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Table of Contents

Titre
Du même auteur
Copyright
Sommaire
Introduction
1 - Les Blancs, captifs et esclaves
La guerre pourvoyeuse de captifs (VIIe-Xe siècles)
Conquêtes en Espagne et en Italie : les rafles
En Orient : captifs grecs et perses
Les premiers grands marchés d’esclaves (IXe-Xe
siècles)
Esclaves saxons, marchands juifs et chrétiens
Les Russes et les Bulgares de la Volga
La ruée des Ottomans (XIIe-XVIe siècles)
2 - La chasse à l’homme chez les Noirs
La guerre sainte en Afrique
Contre le royaume du prêtre Jean
Les sultanats islamiques en Ethiopie (XIIe-XVe
siècles)
L’iman Gran et les Turcs (1529-1570)
Contre Tombouctou (1050-1080 et 1590-1600)
Hérétiques et rebelles
L’islam en Afrique noire. La conversion
Les pays du Niger, Mali et Songhaï
Le lac Tchad, Kanem et Bornou
Quel islam ? Bons et mauvais croyants
Les vertus des néophytes
L’Afrique des sorciers
Prétextes et mauvaises raisons
La guerre sainte au pays des Zendjs
Les fous de Dieu, chasseurs et trafiquants
d’esclaves
Sonni Ali, le tyran sanguinaire ?
Convertir ou asservir
Les razzias
Pièges et brigandages
La grande chasse
Les raids des musulmans : l’Egypte, le Maghreb
et les oasis
Les rois noirs et leurs guerriers
3 - Aventures et trafics
La quête de l’or. Musulmans et chrétiens
L’or du Soudan
Le commerce muet
Les marchands d’esclaves
Arabes dans la mer Rouge
Aventuriers, fugitifs, hérétiques
L’Afrique orientale
Les cités du désert
Postes de traite et villes du Soudan
Conquérants et soumis
Comptoirs maritimes d’Orient : métissages et
servitudes
Les oasis
Villes doubles, villes fermées
Les affaires, le troc
Les citadelles religieuses de l’islam
Caravanes du désert
Les routes : pèlerins et marchands
L’Egypte et l’Arabie
Le Sahara
L’eau, les guides, les périls
La mer rouge et l’océan indien
Les boutres arabes
Du golfe d’Oman à l’Inde et à la Chine
4 - L’homme de couleur mal aimé. Le mépris
Hommes et femmes en vente
Marchés de brousse et foires
Caravansérails, ruelles obscures, pavillons de thé
Guides, experts et maquignons
L’image du Noir
Noirs et métis, compagnons du prophète
Méprisés, humiliés
Les géographes et les climats
Fables et légendes
Racisme et ségrégation
Les voyageurs
Ce qu’ils ne veulent pas voir
L’Afrique noire, pays de l’autre
5 - Les Noirs, heureux de leur sort ?
La cour, le harem
Le luxe, l’apparat
Servantes et concubines
La femme cloîtrée
Les eunuques
Les armées
Blancs ou Noirs
Orient et Egypte
Maroc
Les casernements, la ville compartimentée
Menaces, troubles et conflits
Les durs travaux, la géhenne
Les mines dans le désert
Grands domaines esclavagistes
La canne à sucre et l’esclavage
Les champs de mil du Songhaï
L’infamie, la honte
Conclusion
Après l’interdiction
Le dépeuplement de l’Afrique
Portugais, Américains et Juifs
Les Noirs, trafiquants d’esclaves
Notes
Les états et les dynasties
Bibliographie
Index
Cartes
collection tempus

Jacques HEERS

O escravo em terras islâmicas


O primeiro comércio de escravos negros
VIIe-XVIe siècle

PERRIN
www.editions-perrin.fr
do mesmo autor
No seu bolso

1492-1530, a pressa para a América: Mirages e febres,


Bruxelas, complexo, a memória dos séculos no 222,
1992.
A primeira cruzada: libertar Jerusalém, 1095-1107, Paris
Perrin, Tempus no 12, 2002.
O Tribunal Pontifício no tempo dos Borgias e Medici,
1420-1520: vida quotidiana, Paris, literaturas de
Hachette, plural, 2003.
Luís XI, Paris, Perrin, Tempus no 40, 2004.
A cidade na idade média no Ocidente: paisagens,
poderes e conflitos, Paris, literaturas de Hachette,
plural, 2004.
Gilles de RaisParis Perrin, Tempus no 93, 2005.
Escravos e servos na idade média no mundo
Mediterrâneo, Paris, literaturas de Hachette, plural.
História, 2006.
Queda e morte de ConstantinoplaParis Perrin, Tempus
no 178, 2007.
Festas loucas e carnavais, Paris, literaturas de Hachette,
plural.
História no 8828, 2007.
Secrétaire générale de la collection : Marguerite de
Marcillac

© Editions Perrin, 2003 et 2007 pour la présente édition


Perrin, un département d’Édi8

12, avenue d’Italie


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
www.editions-perrin.fr

Mercado de escravos Nas sessões. Al Maqamat "(Folio


105), iluminado por Yahya BenMahmud Al-Wasiti e
escrito por Hariri al-Basri, al-Qasim ibn Ali al. (1237)
Biblioteca Nacional, Paris
© Leemage

EAN : 9782262065836

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Introduction
1 - Les Blancs, captifs et esclaves
La guerre pourvoyeuse de captifs (VIIe-Xe siècles)
Conquêtes en Espagne et en Italie : les rafles
En Orient : captifs grecs et perses
Les premiers grands marchés d’esclaves (IXe-Xe siècles)
Esclaves saxons, marchands juifs et chrétiens
Les Russes et les Bulgares de la Volga
La ruée des Ottomans (XIIe-XVIe siècles)
2 - La chasse à l’homme chez les Noirs
La guerre sainte en Afrique
Contre le royaume du prêtre Jean
Les sultanats islamiques en Ethiopie (XIIe-XVe
siècles)
L’iman Gran et les Turcs (1529-1570)
Contre Tombouctou (1050-1080 et 1590-1600)
Hérétiques et rebelles
L’islam en Afrique noire. La conversion
Les pays du Niger, Mali et Songhaï
Le lac Tchad, Kanem et Bornou
Quel islam ? Bons et mauvais croyants
Les vertus des néophytes
L’Afrique des sorciers
Prétextes et mauvaises raisons
La guerre sainte au pays des Zendjs
Les fous de Dieu, chasseurs et trafiquants
d’esclaves
Sonni Ali, le tyran sanguinaire ?
Convertir ou asservir
Les razzias
Pièges et brigandages
La grande chasse
Les raids des musulmans : l’Egypte, le Maghreb et
les oasis
Les rois noirs et leurs guerriers
3 - Aventures et trafics
La quête de l’or. Musulmans et chrétiens
L’or du Soudan
Le commerce muet
Les marchands d’esclaves
Arabes dans la mer Rouge
Aventuriers, fugitifs, hérétiques
L’Afrique orientale
Les cités du désert
Postes de traite et villes du Soudan
Conquérants et soumis
Comptoirs maritimes d’Orient : métissages et
servitudes
Les oasis
Villes doubles, villes fermées
Les affaires, le troc
Les citadelles religieuses de l’islam
Caravanes du désert
Les routes : pèlerins et marchands
L’Egypte et l’Arabie
Le Sahara
L’eau, les guides, les périls
La mer rouge et l’océan indien
Les boutres arabes
Du golfe d’Oman à l’Inde et à la Chine
4 - L’homme de couleur mal aimé. Le mépris
Hommes et femmes en vente
Marchés de brousse et foires
Caravansérails, ruelles obscures, pavillons de thé
Guides, experts et maquignons
L’image du Noir
Noirs et métis, compagnons du prophète
Méprisés, humiliés
Les géographes et les climats
Fables et légendes
Racisme et ségrégation
Les voyageurs
Ce qu’ils ne veulent pas voir
L’Afrique noire, pays de l’autre
5 - Les Noirs, heureux de leur sort ?
La cour, le harem
Le luxe, l’apparat
Servantes et concubines
La femme cloîtrée
Les eunuques
Les armées
Blancs ou Noirs
Orient et Egypte
Maroc
Les casernements, la ville compartimentée
Menaces, troubles et conflits
Les durs travaux, la géhenne
Les mines dans le désert
Grands domaines esclavagistes
La canne à sucre et l’esclavage
Les champs de mil du Songhaï
L’infamie, la honte
Conclusion
Après l’interdiction
Le dépeuplement de l’Afrique
Portugais, Américains et Juifs
Les Noirs, trafiquants d’esclaves
Notes
Les états et les dynasties
Bibliographie
Index
Cartes
Introdução

Os povos de África, ao longo de muitos séculos,


perderam vários milhões de homens, arrancados,
forçosamente levados a terras distantes para viver o
corte de mestres estrangeiros, para praticar uma língua
desconhecida, para respeitar as leis e costumes de outro
Mundo a ponto de perder, por vezes, de geração em
geração, a memória de suas origens.
Que esses infortúnios devem ser lembraram, não há
dúvida. Mas por que continuar a falar, como fazem
tantos autores, bem como o escravo de Nantes e
Bordeaux, e deste comércio europeu e Atlântico,
considerando-o unicamente responsável pelas misérias
da África, o seu sofrimento, a sua pobreza e Do seu
despovoamento?
A escravidão foi praticada, no sul do Sahara, entre os
negros, de um reino ou de uma tribo para outra, desde
tempos certamente muito remotos e tem sofrido em
todo o Tratado do Atlântico, sem que ele esteja lá para
nada. Além, o comércio muçulmano, para o Maghreb e
os Estados de o Oriente Médio, ativo das origens do
Islam, no rescaldo das grandes conquistas de Egipto e
então do Maghreb, exercido, em uma escala muito mais
larga, pelo mar no lado oriental do Continente e, no
terreno, através do deserto, por múltiplas estradas que
convergem para os mercados e portos do
MediterrâneoNascido. Não, como a dos cristãos, por 200
anos, mas por mais de 1200 anos. Ele só recuou antes
das empresas diplomáticas e militares das potências
coloniais, Inglaterra, em primeiro lugar, e não extinguir-
se, só gradualmente abrandou a desaparecer apenas em
Xxe Século. Este livro não pretende evocar todos os
aspectos do Tratado aos países do Islã, desde as origens
até o presente, mas apenas o longo período em que, a
partir Viie O Xvie século, eles foram os únicos a praticar
este comércio negro.
Em 1955, Claude Cahen, autor de um foco interessante
e pertinente sobre oHistória econômica e social do
Oriente muçulmano medieval, lamentou que esta
sociedade islâmica, que ele e outros não hesitaram em
descrever como uma "sociedade escrava", não tinha sido
objecto de um estudo um pouco documentado sobre o
assunto1*. Um quarto de século mais tarde, foi
provavelmente no mesmo ponto e um dos nossos
melhores especialistas na história da escravidão poderia,
em 1990, escrever que "o estudo do tráfico de escravos
sofreu uma distorção curiosa por causa de historiadores
que restringiam O escopo de suas pesquisas sobre esse
tráfego sinistro para as Américas e as ilhas açucareiras do
Caribe2 ».
Da escravidão entre muçulmanos, livros e textos
didáticos falam muito pouco.
No entanto, a presença de muitos, muitos escravos
nos países do Islã, do leste para o Marrocos, até o século
passado, sem dúvida. Todos os historiadores
muçulmanos, ao longo dos séculos, concordam com este
ponto e sublinham a sua importância.
Os médicos da lei, juristas, sultões e chefes de estado
nunca negaram que a escravidão estava em casa, no que
diz respeito ao tempo, a prática natural. Muito tarde
novamente, no ano 1842, o sultão de Marrocos fez, não
sem boa razão, a resposta ao Cônsul Inglês que "o
comércio de escravos é um fato que todos os Civilisa E as
Nações aderiu desde o tempo dos filhos de Adão até
hoje. " Ele invocou a Bíblia, em particular os hebreus, os
sumerianos e os egípcios, então os gregos e os romanos,
e, em conclusão, se recusou a simplesmente considerar
qualquer forma de proibição ou mesmo o controle
desses tráfico de cativos3.
O que o Alcorão diz? O que os médicos e os sábios
dizem? O que deve ser acreditado? Nada mais difícil:
para o Islã, como para tantas outras religiões e doutrinas,
o exegeta pode encontrar tudo e o oposto de tudo,
dependendo se ele está aderindo à primeira letra ou que
pretende interpretar, para especificar as circunstâncias
de um particular Escrever.
Vários autores não hesitaram em dizer que, para o Islã,
"haveria justificações para a escravidão tão forte na
religião como nos costumes4 ». Outros, muitos mais,
foram tão longe a ponto de afirmar que "nenhuma
confissão tem olhado tão ansiosamente como o Islã
sobre o destino da escravidão em geral e do negro em
particular." E para concluir: "se todos os mestres
escravos da Península Arábica e em outros lugares
tivessem sido obrigados a imitar o exemplo dado, em
632, por Muhammad, a escravidão teria praticamente
desaparecido do nosso mundo, quase doze séculos antes
de sua abolição na Europa"5. »
Sem dúvida ainda: Muhammad e alguns de seus
companheiros, certos filhos de cativos si, possuía um
certo número de escravos, feito prisioneiro durante as
primeiras expedições armadas, e parece que o Alcorão
tolerou a escravidão, Impor algumas restrições,
certamente não negligenciáveis, sobre os direitos do
mestre.
No entanto, para o historiador das sociedades, é tão
importante decidir, e neste ponto como de fato em
muitos outros, simplesmente interpretar a lei da melhor
forma possível? Nós todos sabemos que aderindo ao que
é escrito ou ensinado e não estudar práticas, é, para o
estudo das sociedades, um método muito ruim. Acreditar
que as proibições ditadas pela religião ou pelo direito
civil determinam comportamentos, é mostrar muito
NaiVeté e inevitavelmente leva ao erro. Desta forma,
temos cometido pesados e incontáveis. Como, por
exemplo, acreditar duramente como o ferro que no
mundo cristão na idade média, comerciantes, burgueses,
mesmo os camponeses não ousaram praticar o
empréstimo com interesse desde que a igreja o
condenou. O estudo das leis religiosas e leis estaduais é
certamente digno de atenção, rico de ensinamentos para
a análise de uma doutrina, uma ética, e para definir
intenções, pelo menos as intenções publicamente
exibidas, mas não para elaborar uma tabela de Maneiras.
É desrespeitoso acreditar que, neste ponto, tem sido
para todos os muçulmanos como para todos os outros
homens?
Alguns povos recordar-se-iam contente que o Koran e
os doutores do Islão impuseram limites: o homem bom é
esse que dá bom para a emancipação de um
escravo6. Libertar um cativo tornou possível expiar um
pecado ou uma falha séria em relação à comunidade. A
história, ou a lenda, quer Mansa mouse, rei do Mali, um
muçulmano, para ter, por vários anos, libertou pelo
menos um escravo por dia. Em alguns países do Islã, o
escravo poderia resgatar sua liberdade, por pagamentos
de parcelas, de acordo com os acordos estabelecidos
antecipadamente7. Também é verdade que muitos
maraneiros e médicos afirmaram que os escravos não
poderiam ser mantidos por mais de sete anos e que eles
tinham que ser libertados de suas cadeias, apenas para
ser dado a um serviço doméstico ordinário,
apropriadamente Tratada e bem alimentada.

As notas são encontradas no final do volume, p. 267.


1

Os brancos, cativos e escravos

A fornecedor guerra dos cativos (Viie-Xe Séculos

As conquistas muçulmanas, a Viie O Viiie século, tão


brutal e de tal magnitude que o mundo Mediterrâneo
nunca tinha conhecido nada assim, causou um número
considerável de capturas e, imediatamente, um tráfego
muito grande de homens e mulheres, levou em tropas
nos mercados da grande Cidades. A escravidão tornou-se
um fenômeno de massa afetando todos os
funcionamentos sociais, fora de proporção com o que
tinha sido no Império Bizantino.
Nos primórdios do Islã, os escravos eram, como na
antiguidade romana ou épocas bizantinas, na sua maioria
brancos, arredondados em expedições ou expostos a
mercados por traficantes que iam comprá-los em países
distantes, muito longe da terra do Islã.
CONQUÊTES na EEspanha e em EuCintura : Os resumos
Por muitos anos agora, nenhum autor poderia apoiar a
tese de Henri Patel8, muitas vezes apresentado muito
sistematicamente por seus discípulos que
deliberadamente alegou que as conquistas muçulmanas
tinham, no Mediterrâneo, provocou uma ruptura real,
tanto ecoEconômico como cultural, entre o leste e o
oeste, e assim a esclerose do tráfego marítimo reduziu-se
então a uma maneira da cabotagem de pequena escala.
Mas, como tantos outros forjados no abstrato sem uso
real e atento de fontes, era apenas uma teoria
especulativa, visão simples do espírito. Na verdade, a
relação comercial nunca parou. Com toda a
verossimilhança, alguns, até agora desprezíveis ou
bastante insignificante, até mesmo tomaram uma
quantidade considerável de impulso, até o ponto de
impor-se, e muito longe, como a principal negociação
entre os dois mundos: o artigo mais importante O
Ocidente cristão poderia oferecer aos Orientals era os
escravos9 ».
Ibn Khurdahbeth, geógrafo10, cite Ibn al-Fakih11 : "Do
mar ocidental, chegue no Oriente os escravos Roman
homens, Franks, lombards e Roman e mulheres
andaluzes" e Ibn Haukal12 Simplesmente afirma que "o
mais belo artigo importado da Espanha são os escravos,
meninas e belos meninos que foram sequestrados na
terra dos francos e na Galiza." Todos os eunucos Esélicos
encontrados na terra são trazidos da Espanha e assim
que chegam nós Châtre-los. Eles são mercadores judeus
que fazem isso. " Isso também é dito por outro autor,
obviamente, bem consciente destes trázeses, Al-
Istakhri13 : "O que vem do Maghreb são os queridos
escravos." Para tal escravo e para um homem que não
aprendeu um comércio, um Obtém, de acordo com sua
condição física e aparência, mil dinares e mais14. »
Cada aventura guerreira estava no acampamento dos
vencedores e, em seguida, nos mercados, na Espanha, no
Maghreb e até o Oriente, por um afluxo considerável de
cativos, mulheres e crianças. Outros seguiram um pouco
mais tarde, em tropas mais dispersas, trazido não pelos
guerreiros mas por comerciantes já no lugar, mestres e
gerentes de um comércio próspero rápido, sem a oferta
nunca Tarisse.
Na Península Ibérica, as tentativas de Reconquista
Cristão, muito limitado ainda nos primeiros dias,
Entraram em confronto com fortes resistências e
prontamente provocaram expedições terríveis de
represálias dos califas de Córdoba, mais mortais, mais
devastadores do que as primeiras ofensivas dos anos
700, durante a invasão do país. Em 985, Al-
Mansur15 Levou os seus homens para o saco de
Barcelona e, em 997, na cabeça de um exército
reputadamente invencível, vitórias em vitórias,
saqueando em saquear, fez guerra contra os cristãos até
a sua última Galiza com desconto, deixando Santiago de
Compostela no estado de Ruínas e cinzas, cidade
despovoada, homens e mulheres trouxeram escravos de
volta. Uma frota do Caliph, exército em Sevilha,
surpreendeu Lisboa em 1185; Os navios voltaram ao
porto desmoronando o peso dos prisioneiros
acorrentados. Alguns edifícios atravessariam mesmo a
costa de Galicia e aterram nas vilas piscatórias nos dias
adiantados. No Mediterrâneo, assim que foram tomados
pelos cristãos, as cidades da Costa Ibérica, de Barcelona a
Valência, foram, em todas as épocas boas, demitido
pelos piratas do Maghreb, Oran, vela e Mahdia.
Tarragona perdeu muitos homens naquele mesmo ano
1185.
Nenhuma fronteira, entre cristãos e muçulmanos, foi,
durante os séculos do que chamamos de idade média e
mais tarde ainda, nem bem definido nem bem guardado.
No Fronteira Que, em Castela, no Levante e na Andaluzia,
marcou o contacto entre os países reconquistados pelos
cristãos e os que permaneceram nas mãos dos
muçulmanos, os habitantes sofreram, de ambos os lados,
angústias e tristezas, as suas terras devastadas e as suas
casas Queimados, mulheres, homens e crianças
removidas à força. Falando, como fez e ainda fazer
alguns historiadores de segunda mão, uma civilização e
uma sociedade de "três culturas", muçulmano, judeu e
cristão, é um sinal de ignorância ou engano, ambos
juntos em geral. Regateando para redentões ou comércio
de escravos, em seguida, os acordos alcançados pelos
soberanos ou os governadores das cidades e províncias
mostram que mais de 300 cativos cristãos foram
liberados em 1410, 100 em 1417 e 500 CINQuant em
1439. Henri IV, rei de Castela, obteve, em 1456, que mil
prisioneiros foram imediatamente entregues a ele, e
então 333 cada um dos três anos seguintes. O viajante
alemão Jérôme Munzer avalia para 2000 o número de
cristãos cativos aprisionados nas cadeias de granada na
época da reconquista da cidade pelos reis católicos, em
1492. Dois a 3000 cativos tinham sido enviados pelo mar
à prisão de Tetouan, África16.
Em outra frente, os muçulmanos, mestres da Sicília e
do Sul da Itália até as ofensivas dos normandos nos anos
1080, lançou seus passeios contra os grandes mosteiros e
rotas de peregrinação para Roma ou para o Monte
Gargano ( Santuário de São Miguel). Os piratas
entrincheirados na costa do Levant espanhol, perto de
Denia e de Almeria, na maior parte Berbers e "Slavs", o
último escravos provavelmente anteriores, devastou as
cidades e as Pescas do Languedoc. Os sarracenos da
África tomaram Bari no Adriático, e no mar Tirreno, em
846, eles carregavam as escassas defesas de Roma; Eles
fizeram um saque enorme, relicário e vasos sagrados,
deixando a Basílica de São Paulo fora das paredes
completamente arruinado, suas paredes mal de pé.
Aqueles que foram chamados então os "africanos", do
ninho de corsairs de Mahdia, invadiram a cidade de
Genoa em 933 e, três anos mais tarde, forçado outra vez
a entrada ao porto na cabeça de uma frota de 200 velas.
Na terra cristã, os bandidos Saracen factoring em campos
fortificados, tão bem guardado ou tão mal identificados
que permaneceram fora de alcance por várias décadas:
na Campania, nas margens do rio Liri, na Provença, em
Fraxinetum No maciço dos mouros. Os seus pilotos
correram nas montanhas, até ao sopé dos grandes
passes, em Abruzzo e nos Alpes.
A caçada cativa era uma boa receita. Navios e
comerciantes do Egito carregado "Slavs", na verdade
calabresa, na maior parte, nos portos do Sul da Itália e do
Adriático. O ano 870, um monge Frank, embarcando Em
Bari para ir em uma peregrinação à Terra Santa, vê dois
navios ancorando ao Egito, carregando a bordo 3000
prisioneiros cristãos, prometido à escravidão. Este
mesmo monge, que visivelmente não hesitou em contar
muito grande, figuras para 6000 aqueles que, em vários
edifícios todos os mesmos, estavam a caminho da Síria17.
EN ORir : Cativos gregos e persas
A frota do califa de Bagdá BESIEGES Constantinopla em
673. Encontra as muralhas da cidade reforçadas por
fortes impressionantes e os formidáveis navios gregos
sifonóforos Capaz de lançar o terrível fogo grego, pronto
para lutar. Esta resistência bizantina arruína o
entusiasmo dos assaltantes que recuam e já não tentam
ataques fortes durante várias décadas. Em 716, eles
levaram suas tropas através da Anatólia, passaram pelo
estreito e penetraram na Trácia, enquanto uma frota de
mil navios circulou Constantinopla novamente. Mas,
atacados pelos búlgaros no norte, dizimados no mar pelo
fogo grego, os muçulmanos abandonam, desta vez
novamente, o cerco depois de um ano de lutas duras.
Estes primeiros impulsos quebrados, a guerra não foi
mais do que ataques de cavalaria, incursões selvagens,
sem aviso prévio, para não conquistar ou estabelecer
colônias militares, centros de guarnição para outras
ofensivas, mas simplesmente para o saque e a caça de
escravos. Entre os cristãos, as pessoas se refugiam em
campos fortificados, em Dorylaeum, em Smyrna, em
Milet. Nesta frente em movimento e incerto,
corajosamente defendida pelas colônias de acrites,
soldados e camponeses, os Warlords factoringed,
Sentinels aleatórios, em seus palácios cingido de paredes
elevadas. Poemas épicos, muitas vezes de origem
popular, talvez modelos de nossas canções gesto, o
conteúdo dos altos de armas de heróis, capitães de
castelos erguidos nas margens do Eufrates, mas também
dizer, em outros acentos, as ansiedades e tristezas
Pessoas pequenas, camponeses, aldeões, surpreendidos
no trabalho, incapazes de Fuja cedo o suficiente, levado
cativo para servir em terras distantes da Arábia ou do
Iraque.

Os primeiros grandes mercados de escravos (Ixe-Xe


Séculos

ESAXÕES ESCLAVES, Mercadores judeus e cristãos


Por muito tempo, geógrafos, viajantes e mercadores
muçulmanos realizaram os "Slavs" de todos os homens
que viviam fora de seus Estados, da Espanha às estepes
da Rússia e da Ásia Central, e, ainda mais, para as terras
desconhecidas Rebeldes reputados de Gog e Magog.
Os conquistadores muçulmanos só raramente
tentaram incursões tão longe de suas bases e escravos
eslavos só poderiam ser objetos traficadas. Aqueles de
Bohemia foram levados regularmente a Praga, centro da
castração para homens, e então a Regensburg. Aqueles
dos países mais mais norte, com o prisioneiro feito
exame Saxons durante as campanhas de Charlemagne
dos anos 780, foram emitidos aos estabelecimentos
fortificados grandes da estrada Germanic para terminar
no mercado de Verdun. De lá, eles foram levados para
Lyon, outra grande encruzilhada para esta negociação
dos cativos, em seguida, para Arles e Narbonne e,
finalmente, para os portos de Espanha, o Maghreb ou,
diretamente, o Oriente. Não era nem um pequeno
negócio, nem um curto período de tempo: em Xe Século
outra vez, Liutprand, Bishop de Cremona (920-972),
denunciou constantemente e Condemned os lucros
enormes, ordenadamente escandaloso, que os
comerciantes de Verdun realizaram. Ao mesmo tempo,
os cenos Esélicos trazidos para o mercado muçulmano
em Córdoba deram uma cifra de mais de 10000 no
espaço de 50 anos, de 912 a 961. Deram forma logo,
como os Turks no Oriente, povos não ainda Islamic, uma
parte grande das tropas e do corpo dos oficiais no serviço
do Caliph. No tempo da decadência deste Califado de
Córdoba e do espalhamento de poderes, nos anos 1000,
vários deles, especialmente no Levante ibérico, assumiu
a liderança de um pequeno reino, então completamente
independente18.
Os comerciantes dos países do Islã, também, não
estavam dispostos a se aventurar fora do mundo
Mediterrâneo e estavam relutantes em ir para a Gália,
onde eles se conheceram apenas populações hostis. Eles
não foram vistos atendendo os mercados de escravos,
quando os judeus eram comumente mostrados como os
mestres deste comércio infeliz. Alguns eram apenas
pessoas pequenas, peddlers vagando, vendedores de
bugigangas e lixo que levou apenas um ou dois cativos.
Outros, pelo contrário, bem no lugar com os palácios dos
francos, mestres das empresas localizadas em todo o
país, foram para ver os portos do Mediterrâneo muitas
tropas de prisioneiros, embarcou em direção ao Oriente.
Eles relatam dos eunucos ocidentais, escravos de ambos
os sexos, brocado, Pelts castor, Pelicas Marten e outras
peles e armas19. Nossos autores, muçulmanos e cristãos,
enfatizam particularmente o papel dos judeus que, na
Espanha muçulmana, muitas vezes formaram a maioria
da população nas principais cidades, especialmente em
Granada, comumente referida como Viiie Século, a
"cidade dos Jews". Comerciantes de produtos de luxo,
metais, jóias e sedas, mais raramente peão-mutuantes,
eles agrupados em pequenas sociedades de pais e
amigos, alguns estabelecidos em uma das cidades
próximas à fronteira castelhana, os outros nos portos da
Península Ibérica e do norte da África, e foram
certamente tendo em conta uma boa parte das
transações entre os dois mundos. Também foi
assegurado que, como os muçulmanos se recusaram a
fazê-lo, esses traficantes judeus assistiram à detenção
adequada de centros de castração20.
Entretanto, os comerciantes gallic e Christian,
principalmente de Verdun, eram também regularmente
negociar em Zaragoza e em outras cidades muçulmanas
em Spain para apresentar e vender cativos. Abbé Jean de
Gorze, encarregado de missão pelo imperador germânico
otton IHge Com o califa de Córdoba, ele foi acompanhado
por um daqueles comerciantes cristãos de Verdun, que
conhecia bem a Espanha21. Os Mozárabes, cristãos que
permaneceram na Espanha dominação muçulmana, não
permaneceram inativos; Passaram os Pyrenees,
frequentaram os mercados, em Verdun naturalmente e
mesmo nas cidades dos bancos do Rhine.
Para a Itália, os mesmos autores falam muito menos
dos judeus, mas mais frequentemente mercadores
cristãos, homens de mãos travessas, saqueadores e
cúmplices, líderes de incursões além dos Alpes ou do
outro lado do Adriático, todos os traficantes de escravos,
Capaz de fazer prisioneiros e trazer homens e mulheres
sem olhar para suas origens ou sua religião. Os
empresários venezianos, estes mais bem organizados e
mais honradamente conhecidos, Armando navios com
seus nomes, participaram dela. sujeito então a Bizâncio,
Veneza enfrentou os imperadores de Constantinopla que
haviam condenado formalmente este Tratado e
Ameaçou o culpado de duras sanções. Para pôr um fim a
estas trocas sinistras ou, pelo menos, para limitar os
lucros, Leo V o Armenian, Emperor (813-820), proibiu
todos seus assuntos, especialmente os venezianos, para
negociar nos portos de Egipto e de Syria. No entanto,
vivemos em traficantes ousados perseguindo escravos
em Abruzzo e Lazio para revendê-los no Maghreb22.
LÉ RUSSES e os BULGARES da VOlga
O Livro no previsão do negócio, atribuída ao escritor
Al-Hannah († 669), já mencionou escravos dos dois sexos
importados da terra dos khazares nas margens do Volga,
perto de sua boca. No entanto, o tráfego mercante com
as cidades da Rússia não floresceu até mais tarde,
quando a dinastia Sassanid e, em seguida, o Buwayhid,
ambos da Pérsia, reinou em Bagdá. O famoso culto ath-
tha ' alibi imagina uma conversa entre dois cortesãos do
rei Buyid Adud Al-Daula (977-983)23 E os faz falar de
jovens Escravos turcos, concubinas de Bukhara e servos
de Samarcanda. Nos mercados longínquos de Kiev e
bulghar, a capital dos búlgaros, os mercadores
muçulmanos eram quase todos da Transoxiana ou do
Khostian no nordeste do Irã. Os traficantes da cidade de
Mashhad vieram, a cada temporada, para o retorno de
suas expedições no norte e os países das estepes, para
vender em Bagdá vários tipos de peles, ovelhas e bois,
mel, cera e couros, os peitinhos e, especialmente
Escravos.
A fim de obter esses homens e mulheres, cada vez
mais numerosos e de origens cada dia mais distantes, os
muçulmanos persas lidavam com os búlgaros ou com os
russos, intermediários forçados, transportadores de
cativos. No ano 921, o califa Abbasid de Bagdá, Muqtadir,
enviou uma embaixada ao rei dos búlgaros do Volga. O
Secretário da expedição, Ahmed Ibn Fodlan, manteve, no
dia-a-dia, um registro de etapas e estágios de caravanas,
muito distantes em países até então desconhecidos; Ele
permanece muito tempo para descrever as maneiras e
usos políticos desses povos, tão diferentes daqueles de
seu mundo. O costume é que o rei dos khazares tem
vinte e cinco mulheres, cada uma das quais é filha de um
dos reis dos países vizinhos. Ele os leva voluntariamente
ou vigorosamente. Ele também tem escravos concubina
para sua camada de 60 que são todos de extrema beleza.
Todas estas mulheres, livres ou escravos, estão em um
castelo isolado em que cada um tem um pavilhão da
abóbada coberto com a madeira do teak. Cada um deles
tem um eunuco que a subtrai dos olhos. "E novamente:"
quando um grande personagem morre, o povo de sua
família diz a seus escravos filhas e seus meninos
escravos: "quem de você vai morrer com ele?" Para eles,
é uma honra sacrificar.
Ibn Fodlan também vê, em seu acampamento no rio,
os russos, "o mais imundo das criaturas de Deus", que
ancoram seus barcos nos bancos e construir grandes
casas de madeira. Em cada um destes podeSons, são
reunidos de dez a vinte pessoas. "Com eles estão lindas
jovens escravas destinadas aos comerciantes. Cada um
deles, os olhos de seu companheiro, tem relações sexuais
com um escravo. Às vezes, um grupo inteiro deles se
unem desta forma, um na frente do outro. Se um
comerciante entra naquele tempo, para comprar um
deles uma menina e encontra-lo coabitando com ela, o
homem não se destacar dela antes de ter satisfeito a sua
necessidade24. »
Foi, no decorrer do tempo, um comércio ordinário,
quase rotineiro, sujeito a costumes, regras e impostos.
"Quando os russos ou os povos de outras raças chegam
na terra dos búlgaros com escravos, o rei tem a direita
escolher um escravo fora de dez para ele." Os russos se
aventuraram muito longe e, das regiões mais distantes
do "país eslavo", trouxeram prisioneiros, tanto homens
como mulheres de ambos os sexos, e peles preciosas,
peles de castor e raposa negra. 200 anos após Ibn
Fodlan, Abu Hamid de Granada25, numa longa e árdua
jornada para a Europa Oriental, encontra os russos em
todo o caminho. Eles lhe contam sobre os Wisu, o povo
da área do Lago Ladoga onde os homens caçam o castor,
e o ARW da terra dos grandes rios que caçam o arminho
e o pouco cinzento. Além do Wisu, perto do mar Ártico,
"o mar das trevas", vive um povo nômade, o Yura, que,
contra espadas, entregar aos russos peles de Sable e
escravos. Estes dois comércios, peles de animais e gado
humano, foi em todos os lugares juntos26.
Lá também, os judeus certamente garantiu uma
parcela significativa do comércio, especialmente no leste,
para os produtos do Extremo Oriente asiático ou as
estepes e desertos das terras altas. O historiador e
geógrafo Ibn Khurdadhbeth dedica uma longa passagem
de sua descrição do mundo para estes judeus
Radhanitas27 e descreveu, nomes de muitos rios, cidades
e povos na sustentação, quatro de seus itinerários
grandes: um que chega do oeste, pelo mar, para Antioch,
outro ao longo da costa do Sul de Persia, outro ainda
perto O mar vermelho e o mar da Arábia para a Índia, e o
último, mais importante, para a Europa Central e os
países do Norte.

A corrida otomana (Xiie-Xvie Séculos

Em países islâmicos, principalmente no leste, os


escravos não basam famílias e tiveram pouco ou
nenhumas crianças. O número relativamente grande de
eunucos, a proibição muitas vezes feita para as mulheres
se casar, a mortalidade terrivelmente elevada devido às
condições de trabalho sobre as principais áreas e nas
minas, as guerras entre os soberanos, os povos e
Facções, doenças e epidemias, fizeram com que os
mestres vissem seu rebanho humano continuamente
enfraqueçam e tivessem que renová-lo. No entanto, a
partir do Ixe Século os conquistas tornaram-se sem fôlego
e os povos já sujeitos e convertidos eram não mais
territórios da caça. Durante vários séculos, os
muçulmanos deixaram de lançar suas tropas longe de
seus Estados, e o comércio de escravos fornece, de muito
longe, sem dúvida, o maior número de cativos.
As grandes ofensivas tomaram apenas alguns 300 anos
após os dos primeiros conquistadores quando os turcos
otomanos da Ásia Central, convertidos ao Islã, lançaram
novos ataques contra os cristãos na Anatólia: em
Erzerum de 1048, Em Redfish no ano seguinte. Em 1071,
em Mantzikiert, norte do Lago Van, eles infligiram uma
derrota retumbante sobre as tropas de Bizâncio,
capturou o Imperador Romano Diogenes, abriu o
caminho para Constantinopla, estabeleceu sua capital
em Bush e um sultanato em Konya, no coração de País.
Era mais uma vez o tempo das caças para os escravos,
sobre o mar e sobre a terra. Os poetas da corte, no
pagamento dos emires do Ottoman de Anatolia,
cantaram os exploits dos piratas de Smyrna e de Alania
que sequestraram mulheres e crianças de "estes cães dos
descrentes". De 1327 a 1348, Umur Pasha, um dos cinco
filhos do emir de Aydin28, ele mesmo Emir de Smyrna e
pirata em todos os ventos, Causando terror em todo o
Oriente Mediterrâneo, nas ilhas de Chio e Samos, e até
as costas do Peloponeso. Não para conquistar a terra,
nem mesmo para estabelecer guerreiros e comerciantes
em alguns contadores, mas para trazer de volta, a cada
temporada, espólio maravilhoso e centenas de
prisioneiros. Seus homens capturaram belos meninos e
meninas sem números durante esta caçada e os levaram
embora. Eles incendiaram todas as aldeias... No retorno,
ricos e pobres foram cheios de alegria por seu presente.
Toda a terra de Aydin estava cheia de riquezas e bens, e
a alegria reinava em todos os lugares. Meninas e
meninos, cordeiros, ovelhas, gansos, patos assados e
vinho foram desembarcados em abundância. A seu
irmão, deu como um presente um número de virgens às
faces da lua, cada um sem mil; Ele também lhe deu belos
meninos Frank para desamarrar as tranças de seus
cabelos. Para estes dons, ele acrescentou ouro, prata e
inúmeros cortes. Estes não eram meros roubos,
expedições de Forbans, de Outlaw, mas uma guerra
incentivada por líderes religiosos, aventuras bem
codificadas, conduzidas de acordo com a lei e as réguas
do Islam, em todos os respeitos uma guerra Holy: a
quinta parte do loot, " Parte de Deus ", foi para os órfãos,
os pobres e os viajantes29.
Os exércitos otomanos cruzaram os estreitos em torno
de 1350, estabeleceram-se em Adrianople, quebraram os
sérvios no Kosovo (1389) e depois os príncipes e os
cavaleiros da cruzada de Sigismundo da Hungria para
Nicopolis (1396). Por mais de um século, eles foram mais
longe e mais longe para caçar loot e escravos. Em 1432,
Bertrandn de la Broquière, conselheiro do Duque de
Bourgogne e Chargé de Mission no Oriente, de outra
forma bastante capaz de concordar com os turcos
durante sua viagem à Anatólia, cruza em seu caminho,
nos Balcãs, mais do que uma tropa miserável de Cativos
liderados por guerreiros no regresso de um Razzia aos
cristãos e, em seguida, torna-se consciente de como os
turcos tratam seus prisioneiros, todos condenados à
escravidão: Eu vi quinze homens que foram amarrados
juntos por Grandes cadeias pelo pescoço e bem dez
mulheres, que haviam sido capturados pouco antes em
uma corrida que os turcos haviam feito no Reino da
Bósnia e que eles estavam dirigindo para vendê-los a
Adrianople. Estes infelizes imploraram esmolas nos
portões da cidade; Foi uma grande pena ver os males
que sofreram30. Eles levaram as crianças para convertê-
los pela força e introduzi-los muito jovens para a
profissão de armas, para apresentá-los a um treinamento
duro para torná-los estes Janissaries, corpo de elite de
seu exército31.
Onde quer que suas tropas ou galeras de batalha
fossem, eram apenas incursões de prisioneiros, pilhagem
de guerra. E não só no país dos "cães dos descrentes":
em 1517, entrando no Cairo, vencedores do Império
Mameluco do Egito e da Síria, império muçulmano, é
claro, eles sequestraram muitos jovens imberbe meninos
e escravos negros.
Ao mesmo tempo e até a sua derrota retumbante de
Lepanto (7 de outubro de 1571), onde mais de uma
centena de suas galés de combate foram enviados pelo
fundo ou tomada pela tempestade, os turcos
continuaram a lançar todos os anos para o Ocidente,
Espanha e Itália Acima de tudo, asas fortes carregadas
com muitas peças de artilharia. Os Sultans gritaram sua
determinação para tomar Roma e aniquilar os Estados
cristãos, aqueles do rei de Spain primeiramente. Eles
falharam e esta perseguição implacável de seus ataques
tão longe de suas bases no Bósforo e na Ásia não tinha
para eles nenhum outro lucro do que para trazer
regularmente tropas de homens e mulheres, os jovens,
especialmente, tomadas nos cerdos das cidades ainda
Fortemente fortificados ou razziésed ao longo das costas.
De modo que esta guerra dos Sultans otomanos de
Constantinopla, de Selim IHge E Suleiman, o magnífico,
mais frequentemente trazido de volta a miseráveis e
cruéis resumos de homens. Em uma das grandes cidades
da Riviera genovesa, em 1531, um homem em cinco era
então um escravo entre os turcos. Em Argel, onde não
havia menos de seis ou sete Bagnes para os prisioneiros
cristãos, várias centenas de cativos, talvez mil, foram
Empilhou-se em condições terríveis, na maior prisão,
localizada bem no coração do tecido urbano, no Souk
principal que corria de uma porta para a outra. Foi um
vasto edifício de 70 pés de comprimento e 40 de largura,
ordenados em torno de um pátio e uma cisterna. Na
época de Hassan Pasha, nos anos 1540, 2000 homens
viviam em uma prisão menor e, um pouco mais tarde,
mais quatro centavos em um chamado "o bastardo". Em
Tunes, que permaneceu independente por muito tempo
um rei mourisco, o Conquest da cidade pelos Turks, em
1574, fêz-lhe muito apressadamente para construir oito
ou nove Bagnes, que eram mal bastante para CRAM a
guerra; Os homens pressionaram até dez ou quinze em
quartos minúsculos, inclinados e escuros32.
Cada conquista foi inevitavelmente acompanhada, em
territórios cada vez maiores, de uma caçada de escravos,
muitas vezes o principal objetivo da expedição. Os
turcos, vizinhos dos cristãos, muitas vezes invadem as
terras do último, não tanto pelo ódio da Cruz e da fé, não
para apreender ouro e prata, mas para caçar os homens
e levá-los para a escravidão. Quando eles
inesperadamente invadir fazendas, eles tomam não só os
adultos, mas também os bebês não desmamados eles
encontram abandonado por seus pais fugitivos; Eles
carregam-nos em sacos, e alimentá-los com grande
cuidado33. »
Para as incursões otomanas no Ocidente e na África,
ao mesmo tempo, foram os dos sultões muçulmanos do
Deccan que, para a corte e os exércitos como para o
serviço doméstico, estavam lançando Razzia em Razzia
contra os infiéis na Índia. Durante sua estada em Deli, Ibn
Battuta34 Testemunharam o regresso de uma caçada:
"tinha chegado de cativos indianos não-muçulmanos." O
vizir tinha-me dado dez. Eu dei um para aquele que os
trouxe para mim, mas ele não aceitá-lo; Meus
companheiros tomaram três jovens e, como para os
outros, eu não sei o que eles se tornaram. Ele também o
fez presente de várias aldeias, cujos rendimentos eram
ÉTheTeve que 5000 dinares um o ano. Estas expedições
não foram aventuras realizadas apenas por alguns
homens, mas de fato grandes operações que
mobilizaram grandes meios que apenas os senhores da
guerra, Sultans e Viziers poderia reunir: não-muçulmanos
factoring Em florestas de bambu grossas "que os
protegiam como um baluarte e de que poderiam ser
desalojadas somente com as tropas e os homens
poderosos que podem entrar estas florestas e cortar
estes bambus com ferramentas especiais35 ».
2

