avec
et d'ailleurs, les rhéteurs de son espèce ne prennent pas la d'autres saints avaient été appelés pour aller au devant de
peine de rassembler les éléments de leurs discours. Ils aiment lui et l'introduire au lieu du repos 2 • Il y a vraisemblable-
à trouver la matière prête, ct sc contentent d'y mettre leur ment adaptation d'un trait ancien à des textes plus récents,
style que, naturellement, ils jugent meilleur. D'autre part, et il ne serait pas étonnant que cette étrange conception, que
il n'est nullement probable que ces récits aient circulé à nous retrouverons ailleurs, ne remontât à la première forme
Jérusalem, où le culte de S. Théodore n'était pas encore éta- du recueil.
bli. Il est donc à croire que notre auteur s'est servi d'une col- Ce qu'on nous donne pour des miracles de S. Théodore
lection déjà existante, rapportée on ne sait d'où. sont des anecdotes piquantes, cl 'un caractère populaire, qui
De cette collection il est resté quelque trace. D'abord un mettent en lumière l'idée qu'on se faisait du saint. Il n'appa-
résumé, que nous avons publié 1, ct où sont racontés les mêmes raît qu'une fois comme militaire, dans l'histoire, souvent re-
miracles, dans un texte qui semble ne pas dériver de Chry- prise sous diverses formes 3 , du jeune esclave délivré et recon-
sippe, mais d'une version mieux agencée de ces récits. Dans duit dans son pays par un brillant cavalier. Le plus souvent
le miracle de l'incendie, l'abrégé cite très exactement le con- , nous le voyons chez lui, dans son domaine, c'est-à-dire dans
sul Sphoracius, dont Chrysippe a supprimé le nom. On retrouve son sanctuaire, propriétaire important, dont les biens sont gé-
ailleurs des versions développées ct d'un enchaînement plus rés par un intendant: le prêtre du lieu. C'est là qu'il habite
logique de plusieurs Miracles racontés par Chrysippe clans et il ne s'en éloigne que dans de graves circonstances. Il donne
sa rédaction sommaire parfois jusqu'à l'obscurité 2 • Les Mira- des ordres à son personne) et est toujours prêt, en temps or-
cles VI ct XI sont racontés par Philothée de Constantinople 3 , dinaire, à exaucer ses clients. Ceux-ci l'interpellent familière-
d'une façon bien plus claire, plus vraisemblable, et dans une ment et sentent qu'ils peuvent compter sur sa bienveillance
forme qui cadre beaucoup mieux avec l'ensemble que la nar- et sa générosité ; car il sait au besoin se dépouiller pour eux
ration de Chrysippe lui-même, sans qu'il puisse être question de ses richesses, sans se montrer trop exigeant sur la question
de regarder ce dernier comme la source des deux récits. Certains d'honorabilité. Il ne garde pas rancune aux voleurs et admet
traits de la rédaction primitive du recueil dont s'est servi la pauvreté comme circonstance atténuar}tc.
Chrysippe sont peut-être à chercher ailleurs. On connaît
1 Ibid., p. 63, note 1. 2 Ibid., p. 22, n. 43.
1 Act. SS., Nov. t. IV, p. 55-72. s Ibid., pp. 60, 72, 78.
a Ibid., p. 69, note 1.
3 Ibid., p; 79;
·tG LES RECl'EILS ANTIQGES I>E MIRACLES DES SAINTS 47

Nous avons analysô ici même 1 le recueil grec. Il suffira


§ G. Les Miracles de S. J1énas. de rappeler très sommairemçnt le sujet des 13 chapitres dont
il sc compose.
Le grand martyr d'l~:gyplc, S. 1\fénas, ôtait honoré dans la 1. Un marchand coupé en morceaux par son hôte est res-
basilique, r(~cemment mise au jour, du désert de l\Iaréolis, suscité par S. 1\Iônas.
oü se trouvait son tombeau, et aussi, à ce qu'il faut conclure 2. Un esclave, qui s'ôlait jetô ù l'eau, est ramenô après deux
de la Passion qui se lit dans les ménologes grecs, à Cotyée jours, sain et sauf, par S. Mônas.
de Phrygie 1 • Le recueil de 1\Iiraeles du saint, attribué à Ti- 3. S. Méuas préserve la vertu d'une femme ù qui un soldat
rnothôc cl'Alcxandric, se rapporte, sans la moindre hésitation voulait faire violence.
possible, au sanctuaire (~gyplien. Quel est ce patriarche Timo- 4. Un chrôtien, dépositaire infidèle, refuse de rendre son
Lhôe regard(; comme l'auteur de cc livre, peu digne d'une bien à un juif d'Alexandrie. S. Ménas intervient; le juif sc
plume épiscopale, il faut l'avouer'? On ne nous le dit pas, ct convertit.
cc n'est pas le lieu ici de nous livrer à de vaincs conjectures 2 • 5. Guérison d'tin paralytique et d'une femme muette.
Le texte grec des Miracles de S. Ménas a été publié d'après 6. Une Samaritaine qui allait en pèlerinage à Saint-Ménas
un seul manuscrit, le 379 de la bibliothèque Synodale de est sauvée des mains d'un impudique.
Moscou par N. Pomjalovskij 3 • D'autres manuscrits que nous 7. S. lVIénas sauve un pèlerin entraîné au fond de l'eau par
avons collationnés nous ont permis de reconnaître deux re- un crocodile.
censions du recueil. Nous nous réservons de les caractériser 8. Punition d'un riche qui a volé la brebis d'une pauvre
dans le prochain volume des Acta Sanctorum. Les Miracles veuve.
sont au nombre de 13. Il est probable que. primitivement il 9. S. Ménas exauce la prière du propriétaire d'une chamelle
y en avait un plus grand nombre. La version éthiopienne iné- stérile. Celui-ci ne tient pas sa promesse et est puni.
dite, dont nous avons une analyse 4, en comprend 19. Le mi- 10. Une jument, jusque-là stérile, met bas un poulain à
racle raconté dans le texte nubien, récemment déchiffré 5 , trois pattes.
n'est point représenté dans le grec ni, semble-t-il, dans l'éthio- 11. Punition d'un soldat qui vole du bois offert à S. Ménas.
pien. Bien qu'il soit traduit du grec, nous n'avons pas d'in- 12. Guérison d'un homme d'Alexandrie possédé du démon;
dices suffisants pour assurer qu'il appartenait à la collection . 13. Un porc offert à S. Ménas est tué et salé ; au même
de Timothée ; mais, certes, il ne la déparerait pas. instant il est changé en pierre.
Ces courts résumés représentent des narrations d'une cer-
1 Anal. Boil., t. XXIX, p. 118-27. taine étendue, avec des incidents choisis pour intéresser
Dans un travail intitulé : Des Timotheos von Alexandrien Schü-
2 l'auditoire de gens simples auxquels l'auteur entendait évi-
lers des hl. Athaiwsios Rede "in sanctam Virginem Mariam et in sa- demment s'adresser. Pour avoir une idée du genre on peut
lutaiionem Elisabethn, le P. A. VARDANIAN se contente de dire que
les Miracles de S. Ménas font partie elu bagage littéraire de Timo-
lire le Miracle X, où est racontée l'histoire d'un païen dévot
thée d'Alexandrie (381-385). Oriens christianus, N. S., t. II (1912), à l'idole elu temple voisin ..Il avait une jument stérile, et
p. 227. 3 BHG. 1256-69. fait le vœu, si S. Ménas peut la rendre féconde, de lui offrir
4 Par lVI. Chaîne, çlans C. M. KAUFMANN, Ikonographie der Me- trois pieds du poulain ; le quatrième sera pour son dieu. La,
Iws-Ampullen (Cairo, 1910), p. 48-49. jument met bas un poulain n'ayant que trois pieds. S. Ménas
5 M. vV. BUDGE, Texts relating to Saint Mêna of Egypt and Canons
apparaît au païen et tire la morale de l'histoire. Le païen
of Nicaea in a Nubian dialect (London, 1909), a publié en fac-similé
le texte nubien ; M. F. LI. GRIFFITH en a publié la traduction dans se convertit.
son mémoire The Nubian Texts of the Christian Period, dans Abhand-
1 Anal. Boll .. , t. XXIX, p. 128-35.
lungen der k. preussischen Akademie, 1913, n. 8, p~ 12-15!
48 LES IŒCëEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 49
Indiquons aussi en quelques mots le sujet elu Miracle nu- tique et de la muette (V), qui est un cas d'incubation. C'est
bien. Il s'agit d'une femme stérile dont tout l'entourage par- celui que nous avons rencontré deux fois déjà, dans les Mi-
tageait la disgrâce : les servantes et les animaux domestiques, racles des SS. Cosme et Damien 1 et dans ceux des SS. Cyr
y compris les oiseaux de basse-cour, étaient stériles aussi. et Jean 2 • Comme la basil~que de Saint-Ménas ne paraît pas
Ayant entendu parler des miraeles (le S. :\Ic'nas, elle promet avoir été un sanctuaire à incubation, il est probable que la
que, s'il veut employer son pouvoir à faire r5ondre une de ses première version du Miracle ne provient pas de là, et que les
volailles, elle portera le premier œuf à la basilique. Elle ob- SS.Cosme et Damien sont censés en être les premiers auteurs.
tient ce qu'elle désire et se dispose à accomplir son vœu. Faut-il faire remarquer qu'aucun des Miracles de S. Ménas
Le marin à qui elle s'adresse lui déconseille de s'embarquer, n'est empreint de la gravité que l'on est en droit d'exiger de
et s'offre à porter lui-même l'œuf à la basilique. Il commence quiconque se propose d'honorer les saints; et que presque
par oublier sa promesse, puis un beau jour il fait cuire l'œuf toùs sont d'une puérilité qui dépasse, si c'est possible, ce que
et le mange. Quelque temps après, un dimanche, il revient nous avons déjà rencontré jusqu'ici?
à son village et va à l'église pour communier. Mais il voit
arriver vers lui S. Ménas monté sur un cheval blanc et bran-
§ 7. Les Miracles de Ste Thècle.
dissant sa lance. Il se réfugie près de l'image de la Vierge ;
néanmoins S. Ménas le saisit et le frappe à la tête : et voilà Séleucie d'Isaurie possédait le plus important des sanctu·
que l'œuf qu'il a mangé devient un oiseau qui s'échappe de aires de Ste Thècle 3 • C'était une riche basilique, fréquentée
dessous sa personne en chantant. S. Ménas saisit l'animal par par de nombreux pèlerins. L'empereur Zénon la fit rebâtir
les deux ailes et le porte à la femme stérile, en lui disant : avec plus de magnificence, et la dota royalement'· Il s'y
<< Mettez-le avec vos oiseaux ; ils pondront désormais ; vous-
faisait de nombreux miracles. Nous devons le récit de quel-
même vous aurez un fils ; donnez-lui mon non'l. )) Il annonce ques-uns d'entre eux à Basile, qui était évêque de Séleucie
qu'il étendra cette bénédiction aux servantes et au bétail durant le second tiers du ye siècle : 448 et 458 sont des dates
aussi. Après la naissance du jeu:ne Ménas, tout le monde se certaines de son épiscopat. tl rédigea, avant 467, ce recueil 6
rend à la ,basilique pour recevoir le baptême. qui forme le livre II des Actes (ngâ~Etç) de Ste Thècle 6,
Le portrait de S. Ménas ressemble beaucoup à celui de et qui ne lui a pas été sérieusement contesté ; car, comme le
S. Théodore. Il apparaît le plus souvent en habit militaire, dit fort bien Tillemont, << le peu d'apparence de quelques-unes
lv axfJtJaTl ana8aglov, ordinairement à cheval, 'Y.a{Ja)J.âgwr; des choses qui y sont rapportées est une raison bien faible
lv l!oEt argaru!nov ; parfois aussi il se montre en civil, si l'on pour douter qu'il en soit l'auteur 7• ))
peut dire : èv ax~,uart àvOgcbnov nv6ç. L'allure des trente et un récits dont se compose le livre
Si la prière l'atteint partout, il réside, invisible, dans
la basilique, qui est son domaine, un riche domaine, sur
lequel n veille ; dans ses étables il y a des chameaux, des 1 MCD. 24. 2 MCJ. 30~
3 Origines du culte des martyrs, p. 192.
porcs, des chevaux. Il intervient personnellement dans pres- 4 EvAGRIUS, Ilisl. eccl., III, 8.
que tous les miracles, et alors il s'éloigne du sanctuaire, comme 5 TILLEMONT, Jll[émoires, t. XV, p. 346.

on peut le voir, par exemple, dans le Miracle VII. Il y est 6 BHG. 1718. Nous citons MT, suivi du numéro d'ordre du Mi·

question de trois frères, dont l'un est entraîné dans le lac par racle. On. trouvera une rapide analyse des Miracles de Ste Thècle,
un crocodile. S. Ménas, à son cri de détresse, accourt, le sauve faite d'un point de vue spécial, dans L. RADERMACHER, Hippolytus
et le conduit dans sa basilique. Puis il retourne au lac consoler tmd Tlzecla, dans Sitzungsbericlzte der kais. Akademie der Wissensclzaf--
ten, t. CLXXXII, 3, p. 121-26. De même, sous un autre aspect,
les deux autres frères. Les miracles se passent en grande par- dans Lucms, Die Anfange des Heiligenkults, p. 205-214.
tie hors de la basilique, non pas toutefois celui de la paraly- 7 Mémoires, t. c., p. 345.