Caça do homem negro

A Guerra Santa na África

Mestres do Egito, os muçulmanos não lançam


imediatamente exércitos fortes para o Sul, onde a
conquista dos vastos territórios do vale do Alto Nilo foi
certamente muito difícil. Mais a oeste, dirigindo forças
de cavalaria importantes através dos desertos do Sahara
parecia uma aventura ainda mais arriscada. Assim, os
ataques à África negra têm sido por muito tempo
limitados a expedições sem Tomorrows real, apenas para
reconhecer os povos, para situar as fases e os pontos de
água e, acima de tudo, para trazer de volta para os
mercados das tropas de escravos razziés com pressa.
Verdadeiras conquistas não foram empreendidas até
mais tarde, vários séculos após a morte de Muhammad,
e apenas em dois setores, nas margens leste e oeste do
Sahara, onde a penetração parecia talvez menos árdua,
menos repleta de armadilhas, As estradas mais cedo e
melhor reconhecida, também onde os senhores da
guerra poderia confiar em poder forte, em soberanos
ambiciosos, e têm forças armadas consideráveis. Por um
lado, contra o Reino cristão da Etiópia, que os homens
ocidentais nomeou o Reino do "sacerdote João", do Egito
através do vale do Nilo e da Arábia pelo mar Vermelho.
Por outro lado, no Ocidente, onde o Reino muçulmano
de Marrocos era, em dois momentos é verdade
separados por longos séculos, forte o suficiente e
animado por uma vontade extraordinária de expandir
para arriscar suas tropas em uma empresa longa e
aterrorizante: mais de 100 dias Caminhando além de
Marrakech, incluindo 50 pelo menos em todo o deserto.
CContra o Reino do sacerdote JEan
Os egípcios primeiro lançaram suas tropas para Nubia
e para os outros países negros que eles chamaram de
"Sûdans", sem outro propósito do que impor aos reis
indígenas tributos pesados, essencialmente homens e
mulheres escravos.
Em 641, o Egito estava ocupado sem realmente lutar
pelos exércitos do Islã. No ano seguinte, em 642, uma
tropa comandada por Abd-Allah ibn sarth avançou muito
para o Sul, apreendeu Dongola, mas enfrentou forte
resistência dos nubianos que haviam vindo para o bar.36.
Seu rei, Kalidurat, ainda tinha de submeter-se, para
concordar com a construção de uma mesquita e para
prometer mantê-lo bem: "é até você para manter a
mesquita que os muçulmanos erguidos na grande praça
de sua cidade." Você não vai se opor a qualquer
muçulmano que pretende vir e servir voluntariamente
até que ele parta. "E, acima de tudo," você vai entregar a
cada ano 360 escravos dos dois sexos para ser escolhido
entre os melhores do seu país e enviado para o imã dos
muçulmanos. Todos serão impecáveis. Não haverá
nenhum velho decrépito, nenhuma mulher idosa,
nenhuma criança abaixo da idade da puberdade no
número. Ele prometeu não dar refúgio a qualquer
fugitivo: "se qualquer escravo pertencente aos
muçulmanos se refugiar com você, você não vai segurá-lo
de volta, mas vai levá-lo sobre as terras do islamismo e
se você destruir a mesquita, se você reter qualquer
porção Dos 360 escravos, então não haverá para você
nem Tratado nem salvaguarda37. »
Partido do Egito também, Busr Ben Abi ARTAH38 LED,
em 646, um pequeno exército no deserto de Sirte. Em
666-667, as tropas muçulmanas foram para o Fezzan,
apreendidos de Jarma, a cidade principal, onde seu líder
exigiu o mesmo tributo de 360 escravos. De lá, em quinze
noites de caminhada, ele chegou à terra de Kawar39, ao
norte do Lago Chade, e, por mais de um mês, colocou o
cerco à fortaleza onde os habitantes haviam fugido. Ele
falhou, mas ele tomou todos os outros lugares, bem
como o Palácio do rei, que por sua vez prometeu-se a
entregar todos os anos, muito precisamente, 360
escravos40.
Sultanatos islâmicos na Etiópia (Xiie-Xve Séculos
Por vários séculos, os exércitos do Egito não mais em
Nubia ou, além, na Abissínia. Ameaças, incursões e
invasões, e então os primeiros ataques contra os etíopes
não vieram do Norte, ao longo do vale do Nilo, mas do
leste, da costa africana do mar vermelho, onde os árabes
de Hijaz e Iêmen tinham , desde os primeiros dias do Islã,
fundou vários contadores mercantes, Ponte Cabeça para
embarques aleatórios no interior.
Em 615 ou 620, onze árabes, quatro deles
acompanhados por suas esposas, haviam se estabelecido
em um dos portos da Abissínia. Alguns anos mais tarde,
uma outra expedição, talvez uma fuga aventureira de um
clã perseguido por seus vizinhos, trazido nas mesmas
costas 63 homens e dezoito mulheres. Alguns
permaneceram apenas um curto período de tempo; Os
outros, mais numerosos, desfrutaram de uma ampla
hospitalidade e, indubitavelmente favorecidos por
contatos frutíferos com traficantes indígenas, fundaram
casas estáveis, construíram uma mesquita e casas. Mas a
relação até então muito pacífica entre árabes e africanos
de repente tomou outra vez em 628 com a invasão do
exército árabe de Khaibar seguido, em 631-632, por uma
série de invasões41.
Por sua vez, os Abissinianos não estavam apenas se
defendendo e replicando, mas armando para a corrida;
Em 702, eles lançaram um assalto na costa árabe,
incluindo o porto de Jeddah. Mas eles sofreram fracassos
duros e, forçados a recuar, deixando muitos mortos e
muitos prisioneiros no chão, incapazes de compensar as
suas perdas e de reunir outras frotas, foi para eles o fim
de suas ambições e tentativas de invasão em terras
islâmicas. Portos e estaleiros de armas completamente
arruinados, seus piratas reduzidos para assistir a presas
fáceis, seus navios mercantes destinados a cabotagem
modesta, eles só pensaram em resistir aos ataques de
árabes, iemenita e persas, ataques de Mais e mais
numerosos, já não limitado a algumas surpresas à noite.
No entanto, naqueles dias, os muçulmanos nunca
desembarcaram exércitos fortes e não fizeram planos
para invadir as terras altas com armas em suas mãos
para expulsar os oficiais cristãos do Reino do sacerdote
João e tomar o poder. Eles só se estabeleceram na costa,
acessível a partir da Arábia em algumas horas de
travessia, e estes eram apenas lugares de ordenha e
armazém. Estas empresas, muito modesto e, para alguns,
sem amanhã, espalhados em vários pontos-alguns pouco
conhecidos ou totalmente desconhecidos para os
historiadores mais tarde-foram geralmente feitas por
homens em busca de asilo ou comerciantes Gananciosos,
até aventureiros. A maioria deles não eram mesmo
propensos a ancorar em uma das praias do continente e
só se estabeleceram em ilhas protegidas da terra por um
canal estreito ou ligado apenas por uma língua da Terra
descoberto na maré baixa. Apesar de seus pequenos
números e sua situação frequentemente precária, alguns
contadores enfrentaram o tempo, desenvolveram e
rapidamente realizaram seu papel nas transações
comerciais, especialmente no contrabando de escravos
etíopes. O Arquipélago Dahlak, em frente à cidade de
Massaouah, primeiro refúgio simples ou escala para seus
navios e tipo de penitenciária para os homens
condenados pelos califas de Bagdá, a sua Já é permitido
preparar incursões nas tribos do sertão e armar-se para
um maior reconhecimento da costa ao sul. Foi então que
eles se estabeleceram em Zeila, perto do atual Djibouti;
Em seguida, em Aydab, Porto de embarque para os
peregrinos de Meca, mas que, localizado na saída da
caravana encostas provenientes do Nilo-principalmente a
partir de Aswan, que é de 15 dias de caminhada-foi, até o
início do Xve Século, o grande centro de troca de
produtos orientais de encontro aos cativos pretos;
Finalmente, em Souakim, uma cidade construída em uma
ilha separada do continente africano por um canal lotado
de corais, uma ilha povoada por Bugas, uma tribo de
negros que vivem no país entre o Nilo eo mar vermelho,
e já de Métis imigrantes árabes.
Os traficantes perseguiam cativos dentro do
continente, primeiro ao norte do planalto Abissíniano.
Uma caravana de cristãos etíopes, com 336 monges e
quinze freiras, que foi em uma peregrinação à Terra
Santa ao longo da costa ao norte, foi atacada por
nômades no pagamento destes traficantes; Todos foram
abatidos ou escravizados e levados para o outro lado do
mar. Os muçulmanos então se aventuraram mais e mais,
para o coração do Reino da Etiópia, onde freqüentavam
os postos de negociação, acampamentos de resumo na
encruzilhada das encostas, e funcionários mantidos em
cada cidade; Seguiram o rei cristão e a corte em suas
viagens. Nas áreas mais remotas, principalmente na terra
de Damot, no sudoeste do Reino, onde muitos pagãos
viveram, "eles compram pelas centenas os melhores
escravos que então se tornam bons mouros e guerreiros
valentes." Eles são vendidos a preços elevados para a
Índia e Grécia42 ».
As capturas e comboios exigiram relés, touts,
guerreiros e carcereiros responsáveis pelos gabinetes
rudimentares onde os prisioneiros foram mantidos. Estes
homens de confiança, misturando-se com os nativos,
formaram aqui e ali casas de populações mistas. Eles
estavam praticando stricO Islã, aplicado para converter
seus vizinhos e manteve vínculos com as cidades e cais
da costa, carregando por caravanas, em inúmeras
estradas, centenas ou milhares de homens e mulheres
acorrentados. É eles que, estabelecidos nos negros, de
uma forma muito precária, mas ainda familiarizado com
o país, os homens e as línguas, têm, muito cedo e muito
rapidamente, desde os primeiros anos 800, deu um
impulso considerável para a escravidão muçulmana do
Oriente. Nas terras altas nasceram, desde os primeiros
enclaves modestos, de uma maneira que nenhum
relatório da Crônica, sultanatos muçulmanos reais,
administrando-se, somente reconhecendo sua lei. Al-
Umari, um historiador do Egito e da África Oriental,
contou sete43. Outros autores dizem que são mais
numerosos, e seria muito arriscado reivindicar a conta
exata como a situação estava em toda parte em
movimento, incerto, à mercê dos próprios etíopes. No
entanto, a existência de vários sultanatos muçulmanos
perfeitamente autônomos, particularmente ativos e
prósperos, é sem dúvida: a de Adal, nas terras altas; que
de Shoa ou de Choa, atestada em torno do ano 1100,
longe da costa, ao oeste do Nile azul e apenas ao norte
do Rosário dos lagos internos; a de Awfat ou IFAT, da
dinastia Walashma, muito mais extensa, longe do mar
também; E alguns outros, ainda mais a oeste. Eles
tiraram de seu solo apenas escassas culturas e só tiveram
que sobreviver ao tráfego constante dos cativos
impulsionados, ao custo de longas e árdua jornadas, para
outros postos de negociação, lugares de estágio,
montagem e castração, em seguida, para a costa. O
sultão de Adal44, ele próprio um slaver experiente, na
cabeça de redes vastas, emitiu uma quantidade muito
regular de escravos a Meca, a Cairo e aos Estados de
Arábia45.
Para o grande desagrado dos sultões do Egito, que
esperavam encontrar neles aliados e vê-los atacando os
cristãos da Abissínia em várias frentes, os mestres desses
sultanatos islâmicos, ainda firmemente estabelecidos no
país, não ameaçaram realmente o Reino da Etiópia. Eles
Devido regularmente a um tributo que, em geral,
consistia de produtos do Iraque e do Iêmen, tecidos de
linho e seda feitos do outro lado do mar vermelho e
importados para a África em troca de escravos negros.
Eles nunca se uniram, mas, pelo contrário, eram
constantemente opostos a sórdimentos e brigas
contínuas, o refúgio de busca vencido na Abissínia. Muito
poucos foram os que realmente fizeram a guerra contra
os cristãos. A história ou lenda certamente diz que as
realizações do Walashma de Awfat que, por trinta anos-
de 1414 a 1444-levou seus homens para atacar as
cidades, mercados, igrejas e mosteiros do Abissíniano.
Herói lendário também, Sham Al-dia, sultão de Adal, na
cabeça de um exército de cavaleiros escravos brancos,
principalmente turcos, infligiu uma pesada derrota sobre
os etíopes e seu rei, o Eskender Negus46. Mas foi apenas
incursões para trazer de volta os homens e loot, não
realmente a guerra santa para a expansão do Islã e da
tutela dos infiéis. Nada mais poderia ser mais do que
alguns dos saltos desses Estados aventurou até agora em
terras cristãs para defender suas liberdades contra os
etíopes, porque eles estavam interessados em seus
assuntos, exigiu mais e mais pesado tributos e tentou por
todos Os meios para garantir um amplo acesso ao mar
vermelho. Ou não era, bastante ordinariamente, difícil
manter-se controle e defender os mercados e redes de
tráfego negro?
Apesar destes raros sucessos e façanhas de guerreiros
cantados por contos heróicos, os Estados islâmicos
nascidos de caça negra foram chamados a desaparecer.
O Negus Yaskaq (1414-1429) reage violentamente. Ele
lançou suas tropas, matou todos os muçulmanos
capturados no caminho e queimou suas mesquitas47.
O Iman Gran e os turcos (1529-1570)
A ameaça contra o Reino cristão não poderia vir dos
árabes pelo mar vermelho, não a partir destes
contadores, nem mesmo Destes Sultanatos, mais ou
menos estáveis, mais ou menos efêmeros, para quem a
negociação dos cativos negligenciou qualquer outra
preocupação, em qualquer outra empresa. As grandes
ofensivas foram lideradas pelos egípcios e, mais
importante, pelos turcos que, assim que colocaram as
mãos no Cairo, atacaram em força, foram vitoriosos no
sucesso marcante e foram, em um momento pelo
menos, à beira de tomar toda a Etiópia.
Foi primeiro e por alguns anos uma guerra santa
conduzida as bandeiras de um líder religioso, reformador
e tribuna, Iman Servo de Deus, que, reunindo multidões
de homens piedosos, caçou os infiéis e os crentes do mal.
Nascido em 1500, Ahmad ibn Ibrahim Al-Rhazi, a quem
os cristãos nomeados "Gragn" ou "Gran" (The Lefty), fez-
se famoso a partir da idade de dezoito anos por seus
sonhos, visões e profecias, e mais, pregador inspirado,
líder Mob, por suas chamadas para a revolta Contra os
habitantes do Cairo, especialmente contra o sultão Abu
Bakr48, contra a corrupção de oficiais de alto escalão,
contra líderes indigno ou impuros e a decadência da
moral. Ele foi pregar aos confins da Abissínia, fez aliança
com algumas tribos hostis ao Negus e proclamou a
Guerra Santa. Mestre do Sultanato de Adal, ele deu a sua
irmã em casamento a um dos líderes mais poderosos da
Somália. o comando de quatro emires muçulmanos e
vários patrices etíopes renegados, estes verdadeiros
Lanças de ofensivas, seu exército contou, dizem as
crônicas, 20000 arqueiros e 5000 pilotos, todos
folheados em brocado bordado com Filho dourado49.
Em março 1529 ele avançou suas tropas, invadiu as
terras altas, infligiu uma derrota retumbante sobre os
cristãos, expulsou-os dos sultanatos muçulmanos, Shoa e
vários outros que haviam assumido, e nomeados
governadores, imediatamente mestres do tráfego
Escravos etíopes. Seus guerreiros fanáticos aterrorizaram
as aldeias, levaram as mulheres e crianças reféns, e fez
em todos os lugares um enorme loot, imediatamente
repartida de acordo com a lei ", para um fio, uma agulha
Perto de ". Quando os homens acusados, as mulheres
seguiram; Eles correram em suas mulas e, após a Rout
dos inimigos, disse: "Eu levei quatro mulheres cristãs, e
outros disseram que tinham cinco ou seis." O
acampamento real dos cristãos foi invadido em 28 de
outubro de 1531: "levamos milhares de lindas mulheres,
filhos e filhas de Patrices." Para humilhar ainda mais os
vencidos, as nobres mulheres foram dadas
imediatamente como concubinas aos líderes
muçulmanos, nem todas elas de alto escalão.
Portanto, e este foi realmente o ponto decisivo desta
guerra que, de outra forma, certamente teria fôlego,
Gran recebeu o apoio e reforço dos turcos, que, mestres
do Egito em 1517, quebrou abruptamente com a política
dos sultões mamelucos do Cairo, Que, até então, tinha
mantido com o Reino cristão da Etiópia ainda tenso,
muitas vezes difíceis relações, mas manteve-se de
interferir na força. Por outro lado, estabelecido por
algum tempo na costa árabe, particularmente em Zabid,
uma cidade no Iêmen a uma distância baixa da costa e
norte de Moka, os turcos poderiam controlar os
movimentos dos navios no mar vermelho e facilmente
encaminhar mais reforços. Menos numerosos
provavelmente do que os guerreiros do Iman, eles foram
vistos a tomar a direção desta guerra que rapidamente
viu uma outra dimensão, a de uma guerra otomana, e,
portanto, um confronto muito mais geral, na frente da
África e do mar vermelho , entre o Islã e o cristianismo.
Até o ano 1310, o Negus pediu ajuda. Sua embaixada
em Avignon, perto do Papa Clemente V, fez com que os
cristãos do Ocidente pudessem agora identificar e até
situar este estado cristão, até então mítico e embaçado
de lendas. A guerra entre o Islã e a cristandade foi outro
campo de batalhas. O Papa e os reis estavam cientes do
interesse e da necessidade de aliarem-se com os cristãos
de África. Em 1317, Guillaume de Adão, autor de um
tratado para cobrir a Terra Santa, Então Saracen
Extirpendis, propôs fechar o mar vermelho à
Muçulmanos lançando uma ofensiva marítima para
ocupar Aden e a ilha de Socotra. Em 1422, Guillebert de
Lawson, outro autor aplicado para buscar formas de
enfraquecer o Islã e retomar Jerusalém, lamentou que,
para destruir o Egito, não se poderia desviar o curso do
Nilo: "Sudão [os negros da Núbia?]" Nunca poderia
desviar o jarro deste rio do Nilo, mas o padre John iria
fazê-lo bem e lhe daria outro curso, se ele quisesse. Se
ele faz isso, é para a grande quantidade de cristãos que
habitam o Egito, que, por sua causa, morreria de
fome50. No tempo em que ele atacou os sultanatos
muçulmanos da Abissínia, o Negus Yaskaq (1414-1429)
dirigiu dois embaixadores ao rei de Aragão. A partir de
então, a luta contra o Islã estendeu-se, através de todos
os tipos de ações diplomáticas e militares, muito além do
mundo Mediterrâneo. Os príncipes de Espanha e Itália
enviaram artesãos, arquitetos, carpinteiros, mestres de
vidro, fabricantes de órgãos e armeiros para a Etiópia.
Em 1480, na corte do sacerdote João, um bom dez
italianos, estimado por seus talentos, viveu, feliz com o
seu destino, estabeleceu-se lá por vinte e cinco anos.
Ao contrário do que lemos nos livros didáticos que
sempre favorecem a economia e a única busca de lucros,
devemos admitir que os portugueses, aventurando-se ao
reconhecimento da terra além do cabo da boa
esperança, não se importava Só a rota indiana e o
comércio de especiarias. Desta forma, eles também
engajados, não por acaso, não porque eles encontraram
no caminho para a Índia, mas deliberadamente, na
guerra contra os árabes, longe de Cochin e da costa
Malabar. A fim de melhor preparar a ação de seus navios,
o rei de Portugal fez, enviando uma missão de
observação imprudente, para reconhecer os futuros
teatros do combate, para avaliar as forças dos árabes e
os otomanos, para procurar aliados, talvez. De 1487 a
1490, Pedro de cavilha empreendeu, no terreno, uma
expedição longa e perigosa para visitar estes países e
apreciar os recursos dos inimigos: pelo Cairo, ele ganhou
Souakim, passou o mar vermelho, chegou Aden e dali
Jeddah, Meca e Medina, então Hormuz, para, após três
anos de cada vez mais arriscado e aventureiros
andamentos, espalhados com todos os tipos de
armadilhas, para encontrar a morte na Arábia. A ofensiva
marítima no Oceano Índico, inseparável das missões de
descoberta da rota da Índia, continuou Inabalável: Vasco
de gama, em janeiro de 1499, liderou sua frota na costa
africana dos somalis. Em 1517, no mesmo ano em que os
turcos roubaram o Egito dos Mamelucos, a cidade de
Zeila, onde os muçulmanos haviam se estabelecido nos
anos 1150, foi tirada e completamente queimada pelos
portugueses que, para arruinar o comércio árabe, liderou
uma campanha Sistematicamente contra todos os seus
contadores.
Trinta anos depois, em 12 de fevereiro de 1541, uma
frota portuguesa desembarcou 400 homens em
Massaouah e depois ainda outros, um pouco mais tarde,
em Arkiko, o porto do mar vermelho, ao lado de
Massaouah. Se os navios, que estavam perseguindo seu
caminho para o norte para atacar as posições fortes dos
turcos diretamente, foram mantidos em cheque, as
tropas, o comando de Christophe de gama, o quarto filho
de Vasco, conseguiu ganhar o planalto alto Abyssinian ,
primeiro eliminou uma terrível derrota contra o exército
do Iman Gran, reforçada por mil turcos e uma dúzia de
canhões, mas os sobreviventes foram se juntar ao Negus
Galawdemos (Claudius). Muito longe, cinco horas a pé ao
sul de Gondar, eles atacaram juntos e levaram o
acampamento muçulmano para Daradjé. O Emir Gran
deixou sua vida (fevereiro 1543).
A guerra para a Etiópia era durar muito tempo,
deixando o Reino cristão enfraquecido, suas igrejas
destruídas, as terras arruinadas, comunidades inteiras –
milhares de pessoas – reduzidas a servidão e levadas
além dos mares. O Negus Galawdemos foi morto em
combate em março de 1559 e decapitado no local: sua
cabeça foi colocada na parte de trás de um burro e, em
uma procissão burlesca, foi transportado para Nur. Ele
foi enviado para o Reino de Adal, onde ela estava Fixado
em uma estaca51. No entanto, graças à chegada de
alguns novos reforços portugueses, os turcos foram
expulsos das terras altas da Abissínia e forçados a recuar
para o norte para Souakim (EN 1558).
Nas batalhas da liga Santa dado forma pelo Papa para
parar a ofensiva do Ottoman no Mediterrâneo ocidental,
respondeu assim, ao mesmo tempo ou a alguns anos
perto, aqueles do Português cujo o relevo, embora
modesto no número, era não obstante Decisivo. Os
turcos, mantidos em cheque no Mediterrâneo no cerco
de Malta em 1565, e derrotados pelos cavaleiros de
Malta, os espanhóis e os italianos, em Lepanto, em 1571,
foram, na África, reprimidos da Abissínia em 1558 pelos
portugueses. Todas as suas tentativas de, a partir do
Iêmen desta vez, conquistar o Reino cristão, em seguida,
falhou miseravelmente; Em 1570, o ano antes de
Lepanto, eles tentaram pousar grandes partidos de
pilotos, mas conseguiu apenas ancorar e, alguns dias
depois, renunciou e foram forçados a embarcar todos os
seus homens, não sem prejuízo, ao preço das perdas
pesadas ; Similarmente em 1578, então novamente em
1589 e EN 159752. Não se tratava apenas da perda de
territórios e do fim das grandes ambições das conquistas,
mas também de fracassos duros, como ver um dos
maiores territórios para a caça e o tráfico de escravos
serem fechados.
CONTRE TOMBOUCTOU (1050-1080 ET 1590-1600)
L’an 682, une expédition partie de Marrakech
atteignait, au-delà de la région du Sous, les territoires des
tribus berbères du Sahara occidental : « Ils attaquèrent
les Massufa et, leur ayant fait quantité de prisonniers, ils
retournèrent sur leurs pas53. » La tradition veut qu’une
autre armée, sous le commandement du général Habib
ben Abi Ubaida, ait, entre 734 et 740, franchi le désert
par la piste du Draa jusqu’à l’Adrar de Mauritanie pour,
de nouveau, mettre à raison ces Berbères Massufa : « Il
avait envahi le Sous afin d’y châtier les Berbères et, ayant
fait sur eux un grand butin et une foule de prisonniers, il
s’était porté en avant jusqu’au pays des Massufa où il tua
beaucoup de monde et fit encore des prisonniers54. » Il
aurait même conduit ses hommes très loin, bien au-delà
du désert, dans les pays du Sénégal puis du Niger, et
serait arrivé jusqu’à Gao, razziant partout sur son
passage et expédiant vers le nord des foules de captifs.
Echecs ou retraits dictés par de dures nécessités, le
manque d’effectifs peut-être ou la forte résistance des
populations et des souverains de l’Afrique noire, ces
premiers grands raids transsahariens restèrent sans
conséquence ; les guerriers ramenaient des esclaves et
un butin mais ne tentaient en aucune façon d’occuper le
terrain ou de fonder de nouveaux établissements ; ils ne
laissaient derrière eux que ruines. Les survivants de
l’armée des conquérants qui réussirent à se maintenir
dans les pays des Noirs étaient trop peu nombreux pour
prendre le pouvoir ou même convertir les populations.
Tout au contraire : plusieurs communautés de Blancs,
Arabes et Berbères, rescapés de cette aventureuse
entreprise marocaine, se trouvèrent soumis et sujets
d’un royaume des Noirs, notamment à Aoudaghost où un
farbi noir percevait l’impôt (en 990). D’autres Berbères,
descendants des guerriers du début de la conquête,
s’étaient, eux, parfaitement intégrés sans pour autant se
fondre complètement dans les communautés
autochtones. « Au pays de Ghana, il y a des gens que l’on
appelle al-Hunayhin (el-Honeihin). Ce sont les fils
lointains des soldats des premiers temps de l’Islam. Ils
suivent la religion des gens du Ghana mais ils n’épousent
pas des femmes noires et leurs filles ne se marient pas
avec des Noirs. Aussi sont-ils de teint blanc, avec de
beaux traits de visage. On trouve encore des gens de
cette race ; on les appelle al-Faman55. »
Les musulmans ne reprirent vraiment l’offensive qu’au
XIe siècle, au temps des Almoravides, dynastie d’origine
berbère. Les Lemtuna, tribu berbère islamisée, nomades
du grand désert, menaient leurs troupeaux et leurs
guerriers de temps à autre vers les pays du Sénégal et
même du Niger. Vers l’an 1035, leur chef Yahia ben
Ibrahim fit le pèlerinage à La Mecque, résida quelque
temps à Kairouan et, soucieux d’instruire davantage son
peuple, fit appel à un saint homme nommé Abd Allah
ben Yacim, prédicateur inspiré qui vivait dans les pays
désertiques du Sud marocain. Celui-ci, réformateur au
zèle redoutable, interdit toute licence, toute négligence,
et fut vite tenu pour insupportable. Accompagné de
quelques fidèles, il n’eut alors d’autre ressource que de
se résigner à l’exil et de se réfugier dans un ribat,
monastère fortifié, sur la côte de Mauritanie. C’est de là
que ses disciples et ses compagnons, moines guerriers,
les Almoravides, « ceux qui portaient le voile », se
lancèrent à la conquête du Sahara occidental et, en tout
premier lieu, à l’attaque d’une tribu voisine qui refusait
de se plier aux réformes, en fait, de se soumettre. « Les
Lemtuna les razzièrent, y firent de nombreux captifs
qu’ils se partagèrent entre eux, après avoir remis à leur
émir un cinquième du butin. » Yahia ben Ibrahim tué au
combat en 1059, le commandement fut confié à Yahia
ben Omar, chef de guerre déjà victorieux lors de
plusieurs entreprises guerrières. Ils prirent Aoudaghost
en 1054-1055, s’emparèrent de tout ce qui s’y trouvait et
ramenèrent des captifs par milliers. L’année suivante,
en 1056, ils entraient dans l’oasis de Sijilmasa ; ils
occupèrent aussi Taroudant et, dans le même temps,
mirent la main sur le Sous. Ce n’est que quatre années
plus tard, en 1060, qu’ils se retournèrent vers le nord, et
osèrent attaquer les grandes cités ; ils fondèrent
Marrakech en 1062 et ne prirent Fez qu’en 1069, plus de
dix ans après avoir occupé les oasis du désert56.
En 1077, Abou Bahr ben Omar, frère de Yahia, assuré
alors du Maroc, lança ses troupes très loin vers le sud,
jusque dans le royaume du Ghana, en une expédition
sanglante, ponctuée partout de pillages, de massacres et
de chasses à l’homme. Dix ans plus tard, en 1087, il fut
tué d’une flèche tirée par un guerrier noir et ses hommes
quittèrent le pays.
Cette période, que les historiens musulmans, berbères
surtout – et en particulier Ibn Khaldun –, n’hésitent pas à
nommer la « paix almoravide », relativement courte au
demeurant, fut malgré tout celle des conversions de
quelques chefs et souverains des Noirs, la première
étant, semble-t-il, celle du roi du Tekrur, pays situé près
de l’Atlantique, au sud du fleuve Sénégal, en 1070.
Temps aussi, à en croire toujours Ibn Khaldun et les
historiens berbères, d’un trafic caravanier de plus en plus
régulier : tissus de soie, perles et coquillages servant
d’ornements ou de monnaies (les cauris), safran du
Maroc contre les esclaves noirs. Un prince de Gao aurait
fait venir d’Espagne des stèles funéraires sculptées à
Almeria. Temps donc du développement de nouveaux
centres d’échanges, déjà prospères : Tirekka (sur le
Niger, en aval) et peut-être Tombouctou. Mais cette
domination almoravide cessa dès l’an 1087 et ne laissa
d’autres traces que la conversion plus ou moins assurée
de quelques chefs de tribus.
La véritable occupation des pays du Soudan, au-delà
des déserts, ne fut menée à bien que quelque cinq cents
ans plus tard. Non par les rois du Maghreb qui, de
Tlemcen à Tunis, en luttes continuelles les uns contre les
autres, en butte à toutes sortes de rébellions et, très
souvent, à de sanglantes guerres de succession, n’ont
jamais, pendant des siècles, rassemblé des forces
suffisantes pour tenter vers le sud de grandes aventures.
Ils ne pouvaient conquérir dans les pays des Noirs de
vastes territoires ni occuper les oasis, carrefours de
routes. Cette occupation ne fut pas menée non plus,
ensuite, par les Turcs, maîtres d’Alger en 1516, un an
avant Le Caire. Les gouverneurs du sultan ottoman de
Constantinople, que nous appelons à tort les « rois
d’Alger », lancèrent certes plusieurs expéditions dans le
Sahara central. Alors que les Marocains préparaient leurs
attaques contre le Songhaï57, et sans doute pour les
contrer ou les devancer, le pacha d’Alger, Salah Raïs, déjà
célèbre pour ses courses en mer, mena en 1552 ses
troupes très loin, au-delà du désert. Il prit Tombouctou
où il fit, pour gonfler sa trésorerie, vendre à l’encan dix
mille Noirs, hommes et femmes de tous âges. Sur le
chemin du retour, il fit halte à Ouargla, que les habitants
apeurés avaient déserté ; il n’y trouva que quarante
chefs guerriers accompagnés de trafiquants et de
marabouts des Noirs, venus là vendre leurs esclaves et
qui rachetèrent leur propre liberté contre deux cent mille
pièces d’or. Simple épisode, sans conséquence, pas
même pour la traite58. Parfois couronnées de succès, les
entreprises des Turcs d’Alger demeuraient toutes sans
suite et, en aucun cas, ne pouvaient se conclure par
l’occupation de vastes territoires ni même des oasis.
L’offensive vers le Soudan occidental fut, comme celle
des Egyptiens contre les Ethiopiens, le fait d’un réveil
religieux et bénéficia de la prise du pouvoir, au Maroc,
par la dynastie des Saadiens. Réveil et réaction contre les
erreurs et les faiblesses des sultans Wattasides qui
régnaient depuis 147259. Réaction aussi contre la
présence des Portugais qui, de 1471 à 1506, occupèrent,
de Tanger à Santa Cruz de Aguer, au sud de l’oued Draa,
une dizaine de ports et de forteresses. Les Saadiens,
Arabes du Hedjaz, n’étaient installés au Maroc que
depuis le XVe siècle, dans la région de Zagora, aux confins
sahariens. En 1511, ils proclamèrent la guerre sainte,
prirent Marrakech en 1517 et Fez en 1554. Vers 1550, ils
revendiquèrent le contrôle des salines de Teghaza,
situées en plein Sahara sur la route du Niger, exploitées
alors pour le compte des souverains de l’empire noir du
Songhaï, les Askias. Une première expédition, en 1585,
leur permit d’occuper Teghaza mais demeura sans suite.
Al-Mansur60 relança l’attaque avec des moyens en tous
points considérables. Un réfugié de l’empire songhaï
d’Afrique noire, Ouloud Kirinfeld, proscrit et, disait-il,
injustement privé de son héritage, obtint au Maroc l’aide
qu’il demandait. Les Marocains réunirent une immense
armée confiée à Djoudar, un eunuque espagnol renégat,
armée formée pour une bonne part de mercenaires
andalous et dont le ravitaillement, lors de la traversée du
désert, était assuré par huit mille chameaux et mille
chevaux de bât. Ils quittèrent Marrakech en
novembre 1590 et, après une marche de mille cinq cents
kilomètres en d’effroyables déserts, arrivèrent, quatre
mois plus tard, début mars, sur le Niger. Vainqueurs
le 13 mars, à Tondibi, lors d’un combat qui ne dura que
deux heures, les musulmans entrèrent en force dans
Gao. Quelque temps après, al-Mansur destitua Djoudar,
à qui il reprochait de se satisfaire trop aisément des
offres de paix de l’Askia qui, pourtant, offrait un tribut de
dix mille esclaves et de cent mille pièces d’or. Le
commandement fut donné à Mahmoud, autre renégat,
qui infligea une retentissante défaite aux guerriers de
l’Askia, lequel fut massacré par les habitants de la ville où
il avait cherché refuge. L’empire du Songhaï fit place à un
gouvernement confié à un pacha nommé par le sultan du
Maroc. Les Marocains, qui avaient pu atteindre
quelques-unes des mines d’or, les plus accessibles, en
emportèrent au retour un chargement non négligeable
ainsi que de l’ivoire, des bois de teinture, des chevaux et,
surtout, un nombre considérable d’esclaves61.
La conquête du Songhaï provoqua aussitôt un
extraordinaire développement de la chasse aux captifs
dans les pays du Niger. Dès les premières années, les prix
de vente des hommes, qui était jusqu’alors de six ou dix
mithkâls d’or par tête, tomba à un dixième de mithkâl.
En 1594, une caravane comptait, au retour du Soudan,
mille deux cents captifs et, cinq ans plus tard, le chef
Djoudar, à la tête des troupes qui ne songeaient
maintenant qu’à razzier, à faire du butin, ramenait à
Marrakech un grand nombre d’eunuques et d’esclaves
des deux sexes, parmi lesquels les filles de l’askia Ishaq II,
empereur du Songhaï. Pendant tout le temps de
l’occupation marocaine, « les hommes s’entre-
dévoraient » ; le caïd Mansur, vainqueur de l’askia Nuh,
fit sur-le-champ prisonniers tous ceux qui
accompagnaient le souverain. Un autre caïd, Mami, fit la
guerre aux Zaghawa, « tua leurs hommes et emmena
leurs femmes et leurs enfants à Tombouctou, où ils
furent vendus pour deux cents à quatre cents cauris
chaque62 ».
Hérétiques et rebelles

Combattre à mort ceux qu’on qualifie d’ennemis de


Dieu, accusés de se dresser contre la Loi et contre
l’autorité ou, simplement, de mal se conformer aux
règles de la religion, a souvent conduit, chez les Hébreux
puis chez les Grecs et les Romains, enfin chez les
chrétiens comme chez les musulmans, à des guerres
d’extermination menées au nom du Bien ; pour détruire
ou humilier les vaincus accablés par le sort des armes,
pour leur faire perdre leur dignité, leur honneur ; en
définitive, pour les réduire en servitude. Les pratiques de
la Rome antique, ses triomphes et ses cortèges
d’esclaves enchaînés, se retrouvent souvent et pendant
très longtemps dans l’ensemble du monde
méditerranéen, en Orient comme en Occident et pas
seulement en pays d’islam. C’est ainsi que le pape
Clément V (1305-1314) proclamait que les Vénitiens,
capturés les armes à la main lors de la guerre contre
Ferrare, ville alliée ou sujette de Rome, seraient aussitôt
traités comme des esclaves. Grégoire XI (1370-137),
quelque temps plus tard, excommuniait les Florentins,
complices des villes rebelles, et déclara solennellement
que chacun pouvait, sans craindre le jugement et la
colère de Dieu, s’emparer de leurs biens et vendre à
l’encan les prisonniers sur les marchés63. L’an 1390, le roi
Jean d’Aragon s’arrogeait le droit d’appeler tous les
chrétiens à la guerre contre les bandes de « routiers »,
ces brigands de grands chemins, et contre les rebelles,
sardes et corses ; là aussi, les vaincus, prisonniers,
étaient traités en esclaves64. On ne parlait certes pas
toujours de croisade et de guerre sainte, mais de
« bonne guerre » ou de « guerre juste » et cela suffisait à
faire des hommes et des femmes insoumis des hors-la-loi
contre qui toutes violences, toutes formes de
dégradations, devenaient licites, parfois même
encouragées. A cette époque, dans les villes de Toscane,
cités « marchandes » nous dit-on, et que l’on présente
comme des refuges où les hommes ne songeaient qu’à
vivre en paix, les magistrats, responsables du Bon
gouvernement, désignaient communément aux
bourreaux et à la vindicte publique, comme « ennemis de
Dieu », ou, pire, comme « ennemis du peuple », tous
ceux qui luttaient ou intriguaient contre le parti au
pouvoir. En 1230, les Florentins, en guerre contre Sienne,
s’emparèrent d’un millier de prisonniers et les
ramenèrent, en troupes lamentables, jusque chez eux ;
dans le misérable cortège de ces captifs enchaînés, l’on
comptait bien sûr « de nombreuses belles femmes,
menées à Florence pour être les servantes esclaves de
ceux qui les avaient capturées ». Bien plus tard encore,
le 24 juillet 1501, les armées de Louis XII, roi de France,
et de César Borgia, neveu du pape, prirent la ville de
Capoue : sacs, massacres et viols ; « les femmes furent la
proie des vainqueurs qui, ensuite, allèrent les vendre à vil
prix sur les marchés de Rome65 ».
Le Coran, certes, interdit de réduire un musulman en
esclavage et les docteurs de la Loi rendaient toujours et
partout le même verdict : si le captif de guerre, pris dans
les pays des Infidèles, doit demeurer esclave, même s’il
se convertit aussitôt, celui qui, avant d’être capturé, était
déjà réputé bon musulman, respectant les préceptes de
la religion, même prisonnier de guerre, même captif lors
d’une razzia et ramené chargé de chaînes, devait être
considéré comme un homme libre, en possession de tous
ses droits. Quelques auteurs ne manquent pas de citer,
ici et là, comme des modèles pour l’édification des
croyants, tel ou tel trafiquant qui avaient refusé de
présenter un coreligionnaire sur le marché aux esclaves.
Qui voulait se conformer à la Loi ne pouvait donc
chasser que chez les Infidèles, en Afrique chez les Noirs
animistes qui n’avaient pas encore connu la prédication
ou refusaient de l’entendre, obstinément attachés à leurs
croyances ancestrales et à de coupables superstitions.
Mais que penser et comment traiter les mauvais
croyants, ces hommes qui se proclamaient musulmans
mais ne l’étaient que de façade, ou ces hérétiques qui
prétendaient interpréter la Loi et s’adonnaient à toutes
sortes de mauvaises pratiques ? Et des rebelles, révoltés
contre le calife, le sultan ou les émirs ?
Dans les pays d’islam, les persécutions et chasses aux
rebelles furent de tous les temps. Les musulmans ont
largement usé de ces expéditions punitives qui
autorisaient de combattre et de réduire en servitude
ceux que l’on disait mauvais croyants, tout
particulièrement en Afrique du Nord et en Espagne où
certains peuples, islamisés pourtant, ne furent pas
toujours à l’abri des attaques. Les souverains d’Egypte et
des royaumes du Maghreb lancèrent de nombreux raids
contre des populations notoirement converties, parfois
depuis de longs temps, au lendemain même de la
conquête. Les Berbères accusés d’hérésie, les Kharidjites
notamment, furent soumis à de dures vexations,
accablés autant d’impôts que les non-musulmans, et
leurs femmes capturées pour le harem. Révoltées, sous
la conduite de Maisar (dit le Pauvre ou le Vil), dans son
enfance simple porteur d’eau à Kairouan, plusieurs tribus
prirent Tanger avant de subir, en 740, lors du « combat
des nobles », une sanglante défaite qui leur coûta un
nombre considérable de tués et davantage encore de
prisonniers mis à la chaîne. Quelques années plus tard,
dans la région de Mérida en Espagne, les troupes de
Cordoue massacrèrent un grand nombre de rebelles,
berbères eux aussi, firent un millier de captifs, des
enfants surtout, vendus aussitôt sur les marchés.
En 1077, des centaines, peut-être des milliers de femmes
berbères d’une tribu d’Afrique déclarée hérétique furent
elles aussi exposées et mises aux enchères sur le marché
du Caire.
Il en fut de même en Afrique noire, dans les royaumes
du Soudan. Les musulmans ont trouvé là des Etats et des
peuples où, bien avant la diffusion de l’islam, les usages
faisaient que la menace de l’esclavage pesait tout
naturellement sur les insoumis, sur les rebelles, sur les
coupables de crimes ou de simples délits. Al-Bekri
rapporte que, d’après « les lois des pays des Noirs », la
victime d’un vol avait le choix entre tuer le coupable ou
le vendre comme esclave66. Et, deux cents ans plus tard,
le Vénitien Cà da Mosto, accompagnant un des navires
portugais lancés à la découverte des côtes d’Afrique, dit
que les Noirs, dans la région du fleuve Sénégal, « ont
grande crainte de leurs seigneurs, pour autant qu’iceux
irrités par la moindre faute qu’ils sauroyent commettre à
leur endroit, ils leur font saisir leurs femmes et leurs
enfants pour les exposer en vente67 ». Ces
condamnations qui faisaient de l’homme libre un esclave
ont certainement perduré au long des siècles et se sont
généralisées, considérablement aggravées du fait des
conquêtes et des conversions à l’islam. Certes, la
majeure partie des hommes et des femmes furent
capturés chez des peuples que l’on pouvait dire infidèles,
non encore ou non vraiment convertis. Mais, ailleurs,
plus loin au cœur des royaumes noirs, la situation, les
progrès de l’islamisation, la façon dont les peuples
pratiquaient leur nouvelle religion et respectaient la Loi,
tout cela paraissait, d’un pays à l’autre, aux plus
honnêtes même des observateurs, tellement confus que
les chasseurs d’hommes en quête de vastes territoires où
mener leurs guerriers pouvaient, sans trop de mauvaise
foi parfois, arguer du fait que telle tribu, telle ville ou
telle communauté n’observaient pas la vraie Loi et se
livraient encore à toutes sortes de prières et de
cérémonies hérétiques, païennes même.
L’ISLAM EN AFRIQUE NOIRE. LA CONVERSION
Au-delà du Sahara, la conversion des princes et des
peuples s’est faite davantage par les prédications que par
les conquêtes armées. La religion fut d’abord enseignée
par des négociants maghrébins, hommes souvent de
grand savoir, stricts croyants, riches d’argent et de
relations, capables d’imposer le respect et la
considération. C’étaient, pour la plupart, des Berbères :
ceux du Sud-Ouest saharien, les Sanhadja, maîtres des
routes qui menaient à Sijilmasa ; ceux qui allaient
trafiquer dans les pays de la boucle du Niger, aux
carrefours des pistes, à Ouargla et à Tadmakka-Gao ;
ceux du Sud-Est, de l’Aïr, du Kawar et d’un chapelet
d’oasis entre le Fezzan et le lac Tchad, qui firent de
Zaouila le principal poste de traite pour les captifs
enlevés dans le Sud lointain68.
L’islam amené par des étrangers apparaissait comme
la religion de l’homme qui a beaucoup voyagé, bien
connu le monde et beaucoup appris. « Les musulmans
sont particulièrement honorés, au point qu’on leur cède
le pas lorsqu’on les rencontreXXX24XXX. » Comme en tant
d’autres pays et pour tant d’autres religions, la
conversion, première étape pour la maîtrise des marchés
et de la traite, s’est faite d’abord et surtout par celle des
souverains. Nombre de ces Berbères ou Arabo-Berbères,
hommes de science et de négoce tout à la fois, devinrent
les secrétaires, conseillers et chargés d’affaires des rois
qui, avec plus ou moins de bonheur, ont imposé leur
nouvelle religion à leurs sujets. Et voyageurs comme
historiens de témoigner des vertus de ces rois néophytes
et des mérites des saints religieux, ulémas et marabouts,
qui en ont fait de bons croyants. Les shayks peuls
amenaient avec eux les livres saints ou les livres de
grammaire arabe et ne cessaient de contraindre les chefs
à se soumettre aux devoirs et aux pratiques de vie que
leur imposait l’islam : « Chaque jour, Ali ben Muhammad
Dubnama venait écouter Masbarma’Uthman lire et
expliquer le Coran avec les traditions (hadiths) jusqu’à ce
qu’il devînt un bon musulman. Masbarma lui donna
ordre de ne pas prendre plus de quatre femmes. Le
sultan obéit. Masbarma lui ordonna de mettre dans sa
maison autant d’esclaves qu’il voudrait, même un millier,
à condition de renvoyer les femmes libres qui étaient en
plus. Masbarma prescrivit la même mesure aux chefs du
Bornou69. » Le Livre des Biographies d’Al-Shammakh (†
1572) rapporte encore, plusieurs siècles plus tard,
comment Ali ben Yakhlaf, pieux érudit, ayant longtemps
voyagé pour son négoce dans les plus lointains districts
du Soudan, alla vivre au Mali. Le roi, après avoir sacrifié
en vain plusieurs animaux aux idoles, l’implora de prier
Dieu pour que cesse la sécheresse qui sévissait depuis de
longs jours dans son royaume, au point que les hommes
ne trouvaient plus à manger. « Impossible, dit-il, puisque
vous tous, ici, priez d’autres dieux. Le roi voulut
s’instruire. Ils allèrent ensemble sur une colline et le
pieux Ali lui enseigna la Loi. Le lendemain, l’eau tomba si
fort que seuls des bateaux pouvaient entrer dans la cité
et les pluies durèrent pendant dix-sept jours. Le roi
obligea toute sa famille, ses ministres et les habitants de
la ville à se convertir. Comme ceux qui demeuraient plus
loin, dans la brousse, le refusaient, il fit proclamer
qu’aucun non-croyant ne pourrait pénétrer dans ses
murs, à peine d’être mis à mort sur-le-champ70. »
Les pays du Niger, Mali et Songhaï
Le premier souverain musulman du Mali fut sans
doute Soundiata Keita. Fils d’une mère magicienne, il
avait passé sa jeunesse dans le royaume de Méma (au
nord de Djenné) et avait souvent fréquenté des
marchands arabo-berbères. Conversion ambiguë : les
chroniqueurs, qui le montrent vêtu « des habits de grand
roi musulman », célèbrent aussi ses pouvoirs magiques.
Toujours est-il que son fils et successeur, Mansa Oulé, fit
bien le pèlerinage à La Mecque71.
Le royaume du Mali, qui s’étendait de Gao à
l’embouchure de la Gambie, contrôlait le trafic de l’or. Il
connut son apogée sous le règne de Mansa Mousa
(1309 ou 1312 à 1332 ou 1337), musulman, homme
d’Etat remarquable, célèbre pour ses largesses et sa
magnificence, dont la réputation s’est étendue bien au-
delà des pays d’islam, au point de le voir figurer, très tôt,
peu de temps après sa mort, sur la carte catalane de
Dulcert (1339) et, plus tard, sur celle de Cresques (1375).
Dès 1360 ou environ, ce royaume entra dans une sombre
anarchie, attaqué par ses vassaux, en particulier,
l’an 1400, par les Mossis. En 1433, les Touaregs se
rendirent seuls maîtres de l’oasis de Oualata, grand
carrefour de routes, et le roi du Songhaï, Sonni Ali,
s’empara de Tombouctou en 1468 et de Djenné en 1480.
L’empire du Songhaï prit effectivement le relais, sous
la dynastie des Chi ou Sonni (1275-1493), illustrée
surtout par Sonni Ali (1464-1492), grand chef de guerre,
victorieux de plus de quinze campagnes, puis sous celle
des Askias (1493-1591), fondée par Mohammed qui
imposa un strict respect de l’islam et célébra sa victoire
par un fastueux pèlerinage.
Le lac Tchad, Kanem et Bornou
L’histoire, ou plutôt la tradition, retiennent ici les noms
de neuf rois animistes et, pour principal centre, un gros
village de paillotes et de tentes, refuges des pasteurs.
L’islamisation gagna très tôt les chefs. Le premier
converti fut Hommé, ou Homman, qui régna
de 1075 à 1086, et son royaume fut, pendant longtemps,
un foyer de diffusion de l’islam, plus à l’ouest, vers le
Soudan central. Passés de longs et misérables temps
d’anarchie, guerres civiles, révoltes et assassinats des
princes ou des héritiers, temps de défection aussi et
d’abandon de la foi islamique, le roi Ali (1479-1504) et
son fils Idris (1504-1526) ont repris le pays en main,
installé une nouvelle capitale à Ngazargamo (où Léon
l’Africain séjourne en 1513) et rassemblé de
considérables forces de cavalerie. Ce fut l’ère de la
grande traite et des terribles razzous chez les peuples
animistes du Sud. Le roi donnait quinze à vingt esclaves
pour un cheval et remboursait ses créanciers arabes ou
berbères en leur livrant des captifs72.
QUEL ISLAM ? BONS ET MAUVAIS CROYANTS
Les vertus des néophytes
Le pèlerinage des rois noirs à La Mecque faisait
connaître, toujours de façon spectaculaire, vraiment
ostentatoire, leur conversion. Les historiens en donnent
exactement la date, dénombrent les hommes de la suite
ainsi que les esclaves noirs porteurs d’or et de cadeaux.
Longues absences, signe d’un pouvoir solidement assuré,
largesses, générosités, grandes dépenses que les
chroniqueurs prennent soin de chiffrer. Mansa Mousa,
roi du Mali, fit don de vingt mille pièces d’or aux deux
villes saintes d’Arabie et l’askia Mohammed, restaurateur
de la vraie foi dans le Songhaï, quelque cent cinquante
ans plus tard, distribua plus de cent mille pièces.
Mansa Mousa arriva en Egypte en juillet 1324. Il avait,
dit-on, avec lui plusieurs milliers d’esclaves et quarante
mules chargées d’or. Il demeura trois mois au Caire et fit
partout sur son passage d’abondantes aumônes, de
centaines de mithkâls chacune. « Il a inondé la ville des
flots de sa générosité ; il n’a laissé aucun proche du
sultan, aucun titulaitre d’une charge sans lui faire
remettre une somme d’or. » Lorsque le
mihmandar73 mourut, on trouva chez lui, dans sa réserve,
des milliers de lingots d’or donnés par Mousa, encore
dans leur gangue de terre. « Certains marchands m’ont
raconté ce qu’ils avaient réalisé en gains et en bénéfices
sur ces gens-là. Si l’un d’entre eux [les Noirs] achetait une
chemise ou un vêtement, ou un drap, un voile, un
manteau, ou toute autre chose, il payait cinq dinars alors
que l’objet n’en valait qu’un seul. C’étaient des gens au
cœur simple et pleins de confiance. On pouvait tout faire
avec eux chaque fois qu’on les entreprenait. Ils prenaient
toute parole pour argent comptant74. » Avant leur
passage, le mithkâl d’or valait au moins vingt-cinq
dirhams mais, à cause de la grande quantité qu’ils en
mirent en Egypte, le cours descendit au-dessous de vingt-
deux dirhams.
Ils arrivèrent à La Mecque en octobre. Le retour fut
difficile et mouvementé, périlleux : la caravane s’égara,
fut attaquée par des Bédouins, rançonnée et perdit le
tiers des pèlerins dans les sables de l’Arabie. Au Caire,
Mansa Mousa ne resta que quelques jours, mal accueilli
puisque tout son or était déjà dans les mains des
marchands. Lui qui avait fait la fortune de tous ces gens,
se vit contraint d’emprunter à des usuriers qui ne lui
firent pas de cadeau. Plusieurs créanciers, méfiants,
agressifs, acharnés à se faire rembourser leur argent,
l’accompagnèrent sur le chemin du retour, jusqu’à Gao
et Tombouctou.
Du Caire et de ses habitants, des marchands et des
prêteurs, des chameliers et des guides, les Noirs ne
gardèrent que de mauvais souvenirs. Leurs heureuses et
bienveillantes dispositions des premiers jours, temps de
découverte d’un monde auréolé d’un tel prestige, se
gâtaient vite lorsqu’ils s’apercevaient qu’on les trompait.
« S’ils voient aujourd’hui le plus grand des docteurs de la
science et de la religion et si on leur dit qu’il est égyptien,
ils le querellent et pensent mal de lui, en souvenir de leur
triste expérience. »
Cependant, malgré ces déceptions, amertumes et
heurts parfois, les pèlerinages furent toujours, du moins
pour les souverains et les érudits des pays de l’Afrique
noire, l’occasion de renforcer les études du Coran et de
préparer une islamisation en profondeur des peuples de
leurs royaumes. Dans une caravane très réduite puisqu’il
avait, au Caire et à La Mecque, vendu presque tous ses
Noirs, Mansa Mousa ramenait tout de même d’Egypte
plusieurs autres esclaves, juifs et abyssins, des
chanteuses certes mais aussi des hommes libres,
artisans, artistes, hommes de lettres, tel le poète
andalou Tuwayjin qui s’installa à Tombouctou et, surtout,
trois docteurs de la Loi, « greffe de sang arabe dans le
Soudan ». Il aurait voulu s’assurer l’engagement de
chérifs de la descendance du Prophète. Le cheikh de La
Mecque refusa mais, contre mille mithkâls d’or, quatre
hommes de la tribu de Qoreich acceptèrent de
l’accompagner. De Tombouctou, des barques et des
pirogues les transportèrent vers le Mali, les
débarquèrent à Kani et ils fondèrent une mosquée tout
près de là75.
Bien plus tard, As-Sayuti, heureux de voir se
manifester un tel zèle, rapporte comment, en l’an 1484,
Ali, roi du Bournou, vint, de séjour au Caire, lui rendre
visite avec toute sa suite pour s’instruire de la science
religieuse et des hadiths : « Ils étudièrent avec moi un
certain nombre de mes ouvrages et prirent avec eux une
collection de mes œuvres, plus de vingt76. »
Grands désirs de s’instruire, fréquentation des savants
et des hommes de loi, la conversion à l’islam fut bien
réelle dans l’entourage des princes, à la cour, dans les
villes-capitales et les villes du négoce. Les préceptes et
les prières y étaient strictement observés, le Coran
enseigné de façon irréprochable. Les voyageurs reçus par
le roi, témoins chez lui et chez ses proches de tant de
manifestations d’un bon zèle, s’émerveillaient de voir ses
sujets pratiquer leur religion mieux parfois que dans
certaines villes acquises depuis longtemps par l’islam :
« Le vendredi, si le fidèle ne se rend pas de bonne heure
à la mosquée, il ne trouve plus de place, tant il y a de
monde ; il est d’usage que chaque fidèle envoie son
esclave porter sa natte de prière pour qu’il la place à
l’endroit convenable en attendant l’arrivée de son maître
(ces nattes sont faites des feuilles d’un arbre qui
ressemble au palmier, mais n’a pas de fruits). L’usage
veut que les Noirs portent de beaux vêtements blancs le
vendredi ; si un Noir n’a qu’une seule chemise usée, il la
lave, la nettoie et la revêt. Les Noirs mettent des
entraves aux pieds de l’enfant qui fait preuve, d’après
eux, de négligence pour étudier le Coran ; ces entraves
ne sont ôtées que lorsque l’enfant sait le Coran par
cœur77. »
L’Afrique des sorciers
Ces conversions demeuraient pourtant fragiles.
Plusieurs peuples chez les Noirs se disaient musulmans,
mais ils ne s’étaient ralliés à leur nouvelle religion que de
façon très superficielle et ils n’avaient pas véritablement
changé leurs façons de vivre.
Bons ou mauvais croyants ? Vrais ou faux musulmans ?
Qui pouvait le savoir et le dire ? Les rois ou les chefs
religieux avaient, sans trop de mauvaise foi, quelques
raisons d’accuser les peuples d’un royaume voisin de leur
idolâtrie ; ils invoquaient alors leur fausse religion et,
sollicités évidemment par les trafiquants, pressés par la
demande et les difficultés de trésorerie, lançaient leurs
guerriers à l’attaque et à la chasse à l’homme. Ce
n’étaient pas qu’artifices et faux prétextes car nul ne
pouvaient nier que, loin des cités, la religion avait été
enseignée non par des érudits, mais par des prédicateurs
populaires, par des fagihs, des petites gens souvent
venus du Nord ou des Noirs du Soudan qui prêchaient
dans leur propre ethnie. Là où ils furent moins nombreux
et moins actifs, l’islam ne pouvait connaître une
implantation durable et les pratiques, les prières mêmes,
furent moins bien observées. « Au total, cet islam
populaire, immergé dans un animisme luxuriant, resta
très faible, d’autant plus qu’il n’était pas soutenu par les
ulémas qui auraient pu l’aider à se purifier et à
s’enraciner78. »
Même chez certains peuples réputés islamisés, n’ont
été convertis que le roi et ceux qui l’approchaient, ceux
qui vivaient directement sous son influence, en fait les
habitants des villes. Les voyageurs notent partout sur
leur chemin que « les gens de la ville sont musulmans
mais que la brousse est restée païenne ». Là, ils vénèrent
des arbres et des pierres et font auprès d’eux des
sacrifices, des dons, des invocations, des promesses, des
prières pour le succès de leurs récoltes ou de leurs
affaires. Ils croient aux devins et aux sorciers.
Sur le chemin du pèlerinage de La Mecque, Ibn Jobayr
devait, du Caire, rejoindre l’un des ports de la mer Rouge
et fut contraint de traverser les terres des Bujâs. Il eut
beaucoup à souffrir de leurs façons d’exploiter les
étrangers et n’en dit que du mal : « Cette tribu de Noirs
est plus égarée que des bêtes et moins sensée qu’elles.
Ces gens n’ont, au vrai, d’autre religion que de proclamer
l’unicité de Dieu pour prouver leur foi en l’islam mais, au-
delà, rien dans leurs fausses conduites et dans leurs
doctrines n’est satisfaisant ni licite. Les hommes et les
femmes circulent presque nus, avec un chiffon pour
dissimuler leur sexe, encore que la plupart ne cachent
rien ! Bref, ce sont des gens sans moralité et ce n’est
donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction
divine79. » Et de les pourchasser jusque dans leurs
villages, pour en ramener des esclaves.
Sur la côte des Somalis, au-delà du cap Guardafu (Cap
des aromates), l’islamisation fit peu de progrès et
demeura très limitée, très incertaine. Les habitants des
comptoirs de la mer Rouge étaient parfaitement croyants
mais Qarfuna, près du cap, et Bazuna au nord de
Mogadiscio étaient encore, dans une large mesure,
habités par des païens. Plus au sud, Idrisi ne trouvait une
majorité de musulmans que dans l’île d’Anjaba et tous
les marchands qu’il interroge lui parlent des pratiques
animistes des hommes d’Al-Banus, de Malinde et de
Mombasa, sur le continent80.
PRÉTEXTES ET MAUVAISES RAISONS
La guerre sainte au pays des Zendjs
Plusieurs historiens – musulmans ou chrétiens – ont,
sans grand risque semble-t-il d’être démentis, affirmé
que la guerre, dite alors guerre sainte, contre telle ou
telle tribu en Afrique noire ne fut que prétexte pour
capturer hommes et femmes chez ceux que, à l’occasion
et sans vraie raison, l’on qualifiait d’Infidèles. Chefs de
guerre et négociants trouvaient maints arguments et
maintes occasions pour mener leurs assauts, assurant
que, ici et là, les musulmans noirs n’étaient pas vraiment
de bons croyants. Ces Noirs, disaient-ils, n’appliquaient
pas la Loi de manière stricte ; ils se comportaient comme
des païens, écoutaient encore leurs sorciers,
s’adonnaient à la magie, adoraient des idoles et ne
priaient pas Dieu.
« Les habitants de cette contrée [Kilwa, sur la côte de
l’océan Indien] mènent la guerre sainte parce que leur
pays est contigu à celui des impies Zendjs. Ce sont des
gens pieux et vertueux. » Le sultan de Kilwa, célébré pour
ses dons au peuple et pour ses actes de charité, lançait
des attaques meurtrières, ramenait un butin mais prenait
soin d’en prélever le cinquième pour les œuvres
prescrites par le Coran ; il le déposait dans une caisse et
lorsque les chérifs venaient le voir d’Irak, du Hedjaz et
d’ailleurs, il la leur remettait81.
La guerre contre les Noirs d’Afrique orientale a,
pendant des siècles, à la cour des califes de Bagdad, puis
plus tard chez les Turcs ottomans et dans l’Inde
musulmane ensuite, inspiré les auteurs d’épopées ou de
récits légendaires, et les peintres de scènes de batailles
ou d’exploits de toutes sortes. Une enluminure de
Behzad (1455-1536), artiste persan le plus célèbre de son
temps, familier de la cour du sultan Hosein Bayqara à
Herat, montre, pour illustrer le Khamseh, livre de Nizami
(1140-1203), épopée romanesque comptant cinq
poèmes, un épisode de cette chasse aux Noirs dite, en
l’occasion, guerre sainte. Cavaliers blancs et noirs
s’affrontent lance en main, tous à dos de chameaux, en
plein désert, sur fond de dunes82. Par ailleurs, poètes et
artistes n’hésitaient pas à accommoder l’histoire
d’Alexandre de façon à faire du héros grec et de son père
mythique, Darab, les champions de la lutte contre ces
hommes de couleur infidèles. Deux peintures indiennes
des années 1580-1585, rappellent les épisodes de la
guerre de ce Darab contre les Zendjs d’Afrique. L’une est
une scène de combat : sur fond de rochers escarpés, le
héros, monté sur un cheval tout entier couvert de riches
étoffes brodées d’or, se bat seul, l’épée haut brandie,
contre trois Noirs, eux aussi à cheval, armés d’épées et
de lances. L’un d’eux gît déjà à terre, mort, la tête au sol.
Dans l’autre scène, Darab reçoit la soumission des chefs
zendjs vaincus. En pleine campagne, sous un grand arbre,
il siège sur son trône, vêtu de somptueux habits de
couleur rouge, coiffé d’un casque d’or. Trois fidèles
courtisans veillent sur lui. Six Noirs, désarmés, leurs têtes
prises dans des sortes de turbans ou de bonnets, se
tiennent debout, humbles, chaudement habillés de
longues vestes boutonnées de haut en bas83.
Les fous de Dieu, chasseurs et trafiquants d’esclaves
De saints hommes, chefs de sectes renommés à tort
ou à raison pour leur grande piété, menaient souvent le
combat contre ceux que l’on dit et l’on veut croire
infidèles et hérétiques, ou simplement mauvais
musulmans ; ils appelaient à l’offensive, rassemblaient
des troupes de fidèles et, bien sûr, ramenaient des
cohortes de pauvres captifs.
Moreau de Charbonneau, administrateur et
explorateur du Sénégal de 1674 à 1677, auteur d’un
savant traité, De l’origine des Nègres d’Afrique, décrit
longuement les entreprises des Marocains de la secte
des Toubenae contre les Noirs, musulmans certes mais
renommés « relâchés ». Ils les accusaient de professer
l’islam tout en buvant du vin de palme et de la bière de
millet. Leurs sorciers vendaient des amulettes. Leurs
femmes ne se voilaient ni la figure ni les seins. Leurs
hommes dansaient de manière impudique au son des
tam-tams. Ils n’avaient pas de mosquée, révéraient leurs
totems, vénéraient moins le Coran que les gris-gris dont
ils étaient couverts des pieds à la tête « et qui parfois
pesaient si lourd qu’il fallait s’y prendre à plusieurs pour
les mettre en selle ». Ces peuples du Soudan occidental
avaient déjà, à plusieurs reprises et tout au long des
temps depuis la conquête musulmane du Maroc, souffert
de toutes sortes d’exactions, proies faciles pour les
réformateurs qui, du Nord, descendaient sur eux en
vagues successives, chacune plus sanglante que la
précédente, toujours occasion de rafles et de profits pour
les marchands d’esclaves. En 1673, les hommes des
Toubenae s’engagèrent à les remettre sur le droit
chemin. Leur marabout, vénéré pour avoir accompli
divers miracles, comme de faire pousser partout les
grains en abondance jusqu’en plein désert ou presque,
envoya plusieurs messagers chez les Noirs, exigeant
qu’ils abandonnent leurs mauvaises coutumes et se
rallient véritablement à l’islam. A leur refus, ses guerriers
fanatisés marchèrent au combat avec des cris de joie,
chantant des hymnes, agitant leurs drapeaux verts
portant, brodés en lettres d’or, des textes du Coran. Ils
incendièrent ou rasèrent les villages, massacrèrent les
hommes par milliers, emmenèrent les femmes et les
enfants loin de chez eux. Les survivants souffrirent
longtemps d’une telle misère, si intolérable qu’un grand
nombre d’entre eux allèrent d’eux-mêmes se vendre
comme esclaves. Et Charbonneau de conclure : « On a dit
que la conversion à l’islam était d’un grand bénéfice pour
les Noirs car un musulman ne réduisait pas à l’esclavage
d’autres musulmans. Cette immunité a peut-être été
valable en d’autres pays mais certainement pas au
Sénégal. » Il y avait, dit-il, un bon nombre de captifs
musulmans dans les baraquements de la traite, y compris
un saint homme ; ces esclaves avaient été livrés aux
Français par des musulmans84.
Sonni Ali, le tyran sanguinaire ?
Dans le Songhaï, pays pourtant islamisé depuis
quelque temps et dont la conversion ne fut nullement
remise en question, là où de saints hommes prêchaient la
vraie foi, les bons musulmans, même les meilleurs
d’entre eux, eurent à souffrir des persécutions,
massacres et captures en grand nombre. Non du fait des
envahisseurs étrangers mais de leurs propres souverains
qui avaient eux aussi professé l’islam. Certains étaient
retournés ou à l’indifférence ou à de vilaines pratiques,
d’autres ne respectaient plus aucune contrainte et ne
pouvaient supporter la présence des religieux, juristes et
docteurs (ulémas), dont l’influence sur les populations
leur portait ombre. A en croire les chroniqueurs et
historiens musulmans, ceux de Tombouctou surtout les
plus acharnés à lui forger une terrible réputation, Sonni
Ali n’était musulman que de façade. Il offrait des
animaux en sacrifice aux mosquées mais ne se levait ni
ne s’inclinait et se prosternait lors des prières. Il restait
assis alors qu’il était plein de santé et fort, sans aucune
maladie ni infirmité. Il remettait les cinq prières jusqu’à
la fin de la nuit ou au lendemain et, alors, faisait les
gestes à plusieurs reprises, tout en restant assis et en
désignant chacune des prières du jour par son nom.
Après quoi, il faisait une seule salutation finale et disait :
« Maintenant, répartissez tout cela entre vous, puisque
vous vous connaissez bien. » On disait aussi qu’il ne
s’embarrassait pas, pour les femmes à épouser, des
conditions islamiques du mariage et des autres
prescriptions85. Les censeurs, saints hommes, ulémas et
notables l’accusaient de tous les méfaits. Au soir d’une
bataille et du sac d’une cité, celle-ci sanctuaire de l’islam
pourtant, « il mit à mort des lettrés et des juristes, ainsi
que leurs femmes et leurs enfants à la mamelle. Il
émascula des hommes de grand renom qui, dans leurs
villes, étaient respectés et honorés, chargés de dire le
vrai et le bien, de juger des délits et des crimes ; à
d’autres, il coupa le nez et les mains. Il s’appropria le
bien des autres, s’empara de leurs femmes et vendit des
hommes libres en nombre ». Prince de Gao, Sonni Ali
s’empara, en janvier 1468, de Tombouctou qu’il incendia
et laissa ruinée : « Il s’empressa de faire périr ou
d’humilier, d’asservir les savants et les juristes demeurés
là… On vit des hommes d’âge mur, tous barbus, trembler
de peur au moment d’enfourcher un chameau et tomber
à terre dès que l’animal se relevait. » Il donna l’ordre de
lui amener, pour en faire ses concubines, trente vierges,
filles de savants. Il se trouvait alors au port de Kabara86 et
voulut qu’elles fassent le trajet à pied. Epuisées, mortes
de faim et de soif, elles s’arrêtèrent en chemin ; il les fit
tuer sur place87. Guerre contre l’islam, ou guerre du roi
des Noirs contre les hommes venus du Nord, contre les
Berbères ? Les Touaregs, maîtres de Tombouctou, furent
chassés ou devinrent ses vassaux. Ou, plus simplement,
chasse au butin et aux esclaves ?
Homme d’une trouble réputation, mauvais croyant
donc, il n’hésitait pourtant pas, en tant qu’empereur du
Songhaï (1464-1492), à mener aussi de rudes campagnes
et faire quantité de prisonniers chez les peuples voisins,
notoirement convertis à l’islam pourtant, et poussait
l’impudence jusqu’à les accuser, contre toute
vraisemblance, d’être de peu de foi. Ses guerriers allaient
souvent dans la brousse, attaquer et « casser » les
villages pour nul autre profit que de s’emparer de ces
paysans, déclarés, pour l’occasion, infidèles ou rebelles88.
Il conquit le Bara, pays des Berbères Sanhadja, alors
gouverné par une femme ; il envahit et soumit toutes les
montagnes où campaient d’autres tribus.
Sonni Ali ne fut certes pas le seul à provoquer
l’indignation des pieux religieux pour avoir lancé toute
une armée ou de forts partis de cavaliers contre des
peuples islamisés depuis longtemps, piller les riches cités
et faire la chasse aux hommes dans les villages. Les
askias, souverains qui, au Songhaï, succédèrent aux
Sonni, et se réclamaient pourtant d’une plus stricte
observance de la religion, furent eux aussi accusés de
s’en prendre, toujours et encore pour faire des captifs, à
de bons croyants. Le cadi de Tombouctou reprochait à
l’askia Ishaq (1539-1549) de capturer et de vendre des
hommes libres, tous musulmans. On voyait alors des
captifs, appartenant à de grandes familles des pays
voisins et du Songhaï même, conduits enchaînés sur le
marché de Tombouctou89. Ces entreprises guerrières et
ces trafics entretenaient un tel climat d’hostilité à
Tombouctou que ces ventes d’esclaves provoquèrent,
en 1588, une effroyable guerre civile qui mit le pays à
deux doigts de sa perte.
Convertir ou asservir
Il est clair pourtant que les attaques contre de vrais
musulmans, dont la piété et les pratiques ne pouvaient
être mises en doute, ne furent pas seulement le fait de
religieux fanatiques ou de princes sanguinaires,
tyranniques, condamnés par les docteurs de la Loi90.
En 1391-1392, le souverain du Bornou fit tenir au sultan
d’Egypte une longue missive, fort sévère et très
circonstanciée, pour se plaindre des attaques
sanguinaires conduites, presque chaque saison, par les
Djudham91 et par d’autres tribus arabes : « Ils ont enlevé
nombre de nos sujets libres, des femmes, des enfants,
des hommes faibles, des gens de notre parenté et
d’autres musulmans. Ils ont fait incursion dans les
villages des vrais musulmans. Ils les vendent aux
marchands d’esclaves de l’Egypte, de la Syrie et
d’ailleurs. Ils en gardent certains pour leur service. Il faut
que ces malheureux captifs soient maintenant
recherchés, où qu’ils se trouvent, pour être enfin
libérés92. » Au XVIe siècle, lors de leur grande offensive,
les Marocains emmenèrent un grand nombre de
musulmans du Songhaï, docteurs de la Loi et
jurisconsultes renommés même, enchaînés jusqu’à
Marrakech93.
La quête des esclaves, la nécessité de maintenir le prix
de ce bétail humain à un faible niveau ont-elles vraiment,
comme l’affirment nombre d’auteurs, non pamphlétaires
ou historiens après coup mais véritables témoins, incité
les rois et les chefs guerriers à contrarier le zèle des
prédicateurs et donc freiné la propagation de l’islam ? Au
XIXe siècle, l’explorateur allemand Nachtigal voyait bien
que les chefs musulmans du pays des
Baguirmi94 n’avaient fait aucun effort pour rallier à leur
religion leurs voisins, de crainte de tarir une source
d’esclaves qu’ils exploitaient depuis plus de trois siècles.
Les armées du « commandeur des croyants » Ousmane
dan Fodio, fondateur, dans les premières années 1800,
de l’empire peul de Sokoto95, ont sans trop de mal envahi
plusieurs royaumes des Haoussas. L’empire s’étendit
alors au sud du Niger où un émirat peul fut créé à Ilorin,
et, au-delà du Bénoué, affluent du Niger non loin du
delta, sur le plateau volcanique Adamaoua, conquis par
Adama, un des fidèles d’Ousmane. Cependant, les chefs
de ces armées et les chefs religieux montraient peu
d’empressement à enseigner leur religion aux peuples
qu’ils venaient d’occuper et de soumettre, les gardant
plutôt susceptibles d’être asservis, taxés, ou razziés et
réduits à la condition d’esclaves.
Il paraît hors de doute qu’en différents pays, pour
garder ouverts de vastes territoires où conduire les
meutes de guerriers, « l’espace était aménagé, à partir
des zones islamisées, de telle manière qu’il existe
toujours un “ailleurs”, fournisseur en dehors du
royaume, celui-ci protégé par l’ambigu pouvoir d’un
souverain officiellement musulman96 ». Très tard encore,
au début du XIXe siècle, à Saint-Louis-du-Sénégal, les
voyageurs et observateurs de toutes sortes n’ont cessé
de faire remarquer que maîtres et esclaves étaient
également musulmans, sans que l’on puisse vraiment,
sur ce point, par leurs pratiques et leurs comportements,
les distinguer les uns des autres97.
Laisser subsister, dans le royaume même, des
populations encore attachées à leurs anciennes
croyances et, aux frontières de ce même royaume,
tolérer des pays rebelles à l’islamisme, ne pas y faire
entendre l’appel à la prière, ne pas tout mettre en œuvre
pour instruire les païens, n’était-ce pas manquer au
devoir du souverain musulman ? Mais n’était-ce pas aussi
se réserver des territoires de chasse ?
LES RAZZIAS
Depuis les temps que, faute d’aucune indication
précise, l’on pourrait dire immémoriaux, en tout cas fort
anciens, les peuples au sud du Sahara s’affrontaient
entre ethnies ou entre tribus et, plus souvent, lançaient
leurs guerriers razzier dans les villages voisins, à seule fin
de ramener des femmes et des hommes captifs. Dans la
plupart des pays d’Afrique noire, le nombre des esclaves
marquait la condition sociale. On ne disait pas d’un
homme riche, d’un notable, qu’il possédait tant de terres
mais tant de captifs ou tant de femmes, ce qui,
généralement, revenait au même. Au long des siècles
bien avant la diffusion de l’islam en maints endroits,
vaincus et vassaux devaient livrer, en signe de
soumission ou d’allégeance, un certain nombre
d’hommes et de femmes98.
C’est ainsi que, depuis ses origines, le royaume de
Dahomey fut un Etat prédateur qui conquit et annexa
plusieurs peuples qui vivaient sur ses frontières
septentrionales et orientales, respectivement les Yoruba
et les Mahi. Les prisonniers étaient capturés et conduits à
Ahomey, la capitale99. Bien plus tard, dans les
années 1810, Othman, roi du Baguirmi, entre le Tchad et
le Chari, fit soumission au roi (sultan ?) de Ouadai100 au
prix d’un tribut considérable : cent hommes pour le
travail de la terre, trente belles femmes de premier
choix, cent chevaux et mille chemises101.
La conversion à l’islam des princes et des chefs n’a
provoqué aucune trêve dans ces chasses aux hommes.
Tout au contraire. La demande des marchés, jusque très
loin de l’Afrique noire, la présence de trafiquants
étrangers, les uns besogneux, sordides, hommes des
pièges et des trahisons, les autres de haut rang, hommes
de bien et de biens, ont fait partout courir davantage aux
captifs, dresser davantage d’enclos, forger plus de
chaînes.
Pièges et brigandages
Sur les côtes de l’océan Indien, là où les musulmans ne
disposaient ni de structures politiques ni de forces
armées solides, les guerriers et les forbans ont
certainement précédé les chefs de guerre et les hommes
de bon négoce. Sans trop de risques, à partir de quelques
ancrages dans les îles ou sur des sites à l’abri d’une
surprise, ils razziaient sur le rivage même, sans
s’aventurer dans l’intérieur des terres, exploitant ainsi un
véritable vivier de populations prises par surprise ou trop
hospitalières. Témoin ce récit du Livre des Merveilles de
l’Inde, œuvre du « capitaine » Buzug ibn Shahriyar,
Persan qui, vers l’an 950, a retranscrit cent trente-six
contes de marins, occasion de parler des pays de tout
l’Orient, du Caire à la Chine et au Japon : en 922, des
marins d’Oman faisaient voile vers Quanbaloh
(Kambala)102 lorsqu’une violente tempête les poussa
jusque devant Sofala. « Réalisant que nous risquions
d’aborder chez des nègres cannibales et d’y périr, nous
fîmes nos ablutions et tournâmes nos cœurs vers Dieu. »
Mais les hommes de cette terre ne cherchaient
nullement à leur nuire, tout prêts au contraire à négocier
achats et échanges. Leur roi reçoit les marins et les
marchands, les laisse libres d’aller et de vendre et ceux-
ci, heureux d’une si bonne fortune, réalisent ainsi, en un
lieu qui ne voyait pas souvent des gens venus d’au-delà
de la grande mer, de grands profits : « Nous défîmes nos
ballots et nous nous livrâmes à notre commerce de la
manière la plus avantageuse, sans être même contraints
de verser une redevance en espèces ou en nature, sinon
que nous lui fîmes des présents auxquels il répondit par
des présents d’une valeur égale ou supérieure. » Le jour
du départ, le roi, en toute confiance, monte à leur bord
avec sept compagnons pour partager un repas d’adieu et
leur souhaiter bon vent. Et le chef de l’expédition de se
laisser, sans trop de scrupules, tenter. « Je pensai ceci :
sur le marché d’Oman, ce jeune roi rapporterait au moins
trente dinars et ses compagnons soixante. Leurs
vêtements à eux seuls valent bien vingt dinars ; nous en
tirerons pour le moins trois mille dirhams qui ne seront
pas mauvais. » Il lève l’ancre, retenant ses prisonniers,
mis à la chaîne avec d’autres esclaves razziés en divers
points de la côte, environ deux cents. Tous furent vendus
à Oman103.
En Nubie, dans les pays du haut Nil, les marchands
volaient eux-mêmes les enfants ; ils les castraient, les
emportaient en Egypte et, là, les vendaient aux
trafiquants. Chez les Noirs mêmes, « il y a des gens qui
volent les enfants les uns des autres. La sœur est
menacée par le frère, l’épouse par l’époux, l’enfant par le
père ou par l’oncle. Derrière quel village ne passait pas le
chemin de la trahison ? Les forts capturaient les faibles et
les emmenaient par les sentiers de l’angoisse pour aller
les vendre104 ».
« Les hommes des pays de Barbara et d’Amima, sur la
côte d’Afrique, sont des Infidèles et, à cause de cela,
personne ne va chez eux et aucune marchandise n’y est
importée. Ils se vêtent de peaux de mouton. Ceux de
Gana leur font des raids chaque année. Parfois ils les
soumettent, parfois ils les tuent et les détruisent. Ils
n’ont pas de fer et combattent avec des cannes d’ivoire.
C’est pourquoi les gens de Gana l’emportent car ils
combattent avec des épées et des lances. Tous les
esclaves de chez eux peuvent courir aussi vite qu’un
cheval pur-sang… Il n’y eut aucun de ceux qui régnèrent
dans le pays qui n’eût placé le mors dans la bouche de
quelque malinke pour le vendre aux marakas
[marchands]105. »
Idrisi, qui pourtant reste très rapide et souvent bien
discret sur ces pays et ces « climats » des Noirs, rapporte
que les Arabes d’Oman établis dans les comptoirs
d’Afrique orientale attiraient de jeunes enfants en leur
offrant des dattes, les capturaient et allaient les montrer
sur les marchés d’esclaves106. Il parle aussi, et cette fois
en insistant davantage, des populations qui nomadisent
dans les déserts du Fezzan et dans l’un des pays des
Zaghâwa, situé à l’est du Kanem, déserts sans fin,
incultes et inhabités, montagnes pelées. Ces hommes
passaient tout leur temps en déplacements, mais sans
jamais dépasser leurs limites ni quitter leur territoire. Ils
ne se mêlaient pas aux autres et ils n’avaient pas
confiance dans ceux qui les entouraient car les guerriers
des villes voisines, gens de leur race pourtant, volaient de
nuit leurs enfants, les tenaient cachés un temps puis les
cédaient à vil prix aux marchands qui venaient chez eux.
« Chaque année, c’est un nombre incalculable d’enfants
qui sont ainsi vendus. Ce procédé est d’un usage courant
et accepté dans le pays des Sûdans. On n’y voit même
aucun mal107. »
La razzia devint une sorte de rite, expédition d’un seul
jour, brutale, inopinée, lancée d’abord avec de faibles
moyens pour ramener quelques captifs enlevés dans des
villages tout proches. « On ne peut imaginer la ruse et
l’adresse que ces Maures emploient pour surprendre les
nègres. Ils partent au nombre de quinze ou vingt et ils
s’arrêtent à une lieue du village qu’ils veulent piller. Ils
laissent leurs chevaux dans le bois et ils vont se mettre à
l’affût, près d’une fontaine, à l’entrée du village, ou dans
les champs de millet que gardent les enfants. Là, ils ont la
patience de passer des journées et des nuits entières,
couchés à plat ventre et rampant d’un lieu à un autre.
Aussitôt qu’ils voient paraître quelqu’un, ils tombent sur
lui, lui ferment la bouche et l’emmènent. Cela leur est
d’autant plus facile que les jeunes filles et les enfants
vont par troupes aux fontaines et aux champs qui sont
souvent éloignés du village. Ce qui ne rend pas les nègres
plus défiants : les Maures emploient toujours les mêmes
ruses et elles réussissent toujours. Ces chasses leur
procurent beaucoup plus d’enfants que de femmes et
d’hommes. Lorsqu’ils amènent leurs prises aux
marchands, ces pauvres enfants qui ont été portés en
croupe à nu, sont couverts de plaies profondes, exténués
de faim et de fatigue, et livrés aux craintes les plus
cruelles108. »
LA GRANDE CHASSE
Les raids des musulmans : l’Egypte, le Maghreb et les
oasis
« Les janissaires et autres soldats turcs, en garnison au
pays d’Egypte, s’associent en certain temps de l’année
plusieurs ensemble et, prenant des guides et provisions
de vivres, s’en vont au désert de Libye, à la chasse de ces
nègres. On leur baille au Caire, lorsqu’ils sont mis en
vente, une pièce de toile qui leur couvre les parties
honteuses109. »
Au sud de la Nubie et à l’ouest de l’Ethiopie, le trafic
des esclaves du Darfur, absolument crucial pour
l’économie des sultans musulmans, résultait soit des
ventes par les trafiquants installés sur place, Arabes pour
la plupart, qui ne pratiquaient que d’assez pauvres
razzias sur les villages des environs, soit des raids
directement placés sous l’autorité du sultan du Caire. Ces
chasses aux hommes se pliaient à des règles
parfaitement définies, impliquant des accords constants
entre le pouvoir, les notables et les marchands. Celui qui
prenait la tête d’une razzia, d’un ghazwa, devait d’abord
solliciter la salatiya, autorisation du sultan. Celui-ci
définissait très exactement le territoire de chasse et
prenait, en quelque sorte, les chasseurs et les négociants
sous sa protection. Il prêtait une escorte armée et
interdisait à d’autres d’aller courir aux Noirs dans les
mêmes pays. Le chef de raid avait tous pouvoirs,
disposait de la même autorité que le sultan dans ses
villes et ses Etats et, effectivement, on le disait bien
sultan al-ghazwa, « sultan » maître du raid. Il réunissait
ses fidèles, plus ou moins nombreux selon sa renommée,
en fait selon le succès de ses entreprises les années
précédentes, et négociait avec des groupes de
marchands qui fournissaient les vivres nécessaires à de
longs jours de route contre l’engagement de recevoir, en
échange, un certain nombre de captifs. Chaque année le
sultan autorisait plusieurs dizaines de razzias, jusqu’à
soixante parfois ; les hommes partaient avant les pluies,
dejuin à août, et suivaient toujours, sans s’en éloigner,
une route fixée à l’avance, tant pour l’aller que pour le
retour. Les contrats souscrits par les négociants
stipulaient que ceux qui accompagnaient le raid très loin
dans le Sud et se chargeaient de convoyer les captifs
jusque sur les marchés des villes en recevraient deux fois
plus que ceux qui attendaient simplement le retour de la
razzia dans le Nord. Ces raids ne tournaient pas
forcément aux affrontements guerriers. On traitait avec
des rabatteurs ou avec des chefs de tribus eux-mêmes
chasseurs d’hommes dans le voisinage. Les Noirs surpris
n’étaient certainement pas en mesure de résister les
armes à la main et l’on savait qu’une bonne expédition
pouvait ramener de cinq à six cents esclaves. Le plus
souvent les chasseurs opéraient, en toute quiétude, dans
la région même du Darfur, plus particulièrement au sud
et au sud-ouest. D’autres se risquaient beaucoup plus
loin et l’on parle d’hommes qui demeurèrent six mois en
route avant de renoncer, ayant atteint un fleuve qu’ils
n’osèrent franchir110.
Les rois noirs et leurs guerriers
Dans les royaumes islamiques du Soudan, sous les
bannières des chefs de guerre et des rois eux-mêmes, les
chasses aux esclaves mobilisaient aussi, chaque saison,
de forts partis de cavaliers. Ils envoyaient d’abord des
éclaireurs pour voir si les habitants de tel ou tel village
n’étaient pas sur leurs gardes et, le but de la razzia ainsi
reconnu, partaient en troupes d’une bonne dizaine
d’hommes, pas davantage111. Ils montaient des
chameaux de race, s’approvisionnaient en eau,
marchaient la nuit et arrivaient de jour afin d’enlever leur
butin. Ils n’attaquaient pas volontiers de front et jamais
ne s’attardaient à donner l’assaut aux fortins et aux cités
mais, au-delà des terres de leur ethnie, allaient cerner au
petit matin un village sans défense, pris par surprise sans
aucune chance de réagir. Ils emmenaient les malheureux
habitants en âge de servir, massacraient les faibles et les
vieillards, et se retiraient aussitôt.
Les razzias devinrent de plus en plus nécessaires et les
captifs de plus en plus nombreux au fur et à mesure que
les rois menaient des guerres de conquête plus
agressives. Seules les ventes des captifs leur
permettaient d’entretenir d’importantes forces armées
car la cavalerie coûtait d’énormes sommes d’argent. Au
Mali, au temps où Ibn Battuta visita le royaume, en 1352-
1353, les quelque dix mille chevaux du roi valaient
chacun cent mitkhâls d’or112. Ces chevaux ne
supportaient pas le climat, souffraient de graves
maladies, mouraient bien plus qu’en d’autres pays et
devaient être renouvelés souvent, en général tous les
deux ans. Très souvent les esclaves, les captifs donc,
servaient de monnaie d’échange ; dans les années 1500,
dans le Bornou, un cheval valait quinze ou vingt esclaves.
Pour simplement répondre à ces besoins, les razzias
portaient sur plusieurs milliers de captifs par an et le roi,
effectivement, avait « comme principal revenu les
incursions faites en pays infidèles pour ramasser des
esclaves qui lui servaient d’une part à payer ses dettes
aux marchands arabes et d’autre part à se ravitailler en
chevaux113 ».
El-Bekri prétend que le roi du Ghana pouvait mettre en
campagne deux cent mille guerriers, dont plus de
quarante mille armés d’arcs et de flèches, plus sa
cavalerie. L’armée du Mali aurait compté cent mille
hommes dont dix mille cavaliers. Plus tard, aux XIVe et
XVe siècles, la traite fut très certainement l’une des
activités majeures et l’une des principales ressources des
formations politiques et militaires de la zone sahélo-
soudanienne, en particulier dans le Tekrur, le Ghana et le
Mali114. Les souverains passaient une bonne part de leur
temps en des expéditions qui, plus que la conquête
d’autres territoires et que l’anéantissement d’un rival,
leur valaient de ramener des foules et des foules de
nouveaux prisonniers. Ainsi pour Suleyman Dama, frère
et successeur de Mansa Mousa roi du Mali, pour Sonni
Ali qui conquit le Kabara, Tombouctou, Djenné et le
Gurma115, pour l’askia Mohammed et pour Mohamed
Benkan qui avait un tel goût pour ces longues aventures
guerrières qu’il finit par lasser même ses fidèles. En 1558,
l’askia Daud fit une longue incursion victorieuse dans le
Mali et en revint accompagné de très nombreux esclaves,
dont la fille du roi. C’est avec les hommes capturés en si
grand nombre que Mohammed, fit, au Songhaï, peupler
entièrement de nouveaux villages116. Les chroniques
écrites par les Africains eux-mêmes abondent en ce sens
et soulignent toute l’ampleur des captures et des profits.
Le Tarikh es-Soudan rapporte qu’une seule campagne de
l’askia Ismaïl, dans le Gurma117 contre le chef Bakaboula,
mit un tel nombre d’esclaves sur le marché de Gao que
les prix s’effondrèrent : environ trois cents cauries, moins
d’un mithkâl d’or, le sixième de l’ordinaire. Et le Tarikh
el-Fettach affirme qu’il suffisait d’une expédition dans
une des villes des Infidèles pour se procurer en un jour
dix mille esclaves et même davantage. Et G. Kodjo de
conclure que « c’est donc une véritable marée humaine
qui inondait les Etats soudanais après une grande
expédition au sein des populations animistes118 ».
Par les razzias et par les captures, le prince assure
l’aisance et la paix sociale de son peuple. Il porte
bonheur. El-Amin, l’un des askias du Songhaï (1549-
1583), « égorgeait chaque jour huit têtes de bétail,
quatre le matin et quatre le soir, dont il distribuait la
viande aux nécessiteux en même temps que deux cent
mille cauris. Il fit également don aux pauvres de mille
vaches laitières dont il leur répartit le lait jusqu’au
moment où Dieu fit cesser leurs maux ». Cela grâce aux
expéditions « au cours desquelles Dieu lui fit acquérir de
nombreuses richesses ». Au contraire, son successeur
Dadoud ben Mohammed Bano qui, lui, souffrait d’une
terrible et détestable réputation de prince tyrannique,
débauché, qui, disait-on, aimait à répandre le sang de ses
proches et de ses courtisans, « ne fit aucune expédition,
pas même une seule, et affaiblit ainsi ses sujets si bien
qu’il faillit causer leur ruine119 ».
Pour laisser aux communautés ruinées, affaiblies et
exsangues le temps de se reconstituer, de reconstruire
leurs maisons et, surtout, de se repeupler, les guerriers
ne revenaient pas attaquer les mêmes villages avant
longtemps. Il leur fallait chercher fortune ailleurs, de plus
en plus loin. Les trafiquants d’esclaves de Barisa, sur le
fleuve Sénégal, mirent sur pied des expéditions d’une
dizaine de jours pour aller razzier dans le
Lamlam120 distant de plus de deux cents kilomètres de
leurs bases. Pendant très longtemps, ce pays fut une
véritable réserve pour la chasse aux esclaves. Les
hommes des oasis du Nord « y font des captifs en tout
temps par toutes sortes de stratagèmes ; ils les
emmènent dans leur pays et les vendent aux marchands
par lots121 ».
Cependant, les populations trop souvent victimes se
protégeaient mieux, construisaient des murs et des tours
de guet, levaient même des milices. De telle sorte que
cette escalade de la violence fit davantage accroître
l’importance des troupes menées à l’attaque,
provoquant l’émergence d’une société guerrière d’une
redoutable efficacité et la fondation de puissants Etats, à
l’origine chasseurs d’esclaves122. D’autre part, les
entreprises plus risquées, hasardeuses et meurtrières, se
soldaient parfois par de rudes échecs ; les assaillants y
laissaient alors la vie ou, prisonniers de ceux qu’ils
avaient pensé prendre et emmener, devenaient leurs
esclaves. Une razzia de l’askia Ismaïl, en 1538, coûta la
vie à neuf cents de ses cavaliers123. De plus, pour les
guerriers eux-mêmes, le profit semblait maigre, l’affaire
vraiment peu gratifiante ; ils ne trouvaient généralement
pas grand-chose de valeur à piller et ne ramenaient que
peu de butin en dehors des hommes et des femmes qui,
traînés, enchaînés, parfaitement recensés, étaient tous
remis sans faute au maître dès le retour. Aussi recrutait-
on, pour ces razzias et ces chasses à l’homme, de moins
en moins d’hommes libres et de plus en plus d’anciens
esclaves ou même des captifs formés sur l’instant, armés
en hâte, sommairement124.
Ces esclaves-soldats, « esclaves du roi », ne l’étaient
plus que de nom. Ils bénéficiaient vite de grandes faveurs
et de conditions de vie particulières. Dès que l’autorité
du prince semblait faiblir, en périodes de troubles ou
lorsque les soldes et les avantages s’amenuisaient, ils
allaient d’eux-mêmes piller les villages des pauvres
paysans, sujets paisibles et fidèles pourtant. Leur chef, le
« général d’infanterie », était alors considéré comme un
pseudo-prince, qui régnait sans aucune contrainte sur un
fief, habité et cultivé par des hommes libres. Au Cayor
(Sénégal), ce général était présent au conseil du roi. Le
jour où il trahit, ce fut la fin de ce royaume125.
Les Noirs esclaves ont, aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles,
joué un rôle capital dans les empires de Gao, du Mali et
du Songhaï126. Et ce pendant très longtemps, jusqu’aux
temps de la traite atlantique. Au Bénin, Etat esclavagiste
entre tous, grand pourvoyeur de captifs pour les négriers
d’Europe et d’Amérique, en 1778, le « capitaine général
des guerres », nommé Jabou, possédait en propre plus
de dix mille esclaves qu’il ne vendait jamais et, marchant
au combat, en avait toujours cinq ou six mille sous son
commandement127.
Le développement des razzias, leur intensification, fut
certainement pour beaucoup dans la fragilité et le
caractère éphémère des Etats musulmans d’Afrique
noire. Ces chevauchées provoquaient régulièrement la
perte, à chaque fois, d’un certain nombre d’hommes,
guerriers d’une part, paysans de l’autre. La disparition
des femmes et des enfants dans les villages dévastés
provoqua un fort dépeuplement de ces régions, qui,
jusque-là, assuraient le ravitaillement des grands centres
urbains. De plus, les survivants, craignant d’autres raids,
fuyaient encore plus loin.
3