Anal. BoiL XLIIL - 4.


50 LÈS li.EèUEILS ANTIQUES
DE MIRACLES DES SAINTS 51
des Miracles de Ste Thècle. est beaucoup moins impersonnelle que, sophiste païen de Séleucie, a été l'objet, de la part de
que celle des recueils précédents. L'auteur s'adresse à des au- la sainte, d'une faveur que cet homme borné s'obstine à at-
diteurs connus, et parle constamment de choses qui leur sont tribuer à Sarpeclonios 1 • La guérison d'Isocasius est attestée
familières. Il ne s'interdit pas de faire librement ses réflexions, par Eudoeius de Tarse, un homme des plus recommandables 2 •
assez désobligeantes parfois, sur ses contemporains : il mar- lT!ll' femme nonunée Aba raeonle à qui veut l'entendre sa
que sa désapprobation à l'adresse de la veuve d'un homme guérison par Ste Thècle, cl ses dires sont appuyés par des
illustre qui s'était remariée avec un vétérinaire 1 ; il traite lémoins : rd OttVfW flÉXCl TOV nae6vroç floihat 7l11[1l -re èY.elV1)Ç
d'imbécile un sophiste connu, qu'il nomme par son nom ~. 1/n xai râ)v lxeîvljl' OeaaaftÉvcov fJaOi(ovaav, Oéovaav, èveeyovaav
La chronique locale est abondamment mise à contribution, up noM a. Ce n'est pas une poignée de témoins qui atteste
et parmi les personnages qui défilent devant nous, il en est le châtiment encouru par l'évêque de Tarse, Marianos: ce sont
plus d'un dont l'histoire a retenu le nom : ainsi, Dexianos, des VilleS et des populations entièreS: oÂat JlOÂëtÇ Y.at OÂOl
prédécesseur de Basile sur le siège de Séleucie 3 , Bytianos, Mj;wt 4 • Il était d'ailleurs aussi connu des gens de Séleucie
général des armées impériales 4, le rhéteur Isocasius 5 • Bref, que l'officier Castor, qui habitait leur ville, et avait été fa-
nous ne vivons plus clans le monde irréel des conteurs, mais vorisé d'une vision ayant pour objet ce même prélat 5 • Après
clans un milieu concret. avoir raconté la terrible aventure de deux pèlerins d'Iréno-
Basile a tenu à cette précision, pour donner à ses récits polis, Basile assure la tenir de leurs compatriotes et de leurs
plus d'autorité. Car s'il a fait un choix parmi les miracles de parents 6 •
Ste Thècle, et s'est arrêté de préférence aux plus récents, il
n'a rien négligé pour ôter aux sceptiques tout prétexte à Basile constate que les miracles de la patronne de Séleucie
contestation. Les figures connues, les noms de localités et de sont des plus variés, soit que l'on considère les personnes
personnes ont été multipliés à dessein : neoawnwv, TOJl(J)V favorisées, soit la nature de son intervention. Son premier
xai OVOflÛ.TWV èp.VYjflOVëVGaflBV ware flYJOè neei av-rwv iOVÇ b- miracle fut de réduire au silence l'oracle de Sarpedonios 7 •
-rvyxâvovraç àwpt{JâJ,J.etv 6 • Cette déclaration générale ne lui . Les autres sont accordés à toutes sortes de gens, et la sainte
suffit pas. Il insiste, à l'occasion, sur le caractère de publicité compte parmi ses obligés jusqu'à des païens obstinés 8 •
qu'a eu un miracle. Ainsi, la guérison de Pausicacos : xai Les malades ont recours à elle, et un certain nombre ,.de
flÛ.(!iVÇ TOV Oavparoç ij a·vpnaaa .Edevxov noÂtç 7 • Le mira cie Miracles sont des récits de guérisons. Aba est guérie d'une
opéré en faveur de Bassiana est attesté par le propre fils de fracture 9 , Arétarque d'une maladie des reins 10, Alypius et
cette femme, Modeste, un homme considérable, actuellement Isocasius d'une maladie grave non spécifiée 11, Pausicacos 12,
vivant, l'honneur de la ville d'Irénopolis : -rd Oavfla -rovro un anonyme Cypriote 13 et un enfant en bas âge 14 recouvrent
flBTà noUâiJ! xai oawv -rwv xaehwv OtYJyovpevoç 8 • Un des mira- la vue. Une épidémie d'ophtalmie est arrêtée 15 • Basile lui-
culés est le fils de Pardamios et le petit-fils d'Anatolios, prêtre même est délivré d'un mal d'oreille 16 • La sainte étend sa
de la basilique 9 • Alypius, a nâvv, s'était rendu célèbre à Sé- protection sur les animaux domestiques : elle guérit le cheval
leuciç, où il professait la grammaire : yeaflflaua-r1; 10 • Arétar- d'un notable nommé Marianos 17 et met fin à une épizootie 18 •

1 MT. 4. 2 MT. 26.


3
1 MT. 26. 2 MT. 25.
MT. 13, 17. 4
MT. 4. SocRATE, Hist. eccl., VII, 28, 25. 3 MT. 2. 4 MT. 13. s MT. 14.
5 MT. 25.
6
6
MT. 19. 7 MT. 1. 8 MT. 26.
Préface, P.G., t. LXXXV, p. 561. Le texte porte 9 MT. 2. 10 MT. 26. n MT. 24, 25.
La correction -r6nwv paraît certaine.
7:(!6:rtwv. 12 MT. 7. 13 MT. 23. 14 MT. 8.
7
MT. 7. 8 MT. 3. 9 MT. 8.
15 MT. 9. 16 MT. 27. 17 MT. 22.
1o MT. 24.
18
MT. 21.
LES RECUEILS ANTIQUES
DE MIHACLES DES SAINTS 53

Voici une catégorie de faveurs d'un: tout autre ordre. Une pelle davantage la méthode. 1\'Iais ce n'est paB à Séleucie, c'est
femme scplaint à Ste Thècle d'être délaissée par son mari : à Aegac de Cilicie qu'a lieu cette guérison 1 • Les vierges qui
la sainte ramène celui-ci à ses devoirs 1• Un nommé Papias dormaie11t dans l'église: ü:iv tii'Ôol' rtvè:; u)u: xaOtvôovaâ)v
s'était dégoûté de sa femme, dont les manœuvres d'une cour- nagOlFcov 2, étaient, semble-t-il, de celles qui étaÏl'nt atta-
tisane avaient terni la beauté: la sainte rend à l'épouse tous chées au service de lœ basilique, et avaient leur tour de
ses charmes et le mari renonce à sa vie de désordres 2 • Il garde durant la nuit. Notons enfin que nulle part Basile
arriva à l'auteur d'être favorisé d'une apparition de la sainte. ne fait aucune allusion à des installations spéciales, comme
Ils 'était relâché quelque peu de son zèle à rédiger ses Miracles nous en avons trouvé dans les églises où l'incubation était
et avait de la peine à se remettre au travail. Elle vient s'as- en honneur.
Benir familièrement à ses côtés, prend en main les feuilles A plusieurs reprises des objets volés sont découverts surles
remplies de son écriture, les parcourt avec une visible satis- indications de la sainte. C'est une ceinture de luxe emportée
faction et lui fait comprendre qu'il doit terminer ce qu'il par un voleur qu'elle signale aux propriétaires 3 , une croix
a si bien commencé 3 • précieuse enlevée au tréBor de la basilique 4 , un peu d'or
La manière dont s'opèrent les guérisons est plus intéressante dérobé à une pauvre femme 5 •
pour nous. Presque toujours elles sont précédées d'une Sa protection ne s'étend pas seulement aux particuliers.
apparition. La sainte sc montre au patient dans un songe où Elle protège les villes qui lui rendent un culte spécial. C'est
elle lui révèle le remède à appliquer, et ce remède est bien ainsi que Dalisandos est à plusieurs reprises délivrée d'un
rarement celui que prescrirait la Faculté. Elle enjoint à Aba siège ; de même Sélinonte 6 .,
de gratter la balustrade du sanctuaire et d'appliquer cette Une catégorie relativement nombreuse de miracles de Ste
poudre sur sa jambe cassée'· A Arétarque elle recommande Thècle ne se rapporte pas à des grâces accordées mais à des
l'huile de sa lampe 5 • Sur son ordre Alypius applique sur la actes de sévérilé. Les Lestrygoniens, voisins turbulents de
partie malade un petit caillou brillant qu'elle lui avait montré Séleucie, avaient pillé la basilique et, chargés' d'un riche butin,
d'abord ct lui fait porter ensuite par son fils 6 • L'eau d'une ils se retirent, pour rentrer dans leur ville, qui est située à
source que la sainte a fait jaillir en temps d'extrême sécheresse l'occident de Séleucie. Mais la sainte les aveugle, et sans qu'ils
est parfois indiquée comme remède 7• Une femme, incommodée
par la chaleur excessive ct sur le point de se jeter dans un
s'en rendent compte, ils
se dirigent du côté opposé. C'est ainsi
qu'ils tombent aux mains des soldats qui les massacrent jus-
puits, est sauvée par Thècle en personne, qui se présente avec qu'au dernier 7 • Un différend avait surgi entre l'évêque deS~­
une servante portant un bassin et l'asperge d'eau fraîche 8 • lcucic, Dexianos, ct Marianos, évêque de Tarse. Celui-ci, pour
Ces visions et ces rêves supposent-ils que le patient passe marquer sa mauvaise humeur, défendit à ses diocésains de
la nuit dans la basilique? L'évêque dit clairement que la se rendre au grand sanctuaire de Ste Thècle. La sainte lui fit
sainte avait !,'habitude de se montrer aux malad~s durant la presque aussitôt ressentir les effets de sa colère. Marianos
nuit : èmcporr~aaaa vvxTOJ(! aùrcp, xai wç l!Ooç œùrfj neôç -rovç mourut cinq ou six jours après 8 • Elle montra aussi sa vive
&eewa-rovç àël note iv 9 • Mais la pratique régulière de l'incubation désapprobation à ceux qui s'apprêtaient à enterrer Hy-
n'est nulle part expressément indiquée. Le cas d'lsocasius, perechius dans le portique de son église. L'évêque Maxime
qui s'endort dans une église de Sainte-Thècle et reçoit en reçut à ce propos un avertissement sérieux 9 • On n'avait pas
songe l'indication du traitement à suivre, est celui qui rap- encore perdu le souvenir du châtiment terrible cl 'un certain
Orientius d'Irénopolis, pour qui la panégyrie annuelle avait
1 MT. 4. 2 MT. 28.
3 MT. 16. 4 MT. 2.
s MT. 26.
6
MT. 24. 7 MT. 21, 22. 8 MT. 3. 1 MT. 25. 2 MT. 17. Cf. 19. 3 MT. 5.