AVENTURES ET TRAFICS

La quête de l’or. Musulmans et chrétiens

L’OR DU SOUDAN
Nos livres d’histoire ne disent que quelques mots de la
traite des Noirs à travers le Sahara mais, en revanche,
parlent volontiers des caravanes qui menaient l’or des
« mines du Soudan », situées en fait dans les pays de la
haute vallée du Sénégal et de ses affluents128, vers les
ports du Maghreb où les chrétiens offraient en échange
toutes sortes de produits. Les deux traites, celle de l’or et
celle des hommes, furent toujours étroitement liées et il
serait évidemment impossible de dire laquelle a précédé
l’autre, a suscité les premières grandes entreprises,
conquêtes, chasses aux marchés, circuits et réseaux,
laquelle a provoqué le plus fort afflux de richesses.
Les produits échangés variaient ici et là, les réseaux
pouvaient ne pas toujours se recouper ou se confondre,
mais les marchés demeuraient tous aux mains des
mêmes peuples, dirigés par des hommes maîtres de
quelques oasis du désert et de quelques cités du Soudan,
carrefours des pistes caravanières qui devaient leur essor
et leur richesse à l’une ou l’autre traite, parfois aux deux.
Les musulmans, Berbères ou Arabo-Berbères associés
aux souverains des pays des Noirs, islamisés ou encore
infidèles, avaient très tôt mis la main sur le négoce de
l’or de ces mines d’Afrique, de très loin les plus riches de
toutes celles régulièrement exploitées, les seules
capables d’alimenter un important trafic dans tout
l’Ancien Monde ; ils demeurèrent, pendant des siècles,
les seuls grands pourvoyeurs d’or pour le monde
méditerranéen et, aussi, les plus actifs marchands
d’esclaves d’Afrique.
Cependant, ces intermédiaires, les nomades du désert
puis les marchands des villes, Berbères ou Maures puis
Turcs, se montraient très exigeants, et la recherche des
routes vers ces mines d’Afrique ou des marchés aux pays
des Noirs où négocier à de meilleurs prix fut, pour les
nations maritimes de la Méditerranée, les Italiens et les
Ibériques surtout, une véritable obsession. Les grands
négociants et les banquiers de Gênes, de Venise et de
Florence, de Barcelone et de Séville, ont souvent lancé
leurs associés ou leurs commis à la découverte des pistes
et des oasis du désert. Ils s’informaient auprès des
marchands dans les ports du Maghreb et pouvaient,
parfois, interroger les caravaniers. En 1452, un Génois
témoigna par-devant notaire qu’il avait rencontré à Oran
un épicier maure qui fréquentait souvent les cités et les
peuples des pays des Noirs. Mais nous n’avons aucun
récit, même à l’état d’une mince ébauche, de l’aventure
d’un homme parti à la découverte de l’Afrique d’au-delà
du désert. Ne nous reste qu’une seule lettre, seule pièce
à verser à ce dossier, vraiment très mince et, au total,
décevante. Antonio Malfante, commis puis associé des
Centurioni, grande compagnie marchande et bancaire de
Gênes, avait séjourné dans tous les ports où l’on parlait
des Africains et de l’or : à Majorque, à Malaga et à
Honein. De là, en 1447, il se lança vers le sud et, par un
hasard vraiment exceptionnel, une des lettres envoyées
à ses patrons – celle écrite des oasis du Touat – nous est
restée. Il y dit être mieux renseigné sur la route à suivre
et sur la distance ou le temps qui le séparent encore de
ces villes fabuleuses où l’on trouve de l’or sur les
marchés. Il affirme pouvoir aller plus loin. Mais ensuite,
nulle nouvelle. Au-delà du Touat, rien de lui, aucun signe,
du moins pour nous aujourd’hui. A-t-il échoué ? Tué en
route ou fait prisonnier par des brigands, par des
hommes appliqués à défendre le secret des mines et des
transactions ? Egaré, mort de soif ? D’autres lettres de sa
main, écrites plus tard, plus loin, se sont-elles perdues ?
Non archivées ou détruites au cours des temps ? Celle-ci,
rédigée en 1447, ne fut pas du tout conservée à dessein,
dans un dossier adéquat, et n’a été découverte, dans les
fonds de l’Archivio di Stato de Gênes, que par un heureux
coup du sort129. Tous ont échoué et il semble bien que les
princes, les édiles municipaux et les hommes d’affaires
aient perdu tout espoir d’atteindre directement ces
mines ou même les postes de traite très proches.
Les réseaux du commerce de l’or du Soudan furent
découverts par une autre approche, toute différente. Ce
sont les Portugais qui, allant de plus en plus loin vers le
sud le long des côtes atlantiques du Maroc, de la
Mauritanie puis de l’Afrique noire, se sont trouvés au
contact des Berbères du Sahara et, dans un second
temps, des Noirs de la brousse, les uns et les autres
caravaniers bien au fait de ces trafics.
Les toutes premières expéditions le long des côtes de
l’Afrique occidentale, à l’initiative d’Henri le Navigateur,
ne cherchaient certainement ni à contourner le continent
africain par le sud ni à atteindre les Indes lointaines, mais
à reconnaître des ports ou des marchés d’où elles
pourraient ramener de l’or. En tout cas, la capture ou
plutôt le détournement des circuits transsahariens, aux
mains des tribus nomades, s’est d’abord amorcé,
en 1461, par la construction d’un château royal à Arguin,
site découvert et reconnu dès 1444, où les navigateurs
trouvèrent une île où « en beaucoup d’endroits, de l’eau
douce naît dans le sable ». C’est alors que des trafiquants
caravaniers, que les Portugais qualifiaient communément
et globalement d’« Arabes », abandonnèrent à
Ouadane130 leur piste habituelle qui, des pays du Sénégal
ou du Niger, allaient plein nord vers le Maroc, pour
gagner vers l’ouest ce rivage quasi inconnu d’eux et y
apporter d’importants charge ments de poudre d’or
(tibar ou auri tiberi) ; ils recevaient en échange du blé,
des manteaux blancs et des burnous.
Les capitaines d’aventure de l’infant du Portugal
échouèrent dans leurs tentatives de remonter le fleuve
Sénégal mais, à une date qu’aucun texte ne permet de
préciser, avant 1450 toutefois, ils reconnurent
l’embouchure de la Gambie et se hasardèrent à en
explorer le cours sur leurs caravelles et sur des
embarcations encore plus légères. Ce qu’ils ont écrit
alors est perdu et le premier récit qui nous soit parvenu
est celui du Vénitien Cà da Mosto qui, quelques années
plus tard, en 1455 et 1456, fit en leur compagnie deux
voyages au long de la côte d’Afrique et explora le fleuve
Gambie jusqu’à un poste de traite improvisé : « Nous
sommes restés là pendant quinze jours et de très
nombreux Noirs, des deux rives de la rivière, sont venus
dans nos vaisseaux, les uns pour simplement nous
observer, les autres pour nous vendre quelques produits
ou des anneaux d’or et de l’ivoire. Ils apportaient des
étoffes de coton, des vêtements tissés à leur façon, les
uns blancs, les autres à raies blanches et bleues, ou
rouges, blanches et bleues, très bien faits. Ils nous
présentaient aussi des singes et des babouins, des grands
et des petits, qui sont très communs dans ces pays. Nous
échangions cela contre des objets de faible valeur. Ils
nous offraient du musc, pour presque rien… et des fruits
de toutes sortes dont des petites dattes sauvages, pas
très bonnes131. » Diego Gomes, agent du roi de Portugal
qui, lui aussi, explora par deux fois la Gambie (en 1456 et
en 1458), est remonté plus en amont et s’est trouvé en
contact avec des hommes, marchands ou officiers des
chefs de ce pays, qui lui cédèrent enfin de l’or en bonne
quantité : « Nous vîmes des hommes ; nous allâmes vers
eux et nous fîmes la paix avec ces gens dont le chef
s’appelait Farisungul, grand prince de ces Noirs. Et là, on
échangea le poids d’or contre nos marchandises, à savoir
des étoffes et des manilles [bracelets de cuivre]132. » Les
Portugais s’établirent à Cantor, grand port fluvial et
centre de foires, où les Mandingues du Bambouk leur
apportaient l’or des mines, au prix de voyages de cinq à
six mois, aller et retour, à travers le désert. « Ces
marchands sont experts en toutes choses. Les bras de
leurs balances, légères mais très précises, très belles à
voir, sont en argent et les cordes en soie tressée. Ils
portent aussi avec eux de petits écritoires en cuir non
poli et dans les tiroirs, ils ont les poids, en cuivre, en
forme de dés133. » Ils échangeaient leur poudre d’or
contre des objets en cuivre, des chaudrons, des manilles,
des bassins pour faire la barbe et de petites théières, des
cotonnades et des pièces de toile, des perles de verre et
de corail, des coquillages, des parasols.
En 1471, deux chevaliers, capitaines de caravelles
armées à Lisbonne, atteignaient, bien plus au sud, une
côte où les marchands apportaient l’or d’autres mines,
dispersées dans de vastes régions, certaines proches du
littoral, d’autres situées loin dans l’intérieur, jusque vers
la Haute-Volta. Après un premier échec dû aux
intempéries, aux attaques des pirates et, plus encore
peut-être, à celles suscitées par les trafiquants du pays
qui craignaient de voir leur monopole battu en brèche, le
roi de Portugal fit, en 1482, construire de toutes pièces
une énorme forteresse. Neuf gros navires, non des
galères d’exploration mais de lourdes nefs, amenèrent
d’Europe des gens d’armes, une compagnie de cent
maçons et charpentiers, des blocs de pierre taillés prêts
pour la pose et des tuiles déjà cuites. Sorti de terre en
quelques semaines, ce « château », baptisé Saõ Jorge de
la Mina, reçut le statut de cité, preuve d’un peuplement
déjà notable. Ce fut, jusqu’à la découverte des mines
d’Amérique, le principal centre d’approvisionnement des
Ibériques en métal précieux134.
SOFALA ET LE MONOMATAPA

L’histoire veut que, aussitôt doublé le cap de Bonne-


Espérance, les navigateurs portugais, remontant vers le
nord le long des côtes de l’Afrique orientale, aient, avant
toute autre entreprise, cherché le plus sûr et le plus
court moyen d’atteindre l’Inde, marché fabuleux des
épices, interdit jusqu’alors aux marchands chrétiens. Ce
n’est certes pas totalement inexact : une de leurs
premières démarches, aussitôt couronnée de succès, fut
de se mettre en quête d’un pilote « arabe » qui les y
conduise. Mais cette route maritime des Indes, route
exclusivement chrétienne et dès lors contrôlée par les
Occidentaux, et le commerce du poivre ou autres
drogues ou condiments accaparent trop souvent
l’attention, tant dans les manuels où il faut toujours
simplifier que sous la plume des auteurs qui privilégient
la recherche des profits et la course aux produits
exotiques. Il est clair que d’autres préoccupations
soutenaient ces entreprises : aller combattre les Turcs
dans ces mers d’Orient comme le faisaient les Espagnols
dans la Méditerranée et aussi percer les mystères des
mines d’or de l’Afrique orientale, objets, depuis les
temps bibliques, depuis le roi Salomon et la reine de
Saba, de tant d’histoires merveilleuses, de légendes, de
fables. Leurs capitaines ne songeaient pas qu’aux Indes ;
mettre la main sur les marchés et les voies caravanières
de l’or puis de l’ivoire en Afrique les préoccupait tout
autant. Les routes vers les côtes du Gujarat et de
Malabar parfaitement reconnues et balisées, ce fut,
chaque saison ou presque, le but de plusieurs
expéditions, non de simples reconnaissances mais de
véritables conquêtes, appuyées par de fortes flottes et
armées.
Là, comme dans l’Afrique occidentale, les maîtres de
tous les échanges, notamment du trafic de l’or amené
par les caravanes formées dans les pays des mines très
loin dans l’intérieur, étaient depuis plusieurs siècles déjà
les musulmans des comptoirs de la côte135. Girolamo
Sernigi, marchand italien qui accompagna Vasco de
Gama, décrit, à l’embouchure du rio dos Bons Sinaes136,
le 14 janvier 1498, un grand village habité par des Noirs
qui, dit-il, sont soumis aux Maures. Et de s’émerveiller
car « l’on trouve là d’immenses quantités d’or ». Dans le
même secteur, la ville de Sofala, visitée par Francanzano
de Montalboddo (Paesi novamenti ritrovati, 1500-1501),
est « peuplée de Maures et l’or vient des montagnes,
d’un autre peuple qui n’est pas maure. Ces hommes-là
ont des corps petits et forts et l’on dit qu’ils sont cruels,
qu’ils mangent ceux contre qui ils sont en guerre et que
les vaches du roi portent des colliers d’or massif autour
de leur cou ».
Sur les mines, on ne savait rien encore de très précis ;
marins et marchands restaient sur leur faim : « On leur a
posé beaucoup de questions sur l’affaire de la mine de
Ceffalla [Sofala] mais il y a en ce moment la guerre et
c’est pourquoi il ne vient pas d’or de cette mine. On nous
affirme que les années précédentes, les navires de La
Mecque et de Zidem [Djedda] et de plusieurs autres
contrées avaient emporté, de cette mine, de l’or pour
une valeur de deux millions de belles pièces. Il y a des
livres et des récits qui disent que c’est de cette mine que
le roi Salomon venait chercher tant d’or tous les trois
ans137. » Depuis de longues années, les navires d’Ormuz
ou d’Aden et ceux partis des comptoirs musulmans de la
côte africaine, plus au nord, de Kilwa, de Malinde et de
Mombasa, allaient porter à Sofala des étoffes de coton et
de soie que les marchands échangeaient, avec des
« Maures » venus de l’intérieur, contre de l’or, « sans
rien peser ni mesurer ». Les Portugais apprirent à
connaître les noms et la situation des pays miniers ; ils se
sont renseignés sur la façon dont ces « Maures » et leurs
associés des royaumes des Noirs menaient leurs négoces
et ont, peu à peu, réussi tant bien que mal à identifier
des groupes de gisements miniers : ceux de Manica, dans
le pays de Matonica, dans une vallée entourée de hautes
montagnes couvertes de neige, où vivait le peuple des
Botongas ; d’autres, moins bien connus, semble-t-il,
situés à un mois de marche de la côte, où l’or se trouvait
soit en filons dans la pierre, soit dans les lits des
torrents ; enfin ceux du district nommé Taroa, du
royaume de Boutona, les plus anciens, situés, disait-on,
au centre d’une forteresse remarquable, à cent soixante-
dix lieues de Sofala138. En 1506, Pedro de Anaia, au
commandement d’une puissante flotte armée à
Lisbonne, s’empara de Sofala où les Portugais ont
aussitôt construit une magnifique forteresse, en tous
points semblable, un quart de siècle donc après qu’ils se
furent établis dans leur « château » de Saõ Jorge de la
Mina sur la côte d’Afrique occidentale.
LE COMMERCE MUET
A la quête de l’or, les premiers chrétiens, en fait les
Portugais, ne sont arrivés que quelque six ou sept siècles
après les musulmans et, sauf à Sofala et dans le royaume
du Monotapa138, n’ont eu nulle part accès aux premiers
approvisionnements.
Pourtant, maîtres de ces trafics de l’or et
intermédiaires obligés, ni les trafiquants caravaniers ni
les rois des pays du Soudan ne contrôlaient directement
les mines d’or. Ils avaient, instruits par plusieurs
tentatives malheureuses, renoncé à conquérir ces terres
et même à convertir les indigènes. Le sultan du Caire et
ses conseillers en rêvaient, s’étonnaient de cette sorte
d’impuissance à pousser plus loin, mais ils apprirent des
rois, notamment de Mansa Mousa, roi du Mali, « que l’on
savait bien que, si l’on s’emparait de l’une des villes de
l’or et si l’on y diffusait l’appel à la prière, cela ne pouvait
que raréfier l’or jusqu’à faire tomber la production à rien.
Ainsi, quand le fait fut confirmé, ont-ils maintenu ce pays
dans les mains de ses habitants païens et se
contentèrent-ils de la soumission de ces derniers et des
charges d’or qu’ils leur imposaient ». La quête du métal
était, disait-on à tous les échos, étroitement liée à
l’animisme et à la fécondité de la terre. Pour l’or, comme
pour les plantes, tout dépendait du respect des rites.
Intervenir était risquer de tout perdre139.
Pour les souverains, leurs conseillers et officiers, les
profits furent, pendant de longs siècles, considérables.
Rien ne leur échappait et ils tiraient profit de tout. Dans
le Mali, « si l’on découvre, dans n’importe quelle mine du
royaume, de l’or natif, le roi met la main dessus : il ne
laisse à ses sujets que la poudre d’or. Sans cela, il y aurait
trop d’or sur le marché, et il risquerait de se déprécier.
Les pépites d’or pèsent de une once à une livre. On dit
que le roi en possède un lingot gros comme un
rocher140 ». Les habitants du Caire et, après eux, les
chroniqueurs et historiens s’émerveillaient des lourdes
pommes d’or fixées aux cannes que portaient les Noirs
de la suite de Mousa lors de son pèlerinage à La Mecque.
Les voyageurs rapportaient quelques récits fabuleux,
parlaient de blocs d’or pur placés sur le seuil du palais.
Une des figurines de la carte catalane d’Angelino Dulcert,
datée de 1339, montre le Rex Melly, roi du Mali,
enturbanné et barbu, vêtu d’un ample habit blanc, assis
sur un trône garni de coussins, portant couronne et
tenant son sceptre royal à la main. La figurine est assortie
d’une légende : « Iste rex saracenus dominatur tera
arenosa et habet minerias auro in maxima
habundancia. » Un peu plus tard, l’Atlas catalan (1375)
lui donne toujours un trône, une couronne fleurdelisée,
et lui fait porter en main une grosse pépite d’or. Diego
Gomes qui, en 1480, rédige le récit de ses voyages
accomplis plus d’une vingtaine d’années auparavant, dit
bien que les Noirs venus porter leur or à Cantor lui ont
abondamment parlé de l’incroyable fortune du roi du
Mali. « Ils m’ont dit qu’il était le maître de toutes les
mines et qu’il avait, devant la porte de sa maison, un bloc
d’or, tel qu’il avait été créé au sein de la terre, et n’avait
jamais été exposé au feu ; un bloc si gros que vingt
hommes auraient pu à peine le porter et c’est à ce bloc
que le roi attachait toujours son cheval. Il disait qu’il le
gardait non à cause de sa valeur mais à cause de sa taille
merveilleuse, vraiment admirable. Ils me dirent aussi que
les nobles de sa cour portaient des anneaux d’or à leurs
narines et à leurs oreilles141. »
Les marchands allaient jusqu’aux approches des Noirs
dans les régions aurifères. De Sijilmasa, le voyage durait
trois mois à l’aller et seulement un mois et demi, parfois
moins, au retour car ils apportaient des marchandises
infiniment plus volumineuses, plus lourdes même que
l’or qu’ils ramenaient. « La valeur des charges de trente
chameaux équivaut, en poudre d’or, au seul contenu
d’un sac. Celui qui se rend là-bas avec trente charges, en
revient avec seulement trois ou deux, dont une pour lui
et une pour l’eau142. » Dans les pays des mines, les
transactions, le « commerce muet » dont parlent les
géographes et les voyageurs, jusque chez les chrétiens
mêmes, n’avait sans doute pas évolué depuis des siècles
et se réduisait à une sorte de troc très primitif, incertain,
où les hommes des deux parties ne se parlaient pas, ne
se voyaient même peut-être pas. « Reclus de fatigue, les
caravaniers avancent dans leur voyage jusqu’au lieu de
rencontre avec les propriétaires de l’or. Arrivés, ils
frappent alors sur d’énormes tambours apportés avec
eux. Le bruit est entendu d’un coin de l’horizon à l’autre
dans ce pays des Sûdân143. »« Il est une ligne de
démarcation que ne franchit pas celui qui se rend là. Les
marchands vont jusqu’à cette ligne, y déposent leurs
marchandises et se retirent. Alors ces Sûdân viennent
avec leur or, qu’ils déposent, et se retirent à leur tour.
Les marchands approchent de nouveau et, s’ils sont
d’accord, prennent la poudre d’or. Sinon, il s’en
retournent. Alors les Sûdân reviennent, augmentent la
quantité d’or, et ainsi autant de fois, jusqu’à la
conclusion de la vente, tout comme font les marchands
de girofle avec les producteurs144. » L’allusion, chez cet
auteur du Xe siècle, au commerce des clous de girofles,
vraisemblablement en Orient, montre que ce type de
transactions entre les négociants étrangers et les Noirs
qui ne tenaient pas à se faire connaître n’était pas du
tout exceptionnel. Aussi ce pays de l’or est-il demeuré,
trois cents ans plus tard, encore un mystère : « On agit
ainsi parce que les gens du pays se terrent dans des lieux
souterrains et dans des caves, tous nus, sans le moindre
vêtement, comme des animaux. Bien plus, ils ne
permettent pas à un marchand de les voir… On ne sait ce
qu’il y a au-delà de ces régions. Je pense que, là, il n’y a
plus d’animaux, à cause de l’intensité de la chaleur145. »

Les marchands d’esclaves

L’or et les esclaves : ces deux négoces d’Afrique ont


fait la fortune des caravaniers et des trafiquants.
Pourtant, sur le plan humain, les deux traites n’étaient en
rien comparables : pour l’une, commerce muet,
approches sans heurts, marchandises inertes et faibles
escortes ; pour l’autre, guerres et violences, misères et
souffrances. De plus, pour l’or, les lieux de production et
d’échanges se limitaient à quelques régions parfaitement
circonscrites ; les routes, peu nombreuses, ne
conduisaient qu’à quelques villes marchandes, tandis que
la chasse et le trafic des Noirs sévissaient dans tous les
pays d’au-delà du Sahara, de la côte atlantique à celles
d’Orient sans exception. Aucun pays, aucun peuple ne fut
épargné. C’était une mise en coupe réglée d’une
effrayante ampleur. Dès les années 800, les esclaves
razziés ou achetés en Afrique noire furent de plus en plus
nombreux sur les marchés de l’Islam. Ce misérable
négoce l’emportait déjà de très loin sur celui des Blancs
d’Europe ou d’Asie et prit très vite l’allure d’un trafic
routinier aux mains soit des Arabes et des Berbères,
maîtres des comptoirs et des oasis, soit des Noirs eux-
mêmes, rois et chefs de tribus islamisés ou demeurés
« païens ».
ARABES DANS LA MER ROUGE
Les hommes d’Arabie, du Hedjaz et du Yémen puis
ceux d’Oman d’une part, de Bassorah et de Bagdad de
l’autre, furent très tôt en contact direct avec les Noirs
d’Ethiopie et de Nubie. Familiers des côtes et des
ancrages, bien informés des ressources en hommes de
l’arrière-pays, ils n’ont éprouvé aucune difficulté à
maintenir de bonnes relations avec les chasseurs
d’hommes ou les courtiers qui, aventurés dans les pays
des Noirs, se sont peu à peu solidement implantés,
jusqu’à fonder de véritables Etats esclavagistes, à l’abri
de toute rébellion. Les musulmans de la côte contrôlaient
ainsi de nombreux postes de traite tout près des
territoires de chasse. Ils ont constamment assuré, sans
trop de frais ou d’aléas, les transports de captifs sur de
nombreuses pistes caravanières vers leurs comptoirs et
leurs entrepôts. La mer ne fut jamais un obstacle et la
traversée n’exigeait ni de longs préparatifs ni de grands
chantiers de construction ou d’armement.
Dans les premiers temps, les trafiquants d’esclaves,
gens de la côte ou d’une tribu alliée, ne furent que de
sordides touche-à-tout, hommes de sac et de corde, en
quête de la moindre occasion de gagner un peu plus :
boutiquiers, charlatans, fabricants et vendeurs
d’amulettes, bonimenteurs à demi sorciers ou
entremetteurs de mariages et maîtres d’école. Leurs
entreprises se limitaient à peu de chose : ils achetaient
des bêtes de somme et du beurre dans les campagnes
proches de la rive gauche du Nil. De là, montés sur des
ânes, portant avec eux quelques pièces de cotonnades,
leur seule monnaie, ils allaient traiter et échanger leurs
étoffes contre des hommes et des femmes captifs sur
des marchés situés sur le plateau, à seulement plusieurs
jours de marche. Leur monture valait alors un ou deux
esclaves noirs et leur chargement trois autres. Les grands
marchands, les ghellabas, ne se sont imposés que dans
un second temps, une fois les pistes reconnues. Ceux-là
comptaient vraiment, disposant de toutes sortes de
relations et pesant même sur les décisions politiques
dans les comptoirs de la côte ou du fleuve, de plus en
plus actifs au cours des temps, gens de bien, notables,
parfaitement insérés et respectés dans leurs
communautés et leurs cités. Un bon nombre se disaient
religieux, fakis, « qui regardaient la traite des nègres
comme un accessoire ordinaire de leurs attributions ». Ils
entretenaient des agents ou des commis dans plusieurs
lieux de chasse ou de traite et ces négoces, pour le
compte donc des Arabes des comptoirs et de leurs
associés, couvraient, en Abyssinie et jusqu’en Nubie, de
vastes territoires, très divers et très éloignés les uns des
autres146.
AVENTURIERS, FUGITIFS, HÉRÉTIQUES
Partout ailleurs, tant en Afrique orientale sur la côte
de l’océan Indien qu’au-delà du Sahara, chez les peuples
du Soudan séparés des grands marchés par d’infinies
distances, incertitudes et grands périls, ni les Arabes
d’Arabie et les Egyptiens ni, tout à l’ouest, les Marocains,
tous principaux demandeurs pourtant, ne s’engagèrent
vraiment dans la traite. Les raids guerriers, dans les
premiers temps de l’Islam, sous la conduite d’officiers
des sultans, raids partis du Caire pour remonter le Nil
vers les cours supérieurs du fleuve, ou de Kairouan vers
le Fezzan et le lac Tchad, ne furent suivis d’expéditions
marchandes d’aucune sorte. Les troupes revenaient
chargées de butin et de captifs mais leurs chefs, ensuite,
ne se hasardaient plus dans l’aventure et les grands
marchands, hommes de riches familles et de clans
puissants, solidement établis dans les métropoles,
restaient sur une prudente réserve, attendant plutôt que
d’autres viennent présenter leurs prises sur leurs
marchés. Vite, ont pris le relais des hommes de terrain,
familiers des lieux, des populations et des chefs de tribus.
Marchands d’esclaves plus que d’épices ou de soieries,
marchands, pourrait-on dire, de second rang, c’étaient
non pas vraiment des réprouvés mais tout de même des
étrangers, en tout cas des hommes qui ne s’inscrivaient
pas dans l’aristocratie de la ville et n’y avaient pas de
répondants.
A l’est, ils ont, sur la côte de l’océan Indien jusque très
loin vers le sud, fondé des établissements face à des
peuples inconnus, le plus souvent hostiles. A l’ouest,
dans le désert, d’autres ont construit de nouvelles cités,
là aussi dans des conditions très difficiles. Aussi voit-on
que les comptoirs maritimes, que les villes des oasis et
les villes du Soudan, toutes engagées dans la traite des
Noirs, furent dès le début, pour les marchés les plus
actifs, peuplés d’exilés et de fugitifs, de rebelles ou
d’hérétiques, non tous victimes de terribles persécutions,
massacres et pogroms, mais tous anxieux de vivre et de
s’administrer selon leurs lois religieuses et sociales, sans
subir de pressions ou d’ostracismes. Ces rebelles,
hérétiques ou marginaux, furent de tout temps très
nombreux : dans l’Orient islamique, aux guerres entre
descendants des premiers califes, le plus souvent entre
tribus ou ethnies, puis aux guerres de succession et aux
guerres civiles entre dynasties, se sont ajoutées les
graves querelles religieuses entre les sunnites, les chiites,
et les adeptes de plusieurs doctrines ou sectes. Ce qui ne
pouvait manquer de provoquer migrations de tribus et
de peuples : d’abord, dans les toutes premières années,
exodes des chefs de clans et des chefs religieux, puis,
plus tard, fuites des rebelles qui refusaient de se
soumettre aux califes omeyyades de Damas. Exodes
ensuite des Omeyyades, poursuivis par les Abbassides
nouveaux maîtres du califat en 750, puis des Kharidjites,
réputés hérétiques.
L’Afrique orientale
Loin des bases de départ, au terme d’une navigation
plus aléatoire et régulièrement soumise aux grands
vents, les comptoirs de l’océan Indien connurent des
jours plus incertains que ceux de la mer Rouge. Ils se
heurtaient à des populations résolument agressives, de
triste réputation, accusées de toutes sortes de méfaits et
même de cannibalisme. Au nord, c’était la terre des
Barbar, ancêtres des Somalis, et l’on disait que, si un
navire faisait naufrage sur cette côte des Berbera, la plus
dangereuse de toutes en Afrique, les indigènes
s’emparaient des marins et les faisaient aussitôt castrer.
Plus au sud, au-delà de Mogasdiscio et jusqu’à ce qui
sera plus tard le Mozambique, était le pays des Zendjs. Le
mot, d’usage très ancien, se trouve déjà dans Pline et
dans le célèbre Périple de la mer Erythrée147, puis dans
Ptolémée. Il fut, tout au cours des temps, largement
adopté par tous les écrivains arabes ou persans, tout
d’abord pour désigner les esclaves noirs qu’ils savaient
venir de ce pays, puis, peu à peu, pour tous les peuples
de l’arrière-pays, face à leurs comptoirs.
Les premiers immigrants, fugitifs ou en tout cas exilés,
venus de plusieurs pays du monde musulman, ne
parlaient pas tous la même langue, ne pratiquaient pas
tout à fait la même religion et, dans la vie domestique
comme dans la vie publique, ne respectaient pas
forcément les mêmes usages. Certains furent très mal
accueillis, tenus pour indésirables, refoulés même par
ceux qui étaient déjà en place. Ils reprirent donc la mer
pour chercher une autre fortune plus loin, plus au sud. Il
arrivait aussi, à l’inverse, qu’une nouvelle vague chasse la
précédente et la contraigne à se mêler, dans l’arrière-
pays, aux tribus indigènes.
Les origines de tous ces établissements demeurent
incertaines. Les chroniques, écrites à partir de traditions
orales, font naturellement une large place aux récits
légendaires ; aucune n’est exempte de confusions et de
lacunes. Il semble bien que les discordances, les
anachronismes surtout, et la multiplicité des indications
parfois contradictoires, témoignent en fait de plusieurs
vagues d’immigration, séparées sans doute par de
longues périodes mais que les auteurs de ces récits n’ont
pas su démêler et ont fini par confondre les unes aux
autres. Une certitude pourtant : les premiers colons
n’étaient ni des marins ni des marchands aux fortunes
bien assurées, solidement implantés dans leurs cités
d’origine, en Arabie ou en Irak, hommes de bons négoces
occupés à établir des succursales ou des correspondants
sur des rives quasi inconnues. Ces gens-là, ou plutôt leurs
parents et leurs commis, bons connaisseurs depuis
longtemps des routes et des marchés, ne se hasardaient
pas tous en mer et ceux qui s’y risquaient ne faisaient en
chaque ancrage, dans chacune des îles d’accès aisé, que
de courtes escales, le temps de charger et décharger ou,
tout au plus, d’attendre l’arrivée d’une caravane
annoncée.
Les califes, les Omeyyades de Damas puis surtout les
Abbassides de Bagdad, ont certainement tenté de mettre
sur pied et de contrôler de vastes opérations de
colonisation tout au long de cette côte de l’océan Indien.
Abd al-Malik ibn Marwan148 aurait fait armer plusieurs
navires pour conduire des hommes, originaires de Syrie
ou d’Arabie, en particulier des membres de la tribu des
Banu Minana descendants de Mecquois, à Pate, Malinde,
Zanzibar, Mombasa, dans les îles Lamu et Kilwa. Un autre
texte cite même une dizaine d’autres sites, très
dispersés, nombre d’entre eux non vraiment identifiés.
Plus tard, les Abbassides, peu assurés de la fidélité de ces
Arabes, premiers colons, ont favorisé les Persans. En 766-
767, al-Mansur, deuxième calife abbasside de 754 à 775,
fondateur de Bagdad, mit sur pied une nouvelle
expédition vers ces mêmes comptoirs et Harun al-Rashid
(786-809) révoqua les gouverneurs en place dans
plusieurs postes pour en nommer d’autres, notamment à
Mombasa, Pemba et dans les îles Baju149. Une chronique
fait alors état, de Mogadiscio jusqu’à Kilwa, de colonies
d’hommes venus de Shiraz150. Ces textes, tous imparfaits,
peu explicites, tous suscités par le pouvoir en place pour
revendiquer des actions qui n’ont sans doute pas connu
une telle importance, suggèrent tout de même
l’existence d’une longue suite d’établissements tant sur
la côte des Somalis que sur celle des Zendjs, jusqu’à Kilwa
tout au moins. Ce n’était sans doute que fort peu de
chose, de simples comptoirs, embarcadères surtout, peu
peuplés, sans grande activité marchande. On doit
imaginer que certains noms, plus jamais cités par la suite,
n’étaient rien d’autre que ceux d’ancrages d’un seul jour,
noms ramenés par des marins au retour d’une aventure
sans lendemain et vite oubliés. Toujours est-il qu’en 846
encore l’implantation musulmane sur ces rivages semble
précaire, nullement digne de retenir l’attention des
officiers du calife qui décrivent le système des postes
militaires et des forteresses dont ils ont, depuis Médine,
la garde : ils ne parlent absolument pas de la côte
d’Afrique.
En fait, comme en bien d’autres temps et en de
nombreux pays, la plupart de ces établissements d’outre-
mer, très modestes certainement aux tout débuts, furent
fondés non par des colons choisis par les califes ou les
émirs lors de grandes expéditions supportées par l’Etat,
mais en plusieurs étapes, au long de plusieurs siècles, par
des proscrits qui ne pouvaient certainement compter sur
une aide quelconque mais se savaient engagés,
désespérés sans doute, dans une aventure incertaine.
Ces hommes arrivaient rarement accompagnés de leurs
familles.
Les chroniques des comptoirs et celles, plus générales,
des pays d’islam, œuvres de savants et d’érudits, les
trésors monétaires et les frappes des pièces, puis les
vestiges mis à jour lors des campagnes de fouilles
suggèrent une chronologie incertaine sans doute en
plusieurs points mais, malgré tout, suffisante pour
évoquer la diversité de ces vagues d’immigration :
– Dans les années en 695 ou 697, années mêmes où le
calife Abd al-Malik ibn Marwan faisait rassembler des
colons pour les établir en Afrique, plusieurs de ses
ennemis, princes musulmans rebelles, au lendemain
d’une rude défaite infligée par les armées califales, y
auraient à leur tour débarqué, entraînant avec eux un
groupe de partisans.
– En 739, ce furent des Arabes, que l’on dit chiites de
la secte Emozéide ou Zaydite, chassés de chez eux.
– En 767, des Arabes venus, ceux-là, du golfe Persique.
– En 920, « un grand nombre d’hommes, d’une tribu
voisine de la ville d’El-Haza, sur le golfe Persique aux
environs de Bahrein, s’embarquèrent sur trois navires,
sous la conduite de sept frères qui fuyaient les
persécutions du sultan de cette ville151 ». Mais, pour
d’autres, ces « Arabes » étaient en fait des Persans et,
pour d’autres encore, des Quarmates persécutés par les
Abbassides152.

Il semble que Mogadiscio et d’autres établissements


de la côte des Somalis n’aient été que la première étape
dans le cours de plusieurs émigrations appelées à
chercher aventure bien plus loin et qui furent, elles aussi,
aux origines d’un fort développement de la traite des
Noirs, dans des régions situées bien plus au sud,
demeurées plus ou moins inconnues, en tout cas jusque-
là épargnées. La Chronique de Kilwa dit qu’aux environs
de l’an 400 de l’hégire (1022), à la mort de Hacen, roi
« maure » de Shiraz en Perse, six de ses sept fils nés
d’une mère noble, d’une illustre famille de Perse,
chassèrent le septième fils, Ali, fils d’une esclave
abyssine. Ali s’embarqua de l’île d’Ormuz avec toute sa
famille, sur deux navires. Ils abordèrent d’abord à
Mogadiscio puis à Brava ; mécontents, déçus de ne
pouvoir se faire accepter, ou de ne pas être les seuls
maîtres, ils mirent à la voile vers le sud et auraient alors
trouvé Kilwa sur leur route. Ils achetèrent le terrain,
donnèrent en paiement des lots d’étoffes, exigèrent que
les hommes qui l’habitaient déjà, musulmans arrivés plus
tôt ou indigènes on ne sait trop, aillent s’établir dans
l’intérieur des terres. Ils dressèrent des fortifications
pour se protéger des Cafres, « en particulier des guerriers
des îles Songo et Changa153 dont la domination s’étendait
jusqu’à Monpana, distante de Kilwa d’environ vingt
lieues154 ». Les généalogie et chronologie des sultans de
Kilwa confirment cette double migration : les Shirazi de
Perse se seraient effectivement d’abord installés,
pendant un certain temps, sur la côte de Bayadir, en
Somalie, avant d’aller à Kilwa155. Par ailleurs, certaines
chroniques rapportent que d’autres colons venus de
Shiraz ont, au IXe siècle, occupé l’île de Manda et d’autres
encore celle de Changa, dans l’archipel de Lamu.
Plus au sud encore, ce fut l’aventure. La première
colonisation aurait été le fait ni des Arabes ni des Persans
mais des musulmans de l’Inde. Une tradition, solidement
ancrée et reprise par plusieurs historiens, veut que, dans
l’île de Zanzibar et sur la côte proche, se fût d’abord
établi le peuple islamisé des Debuli. Le nom viendrait du
port de Daybul, en Inde, près de l’embouchure de l’Indus,
région conquise par les musulmans dans les années 711-
712. Mais ces hommes n’étaient certainement pas
nombreux et, par la suite, on en perd la trace. Tout porte
à croire que sont ensuite venus régulièrement, chaque
saison, et cette fois du nord, soit directement d’Arabie
ou de Perse par une traversée hasardeuse, soit en
longeant la côte des Zendjs, les trafiquants en tous
genres et les véritables chasseurs d’esclaves.
Ces comptoirs maritimes furent presque tous, comme
ceux de la mer Rouge avant eux, établis sur une île
séparée du continent par un bras de mer ou par un
isthme facile à défendre. Ainsi Mombasa, Manda,
l’archipel des Lahu, Kiswayu dans l’île Baju, au nord de
l’île de Pate, les îles de Pemba et de Zanzibar. « Nous
arrivâmes à Mombasa, grande île et qui n’a pas d’arrière-
pays. Les habitants n’ont pas de céréales, ils les
importent donc des Swahili. Leur nourriture se compose
principalement de bananes et de poissons. Leurs
mosquées sont en bois, très solidement édifiées156. » Le
premier site de Kilwa, dit Kilwa Kisiwani, se trouvait dans
une île, face à de grands marais parfaitement
impénétrables ; ce qui obligeait, pour atteindre
véritablement la terre ferme, à de très longs détours. Le
second site, sur le continent, Kilwa Kivinje, ne fut occupé
régulièrement qu’à partir du XVIIIe siècle157. Le Roteiro de
Lisboa a Goa, de Joaõ de Castro (1538), illustre le port de
Mozambique par un rapide dessin : une baie bien
fermée, protégée par deux cordons littoraux ne
permettant que trois étroits passages ; dans la baie, deux
îlots portant chacun un fort ; sur le littoral du la terre
ferme, des rangées d’arbres, une chèvre, un éléphant,
une factorerie, un bâtiment allongé qui sert d’entrepôt
pour les marchandises et les esclaves158.
Les pionniers puis, bien plus tard encore, les colons
ancrés sur les îles et les anses de la côte exposées à tant
de hasards n’ont cessé de se protéger, de craindre aussi
bien les peuples des terres d’alentour que les brigands de
mer, pirates redoutables, formés en fortes compagnies
de plusieurs centaines d’hommes, venus parfois de très
loin, de l’Inde même. La situation exacte de Qembalu,
centre de forte traite pour les esclaves et pour l’ivoire,
n’est pas vraiment connue mais l’on sait que cette ville,
entourée d’une imposante muraille, se dressait « au
centre d’un estuaire comme un château » et qu’elle fut, à
plusieurs reprises, attaquée en force par les peuples de
l’intérieur et aussi par des « peuples de la mer » qui
razziaient l’ivoire, les écailles de tortue, les peaux de
panthère et l’ambre gris pour les vendre en Chine. Sur le
chemin, ils avaient pillé des îles, à six jours de mer de là,
sans doute les Comores ou Kerimba, et plusieurs villages
sur la côte africaine, près de Sofala159. Cités marchandes,
cités-forteresses, c’était la règle et pas seulement en
Afrique, pas seulement sur les terres exposées aux
attaques des Infidèles, mais sur toutes ces mers d’Orient.
A Ormuz même, à l’entrée du golfe Persique, fort loin de
là et en plein pays d’islam parfaitement soumis aux
maîtres du temps, la vieille ville, bâtie sur la terre ferme,
devenue indéfendable du fait des attaques des Bédouins,
fut abandonnée en l’an 1300. Le roi fit conduire tous les
habitants dans une petite île, à plus de cinquante
kilomètres de là, vers l’ouest160.
Les cités du désert
Dans les royaumes du Soudan, les rois lançaient razzia
sur razzia mais n’étaient jamais que des chasseurs
d’hommes, pourvoyeurs de bétail humain. Rassembler
les captifs, les convoyer jusque sur les marchés et les
présenter à la vente était affaire des marchands de
toutes sortes.
Les Noirs eux-mêmes participaient à ces tristes
négoces, de façon souvent précaire, quasi misérable,
exposés aux plus grands hasards : simples retours
d’expéditions, caravanes conduites par de sordides
trafiquants venus à la rencontre des guerriers ou des
voleurs de bétail humain à travers la forêt ou à travers la
brousse, sur des pistes qui, généralement, ne voyaient
pas passer d’autres trafics. C’étaient souvent de petite
gens, de peu de crédit, qui ne disposaient ni de beaucoup
d’or, ni d’associés, ni de relais. Ils achetaient à petit prix
et se chargeaient eux-mêmes de ramener leurs esclaves
vers des marchés plus achalandés, en petites troupes
lamentables. Les malheureux captifs se trouvaient
encore tout près de leur pays ; ils pouvaient connaître les
lieux, les moyens de regagner leurs villages et auraient
pu s’enfuir sans risquer de se perdre ou de souffrir. Aussi,
les hommes, sévèrement gardés, marchaient-ils en
longues files, chargés de lourdes chaînes ou liés les uns
aux autres par de grosses cordes. « En tête, est une
vieille femme toute décrépie. Derrière elle, suivent, à la
file, quatorze autres femmes dont plusieurs portent des
enfants. Viennent ensuite, en troupeaux, vingt et un
enfants ; ils sont suivis de quinze hommes, de vingt à
trente ans, attachés par le cou avec des colliers et des
longes en peau. Chacun porte sur sa tête un lourd paquet
cousu dans une peau de chèvre ou de mouton. Les
femmes et les enfants sont également chargés. Tous ces
malheureux sont la propriété de quatre Soninkés qui,
montés sur des ânes et le fusil sur l’épaule, se tiennent
sur le flan de la caravane161. » Ces Soninkés, ou Sarakollés
(les « hommes blancs »), d’ascendance berbère semble-il
et convertis à l’islam au temps des Almoravides,
marchands ambulants, échangeaient communément
pièces de toile, cotonnades et verroteries contre des
Noirs, au soir même des razzias.
Mais les traversées des déserts, entreprises périlleuses
de plusieurs semaines, ponctuées d’étapes dans les oasis
où il convenait de trouver accueil et protections afin de
préparer le chemin pour de longues et dures aventures,
exigeaient bien davantage, d’autres investissements,
d’autres formes d’action. Il y fallait des capitaux, de l’or
ou des produits d’échange amenés de lointains pays, une
longue expérience et, surtout, le soutien de tout un
groupe, d’un peuple ou d’une tribu. Les gagne-petit
cédaient la place à de grands entrepreneurs, rarement
des Noirs, même d’un autre peuple, même islamisés,
mais des Blancs, venus d’au-delà des déserts, aventurés
en des terres d’abord inconnues, nomades et
caravaniers. Les indigènes ignoraient leurs origines, les
distinguaient mal les uns des autres, ne connaissaient pas
leurs noms, savaient seulement qu’ils régnaient sur les
grands trafics et sur les transports ; ils les nommaient
tous, sans distinction, des marakas.
Aux comptoirs de l’océan Indien, peuplés en forte
majorité d’exilés et de fugitifs, répondaient à la même
époque les cités caravanières du désert et plusieurs villes
marchandes dans les pays des Noirs, toutes fondées et
maintenues à un haut niveau d’activités par des tribus
berbères, implantées depuis longtemps aux marges du
Sahara. Elles avaient certes adopté l’islam mais certaines
étaient réputées hérétiques et toutes s’affirmaient
profondément attachées à leurs particularismes, à leurs
structures sociales et même à leurs pratiques religieuses.
Ces communautés et sociétés du désert, loin de tout
contrôle immédiat et même de toute atteinte, devaient
pour la plupart leur existence ou leur essor à l’afflux de
musulmans fidèles d’une secte, les Kharidjites,
« puritains de l’islam » disent certains auteurs, qui
pratiquaient une religion plus austère. Certains
refusaient de reconnaître l’autorité des califes, voulant
vivre en une sorte de communauté de croyants.
Les Ibadites, puissante secte des Kharidjites, s’étaient
d’abord établis en Cyrénaïque et en Tripolitaine,
principalement dans le Djebel Nefusa puis, plus à l’ouest,
jusque dans le Maghreb central. L’an 767, Abder Rahman
ben Rostem, noble venu de Perse, gouverneur de
Kairouan, condamné par la calife abbasside et proscrit,
rejoignit les Ibadites de la tribu des Zenata et fonda
Tahert (Tiaret). Sorte de république communautaire sous
le gouvernement d’un iman qui imposait des mœurs
exemplaires et une stricte observance de la Loi, qui
veillait aussi aux repas collectifs et à la distribution de
vivres aux pauvres, la ville devint le centre d’une vie
religieuse et intellectuelle intense, célèbre pour ses
observatoires et ses bibliothèques. Ceinturée d’une
solide muraille, dominée par la puissante Casbah, ce fut
vite un marché prospère, centre de rencontre des grands
nomades qui parcouraient le désert et capitale d’un
vaste Etat marchand étendu fort loin vers le sud, jusqu’à
Sijilmassa, centre de traite des Noirs, et, vers l’est,
jusqu’à Ghadamès, jusqu’au Fezzan, à l’île de Djerba et
même, un temps, jusqu’à tout le golfe de Gabès. Cet
empire rosténide, « pays rigoriste, habile et honnête en
affaires qui élève à la dimension d’un Etat le principe de
la secte fermée, avec répondants, frères, relations de
communauté à communauté, tout cela peut-être
marqué, d’ailleurs, de persistantes influences venues des
vieux judaïsmes berbères et sahariens162 », dura plus
d’un siècle mais fut, en 908, attaqué par une troupe de
chiites. L’an suivant, les guerriers d’Ubaydullah (al-
Mahdi), fondateur de la dynastie des Fatimides à
Kairouan, envahirent Tahert et massacrèrent un grand
nombre d’habitants. Les survivants prirent la fuite et se
réfugièrent, les uns dans l’île de Djerba, d’autres dans les
vallées isolées des montagnes, d’autres encore plus au
sud, en plein Sahara dans l’oasis de Sedrata, près de
Ouargla.
Les caravaniers, trafiquants en pays des Noirs,
trafiquants d’esclaves surtout, n’étaient pas tous des
hérétiques, mais des nomades très attachés à leurs
structures sociales et à leurs mœurs. Les musulmans
d’Orient et d’Espagne s’étonnaient de leurs usages et les
considéraient visiblement comme des étrangers, et
parfois même comme des hommes qui n’avaient pas tout
accepté des lois de la religion. Les géographes et
voyageurs peuplaient volontiers leurs récits de légendes
ou de ragots, exactement de la même façon que pour les
Noirs. Tel Idrisi qui, pourtant, dit s’être informé auprès
d’un homme d’expérience, bon observateur de ces
contrées. Etonné bien sûr et quelque peu scandalisé, il
affirme, sans rien mettre en doute, que les femmes de
ces Berbères n’avaient pas de maris et que, lorsque l’une
d’entre elles avait atteint l’âge de quarante ans, elle
s’offrait à tous ceux qui la désiraient : « Elle ne résistait à
aucun de ceux qui la voulaient163. » Et, lit-on encore sous
la plume d’al-Bekri, dont le Routier est pourtant bien plus
précis et généralement moins chargé de fantaisies, « les
gens de Tadmakka sont des Berbères musulmans qui se
voilent la face comme les Berbères sahariens et se
nourrissent de viande, de lait et de ces grains que la terre
donne sans travail. Leurs femmes sont d’une beauté sans
égale. Chez eux la fornication est permise. Dès qu’un
marchand arrive en ville, les femmes accourent et
chacune tâche de l’emmener chez elle164 ». Et Ibn Battuta
qui, lui, est allé sur place, en particulier à Oualata, de
parler plus longuement encore des femmes de l’une de
ces tribus, celle des Massufa, qui bénéficiaient d’une
grande indépendance et d’un réel pouvoir, jusqu’à
gouverner toute la ville sans nul partage avec les
hommes. Elles sont musulmanes, observent strictement
la prière, étudient la jurisprudence et apprennent le
Coran par cœur. Mais elles ne se couvrent pas la tête et
ne manifestent aucune pudeur. Les hommes ne sont pas
jaloux de leurs épouses. Les relations extraconjugales y
sont très fréquentes et, en tout cas, les généalogies
toujours tenues de manière matrilinéaire. L’héritage va
non au fils du mort mais au fils de sa sœur et les hommes
portent le nom de l’oncle maternel. C’est là, dit-il, « une
coutume que je n’ai vue ailleurs que chez les Indous de
Malabar165 ».
De fait, chez les Berbères ou Arabo-Berbères, en
particulier dans les villes du désert vouées surtout à la
traite, et dans les cités minières où l’on extrayait le sel ou
le cuivre, qui toutes possédaient une abondante main-
d’œuvre servile et participaient de façon très active à la
traite des Noirs, les femmes géraient les trafics,
percevaient les redevances, tandis que les hommes
tissaient des étoffes de coton teintes d’indigo. Elles
avaient leurs propres esclaves, accompagnaient souvent
les caravanes et, parfois, en prenaient le
commandement : « Nous arrivâmes ensuite chez les
Bardâma qui sont une tribu berbère. Les caravanes ne se
déplacent pas sans leur protection et, dans ce domaine,
la femme joue un plus grand rôle que l’homme… Leurs
femmes sont parmi les plus parfaites en beauté avec un
merveilleux visage, une blancheur pure et de
l’embonpoint. Je n’ai vu dans aucun pays de femmes
aussi grasses qu’elles. Leur nourriture consiste en lait de
vache et en mil concassé qu’elles boivent le soir et le
matin mêlé d’eau et non cuit. » Elles refusent de quitter
leur pays où elles exercent de réels pouvoirs pour suivre,
par le mariage, un étranger qui les en déposséderait en
les menant ailleurs : « Quiconque veut se marier avec ces
femmes doit habiter avec elles, dans le lieu le plus
rapproché de leur contrée et ne doit pas les emmener
plus loin que Kaw Kaw [Gao] et Iwalatan [Oualata]166. »
Les Berbères du désert, grands nomades, ont d’abord
vécu de l’élevage des chameaux et des chèvres. Presque
toujours aussi de trafics, très ordinaires – de survie en
quelque sorte – , à plus ou moins longues distances : ils
échangeaient étoffes et sel contre des dattes et quelques
charges de grains. Mais « si un chef nomade profite de
ses errances pour transporter des marchandises, tôt ou
tard, certains des membres de sa tribu s’installent dans
une ville ou fondent une nouvelle cité pour s’adonner à
d’autres commerces167 ». Devenus grands marchands et,
bien sûr très vite, marakas esclavagistes, ils ont fixé le
réseau des routes et, en plein désert, fait la fortune de
leurs lieux d’étape, développé ou même créé de toutes
pièces ou presque, au prix de travaux considérables pour
assurer le ravitaillement en eau, de nouveaux centres
urbains, appelés à un bel avenir.
A l’est, sur la route qui reliait l’Egypte au Tchad,
Zaouila (Zawila), peuplée dès les premières
années 700 de Berbères Kharidjites, fut, pendant plus
d’un millénaire, « le principal fournisseur du monde
islamique, de l’Ifriqiya à l’Egypte et à l’Orient, en esclaves
noirs, achetés contre les chevaux nécessaires pour les
razzias168 ».
A l’ouest, sur la piste qui menait du Maroc ou de
Tlemcen au fleuve Sénégal et au Niger, Sijilmassa, fondée
ou reconstruite vers le milieu du VIIIe siècle par des
Kharidjites cherchant refuge dans le désert, d’abord
terrain d’une foire, demeura pendant très longtemps un
grand carrefour, entrepôt et centre de redistribution des
produits du Soudan, esclaves surtout, vers les villes du
Nord. Les Noirs furent employés, en nombreuses
troupes, à creuser le sol pour en extraire les concrétions
salines. Ces grands travaux menés à terme, les maîtres,
propriétaires du sol et des esclaves, firent dresser une
série de barrages et aménager tout un réseau de canaux
pour diriger les eaux des cours d’eau « comme les
Egyptiens celles du Nil, pour cultiver du coton, des
légumes, du cumin, du fourrage pour leurs bêtes de
somme, des fruits et, surtout, une espèce de dattes
vertes, appelées al-buni, dont les noyaux sont très petits
et qui surpassent en douceur tous les autres fruits ». Al-
Bekri, émerveillé, décrit longuement cette cité surgie en
plein désert, « dont les remparts sont en briques avec
des soubassements de pierre et comptent douze portes,
dont huit avec des grilles de fer ». On y voyait, parmi les
jardins, vergers et palmeraies, de riches maisons et
quelques palais somptueux169.
Fondée au XIe siècle par les Almoravides comme une
étape sur leur route vers le sud, Tebelbelte figurait sous
la forme d’un beau castel sur l’Atlas catalan de 1375 et
sur la carte de Viladeste de 1418. Le Génois Malfante la
situe à sept jours de marche forcée de Sijilmassa, par un
rude désert où l’on ne voit que dunes, mais, lors de son
passage en 1447, elle regroupait plusieurs villages
fortifiés et de grandes palmeraies alimentées par des
foggaras, galeries souterraines qui amenaient l’eau des
montagnes et couraient sur une quinzaine de kilomètres.
Comme plusieurs autres cités du désert dépendantes des
caravanes, elle ne produisait, pour toute subsistance,
que des dattes et ne vivait que du trafic du sel et de celui
des esclaves.
Très loin, aux marges sud du Sahara, toujours sur la
route de Ghana et du haut Niger, à quelque cinquante
jours de Sijilmasa, Oualata, que l’on nommait aussi
Iwalatan, fondée dit-on en 1225, devint un grand centre
marchand et, de fait, une ville cosmopolite où l’islam fut
toléré avant même la conversion du roi. Il y venait des
hommes de tous les pays d’Egypte, du Fezzan, de
Ghadamès, du Touat, du Draa, du Sous, du Tafilalet. A
Iwalatan, où la chaleur est torride, les habitants vivent
bien et, eux aussi, s’enrichissent : « L’eau vient des puits
creusés dans le terrain sablonneux où s’infiltrent les eaux
de pluie. On voit quelques petits palmiers ; à leur ombre
sont cultivés des melons. Il se vend beaucoup de viande
de mouton. Les vêtements des habitants sont beaux et
importés d’Egypte. La plupart de ces habitants sont des
massûfites et leurs femmes sont d’une beauté rare et
sont plus considérées que les hommes170. »
Plus à l’ouest, Aoudaghost, construite autour de
plusieurs puits d’eau douce, ville peuplée, sablonneuse,
dominée par une grande montagne aride et désolée,
possédait une grande et de nombreuses petites
mosquées où des maîtres renommés enseignaient le
Coran. On y cultivait le blé à la bêche et on l’arrosait avec
des seaux en cuir, mais seuls les princes et les riches en
mangeaient ; le reste de la population se nourrissait de
mil… Sur le marché, la foule était si dense, le vacarme si
fort, qu’à peine si l’on entendait ce que disait son voisin.
Les achats étaient payés en poudre d’or. La plupart des
habitants, les plus riches du moins, les notables, étaient
des Berbères, originaires des tribus de l’Ifriqiya171.
Postes de traite et villes du Soudan
Au-delà du désert, dans le Soudan, plusieurs villes qui
ne vivaient que de pauvres négoces se sont elles aussi,
par la seule présence des marakas, par leur savoir-faire
et leur audace à mener les affaires, trafics de toutes
sortes et traite des Noirs, enrichies de façon
spectaculaire.
Dans les premiers temps, les marchands devaient,
informés des grandes razzias, rejoindre les camps des
rois noirs ou des chefs de guerre et s’y installer. Au
Bornou, tandis que le roi était à la chasse aux esclaves, ils
l’attendaient à ses frais pendant souvent deux ou trois
mois, parfois jusqu’à l’année suivante172. Pour préparer
leurs transactions ou tromper le temps, ils se faisaient
accompagner de leurs esclaves domestiques, des
femmes surtout, chanteuses et danseuses, concubines et
prostituées. Leurs serviteurs aménageaient et décoraient
les tentes ou les cases trouvées sur place puis, de saison
en saison, en firent construire d’autres, plus vastes et
plus appropriées, de bois, de pisé ou de briques, avec des
toits de palmes.
Tombouctou, que l’on dit fondée au XIe siècle, ne fut
d’abord qu’un simple lieu de rencontre pour les
Touaregs. Ils y gardaient leurs ustensiles et les grains,
confiés, si l’on en croit la tradition, à une esclave
nommée Tombouctou (la Vieille). On vit arriver des
caravanes de tous les pays et s’établirent alors des riches
marchands d’Egypte, du Fezzan, du Touat, du Tafilalet et
de Fez. De telle sorte que, peu à peu, les activités de
toute la région se concentrèrent dans cette nouvelle ville
qui finit par éclipser l’ancien centre marchand de
Oualata. Ce sont aussi des marakas, ceux-ci dits les Nono
ou les Jennenke, venus sans doute de plusieurs horizons,
qui ont, sur le Niger et sur des terres entourées d’eau,
donné une considérable ampleur à un site urbain sans
doute très modeste qui prit leur nom, Jenné ou
Djenné173. Ils firent bâtir des entrepôts pour leurs
marchandises et des enclos pour garder les captifs, le
temps d’en rassembler un assez grand nombre pour
former une caravane et les conduire vers le nord. Ce sont
eux qui, les premiers, ont fait la fortune de cette ville,
grand centre du trafic caravanier et, plus
particulièrement, de la traite des Noirs : « Le territoire de
Djenné est fertile et peuplé ; des marchés nombreux s’y
tiennent tous les jours de la semaine. On assure qu’il
contient 7 077 villages [sic !] très rapprochés les uns des
autres. Là se rencontrent les marchands de sel venus des
mines de Teghaza et ceux qui apportent l’or de Bitou. Ces
deux mines merveilleuses n’ont pas leur pareil dans tout
l’univers entier. Tout le monde trouve grand profit à s’y
rendre pour y faire grand profit et on acquiert ainsi des
fortunes dont Dieu seul peut connaître le chiffre174. »

Conquérants et soumis

Dans toutes ces villes de traite, villes de la côte à l’est,


villes du Niger et du désert à l’ouest, les négociants ne
représentaient certainement qu’une part de la
population. Ils ne se fondaient évidemment pas dans les
autres communautés mais se réservaient, pour eux, pour
leurs fidèles et leurs coreligionnaires de bonne
renommée, des quartiers particuliers et parfois même
comme une cité à part.
COMPTOIRS MARITIMES D’ORIENT : MÉTISSAGES ET
SERVITUDES
Les établissements de la côte orientale d’Afrique, tous
revendiqués comme terres d’islam, ne se ressemblaient
pas. Ils avaient, en des temps séparés par un ou plusieurs
siècles, accueilli des hommes d’origines très diverses :
Arabes, Yéménites et Persans. Affrontés à des Africains
qui, eux aussi, n’étaient ni de même ethnie ni de même
langue et n’avaient pas les mêmes usages, à des tribus
qui leur opposaient une résistance plus ou moins forte,
les musulmans ne se sont pas installés partout aussi
nombreux et ne pouvaient donc mener leurs négoces de
la même façon. Ceux des comptoirs de la mer Rouge se
sont imposés sans trop de mal et vite ; ils s’aventurèrent
loin dans l’intérieur du pays, sur les hauts plateaux, et
prirent le contrôle de pays entiers formant, on le sait, des
sultanats islamiques, vassaux souvent récalcitrants du
royaume chrétien d’Ethiopie, en fait parfaitement
indépendants. Plus au sud, au contraire, face aux Somalis
et à ceux qu’ils appelaient les Zendjs, les hommes des
comptoirs se sont enfermés dans leurs îles et leurs
remparts, incapables de conquérir de vastes territoires,
ni même de convertir les populations au-delà d’une
mince frange côtière. Mais dans tous les cas, au nord
comme au sud – de la mer Rouge à l’océan Indien –,
cette colonisation est, sur le littoral même, demeurée
précaire, incertaine ou incomplète, partout appuyée sur
un flux humain trop faible. Terre d’exploitation,
marchande surtout, non de peuplement, non de mise en
valeur par les immigrés. Le plus souvent, les énergies et
les initiatives ne visaient qu’à assurer au plus vite la traite
et les opérations portuaires, entrepôts et
embarquements, à moindres frais.
Les colons ont-ils seulement formé le projet de faire de
leurs établissements des cités peuplées pour une large
part d’hommes venus des pays d’islam et de leurs
descendants ? De garder intacts leurs traditions, leurs
genres de vie et même leurs pratiques religieuses ? Ces
villes, Mogadiscio sans doute excepté, ne furent que des
entrepôts pour un trafic qui ne générait que peu
d’activités diversifiées. On n’y venait pas en grand
nombre pour faire souche et bâtir de solides et riches
résidences, mais pour, à la hâte, expédier ses affaires. En
mer Rouge même, certains ports, presque tous en fait,
n’étaient que de misérables ancrages, refuges pour les
navires malmenés par les vents ou postes de traite
rudimentaires, sans aucune sorte d’aménagements ou
édifices en dur : « Les passagers ne virent la fin de leur
frayeur que lorsque nous arrivâmes dans un port dit Ra’s
Dawâir, entre Aydhâb et Sawâkim [Souakim] ; nous
trouvâmes sur le rivage un berceau en roseaux en forme
de mosquée où il y avait de nombreuses coquilles d’œufs
d’autruche pleines d’eau que nous bûmes et qui nous
servit pour la cuisine175. »
Vastes caravansérails encombrés de monceaux de
ballots, tas d’immondices dans les rues, près des
débarcadères et des plages, auberges misérables pour
chameliers et muletiers, entrepôts, abattoirs en plein air,
les escales de l’archipel des Dahlaks et toutes les autres
en mer Rouge ne furent d’abord que de simples emporia.
« Les habitants de Zaïla sont noirs de peau. C’est une
grande ville dotée d’un marché important, mais c’est la
ville la plus sale du monde, la plus laide et la plus puante.
L’odeur nauséabonde qui s’en dégage vient du grand
nombre de poissons qu’on y consomme et du sang des
chameaux qu’on égorge dans les rues. » L’île de Souakim,
« située à environ six milles de la côte, n’a ni eau, ni
culture, ni arbre. On y apporte l’eau dans des barques ; il
se trouve là des réservoirs dans lesquels s’amasse l’eau
de pluie. C’est une grande île où les habitants se
nourrissent de viande d’autruche, de gazelle et
d’onagre176 ».
Les immigrants – Arabes ou Persans – associaient les
chefs indigènes aux profits du trafic et leur payaient
même parfois tribut. L’africanisation de ces colons venus
de la mer, et surtout semble-t-il de leurs chefs, s’est
progressivement affirmée par de nombreux mariages
mixtes. Ils étaient, pour la plupart, venus sans leurs
familles et les mariages avec les filles des chefs des tribus
permettaient de se faire protéger par leur peuple et de
conduire les transactions dans de bien meilleures
conditions. Au temps où Ibn Battuta était de passage à
Souakim, le sultan, Zayd ben Abi Numayy, dont le père et
deux de ses frères avaient été émirs de La Mecque,
« régnait sur l’île au nom des Buja [peuple de pasteurs
entre le Nil et la mer Rouge], qui sont ses oncles
maternels. Il avait une troupe de Buja, appartenant aux
Awlâd Kâhil [peuple nomade islamisé d’Afrique
orientale], et d’Arabes Juhayna [tribu d’Arabes installée
dans les environs de Médine dont certains ont émigré en
Nubie]177 ». Sur la côte des Zendjs, à Pate, le chef des
musulmans établis en 1204, Suleiman ibn Suleiman, avait
épousé le fille du roi africain et, par la suite, les titres
royaux de ce comptoir montrent que les princes et les
princesses portaient tous des noms en swahili, non en
arabe.
Le swahili, langue des Bantous venus s’installer sur la
côte, de Mogadiscio au nord jusqu’à une partie du
Mozambique, parlée aussi dans les îles de Pemba,
Zanzibar, Mafia et jusqu’à Kerimba et aux Comores, avait
certes fait quelques emprunts à l’arabe mais s’était
imposée comme la seule langue des affaires. Elle était
aussi langue de cour en plusieurs établissements
musulmans, à Kilwa notamment. Dans Mogadiscio
même, le chef de la communauté parlait une langue
qu’Ibn Battuta fut incapable de comprendre. De
nombreux descendants d’Arabes étaient des hommes
complètement noirs, leurs pères n’ayant, pendant
plusieurs générations, pris pour femmes que des filles du
pays. De plus, les habitants des comptoirs furent souvent
contraints de conclure des accords avec les tribus des
Noirs dont leurs femmes, mères ou épouses étaient
issues. Partout, l’africanisation fut très forte : les
Portugais voyaient, à Kilwa et à Mombasa, les « Maures »
noirs bien plus nombreux que les blancs et, à Sofala,
en 1505, traitaient avec un cheikh noir.
Les familles arabes qui s’efforçaient de préserver une
certaine pureté de sang dans la cité échouèrent. A
Mogadiscio, les citadins n’avaient que mépris pour les
Zaydites, membres d’une secte chiite arrivés vers 740,
qui, refoulés par les sunnites vers 920, avaient épousé
des femmes de l’arrière-pays. Ils ne leur donnaient
d’autre nom que celui de badwi (gens du désert) ; ils les
laissaient fréquenter régulièrement les marchés dans la
ville mais s’en méfiaient et ne désiraient pas les voir
s’attarder. Ils les obligeaient à regagner leurs villages et
leurs terres à la tombée du jour. Mais cela ne pouvait
durer qu’un temps et les métis, de plus en plus
nombreux, en vinrent à former la part la plus active des
sociétés marchandes. Alors que les non-Africains, les
Arabes et les Indiens, n’étaient souvent que de passage,
le temps d’assurer le déchargement ou l’embarquement
de leurs marchandises, les métis étaient là à demeure et
tout porte à croire que, sur place, l’essentiel du
commerce se trouvait entre leurs mains ou, du moins,
sous leur contrôle178. « Lorsqu’un bateau arrive dans leur
port, il est abordé par les sunbuq qui sont de petites
barques et qui sont chargés de quelques jeunes gens, des
habitants de la ville. Chacun d’entre eux porte un plat
couvert, plein de nourriture, pour l’offrir à un
commerçant du navire, à qui il dit : “Tu seras mon hôte.”
Lorsqu’un négociant venu d’ailleurs loge chez un hôte,
c’est ce dernier qui se charge de vendre sa marchandise
et de faire ses achats. L’acheteur qui paierait au-dessous
du prix, ou le vendeur qui ferait une affaire en dehors de
la présence de l’hôte, verrait sa transaction annulée par
les habitants qui ont avantage à se comporter de la
sorte179. » Seul l’étranger qui avait déjà, à plusieurs
reprises, séjourné dans Mogadiscio pouvait se loger où il
le voulait.
Les immigrants n’ont pas davantage préservé leurs
genres de vie et leurs pratiques religieuses. Mogadiscio,
plus peuplée qu’un simple port colonial, devint certes
une ville active, différente, bien plus riche aussi, de belle
allure, alignant de hautes et magnifiques maisons, et, aux
dires des voyageurs qui, très fiers certainement de cette
entreprise coloniale menée à si bon terme, en
énuméraient complaisamment les mérites, cité très
policée. Mais tout de même une ville cosmopolite
formée de plusieurs quartiers, arabe, persan, africain et
indien, qui menaient leur vie propre.
Pour sa part, Kilwa connut, aux XIVe et XVe siècles, une
étonnante prospérité. Les habitants ont doublé les
dimensions de la mosquée et dressé un magnifique palais
pour leur sultan. Les marchands de passage faisaient
halte dans un immense caravansérail et les trafiquants
d’esclaves dans le Husmi Kubwa, ensemble sordide de
baraquements. Mais, dit encore Ibn Battuta, qui
visiblement ne trouve pas grand plaisir à observer les us
et coutumes de la ville et n’y passe que très peu de
temps, les maisons y sont de bois avec un toit de joncs et
cette grande ville côtière est habitée principalement par
des Zendjs, au teint très noir, avec des incisions sur le
visage. De toute évidence, Kilwa, comme sans doute
d’autres escales de la côte aventurées plus au sud, ne fut
pas une belle colonie de peuplement.
Plus tard encore, Duarte Barbosa et les autres
rédacteurs des voyages portugais dans l’océan Indien
montrent bien que mis à part les grands palais de Kua
(près de l’île Mafia), de Mafia dans les îles Juani, de
Mtitimira et quelques belles et riches demeures de
Mogadiscio directement inspirées de l’architecture
yéménite, toutes les maisons à Kilwa, à Mombasa et à
Malinde étaient d’un seul étage, à la façon indigène180.
Par la suite, certains historiens de cette Afrique orientale
ont même affirmé que l’islam n’était là qu’une sorte de
compromis avec le paganisme africain. Accusation de
puristes de la part de musulmans bons croyants, sans
doute fort exagérée, mais il reste que les décorations peu
orthodoxes des mosquées, pour les portes et le mihrab,
témoignent d’inspirations africaines indiscutables ; que
les minarets y sont très rares ; que, contrairement à la
tradition, de hauts personnages se sont fait enterrer à
Mogadiscio dans la mosquée du Vendredi.
De plus, sur le plan politique, ces comptoirs n’étaient
en aucune façon partie ou prolongements des Etats
islamiques d’Irak ou d’Arabie. Le calife de Bagdad, le
sultan du Caire, les émirs ou sultans du Yémen et
d’Arabie n’y nommaient pas de gouverneurs ; ils n’y
envoyaient ni troupes ni officiers chargés de faire
respecter leur autorité. A Mogadiscio, les marchands
immigrés, en majorité arabes, s’étaient, au Xe siècle, unis
pour résister aux nomades somalis. Une fédération de
trente-neuf tribus, sous la conduite de celle des Banu
Kahtan qui revendiquaient le droit des premiers venus, a,
pendant quelque temps, monopolisé les charges civiles
et religieuses mais, vers 1250 ou 1300, ce gouvernement
a dû céder la place à un sultanat dont le chef, confirmé
par les notables, prit le titre de cheikh181.
Les établissements de la côte des Zendjs vivaient
chacun pour soi, armaient leurs navires et poursuivaient
leurs négoces sans en référer à un quelconque pouvoir
ou recevoir la moindre directive, sans négocier même
aucune entente. En fait, les sultans et les cheikhs,
souvent rivaux, s’affirmaient complètement
indépendants et se dressaient les uns contre les autres.
Si Vasco de Gama obtint si facilement, en 1498, l’aide de
celui de Malinde qui lui prêta un pilote pour le conduire
en Inde, c’est que celui-ci se trouvait en guerre avec le
maître de Mombasa et pensait lui nuire. Lors de son
second voyage, en 1502, Gama n’eut aucun mal à
imposer un traité et un tribut à Kilwa et, l’année
suivante, en 1503, un autre capitaine portugais, Ruy
Lourenço Ravasco, obtint de la même façon l’alliance du
sultan de Zanzibar. Sofala, soumise à Kilwa depuis le XIIe
siècle, fut occupée sans coup férir par les Portugais de
Pedro de Anaia, en 1505, car Shaïkh Yusuf, très âgé et
aveugle, s’était déclaré indépendant et ne reçut aucune
aide. L’archipel de Lamu et l’île de Pate tombèrent aussi
aux premiers coups de canon, en 1506. Brava, qui résista,
fut brûlé et détruit sans que les autres Etats ou
communautés viennent à son secours. Seule l’annonce
prochaine de la mauvaise saison sauva Mogadiscio cette
même année en contraignant la flotte armée à Lisbonne
à prendre le large en toute hâte. En l’espace de huit
années, les Portugais avaient occupé toute la côte au sud
de cette ville avant d’entreprendre la conquête ou, du
moins, d’assurer leur contrôle sur de vastes territoires
vers l’intérieur, dans le Mozambique.
LES OASIS
Villes doubles, villes fermées
Dans chaque ville marchande du Sahara, deux sociétés
parfaitement hiérarchisées, deux façons de vivre et de
travailler, s’opposaient : noirs esclaves ou métis demi-
libres (harratines) qui travaillaient la terre, et hommes
libres, nomades, pasteurs et marchands caravaniers, qui
régnaient en maîtres et se tenaient résolument à l’écart.
De ce fait, ce que les voyageurs appelaient
communément, par habitude et pour plus de
commodité, des « villes » se présentait comme de vastes
agglomérations, des suites de villages et de palmeraies
échelonnées au long de la zone irriguée. Le centre
politique, religieux et marchand était d’ailleurs, le plus
souvent, une ville double ou triple, chacune nettement
distincte, entourée de sa muraille. Là même où une seule
enceinte englobait l’ensemble de ce noyau, sorte de
chef-lieu, celui-ci se trouvait tout naturellement divisé en
plusieurs secteurs ou quartiers parfaitement délimités, à
demi autonomes, correspondant chacun à une tribu ou à
une famille, tous sous la coupe d’une aristocratie de
l’argent et de la marchandise.
Deux cités éloignées l’une de l’autre, sans grands liens
entre elles, formaient la ville de Ghana182. L’une était
habitée par les « vrais musulmans », Berbères ou Arabo-
Berbères, et comptait douze mosquées où les imans et
les muezzins résidaient en permanence, où les juristes et
les érudits tenaient bibliothèques et écoles. L’autre, la
« ville du roi », avec son palais et ses riches maisons,
était située à six milles de là et n’avait qu’une seule
mosquée où venaient prier visiteurs et voyageurs. « Tout
autour de la ville royale, il y a des cases en coupoles et
des bois touffus où vivent les sorciers qui leur servent de
ministres du culte. C’est là que se trouvent les tombeaux
de leurs rois. Des gardiens veillent sur ces bois sacrés et
nul n’est admis à savoir ce qui s’y passe. C’est là aussi
que sont les geôles du roi où les prisonniers disparaissent
sans laisser de traces183. » De même, ce que l’on
nommait communément la ville d’Aghmât184 n’était rien
d’autre que l’agglomération de deux villes dont chacune
portait ce même nom. L’une était Aghmât Ilân, l’autre
Aghmât Warika. « C’est celle-ci qui sert de capitale au
prince et de résidence aux commerçants et aux
étrangers. Il y a une distance de huit milles entre les deux
villes. Des jardins et des palmeraies de dattiers entourent
la ville ; c’est le territoire des Masmûda qui occupent,
dispersés dans tout le pays environnant, des villages
fortifiés et des parcs à bestiaux185. »
Ces cités marchandes du désert, très peuplées et très
actives, attiraient au long de l’année un grand nombre de
négociants venus de très loin. Certains s’y fixaient pour
de longs séjours, mais les étrangers de passage y étaient
sévèrement contrôlés. L’aristocratie urbaine, solidement
ancrée en ses monopoles, se fermait à la concurrence.
Tout était sous surveillance. A peine une caravane avait-
elle franchi l’une des portes de la muraille que le
négociant visiteur devait se faire connaître et recherchait
la protection d’un chef de famille ou de quartier. Celui-ci
devenait son client ou plutôt son partenaire et, en fin de
compte, recevait une part des profits, courtier obligé. Les
grandes familles, les clans et les tribus gardaient la haute
main sur tous les négoces. Rien ne se faisait, ni livraisons,
ni transactions et chargements, sans que ces hommes
soient informés des entrées et des échanges. En
plusieurs oasis, particulièrement dans le Touat, les Juifs,
relativement nombreux, bénéficiaient d’une excellente
protection, mais il leur était interdit de quitter la ville et
ils ne pouvaient que servir d’intermédiaires ou se
contenter de petits négoces aux horizons limités. Ils
assuraient le ravitaillement de leur communauté en
vivres et menaient sur le marché le produit de leurs
travaux d’artisans, travail du fer notamment. Rien de
plus.
Les affaires, le troc
Les marchands se servaient rarement des monnaies
métalliques. Entre Berbères d’une part et souverains ou
chefs de guerre des Noirs de l’autre, tout se réglait par
des traites dont les usages furent très exactement repris,
aux temps de la traite atlantique, par les armateurs et
négociants de France, d’Angleterre et des Etats-Unis
d’Amérique. Chaque esclave, homme, femme ou enfant,
évalué selon son âge, son aspect et ses qualités
supposées, était proposé à la vente contre un poids plus
ou moins élevé de produits ou un certain nombre
d’objets. Dans le Kanem-Bornou, ce furent, tout au long
des siècles et jusqu’à l’arrivée des Européens, des pièces
de toile de dix coudées de long et de qualités
équivalentes sinon de mêmes couleurs, tissées soit en
Egypte soit dans les oasis du désert186. A Zaouila, on usait
de petites pièces d’étoffe rouge. Dans le Mali et le
Songhaï, pour les esclaves cédés directement par le roi et
par les hommes de son conseil et de sa cour, les chevaux
servaient de monnaie. Mais, plus communément et dans
tous les pays des Noirs, les trafiquants payaient en petite
vaisselle ou en morceaux de cuivre, en fer battu, en
verroteries et, plus encore, en coquillages, les cauris187.
Les perles de verre venaient soit de Syrie par Le Caire,
soit de Venise. C’est la forte demande, en Afrique noire
et donc chez les Berbères caravaniers, en verres irisés ou
colorés, enrichis de fils d’or, qui a, pour une bonne part,
provoqué l’essor de cette industrie à Venise, dans l’île de
Murano. Les Vénitiens les portaient à Tunis et en
ramenaient de la poudre d’or du Soudan, amenée là par
les musulmans qui, au terme d’un long parcours à travers
le Sahara, échangeaient ces verroteries contre des
esclaves. Lorsqu’elles venaient à manquer, on proposait
des fragments de bijoux brisés.
Le mot cauris, employé communément dans les récits
de l’époque et dans nos livres, désignait des coquilles de
plusieurs natures et provenances, très différentes les
unes des autres et de valeur aussi très variable. Les
navires arabes chargeaient dans l’île de Socotra des sacs
entiers de petits coquillages de l’océan Indien, les buzios
des îles Maldives, en particulier ceux appelés
« porcelaines » : « Les indigènes les enterrent dans des
trous, sur la côte, pour que la chair se décompose et que
le coquillage reste blanc. Ils troquent ces cauris avec les
habitants du Bengale contre du riz et c’est aussi la
monnaie de ce pays. Ils en vendent aux Yéménites qui
s’en servent comme lest pour leurs navires188. » Ces
cauris, débarqués par dizaines ou centaines de sacs, dans
les comptoirs musulmans d’Afrique, sur la côte de la mer
Rouge ou de l’océan Indien, étaient régulièrement
acheminés, par tout un réseau de pistes caravanières,
celles pratiquées dans l’autre sens par les trafiquants
d’esclaves, jusque très loin à l’intérieur du continent.
Mais, contrairement à ce que disent ordinairement les
manuels qui insistent beaucoup sur la quête des
« épices » et autres produits du lointain Orient, les
coquilles les plus recherchées ne venaient pas d’aussi
loin. D’autres, plus nombreuses et le plus souvent
échangées à meilleur prix, étaient récoltées sur les côtes
de l’Atlantique en Afrique même ou dans les îles sous
domination espagnole ou portugaise, de telle sorte que
leur transport et leur négoce ensuite ne demandaient
pas la mise en place d’aussi vastes circuits commerciaux
ni, en tout cas, de passage par toutes sortes
d’intermédiaires, de l’océan Indien au cœur de l’Afrique.
Les plus appréciées, celles des Canaries, grandes conques
rouges, « que les Noirs estimaient de la même façon que
nous les pierres précieuses, valaient à Saõ Jorge de la
Mina chacune de vingt à trente pièces d’or189 ». Les coris
de rio, pêchés surtout dans la partie orientale du delta du
Niger, étaient le plus souvent présentés en longs colliers,
dits « chapelets pour les Noirs », faits de grains bleus
rayés de rouge. Plus au sud, l’île de Luanda « est la mine
de la monnaie qu’utilisent le roi du Congo et les peuples
voisins ». Sur les plages, les femmes plongeaient par des
fonds de deux brasses d’eau ; elles ramenaient des
paniers pleins de sable et triaient soigneusement les
coquilles, séparant les mâles des femelles, celles-ci, de
couleur plus claire, plus appréciées. On trouvait d’autres
coquilles, des nzimbi, sur tout le littoral mais celles de
Luanda, plus fines, brillantes, brunes ou grises, valaient
beaucoup plus cher et servaient de référence. Et Duarte
Lopez, écrivain, grand voyageur et trafiquant portugais,
de mettre tous les autres en garde : « On ne trouve rien à
acheter dans tout le royaume du Congo avec de l’or ou
de l’argent, pièces de monnaies ou métal brut ; il faut des
coquillages190. »
Dans la plupart des postes de traite et dans les cités
marchandes d’Afrique noire, ces coquillages, objets
curieux, objets de luxe, portaient des rêves d’un autre
monde. Ils servaient ordinairement d’étalon pour le
négoce de toutes sortes de produits indigènes, plus
particulièrement pour la traite des esclaves. On les
trouvait dans les royaumes africains de l’intérieur, jusque
dans le Bornou et, plus encore, dans les pays du haut
Niger où les voyageurs musulmans venus d’Espagne et
du Maghreb assistent, étonnés, quelque peu émerveillés,
à ces marchés où les hommes utilisent comme monnaie
autant les coquilles que les pièces d’or : « J’ai vu faire des
échanges au Mali et à Gao sur la base de mille cent
cinquante cauris pour un dinar-or191. »
Les Berbères servaient d’intermédiaires ; ils achetaient
les étoffes et les verreries aux négociants, chrétiens ou
musulmans, des ports de la Méditerranée, et les cauris
aux Portugais de la côte atlantique. Ils contrôlaient aussi
d’autres approvisionnements et s’efforçaient d’offrir aux
chefs de guerre, aux chasseurs d’hommes et aux
trafiquants de tous rangs toujours davantage d’objets,
eux aussi venus de loin, surtout des charges de grand prix
qui ne servaient pas toujours de monnaie mais leur
assuraient de bons profits. Les marchands de Mauritanie
n’ont cessé, pendant des siècles, d’amener au Soudan les
produits de leur cru. « Quand quelqu’un de chez eux part
en voyage, il se fait suivre par ses esclaves, hommes et
femmes, qui portent sa literie, avec des ustensiles
fabriqués avec des courges, pour manger et pour boire.
Le voyageur n’emporte ni aliments de base, ni
accompagnements, ni dinars ni dirhams. Il ne porte que
des morceaux de sel, des colifichets de verre et quelques
produits aromatiques. Ce qui plaît le plus est la girofle, le
mastic [résine d’un arbuste, qui sert de pâte à mâcher] et
le tasarghani, plante odoriférante récoltée au bord de
l’Océan qui est leur encens. En Mauritanie, une charge
de cet encens s’achète un dinar et demi ; au pays des
Noirs, elle se vend quatre-vingts, cent dinars et plus.
Quand le voyageur arrive dans le village, les femmes
noires lui apportent du lait, des poulets, de la farine
d’alise [fruit rouge de l’alisier], du riz, du fûni [ou fonio]
qui ressemble aux graines de moutarde avec lequel on
prépare le couscous et l’asîda, bouillie épaisse faite avec
de la farine, du beurre et du miel, et de la farine de
dolique, pois indien, pois-coolis, sorte de haricot. Le
voyageur achète à ces femmes les produits qu’il désire,
sauf le riz qui fait mal aux Blancs, le fûni étant bien
meilleur192. »
Les marakas tenaient aussi les mines sous leur
contrôle. Le cuivre n’était pas tout importé d’Europe ou
d’Orient. Takedda, dans le Sahara central, à l’ouest-nord-
ouest d’Agadès, en produisait des quantités
considérables. La majeure partie en était aussitôt fondue
et enregistrée, transportée très loin dans les pays du
Niger, jusqu’à la ville de Niani où les barres de cuivre
étaient entreposées dans de grands magasins et, de là,
redistribuées par caravanes plus loin, vers les royaumes
des idolâtres. D’autres barres gagnaient directement,
plus à l’est, le Bornou, à quarante jours de marche,
échangées soit contre des étoffes teintes de safran, soit
contre de belles esclaves et des jeunes gens193. Ce cuivre
rouge, d’excellente qualité, était offert à la vente en
barres d’environ un tiers de mètre de long. Pour un ducat
d’or, on avait quatre cents barres de grande épaisseur
qui, chez les Noirs, servaient à acheter les esclaves, les
grains, le beurre et le fromage. Et, pour le même ducat,
environ six ou sept cents barres plus minces, à échanger
contre les viandes et le bois à brûler. Un autre gisement,
à Tamedelt, sur la piste caravanière qui joignait le Sous
marocain à Tombouctou, d’exploitation aisée, presque à
fleur de terre, donna lui aussi naissance à une grande cité
minière où les caravanes faisaient halte pendant
plusieurs jours, le temps de charger les barres de métal.
Ce fut un important point de contacts et de fixations, lieu
d’échanges, de troc surtout, étape pour la conquête
économique des royaumes africains194.
« Au pays des Farawiyyin195, le sel se troque contre de
l’or. » La mainmise sur les salines, les transports et les
marchés assurait aux Berbères de forts et constants
moyens de pression sur les populations des oasis et, plus
au sud, sur celles des villes du Soudan et sur les postes de
traite. A l’est, les Touaregs, maîtres de l’Aïr, pratiquaient
certes l’élevage des dromadaires mais vivaient surtout du
commerce du sel. D’immenses caravanes, parfois de
plusieurs milliers de charges, conduites par les chefs et
les guides, les embuçados de l’Aïr, effectuaient chaque
année la pénible traversée du désert pour porter le sel à
Bilma et dans les oasis du Kawar. Elles en ramenaient des
dattes et, très régulièrement, des esclaves, qu’ils
vendaient en Tripolitaine et en Tunisie. Pendant
longtemps, Tadmakka, au sud-est du massif montagneux
de l’Idrar des Ifocas, sur la route de Kairouan, leur servit
d’étape. Agadès prit la suite, surgie vers 1460, ville
entièrement ceinte de murailles, dominée par un
somptueux palais royal, « où chaque marchand possédait
un grand nombre d’esclaves196 ».
Les caravaniers berbères ou arabo-berbères veillaient
à préserver de toute concurrence leurs réseaux et leurs
marchés. En plusieurs régions, ils ont réussi à ruiner les
Noirs, marchands, chameliers ou bateliers. Pendant deux
ou trois siècles, à partir en tout cas des années 1100, les
Toucouleurs et les Oualofs descendaient le fleuve
Sénégal sur leurs pirogues et, arrivés à la mer,
remontaient vers le nord en longeant la côte jusqu’aux
salines du littoral ; ils y chargeaient des barres de sel et
allaient, au retour, les vendre dans leurs pays. Les
Berbères en ont eu raison, et fait en sorte que les
transports de sel ne se fassent plus que par caravanes à
travers le désert, soit par eux-mêmes, soit par leurs alliés
ou par des convoyeurs qui leur étaient soumis. De telles
captures, obtenues par des raids, des brigandages sur les
marchés, par le vol des cargaisons et même par de
véritables expéditions armées, n’étaient certainement
pas exceptionnelles. La concurrence pouvait aussi
dresser les villes et les tribus les unes contre les autres,
ou les armées du souverain noir contre les troupes des
nomades.
Les villes du désert devaient leurs origines et une
bonne part de leur fortune à leurs relations marchandes
mais elles ne sont pas demeurées de simples centres
d’entrepôts et de transit. Loin de là : de riches
négociants, à la tête de grandes entreprises, s’y
rencontraient et y installaient commis ou associés. A
Sijilmasa, Ibn Battuta fut hébergé chez un marchand
arabe originaire de Salé, au Maroc, et, dans cette même
ville, un autre négociant – Berbère du clan des Maqqari
de Tlemcen – envoyait régulièrement toutes sortes
d’informations sur les cours des produits et la marche
des caravanes à ses quatre frères, deux résidant à
Tlemcen même et deux à Ouargla où ils faisaient
commerce de l’or, de l’ivoire et des esclaves. Ces villes
des oasis avaient aussi développé leurs propres
industries, pour les besoins de leurs populations et, plus
encore, pour mettre sur les marchés des objets de luxe
qui, tant dans les villes et les postes de traite d’Afrique
noire que dans les cités du Maghreb même, se
négociaient aisément à de hauts prix. A Figuig, considéré
dans les années 1300 comme l’une des principales cités
du Sahara, les femmes tissaient des étoffes légères, très
renommées, aussi précieuses que de la soie, vendues
très cher à Tlemcen et à Fez où, disait-on, aucune autre
étoffe ne les égalait. A Mogadiscio, « on fabrique des
étoffes qui tirent leur nom de cette ville et qui n’ont leurs
pareilles nulle part ailleurs. On les exporte en Egypte197 ».
La traite rapportait gros. Les trafiquants couraient de
grands risques mais amassaient d’immenses fortunes.
« Leurs caravanes légères sont constamment en
mouvement et leurs caravanes lourdes font de très
grands profits. Peu de marchés, en pays d’islam, ont tant
de richesse et d’influence. J’ai vu une lettre de change
pour une dette due par Muhammad ben Adi à
Awdaghust [Aoudaghost] et certifiée par son garant de
quarante-deux mille dinars198. » Idrisi n’est pas allé dans
ces pays et n’a visité aucune de ces cités des oasis ; mais
il en a tout de même recueilli, à la cour du roi de Sicile,
plus d’un écho. Il s’en émerveille et s’attarde, ce n’est
pas chez lui très habituel, à décrire leurs usages, leurs
richesses, leur façon de gagner l’argent et de le montrer.
Maîtres de la ville d’Aghmât, située à onze jours de
marche de Sijilmassa, les marchands de l’une de ces
tribus qui furent « berbérisés par voisinage » sont des
négociants opulents qui se rendent aux pays du Soudan
en grandes caravanes de dromadaires chargés d’énormes
quantités de marchandises : cuivre rouge et coloré,
manteaux, vêtements de laine, turbans, ceintures, toutes
sortes de colliers de verre, de coquillages et de pierres,
diverses espèces de drogues et de parfums, des outils de
fer. Quiconque emploie à ces voyages ses esclaves ou ses
hommes, met en route des caravanes de cent soixante-
dix ou cent quatre-vingts chameaux, tous chargés. Dans
leur ville, le bon ton est de se faire reconnaître et de
montrer par de grands signes ostentatoires l’étendue de
ses gains. « Lorsque l’un d’entre eux possède quatre
mille dinars de réserve et quatre mille dinars à mettre
dans les affaires, il place, à droite et à gauche de sa
maison, deux piliers qui montent du sol jusqu’au toit. De
cette façon, ceux qui passent par là et voient les piliers
devant la maison peuvent, d’après leur nombre, savoir
combien le propriétaire de cette maison a d’argent. Il
peut bien y avoir quatre ou six piliers à la porte, deux ou
trois de chaque côté199. »
Les citadelles religieuses de l’Islam
Les grandes cités des royaumes du Soudan et les oasis,
étapes sur les routes caravanières du désert, toutes
prospères et presque toutes dominées par les marakas
et par les religieux, hommes d’expérience dont les
relations s’étendaient très loin, forçaient l’admiration et
imposaient le respect. Les voyageurs venus du Maroc, de
l’Egypte ou de l’Orient musulman s’y trouvaient comme
chez eux et ne tarissaient pas d’éloges : « Les habitants
sont parfaits dans leurs actions, leurs morale et attitudes.
Dans leurs manières, ils ne partagent pas la petitesse des
autres peuples du Maghreb, ni dans leurs coutumes et
traditions, mais agissent franchement. Ils sont connus
pour leur grande charité et montrent, les uns envers les
autres, un vrai comportement humain et de bonnes
manières qu’ils ont acquises dans leurs nombreux
voyages, dans les longues périodes d’absence de leurs
maisons et séparation de leur pays200. » Les lettrés, tous
membres influents de ces communautés urbaines
dominées par les juristes, les docteurs et les censeurs,
renchérissent : Tombouctou, disent-ils, n’avait pas sa
pareille, entre toutes les villes des pays des Noirs, pour la
solidité de ses institutions, les libertés de la vie politique,
la sécurité des hommes et des biens, la compassion
envers les pauvres et les étrangers, la courtoisie surtout
envers les étudiants et les hommes de science et la
révérence prêtée aux sages et aux hommes de bien201. Ce
n’est pas par pur hasard que les auteurs des trois
grandes chroniques, largement utilisées et parfois même
seules citées par les historiens de toute l’Afrique noire
occidentale, le Tarikh as-Sudan, le Tarikh al-Fattach et le
Tedzikiret al-Nisiam, étaient tous trois de Tombouctou,
hommes de science et de religion, hommes de combat
aussi, résolument hostiles à toute forme d’oppression,
donc aux rois et aux princes tyrans, aux askias du Songhaï
surtout. Dans tous les pays d’islam, s’imposait l’image de
ces villes bénies de Dieu, paisibles et policées. L’un des
plus célèbres des docteurs de la Loi, sage entre les sages,
consacrait quelques lignes enthousiastes à glorifier
Tombouctou, « ville exquise, pure, délicieuse, illustre,
cité bénie, plantureuse et animée, qui est ma patrie et
qui est ce que j’ai de plus cher au monde ». Et d’autres,
par d’aussi beaux discours, de placer cette cité, ville
phare, riche et vertueuse, de plus en plus haut, au-dessus
des peuples du voisinage : « Tombouctou était parvenue
au terme extrême de la beauté et de la splendeur… La
tradition prophétique y donnait vie à toutes choses, dans
le domaine de la religion comme dans celui des affaires
temporelles202. »
Tradition prophétique : Tombouctou et plusieurs
autres villes ne se voulaient pas seulement centres de
grand négoce mais se faisaient reconnaître comme de
véritables citadelles de la foi face aux païens et aux
hérétiques. Chez les marakas berbères des cités du
désert et du Niger, furent formés les juristes envoyés
ensuite dans tous les royaumes noirs et, pour certains,
même bien plus loin. Ibn Battuta dit avoir rencontré en
Chine le frère d’un légiste qui avait été instruit à
Sijilmasa.
Les ulémas jouissaient d’un grand pouvoir, au-dessus
des querelles de famille et des conflits d’intérêt. Leur
solide réputation de science et de vertu les protégeait de
l’intrusion du pouvoir royal, des chefs guerriers et même
de toute tutelle administrative. Tombouctou avait acquis
une telle puissance financière et une telle renommée, ses
ulémas auréolés d’un tel prestige, que, pendant de très
longs temps, les souverains laissèrent la ville se
gouverner elle-même sans tenter d’intervenir ni dans les
affaires ni dans les conflits. Sous la domination des
Touaregs et, bien plus tard, sous celle des Marocains, la
ville s’administrait comme une « république
marchande », sous la férule du Tombouctou-koï,
véritable chef de la cité, désigné par un conseil de
notables, en fait par les religieux203.
A Djaba, ville du Mali où l’on comptait un grand
nombre de jurisconsultes, le roi ne pénétrait jamais et
nul n’exerçait d’autorité en dehors du cadi de la cité. De
même à Koundiouro, dans le Kaniaga204, elle aussi tenue
en main par le cadi et par les ulémas : aucun soldat ne
pouvait y entrer, aucun officier en situation d’opprimer
les habitants. Le roi du Kaniaga y venait seulement une
fois par an, à l’occasion du ramadan, et se contentait de
distribuer des aumônes et d’échanger des présents205.
Ce qui fait dire à l’un de nos historiens qu’« un pays
marchand se construisit en Afrique noire dans les
intervalles des royaumes. Il y insère son urbanisme, ses
quartiers attenants aux capitales ou des villes à leur
écart, avec leurs magasins, leurs caravansérails, leurs
mosquées et leurs beaux édifices et leurs maisons
élégantes… Pays rétiforme, à peine perceptible dans les
masses mouvantes des empires206 ». Ce pays marchand,
création parfaitement originale que l’on retrouve
rarement à ce point identifiée en d’autres territoires,
témoigne indiscutablement de l’extraordinaire
développement du commerce transsaharien et, à
l’évidence, de l’intérêt que, dans tous les pays d’islam,
l’on a porté, dès les premiers moments puis siècle après
siècle, à mettre la main sur les négoces du Soudan. Nulle
part ailleurs, dans l’ancien monde, l’on n’a vu se déployer
de tels efforts et, en terres si difficiles d’accès, mener à
terme de tels travaux pour assurer les transports,
aménager points d’eau et étapes, pour construire de
toutes pièces de telles cités, prospères et jalouses de leur
indépendance, en plein désert, pour refaire les sols,
puiser et amener l’eau. Nul désert n’a, comme le Sahara,
connu un tel trafic caravanier par un réseau de pistes
aussi diversifié et somme toute relativement dense, ne
laissant à l’écart que de rares îlots. De tels efforts, la
mobilisation de tels moyens et la mise au pas, sous la
férule, de tant d’ouvriers pour de si durs travaux
pouvaient-ils se justifier sans la traite des Noirs ?