9 MT. 24. 4 MT. 6. 5 MT. 29. 6 MT. 10, 11.


8 MT. 13. 9 MT. 15.
7 MT. 12.
54 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIHACLES DES SAINTS 55

été une occasion de péehé, ct dont la priè.re avait eu pour courir indignée par les rues de la ville, ballant des mains,
1
objet d'obtenir les bonnes grâces d'une femme dont il avait accusant Marianos et proférant des menaces •
remarqué la beauté. Le démon s'empara de lui et le déchira Cetle irr;tabilité qu'on lui prête el qui aehôvc de faire de la
I_wrriblement ; il ne tarda pas à mourir 1 • Deux jeunes gens sainte une grande dame, riche et puissante, mais sujette aux
egalement venus d'Irénor>olis avaient attiré à eux une des conditions de l'existence terrestre el ù des faiblesses très
vierges consaerées à Ste Thôele. Le châtiment ne se fit pas humaines, s'affirme dans d'autres exemples. Dexianos, avant
attendre; ils moururent tous les deux de mort violente 2 • d'être évêque, était le chef des gardiens de la basilique. A
Le châtiment d'un fonctionnaire nonunô Pappos, qui avait une époque troublée, où la basilique semblait exposée à la
frustré de certaines sommes qui leur revenaient les orphelins ruine et au pillage, il fit mettre en sCtrel.é, à l'intérieur de la
d'un de ses anciens collègues, fut terrible. II lui fut aruwncé ville, les ornements et les objets les plus préeieux. Il fut mal
qu'il mourrait dans les huit jours. C'est ce qui arriva 3 • récompensé d'avoir pris les mesures que lui conseillait la
plus élémentaire prudenee. Sans tarder, la sainte lui témoigna
Le chapitre le plus curieux du livre des Miracles de sainte le plus vif mécontentement. Le soir même, le temple est en
Thècle est peut-être celui qui a rapport à son sanctuaire de rum.eur et retentit de ses cris: (( Dexianos, dit-elle, me traite
Dalisandos, dont la fête propre se célébrait avee une solenni- comme une femme- faible et vulgaire, incapable de protéger
té particulière. A eondition de passer la nuit sur la montagne son temple et les siens 2• >l
~ui_ fait faee à cette ville, on pouvait, la veille de la panégyrie,
Le temple, sur lequel elle veille si jalousement, fait partie
JOUir d'un spectacle étrange. Thècle, montée sur un char de
d'un vaste ensemble : à la basilique est annexé un monastère
feu, quittait sa maison de Séleucie pour se rendre à celie de
pour les vierges consacrées au service de la sain.te ; il y a des
Dalisandos. La fête terminée, elle reprenait le chemin de Sé-
logements, sans cloute, pour les gardiens 3 , et un parc où l'on
leucie. On racontait dans le pays, que de la même façon
nourrit une multitude d'oiseaux, des cygnes, des grues, des
S. Paul quittait Rome pour assister à sa fête à Tarse 4 •
oies, des pigeons, des ((oiseaux d'Égypte et du Phase, >> of~
On ne peut souligner plus énergiquement cette conception
ferts par les pèlerins 4 • Cette résidence, la sainte ne la quitte
populaire qui fait habiter le saint, invisible- à l'ordinaire,
qu'exceptionnellement et pour de justes raisons. L'auteur
dans sa basilique, comme dans un palais. A Séleucie, le peuple
partage là-dessus la croyance commune. Toutefois, il sent
avait le vif sentiment de la présence de Thècle. On savait
qu'elle répond mal à l'idée chrétienne de l'intercession des
qu'elle aimait à se tenir dans une sorte de vestibule un peu
saints. II fait comprendre qu'alors même qu'elle se transporte
écarté, nommé MvgiYlvswv 5 , ou dans la grotte voisine de la
ailleurs, Thècle ne quitte son sanctuaire qu'en apparenee.
fontaine. Car elle aime le calme et la solitude : C/Jaai xat nvsç
L'œil des saints ne connaît pas d'obstacle; rien ne l'empêche
rà nÀsïara xal. lv rovup OWï(jl{JstV aÙrYJV O)Ç âv i}avxtaç "'(S iew-
d'atteindre n'importe quand et à volonté les pays, les peuples,
aav xai cptUgr;pov ovaav s. Parfois cependant, elle quitte sa
les bourgs et les villes 5 • Thècle jouit d'une sorte d'omnipré-
retraite. Ainsi, elle se rend précipitamment dans la viUe
sence : àsi naeovaa, àst cpoawaa, ïWV oso,uévwv Ènatovaa, nav~
où habite Pappos, le décurion qui a injustement dépouillé
rad u xal. nav-raç àcp86vwç icpogwaa s. Ses clients le savent, et
les orphelins d'un de ses collègues : ansvost xal. ÈntxaïaÂap-
fJavst rr;v ïOV ljotxr;x6roç xai. n6Âtv xai. éartav 7 • Lorsque 1 MT. 14. a MT. 17. 3
MT. 17, 18.
l'évêque de Tarse lui a fait J'injure d'interdire à son peuple ' MT. 8. On nourrissait également des oiseaux et d'autres ani~
le pèlerinage de Séleucie, on l'a vue, à ce qtt'on prétend, maux dans les dépendances des temples païens. Voir HoMOLLE,
Comptes et inventaires des temples Déliens en l'année 279, dans Bul~
lelin de Correspondance hellénique, t. XIV (1890), p. 456-58.
1 MT. 18: 2MT. 19.
5 5 MT. 10.
3 MT. 20~ 'MT. 10. MT. 7.
6
MT~ 21! 7 MT! 20. s Préface, P.G., t. c., p. 565.
DE MIRACLES DES SAINTS 57
56 LES RECUEILS ANTIQUES

l'un d'eux, qu'elle interroge sur la nature de son mal, répond, la nombreuse réunion d'évêques ; un autre, l'éloquence des
en citant 11omère: «Vous ·savez tout; à quoi bon vous le orateurs ; un autre, la beauté de la psalmodie ; un autre, l'en-
dire 1 ? )) Aussi s'aperçoit-on qu'elle a l'œil à tout, et elle inter- durance du public pendant l'office de nuit; un autre, la bonne
vient souvent sans même en être priée 2 .Lc voleur qui a empor- ordonnance de la liturgie en général; un autre, la ferveur des
té une des croix de son tn:·sor essaie de la cacher dans les assistants dans la prière ; un autre rappelle les poussées de
buissons. La simplicité de cet homme, qui s'imagine qu'elle la foule ; un autre, la chaleur étouffante ; un autre a remarqué
n'en saura rien, la fait rire, ct la cachelte n'échappe pas à durant les saints mystères le va-ct-vient du monde qui ar-
son T{avosrpcèç xrû ()siov o,upa 3 • rive, qui part, qui rentre et sort de nouveau, les cris, les dis-
p utes le désordre des groupes qui s'embarrassent mutuelle-
Ce n'est pas la seule cireonstance où no us voyons la sainte ment et n'entendent point céder, chacun voulant etre l e pre-
' A

en joyeuse humeur. La lecture des premiers récits de ses mira- mier à participer aux saints mystères 1 • ))
cles rédigés par Basile lui cause une vraie satisfaction, et elle Cette page peint fort bien le spectacle que présentait la
ne peut s'empêcher de la témoigner par son sourire ·1 • On Iui basilique de Sainte-Thècle un jour de grande affluence. L'évê-
prête aussi des miracles d'un caractère plaisant : nau5tav al:: que ne semble pas ému des inconvénients du manque d'or-
JdiÀÀov i} anovo·hv ènotsiro rô eav,ua. Une mère implore sa pi- ganisation qui favorisait si peu le recueillement d'u~e fo.ul~
tié pour son enfant menacé de perdre un œil. La sainte ne indisciplinée. Ce n'est pas le plus grave reproche qu on ait a
répond pas. Cependant, l'enfant s'amusait dans le parc des lui adresser, si toutefois on peut faire un grief à quelqu'un
oiseaux, au moment où on leur donnait la pâture, les pour- d'être de son temps et de son milieu. Toute la suite de ses
suivant, puis à son tour poursuivi. Tout à coup, une grue récits montre que Basile n'était guère l'homme à réagir éner-
qu'îl avait taquinée, se jette sur lui et lui donne un coup de giquement contre les tendances liupcrstitieuses et la c,rédulité
bec dans l'œil malade. Cris de l'enfant, désolation de la mère. de ses ouailles, dont il se faisait complaisanunenL l'echo, en
Or, c'était la sainte qui avait imaginé ce coup de bistouri esquissant à peine quelques timides réserves.
original. L'abcès creva et l'enfant guérit parfaitement 5 • Une
autre fois on nous la montre charmée d'une réminiscence
classique; elle se met à sourire et s'empresse de secourir § 8. Les Miracles de S. Démétrius.
celui qui cite Homère à propos 6 • Elle a cl 'ailleurs un faible
pour les gens de lettres et guérit deux sophistes païens qui La dernière fois que des nouvelles venues de Salonique
ne font pas mine de se convertir 7 • Basile, souffrant d'un entretinrent le public de la basilique de Saint-Démétrius,
mal d'oreille, et menacé de ne pouvoit prononcer son pané- ce fut, hélas, pour nous apprendre que cet antique monument
gyrique, est guéri par son intervention 8 • avait disparu. Du splendide édifice qui était le centre du culte
d'un des saints les plus vénérés en pays grec, il ne reste que
Parmi les passages les plus intéressants du livre des Mira- des ruines, ct c'est désormais aux vieux textes surtout qu'il
cles, nous citerons cette description de Ja fête de Ste Thècle faut recourir pour se faire une idée de la place que le patron
telle qu'elle se célébrait à Séleucie au cours du ve siècle. de Thessalonique avait prise dans la vie de la cité. Nous avons
Basile met en scène des pèlerins qui, à la fin de la solennité, essayé d'expliquer ailleurs comment le culte de S. Démétrius,
réunis autour d'une table, échangent leurs impressions.<< L'un probablement importé de Sirmium, a été introduit dans la
vante la magnificence et la splenÇ!eur des fêtes ; l'autre, l'im- capitale Macédonienne 2 • L'hypothèse n'est pas certaine;
mense multitude des pèlerins qu'elles ont attirée ; un autre, mais qu'une dévotion de provenance étrangère ait pu pros-

1MT. 24. 2 MT. 5, 20, 21. 3 MT. 6. 1MT. 18.


4 MT. 16. 5 MT. 8. 6
MT. 24. a Les légendes grecques des saints militaires, p. 103-108;
'MT. 25, 26. 8 MT. 27!
58 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 59

pérer dans une grande ville mieux qu'elle n'avait fait dans son 2. Guérison d'un préfet de la milice qui souffrait d'un flux
lieu d'origine, il n'y a pas de quoi nous étonner outre mesure. de sang.
La basilique des SS. Cosme et Damien à Constantinople de- 3. La peste s'étant abattue sur Thessalonique, S. Démé-
vint rapidement beaucoup plus célèbre que celle de Cyr, et trius vient au secours de la ville.
la remplaça comme point de rayonnement du culte des 4. Le saint délivre des possédés.
fameux saints guérisseurs. 5. L'empereur l\laurice fait demander des reliques de S. Dé-
métrius. L'évêque Eusèbe écrit que le saint a manifesté sa
Nous possédons trois livres de Miracles de S. Démétrius. désapprobation, en des circonstances analogues, à ceux qui
Ils ont été publiés ct bien annotés par le P. De Bye dans les cherchaient ses reliques, et envoie des eulogies.
Acta Sanctorum 1 • Effrayé de l'extrême prolixité de ces tex- 6. Le ciborium d'argent qui ornait la basilique ayant été
tes, et n'ayant le manuscrit à sa disposition que pour un détruit par le feu, l'archevêque veut le reconstituer en sa-
temps très limité, il s'est décidé à y faire quelques coupures, crifiant un trône du même métal. Le saint apparaît jusqu'à
regrettables sans doute, mais qui ne diminuent pas sensible- trois fois à un prêtre pour s'opposer à ce projet, et il suscite
ment le haut intérêt que présentent les trois recueils, l'en- de généreux donateurs qui fournissent lè rhoyen de rétablir
semble le plus important de ce genre qui existe dans la litté- le monument.
rature grecque 2 • L'abbé Tougard a d'ailleurs publié des ex- 7. Onésiphore, gardien de la basilique, ayant lésiné sur le
traits qui comblent les principales lacunes de l'édition du luminaire, est sévèrement puni par le saint.
P. De Bye s:Sans répéter les discussio.ns qui ont abouti à 8. Après la retraite des barbares, Thessalonique se trou-
fixer l'époque de la rédaction de chacune des ·parties 4 , nous _vait en proie à la famine. Le saint apparaît à un pilote qui
rappellerons que le livre I, qui a pour auteur l'archevê- transportait à Constantinople de grands chargements de blé,
que Jean, a été écrit dans le premier tiers du vrre siècle, et lui ordonne de se diriger sur Thessalonique.
en partie sur des documents remontant au siècle précédent. 9. Dans une autre circonstance il vient miraculeusement
Le livre II, anonyme, est de la fin du VIle siècle. Nous pou- au secours de la ville menacée par la famine.
vons négliger ici le troisième, postérieur à l'année 904. 10. Il apaise les discordes civiles qui la troublaient.
Le premier livre ést divisé en 15 chapitres ou Miracles, 11. Le préfet d'Illyrie est puni pour avoir blasphémé le
très développés, dont nous indiquerons brièvement le sujet. saint.
1. Guérison de Marianos, préfet de l' Illyricum, qui était 12. Lors de l'incendie qui consuma le ciborium d'argent,
atteint d'une grave maladie. le peuple qui était entré dans la basilique pour l'éteindre et
songeait sans doute à s'approprier des débris précieux, refu-
1 BHG. 499-521. Nous citons MD suivi du numéro des paragra- sait de se retirer. Quelqu'un s'imagina de crier que les bar-
phes de l'édition. bares approchaient des murs de la ville .. Or, il faisait cela
2 Lucws, Die Anfiinge des Heiligetzkults, p. 214-28; H. GELZEH, sous l'inspiration du saint, car en réalité, ce n'était pas une
Die Genesis der byzantinischen Themenverjassung, dans Abhand- · fausse alerte. L'ennemi était là ; il fut repoussé.
lungen der Sachs. Gesellschaft der Wissenschaflen, t. XVIII, 5, 13. Les Avares ayant attaqué la ville à l'improviste, le
p. 42-64.
3 Dé l'histoire profane dans les Actes grecs des Bollandistes (Pa- saint en personne repousse les assaillants.
ris, 1874), p. 80-205. 14. L'attaque manquée fut suivie d'un siège, qu'à l'inter-
4 Voir surtout J. LAURENT, Sur la date des églises Saint-Démélrius vention du saint, l'ennemi fut obligé de lever.
et Sainte-Sophie à Thessalonique, dans Byzantinische Zeitschrijt, 15. Vision d'un homme vertueux montrant que, sans l'in~
t. IV (1895), p. 420-34 ; A. PERNICE, Sulla data del libro II dei tercession de S. Démétrius, Dieu était décidé à livrer la ville
" Miracula S. Demetrii martyris ,, dans Bessarione, anno VI,
t. II (1901-1902), p. 181-87.
à l'ennemi.
60 LES RECUEILS ANTIQUES DB MIRACLES DES SAINTS 61

Les six Miracles du second livre, d'une rédaction non moins des apparitions individuelles dont on nous parle ailleurs.
prolixe que les précédents, se rapportent aux faits suivants : Mais à ce que dit l'un d'eux 1, les rédacteurs des deux recueils
1. Les hordes slaves qui mettent le siège devant Thessalo- négligent de parti pris les miracles conune on en voit tous les
nique sont rejetées avec l'aide de S. Démétrius ; leur chef jours clans cette église, pour ne guère s'occuper que de ceux
est capturé ct tué. qui intéressent la masse des citoyens : secours en temps de
2. Nouvelle aggression des Slaves alliés aux Avares. Ef- peste, de famine, de guerre. Les personnes même qu'ils nous
frayés par divers prodiges auxquels S. Démétrius n'est pas signalent comme ayant recouvré la santé par l'intercession
étranger, ils se retirent. du saint sont des notables dont la guérison importe en quel-
3. Un incendie détruit la basilique de Saint-Démétrius. que manière au bien public 2 • Presque partout S. Démétrius
Par les soins et l'assistance du martyr elle fut relevée de ses apparaît en qualité de patron de la ville; c'est le citoyen par
ruines. excellence de Thessalonique, le protecteur, le sauveur, l'ami
.4. A cause de leur roi Perbunde, les Slaves mettent de nou- de la ville et de la patrie : neoar6.n)c; ûjç n6.?.ewç 3, noÀh:1Jç
veau le siège devant Thessalonique. S. Démétrius la délivre Xat' "
Tt(!OŒïaïrJÇ 4, ~ J
VTtê(!Q.ŒTCWïr}Ç 5'
, 1 /
IVVi(!Wri)Ç 6
,
1
ŒWŒtTtai(!l ç7,
et inspire à l'empereur de poursuivre l'ennemi et de ravitail- cpt.?.OnoÀtç 8 , cptÀÔnaretc; 9 • Il se montre ordinairement en cos-
ler la ville. tume de consul 10 ou de militaire 11, conune on a l'habitude de
5. Le saint empêche que Thessalonique ne soit livrée par le peindre 12, tantôt à pied 13, tantôt à cheval 14• Dans les sièges
surprise à un ennemi perfide. . que la ville doit soutenir, il est l'âme de la défense ; mais on
6. Un évêque africain, nommé Cyprien, fait prisonnier le voit aussi payer de sa personne et mettre l'ennemi en fuite.
par les Slaves, est miraculeusement délivré par S. Démétrius, Rien ne fait mieux comprendre l'idée qu'on se formait
à qui il rend grâce dans son sanctuaire de Thessalonique. De à Thessalonique du patron de la ville que la vision du notable
retour dans son pays, il consàcre au martyr une belle église. (l.?..?.ovarewc;) dans les premiers jours du siège par le:,; Avares.
Cet homme en rêve, ou mieux, dit le narrateur, en extase
II suffit de ces simples énoncés pour faire saisir le contraste se trouve devant les portes de la basilique. Il voit arriver deux
des Miracles de S. Démétrius avec les autres recueils que nous beaux hommes, qui avaient l'air d'être des gardes du corps
avons parcourus. Ces derniers racontent les faveurs accordées de l'empereur, et qui s'écrient:« Où est le maître de ces lieux?>>
par les saints à des cliènts isolés ; ici, la majeure partie des On leur montre le ciborium. « Frappez, disent-ils, et annon- ,
récits se rapporte à des cas de protection dans les calamités cez-nous. » Aussitôt le saint apparaît, tel que les vieilles pein-
publiques. Certes, le saint n'est pas insensible au malheur des tures le représentent, mais brillant et radieux. Les deux
individus ; il ne dédaigne pas de guérir les malades, à preuve hommes s'acquittent de leur mission: «Le Seigneur nous a
que sa basilique ou sa maison est appelée lattarocpôeoc; ol'Xoç 1 , envoyés à votre sainteté pour vous dire : Sortez prompte-
la,uarocpôeoc; 'Xal 1.fVXoeevarYJç vaôç 2, Tr1JYIJ rwv latt6.rwv 3 • Les ment, et venez à moi ; la ville va être livrée aux ennemis. »
deux premiers Miracles de la collection racontent la guéri- A cette nouvelle, le saint est accablé de tristesse ; des larmes
son de Marianos et d'un autre officier anonyme. Il y a même coulent de ses yeux, et le gardien ne peut s'empêcher de dire
lieu de croire que l'incubation se pratiquait assez ordinaire- aux messagers que s'il avait pu prévoir cela, il ne les aurait
ment dans la basilique, puisque le saint invite lui-même Ma-
rianos à v aller dormir 4, et qu'en parlant de la foule réunie
1 MD.
94.
dans l'église en temps de peste, un des hommes couchés là, 2 MD.
1, 24. a MD. 24, 106. 4
MD. 157.
rwv !Jxsiae 'Xetttévwv 5, est favorisé d'une vision qui tient lieu o MD.161. 6MD. 187 et passim.
7 MD.178 et passim. 8 MD. 66, 70, 95.

1 MD. 184. . 2 MD. 183. 3 MD. 81. & MD.


164. 1o MD. 36. 11 MD. 4.

u MD~ 66, 84, 150. 13 MD. 147. 14 MD. 146.


4 MD. 14. &MD. 36.
62 LES RECUEILS ANTIQUES bE :tv.URACLES DES SAINTS

pas annoncés. << Laissez-les, interrompt le saint, ils ont rempli les portes d'argent. Sans franchir le seuil, il vit une sorte de
leur mission. >> Puis il sc met à leur demander s'il est bien vrai lit d'argent, et à la tête du lit un trône brillant d'or et de pier-
que le Seigneur a pu prononcer un: pareil arrêt, et il les charge res précieuses; sur le trône était assis S. Démétrius, tel qu'on
de lui dire : <<Seigneur, c'est vous qui m'avez ordonné d'ha- a coutume de le représenter. Au pied du lit était placé un
biter ici avec vos serviteurs. Comment puis-je les abandonner? autre trône d'argent massif, sur lequel siégeait une femme
Quelle vic sera la mienne, si mes concitoyens périssent'? Vous très belle et noble d'aspect, vêtue d'une façon distinguée:
êtes le maître. Faites ce que vous voulez. S'ils sont sauvés, elle tenait les yeux fixés sur le martyr. Tout à coup elle se
je le suis avec eux; s'ils périssent, je meurs avec eux. >) Quel- leva et voulut sortir; mais le martyr s'élança et la ramena
ques mots encore, et le martyr referme sur lui les portes d 'm·- sur son siège. << Pour Dieu, ne sortez pas, dit-il, et ne quittez
gent. Là-dessus l'extase finit; et celui qui avait cu la vision pas la ville ; elle ne peut se passer de vous, et maintenant
alla raconter partout que le saint n'abandonnerait pas la ville, moins que jamais. ))
cc qui ranima le courage des habitants 1 • L'étranger n'osa pas entrer; il se retira en faisant une grande
révérence, et demanda au gardien qui était cette femme.
Par le fait que les miracles de S. Dêmétrius sont rattachés «Vous êtes seul à l'ignorer, lui répondit-il; toute la ville la
en grande partie à des événements historiques importants, connaît et sait qu'elle ne quitte pas le martyr. n :L'étranger
l'ensemble présente un caractère beaucoup plus sérieux que demanda son nom et reçut cette réponse : « Avr17 Èart ij xveîa
les collections cl' anecdotes bizarres qui ont cl' abord passé Evragîa ~JJ o Beàç neà noÂÂoîi np àfHocp6erp naeaxad6ero. C'est
sous nos yeux. Puis, les auteurs ne prêtent pas à leur patron la dame <<Bon Ordre )) que depuis longtemps Dieu a confiée
les fantaisies peu compatibles avec la simple dignité person- au martyr. Il la garde et ne lui permet pas de sortir. >l A ce
nelle comme d'autres n'hésitent pas à en attribuer aux saints moment l'étranger s'éveilla. Sa vision le laissait perplexe. Il
thaumaturges. Mais il faut avouer que des visions du genre de s'en ouvrit au préfet qui, n'y comprenant pas davantage,
celles que nous venons de rapporter, et les discours de ce saint l'adressa à un moine de ses amis. Celui-ci s'écria : « Béni soit
dans la gloire qui parle de mourir avec ses protégés, nous ra- Dieu qui nous donne le saint martyr Démétrius pour inter-
mènent aux conceptions les plus étranges sur les relations cesseur et patron 1 Puisqu'il retient avec lui la dame << Bon
des habitants du ciel avec les humains. Ordre n et l'empêche de quitter son temple et la ville, nous
Une vision à rapprocher de celle de l' lÂ.Âovarewç est celle n'avons plus à craindre le danger de sédition. >> Le préfet ju-
d'un étranger à la ville, parent du préfef d'Illyrie, et gea que le songe avait été bien expliqué. Malgré les tentatives
arrivé à Thessalonique dans un moment où un vent de réitérées de l'ennemi, la ville fut définitivement délivrée de
folie paraissait avoir soufflé sur la population ; la métro- cette nouvelle épreuve 1 •
pole de la concorde, dit l'auteur, était changée en une mer Il était d'autant plus utile de faire connaître ce récit, qu'il
de dissentiment. L'étranger voyait, sans y rien comprendre, a donné lieu à des interprétations erronées. On a prétendu
la cité en proie à l'agitation et à la discorde. Une vision qu'il« associe étroitement à S. Démétrius une sorte de divinité
l'éclaira et lui permit en même temps d'être pour les habi- parèdre qui ne le quitte jamais, madame Eutaxia, que Dieu a,
tants un messager de paix. Il crut entrer dans la basilique de toute antiquité, placée à côté du martyr, et que celui-ci
pour y prier. Le splendide xl{Jwewv qui se dressait au milieu garde auprès de lui, sans jamais lui permettre de sortir du
et à gauche de l'édifice le frappa d'abord, et il voulut connaî- sanctuaire 2 >>. Nous n'insisterons pas, pour le moment, sur
tre la destination du monument. Il lui fut répondu que, d'après les conclusions que l'on voudrait tirer de la présence, auprès
la tradition, c'était le tombeau de S. Démétrius. Désireux de
l'examiner à l'intérieur, il demanda au gardien de lui ouvrir 1 MD. 76-87.
2 Ch. DIEHL, Les monuments chrétiens de Salonique (Paris, 1898),
1 MD. 149-157. p. 62.
64 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIHACLES DES SAINTS ()5

de S. Dé.métrius, de cette «sorte de divinité l>, Mais on a com- le même : les faveurs rniraculeuses obtenues d'un saint dans
pris que la xveta Eùra~ta est simplement un personnage al- son sanctuaire Je plus fréquent(~. Le public, ou si l'on veut,
légorique que, par une conception bizarre, on place sous la l'auditoire est le même aussi : un auditoire populaire qui
garde de S. Démétrius, pour indiquer qu'il est le gardien du regarde les saints comme des protecteurs tout-puissants,
bon ordre ct qu'il répond de la tranquillitô de la ville. qui aime à entendre le récit de leurs merveilles, et n'admet
Cette vision allégorique n'est pas sans exemple en hagio- guère qu'on puisse exagérer en pareille matière. Dans ce
graphie. S. Jean l'Aumônier eut une apparition, où il vit une milieu grossier, le sens critique n'est éveillé à aucun degré,
jeune femme richement parée, le front ceint d'une couronne et le sens religieux comme le sens moral sont sensiblement
d'olivier. Elle se fit connaître comme «la première des filles au même niveau, d'une infériorité marquée. Les auteurs vi-
du roi >>. Mais Jean reconnut en elle la Miséricorde ou l'Au- sent à satisfaire ce public; ils lui donnent ce qu'il demande.
mône 1 • Les grâces ordinaires qui ne frappent point l'imagination
sont négligées ; la banalité, même dans l'extraordinaire, est
Nous n'avons pas besoin de rechercher quelle réalité répond soigneusement évitée et les miracles de tous les jours - on
à ces visions et à toutes celles qui remplissent nos deux livres ne cesse de le répéter -sont passés sous silence. Nos hagio-
de Miracles. Le P. De Bye n'a pas manqué de faire toutes ses graphes sont entraînés à renchérir les uns sur les autres, et
réserves, et de laisser chaque fois au lecteur l'appréciation du saint thaumaturge qu'ils mettent en scène ils arrivent
des faits. à tracer un portrait qui pournous n'est qu'une caricature ..
Il nous reste à signaler un détail qui ne peut manquer de Les livres de Miracles peuvent être étudiés au double
frapper à la lecture des Miracles de S. Démétrius : c'est l'in- point de vue historique et religieux. Il est facile de montrer
sistance avec laquelle les auteurs rappellent que s'il est le que, malgré l'état d'èsprit inquiétant qui s'y manifeste, et
grand proteetcur et la providence de la ville, il ne l'est qu'après la part de fantaisie qui y domine, ees recueils ne méritent pas
Dieu, et que tout son pouvoir vient d'en haut. Il est le ow- le dédain de l'historien, à condition, évidemment, qu'il s'en
n6n/ç pnà BeoJ' 2 , le yvtjawç Oeeû.nwv rov àxaraÂ,;)nrov xai serve avec les précautions nécessaires. Ds;ms ce genre d'écrits
OiifllOV[!YOV TWV anÛ.VTWV Beov 3 ; ses miracles sont qualifiés on trouve souvent en abondance ce que les auteurs se sont
de OavrwTO. Oeonâe?Jxa 1 et ainsi de suite. Bien que, dans les fort peu souciés d'y :œettre. Basile de Séleucie ne songeait
autres livres de Miracles, l'idée de la puissance empruntée qu'à nous parler de Ste Thècle ; il nous donne sur sa ville
ne soit pas entièrement écartée, elle n'est jamais bien elaire- épiscopale et sur son pays une foule de détails que l'on cher-
ment mise en relief, et les saints thaumaturges font l'effet cherait vainement ailleurs; Timothée d'Alexandrie et So_
d'être indépendants dans la dispensation des bienfaits qu'ils phrone ouvrent sur les mœurs de l'Égypte chrétienne des
accordent à leurs clients. aperçus inattendus ; les Miracles de S. Démétrius sont écrits
uniquement pour glorifier le grand martyr : ce sont des
monuinents de premier ordre de l'histoire de Thessalonique.
§ 9. Conclusion.
Évidemment nos Oavpara sont avant tout de précieux do-
Les recueils qui viennent de passer. sous . nos yeux appar- cuments pour l'histoire qes grands sanctuaires dans lesquels
tiennent bien, on a pu le constater, à un même genre de lit- ils nous permettent de pénétrer. L'édifice matériel où se ras-
térature, et en tenant compte des nuances, il est permis de . sen1,blent les pèlerins y est parfois décrit. Mais, ce qui est plus
dire qu'ils sont sortis de la même inspiration. Le sujet est important à connaître, nous y voyons quelle place occupait
dans la vie des populations . chrétiennes la << maison >> du
1 BHG. 886, c. 8. 2 MD. 183. a MD. 185. saint préféré, avec quel empressement les foules y accon..
4 MD. 83, 195. D'autres textes ont été réunis par Lucws, op. c., raient, quelle était leur manière d'honorer le patron, maître
p. 215. et seigneur du lieu. Ainsi il est clairement établi que la pra-
Aeai. Bol. XLIII. - 5,
titi LES HECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 61