Caravanes du désert

Un grand nombre d’esclaves razziés dans les villages,


des centaines, des milliers certainement, ne quittaient
pas les pays du Soudan où les souverains les gardaient
captifs pour leurs services de cour, pour leurs armées ou
pour les travaux des champs. Dans tous ces Etats,
royaumes des pays du Niger ou du lac Tchad, cités
marchandes plus ou moins maîtresses de leur destin, la
demande s’est maintenue pendant très longtemps,
jusque même parfois dans les dernières années du XIXe
siècle, de plus en plus forte même à mesure que certains
empires prenaient de l’expansion.
Cette traite exclusivement africaine, des Noirs par les
Noirs, n’était pas du tout négligeable, bien au contraire.
Mais non essentielle, non la principale. Elle demeurait à
l’évidence de bien moindre ampleur et de bien moindre
profit que celles vers les villes du désert où les
marchands, seigneurs et maîtres des oasis, faisaient venir
toujours davantage d’esclaves pour creuser les puits et
les canaux, pour cultiver les champs de mil et entretenir
les palmeraies, pour travailler dans les mines de sel ou de
cuivre. Bien moins active aussi que celle vers les grandes
cités des pays d’islam, en Orient et en Occident, qui
mettait en œuvre d’autres moyens, sur d’autres
parcours, infiniment plus longs et plus risqués.
LES ROUTES : PÈLERINS ET MARCHANDS
L’Egypte et l’Arabie
Un réseau très complexe de pistes, partant de
territoires plus ou moins lointains, menait vers les
comptoirs de la mer Rouge d’où les boutres arabes
levaient l’ancre pour Aden ou pour Djeddah, le port de La
Mecque, et de Médine. Les Noirs du pays des Gallas, au
sud de l’Abyssinie, étaient conduits vers les ports de Zeila
et de Massaouah par plusieurs routes qui se croisaient en
quelques grands relais caravaniers, centres d’entrepôts
et de castration. Ceux du pays entre les deux Nils
finissaient exposés sur les marchés de Khartoum, de
même ceux capturés, très loin, tout au sud, dans la
région du Haut-Ghazal, affluent du Nil Blanc. Cependant,
les caravanes les plus importantes, de plusieurs centaines
ou même de deux ou trois mille esclaves, partaient, elles,
de terrains de chasse situés au pied du Djebel Marra,
massif montagneux du Darfur, très à l’ouest de
Khartoum207. Une de ces pistes, celle dite ordinairement
« route des pèlerins », partait de ces territoires de chasse
et des postes de traite et allait, droit vers l’est, jusqu’aux
marchés de Bara et Sinnar, sur le Nil Bleu, puis atteignait,
sur la mer Rouge, Massaouah ou Souakim. Une autre
route de la traite des Noirs, bien plus longue et plus
périlleuse, que les voyageurs appelaient la « route des
quarante jours », route très ancienne, partait du lointain
chapelet d’oasis du pays Kanem (au nord-est du lac
Tchad) et, par le Darfur, conduisait d’abord aux entrepôts
et marchés des rives du Nil pour gagner ensuite Assouan
et, de là, l’Egypte. Abandonnée pendant plusieurs siècles
elle fut, dans les années 1300-1400, rouverte, les points
d’eau reconnus et entretenus, à l’instigation des
négociants qui voulaient échapper aux attaques,
devenues trop fréquentes et trop dangereuses, des
Arabes pillards sur la piste, plus à l’ouest, des déserts de
Barca.
En Arabie, Djeddah, où débarquaient les boutres
arabes chargés d’esclaves, Médine et La Mecque furent,
notamment lors des foires du pèlerinage, dès les
premiers temps de l’Islam et ensuite pendant des siècles,
de grands marchés aux captifs ; hommes et femmes
étaient ensuite revendus par les trafiquants et même par
les pèlerins lors de leur retour au pays, dans le Khorassan
et les autres régions de l’Iran et l’Irak, à Bagdad surtout
et même plus loin en Turquie. L’une des routes, parmi les
plus fréquentées, commune à plusieurs itinéraires,
joignait précisément Médine aux villes du Tigre et de
l’Euphrate, à Kufa et à Bagdad. Steppes et déserts à
l’infini mais où les voyageurs, en altitude, bénéficiaient
d’un climat plutôt sain et relativement tempéré, certains
disaient même très agréable : « Je ne crois pas qu’il y ait
sur toute la terre un pays autre où la plaine est aussi
vaste et aussi immense, où la brise est plus parfumée et
l’air plus sain, où l’air est moins pollué, la terre plus pure,
où l’on se revigore davantage, moralement et
physiquement. » Cette longue et grande piste
caravanière de l’Orient, suivie par des milliers de
pèlerins, était aussi, sans nul doute, la plus sûre, la mieux
protégée par de bonnes escortes et de très loin la mieux
aménagée parmi toutes celles que devaient, en Arabie
comme en Afrique, suivre les caravanes des marchands
d’esclaves. De nombreux points d’eau ponctuaient le
parcours et rendaient supportables les longs jours de
marche en plein désert : « Nous trouvâmes des bassins
pleins d’eau de pluie… », et ailleurs : « Nous y fîmes
provision d’eau en creusant un puits d’où jaillit une
douce eau de source qui suffit à abreuver la caravane
ainsi que ses chameaux encore plus nombreux que les
hommes ! », et « les mares et les étangs abondent
aussi ». Plusieurs villages cernés de murailles et quelques
fortins, lieux de repos et même d’échanges, offraient de
bonnes étapes. Les Bédouins, évidemment bien informés
de chaque passage mais incapables d’attaquer en force
ou même de piller ici et là, venaient vendre de la viande,
du beurre et du lait que les voyageurs s’empressaient
d’acheter, contre des pièces de calicot208.
Le Sahara
A travers le Sahara, les nomades se livraient certes,
tribu contre tribu, à une concurrence effrénée : guerres
d’escarmouches, razzias et représailles pour s’approprier
le passage des caravanes et en tirer profit. Au fil des
temps, ils ont réussi, ici ou là, à imposer tel parcours et
tel gîte plutôt que d’autres, mais ce ne furent jamais que
succès fragiles et temporaires pour seulement des
parties d’itinéraire, sur de faibles distances. Pendant tout
le temps de l’esclavage, soit pendant un millier d’années
pour le moins, un certain nombre de grandes routes
caravanières se sont imposées, pour aboutir à quelques
grands marchés, toujours les mêmes.
Les pistes transsahariennes reconnues, balisées et
régulièrement fréquentées n’étaient pas tellement
nombreuses. Elles ne furent certes pas toutes ouvertes et
aménagées pour les besoins de la traite. Les trafiquants
empruntaient souvent celles qui menaient aux mines de
sel ou de cuivre où les durs travaux étaient effectués par
les Noirs esclaves. D’autres étaient – les noms que leur
donnent les chroniques en témoignent – des routes de
pèlerinage vers La Mecque, presque toutes menant
d’abord au Caire. Les marchands d’esclaves ont, au fur et
à mesure des progrès de l’islamisation, profité des
nouveaux aménagements, puits et postes de garde, à
l’usage des pèlerins.
Tout naturellement, ici comme en Orient, les
marchands se tenaient informés de la demande en main-
d’œuvre dans les grandes cités. Aussi ne fréquentaient-ils
pas souvent les cités du Maghreb central. Ceux qui s’y
rendaient y apportaient de la poudre d’or, de l’ivoire, de
la malaguette et divers autres produits du Soudan ou des
oasis, mais pas ou peu de captifs razziés dans les pays des
Noirs. Le marché y était quasi inexistant. Les villes,
d’Oran à Bougie, n’étaient en somme que d’assez
pauvres cités, pendant longtemps même de simples
bourgs enfermés dans leurs murs, des repaires de
corsaires accrochés au rivage, sans grandes ressources,
tournant le dos à un arrière-pays qui ne leur apportait
pas grand-chose. Peu ou pas d’industrie, pas d’autres
négoces que la vente des butins et l’encaissement des
rançons. Ces pirates et corsaires, Maures puis Turcs
exclusivement à partir des années 1510, employaient
bien sûr, à Mers el-Kébir, Alger, Bougie et Bône, un très
grand nombre d’esclaves pour les chantiers de
constructions navales et pour ramer sur leurs galères de
combat. Mais les Noirs du Soudan leur auraient coûté
très cher alors que la piraterie en mer et les razzias sur
les côtes d’Italie et d’Espagne leurs procuraient à
moindres frais des prisonniers en très grand nombre. Le
raid sur Mahon, en 1535, leur rapporta six mille esclaves
et la prise de l’île de Lipari par Barberousse, le célèbre
chef de guerre, grand officier et amiral de l’Empire
ottoman, en 1544, douze mille. Sur le marché d’Alger et
dans les bagnes, l’on ne trouvait pratiquement que des
Blancs, des chrétiens.
De ce fait, les parcours transsahariens des trafiquants
d’esclaves se résumaient en deux faisceaux de pistes, pas
davantage. A l’est, pour amener les esclaves noirs du
Bornou et des pays du lac Tchad, une route gagnait
d’abord les oasis du Kawar, puis le Fezzan et Zaouila pour
atteindre soit l’Egypte soit les escales des monts de la
Barca, sur la côte de Cyrénaïque. Une autre partait de
Tombouctou et de Gao et, par Tadmakka, par une longue
et terrible traversée de trente ou quarante jours, menait
jusqu’à Ghadamès, puis à Kairouan au temps de sa
splendeur et, plus tard, à Tunis. A l’ouest, trois parcours,
empruntant à travers le désert trois pistes différentes,
convergeaient vers Marrakech ; l’un partait du Mali, des
pays du haut Sénégal ou de Ghana et passait par
Aoudaghost, les salines d’Idjil, Zemmur puis Tamedelt ;
un autre, plus à l’est, gagnait Oualata, Tagheza puis
Sijilmasa ; un autre, plus aventureux certainement, objet
de grandes attentions de la part des sultans du Maroc,
partait de Gao, Tombouctou ou Djenné pour rejoindre
Tagheza par Toudemi. De Sijilmasa, principal carrefour
pendant longtemps de tout l’Ouest saharien, d’autres
pistes, bien moins fréquentées que celle de Marrakech,
allaient, l’une à Fez, l’autre à Tlemcen.
Sur ces routes, sans exception, les Noirs captifs,
hommes, femmes et enfants, furent toujours très
nombreux, jusqu’à former une part importante de la
caravane. Chaque trafiquant esclavagiste, berbère, arabe
ou maure, en faisait convoyer, en longues files, plusieurs
dizaines, voire des centaines à chacun de ses retours vers
les grands marchés. Les autres négociants, ceux qui
s’intéressaient davantage au trafic de l’or et,
accessoirement, au poivre de Guinée et autres produits
du Soudan, mais aussi, de façon ordinaire, tous les
voyageurs et les pèlerins en avaient généralement
plusieurs sous leur garde, soit pour en tirer
occasionnellement quelque profit à l’arrivée, soit pour
les vendre au mieux. En effet, le manque d’argent se
faisait parfois pressant en telle ou telle étape de ce long
cheminement, épuisant pour l’homme et ses ressources,
sa bourse et ses réserves d’eau ou de nourriture. Ils
utilisaient en somme ces Noirs comme une réserve de
capital, peut-être plus sûre que les monnaies, capital
dont la valeur pouvait croître au fur et à mesure que l’on
s’éloignait davantage des postes de traite et des
territoires de razzias. La plupart désiraient aussi avoir
constamment près d’eux les hommes comme
domestiques pour leur propre service et la garde de leurs
bagages ou marchandises, les femmes comme
compagnes, concubines pour quelques semaines. Ibn
Battuta ne prenait jamais ni la mer ni la route sans se
faire accompagner de deux ou trois jeunes femmes qu’il
échangeait volontiers contre d’autres, au cours du
chemin, selon son bon gré.

Dans la traversée des déserts, les parcours des


caravanes d’alors différaient très certainement des
grands axes routiers d’aujourd’hui. Ils ne sont pas
souvent décrits. Il ne nous reste que peu de textes et
tous ou presque tous bien trop courts, leurs auteurs se
souciant peu de faire partager leurs expériences et leurs
angoisses.
Les rares chrétiens explorateurs du désert en quête
des marchés de l’or gardaient-ils leurs informations
secrètes ? Benedetto Dei, auteur de petites nouvelles et
homme d’affaires de Florence, dit tout uniment dans son
Journal qu’il est allé à Tombouctou, mais, curieusement,
ne donne, la date mise à part (1470), aucune sorte
d’explication. Humaniste, homme de science, curieux des
pays et des hommes mais jaloux de ses découvertes ? Ou
homme de négoce soucieux de garder pour lui seul des
renseignements et les profits d’une course à l’or et aux
produits rares ?
Les musulmans, eux, se comptaient par centaines à
toutes les époques de la traite et l’on peut penser que les
bons négociants, qui couraient les pistes sahariennes
sans rien cacher de leurs desseins, sachant que les lieux
et marchés qu’ils allaient atteindre étaient connus et
bien identifiés, ne manquaient pas, aventurés dans une
longue et périlleuse course, d’écrire à leurs parents, à
leurs associés ou à leurs commis pour les informer non
seulement de leurs chargements et du nombre de captifs
qu’ils menaient avec eux mais des dates de leurs
passages ou de leurs séjours dans les villes étapes ou les
oasis tout au long du chemin. Ces lettres, qui préparaient
leurs correspondants à spéculer sur les cours des
produits, esclaves compris, ont presque toutes disparu
ou n’ont fait l’objet ni de publications ni d’études209. De
telle sorte que les itinéraires, les haltes, les périls et les
façons de s’en garder nous demeurent, pour la plupart,
mal connus.
Les récits de lettrés, curieux de connaître de lointains
pays, dans le Sahara et au-delà, certes très nombreux et
différents les uns des autres, déçoivent pourtant car
leurs auteurs s’appliquent davantage à décrire les
gouvernements, les cours des souverains, les mœurs et
les pratiques religieuses que les conditions du voyage,
l’importance et la composition de la caravane, les routes
choisies et les aléas du parcours. Invités à se joindre à
une entreprise qui n’était pas la leur, chargés de mission
parfois pour observer les modes de gouvernement, les
forces armées des rois et les usages des peuples, non
hommes de terrain et d’expérience, ils ne payaient
nullement de leur personne pour préparer la traversée
du désert et la mener à bonne fin. De plus et surtout, ces
voyageurs, pour la plupart, tenaient la plume non pour
des lecteurs désireux de s’informer exactement mais
pour un vaste public, curieux du détail, du pittoresque.
Ibn Battuta, le plus célèbre et certainement le plus
largement exploité au cours des temps, charge sa
narration du voyage au Soudan, au demeurant très
rapide et relativement pauvre comparée à celles qu’il
consacre aux autres pays, d’anecdotes sans grand intérêt
et, de son séjour au Mali, il s’attarde, s’appesantit à
donner un interminable récit, fastidieux en plusieurs
points, de sa visite et de la façon dont il fut reçu à la cour
du roi.
Seule et heureuse exception, tout à fait remarquable,
le Routier d’al-Bekri paraît, lui, de tout autre nature. C’est
le travail laborieux d’un auteur qui certes n’a pas vécu les
jours de marches dans le désert, mais a rassemblé
quantité de témoignages de bons observateurs, les a
confrontés les uns aux autres, a tenté d’identifier les
lieux et de chiffrer les distances qui séparaient les points
d’eau et les étapes, non en milles arabes mais en jours de
marche. Les dromadaires, qui portaient des charges de
cent vingt-cinq à cent cinquante kilos, parcouraient
environ quatre kilomètres à l’heure ; chaque journée de
marche devait représenter de trente-cinq à quarante
kilomètres, soixante dans des conditions tout à fait
exceptionnelles.
Sur plusieurs parcours, al-Bekri pouvait tout situer et
tout nommer, jusqu’au moindre puits. Sur la piste de
Sijilmasa à Tombouctou, jusqu’aux puits de Tn’ Djas, à
huit étapes du départ, les points d’eau se trouvaient très
régulièrement à deux jours d’intervalle, puits misérables
« creusés par les voyageurs et qui ne tardaient pas à
s’ébouler ». Ensuite, vous marchez pendant trois jours
jusqu’à un grand puits appelé Wîn Haylun, et puis encore
trois autres jours par un désert tout plat où l’on ne peut
trouver d’eau que cachée sous le sable ou les pierres,
jusqu’à atteindre un point d’eau appelé Tâzaqqâ, ce qui
signifie « la maison ». Vous allez, en une seule étape, à
un puits construit par Abd al-Rahman ben Habib, creusé
dans le roc dur où l’eau est à quatre brasses de
profondeur. Puis, trois jours plus loin, vous êtes à
Witunan, puits très large et jamais à sec, mais qui
contient de l’eau si saumâtre qu’elle purge les hommes
et les animaux. A Awkâzant, la terre est de couleur bleue
et, là, les hommes de la caravane creusent pour trouver
l’eau qui est à deux ou trois coudées sous la surface. Puis
vous traversez un désert aride formé par des collines de
sable qui envahissent la route, où on ne trouve pas
d’eau. C’est la partie la plus pénible du voyage vers
Aoudaghost. Quatre jours de marche vous mènent en un
lieu appelé Wânzamin où les puits sont à faible
profondeur, les uns d’eau douce, les autres d’eau salée,
au pied d’une montagne abrupte où vivent des animaux
sauvages. Toutes les pistes qui conduisent au Soudan se
rencontrent ici. C’est un lieu très dangereux car les Lamta
et les Gazula attaquent les caravanes puisqu’ils savent
que tous les voyageurs doivent y passer pour refaire
leurs provisions d’eau. Et al-Bekri, pendant des pages et
des pages, de décrire ainsi plusieurs parcours, récits
truffés de multiples indications sur les distances, sur les
périls, les noms des puits, leur situation et la qualité de
l’eau. Sur les peuples nomades aussi, l’étendue de leurs
territoires, leurs coutumes, leurs façons de
s’approvisionner et de nourrir leurs bêtes. Dans un
désert de dunes de sable, entre tous inhospitalier (nous
sommes toujours sur la route d’Aoudaghost), un très
grand puits se situe juste à la limite des Banû Wârith,
tribu des Sanhadja. Trois marches plus loin, à Agharat,
est un puits d’eau salée où ces Sanhadja mènent leurs
bêtes à boire pour leur refaire la santé, « car l’eau salée
est très bonne pour leurs chameaux ». Trois jours et vous
arrivez en un endroit nommé « le lieu où les eaux se
rassemblent », où l’on trouve toutes sortes d’arbres et
des plantes qui produisent le henné et le basilic. Six ou
sept jours encore et voici la haute montagne qui domine
Aoudaghost, peuplée d’oiseaux en grand nombre qui
ressemblent à des pigeons et à des colombes, quoique
de têtes plus petites. On y voit aussi les arbres d’où l’on
extrait la gomme, exportée vers l’Espagne pour lustrer
les brocarts de soie210.
L’EAU, LES GUIDES, LES PÉRILS
Tous les voyageurs, même ceux qui s’en tiennent à
l’anecdote et aux péripéties d’un jour, parlent forcément,
à un moment ou à un autre, de la quête de l’eau et de la
peur d’en manquer. Que ce soit sur la longue route
fréquentée par des milliers de pèlerins et de marchands
qui va de Bagdad à Médine ou à travers le Sahara, chacun
s’apitoie sur les dures souffrances des hommes en ces
terres inhumaines. « Nous avions peur, sur cette route,
de manquer d’eau surtout que nous étions tant
d’hommes et de bêtes que s’ils avaient bu la mer, ils
l’auraient épuisée et mise à sec ! » Peur obsédante,
angoisse de chaque jour que rien ne pouvait effacer :
dans le désert du Najd, immense plateau du centre de
l’Arabie, entre Ajfur et Kufa, trois points d’eau
parfaitement identifiés jalonnaient la route et devaient
permettre aux hommes et aux bêtes de s’abreuver et de
refaire leurs provisions, mais la crainte de manquer était
telle que, parfois, tous se précipitaient vers les puits dans
un effroyable désordre, se bousculant, s’écrasant les uns
les autres. « A l’une de ces aiguades qui pouvait
largement suffire et où l’on pouvait s’abreuver
tranquillement, les voyageurs se ruèrent sur l’eau,
incident dont on ne verrait pas l’équivalent lors de
l’assaut d’une ville ou d’une forteresse. Il mourut là sept
hommes écrasés sous la pression de la foule, ou noyés,
piétinés. Ils s’étaient hâtés de s’abreuver et ils ont trouvé
la mort211 ! » Dans le Sahara, en chemin vers Ghana, « ils
ne trouvent que de l’eau putride et dangereuse qui n’a
d’autre propriété que d’être un liquide. Ceux qui en
boivent pour la première fois sont indisposés et tombent
malades, surtout s’ils n’en ont pas l’habitude. Ils
emmènent donc de l’eau du pays des Lamtuna, pour
boire et abreuver leurs chameaux. Aussi n’est-ce
qu’après des difficultés considérables que les marchands
arrivent à Ghana. Là ils s’arrêtent, réparent leurs forces,
se font accompagner de guides, s’approvisionnent
abondamment en eau et prennent avec eux des gens
habiles à parler et à discuter d’affaires, comme
intermédiaires entre eux et les Indigènes212 ».
Ibn Battuta, parti de Sijilmasa dans une caravane
conduite par un chef berbère des Massufa, n’a pas trop
souffert et, averti de tout ce que d’autres ont pu
connaître, se félicite de sa bonne fortune. Vingt-cinq
jours de marche et ils étaient à Teghaza, ville du sel, où
ils firent provision d’eau saumâtre pour affronter dix
jours dans le désert. Précaution, cette fois, inutile : il
eurent la chance d’en trouver en cours de route, en
abondance, dans les bas-fonds où les eaux de pluie
s’étaient amassées : « Un jour, nous découvrîmes un
puits situé entre deux collines de pierres dont l’eau était
douce ; nous nous désaltérâmes. » Et de s’émerveiller,
délivré de la peur de souffrir et mourir de soif : « Ce
désert a un éclat lumineux ; on s’y sent bien à l’aise et en
sécurité contre les voleurs et y vivent beaucoup de
bœufs sauvages qui s’approchent si près de la caravane
qu’on peut les chasser avec des chiens et des flèches. »
Mais le manque d’eau les guette encore car « manger de
la viande donne soif et beaucoup de gens évitent de le
faire. Curieusement, si on tue un de ces bœufs, on trouve
de l’eau dans sa panse. J’ai vu des Massufa la presser et
boire l’eau qu’elle contenait. Il y a aussi beaucoup de
serpents213 ».
Boire de l’eau prise dans la panse d’un animal égorgé
était pratique courante non en chassant des bœufs
sauvages mais tout simplement en tuant des chameaux.
« Ils partent ainsi à travers le Sahara où les vents du
simoun tarissent l’eau dans les outres. Ils recourent alors
à un stratagème : ils prennent avec eux des chameaux
sans charges, les assoiffent avant de partir, puis les font
boire une fois et une deuxième fois jusqu’à ce que leur
panse soit pleine. Les chameliers les conduisent ainsi
avec eux et s’il arrive que les outres se dessèchent et que
le besoin d’eau se fasse sentir, alors on égorge le
chameau et on se désaltère avec l’eau de sa panse. Il n’y
a plus, en ce cas, qu’à se hâter jusqu’au prochain point
d’eau pour y remplir les outres214. »
Exposée à tant d’aléas et de dangers pendant de si
longs jours, la caravane, monde d’hommes libres de
toutes conditions, venus de tous pays, maîtres
négociants, trafiquants et commis accompagnés
d’esclaves, se forgeait ses propres lois215. Sur la route,
tous se soumettaient à un chef qui, à tous moments,
maintenait l’ordre, faisait aller du même pas ; en cas de
malheurs, d’attaques des brigands, de morts de quelques
bêtes de somme ou d’épuisement des outres, il faisait
payer chacun de sa personne, de ses bêtes et de ses
pièces d’or, de ses provisions d’eau, rassemblant dans
une seule communauté solidaire les hommes vite
accablés de fatigue, souffrant de soif. Non sans peine :
« J’avais un chameau pour monture et une chamelle pour
porter mes provisions. Après la première étape, cette
dernière s’arrêta. Al-Hâgg Wuggin, chef et guide, prit ce
qu’elle transportait et le distribua à ses compagnons qui
s’en partagèrent la charge. Mais il y avait dans la
compagnie un Maghrébin originaire de Tadla [plaine du
Maroc occidental, au pied du Moyen-Atlas] qui refusa de
porter une partie de la charge comme les autres. Un jour,
un de mes jeunes esclaves eut soif ; je lui demandai de
l’eau qu’il ne voulut pas me donner216. »
En fait, et nul ne l’ignorait, la vie des hommes était
dans les mains des tribus du désert qui gardaient les
puits cachés ou en interdisaient l’accès. Les gens des
Massufa, des Bardâma217 et autres Berbères guettaient le
passage des marchands pour vendre à haut prix des
charges d’eau. Ces nomades se livraient à une féroce
concurrence pour les puits et pour les pâturages, pour le
contrôle et le ravitaillement des oasis, plus encore peut-
être pour fournir des guides et, de cette façon, s’assurer
un certain contrôle sur la marche de la caravane et
renseigner les hommes de leur tribu. Dès qu’ils
s’attardent à évoquer les hasards et les périls de la route,
les voyageurs parlent des guides recrutés par le chef de
la caravane et prennent soin de dire ce que cela leur
coûtait ; ce n’était pas peu. Une carte portugaise datée
de 1511 indique que, pour aller d’Egypte au Soudan, les
caravanes « ont des pilotes pour les guider en chemin,
qui s’orientent d’après les étoiles et les montagnes ». Ces
guides, les taksîfs, étaient généralement des Berbères,
souvent, là encore, des Massufa. « Au taksîf il faut du
courage et de la perspicacité : aucune piste, aucune trace
n’apparaissent dans ce désert. Il n’y a que du sable que le
vent emporte. On repère des montagnes de sable dans
un endroit ; quelque temps plus tard, on découvre
qu’elles ont été déplacées ailleurs. Ce désert abonde en
démons ; ils se jouent du taksîf et le fascinent jusqu’à ce
qu’il s’égare loin de son but et périsse. » Sur la route de
Sijilmasa au Mali, l’habitude était d’envoyer un éclaireur,
homme des Massufa, en avant, jusqu’à la ville de Oualata
pour qu’il porte les lettres aux amis des marchands afin
que ceux-ci préparent leur arrivée, leur louent des
maisons et envoient à leur rencontre, à quatre jours de
marche, des hommes et des bêtes de somme avec des
outres d’eau. Si le guide se perdait en chemin et ne
pouvait donc prévenir les habitants de la prochaine oasis
de l’approche des caravaniers, tous ou presque
mouraient en chemin218.

Les troupes de brigands incontrôlés et, plus souvent,


certaines tribus berbères de triste réputation, tels les
Touaregs et les Lamta de la Serra Bofor219, rançonnaient
et pillaient les caravanes trop faibles, trop peu
nombreuses, mal défendues contre leurs attaques.
« Nous arrivâmes au pays des Hoggar qui sont un groupe
de Berbères à la figure voilée : il n’y a nul bien à attendre
d’eux. Un de leurs notables nous rencontra ; il arrêta la
caravane jusqu’à ce que l’on s’acquittât d’une taxe en
vêtements et divers autres objets. » Les nomades,
coureurs de grands chemins à l’affût de bonnes fortunes,
étaient tous musulmans et prétendaient ne jamais
transgresser la Loi : « Fort heureusement, nous étions
dans leur pays au mois de ramadan pendant lequel ils ne
font pas d’incursions et ne pillent pas les caravanes. Si
leurs voleurs trouvent en route des objets durant le mois
de ramadan, ils ne les ramassent pas. Il en est ainsi de
tous les Berbères qui se trouvent sur cette route220. »
Les marchands se gardaient de montrer leur or et leurs
objets de valeur, pierres précieuses et bijoux : « Ils
transportent leur or sous forme de galons, dans des
lambeaux d’étoffes, dans le plumage de grands oiseaux
et dans des os creux de chat qu’ils cachent dans leurs
vêtements. Ils agissent ainsi car ils doivent traverser des
pays et royaumes et demeurer de nombreux jours sur
leur route et parce qu’ils sont souvent la proie des
voleurs, en dépit du fait que les caravanes sont
accompagnées par des gardes armés. De cette façon, une
caravane peut avoir un millier d’archers, plus ou
moins221. »
Certains pensaient se protéger de mauvais hasards en
achetant à l’avance des sauf-conduits auprès des chefs
nomades. Mais aucun ne partait sans ses armes et
nombre d’entre eux se faisaient escorter et protéger par
des hommes à leur solde. A Agadès, les marchands
entretenaient chacun un grand nombre d’esclaves pour
leur servir d’escorte sur la route de Kano dont les
passages étaient réputés infestés par une infinité de
tribus qui parcouraient le désert. « Ces gens, qui
ressemblent aux Zingeri les plus pauvres, attaquent
continuellement les marchands et les assassinent. Ceux-
ci se font donc accompagner par ces esclaves bien armés.
Arrivés à destination, ils les emploient à différents
travaux pour qu’ils gagnent leur vie et en conservent dix
ou douze pour leurs besoins personnels et pour la garde
de leurs marchandises222. » A Tombouctou, les
négociants prenaient à leur solde des troupes d’estafiers,
jonbugu, formées d’esclaves ; certaines familles en
avaient plusieurs centaines. Sijilmasa lançait
périodiquement, dans les années 1200, de grandes
expéditions militaires contre les nomades pillards. Al-
Qastalani rapporte que, se trouvant dans le Tafilalet, il vit
devant le palais du gouverneur un amoncellement de
crânes de bandits capturés alors qu’ils attaquaient les
caravanes sur la route de Ghana223.
Les sultans d’Egypte et du Maghreb puis les souverains
d’Afrique noire ont toujours tenté de protéger les
caravaniers sur les routes du désert. Les maîtres du
Maroc, les Almoravides puis les Almohades, s’efforcèrent
d’y maintenir une police, et de même, plus tard, les rois
des Noirs – les Mandingues du Mali et ceux du Songhaï –
installèrent des garnisons de guerriers nomades, de
chameliers sur les pistes, à toutes les étapes, jusque loin
dans le Sahara, jusque dans l’Aïr. Tout au long des temps,
les rois, les émirs, les gouverneurs, les chefs des
communautés de marchands savaient à quel point les
routes de cet immense désert, celles surtout qui
partaient du Sous marocain et celles qui joignaient le
Fezzan au Tchad, pouvaient être gravement perturbées,
rendues impraticables par les attaques de nomades
insoumis ou, plus souvent, par les climats d’anarchie et
d’insécurité dont souffraient tel ou tel des royaumes au
pays des Soudan. Ils n’ont cessé de donner des ordres,
d’armer des troupes d’accompagnement, de lancer des
expéditions de représailles contre les nomades brigands
et, surtout, d’établir des séries de fortins, postes de
ravitaillement plus ou moins bien pourvus mais, en tout
cas, garnisons pour des partis de cavaliers ou de
chameliers, dix ou vingt généralement, assez nombreux
tout de même pour intervenir ou poursuivre les forbans.
Sur les hauts plateaux d’Arabie, dans le Najd, Fayd (par la
suite Darb Zubayda), bourg fortifié, était le siège du
responsable de la route commandant de troupes pour la
protection des caravanes contre les Bédouins pillards224.
Très tard encore, en 1843, Muhammad ibn Ali al-
Sanusi225 qui institua l’ordre Sanus, ordre militaire pour
imposer la paix, fit construire sur la route qui, de
Benghazi par Kufra et Ouadaï, menait au Tchad, route
très fréquentée par de longues caravanes chargées
d’armes et de munitions à échanger contre des esclaves,
toute une suite de zawiyas226 pour y recueillir, le temps
d’une halte, pèlerins et marchands. Les responsables de
ces maisons entretenaient régulièrement le puits, la
mosquée et s’engageaient eux-mêmes dans ce trafic des
captifs noirs.
Courir le désert et garder ses captifs n’était pas affaire
de novices : « Un citadin qui venait d’acheter des
esclaves n’eut que des ennuis avec ses Noirs, hommes et
femmes ; une femme s’amaigrissait, une autre mourait
de faim, une autre était malade, un esclave avait pris la
fuite, un autre se mourait de langueur et un autre fut
atteint par les vers. Et lorsqu’on dressait un camp, le
maître devait passer tout son temps à s’en occuper227. »
Mais ce sont là, bien évidemment, les informations
données par des commis ou des associés qui font valoir
leur zèle, des propos à ne pas prendre à la lettre. L’on
imagine aisément que les Noirs prisonniers souffraient
en route de vrais martyres, accablés par les privations,
les fatigues et les maladies. Ceux qui, malades, blessés,
atteints d’infirmités ou simplement trop faibles pour
suivre le train des autres, tous ceux qui risquaient de
retarder la marche et de mettre toute la caravane en
danger, étaient résolument abandonnés au bord de la
piste, souvent même tués sur place (« sinon tous se
seraient portés malades228 ! »). « A la mare, où ils
s’arrêtent pour le partage, les caravaniers égorgent
quatre femmes beaucoup trop fanées, émasculent deux
enfants dont un meurt dans la nuit, afin de décharger la
caravane des bouches inutiles et fixer les itinéraires selon
la nature de la marchandise humaine ainsi préparée229. »
Au total, des risques énormes et parfois des pertes
considérables parmi les maîtres mêmes. Ceux qui
s’égaraient manquaient d’eau jusqu’à en mourir.
En 1803 encore, malgré toutes les précautions prises et
la présence certainement de guides et de chameliers très
expérimentés, une caravane de mille huit cents
chameaux et deux mille hommes, allant de Tombouctou
aux mines de sel de Teghaza, fut presque tout entière
anéantie et l’on ne trouva plus que de nombreux
squelettes blanchis, de femmes et d’enfants surtout,
jonchant la route. Peur aussi des fièvres, des épidémies :
« Une caravane touchée par la variole pouvait être
condamnée à errer dans le désert, comme un navire en
quarantaine évité de tous, et se voyait fermer les portes
des oasis. Mais, pour les esclaves livrés en bon état, des
bénéfices à la mesure des périls encourus, de 200, 300 %,
parfois plus230. »

La mer Rouge et l’océan Indien

LES BOUTRES ARABES


Nous savons tout, et même davantage, sur la traite
atlantique des Occidentaux, sur celle des Portugais de
Lisbonne et de Saõ Tomé dans les années 1520, sur celle
des armateurs de Nantes ou de La Rochelle au XVIIIe
siècle, mais, pour l’Est africain, rien, vraiment rien. Aucun
des voyageurs musulmans, nombreux pourtant à
fréquenter ces escales sur des navires dont le
malheureux bétail humain représentait la meilleur part
de la cargaison, n’en dit le moindre mot. Ils ne parlent
que d’eux-mêmes, pèlerins ou voyageurs. Pourtant leurs
récits, ceux de leurs séjours dans les ports ou à bord des
navires, évoquent régulièrement quelques mauvaises
fortunes mal acceptées, disent assez ce que devaient
être, pour des hommes libres, non dépourvus de moyens
certainement, ces traversées entreprises dans des
conditions si souvent précaires. « Nous avions séjourné à
Aydhâb vingt-trois jours. Il nous en sera tenu compte par
Dieu à cause de la vie de privations que nous y avons
connue. Dans cette ville, tout est importé, y compris
l’eau qui est telle qu’il vaut mieux être altéré que d’en
boire ! Nous avons donc vécu dans un climat à fondre
avec une eau qui enlevait tout appétit. » Les marins
chargeaient leurs navires, les jalbas aux coques cousues
avec des cordes faites de la fibre de la noix de coco, aux
voiles de feuilles d’arbres, de telle façon que les hommes
et les femmes soient entassés les uns sur les autres, « au
point qu’ils croiraient être dans une cage à poules pleine.
Le maître de la jalba récupère le prix de la construction
en une seule traversée, sans se soucier des périls de la
mer231 ». Ces hommes, des pèlerins qui, sur le chemin de
La Mecque, méritaient considération et respect, qui
avaient sans nul doute payé leur passage, ont beaucoup
souffert. Les conditions d’hébergement, d’entrepôt
plutôt, et de transport des Noirs esclaves étaient
proprement détestables. L’armement du navire, les
ententes avec les patrons, le rassemblement des
équipages et l’attente de vents favorables obligeaient à
de longs séjours dans un port mal équipé, mal
approvisionné en eau et en vivres. A Zanzibar : « En
aucune partie du monde, rien ne dépasse la misère et la
souffrance infligées à ces misérables esclaves lors du
voyage qui les amène de l’intérieur de l’Afrique et
pendant leur séjour dans l’île en attendant qu’ils soient
vendus. Les privations et la maladie les avaient réduits à
un tel état que parfois l’on estimait qu’ils ne valaient pas
la peine d’être embarqués et, pour économiser ce qu’il
fallait payer au maître des douanes, on préférait les
laisser mourir à bord des vaisseaux232. » Les malheureux
qui avaient supporté, depuis leur capture et les lointains
postes de traite de l’intérieur, une dure marche de deux
à trois mois, étaient tant bien que mal embarqués sur
des boutres : cent cinquante à deux cents hommes
accroupis, les malades et les mourants aussitôt précipités
à l’eau pour faire un peu de place et de crainte qu’ils ne
contaminent les autres.
DU GOLFE D’OMAN À L’INDE ET À LA CHINE
Sordides et cruels, les trafics que suscitait la traite
négrière ne se limitaient nullement à la mer Rouge, à ces
traversées de deux ou trois jours vers les ports de
l’Arabie et du Yémen ; ils s’étendaient à tout l’océan
Indien et même au-delà jusqu’en Insulinde et en
Chine233. Nos auteurs parlent longuement des navires
dans l’Atlantique et de leurs si fameux « voyages
triangulaires » : Europe, Côtes des esclaves en Afrique,
Amérique et Antilles puis retour en Europe. Mais, faute
d’y porter vraiment intérêt et par manque de textes aussi
nombreux et aussi précis, ils ne consacrent que de rares
chapitres aux navires « arabes » des mers orientales, se
contentant d’évoquer les types de bâtiments sans
pouvoir s’attarder à bien définir itinéraires, courses et
escales. C’étaient là, pourtant, de grandes entreprises,
d’une rare audace souvent, sur des routes soumises aux
vents et à toutes sortes d’aléas pour atteindre, après des
semaines ou des mois de navigation, des terres situées
aux extrémités du monde234. Non l’affaire de médiocres,
d’obscurs trafiquants dans l’attente d’un bon coup du
sort, prenant de grands risques pour mener sur l’autre
rive de la mer une misérable troupe d’hommes
enchaînés, mais de vrais patrons, meneurs d’hommes,
disposant de capitaux, d’associés et de commis.
Les promoteurs et premiers maîtres de ce commerce
négrier furent bien évidemment les hommes d’Arabie et
du Yémen qui firent d’abord venir des Noirs de Nubie,
d’Ethiopie et des Somaliens. Les Persans, armateurs,
marins et négociants du golfe d’Oman ont vite pris la
suite. Sur la côte des Somalis, le Ras Assin est très tôt
connu comme le Cap des esclaves. Dès les années 900,
on parle de troupes de plusieurs milliers d’Abyssins
prisonniers, embarqués dans les ports des comptoirs
musulmans. Le Kitab al-Ajaib al-Hind (milieu du Xe siècle)
parle de deux cents esclaves conduits chaque année vers
Oman235 et un traité persan demeuré anonyme mais
exactement daté de l’an 982 dit que les marchands du
Hedjaz, d’Oman et de Bahrein allaient régulièrement
acheter des Abyssins236. Plusieurs chroniques affirment
que Saïd, frère d’al-Jaysh, souverain de Zabid237 sur la
côte d’Arabie, en avait lui-même fait venir vingt mille en
l’an 1081238.
Bientôt, Arabes et Persans, établis dans les premiers
comptoirs de la mer Rouge et de la côte des Somalis,
somme toute très rudimentaires, cherchèrent d’autres
postes et d’autres marchés plus vers le sud. Pour leurs
vastes et fastueux chantiers, construction des palais, des
forteresses et des mosquées, les grandes villes de l’islam
en Orient, cités toutes nouvelles ou largement
remodelées au temps de l’expansion de l’empire
musulman, ne trouvaient jamais assez de bois, de teck
pour le gros œuvre, de mangrove pour les toits. Les
marchands firent venir d’importantes cargaisons de
troncs d’arbres de leurs établissements de l’Est africain,
sur la côte du Kenya actuel et plus au sud, en particulier
dans l’île de Manda où s’est très tôt établie, pour
rechercher des fournisseurs chez les indigènes et
organiser tout ce trafic, une colonie d’hommes de Shiraz.
Tous les navires en route vers la Perse transitaient par
l’île de Socotra (l’« île bienheureuse ») et par Aden, bâti
sur une presqu’île reliée à la terre par un isthme étroit,
petite cité facile à défendre, étape essentielle, véritable
carrefour de routes maritimes et grand emporium. Sur la
côte du golfe d’Oman, le port de Sur (au sud de Mascate)
était, au Xe siècle, aux dires d’un voyageur enthousiaste
qui s’en émerveille mais sans trop décrire les objets de
ces négoces, « le vestibule de la Chine, l’entrepôt de
l’Irak, le soutien du Yémen ; cité la plus prospère de cette
mer, aux hautes demeures en teck et en briques239 ».
Mombasa, Mogadiscio, Kilwa surtout, devinrent de
grands centres marchands fréquentés non seulement par
les négociants musulmans, visiteurs des premiers temps,
mais aussi par les marins et trafiquants étrangers à ce
monde islamique, venus de bien plus loin240. Deux mille
cinq cents milles séparaient Mombasa de Bombay. De
décembre à mars, la mousson du nord-est portait les
navires vers Madagascar et la côte des Malabars. De juin
à septembre, celle du Sud-Ouest les ramenait sur la côte
d’Afrique. Mauwism (mousson) signifiait « marché » ou
« congé ». Sur cette longue route, les îles Laquedives et
Maldives servaient de relais. C’est là que « les habitants
font rouir la fibre de coco dans des trous creusés dans le
sable, la battent avec des bâtons courts et gros et que les
femmes la filent pour en faire des cordes qui servent à
assembler les bateaux indiens et yéménites ». Cette fibre
est, par les Arabes, exportée jusqu’en Inde et en Chine241.
Autre relais, centres de dépôt et de distribution plutôt,
plus proches de la côte des Zendjs, les Comores furent,
pendant tout ce temps, des « centres de la traite des
esclaves et des entrepôts de chair humaine entre
l’Afrique et l’Inde242 ». Les marchands de l’Inde venaient
en Afrique et en repartaient avec la mousson. Certains
s’y sont établis à demeure avec leurs familles. Ils
apportaient épices et produits de luxe, notamment des
perles d’agate et d’onyx, dites « de Cambray », qui, en
fait, provenaient de l’Inde entière et, très appréciées,
servaient à toutes sortes d’échanges.
Vers l’Inde, les négociants arabes et indiens
exportaient de l’ivoire, des cornes de rhinocéros, des
écailles de tortue et des peaux d’animaux sauvages,
léopards surtout. Le trafic de l’ivoire a sans doute, sur la
côte des Zendjs, précédé celui des esclaves et s’est
maintenu sans interruption, pendant des siècles,
atteignant des volumes considérables. Les Indiens en
faisaient une très grande consommation, notamment
pour fabriquer les anneaux que les femmes portaient aux
bras et aux chevilles. Les défenses des éléphants d’Asie,
trop petites, ne pouvaient convenir et l’on n’utilisait que
celles des éléphants mâles d’Afrique. On renouvelait sans
cesse ces anneaux, le plus grand nombre étant brûlé lors
des funérailles. Une grossière estimation faite par les
Portugais lorsqu’ils s’emparèrent de Sofala, en 1517,
donne un chiffre de cinquante et un mille livres d’ivoire
exportées, soit les défenses, pour le moins, de mille deux
cents éléphants243.
Cependant, l’ivoire ne demeura pas très longtemps
l’essentiel des frets et des transactions. L’empire
islamique du Nord-Est de l’Inde demandait de plus en
plus d’esclaves noirs, Abyssins que l’on appelait les
habshi et autres Noirs d’origine africaine, les sidi ; les
deux noms, communément utilisés en Inde, étaient
d’origine arabe, ce qui indique clairement que les
trafiquants musulmans, dans les premiers temps du
moins, tenaient la traite sous leur contrôle. Les Noirs
esclaves étaient, en Inde, très appréciés comme soldats
et comme matelots ou rameurs sur les navires de guerre.
Le roi Barbuk du Bengale (1459-1474) possédait quelque
huit mille soldats esclaves, presque tous originaires
d’Afrique244. Ces troupes d’esclaves africains jouèrent un
rôle primordial dans les guerres du Gujarat et du Deccan
et les sidi ont même, au XIIe siècle, constitué deux
royaumes, un temps indépendants, sur la côte ouest de
l’Inde245. Plus tard, au XVe siècle, ils formèrent des corps
d’armée très aguerris, de plus en plus conscients de leur
force et prêts à s’imposer. Ils se sont révoltés, ont pris le
pouvoir et mis sur pied une dynastie de rois habshi qui a
régné au Bengale de 1487 à 1493.