tique de l'incubation était en honneur en Égypte, dans une dans cks basiliques d'où jamais aucun malade n'ôl~tit sorti
église au moins; qu'elle l'était dans quatre églises de Con- guéri, oü l'on ne gardait aucun souvenir d'un bienfait reçu
stantinople, et qu'à Thessalonique on y avait parfois recours 1 • par l'intercession des saints. Quelque rare qtw soit la mention
Ce n'est pas absolument l'incubation païenne avec les céré- des cx-voto écrits ou figurés, il est probable qu'ils ont joué
monies préparatoires dont nous connaissons le détail 2 • Mais un grand rôle dans la formation des traditions que les rédac-
l'essentiel de la méthode, consistant à dormir dans le templ~ teurs de Miracles ont consignées par écrit. Les uns fournissaient
pour recevoir durant le sommeil la réponse que l'on attend des noms, avec mention des grâces obtenues; d'autres repré-
d'en haut, se retrouve dans le rite christianisé. sentaient en peinture ou en sculpture une scène ou un objet
Si l'on nous demande ce qu'il faut penser des guérisons sur lesquels pouvaient travailler les facultés imaginatives
qu'on affirme avoir été obtenues par cette voie, et en général des habitués ou des desservants du sanctuaire. A ces inscrip-
des faveurs attribuées à nos saints, nous répondons qu'il n'y tions concises, à ces images simples s'accrochaient des his-
a pas deux moyens d'établir les faits : il faut peser les té- toires où le souvenir et la fantaisie se mêlaient à doses inéga-
moignages. les ; ainsi on- remonte, en définitiw, à l'attestation des pèle-
Et l'on conviendra aussitôt que ceux dont nous disposons rins qui affirment n'avoir pas invoqué en vain leur saint
sont en général cbien inquiétants. Nos recueils de Miracles tutélaire. Il serait excessif de vouloir expliquer de cette ma-
sont composés des éléments les plus hétérogènes. On y dis- nière tous les cas difficiles qui se présentent. Nous voulons
tingue sans peine des motifs de folklore, des thèmes à décla- simplement dire qu'ils ne sont pas tous inexplicables, et que,
mations, des lieux communs de toutes sortes s, des récits si le simple bon sens nous empêche de prendre au sérieux la
qui font le tour des grands sanctuaires ; et dans ceux qui ne presque totalité des récits qui ont passé sous nos yeux,
rentrent pas à première vue dans ces catégories, que d'his- nous n'irons pas jusqu'à conclure qu'ils ont été inventés
toires absurdes dont le rôle qu'elles prêtent aux saints suffit à propos de rien. Sans admettre les détails dont Sophrone
à faire justice. Les témoins auxquels nos hagiographes de- a orné l'histoire de la guérison de ce pèlerin de Rome, qui resta
. mandent de confirmer leurs dires sont trop souvent suspects. huit ans à Menouthis attendant sa guérison\ nous n'avons
Il en est qui viennent attester des histoires impossibles. vraiment aucune raison de révoquer en doute l'attestation de
Cette préoccupation cl 'authentiquer des récits extraordinaires ce client des SS. Cyr ct Jean qui affirme s'en être retourné
fait trop souvent l'effet cl 'être inspirée par les règles de la guéri. Et imagine-t-on que Sophrone cùt entrepris l'énorme
rhétorique plutôt que par le souci de la vérité. Ce n'est pas travail qu'il a voulu offrir, aux saints comme un monument
sur de pareils documents que l'on peut établir historique- de sa reconnaissance, s'il n'avait pas recouvré la vue?
ment les faits. Ce n'est donc pas faire preuve d'une crédulité excessive
Toutefois, il est sans doute exagéré de reléguer au rang des que d'admettre le bien-fondé de la réputation de certains
fables tout ce qui est raconté par nos hagiographes, et il y a sanctuaires oü les pieux fidèles venaient chercher la guérison
souvent lieu de distinguer, croyons-nous, entre la substance de leurs maux. Mais que dans nos recueils de Oavpara nous
des faits et les circonstances dont ils l'entourent. On ne con- trouvions un seul cas qui ait été l'objet d'une enquête sérieuse,
çoit pas que les livres de Miracles aient pu être lus en public un seul texte qui puisse servir de point de départ à une
discussion approfondie, c'est ce que personne ne voudra pré-
tendre. Nous ne dirons rien des miracles d'une autre catégorie,
1
Dans les Légendes hagiographiques, p. 173, nous avons poussé faveurs de tout genre qui sont attribuées, dans nos recueils,
trop loin le scepticisme a cet égard.
2
DEUBNER, De incubatio"ne, p. 14-28 . à l'intervention des saints. Ceux dont la frivolité n'éclate pas
• •
3
~utre ceux que nous avons signalés, on trouvera quelques in-
dicatiOns dans O. WEINREICH, Antike Heilungswunder (Giessen 1 MCJ. 69.
1909), p. 175-201. '
LES HECUEILS ANTIQUES
DE MIHACLES DES SAINTS

aux yeux échappent à tout contrôle. Il ne faudrait pas, sur-


tout, se donner la peine d'expliquer par la psychologie des d'Alexandrie, S. Thèrapon, de l'île de, Chypre, S. Isaïe, de
traits dont l'origine est, selon toute probabilité, purement Palestine, S. Démétrius, de Sinnium. Ste Thècle fait t:•xecption,
littéraire. car elle n'a point de tombeau. :\f;ris ceux-là mêrnc pour qui
elle n'a exisH~ que dans l'imaginatir111 de l'auteur des Acta
Si, apn\s avoir 'essayô de dire quel parti l'histoire peut tirer Pauli el Theclae n'ont jamais voulu ter à ce romancier
des vieux livres de l\Iiracles, nous fixons l'attention sur le le dessein de représenter une déesse sous les traits cl 'une
côté religieux de ces écrits, nous devrons avouer simplement vierge chrétienne.
qu'on en imaginerait difficilement qui soient plus faits pour Si la personnalité des saints est nettement dégagée de
heurter le sens chrétien. S'il est vrai que de temps en temps tout contact avec les divinités païennes, il est certain qu'en
nos hagiographes se souviennent des doctrines de l'évangile plus d'un endroit le saint est devenu le concurrent d'un
qui leur fournissent à propos quelque discret correctif, on cne dieu qui continuait à recevoir les hommages de ses fidèles.
peut nier que, dans l'ensl·.mble, leur littérature soit d'inspira- L'évêque Basile signale au début des Miracles de Ste Thècle
tion païenne; ce sont surtout les recueils de Miracles qui ont sa victoire sur Sarpéclon, le dieu tutélaire de Séleucie, qu'elle
fait elire que les saints sont les successeurs des dieux, mieux ne tarde pas à supplanter complètement 1 • Nous savons que,
encore, qu'ils ne sont que des divinités transformées. Sans si Cyrille d'Alexandrie a installé à Menouthis le culte des
vouloir reprendre une question que nous avons traitée ail- SS. Cyr et Jean, il l'a fait dans le dessein de ruiner le pèle-
leurs \ nous rappellerons qu'il y a trois manières d'entendre rinage au temple d'Isis 2 • On peut dire que partout où une
la confusion des saints et des dieux. basilique chi·étienne s'est élevée à côté d'un temple, où vis-
On dira 1° que le saint n'est autre qu'un dieu déguisé à-vis de l'autel d'un dieu s'est dressé le tombeau d'un saint,
que les chrétiens honorent sans s'en douter; le temple et l'autel ont fini par être désertés; c'est le saint
2° Ou bien que le culte du saint a remplacé, dans une loca- qui a remplacé le clil:u. Si donc avant le martyre de S. Théo-
lité, le culte d'une divinité païenne ; dore, il y avait à Euchaïta un temple païen, ou peut assurer
3° Ou bien que la légende du saint est chargée d'éléments que S. Théodore a pris la place de la divinité à laquelle ce
païens, qu'elle n'est même que la transposition d'une légende temple était consacré et, si l'on veut, de tous les dieux honorés
païenne. dans la localité. Tout ce que l'on affirme de plus est de la
Dans aucun des saints dont nous venons d'étudier les Mi- conjecture et, l'on ne peut assez s'étonner de l'assurance avec
racles, il ne peut être question de reconnaître un dieu de laquelle certains èrÎÎdits désignent par son nom la divinité
l'Olympe christianisé. Ce sont des martyrs dont le culte a évincée 3 •
commencé sur leur tombeau et s'y est perpétué, comme c'est Le plus souvent ils s'appuient pour cela sur la légende du
le cas de S. Théodore et de S. Ménas, ou s'est transporté ail- saint ou sur des particularités du culte qu'on lui rend. Pour
leurs avec leurs reliques : ainsi les SS. Cosme ct Damien sont qui connaît la manière dont naissent et se développent les
partis de la Cyrrhestique, les SS. Cyr et Jean et Artémius, légendes, l'argument sera sujet à caution, car rien n'est
capricieux comme le travail spontané de l'imagination popu-
1
Les légendes hagiographicfues, p. 168-2:10 ; Les origines du culte
des martyrs, p. 460-78. Pour constater combien l'école que nous com- 1 MT. 1., 2
Anal. Boil., t. XXX, p. 418.
battons a perdu de terrain, on .consultera G. ANRICH, Hagios Nika-
3 Ainsi a-t-on prétendu qu'à Euchaïta c'est le dieu Men· que S.
laos, t. II (Leipzig, 1917), p. 502, et surtout J. GEFFKEN, Der Aus- Théodore a remplacé. Lucres, Die An fange des H ei ligenku lis,
gang des grieclzisclz-romisclzen Heidenlums (Heidelberg, 1920), p. 231-33, contredit par K. LüBECK, Der hl. Theodor ais Erbe des
pp. 224-H, ~H8-27. L'auteur reconnaît loyalement que Usener et Gottes Men, dans Der Katlwlik, 1910, t. II, p. 190-215. Ailleurs,
ses disciples ont fait fausse route. comme on sait, ce sont les Dioscures. Voir aussi LüBECK, Das an-
gebliche Fortleben der Dioskuren in clzristlichen Legenden, ibid:,
1909, t. II, p. 2'11-65.
DE MIRACLES DES SAINTS 71
70 LES RECUEILS ANTIQUES

laire. Le vêtement dont e11e habille ses héros n'est pas néces- phe de la maladie. Asclépios est un dieu débonnaire ; à ses
sairement pris sur place ; il arrive souvent de loin par des heures il aime à badiner, ct telle de ses guérisons a l'air d'un
voies mystérieuses. Si donc nous reconnaissons dans la phy- bon tour joué au patient.
sionomie d'un saint des traits empruntés à quelque divinité, Tout cela nous est connu par les lâpara d'l::piclaure 1 , si
ne nous hàtons pas de conclure que c'est là une part d'héri- expressifs dans leur concision, et dont on pourrait penser que
tage. Cette réserve faite, nous ne pouvons hésiter à reconnaî- plusieurs de nos l\Tiradts s'inspirent, si l'on ne savait que ces
tre que la lt:·gende de nos saints, telle qu'elle ressort des livres histoires singulières de guérisons ou d ïnl.erventions divines
de ~Iiracles, est pleine de réminiscences pa'iennes. circulaient un peu partout et sans dn il depuis des siècles.
Je rappelle que la légende n'est pas seulement le récit fan- L'homme atteint de la goutte et guôri ~Jar une des oies du
taisiste opposé à l'histoire. Dans son sens le plus large, c'est temple d'Asclépios qui lui mord le pied 2 a pour pendant l'en-
l'idée que le populaire sc fait d'un personnage célèbre qu'il fant piqué par une grue du parc de Ste Thècle 3 • Nicanor
connaît peu; c'est la physionomie qu'il s'est tracée de lui était boiteux ; un gamin lui enlève son bâton ct sc sauve ;
dans son imagination, c'est encore, si l'on veut, la réputation le boiteux sc lève, le poursuit et dès ce moment il est guéri 4 •
qu'on lui fait. Or, n'est-il pas vrai que le portrait de nos Cette guérison appartient à la même classe que le miracle de
saints tracé dans les Oav,uaw ressemble étrangement à des la muette ct du paralytique, que nos hagiographes racontent
figures que l'étude de l'antiquité classique nous a rendues fa- si volontiers 5 • Seulement, leur version a une couleur païenne
milières? S. Théodore, S. Ménas, S. Démétrius courant à bien plus prononcée que celle d':Ëpidaure. Le comédien
cheval au secours de leurs protégés comme les Dioscures ; d'Alexandrie qui revient de Saint-Artémius avec la hernie
Ste Thècle en colère remplissant la ville de ses cris, ou emportée dont son compagnon a été délivré 6 rappelle étrangement
dans les airs sur un char de feu, comme Junon et Athènê; Échécloros qui, à Épidaure, attrapa les taches qui défiguraient
presque tous prenant plaisir, comme les dieux I, à sc montrer son ami Pandaros 7 • Nos saints thaumaturges auraient mê.mP-
dans un accoutrement qui les rend d'abord méconnaissables ; fait aux dormeurs de ces réponses énigmatiques du genre des
puis surtout les saints guérisseurs dont l'aspect et les démar- oracles ambigus qui étaient l'objet de l'onirocritique. Qu'on
ches rappellent à s'y méprendre le dieu-médecin Asclépios,
n'obligent-ils pas à dire que nos hagiographes étaient hantés 1 J.G., IV, 951-56. Traduction et commentaire dans A. DE~
FRASSE - H. LECHAT, Épidaure (Paris, 1895), p. 141-61. Il faut
par des réminiscences mythologiques et des spectacles païens? rapprocher de ces inscriptions celles de l' Asclépieion de l'île Ti-
La ressemblance avec Asclépios, qui s'affirme jusque dans des bérine, reproduites avec texte et commentaire dans M. BEsNIER,
pratiques cultuelles, est surtout frappante. Ce dieu aussi a L'Ile Tibérine dans l'Antiquité (Paris, 1902), p. 212-17.
une existence terrestre plutôt qu'olympienne, et le temple, 2 J.G., IV. 952, 1. 134.
s MT. 8. Étudiant le groupe, bien connu des archéologues, de
où les suppliants vont dormir pour obtenir le soulagement à
l'Enfant à l'oie, M. S. REINACH, Cultes, mythes et religions, t. V
leurs. maux, est sa vraie demeure.
.
La nuit il fait sa tournée '
~ (Paris, 1923), p. 184-86, suppose qu'il y avait à Épidaure des oies
s'arrête à ceux qu'il juge dignes de commisération. Pour les sacrées qui guérissaient les malades en les mordant. On sait qu'il
guérir, il se contente de les toucher, ou bien il applique lui- y avait des chiens et des serpents parmi les ministres habituels des
même le remède ; il ne dédaigne pas de manier le couteau guérisons d'Esculape. Sur le rôle des oies on ne sait rien en deh?rs
du chirurgien ; à tout le moins formule-t-il une ordonnance du cas unique qui vient d'être rappelé, d'après la seconde stele
d'Épidaure. En insistant sur le parallèle de la cure de Ste Thècle
ou une. recommandation d'hygiène. Les prescriptions sont àvec celle d'Asclépios, nous dirions volontiers que les oies faisaient
presque toujours données pour la forme, et n'ont rien de com- partie de la basse-cour elu dieu, et qu'une fois l'une ~·entre elles .rut
mun avec celles du code; c'est la puissance du dieu qui triom- l'intermédiaire d'une guérison, mais non pas qu à ces volailles
fut dévolu le même rôle qu'aux chiens et aux serpents sacrés.
6 6
1 Voir par exemple les textes d' Artémidore réunis par E. LEBLANT' 4 J.G., IV, 951, 1. 111. . MCD. 24. MA. 17.
1 J.G., IV, 951, 1. 54.
Artémidore, dans .ZVlémoires de l'Institut, t. XXXVI, p. 23.
72 LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 73

se rappelle le mouton Cosmas dans les miracles des SS. Cos- sion disparut une forme de dùvotion dont les o-rigines suspec-
me et Damien\ la dame Eutaxia dans ceux de S. Démétrius 2. tes réussissaient si mal à sc faire oublier.
Il est à peine besoin d'ajouter, qu'indépendamment de ces Faut-il croire, sur la foi de nos auteurs, que les saints se
réminiscences formelles, l'esprit général de nos recueils de montraient ù leurs clients durant le sommeil? Ceux-ci l'af-
:Miracles accuse un milieu où la conquête des intelligences firmaient, mais comme toujours, en matière de visions, ces
par le christianisme n'est pas com1)lètemcnt achevée. On y dires c'ehappcnL à notre contrôle. Il raut avoncr que leurs dio-
chercherait en vain l'expression d'un sentiment élevé. Le sou~ positions étaient celles que l'on peut désirer pour provoquer
ci des intérêts matériels, souvent fort mesquins, est presque des rêves. SurexciU~s par la fièvre et pour le moins autant
le seul mobile de la dévotion aux saints, dont la puissance par les récits merveilleux dont ils s'étaient nourris, entourés
s'exerce pour les raisons les plus futiles. Rien que les bouf- d'une foule de malades qui, comme eux, n'attendaient que la
fonneries, que l'on n 'hôsite pas à mêler à leurs interventions visite du saint, ils finissaient par succomber au sommeil ;
surnaturelles, sont incompatibles avec les conceptions d'une et le rêve, qui reflétait l'unique objet de leurs préoccupations,
religion épurée. ne tardait pas. Que ces rêves n'avaient pas toujours la net-
teté des visions telles que les racontent les hagiographes,
C'est un problème mal éclairci que celui de l'incubation
nous le savons par le témoignage elu seul homme qui nous ait
dans les basiliques chrétiennes. Y a-t-il eu, en Orient, des ten-
fait part de ses expériences personnelles. Bien que l'on puisse
tatives officielles cle christianisation de ce vieux rite païen;
soupçonner Sophrone de n'avoir pas tout à fait renoncé, clm\s
ou bien la pratique, introduite par l'initiative des nouveaux
le chapitre où il raconte sa guérison\ aux procédés peu ri-
fidèles, mal détachés de leurs vieilles habitudes, a-t-elle été
goureux de son métier de sophiste, il nous en elit assez pour
l'objet d'une large tolérance'? Nous n'oserions trancher la
faire comprendre que son rêve bizarre n'eut rien de la radieuse
question. Ce qui est certain c'est qu'on n'a jusqu'ici signalé
clarté d'une vision.
aucun texte liturgique ayant quelque rapport avec l'incuba-
tion, ni aucune prescription rituelle pour la régler. A Constan-
tii~ople, auprès du tombeau de S. Artémius, on exigeait préa- II
lablement, semble-t-il, une offrande de luminaire. Il est fait
allusion plus d'une fois en termes généraux à l'usage établi. LES RECUEILS LATINS
~îüsi à propos d'une femme qui attend de S. Artémius la gué-
nson de son enfant : ànfj).Oev el:; rôv ?.ez()bra ainfj va6v ï-Cat A ne considérer que le nombre des saints dont ils s'occupent,
not~aaaa rà li()YJ 8 • Pour un malade que J:on eonduÎt au ;anc- les pays d'origine et les sanctuaires dont ils résument les
tuairc, nowiJm·v rà lv lf()er yn'clpeva up rr!ncp ·ct. Ailleurs, on nous annales, les fJavf.WTa grecs que nous ven ons de parcourir
fait connaître en quoi consistait cet usage. Un prêtre affli- forment un ensemble beaucoup plus varié que les livres de
gé d'une hernie ne songe pas même à recourir au saint, ni à· Miracles latins. Trois saints : S. f~tienne, S. Julien, S. Martin,
faire cc que tout Je monde fait en pareil cas : ovoev o1Jv lv ·vô) se partagent la matière des recueils occidentaux de l'époque
negl. TOU /{U(]TV(!OÇ ÈŒXfjï-C(VÇ ovoe oaa o[ Ènl TOVTCO uv naeet 1'0·- correspondante, et deux pays : la province Homaine cl' Afri-
Uyw 0~ Èn' OVOfWT: a0roiJ axeva-
aofivre:; JlOlOV(JlJ! ivOVfû)Oef:;, que au début du ve siècle et la Gaule ù la fin elu VIe, l'ont
5
aat xavcn]?.av Dans les sanctuaires organisés pour l'incuba-
• fournie toute entière. Mais tandis que les livres provenant
tion, il y avait évidemment des règlements à observer. Mais de Constantinople, de Thessalonique et de divers points de
nous les ignorons, conm1e nous ignorons sous quelle pres- l'Égypte et de l'Asie Mineure, nous arrivent sous des garan-
ties anonymes ou discutables, la littérature latine qui leur
1 MCD. 3. 2
MD. 76-87. 3 MA. 12.
' .MA. 37. 5
MA. 23. 1 MCJ. 70.
74 LES IŒCUEILS ANTIQUES DE MIHACLES DES SAINTS 75

fait pendant se réclame de deux noms illustres : celui du grand d'un jeune homme 1 • Une vierge d'Hippone, que le démon
docteur S. Augustin, et celui du père de l'histoire des Gaules, tourmentait également, en fut délivrée par une onction d'hui-
Grégoire de Tours. Avanta ge inappréciable ; la suite de cette le: oleo cui pro illa orans presbyter inslillaverat lacrimas suas 2 •
étude le montrera. Un vieux tailleur d'Hippone, Florentins, avait perdu son
manteau, et n'avait aucune ressource pour le remplacer.
Il s'en va prier à la chapelle des XX Martyrs. Peu après, sc
§ 1. S. Augustin et les Miracles de S. Étienne. promenant au bord de la mer, il voit un grand poisson rejeté
par les flots sur le rivage. Il s'en empare et le vend à un cui-
.Le chapitre VIII du XXIIe livre de la Cité de Dieu est con- sinier nommé Calos.us, qui en donne un prix suffisant pour
sacré aux miracles postérieurs à l'âge apostolique. S. Augustin l'achat de la laine. En ouvrant l'animal, Calosus trouve un
montre d'une part que les miracles n'ont point cessé dans anneau d'or, qu'il remet encore au pauvre homme.
l'Église, et se demande d'autre part pourquoi ils ont si peu Ici s'arrête une première série de miracles divers, dont trois
de :çetentissement 1 • seulement sont obtenus par l'intercession des saints. Elle est
Il rappelle en passant la guérison de l'aveugle par les reli- par elle-même fort intéressante, parce qu'elle nous perme~ ,de
ques des SS. Gervais et Protais, arrivée à Milan, pendant qu'il pénétrer dans l'âme d'Augustin et de comprendre la mamere
était dans cette ville 2 • C'est le début d'une longue série de dont il envisage la question qui l'occupe. On remarquera
miracles qu'il a constatés lui-même ou sur lesquels il a des aussitôt l'absolue sincérité de sa narration, aussi dégagée que
renseignements sûrs : à Carthage la guérison d'Innocentius, possible de toute convention littéraire. Rien ne fait mieux
ancien avocat de la << vicaria praefeetura )), délivré à la suite ressortir ces rares qualités que le réeit de la guérison d'In-
d'une prière fervente, d'une fistule qui mettait ses jours en nocentius, où Augustin a mis toute son âme et tout son génie.
danger 3 ; à Carthage encore la guérison d'une religieuse, Il nous fait assister à toutes les péripéties du drame ; nous
dont le cancer disparaît au moyen du signe de la croix tracé partageons les angoisses du malade à la veille d'une dangereuse
sur sa poitrine par une femme qui vient de recevoir le bap- opération chirurgicale ; l'ardeur de sa prière, la joie de la
tême 4 • C'est en revenant du baptistère qu'un médecin bien guérison subite nous émeuvent; sans aucun effort de style,
connu se sent délivré de la goutte 5 • Un mime de Curubis est le grand écrivain fait passer en nous sa propre émotion
guéri lui aussi dans des circonstances analogues 6 • Hespé- Elle est bien touchante aussi l'histoire de la religieuse qui,
rius, un homme en vue, habitait Hippone 7 • Il fait dire la avertie en songe, va attendre à la sortie du baptistère la pre-
messe dans une de ses propriétés, véritablement hantée par mière femme qui en sortira portant en elle la grâce du sacre-
les mauvais esprits, et y dépose de la terre rapportée du tom- ment, et lui demande de tracer le signe de la croix sur sa poi-
beau du Christ. La maison est désormais purgée, et la terre trine dévorée par un chancre 4 • Les histoires suivantes sont
consacrée est placée, à l'égal d'une relique, dans un oratoire, moins détaillées, mais· le même esprit y domine. Sans qu'aucune
où s'opérèrent des guérisons. Dans une chapelle des SS. Ger- trace de scepticisme s'y révèle, sans que leur caractère sur-
vais et Protais, près d'Hippone, le démon est chassé du corps naturel soit mis en discussion, c'est le souci d'établir les faits
sur des témoignages irrécusables qui préoccupe avant tout
le saint docteur. Toujours il insiste sur la notoriété de l'évé-
1 Nous citerons les pages de l'édition de HoFFMANN dans le nement et cite le nom des personnes que lout le monde peut
Corpus script. eccles. latinonzm de Vienne, t. XL, 1, 2. interroger. Il ne redoute pas le contrôle, et quand il le peut, il
a T. XL, 2, p. 596.
3 P. 597.
l'exerce lui-même consciencie.uscment. C'est ainsi que, ayant
' P. 600. 5 P. 601. e P. 602.
7 Vir tribunicius Hesperius apud nos est. P. 602. 1 P. 603. 2 P. 604.