Le Yu-yang-za-zu, relation de l’écrivain chinois Duan


Cheng-shu, savant et voyageur, datée de 863, montre
clairement que les Chinois connaissaient alors
l’importance de ce commerce des hommes en Afrique
orientale : « Lorsque les Persans, trafiquants d’esclaves,
doivent entrer dans ce pays, ils se forment en caravanes
de plusieurs milliers d’hommes et font aux chefs présent
de bandes de tissus. »« Les femmes, dit-il encore, sont
propres et ont un comportement décent. Les hommes de
ces régions les enlèvent pour les vendre aux étrangers à
un bien meilleur prix qu’ils pourraient obtenir chez
eux246. » D’autres auteurs chinois parlent des Arabes
« qui ramenaient des esclaves noirs qui, s’ils avaient été
livrés en Chine, auraient valu leur poids de bois
aromatique ». De plus, une carte datée de 1315, établie
en Chine, fait mention, sur la côte, de plusieurs « îles aux
esclaves », et laisse entendre que les Chinois, dans la
période Song, savaient que cette Afrique n’était rien
d’autre qu’un « immense réservoir de marchandise
humaine ». Trois expéditions chinoises, en 1417,
1421 et 1432, allèrent sur la côte d’Afrique. Une
inscription lapidaire, datée de 1431, porte l’ordre donné
par l’empereur Yung-lo à un officier nommé Cheng-ho et
à d’autres capitaines de rassembler des dizaines de
milliers de guerriers, et de les conduire, sur cent vastes
navires, à l’attaque des pays barbares, en Afrique.
Plusieurs ambassades témoignent du même intérêt247.
Les marins et négociants arabes avaient sans doute
ouvert la voie et, très certainement, connaissaient la
route. Entre autres cargaisons, sans doute très variées, ils
offraient à la vente leurs Noirs d’Afrique orientale
jusqu’en Chine. Ibn Battuta note que, dans l’île de
Sumatra, le sultan musulman a le droit de prélever sur
chaque navire qui accoste dans son pays un esclave de
chaque sexe, des étoffes pour parer les éléphants, des
bijoux en or que son épouse porte à la ceinture et aux
orteils248. Tous les gouverneurs, les maîtres des douanes
et les négociants étaient, en Chine, parfaitement
informés de tous ces trafics et, particulièrement, sur les
qualités physiques et les aptitudes des différents peuples
de la côte d’Afrique promis aux services serviles249. Il est
certain qu’un marché aux esclaves noirs existait à
Canton, contrôlé par une colonie arabe implantée dans la
ville.

Les villes de la côte des Somalis et celles de la côte des


Zendjs ne vivaient pas que de la misérable traite des
Noirs. Mogadiscio recevait de la lointaine Asie de
l’argent, du cuivre, des perles de l’Inde et de Perse, des
porcelaines de Chine, des étoffes de luxe de Syrie et
d’Egypte, plus des étoffes de l’Inde. Les musulmans
exportaient l’or et les pièces d’or, l’ivoire et les défenses
de rhinocéros, des animaux, girafes, autruches, gazelles
et chameaux, des étoffes tissées dans leurs villes, de
l’huile de palme, de l’ambre gris, de l’encens et de la cire.
Faute, bien sûr, de tarifs de douane et de registres du
négoce pour cette époque, force est d’en croire les
chroniques et les récits de voyages dont les auteurs, sans
doute quelque peu complaisants, ne tarissent pas
d’éloges et se disent émerveillés devant une telle
abondance. Tout cela aurait-il existé, acquis une telle
importance, si la chasse aux esclaves n’avait suscité tant
d’entreprises, dès les tout premiers temps ?
4

L’HOMME DE COULEUR MAL AIMÉ. LE MÉPRIS

Hommes et femmes en vente

MARCHÉS DE BROUSSE ET FOIRES


Aux temps des premières traites, dans l’Est africain, à
Mogadiscio et au-delà vers le sud, les Arabes, enfermés
dans leurs îles et dans leurs murs, ne se sont pas
aventurés très nombreux dans l’intérieur du continent.
On n’y trouvait trace d’aucune mosquée en pierre ni
d’organisation de caravanes ; les routes de l’arrière-pays
ne sont généralement pas citées et encore moins
décrites d’une façon précise et l’on doit imaginer, pour
cette traite des Noirs, non des parcours et des marchés
fréquentés régulièrement à l’instar de ceux d’Ethiopie et
de Nubie par les marchands venus d’Egypte, mais plutôt
des ventes imprévisibles, aux lendemains mêmes des
captures. Souvent, les esclaves passaient ensuite de main
en main et de proche en proche, par quantité
d’intermédiaires de toutes sortes et de toutes conditions,
jusqu’à la côte.
Il n’était pas rare de voir les Noirs, habitants des
villages de l’arrière-pays immédiat, venir vendre, en
même temps que leurs récoltes, leurs propres esclaves
aux trafiquants des comptoirs : « Les travaux de ce
peuple sont de faire pousser leur nourriture, le riz, le
maïs, les herbes, le sésame, le millet, les pois. Dès qu’il
ont récolté, ils sèment à nouveau et ainsi ils ont de quoi
vivre pendant une année. Ils vendent une part de leurs
récoltes et peuvent se procurer des objets du commerce
et de l’argent. Ils font de même avec l’ivoire des
éléphants qu’ils ont chassés. Lorsqu’ils ont assez
d’argent, ils achètent des hommes à d’autres peuplades
qui vivent plus loin dans l’intérieur et font travailler ces
esclaves à leurs plantations. Mais ces esclaves sont
vendus aux marchands dès que l’argent manque, en
temps de disette principalement pour acheter des
grains. »
Les marchands d’esclaves musulmans qui
s’aventuraient jusque sur les territoires de chasse ou
dans les postes de traite, loin parfois, pour traiter
directement avec les chefs de tribus et de villages,
devaient apprendre à connaître les peuples et les chefs.
Ils affrontaient de grands risques mais y gagnaient de
gros profits, ramenant des esclaves pour presque rien,
sachant quels misérables objets de pacotille offrir en
échange. L’un des premiers trafiquants de Kilwa avouait,
en toute simplicité, qu’il allait prospecter les villages de
l’intérieur, « car les hommes de ce pays sont des fous qui
ne savent rien du prix que les choses peuvent avoir, ici,
sur la côte250 ».
Dans les pays du Sénégal ou du Niger et dans la région
du lac Tchad, ces sordides trafiquants, à demi brigands
eux-mêmes, trouvaient aussi aisément à qui parler, avec
qui traiter. Leur arrivée était attendue, souhaitée, par
d’autres forbans, noirs ceux-ci, qui tenaient en réserve
dans des parcs ou des baraquements de fortune de
pauvres captifs razziés, victimes de pièges ou de raids
d’un jour. « Ils enlèvent les enfants de nuit, les
emmènent dans leur pays, les tiennent cachés un temps,
puis les vendent à vil prix aux marchands qui viennent
chez eux. Ceux-ci les expédient vers le Maghreb. Chaque
année, c’est un nombre incalculable d’individus qui sont
ainsi vendus. Ce procédé de voler des enfants est d’un
usage courant et accepté dans le pays des Sûdan. On n’y
voit même aucun mal251. »
Idrisi, qui ne s’attarde pas volontiers à évoquer ces
trafics, ni à plaindre les malheureuses victimes des
hommes prédateurs, dit pourtant que « tout à l’ouest,
près de la ville de Mallal, jusqu’au confluent de la rivière
avec le fleuve Sénégal, vivent des Noirs complètement
nus qui se marient entre eux sans payer de dot. De tous
les peuples, ce sont les plus prolifiques. Ils mangent le
poisson qu’ils pêchent et de la viande de chameau
séchée. Les peuples d’alentour les capturent
continuellement, usant de toutes sortes de ruses et ils les
vendent, dès qu’ils le peuvent, aux marchands de
passage252 ».
Rabatteurs et commis partis à la rencontre des troupes
au retour des razzias dans des campements ou des gîtes
d’étape rudimentaires… Marchands de petit crédit qui,
de saison en saison, vont, eux, de village en village, et
s’en retournent, ramenant quelques captifs enchaînés
acquis à vil prix… Cette traite misérable, pratiquée jusque
dans les lieux les plus reculés, à l’écart des grands
marchés et des pistes du bon commerce, avait bien sûr
ses rituels. Ni évaluations monétaires ni pièces
métalliques d’or ou d’argent ou même de cuivre ; on
comptait en sacs de cauris, chaque esclave valant
plusieurs milliers de coquillages, ou en perles de verre.
Certes, là où les gros trafiquants venaient attendre les
guerriers et faire leur choix, les marchés n’étaient rien
d’autre que de simples campements pour la garde et la
montre des captifs, sur les rives des fleuves, aux
carrefours de pistes, terrains vagues aux abords des
portes, les uns champs de foire, les autres tentes et
cabanes près d’enclos à ciel ouvert dressés à la hâte.
Mais, ici, la qualité des parties, le roi ou ses
représentants d’une part, le négociant caravanier de
l’autre, leur expérience et leurs capacités financières,
faisaient que les échanges se situaient à un tout autre
niveau que les misérables et quasi clandestines
rencontres de pleine brousse ; on ne se servait plus
autant de cauris car les Noirs ne les utilisaient pas
comme monnaie hors du royaume ou du territoire de
chasse, mais de pièces de toile et de vaisselle de cuivre,
d’épices, des fruits et de produits tinctoriaux.
Dans tous les Etats, chez tous les peuples d’Afrique
noire, cette traite suscitait ensuite de nombreux
échanges, des accords et tractations de toutes sortes, et
des transports de prisonniers en nombre considérable
vers les marchés des cités proches dont l’économie, pour
une large part, dépendait de ces arrivées d’hommes et
de femmes captifs. « La ville de Tekrur est tout entière
un marché où les Maures échangent de la laine, du verre
et du cuivre contre des esclaves et de l’or253. »
Ces marchés qui, à n’en pas douter, tenaient une place
tout à fait notable dans la vie sociale et dans l’économie
même de ces pays, n’ont pourtant pas retenu l’attention
des voyageurs. Ils passent sans les voir et les ignorent. Ni
Ibn Battuta, si prolixe sur tant d’autres pays et sur
quelques aspects de la vie de cour au Mali254, ni d’autres
en son temps ou plus tard ne s’attardent ne serait-ce
qu’un instant à parler des marchés aux esclaves, à croire
qu’aucun ne s’est trouvé sur leur chemin. Visites bien
conduites sous la tutelle d’un bon guide, ou refus de les
montrer, ces marchés n’existent pas, pas même à
Sijilmasa, pas même à Tombouctou.

Partout, des pays d’Orient à l’Egypte et au Maroc, les


foires tenues lors des grands pèlerinages voyaient toutes
affluer des trafiquants venus de très loin et prenaient
aussi l’allure de grands marchés aux esclaves. A La
Mecque, le ravitaillement en vivres et en eau, toujours
très difficile, parfois incertain, dépendait des marchands,
certains certes eux-mêmes pèlerins mais évidemment
toujours en quête de bons profits. L’eau était amenée
par un aqueduc de pierre et quatre cents esclaves
éthiopiens la portaient dans des outres vers les
campements et les lieux saints. « Si les pèlerins restaient
sur place au-delà du temps prévu par la coutume [une
vingtaine de jours], le chérif les forçait à partir en
détournant les eaux ou en bouchant les canaux255. » Sans
les foires des milliers d’hommes seraient morts de faim :
« En un seul jour, on y vend tant de marchandises que si
elles étaient réparties dans tout le monde, on pourrait y
achalander tous les marchés et ils seraient tous
bénéficiaires ; on y vend des joyaux précieux, des perles,
des hyacinthes, tous les parfums : musc, camphre,
ambre, aloès, d’autres produits de l’Inde et de
l’Abyssinie, de l’Irak et du Yémen, denrées amenées du
Kurdistan et du Maghreb. Tout cela est arrivé en huit
jours. » Les Yéménites venaient là en pèlerinage par
milliers, hommes et chevaux chargés de provisions,
froment, autres grains, haricots, ainsi que du beurre, des
raisins secs et des amandes. « Ils ne vendent pas leurs
marchandises contre des dinars et des dirhams, mais les
échangent contre des pièces d’étoffe, des manteaux et
de grandes voiles ; plus des manteaux solides et des
vêtements que portent les Bédouins qui se livrent au troc
avec les Yéménites256. » Et, bien sûr, à tous moments,
des esclaves mis aux enchères par des négociants au fait
de ces misérables trafics ou, plus ordinairement peut-
être, par de simples pèlerins qui les avaient menés avec
eux tout au long de leur voyage : en 1416, al-Makrisi
signale une caravane de pèlerins venus du lointain pays
de Tekrur, arrivée à la foire de La Mecque avec mille sept
cents têtes d’esclaves, hommes et femmes, et une
considérable quantité d’or. Un grand nombre d’entre eux
furent vendus sur place257.
CARAVANSÉRAILS, RUELLES OBSCURES, PAVILLONS DE
THÉ
Dans les grandes cités caravanières et, de façon plus
générale, dans toutes les grandes villes, capitales d’Etats
et riches carrefours marchands, des foules de captifs
étaient montrés, jugés, palpés comme du bétail et mis à
l’encan sur une ou plusieurs places publiques ouvertes au
tout venant. A Alger : « Il y a, pour cet effet, des
courtiers, lesquels, bien versés en ce mestier, les
promènent enchaînés le long du marché, criant le plus
haut qu’ils peuvent à qui veut les acheter… les font
mettre tout nus comme bon leur semble, sans aucune
honte. Ils considèrent de près s’ils sont forts ou faibles,
sains ou malades, ou s’ils n’ont point quelque playe ou
quelque maladie honteuse qui les puissent empescher de
travailler. Ils les font marcher, sauter, cabrioler à coups
de bastons. Ils leur regardent les dents, non pour sçavoir
leur âge mais pour apprendre s’ils ne sont point sujets
aux catharres et aux déflexions qui pourraient les rendre
de moindre service. Mais, sur toutes choses, ils leur
regardent soigneusement les mains, et le font pour deux
raisons. La première pour voir, à la délicatesse et aux
celles, s’ils sont hommes de travail, la seconde, qui est la
principale, afin que, par la chiromancie à laquelle ils
s’adonnent fort, ils puissent reconnaître aux lignes et aux
signes si tels esclaves vivront longtemps, s’ils n’ont point
signe de maladie, de danger, de péril, de malencontre ou
si même, dans leurs mains, leur fuite n’est point
marquée258. » Et, au Caire, où les Nubiens, hommes et
femmes, arrivent en si grand nombre que l’on dirait un
troupeau de bêtes de somme, de tous sexes et de tous
âges, ceux qui les achètent « ne mettent pas moins de
soin à les regarder, les examiner, les mettre à l’épreuve
qu’ils ne le font ordinairement quand ils achètent des
bœufs, des chevaux ou autres animaux domestiques. Les
acheteurs ont, pour cet examen, un coup d’œil et une
expérience extraordinaires. Il n’y a pas un médecin ou un
naturaliste qui puissent leur être comparés dans la
connaissance et dans l’état d’un homme. Dès qu’ils
regardent le visage de quelqu’un, ils savent
immédiatement quels sont sa valeur, son instruction et
son rang ; s’il s’agit d’un enfant, ils savent, dès qu’ils le
regardent, à quoi il peut être bon. Ils ont la même
habileté pour découvrir l’état et le caractère des
chevaux, et sont capables de discerner aussitôt, à partir
d’un seul et unique élément, tous les défauts et les
qualités d’un individu, à quoi il peut être utile, son âge et
sa valeur259 ».
Les marchés, largement ouverts ou quasi clandestins,
les uns traitant chaque jour des dizaines ou des centaines
de ventes, les autres seulement quelques-unes,
s’intégraient tous parfaitement dans le tissu urbain. De
solides bâtiments à un étage, à la façon des
caravansérails bien construits, bordaient, le long de l’une
des plus grandes rues de la cité, une vaste cour de forme
rectangulaire. Ce n’étaient en aucun cas des lieux de
misère, sordides, tenus à l’écart et comme honteux mais,
tout au contraire, des lieux de rencontres et d’échanges,
en somme l’un des espaces les plus fréquentés à
longueur des jours et des années. Une illustration d’un
célèbre manuscrit arabe, les Maqawât d’Hariri (1054-
1122) qui content les aventures rocambolesques d’un
vagabond, Abu Zayd, représente une halle couverte d’un
toit mais ouverte à tous vents, située sur le marché de
Zabid, port du Yémen. Au rez-de-chaussée, trois esclaves
noirs sont assis ou accroupis ; près d’eux, le marchand,
homme de grande stature, coiffé d’un beau turban rouge
et vêtu d’une belle robe, les présente à une femme,
cliente visiblement, voilée de telle sorte que l’on ne voit
que les yeux et le haut du visage, femme riche
certainement et parfaitement honorable, d’allure
imposante, flanquée de sa servante. A l’étage, deux
autres marchands reçoivent un client, homme riche lui
aussi, aux habits brodés d’or ; l’un tient en main une
balance légère pour peser des épices ou, plutôt, des
bijoux d’or ; l’autre fait l’article260.
Certaines villes n’étaient que marchés aux esclaves. Au
Caire, « on y va veoir communément les lieux où l’on
vend les nègres, lesquels les jours de marché, on en voit
beaucoup de milliers. Ils ont ordinairement des anneaux
de cuivre, fer ou autre métal pendus aux oreilles, nez et
autres partyes. Auparavant que quelqu’un les achepte, il
les visite et essaye plus qu’on ne feroit un cheval par-
deçà ». Tout près de là, d’autres marchands alignaient
aussi leurs Noirs en plusieurs ruelles ou petites places
fermées, debout contre les murs ou assis par terre. « Sur
ces places et marchés et d’autres, on vendait toutes
sortes de choses, tels que les prisonniers des régions
voisines qui n’étaient pas soumises aux Turcs, parfois des
Maures blancs, plus souvent des Maures noirs261. » Tout
à côté, en des lieux discrets que le voyageur découvrait
par hasard mais que les acheteurs savaient trouver, on
voyait alignés et adossés, assis contre les murailles, une
infinité d’hommes et de femmes, en grande majorité des
Noirs. Et là, aucune sorte de retenue, ni discrétion ni
pudeur : tout un chacun les regarde et les manie tout
ainsi qu’on ferait d’un cheval. « Lorsque quelqu’un
voulant acheter un esclave, en trouve un qui lui plaît, il
tend le bras vers les corps entassés et fait sortir la
femelle ou le mâle qui lui plaît, puis il l’éprouve de
diverses façons. Il lui parle et écoute ses réponses pour
voir s’il est intelligent. Il lui examine les yeux ; les a-t-il
bons ? Entend-il bien ? Il le palpe puis il lui fait ôter ses
vêtements, observant tous ses membres ; il note en
même temps à quel point il est prude, à quel point
timide, à quel point joyeux, sain et en bonne santé. »
Nus, les esclaves doivent, frappés de coups de fouet,
s’avancer devant la foule des acheteurs et des curieux,
marcher, courir, sauter de façon à ce qu’apparaisse
clairement s’ils sont infirmes, et, pour les femmes,
vierges ou déflorées. « Et, s’ils en voient quelques-uns
rougir de confusion, ils s’acharnent davantage sur eux,
les poussant, les frappant de verges, les souffletant pour
ainsi les obliger à faire ce que spontanément ils
rougiraient de faire devant tous les autres262. »
A Bagdad, les vendeurs encourageaient même les filles
captives à se jeter sans pudeur à la tête des jeunes gens
qui passaient… et qui considéraient tout ordinaire leur
manière de se parer de rouge, de henné et de doux
vêtements de couleur.
Etalages de misère ailleurs, dans des chambres
sordides, et là personne n’aurait pu reprocher aux
vendeurs de parer ces misérables. « Cinq ou six
négresses, assises en rond, fumaient en riant aux éclats.
Elles n’étaient guère vêtues que de haillons bleus. Leurs
cheveux, divisés en des centaines de petites tresses
serrées, étaient partagés en deux masses volumineuses ;
la raie de chair était teinte de cinabre. Elles portaient des
anneaux d’étain aux bras et aux jambes et des cercles de
cuivre passés au nez et aux oreilles complétaient une
sorte d’ajustement barbare dont certains tatouages et
coloriages de la peau rehaussaient encore le caractère.
Les marchands offraient de les faire déshabiller ; ils leur
ouvraient les lèvres pour qu’on leur voie les dents, ils les
faisaient marcher et montraient surtout l’élasticité de
leur poitrine. » Petits négoces, misérables, comme à la
dérobée, marchés aux voleurs sans doute, ici et là :
« Nous arrivâmes à un marché plein d’hommes et là,
dans un coin de ce marché, nous aperçûmes un grand
rassemblement. Un homme avait amené des Noirs
exposés à la vente, treize enfants des deux sexes. Il les
vendait à si vil prix, que l’on pouvait penser qu’il les avait
volés263. »
Les grandes ventes, expositions, rabattage et enchères
se traitaient ailleurs, dans le quartier des affaires : « Nous
traversâmes toute la ville jusqu’aux grands bazars, et là,
après avoir suivi une rue obscure, nous fîmes notre
entrée dans une cour irrégulière sans descendre de nos
ânes. Il y avait au milieu un puits ombragé d’un
sycomore. A droite, le long du mur, une douzaine de
Noirs étaient rangés debout, ayant l’air plutôt inquiet
que triste et offrant toutes les nuances possibles de
couleur et de forme. Vers la gauche, régnait une série de
petites chambres dont le parquet s’avançait sur la cour
comme une estrade, à environ deux pieds de terre.
Plusieurs marchands basanés nous entouraient déjà en
nous disant : Essouad ? Abesch ? des Noires ou des
Abyssiniennes264 ? » Au Caire toujours, dans une grande
cour fermée, les esclaves, presque tous des Noirs, étaient
quelquefois sept à huit cents ; « ils sont rangés le long
des maisons tout autour, n’ayant qu’un petit linge devant
leurs parties honteuses ; ils sont à bon marché, amenés
de l’Afrique par deux caravanes qui vont tous les ans par-
delà la Libye ». Mais le principal marché aux esclaves, le
petit han (caravansérail) Masrûr, se situait en plein cœur
de la ville et jouxtait le plus grand des bazars, le han
Halili, que les Occidentaux nommaient le Cancalli, là où
l’on vendait toutes sortes de marchandises et des
pierreries de haut prix. Ce Masrûr comportait deux
chambrées aux esclaves, séparées par l’« estrade aux
mamelouks » où les Turcs puis les Tcherkesses et les
Grecs furent exposés avant leur mise en vente et la
montée des enchères. Au Caire, deux ou trois rues près le
Cancalli, « j’ai vu pour un coup plus de quatre cents
pauvres esclaves chrétiens, la plupart desquels sont des
Noirs qu’ils dérobent sur les frontières du prêtre Jean. Il
les font ranger par ordre contre la muraille, tous nus, les
mains liées par-derrière ; afin qu’on les puisse mieux
contempler, et voir s’ils n’ont pas quelque défectuosité,
et avant que de les mener au marché, ils les font aller au
bain, les peignent et tressent leurs cheveux
mignardement, pour les vendre, leur mettent bracelets
et anneaux aux bras et aux jambes, des pendants aux
oreilles, aux doigts et aux bouts des tresses de leurs
cheveux et, de cette façon, sont menés au marché, et
maquignonnés comme chevaux. On touchait beaucoup
aux esclaves. Des mains éprouvaient les muscles, la
fermeté d’un sein tendu, la carrure d’un poing viril265 ».
Cependant, les jeunes et jolies femmes, objets de luxe
et de haut prix, concubines pour les riches, les eunuques
pour la cour ne se trouvaient qu’en des lieux choisis,
réservés, loin des passants et des acheteurs du commun,
dans des maisons ou des pavillons à l’écart des regards
indiscrets ; les ventes, toujours précédées de longs
entretiens, ne se faisaient certainement pas en un
instant. A Samarra et en Egypte, c’était dans de belles
maisons particulières, discrètes, situées à l’écart et
protégées par de hauts murs, propriétés de riches
marchands. « A Dawlat Âbâd, se trouve le marché des
chanteurs et chanteuses, appelé Sûq Tarab Âbâd. C’est
un des plus beaux et des plus grands. On y voit de
nombreuses boutiques ; chacune est fermée par une
porte qui donne sur la demeure du propriétaire ; la
boutique est garnie de tapis ; au centre, on voit une sorte
de grand berceau [un hamac] où est assise ou couchée la
chanteuse qui est parée de toutes sortes de bijoux, et ses
servantes agitent son berceau. Au milieu du marché, se
dresse un grand pavillon garni de tapis et décoré où se
tient l’émir des chanteurs, il a devant lui ses serviteurs et
ses esclaves blancs, cela tous les jeudis, après la prière de
l’asr [milieu de l’après-midi]. Les chanteuses viennent en
groupe chanter devant lui jusqu’au coucher du soleil.
Dans ce marché se trouvent des mosquées où sont
célébrées les prières ordinaires266… »
GUIDES, EXPERTS ET MAQUIGNONS
C’était pratique ordinaire, en Orient comme en
Occident, que de voir les prix s’effondrer ou marquer de
fortes baisses au retour d’un grand raid de guerriers chez
les Nubiens, en Ethiopie, dans le Darfur, ou à l’approche
d’une caravane chargée de nombreux captifs. Tout au
long de l’année, en toutes circonstances, l’on tenait
compte de l’état physique des captifs, de leurs aptitudes
pour tel ou tel emploi et de ce que l’on pouvait supposer
de leur comportement. Seraient-ils vite résignés à
accepter leur misérable condition et à se soumettre à
leurs maîtres, ou, au contraire, allaient-ils résister, se
rebeller, refuser le travail et prendre la fuite ? Dans les
ports de la mer Rouge, on désignait et l’on estimait bien
sûr les prisonniers capturés dans le Soudan oriental et
dans les pays du Darfur, d’abord d’après leurs allure,
taille, qualité de peau et couleur, mais ensuite, et cela
comptait certainement tout autant, l’on s’efforçait de
savoir, avant de fixer ou d’accepter un prix, la façon dont
ils avaient été capturés. Sur les marchés, les trafiquants
les distinguaient les uns des autres et les proposaient à
des prix très différents. On prenait grand soin de les
séparer en différents lots : ceux qui s’étaient rendus sans
résistance ; ceux qui s’étaient retranchés dans les
montagnes et avaient chèrement et violemment défendu
leur liberté ; ceux qui, ayant déjà vécu un certain temps
dans des postes de traite ou dans des oasis sous contrôle
musulman, avaient dû s’habituer à leur misérable état ;
ceux que l’on avait renoncé à acclimater et à gouverner,
réputés « immatures » et naturellement proposés à la
vente bien moins cher ; enfin ceux qui, ayant pris la fuite,
avaient été rattrapés en route267.
Par ailleurs, ils est bien évident que les prix ont
toujours varié, et de façon considérable, selon la race, la
couleur de la peau et, plus encore sans doute, les
qualités et le savoir-faire supposés. Les réputations se
colportaient ici et là. Les Blanches, de Géorgie et de
Circassie surtout, réservées aux princes et aux riches,
faisaient prime en Orient et en Egypte ; au Caire, les plus
belles se vendaient jusqu’à cent pièces d’or268. Les
acheteurs recherchaient aussi des Abyssines et des Gallas
(peuple d’Ethiopie), femmes « de couleur olivâtre qui
tourne au brun clair en brunissant » ; plus appréciées que
les Noires des autres pays d’Afrique, certains leur
attribuaient des pouvoirs sexuels secrets. Au Caire, « une
femme abyssine a été vendue au prix de mille pièces
d’or, à cause de sa rare beauté et de sa grâce charmante.
Et cela est normal car, outre l’élégance de corps dont
elles sont dotées, ces femmes sont plus belles et plus
gracieuses que toutes les autres, et leur docilité fait
qu’elles ont meilleur caractère. Leur corps est d’un bon
embonpoint et plein de santé, surtout si elles sont
nourries en ville ; leur taille est grande plutôt que petite ;
elles ont un visage allongé, des yeux noirs, un nez
busqué, un peu long et beau, un grand front et, en
somme, un visage très distingué ». Mais les femmes de
Nubie, les plus laides de toutes, ne trouvaient acheteurs
qu’à bas prix, pour les services domestiques les plus vils.
« On leur donne comme vêtement une tunique de toile
de lin bleue et elles n’ont pour nourriture que du pain et
des oignons, avec de l’eau pour boisson269. »

Les musulmans n’ont découvert que plus tardivement


les lointains pays d’Afrique occidentale et les
déconcertantes mosaïques d’ethnies des « Soudans », un
certain temps après les premières expéditions d’au-delà
du Sahara. Pour ces peuples, si nombreux et si divers,
dont les noms mêmes demeuraient incertains, les
marchands et les acheteurs en quête d’un bon serviteur
ou d’une concubine à leur goût ne trouvaient aucun
intérêt aux habituels traités des « géographes », savants
en chambre qui ne se risquaient pas volontiers hors de
chez eux. Sur les femmes et les hommes de chaque
peuple d’Afrique, ne couraient au Caire et à Bagdad, dans
les caravansérails et sur les marchés, que des
réputations, certaines de pure fantaisie, entretenues par
des on-dit, par des fables et des superstitions populaires.
Mais l’offre était si variée, les trafiquants et courtiers
offrant à la vente des captifs arrachés à des contrées si
éloignées les unes des autres, que les marchands eux-
mêmes, dans chaque cité, eurent souvent bien du mal à
se renseigner. De savants encyclopédistes et des
médecins ne pensaient en aucune façon déroger et
savaient se rendre utiles en rédigeant des guides du
parfait acheteur d’esclaves, manuels semblables à ceux
que les hommes d’affaires italiens, de Florence et de
Venise en particulier, faisaient circuler pour mieux
instruire leurs commis et leurs associés de la qualité des
épices orientales, du coton d’Egypte ou des laines des
monastères cisterciens d’Ecosse. Ici il ne s’agissait pas de
produits inertes, de grains, de fruits et de fibres, mais de
bétail humain. Preuve que, pour certains du moins, cette
traite des hommes, l’un des plus importants sans nul
doute des trafics marchands en ces pays, présentait
forcément nombre d’aléas et faisait courir, à ceux qui en
faisaient métier comme aux clients prêts à introduire ces
hommes et ces femmes chez eux, de grands risques. Ces
guides pouvaient aider. Plusieurs d’entre eux devaient de
plus, intérêt sans doute non négligeable, susciter toutes
sortes de curiosités par l’évocation des pays étranges et
la description d’être humains vraiment différents et,
d’aucuns devaient bien le penser, méprisables. En Italie
et en Catalogne, où les femmes servantes et les hommes
compagnons de métiers esclaves ne manquaient
pourtant pas, de tels guides n’ont jamais existé.
Ce n’étaient, en aucune façon, ouvrages de pacotille,
écrits par des auteurs en mal de gagner quelque renom,
mais bien livres de bonne apparence, offrant toutes
garanties de sérieux pour inspirer confiance. Auteur de
l’un de ces guides, Ibn Butlan était né à Bagdad dans les
premières années 1000. En 1047, il quitte l’Irak pour
Alep, puis se rend à Jaffa et au Caire où il entretient de
longues discussions avec un médecin égyptien de renom,
Ali ibn Ridwan (998-1061), sur la question de savoir si le
poussin est ou n’est pas plus chaud qu’un autre oisillon
au sortir de l’œuf. S’ensuivirent de graves attaques
personnelles. Il laisse Le Caire en 1054 pour Antioche, où
il meurt en 1063. La liste de ses ouvrages270 compte dix-
sept titres dont un livre de médecine, le célèbre
Tacuinum sanitatis, maintes fois reproduit, commenté,
démarqué ou imité pendant des siècles tant en Orient
qu’en Occident, chez les musulmans et chez les
chrétiens271.
Ibn Butlan devait certainement une part de sa
notoriété à son vade-mecum à l’usage des acheteurs
d’esclaves. Il dit tout savoir des qualités et des défauts de
chaque race, des aptitudes au travail ou à l’amour. Les
Turcs et les Slaves sont, dit-il, de bons soldats mais, pour
les gardes des palais, mieux vaut prendre des Indiens et
des Nubiens, et, pour les travailleurs, serviteurs et
eunuques, des Zendjs, Noirs de l’Afrique orientale.
Comme tous ceux qui, par la suite, l’ont imité, auteurs de
traités qui, mis régulièrement au goût du jour, tenaient
bien sûr compte des nouvelles découvertes au fur et à
mesure des conquêtes ou des hasards des razzias, Ibn
Butlan s’attarde davantage à détailler les particularités et
les qualités des femmes que des hommes, à décrire leur
corps, à qualifier leur caractère. Ceux qui voulaient
choisir concubines ou domestiques pouvaient, à le lire,
tout savoir et déjouer les trafiquants qui, sur le marché,
vantaient trop haut les mérites de leurs captives. Les
Berbères, écrit-il, sont dociles et dures au travail. Les
Nubiennes, les plus gaies de toutes les femmes d’Afrique
et celles qui s’acclimatent le mieux. Il vante surtout les
mérites des Grecques, des Turques, des femmes du Buja
(pays entre la Nubie et l’Abyssinie) mais dit pis que
pendre des Arméniennes, sournoises, rebelles,
paresseuses, les pires de toutes les Blanches, et plus de
mal encore des Zendjs de la côte orientale de l’Afrique,
les pires des Noires. Les Zendjs « montrent toutes sortes
de mauvais penchants et, plus elles sont noires, plus elles
sont laides et leurs dents agressives. Elles ne peuvent
rendre que de petits services et sont dominées par leur
tempérament malfaisant et leur obsession de tout
détruire. Leur apparence commune et grossière est
rachetée par leur talent à chanter et à danser… Elles ont
les dents les plus claires de tous les peuples parce
qu’elles ont beaucoup de salive, et elles ont tant de
salive parce que leur digestion est mauvaise. Elles
peuvent endurer de durs travaux, mais il n’y a aucun
plaisir à les fréquenter, en tant que femmes, à cause de
l’odeur de leurs aisselles et de la grossièreté de leur
corps272 ».
Aux trafiquants d’esclaves et à leurs courtiers, crieurs
sur les places publiques, il ne faut jamais se fier :
« Gardez-vous d’acheter des esclaves à des fêtes ou sur
des foires, car c’est à l’occasion de tels marchés que les
fourberies des marchands d’esclaves sont les plus
subtiles. » On peint les yeux en noir, les joues jaunies en
rouge, on transforme les visages émaciés en visages
pleins, on épile les joues, on teint les cheveux clairs en
noir, on boucle les cheveux raides, on déguise les bras
trop maigres en bras bien ronds, on efface les cicatrices
de la petite vérole, les verrues, les grains de beauté et les
boutons. On a entendu un marchand d’esclaves dire
qu’un quart de dirham de henné augmente le prix d’une
fille de cent dirhams d’argent273.