a P. 597-600. 4 P. 600.
DE MIHACLES DES SAINTS 77
7G LES HECllEILS A)iTIQCES

ra, ct on le cruL mort 1 • Quand on nipporta la tunique, elle


appris de honne source la gué·rison elu mime de Curubis, il fut placée sur sou corps ; aussitôt il revint à la vie. A Calama
prôfère u(·anmoius l'interroger lui-mé\.ll'e, el d'accord avec encore, c'est la conversion d'un païen endurci, nommé Mar-
l'{~n~quc Aurelius, le fail venir à Carthage 1 • Ses informateurs tial. Il tombe gravement malade, et son gendre, qui t.~tait
méritaient-ils lous pleine confiance'? Nous n'oserions l'as- chrétien, lui propose de se faire baptiser. Hepoussé avec in-
surer. ll faut avouer que l'histoire du tailleur, ct particuliè- dignation, il s'en va prier à la chapelle de S. l::tieune, et en
rement l'incident de J'anneau". dont on a trop de répliques, partant, il prend quelques fleurs qu'il va placer le soir sous
paraissent quelque peu suspects. l'oreiller du malade. Avant la pointe du jour celui-ci récla-
Du premier groupe de nüraeles qui vient d'é.tre résumé, se mait l'évêque. Possidius se trouvait précisément en visite
distingue une s{Tie de récits se rappf!rtant lous à des faveurs chez Augustin. Ses prêtres le remplacèrent. Marlial fut bap-
obtenues par l'inlercession de S. Etienne. L'invention du tisé, et mourut pieusement, en répétant, sans savoir que c'é-
corps du saint diacre ù Caphar Gamala, en 415, avait eu un taient les dernières paroles de S. Étienne : Clzrisle, accipe
grand rel entissemeut dans la chrétien tt· et particulièrement spiritum meum 2 • On citait encore deux goutteux guéris dans
en Afrique. Des reliques avaient été distribuées à diverses la même ville. L'un d'eux était un étranger, et, dit S. Augus-
.:~gliscs, des memoriae -- nous pourrions dire des chapelles 2 · tin, il apprit par révélation le remède à appliquer lorsque les
- s'étaient ôlev(•es, et Augustin raconte des miracles dont douleurs le repreridraient; lorsqu'il en fait usage, le mal
plusieurs de ces sanetuaires avaient été le théâtre. I1 cite, s'apaise aussitôt 3 •
dans son voisinage, ceux cl' Aquae Tibilitanae, du Castellum A Audurus, un enfant est écrasé par un attelage de bœufs ;
Siniiense, de Calama, du Fundus Auclurus, d'Hippone et sa mère le porte à la chapelle de Saint-Étienne. Il se lève
d'Uzalum, près d'Utique. Les plus anciennes de ces chapelles complètement guôri 4 • Dans une localité voisine, une religieuse
Haie nt celle de Calama, fondée par l'évêque Possidius, et se mourait. On porte sa robe à Saint-l~tienne ; sur ces entre-
celle d'Uzalum 3 , fondée par Évodius, lui aussi un intime faites elle meurt. La robe sanetifiée placée sur son corps suf-
d'Augustin. fit à la ranimer 5 ,
Voici le genre de miracles qu'il a enregistrés. Au moment Un fait analogue sc passe à Hippone. Pendant qu'un Sy-
même oü l'évêque d' Aquae Tibilitanae transporte solennelle~ rien, nonunô Bassus, prie pour sa fille malade, dont il a ap-
ment les reliques de S. f:tieune, une femme aveugle demande porté l'habit, celle-ci meurt. Dès qu'il est rentré, il jette le
à s'approcher. Elle offre des fleurs, les reprend et les applique vêtement sur le corps de la jeune fille, qui renaît à la vie 6 •
à ses yeux ; aussitôt elle recouvre la vue 4 • Au Castellum Le fils du << collectarius >> Irénée venait de mourir. Quelqu'un
Sinitense, pendant que l'ôvêque Lueillus, lui aussi, porte les suggéra l'idée de frotter le corps avec l'huile du sanctuaire 7 •
reliques, il est lui-même guéri d'une fistule qui le tourmen- On le vit aussitôt reprendre vie. Il en fut de même de l'en-
t ait 5 • fant d'Éleusinius, « vir tribunicius ))' que celui-ei avait porté
A Calama, le prêtre Eucharius, que les calculs faisaient inanimé à la chapelle üu saint 8 •
beaucoup souffrir, est guéri par les reliques de S. Étienne. Ces trois derniers miracles eurent lieu à Hippone. Ce sanc-
Plus tard il tomba gravement malade ; à la place de l'homme tuaire n'existait pas depuis deux ans - Augustin écrivait
on porta sa tunique à la chapelle du saint. Mais le mal empi-
1 P. 605 : mortuus sic iacebal, ut ei iam palliees ligarenlur.
1 P. 602 : quamvis a ta lib us prius audierinws de quorum fi de du-
2 P. 60;)-606 ; Act: 8, 7. 3 P. 606.
4 P. 606. 6 P. 606.
bi tare non posswnus. . 6 P. 607. 7 P. 607.
2 Voir LuciUs, Die Anfange des Heiligenkults, p. 272-73, note.
s Sur le texte de l'édition de Hoffmann à cet endroit, voir A.nal.
3 C'est la forme ad(J.ptée par Hoffmann. D'autres écrivent Uzalis.
5 P. 605. Boil., t. XXIX, p. 431, n. 6.
4 P. 604.
78 LES HECUEILS ANTIQUES DE MIHACLES DES SAINTS 79

ceci en 426 -et durant ce court laps de temps, il s'y était où la littérature aurait une part plus restreinte, oü le fait
produit un grand nombre de faits extraordinaires, dont pas serait aisé à détacher du développement. La méthode es-
moins de 70 attestés par un libellus 1 • • quissée par S. Augustin avait besoin de perfectionnements,
Le [ibellus est une sorte de procès-Yerbal, ou plutôt le re- qu'elle aurait sans doute reçus avec le temps, si elle avait
cit authentique d'un témoin, dicté souvent par celui-là même été appliquée avec esprit de suite par les générations suc-
qui a été l'objet du miracle, et des.Liné à ê~re. lu e_n ~ublic •
2
cessives. Mais tout donne à penser qu'à peine le grand évêque
S. Augustin, de plus en plus frappe de la difficulte cl a,~surer ·a trouvé des imitateurs de son vivant, et certes point de
une notoriété suffisante aux faveurs obtenues par lmter- continuateurs. Quoi qu'il en soit, cette initiative, qui est le
cession des saints, de S. !~tienne en particulier, préconisait fait d'un grand esprit, porte aussi la marque du génie occi-
ce moyen d'obtenir un double résultat: donner du cré~it a~x dental. En Orient nous ne découvrons nul vestige d'une ten-
récits de miracles, et rafraîchir périodiquement la memoire tative analogue, et l'on a vu quel genre de documents étaient
des fidèles, qui les oubliaient trop facilement. Il avait engàg~ exposés à rencontrer ceux que pouvalt tourmenter le problème
l'évêque d'Uzalum_, Évodius_, son ami, ~- intro?u~r~ ~hez !~1 du miracle.
cette coutume, mms ne savait pas trop s Il avmt ete ecoute . Encore moins chercherait-on chez les Grecs une déclara-
Toujours est-il qu'à Hippone l'institution_ fonctionnait l:égu- tion de principes comparable à la théologie du miracle que
lièrement et le saint nous rapporte une circonstance memo- S. Augustin tire des faits qu.'il vient de rapporter. Voici à
rable oü ~m mémoire de ce genre fut rédigé. Il s'agit de la peu près en quels termes il s'exprime à ce sujet.
guérison de Paul et de sa sœur P~l.ladia, :en~s de Cappadoce,_ Les miracles que font les martyrs s'accomplissent au nom
longuement racontée dans la Czte de D_zeu . NOl:s avons la elu Christ et rendent témoignage à la foi qu'ils ont professée.
bonne fortune de posséder sur cette affaire un dossier des plus Si la résurrection de la chair n'a point commencé dans le Christ
intéressants, comprenant le texte même du libellus, que et ne doit jamais avoir lieu, comment se fait-il que des morts,
l'évêque ordonna de lire en public après avoir fait_ mon~e~ qui ont donné leur vie pour la foi dans la résurrection, exer-
sur les degrés de l'exèdre le frère et la sœur, le pr~Jmer guer,I cent une telle puissance? Que l,)ieu opère ces merveilles par
par l'intercession du martyr, la seco~1cl:, en pr01~ en~~re, a lui-même, où qu'ille fasse par ses ministres ; et s'ille fait par
un affreux tremblement dont elle allait etre b1entot dehvree ses ministres, que ce soit par les esprits des morts, comme il
à son tour 5 • • le ferait par des hommes vivant sur la terre, ou que ce soit
C'est, hélas, le seul document de cette catégorie qm nous par l'intermédiaire des anges auxquels il commande invisi-
soit parvenu, et l'on ne peut assez déplor~r la perte ~e ~a blement, incorporellement, immuablement, de manière que
collection des 70 libelli que l'église d'llippone possedait ce qui est attribué aux saints soit l'effet des prières des saints
lors et dont la comparaison avec les 70 miracles de Menou- et de leur intercession, et non de leur action ; que ce soit
~his-~erait si intéressante. Ces mémoires, qui n'étaient point, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, inaccessible à l'in-
à ce qu'il semble, des rapports dressés après ~ne enquête telligence humaine, tout cela cependant rend témoignage à
contradictoire, nous aurions à les utiliser avec discernement, la foi qui proclame la résurrection de la chair pour l'éternité 1 •
et en tenant compte de la psychologie des réda~~eurs. !ls Iei Augustin se pose l'objection des païens qui prétendent
nous auraient du moins fourni une matière de prem1ere mam, que leurs dieux aussi ont accompli quelques merveilles. Ils
commencent donc, dit-il, à compart'I' leurs dieux à nos morts.
1P. 608. . . l'
Diront-ils qu'ils ont des dieux qui ont été des hommes mortels,
2Nous avons traité cette question dans l'article L~s premzers z- comme Hercule, Romulus et beaucoup d'autres qu'ils pré-
belli miraculorum, dans Anal. Boil., t. XXIX, P· 42 /-3-L
a P. 608. ' P. 609-610. 1 De civitale Dei, l. XXII, c. 9.
6 P.L., t. XXXVIII, p. 1442. Cf. Anal. Boil., t. c., p. 429-31.
RO LES HECUEILS A;'\lTIQUES
DE MIRACLES DES SAINTS 81
tendent avoir été reçus au rang des dieux? Mais pour nous les
martyrs ne sont pas des dieux, car nous savons qu'il n'y a et Augustin ne la cite que pour rapporter un détail assez bi-
qu'un seul Dieu, qui est le Dieu des martyrs et le nôtre. Les zarre qui ne donne aucune idée suffisante de l'ensemble.
miracles qui ont lieu dans les sanctuaires de nos martyrs ne Mais il insiste encore à ce propos sur les garanties que pro-
doivent pas être comparés à ceux que l'on prétend s'accom .. eurent les facilités du contrôle lorsqu'il s'agit d'un fait récent
et d'une personne connue: C larissima femina est,nobiliter na ta,
plir dans les temples païens. Si pourtant on veut y ~rouvcr
quelque ressemblance, elisons que comme Moïse a vamcu les
nobiliter nu pla; C arthagini habitat; am pla civitas, am pla per-
sona rem quaerentes latere non sinit 1 • On a voulu reconnaître
mages, ainsi les dieux ont été vaincus par nos martyrs_. Les
démons opèrent avec ee faste orgueilleux et impur qm lenr cette dame dans la Mégétia dont l'histoire est longuement
racontée dans les deux livres des Miracles de S. Étienne com-
fait vouloir dre cles dieux; les martyrs agissent ou plutôt
c'est Dieu qui agit avec leur coopération ou à leur prière, posés à la demande d'Évodius 2 ; la source serait le mémoire
qu'Augustin lui aurait persuadé d'écrire .. Mais les raisons
pour le progrès de la foi, qui nous fait croire, non qu'ils sont
qu'on apporte pour identifier Pétronia avec Mégétia sont bien
des dieux mais qu'ils ont le même Dieu que nous... A leurs
faibles, et on ne doit guère admettre sans preuves que la
dieux tels qu'ils sont, les païens ont élevé des temples et des
même personne ait porté deux noms. La question n'est pas
autels · ils ont institué des prêtres et offert des sacrifices.
indifférente, car il y aurait lieu de savoir si les Miracles d'Uza-
A nos 'martyrs nous n'élevons pas de temples comme à des
lum, le premier recueil de ce genre qui ait été composé en Oc-
dieux, mais des << memoriae )) comme à des morts dont les
cident, ont été rédigés avant ou après la visite d'Augustin 3 ;
esprits vivent auprès de Dieu. Nous y dressons des autels
question d'autant plus délicate que les deux livres ne sont
pour sacrifier, non aux martyrs mais au Dieu ?e~ martyrs et
pas de la même date. Aucun indice ne permet de le décider
au nôtre ; et dans ce sacrifice, ils sont nommes a leur place
avec certitude, mais il est assez probable que le miracle de
ct dans leur rang comme des hommes de Dieu qui ont vaincu
Pétronia n'aurait pas été absent de la collection si l'auteur
le monde par leur confession. Ils ne sont pas irrvoqués p~r le
avait cu à sa disposition une relation écrite de l'événement.
prêtre qui offre le sacrifiee. Car il sacrifie à Dieu non aux sanr~s
Si d'autres libelli lui avaient servi de source, très probable-
bien que ce soit dans leur sanctuaire; car il n'est pas leur pre-
ment on en retrouverait quelque trace dans :;es récits. Ceux-ci
tre, mais le prêtre de Dieu 1 • T~lle est la doctrine d'Au~us­
d'ailleurs ont été utilisés aux mêmes fins que les libelli, comme
tin, qui a toujours été celle de l'Eglise, sur le culte .des sa~nts.
moyen de publicité et pour inviter au contrôle. L'auteur
Il l'inculque à son peuple en toute occasion, ct le JOur ou les
les appelle miracula fideliter descripta et publica atlestatione
reliques de S. Étienne furent déposées dans l'église d'Hip-
comprobala 4 • Ils étaient lus au peuple, le jour de la fête du
pone, il termina son sermon par ces paroles : Nlarlyr St.epha-
saint 5 , et lorsqu'un chapitre était terminé on cherchait
nus Jzic honoretw ; sed in eius honore coronalor Stephanz ado-
dans l'auditoire la personne dont il venait d'être question.
reftzr 2 •
Ainsi, après la lecture de la guérison .de la femme aveugle,
On a vu que S. Augustin a voulu amener l'évêque d'Uza-
lum à introduire chez lui l'usage des libelli. Un jour qu'il se
trouvait chez ce collègue et ami, il entendit raconter la gué- 1 P. 60H.
2 BH L 7860-61. Nous citons MSt., avec indication elu livre et
rison merveilleuse d'une femme de qualité nommée Pétronia. du chapitre. L'histoire de Mégéti,a es.t racontée dans le ch .. II c~u se-
Il engagea celle-ci à rédiger un libellus, ce qu'cH: s'empressa cond livre. C"cst TrLLEMONT, l'vlemozres, t. II, p. 467, qm pretend
de faire a. Le texte de cette pièce ne nous est pomt parvenu, " que Pétronia guérie par S. Estienne peut estrela mesme que Me-
gecia. "
1 De civitate Dei, l. XXII, c. 10. 3 Cette visite eut lieu vraisemblablement dans le courant de
2 Sermo :us, n. :1, P.L., t. XXXVIII, p. 1A40. l'année ~±26, ou de l'année précédente. Cum nuper i llic esse mus, dit
a P. 608. s Au<Justin De civitate Dei, t. II, p. 608.
, . • J.Vtst. n:
1. 5 MSt. I, 12, n. 2.

AnaL Bol!. XLIJI. - 6


LES HECUEILS AC';TIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 83

celle-ci est amenée :le peuple la félicite, et constate que celle Incapable de se remuer, il s'était fait porter au sanctuaire,
qui ne pouvait auparavant avancer sans auide marchait où il priait, couché sur le pavé de mosaïque. Après vingt
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seule et montait, sans aucun secours, les degrés de l'abside. jours, il voiL en songe un jeune homme, revêtu d'un habit
De même, un homme que tout le monde a.;~üt vu paralysé préeieux, qui lui ordonne de gagner à pied le locus mcmoriae,
et qui pouvait maintenant se mouvoir sans difficulté 1 • sans doute l'endroit précis où étaient placé~s les reliques. Il
~es miracles de l' << ami cle Dieu "• comme l'auteur appelle essaya, et son état s'améliora lentement. Au bout de quatre
S. Etienne, sont fort variés. Le premier, qui raconte une vi- mois, ne se sentant pas encore complètement rétabli, il son-
sion se rattachant à l'arrivi~e cles saintes reliques, nous ap- gea à partir. Il reçut un nouvel avertissement: c'était de ne
prend en .mème temps cc qui se passa à l'occasion de leur pas se presser et d'attendre quatre mois encore. Il obéit, et
translation. Elles furent d'aborcl dèpos(~es dans la chapelle après le temps révolu, il rentra à pied ehez lui 1 . Ne dirait-on
des SS. Félix et Gennadius, si lu<\~ clans Hll faubourg d'Uza- pas un cas d'incubation'? Ce serail le premier que l'on constate
lum. Quarante jours nprês, elles sonl transft:·rées solennelle- en Occident. Un certain Dal.ivus, d'Uzalum, écrasô par la
ment dans l'èglise de la ville. Gu peuple HOntbreux, chantant chute d'une maison, est rappelé à la vie. Il raconte l'appari-
des psaumes, escorte u~vüquc, assis sur un char, et portant tion du saint diacre qui s'est montré ù lui avant de le rani-
le reliquaire, qui contient elu sang et quelques parcelles d'os- xner 2 •
sements elu martyr 2 • Dans l'abside est placé un trône orné Voici un autre genre de miracles. Une femme restée trois
de tentures; les reliques y sont déposées et recouvertes d'tin ans sans nouvelles de son mari, entend une voix qui lui an-
voile 3 • Durant l'office on apporte une lettre de l'évêque de nonce sa prochaine arrivôe; elle le retrouve chez elle en ren-
Minorque, Sévère, racontant l'événement qui a suivi l'arri- trant 3 • Il y eut aussi une apparition de S. Étienne à Rusti-
vée, clans sa ville épiscopale, d'une autre portion des reliques cianus, lui annonçant le prochain retour de son fils qu'il
de S. Étienne. Ce le ,'g message, dont nous possédons encore croyait avoir été tué par les brigands 4 • Deux prisonniers
le texte 4, est l'his[ !\ de la conversion de tous les juifs de invoquent le saint et voient tomber leurs chaînes 5 • Le même
l'île, au nombre de 540, aeeomplie en huit jours de temps, et miracle se renouvelle pour un autre malheureux 6 • Ce ne fut
accompagnée d'une multilude de prodiges. Lecture en fut point sans une inspiration du saint que le peuple d'Uzalum
donnée aussitôt, à la grande joie du peuple qui témoigna son s'opposa à cc que l'évêque cédât à une autre église une partie
enthousiasme par des acclamations 5 • des reliques. Deux révélations avaient montré qüe cette trans-
Les principales guérisons d'Uzalum sont celle de l'aveu- lation n'était point agréable à Dieu 7 •
gle Hilaria, « civibus nota panaria )) 6, celle du barbier Con- Le premier livre se termine par un miracle qui était connu
corclius qui s'était rompu le pied 7, celle de }'_aveugle, guéri de S. Augustin. Il le rapporte clans un de ses sermons, ou
en portant la main sur le reliquaire 8 • Un nommé Donatien plutôt, dans deux de ses sermons ; car il avait à peine com-
aveugle lui aussi, a recouvré la vue. L'évêque le fait veni; mencé son récit, qu'il fut interrompu par la foule sous l'émo-
et l'interroge en présence de tout le peuple 9 .Un jeune homme tion d'un miracle qui venait cl' avoir lieu clans l'église même.
atteint de paralysie, est guéri par la poussière de la memo- Le lendemain, il compléta l'histoire 8 • C'est celle d'un enfant
ria rapportée par sa mère 10• L'histoire du maréchal fer- mort sans baptême, ù qui S. Étienne rendit la vie juste assez
rant Restitut us offre quelq nes particularités intéressantes.

1
MSt. II, 1. liMSt. 1, 2.
1 MSt. I, 11. 2 MSt. I, 6.
a MSt. I, 3. 4
BHL. 7859. a MSt. I, 5. 4 MSt. I, 14.
5 MSt. I, 2. 6 MSt. I, 3. 5 MSt. I, 9. a MSt. I, 10.
7
MSt. I, 4. 8 MSt. I, 8. 7 MSt. I, 7.
9
MSt. I, 13. 1
MSt; I, 12.
8 Sermo 323, 324. P.L., t. XXXVIII, p. 1445-47.
LES RECUEILS ANTIQUES DE MIRACLES DES SAINTS 85

de temps pour lui procurer la grâce du sacrement 1 • L'auteur dragon qui apparaît clans le ciel, court à l'église prier
met fin à la série après ce quinzième miracle, pour JW pas S. Étienne ; peu à peu le drBgon s'énfonça dans les nuages.
abuser de la patience des auditeurs, dont plusieurs, dit-il, Le lendemain un inconnu-- peut-être un ange apporb1
viennenl de loin. Et dans ses narrations se constate un souei une peinture représentant S. Ihienne, portant sur ses épau-
évident de la concision. les une croix dont le bout allait frapper les porles de la ville;
Cette préoccupation l'abandonne visiblement dans le se- de celles-ci sortait l'affreux dragon que le saint écrasait
cond livre, pl us long que le précédent bien que ne contenant triomphalement sous son pied 1 •
pas plus de quatre miracles. C'est bien le même auteur qui Le dernier miracle a été fait en faveur d'un intendant des
tient la plume, mais il a modifiô sa manière. La rhétorique finances : F loren ti us, dispensa lor pecun iae pz.zb licae. Il était
n'en est poinl absente, ct il a donné à l'histoire de Mégétia 2 , sorts le coup d'une accusation capitale. S. f~tienne le délivra
affligée d'une paralysie faciale, sans compter d'autres maux, de ses terreurs, et il fut renvoyé absous 2 • En commençant
des proportions considérables. Il entre dans de minutieux dé- cette dernière narration, l'auteur a l'nir d'annoncer une suile
tails concernant Mégétia ct sa famille, sur leurs allées et ve- d'histoires analogues, et d'ouvrir uw 11velle série. l\Iais il
nues, sur divers incidents qui précédèrent la guérison. L'un ne tient pas sa promesse, et le livre ;,~. '~rmine par l'excuse
des plus intéressants est celui de la eonsultatiOii que la mère banale dont les hagiographes abusent tant.
de Mégélia va demander à un célèbre praticien de Carthage.
L'auteur l'appelle archiatrum quemdam Felicem nomine. Cc Ce que nous avons appris des miracles de S. Étienne à Hip-
médecin ne serait autre que Cassius Felix, qui a laissé un pone et dans le cercle des rc:lations de S. Augustin présente
traité de médecine 3 • Le récit se complique de plusieurs vi- cet intérêt particulier qu'Hs peuvent être datés à quelques
sions, ct dans l'une d'elles Mégétia voit S. Étienne sous la années près. Quand S. Augustin écrivait son dernier livre dé
forme d'un beau cavalier 4 • la Cité de Dieu, le plus ancien rle ces miracles ne remontait
Le miracle dont a bénéficié Don:ü, personnage connu et pas à dix ans, quelques-uns venaient de sc passer. Les récits
estimé, est d'un tout autre caractère. Il avait dans sa pro- que nous en avons sortent d'un milieu qui nous est presque
priété 5 de grandes provisions d'excellents vins, qui étaient familier ct ils échappent généralement à la contagion du lieu
poui· lui une source de notables profits. Un jour il constate commun. La plupart des personnes qui s'y trouvent citées
que tout son vin est gâté. Il met sa confiance en S. Étienne, sont encore en vie; nous avons pour ainsi dire leur adresse,
et ordonne à un de "ses employés - il l'appelle praegustator et les contemporains h'avaient aucune peine à les découvrir
vini sui de porter une bouteille de ce vin au sanctuaire, pour peu qu'ils eussent le désir de les-questionner, d'apprécier
et de verser quelques gouttes du vin ainsi sanctifié dans cha- le bien-fondé de leurs dires, de juger, le cas échéant, du sérieux
cun des récipients. Le lendemain toute la provision avait de leur guérison. A distance, il faut le dire, beaucoup d'élé-
retrouvé ses qualités premières 6 • ments d'appréciation nous échappent. Mais s'il nous est clif-
Un jour, la population, terrifiée par la vue d'un immense ficile de nous prononcer sur le caractère des faits, nous avan-
çons ici sur un terrain qui ne se dérobe pas à tout instant sous'
1
MSt. l, 15. 2 MSt. II, 2. nos pas, comme nous l'avons constaté pour les recueils grees.
3
O. EnoBsT, Riograplzisc!zes ::u Cassius Felix, dans Plzilo/ogus,
t. LXVII (H.J08), p. :319-20. (A suivre.) H. D.
4 MSt. II, 2, n.19.
5
L'auteur écrit : in fundo suo suburbano cum /oco et nomine vo-
citato. Faut-il voir clans cette formule une allusion à un document - 1 MSt. II, 4.
un libellus peut-être,.__ donnant des détails plus précis que l'auteur a MSt. II, 5.
n'a pas jugé bon de reproduire?
6 MSt. II, 3.

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