L’image du Noir

NOIRS ET MÉTIS, COMPAGNONS DU PROPHÈTE


Ni les Arabes ni les Perses d’avant l’Islam n’ignoraient
l’Afrique. Les Ethiopiens avaient, en 512 et en 525, tenté
en vain de conquérir une part de l’Arabie. Battus par les
Perses lors d’une autre offensive qui les avait conduits
fort loin, en 570, ils avaient perdu beaucoup d’hommes
et laissé sur place de nombreux prisonniers, esclaves
domestiques ou mercenaires. En temps de paix, marins
et marchands fréquentaient assidûment les ports des
deux rives de la mer Rouge. Installés en plusieurs points
de la côté d’Arabie, à Moka et à Aden et, plus vers l’est, à
Mujallah, les négociants arabes achetaient dans leur
arrière-pays des lances, des hachettes et des épées, du
vin et du blé qu’ils allaient vendre en Abyssinie et, au
retour d’un court voyage, ramenaient les produits
d’Afrique, l’ivoire, les cornes de rhinocéros, l’huile de
palme, les écailles de tortue et, sans nul doute, aussi des
esclaves274.
Dès le VIIe siècle, peu après la mort de Mahomet, les
lettrés de Bagdad s’inspirèrent de plusieurs textes
anciens, notamment de la Géographie de Ptolémée qui
parlait, de façon certes très approximative et sans faire
aucune sorte de distinction entre les peuples, des Noirs
de la côte africaine de l’océan Indien, loin au sud, qu’ils
appelaient, faute de pouvoir bien les identifier, des
« Ethiopiens mangeurs d’hommes », peuple
vraisemblablement d’origine bantoue. Les mêmes
auteurs musulmans démarquaient également le Périple
de la mer Erythrée, ouvrage anonyme du Ier siècle après
J.-C. qui, dans le style des guides pour les marins, citait,
de façon bien plus précise que la Géographie, les postes
de garde, escales et comptoirs de cette côte, au-delà
d’Opone (aujourd’hui le Ras Hafun, très près de la pointe
de l’Afrique).
Les Ethiopiens, négociants ou hommes de cour,
relativement peu nombreux à visiter l’Arabie et à y
résider, n’étaient pas mal considérés mais, tout au
contraire, souvent estimés pour leurs qualités et leurs
savoirs. Le peuple les regardait avec respect. En ces
premiers temps de l’islam, l’homme noir n’était pas
davantage objet de mépris et victime de mauvais
traitements que le Blanc. Plusieurs compagnons du
Prophète, et non des moindres, comptaient une femme
éthiopienne, souvent concubine d’un noble arabe, parmi
leurs ancêtres. Bila ibn Rabâh, né esclave à La Mecque,
converti très tôt à l’islam, affranchi par Abu Bakr, le
beau-père de Mahomet, fut le premier à appeler à la
prière dans Médine. Un autre Noir, Abu Bakra, esclave
éthiopien, s’était fait descendre par une corde et un
palan du haut des murailles de Ta’if275, lors du siège de la
ville par les musulmans, à seule fin de les rejoindre ; les
chroniques puis la légende rappelaient son exploit, le
citaient en modèle. Cet homme, que l’on appelait donc
« le Père de la poulie », affranchi par Mahomet lui-
même, s’établit à Bassorah et y vécut dans l’aisance,
comme un notable, jusqu’à sa mort en 672.
Plusieurs fils ou petit-fils de femmes noires se sont
illustrés à la tête du premier califat ou des armées ; ainsi
le calife Omar et Amr ibn al’As276, conquérant de
l’Egypte. Les poètes laissaient courir de nombreux contes
merveilleux sur les origines et les hauts faits de
personnages plus ou moins légendaires, tous liés par le
sang de leurs ascendants à l’Afrique. Les récits populaires
s’émerveillaient des vertus de héros qui, pourtant,
étaient nés d’une mère éthiopienne esclave. Pour
s’affirmer davantage et fortifier leur renommée, de hauts
personnages s’étaient forgé eux-mêmes une histoire
ponctuée de heureux hasards où les pays et les royaumes
d’Afrique noire se trouvaient toujours en bonne place.
Antarq, aussi fameux guerrier que poète, haute figure
des romans de chevalerie arabes lors des guerres contre
les Perses et contre les Grecs de Byzance, était
notoirement connu comme le fils d’une esclave noire
nommée Zabiba. Affranchi, il prit grand soin de marquer
un profond mépris pour ses congénères demeurés
esclaves. Mais non pour les Noirs libres. Il disait être allé
en Afrique, jusqu’au plus profond de l’Ethiopie où, par
miracle, il découvrit que sa mère, Zabiba donc, était en
fait la petite-fille de l’empereur277.
MÉPRISÉS, HUMILIÉS
Tant le respect des Blancs envers les Noirs que la fierté
des hommes de couleur revendiquant leurs racines ne
furent bientôt plus que souvenirs d’un passé
délibérément révolu, oublié, pour céder le pas aux
méfiances, au désir de marquer clairement des
différences et de se séparer les uns des autres. Temps du
mépris et des offenses : les amis et anciens compagnons
de ce général Antarq qui, après sa mort, composèrent de
nouvelles pièces de vers sous son nom, comme s’il était
encore vivant, ont bien compris qu’ils devaient
maintenant le montrer malheureux, pleurant sur son
sort, blessé, tenu à l’écart.
De plus, les conquêtes, plus encore les expéditions
aventureuses pour remonter le cours du Nil, ou le long
de la côte d’Afrique, ou vers le sud et à travers le Sahara,
firent connaître d’autres pays jusque-là ignorés, très
différents de ceux que les Arabes et les Egyptiens
fréquentaient depuis si longtemps. Ces entreprises
hasardeuses, menées souvent en des conditions
difficiles, ont conduit voyageurs et marchands à
découvrir des peuples aux mœurs pour eux vraiment
étranges. Tout aussitôt, l’extraordinaire développement
du trafic fit que des esclaves noirs, originaires de ces
nouveaux territoires, hommes et femmes qui n’avaient
eu jusqu’à leur capture aucun contact avec les Blancs et
les musulmans, se sont trouvés de plus en plus
nombreux. On ne voyait plus du tout ces Noirs, comme
naguère encore, chargés de fonctions honorables, de
commandements, non plus chefs de guerre ou familiers
des grands, mais hommes de très petite condition,
domestiques ou travailleurs courbés sous le joug. Ou
encore, dans les pires moments, soldats, artisans des
noires besognes pour réprimer les émeutes de la rue.
Aux Blancs la garde du calife ou du sultan et la cavalerie,
aux Noirs la piétaille pour les combats de rue.
Les géographes et les climats
Le moins que l’on puisse dire est que les savants, non
bien sûr les docteurs de la Loi mais même les géographes
appliqués à découvrir et à décrire le monde, à donner
aussi à chacun des peuples de la Terre ses propres
caractères, n’ont certes pas aidé à mieux faire connaître
les Noirs de cette Afrique plus lointaine, de ces contrées
que, faute d’y aller, on aimait encore à entourer de
fables, à imaginer habitées par des êtres plus ou moins
monstrueux, en tout cas d’une autre nature,
naturellement considérée inférieure. Ils ont, tout au
contraire, largement contribué à renforcer cet état
d’esprit de méfiance et, pour tout dire, de mépris. Leurs
traités, demeurés longtemps très abstraits, sans jamais
s’attarder à décrire raisonnablement les hommes et leurs
usages, ne proposaient que des images et des jugements
de valeur sans nuances, toujours empreints de ce
sentiment de détestable et toute naturelle suffisance, qui
reléguait les pays, les « climats » disaient-ils, autres que
ceux où l’auteur avait le bonheur de vivre, affligés par la
nature de maux de toutes sortes, obstacles à faire de ces
hommes des égaux aux leurs.
Les premières descriptions de la Terre, ouvrages très
académiques d’auteurs musulmans parmi lesquels une
petite minorité d’arabes, n’apparaissent que vers la fin
des années 900 et les Noirs d’au-delà du Sahara, les
« Soudans », ne sont donc mentionnés que relativement
tard dans les livres, bien après les grandes conquêtes
dans le monde méditerranéen et l’islamisation du
Maghreb.
Cette littérature, que nous continuons à dire « arabe »
puisque les livres sont écrits en cette langue quelle que
soit l’origine de l’auteur, a précédé de beaucoup celle
des chrétiens d’Occident et même celle des chrétiens
d’Orient, toutes deux bien plus tardives. Elle l’emporte
aussi, et de très loin, sur ce qu’ont écrit les chrétiens par
sa richesse, parfois par sa diversité, et, à partir des
années 1300, par l’extraordinaire activité des voyageurs
lettrés, lancés à la découverte des plus lointains pays.
Les trois premiers auteurs dont les manuels retiennent
communément les noms étaient des Espagnols, des
Andalous plutôt, formés à l’école de Cordoue. Aucun, à
vrai dire, ne faisait montre d’une quelconque originalité
et encore moins d’esprit d’observation, et tous s’en
tenaient encore à suivre des modèles antiques, à rédiger
des encyclopédies et, bien souvent, à présenter
d’interminables nomenclatures.
Homme de tradition, Ibn’Abd al-Barr (978-1071) n’est
jamais sorti d’Espagne. Auteur d’un tout petit traité
d’une vingtaine de pages, il ne parle des étrangers, et
fort peu des Africains, que pour citer l’Ancien Testament
ou le Roman d’Alexandre et interpréter les hadiths de
Mahomet. Abd’Udhri (1003-1085) a, lui, séjourné neuf
années à La Mecque mais pas en Afrique. Son livre, Le
Collier des perles au sujet des royaumes et des routes,
aligne aussi de longues suites de noms. Enfin, Azuhri,
autre Espagnol, qui vécut vers 1150, si peu connu au
point qu’on l’appelle l’« Anonyme d’Almeria »,
manifestait un fort penchant pour les « merveilles du
monde », reprenait tout simplement à son compte la
division de la Terre en « climats » chère à Ptolémée et
aux Perses.
Ces climats sont encore plus présents, largement
décrits, subdivisés à l’extrême et parfaitement identifiés,
dans L’Agrément de celui qui est passionné par les
pérégrinations à travers les régions, œuvre d’Idrisi, le
plus célèbre et certainement le plus lu par la suite, en
Occident même, de tous ces « géographes ». Il était, lui,
d’origine arabe et même princière, de la lignée des Alides
et Idrissides, de la parenté du Prophète. Son ancêtre,
Idris Ier, avait fui l’Orient pour s’établir en Egypte puis en
Espagne, avant de fonder, en 789, un Etat indépendant
dans le nord du Maroc. Né à Ceuta en 1100, al-Idrisi, le
géographe, fit ses études à Cordoue, entreprit plusieurs
voyages en Espagne, au Maroc et sur les côtes de France
avant de s’établir à la cour du roi chrétien Roger II de
Sicile où il demeura pendant quinze années, jusqu’à la
mort de celui-ci en 1154. Le roi, qui voulait tout savoir
sur les routes de terre et de mer ainsi que sur les climats
des différents pays, lui accorda une bonne pension. Idrisi
entreprit alors un énorme travail de compilation, fit faire
des recherches dans tous les livres anciens, de Ptolémée
et d’Orone d’Antioche aux auteurs arabes (il cite plus de
cent titres !). Il fit exécuter sept disques d’argent puis, à
partir de ces disques de métal, dessiner des cartes sur
des étoffes de coton et, enfin, s’appliqua à la rédaction
de son livre, ce qui lui demanda quinze années,
de 1139 à 1154. Un second ouvrage, écrit à la fin de sa
vie (il meurt à Ceuta en 1165), Le Jardin des joies et la
délectation des cœurs, connu en Occident comme le Petit
Idrisi, résume le premier sans apporter beaucoup de
nouveau. L’un et l’autre connurent un succès
considérable, constamment cités ou démarqués.
Ce ne sont pourtant, cette fois encore, que des
encyclopédies. Idrisi ne présente qu’une courte
description de la Terre ; il n’insiste que sur les côtes et
sur les golfes ; pour les pays non musulmans d’Asie et
d’Afrique, il recopie ou démarque de façon plus ou moins
discrète toujours Ptolémée, n’apportant de rares
précisions que sur le commerce avec le pays des Zendjs
et sur la vie dans quelques régions voisines du Niger.
Pour lui, la Terre est donc encore, comme chez les
Anciens et tous ceux qui, des pays d’islam, ont écrit avant
lui, strictement divisée en sept climats, zones
latitudinales étagées de l’équateur au pôle. (Un huitième
climat, au sud de l’équateur, est ajouté dans le second
ouvrage.) Chaque climat, soigneusement défini par le
rythme des saisons, la longueur des jours et, surtout, par
les effets de la chaleur ou du froid sur la nature et sur le
comportement des hommes, est lui-même divisé en dix
parties transversales étalées du nord au sud, ce qui
donne, au total, soixante-dix segments et soixante-dix
cartes pour les situer et les illustrer.
A l’évidence, pour tous ces auteurs sans nulle
exception, cette théorie des climats expliquait les
différences de couleur de peau des hommes, leurs
tempéraments, leurs mœurs politiques et leurs
croyances. Solidement ancrée, cette croyance alimentait
à elle seule de longs discours sur l’inégalité des races.
Toujours, pour le musulman lettré et, d’une façon plus
générale, pour l’opinion, dans les grandes villes de l’Islam
et sur les marchés, les Noirs étaient par force d’essence
inférieure et tous ces ouvrages accréditaient tout
naturellement l’idée que leur malheureuse destinée,
notamment de vivre esclaves, tenait au fait d’être nés
dans le pire de tous les climats.
Déjà, dans les années, 1050-1060, Saïd ben Ahmad
Saïd, né à Almeria en 1029, mort à Tolède en 1070,
auteur de plusieurs ouvrages d’histoire, avait énuméré
sept grandes familles de peuples, chacune correspondant
à l’un des sept climats. Dans les pays des Noirs, « l’air est
brûlant et le climat extérieur subtil. Ainsi le tempérament
des Sûdans devient-il ardent et leurs humeurs
s’échauffent ; c’est aussi pourquoi ils sont noirs de
couleur et leurs cheveux crépus. Pour cette raison sont
anéantis tout équilibre des jugements et toute sûreté
dans les appréciations. En eux, c’est la légèreté qui
l’emporte et la stupidité et l’ignorance qui dominent ».
Tout cela à cause de la conjonction du soleil avec le
zénith278.
D’autres évoquaient l’action de la lune et des astres.
Dans le Maghreb, région relativement tempérée, la
position de la lune fait que les habitants sont devenus
gens de négoce et comptent parmi les plus prospères.
Mais les Nubiens, les Habasha (haute vallée du Nil), les
Zendjs (ici Afrique orientale) et les Noirs du sud de l’Inde
sont, eux, sous l’influence du Scorpion et de Mars. Pour
cette raison, leur comportement est plus semblable à
celui des bêtes qu’à celui des hommes. Ils ne cessent de
chercher querelles, oppositions et désordres. Ils sont
sans miséricorde, sans pitié les uns pour les autres. Ils
n’ont aucun respect pour la vie, puisqu’ils n’hésitent pas
à tuer par le feu et par l’étranglement ou en jetant les
gens dans les puits. Le pays du Soudan, lui, fait face au
signe du Cancer ; il est régi par Vénus et par Mars. C’est
pourquoi ces populations, par la conjonction de ces deux
planètes, sont destinées à être gouvernées par un roi et
par une reine : l’homme règne sur les hommes et la
femme sur les femmes. C’est une coutume héritée du
passé et qui se perpétue. « Le tempérament de ces gens
est très ardent. Ils sont fort portés à cohabiter avec les
jeunes filles avant qu’elles ne soient en possession de
leur mari. Ils sont coquets comme des femmes et cela en
raison de l’influence de Vénus mais ils ont cependant de
la virilité et l’âme virile. Ainsi n’hésitent-ils pas à affronter
les périls et à s’exposer au danger, et cela à cause de
l’influence de Mars sur eux. Ils sont pleins de
méchanceté, de malice, de mensonge, de fourberie et de
rancune279. » Les savants invoquaient même les
médecins de la Grèce antique et rappelaient que Galien
avait, chez les Noirs, défini dix caractères que l’on ne
pouvait trouver chez les Blancs : cheveux crépus, fins
sourcils, larges narines, lèvres épaisses, dents saillantes,
mauvaise odeur de peau, basse moralité, pieds fendus,
long pénis, humeur joyeuse. Les mêmes auteurs citaient
aussi leurs propres savants, surtout le Canon de la
médecine du grand Avicenne (980-1037) :
Le corps des Noirs est transformé par la chaleur,
Leur peau est recouverte de Noirceur.
Le Slave, au contraire, a pris la Blancheur
Et sa peau n’est plus que douceur280.
En fait, la fidélité quasi servile aux auteurs anciens
dont les théories avaient force de loi, vérités avérées, et
la volonté de ne rien examiner vraiment sur le terrain
maintenaient les auteurs de ce temps, qui se veulent
pourtant géographes, dans une totale ignorance,
seulement capables de rapporter des ragots. Leurs
présentations de l’Afrique, au sud du Sahara, très
rudimentaires, n’apportaient évidemment rien de
nouveau. Elles ne pouvaient que conforter les maîtres,
les Blancs, dans leurs convictions, dans leur idée d’une
supériorité congénitale, les Noirs portant le poids d’une
malheureuse infériorité voulue par la nature.
Al-Bekri († 1094), lui aussi cité très souvent par les
auteurs musulmans et chrétiens, fils et petit-fils d’émirs
indépendants de Huelva, établi à Cordoue puis à la cour
du petit roi d’Almeria, fut chargé de mission à Séville
mais ne passa pas la mer. Son grand souci, dans la ligne
des anciens dictionnaires géographiques des philologues,
fut d’abord de rétablir l’écriture exacte des toponymes.
Tâche ardue, disait-il : « Quantité de savants ne sont pas
d’accord sur le nom d’un lieu et sont, entre eux,
incapables de le reconnaître. » Identifier des lieux dont
les noms ont été, au fil des temps et au gré des différents
auteurs, mal retranscrits, déformés de bouche en bouche
puis de livre en livre jusqu’à n’être plus du tout
reconnaissables, n’était certainement pas chose aisée.
Qui voulait parler des pays lointains, tout
particulièrement de ceux d’Afrique noire où la tradition
n’est pas encore bien fixée, devait d’abord prendre soin
de bien placer les voyelles et les accentuations pour de
très nombreux toponymes dont l’orthographe et la
prononciation demeuraient incertaines. Et al-Bekri
d’évoquer, pour preuve de la difficulté d’une telle
recherche et de la nécessité de mises au net admises par
tous, la rencontre entre un Bédouin, natif et pratique du
pays, avec un voyageur qui lui demandait sa route mais
prononçait les noms des lieux où il désirait se rendre tels
qu’écrits dans son traité de géographie : le Bédouin ne
voyait pas du tout ce dont il parlait et fut incapable de le
renseigner.
C’est à Cordoue, en 1068, qu’al-Bekri a rédigé son
Routier de l’Afrique blanche et noire du Nord-Ouest,
véritable « itinéraire » qui situe de façon précise les lieux
habités et les décrit sans parler de merveilles, seul
ouvrage de cette qualité parmi tant d’autres plus
ordinaires et tellement approximatifs. Il n’a, à aucun
moment, parcouru le Sahara et encore moins les pays
d’Afrique noire, mais a recueilli les témoignages de
plusieurs marchands et voyageurs certainement dignes
de foi qui, à l’évidence, étaient, eux, parfaitement
familiers de ces longues traversées du grand désert. Le
livre apporte de très nombreux renseignements sur les
parcours caravaniers.
Al-Birmi († 1050), considéré comme l’un des plus
grands savants de l’Islam, auteur du Canon d’anatomie et
des étoiles, ne fait rien de plus, pour plusieurs pays
d’Afrique, que dresser des tableaux des latitudes par
rapport à l’équateur et des longitudes par rapport « aux
rives les plus à l’ouest de la terre281. La liste en paraît
fantaisiste et les indications approximatives, à beaucoup
près. En fait, chez ces auteurs, toutes les localisations
demeuraient très incertaines et les listes des pays, des
peuples, des lieux habités, villes ou villages,
comportaient, même présentées sous forme
d’interminables nomenclatures, d’importantes lacunes.
Sur l’Afrique de l’Est, que les musulmans fréquentaient
pourtant depuis longtemps, Idrisi commet de
nombreuses erreurs et d’étonnants oublis. Il ne parle pas
de Kilwa, comptoir pourtant fondé deux cents ans
auparavant et déjà très prospère de son temps, ni des
îles de Pemba, de Zanzibar, de Mafia, autres escales du
négoce arabe ! « Il ne sait presque rien de l’Afrique
orientale et n’a pas pris le soin de se renseigner282. »
Fables et légendes
Si, parmi ces savants « géographes » des quatre
premiers siècles, quelques-uns, pas très nombreux
vraiment, ont pu, lors d’un pèlerinage à La Mecque,
observer les Zendjs esclaves en Arabie, aucun d’eux n’a
visité le pays des Soudans, au-delà du Sahara. Ils en
parlent pourtant mais ne savent en donner d’autres
images que celles de terres des merveilles et des
étrangetés. Faute d’expériences vécues et d’informations
de bonne main, ils se contentent bien souvent de
rapporter des légendes plus extravagantes les unes que
les autres, pour montrer ces hommes différents,
monstrueux, de nature à peine humaine. Les anecdotes
et traits de mœurs, que l’on pourrait croire pris sur le vif,
ne sont que fables. Pour étonner, éblouir ? Ou pour
troubler et faire peur ? Ceux mêmes qui se veulent
historiens n’y échappent pas et truffent leurs récits
d’extravagances : Ibn’al-Hakam (803-871), auteur d’une
Histoire de la conquête de l’Egypte, du Maghreb et du
Maroc, fort bien renseigné sur le film des événements,
sur les batailles et sur les chefs des armées, dit tout de
même que le général, vainqueur dans le Sous en 734,
ramena, parmi de nombreux esclaves capturés en route,
« une ou deux filles d’une race dont les femmes n’ont
qu’un seul sein283 ». Abu Hâmid, natif de Grenade (1080-
1170), auteur de plusieurs ouvrages dont Le Cadeau aux
esprits et le choix des merveilles, soucieux ou de citer ses
témoins ou de préciser ce qu’il a observé lui-même, fit
plusieurs voyages en Egypte et à Bagdad, alla par trois
fois dans le Khorassam et s’aventura au-delà de la mer
Caspienne, chez les Bulgares de la Volga, mais jamais en
Afrique noire. Cet homme célèbre, abondamment
recopié de son temps et par la suite par plusieurs
géographes et zoologistes, n’aurait eu, s’il s’en était tenu
à ses expériences personnelles et à ce qu’il avait pu
observer au cours de ses pérégrinations, absolument rien
à dire sur les Noirs. Il se prétend pourtant informé,
affirme ne citer que des hommes en qui l’on doit avoir
toute confiance et rappelle même quelques observations
très particulières faites par ceux-ci, sans pour autant les
situer ni dans le temps ni dans l’espace. Toutes ces
précautions pour, en définitive, reprendre sans vergogne
n’importe quelle sottise et charger son discours
d’anecdotes toutes plus fantaisistes les unes que les
autres : « L’on dit que dans les déserts du Maghreb, vit
un peuple de la descendance d’Adam. Ce ne sont que des
femmes. Il n’y a aucun homme parmi elles et aucune
créature de sexe mâle ne vit sur cette terre. Ces femmes
vont se plonger dans une certaine eau et deviennent
enceintes. Chaque femme donne naissance à une fille,
jamais à un fils. » Et de rappeler aussi l’aventure, qu’il
assure parfaitement authentique, d’un chef berbère qui,
pour atteindre la terre des Noirs, trouva d’abord un pays
où le sable coulait comme l’eau d’un fleuve, puis une
région où aucun être vivant ne pouvait pénétrer sans y
laisser la vie. Il y demeura malgré tout quelques jours,
assez pour rencontrer des hommes sans tête qui avaient
des yeux sur leurs épaules et une bouche sur leur
poitrine. Ces peuples, dit-il, forment de nombreuses
nations et sont aussi nombreux que des bêtes. Ils se
reproduisent entre eux et ne font de tort à personne
mais n’ont aucune forme d’intelligence284. Et de prendre
soin d’insister, d’affirmer que ce n’est, de sa part, ni
hallucination ni pure invention mais, bien au contraire,
un fait avéré qui ne souffre aucune discussion puisque
l’on retrouve ces mêmes observations dans les meilleurs
ouvrages : « Cela est bien mentionné par al-Sha’bi dans
son livre285. »
Al-Bekri, auteur de ce Routier souvent si précis au
point d’indiquer le moindre point d’eau sur tel parcours
caravanier, se plaît pourtant, lui aussi, à colporter toutes
sortes de fables ou de niaiseries. Il ne met nullement en
doute, par exemple, que les Noirs du Soudan adorent un
serpent semblable à un énorme dragon qui vit dans le
désert, dans une caverne, et que tout près de là « les
chèvres sont fécondées sans l’intervention des boucs par
simple frottement contre un arbre propre à ces pays.
C’est là une singularité incontestable, attestée par des
musulmans dignes de foi286 ».
Dans tous les écrits des géographes en chambre et
dans ceux des auteurs qui se voulaient mieux et
directement renseignés par les voyageurs et de bons
témoins, les peuples des « climats » non tempérés,
hommes frappés d’un dur destin parce qu’ils vivaient
trop au sud ou trop au nord, tombaient forcément sous
le coup de jugements sans appel, créatures humaines
certes mais où l’homme des pays et des climats tempérés
ne se reconnaissait pas vraiment. Les Noirs étant
visiblement, et de très loin, les pires : « Ils diffèrent des
autres hommes par la couleur noire, le nez écrasé, la
grosseur des lèvres, l’épaisseur de la main, par le talon,
par la puanteur, par la promptitude à la colère, par le peu
d’esprit, par l’habitude de se manger les uns les autres et
par celle de manger leurs ennemis. » Et encore : « Les
Zendjs se distinguent de nous par le teint noir, les
cheveux crépus, le nez épaté, les lèvres épaisses, la
gracilité des mains, l’odeur fétide, l’intelligence bornée,
la pétulance extrême, les habitudes de manger de la
chair humaine. Ils sont incapables de conserver une
impression durable de chagrin, ils s’abandonnent tous à
la gaieté. C’est, disent les médecins, à cause de
l’équilibre du sang et du cœur, ou, suivant d’autres,
parce que l’étoile Canope se trouve toutes les nuits au-
dessus de leur tête, et que cet astre jouit du privilège de
provoquer la gaieté287. »
Ce n’étaient pas seulement exercices académiques et
discours pour d’étroits cercles d’érudits ; dans la cité,
chez le peuple, dans les rues, sur les marchés et même
dans les lieux de culte, l’image des Noirs, hommes des
terres d’au-delà des déserts, n’a cessé d’être celle d’êtres
par nature impies, luxurieux et, bien sûr, sans foi ni loi.
« Ils pratiquent le culte des ancêtres, et vénèrent
plusieurs totems qui ne sont nulle part les mêmes.
Personne ne pourrait dire le nombre de leurs dieux. »
Sa’id al-Andalusi, qui vivait à Tolède au XIe siècle,
comptait les Perses, les Indiens, les Chaldéens, les Grecs,
les Romains et les Egyptiens, plus encore naturellement
les Arabes et les Juifs, parmi les peuples capables de
cultiver les sciences et de servir l’humanité. Les Turcs
aussi, à la rigueur, en quelques domaines, pas plus. Mais
non ceux qui habitent plus au nord et plus au sud, « qui
sont plus comme des bêtes que comme des hommes et,
moins que tous, les habitants des steppes et des déserts
et des lieux sauvages, comme la canaille des Buja, tribu
nomade entre le Nil et la mer Rouge, les sauvages du
Ghana, la racaille du Zendj et leurs semblables ». A la
même époque, Idrisi dit aussi que les Soudans sont, de
tous les hommes, les plus corrompus et les plus adonnés
à la procréation. Il n’est pas rare de trouver chez eux une
femme suivie de quatre ou cinq enfants ! Leur vie est
comme celle des animaux. Ils ne prêtent attention à rien
des affaires de ce monde si ce n’est au manger et aux
femmes288.
Malgré tout, les musulmans d’Orient et d’Egypte
savaient pertinemment que l’Afrique des Noirs ne
formait pas un seul bloc, habité par des peuples qui, se
ressemblant tous, pouvaient être accablés du même
mépris. Déjà, Abd al-Rahmân († 1169) distinguait les
diverses « races du Soudan », leurs particularités et leurs
mœurs. Les hommes du Mali, du Tekrur et de Ghadamès
sont courageux et se battent bien mais leur pays n’est
pas propre, sans grande ressource ; ils sont sans religion
et sans intelligence. Les pires, les plus méchants, sont
ceux de Kawkaw289. Ils ont le cou petit, le nez aplati, les
yeux rouges ; leurs cheveux ressemblent à des grains de
poivre ; leur odeur est répugnante comme celle de la
corne brûlée. Ils mangent, comme du poisson, les vipères
et toutes les sortes de serpents du pays290. Les peuples
du Ghana sont, au contraire, les meilleurs des Noirs et les
plus beaux ; leurs cheveux ne sont pas crépus ; ils ont du
bon sens et de l’intelligence. Cette sympathie pour ces
hommes, Noirs du Soudan parmi d’autres, tenait-elle à ce
qu’ils étaient plus accessibles donc mieux connus, alors
que les autres restaient toujours victimes d’anciens
clichés et de jugements a priori ? Peut-être pas : l’on
savait ce peuple riche, actif, industrieux, prompt à
négocier avec des marchands qui, venus du nord avec les
caravanes, pouvaient y traiter à loisir et y gagner
beaucoup d’argent. Surtout, l’auteur ne manque pas
d’insister sur ce point qui lui paraît plus que tous
essentiel, ils se rendent en pèlerinage à La Mecque, alors
que les autres sont incroyants, païens, misérables.
Plusieurs auteurs convenaient qu’à l’est de l’Afrique,
dans les pays qui bordent la mer Rouge, vivaient certes
quelues peuples plus évolués, plus policés et travailleurs.
Ce sont, en somme, ceux que les marchands arabes ont
fréquentés, à qui ils ont appris quelques bonnes
manières et des comportements plus humains, alors que
les nègres de Brava, ville de la côte située hors de cette
sphère privilégiée, au sud de Mogadiscio, ne sont que
des « adorateurs de piliers ». Les bons Noirs, les nôtres,
aiment spontanément le travail, la justice, la simplicité,
l’ordre291…
Racisme et ségrégation
Le Noir, esclave ou libre, même estimé pour ses talents
ou son courage, n’était certainement pas l’égal des
autres hommes. La pratique ordinaire était, dans les
écrits, les discours et le parler de chaque jour, de ne pas
désigner les hommes non arabes, les hommes de couleur
en particulier, par leur filiation mais seulement par leur
nom personnel et par leur surnom. On ne marchait pas
dans la rue côte à côte avec eux. Lors des repas pris dans
une salle commune, ils ne se tenaient pas assis avec les
Blancs mais debout ; un Noir âgé, reconnu pour ses
mérites, pouvait s’asseoir, mais tout au bout de la table.
Ibn’Abd Rabbihi, né à Cordoue en 860, auteur d’une
anthologie où il recense plus de vingt-cinq livres, écrivait
que trois créatures seulement pouvaient, par leur
présence, troubler la prière : un âne, un chien et un
mawla. Le mawla est le Noir, esclave converti et
affranchi.
On racontait – et l’anecdote fut souvent reprise par de
bons auteurs – qu’à Damas un célèbre chanteur noir,
nommé Saïd ibn Misjab, s’était joint incognito à un
groupe de jeunes gens ; il leur propose de prendre son
repas à part ; ils acceptent et lui font porter sa
nourriture. Arrivent des chanteuses esclaves, blanches
celles-ci ; il les applaudit, les félicite et cela lui vaut
d’amères remontrances ; on lui demande de veiller à ses
manières et de mieux tenir sa place292.
Un eunuque noir, qui répondait au nom de
« Camphre », conseiller écouté du sultan, véritable
maître de l’Egypte au Xe siècle sans que cela suscite la
moindre contestation, assuré de l’appui de hauts
personnages, fut lui-même victime de libelles injurieux
de fort mauvais ton. Les conteurs des rues et les
bouffons, amuseurs publics, mais aussi des poètes
célèbres, auréolés de belle renommée et de l’estime des
grands, disaient ne pouvoir supporter l’idée que des
hommes libres, des guerriers et des officiers de
l’administration obéissent à ce Noir :
Je n’ai jamais pensé que je verrais le jour
Où ce nègre aux lèvres de chameau percées
Serait obéi par ces lâches mercenaires…
D’où vient la noblesse de cet eunuque noir ?
De son peuple de Blancs ou de ses ancêtres royaux ?
De son oreille ensanglantée par la main du marchand ?
Ou de son prix au marché où pour deux piécettes on ne
voudrait l’acheter293 ?
Sous la plume des poètes noirs, ce n’étaient alors que
plaintes, lamentations ou, pour les plus courageux,
capables de dire leur colère, sursauts d’indignation
contre les détracteurs acharnés à nuire et à blesser. Les
Noirs d’Afrique convertis à l’islam se sont refusés à écrire
en langue arabe, mais, en Egypte et en Syrie, objets
souvent d’ignobles attaques, tournés en dérision de
misérable et grossière façon, ils s’y sont appliqués,
remportant parfois d’heureux succès, mais c’était,
presque toujours, pour clamer leurs malheurs en
haussant le ton et tenter de convaincre. Nusayb († 726),
que le grand poète arabe Kuthayyu accablait de vilains
sarcasmes, disant de lui que « même s’il est oppressé, il a
bien la couleur d’un oppresseur », revendiquait haut et
fort sa négritude :
Le Noir ne me diminue pas, aussi longtemps
Que je garde fière ma langue et solide mon cœur.
Certains n’ont réussi que grâce à leur lignage,
Les vers de mes poèmes sont mon lignage.
Mieux vaut un Noir d’esprit clair, de parole aisée,
Qu’un Blanc qui ne sait que rester muet.
Le célèbre poète Jarin († 729), savant érudit fameux
entre tous les protégés de la cour et de l’aristocratie,
voyant un jour al-Hayqutân (le Perdreau), poète et
esclave noir, paraître lors d’un festival vêtu d’une
chemise blanche, avait écrit que cet homme lui faisait
penser au pénis d’un âne enveloppé dans un papyrus.
L’offensé répliqua par une longue pièce de vers,
s’affirmant heureux et fier de ce que Dieu l’avait fait :
Si mes cheveux sont laineux et ma peau noire comme du
charbon mes mains demeurent ouvertes, nettes, et
mon honneur intact.
Et de s’en prendre aux origines, fort peu glorieuses, de
celui qui l’avait injurié et ne méritait pas tant de
considération :
N’es-tu pas de la tribu de Kullayb et ta mère une vilaine
brebis ?
Les gras moutons sont et ta gloire et ta honte294.
Ces querelles furent davantage portées sur la place
publique par al-Jahiz (776-869), l’un des prosateurs les
plus appréciés de son temps, lui-même descendant pour
une part d’ancêtres africains. Son œuvre maîtresse, La
Glorification des Noirs contre les Blancs, réfute toutes les
accusations : « Comment se fait-il qu’autrefois vous nous
regardiez assez bons pour épouser vos femmes et que,
depuis l’islam, vous considériez cela comme
mauvais ? »« Les Noirs, dit-il, sont forts, braves,
généreux, non par simplicité d’esprit, par manque de
discernement et ignorance des conséquences, mais par
noblesse de cœur. Si vous dites : “Comment se fait-il que
nous n’ayons jamais rencontré un Zendj qui eût ne serait-
ce que l’intelligence d’un enfant ou d’une femme ?”,
nous pourrions vous répondre : “Avez-vous jamais vu,
parmi les captifs de race blanche, dans le Sind et l’Inde,
des êtres intelligents, savants, éduqués et de caractère ?”
Vous n’avez jamais vu les vrais Zendj. Vous n’avez vu que
des hommes prisonniers, maltraités et déjà humiliés,
arrachés au pays des forêts et des vallées de Qanbaluh
(Qanbaluh est l’endroit où vous ancrez vos vaisseaux) ; ce
sont les gens des classes les plus modestes et les plus
basses de nos esclaves. » Et de nier aussi l’équation Noir
et laideur : « A ceux qui méprisent le Noir, nous
répondrons que les longs cheveux roux et fins des Francs,
des Grecs et des Slaves, ainsi que la couleur de leurs
bouches et de leurs barbes, la pâleur de leurs sourcils et
de leurs cils, sont encore plus laids et plus répugnants. »
Et d’affirmer et de rappeler sans cesse qu’en aucun cas la
négritude n’est une punition de Dieu mais est, comme
pour tous les autres hommes, de toute race et de toute
couleur, un état naturel295.
LES VOYAGEURS
Ce qu’ils ne veulent pas voir
La découverte de l’Afrique, non par les guerriers et par
les trafiquants, mais par des hommes de science,
savants, écrivains, curieux de connaître le monde, ne
s’est faite que très tard, six ou sept siècles après la mort
du Prophète et les premières grandes expéditions vers la
Nubie. Au-delà des écrits des Anciens maintes et maintes
fois pillés et glosés, ils se risquaient sur les pistes
jusqu’aux royaumes des Noirs. Cependant, aucun de
leurs écrits, pourtant souvent fort documentés sur
quantité d’aspects de la vie politique et religieuse, de la
vie domestique même parfois, des peuples du continent
africain au-delà du Sahara n’a fait évoluer cette image
des Noirs, image forgée de toutes pièces et solidement
ancrée, rappelée à toutes occasions.
Né à Tanger en 1304, Ibn Battuta entreprit très jeune,
en 1325, le pèlerinage de La Mecque. Il demeura près de
quinze ans absent, ayant parcouru les routes de terre et
de mer jusqu’en Inde et en Chine. Il quitta de nouveau le
Maroc le 18 février 1353 pour un long voyage dans les
pays des Soudans vers Gao et Tombouctou et ne regagna
Fez qu’en janvier 1354, près d’un an après en être parti.
Ce ne fut pas du tout une incessante errance : il séjourna
huit mois de suite au Mali, un mois à Gao et, à chacun
des deux passages, une dizaine de jours à Sijilmasa. Tout
le contraire d’un homme de cabinet, il veut et sait
observer ; il charge ou agrémente son récit de scènes de
mœurs et d’anecdotes ; il rapporte des dialogues et
n’oublie pas de se montrer lui-même sur la route, sous la
conduite des chefs caravaniers. Force est pourtant de
rappeler que dans son énorme ouvrage, intitulé Présent à
ceux qui aiment à réfléchir sur les curiosités des villes et
les merveilles des voyages, dont l’ampleur dépasse de
très loin tout ce qu’on avait produit jusqu’alors, la part
de l’Afrique noire est réduite à bien peu de chose. Il n’y
consacre (dans l’édition de la Pléiade) en tout et pour
tout que vingt-sept pages, sur un total de six cent quatre-
vingts, alors que la description du voyage en Inde en
compte quatre-vingts et que celles de l’Asie mineure et
de l’Asie centrale, toutes deux évidemment bien connues
en son temps, objets de maints autres récits, tiennent
chacune environ quarante pages. Il aurait pu
certainement en dire beaucoup plus et satisfaire des
curiosités encore éveillées. Il ne le fait pas.
Cette modeste section réservée aux pays des Noirs
n’apporte pas du tout ce que pouvait attendre un lecteur
curieux des sociétés, des pratiques marchandes, des
objets de ce trafic, des mœurs et des usages. De retour
au Maroc, au moment de prendre la plume, Ibn Battuta a
fait un choix et ne s’égare pas. Il parle longuement et
sans faute des situations politiques, des hommes au
pouvoir, de leurs conseillers et de leurs cours, de leurs
façons de régner, de leurs richesses et de leurs armées.
Parfois, il ébauche de minutieuses généalogies princières,
entreprend même de résumer ou d’analyser, jusqu’au
plus mince des conflits, les vicissitudes du passé de
chaque royaume. Il s’interroge aussi sur les succès de
l’islamisation et ne manque pas, sur ce point, de
s’attarder pour dresser une sorte de bilan, accordant ou
non une manière de satisfecit. Mais, à le suivre, nous
rencontrons plus rarement et connaissons moins bien les
marchands et les guerriers ; nous le suivons parfois sur sa
route à travers le désert ; nous le voyons évoquer
quelques pratiques religieuses, les mosquées et les
prêches ; il décrit, sommairement, en formules plutôt
lapidaires, les villes du désert et des fleuves, les maisons
et les marchés, du moins ceux qu’il convient de montrer.
Ibn Battuta ne porte de jugements que sur le pays du
Mali et, tout compte fait, reconnaît à ce peuple plus de
qualités que de défauts. « Je citerai, parmi les actes
louables : la rareté des injustices commises dans ce pays
[les Noirs sont en effet le peuple le plus étranger à la
tyrannie] ; la parfaite sécurité qui règne dans le pays [le
voyageur n’a rien à craindre et n’a pas à se protéger
contre le vol ou la contrainte] ; la non-confiscation des
biens du Blanc qui meurt dans le pays, même si son
héritage est important ; la stricte observation des prières,
l’astreinte à prier en communauté et les punitions
infligées aux enfants pour le manquement à cette
obligation. » Il trouve peu à blâmer : la bouffonnerie des
poètes lorsqu’ils déclament leurs vers, la consommation
de bêtes non égorgées et, surtout, le fait de laisser les
femmes paraître nues en public : « Les femmes esclaves
et les jeunes filles se montrent nues sans même cacher
leur sexe ; j’ai vu, la nuit du ramadan, près de cent
esclaves qui sortaient du palais du sultan en portant des
vivres et qui étaient entièrement nues (les filles du
souverain sont, elles aussi, dévêtues)296. »
L’Afrique noire, pays de l’autre
En quatre ou cinq siècles, rien n’a changé. Les mœurs
politiques et la religion mises à part, les voyageurs des
années 1300 ne semblent pas tellement mieux
renseignés sur les Noirs, leurs caractères et leurs
aptitudes, que ne l’étaient les géographes en chambre
d’autrefois qui n’avaient pas quitté leur cité. L’accent
n’est mis que sur la religion, sur la façon dont les
hommes respectent la Loi et les coutumes. Ces relations
de voyages, très riches et, pour plusieurs d’entre elles,
fort originales, n’ont donc eu que peu ou pas d’influence.
Elles n’ont en aucune façon permis une autre
connaissance des peuples du Soudan en général et
encore moins des esclaves en tant qu’hommes arrachés à
leurs pays, à leurs modes de vie et à leurs civilisations.
Pour parler des caractères physiques, des qualités et
comportements, des traits de caractère, l’on s’en tient
toujours aux clichés éculés et aux théories, tout
particulièrement à celle des climats.
Al-Dimeshkri297, qui écrit dans les premières
années 1300, consacre un long, interminable, discours
aux hommes de tous les climats, tels que les définissait
Ptolémée, et s’appesantit à dire, sans nuance aucune, les
malheurs de ceux qui vivent très exactement dans la
sixième section du septième climat : « Ils sont tous noirs ;
leur couleur est due au soleil qui se trouve exactement
au-dessus de leur tête deux fois par an et encore très
près d’eux tout au long de l’année ; il les brûle comme un
feu, de telle sorte que leurs cheveux, déjà naturellement
disposés à l’être, deviennent noirs comme du jais et
frisés comme des cheveux exposés tout près d’un feu. La
preuve qu’ils sont roussis est qu’ils ne poussent pas
davantage. Leur teint est imberbe et lisse car le soleil
brûle les poussières de leur corps et les détruit. Leur
cerveau souffre d’être humide ; aussi leur intelligence
est-elle faible, leurs pensées instables et leur esprit
obtus, de telle sorte qu’ils ne peuvent faire la différence
entre fidélité et trahison ou entre bonne foi et duperie. »
Plus grave, peut-être : « Aucune loi divine ne leur a été
révélée. Aucun prophète ne s’est montré chez eux, aussi
sont-ils incapables de concevoir les notions de
commandement et d’interdiction, de désir et
d’abstinence. Leur mentalité est proche de celle des
animaux. La soumission des peuples du Soudan à leurs
chefs et à leurs rois est due uniquement aux lois et aux
règlements qui leur ont été imposés de la même façon
qu’à des animaux298. »
Ibn Khaldum, autre contemporain d’Ibn Battuta,
historien renommé et très souvent cité de nos jours
encore, auteur d’une très importante Histoire des
Berbères, croit et fait croire lui aussi, et même plus que
d’autres, solides références à l’appui, aux effets sans
appel de ces climats. « Quant aux climats éloignés des
régions tempérées, tels que le premier et le deuxième,
ou le sixième et le septième, leurs habitants sont
également éloignés de tout équilibre pour l’ensemble de
leurs manières de vivre. » Et d’invoquer jusqu’à la
gestation et la vie des embryons humains dans le sein de
leur mère. Les hommes des régions tempérées ont des
membres bien proportionnés, des humeurs très saines et
une peau d’un brun léger, ce qui est la couleur la plus
appropriée et la plus correcte. Ce sont des gens qui ne
restent pas trop longtemps dans la matrice ; ils n’y sont
pas brûlés jusqu’au point de sortir noirs et ténébreux,
malodorants, avec des cheveux laineux, des membres
disproportionnés, un esprit déficient et des passions
dépravées comme les Zendjs, les Ethiopiens et les autres
Noirs qui leur ressemblent. Fort heureusement, les
musulmans d’Arabie, d’Irak et de Perse ne sont ni de la
pâte à moitié cuite, ni de la pâte toute brûlée ; « ils sont
entre les deux299 ». Et, dans un autre ouvrage, de dire
encore que le pays des Zendjs est très chaud, que les
corps célestes y exercent leur influence et attirent les
humeurs dans la partie supérieure du corps. De là, pour
ces gens accablés par la nature, les yeux à fleur de tête,
les lèvres pendantes, le nez aplati et gros, et le
développement de la tête « par suite du mouvement
ascensionnel des humeurs ». Le cerveau perd son
équilibre et l’âme ne peut exercer sur lui son action
complète ; le vague des perceptions et l’absence de tout
acte de l’intelligence en sont les conséquences300.
Les Noirs du Soudan, eux aussi très éloignés des pays
tempérés, ont forcément une constitution et des
manières proches des animaux sauvages, loin de toute
humanité. Les fruits de leurs contrées prennent des
formes anormales et des saveurs étranges. Les négoces
ne se font pas avec les nobles métaux, l’or et l’argent,
mais avec du cuivre, du fer, ou des peaux de bêtes
auxquelles les hommes de ces régions assignent une
certaine valeur pour les échanges. Ils n’ont pas connu de
prophète et ne se soumettent à aucune loi révélée. Les
seuls peuples noirs qui vivent en sociétés organisées, les
seuls qui méritent estime et attention sont ceux qui,
voisins des pays tempérés, en ont reçu des leçons. Tels
les Habasha, pasteurs établis sur le littoral africain de la
mer Rouge, qui ont autrefois professé le christianisme et
qui, en constantes relations avec les musulmans du
Yémen, reçoivent maintenant la vraie foi. Ou encore les
peuples du Mali, du Kawkaw et de Tekrur, voisins du
Maghreb, eux aussi maintenant convertis à l’islam301.
Pour parler des Noirs d’Afrique et de leurs pays, les
récits des voyageurs des années 1300 ne se
démarquaient pas tellement des dissertations savantes,
travaux d’hommes de cabinet et de cour. Tout se passait
comme si l’on ne désirait pas vraiment faire connaître
ces pays d’où les trafiquants amenaient, an après an,
tant de captifs enchaînés. Ce parti pris de maintenir un
lourd secret sur des contrées que tant de docteurs de la
Loi et tant de marchands pourtant avaient visitées
s’inscrit en totale opposition avec la façon dont on se
tenait informé d’autres contrées, notamment en Asie,
Inde et Chine en tout cas. Alors que la pénétration de
l’islam et les échanges, traite des Noirs en premier lieu,
allaient de plus en plus loin au-delà du Sahara, assurant
la prospérité des villes étapes, oasis et carrefours de
routes, les trafiquants, leurs associés et leurs commis,
Berbères et Arabes restaient muets. Pour les gens du
commun tout ce qui se rapportait à ces Noirs semblait
encore et toujours étrange.
Pendant des siècles, bien avant les musulmans, les
Egyptiens avaient évidemment entretenu d’intenses
relations politiques et marchandes avec la Nubie et, au-
delà, avec l’Ethiopie. Ces liens n’ont évidemment pas
cessé avec la conquête arabe et l’islamisation, bien au
contraire. L’on sait qu’en 1275 les Nubiens signaient la
paix avec le sultan Baybars302 et s’engageaient à lui
verser un tribut annuel de trois éléphants, trois girafes,
cinq panthères femelles, cent chameaux et cent bœufs.
Pourtant, lorsqu’une girafe fut, un siècle plus tard ou
presque, en 1361, montrée au Caire, « la nouvelle se
répandit des plaines jusqu’au désert ; on se pressait, on
se mettait sur les hauteurs. La place était noire de
monde. On se montait sur les épaules les uns des autres,
on se bousculait pour contempler la girafe tant sa forme
paraissait étrange. Les poètes célébrèrent de leurs chants
l’événement303 ». A la même époque, l’un des plus
célèbres géographes musulmans pouvait encore
rapporter une étonnante légende sur la façon dont les
Noirs trouvaient de l’or : « Lorsque le Nil se retire, ils
vont sur les terres découvertes dans le lit du fleuve et
cueillent une plante qui ressemble à de l’herbe mais n’en
est pas. L’or est dans les tiges. On en trouve aussi sous
forme de grains mais le meilleur, le plus pur et celui du
plus grand aloi est de la première forme304. »
Sur les Noirs, peuples d’où venaient le plus commun
des esclaves, sur leurs usages et leurs détestables
habitudes de se comporter, couraient toujours de
terribles accusations, comme de faire croire que c’était
coutume ordinaire, à la cour d’un roi du Soudan, que
d’offrir un homme ou une femme au visiteur de qualité,
pour qu’il les mange. « Je présentai au prince de ce lieu
une certaine quantité de sel qu’il accepta, et il me donna
en échange deux belles esclaves. Quelques jours plus
tard, je fus de nouveau en sa présence, et il me dit : “Je
t’ai donné deux esclaves, tu dois les tuer et les manger.
Leur chair est ce qu’il y a de meilleur305.” »
On voit aussi que, de tous les auteurs appliqués à
décrire la société de leur ville, ceux qui consacraient un
de leurs chapitres à parler des esclaves, le faisaient sans
la moindre pudeur et sans non plus la moindre
compassion pour leur état, affichant plutôt mépris et
racisme virulent. Al-Abshibi (1388-1446), égyptien, érudit
distingué pourtant, prête aux Noirs toutes sortes de
défauts : « Lorsqu’un esclave noir est rassasié, il fait la
chasse aux femmes, s’il a faim, il vole. » Il dit encore plus
de mal des mulâtres : « Mieux vous les traitez, plus ils
sont insolents ; plus vous les traitez mal, mieux ils
obéissent et se soumettent. La pire façon de dépenser
votre argent est d’acheter des esclaves et les mulâtres
sont pires que les Zendjs, car le mulâtre ne sait pas qui
sont ses parents alors que, pour le Zendj, on les connaît
souvent. On dit que le mulâtre est comme un mulet car
c’est un bâtard. » D’innombrables écrits de toutes sortes,
destinés à des publics très divers, témoignent de ce
mépris, d’une dureté de cœur, de mauvais traitements
et, souvent, d’une impudeur proprement stupéfiante.
Bien plus tard, chez les Ottomans, un de leurs poètes,
renommé pour ses pièces de vers érotiques, méprisait lui
aussi les Noirs et déconseillait d’en avoir. Les femmes
sont bonnes à la cuisine mais pas au lit ; c’est folie de
vouloir faire l’amour avec des Noires quand on peut avoir
des Blanches. Quant aux jeunes Noirs, « il n’est pas bon
de les embrasser, à moins d’avoir les yeux bandés306 ».
L’esclave est moins que l’être humain, une marchandise
qui doit donner satisfaction et toutes satisfactions.

Ces récits, tous conformes et tous hostiles, tous


chargés d’opinions racistes délibérément illustrées par
quantité d’anecdotes et de slogans, ont, tout au long des
siècles, profondément marqué les opinions et les
attitudes populaires. Les meilleurs auteurs laissaient
entendre, ou affirmaient gravement, toutes manières
d’arguments et de témoignages à l’appui, que les Noirs –
tous les Noirs – étaient faits pour être esclaves. Les
Slaves et les Turcs acceptaient d’être asservis en
espérant atteindre un rang élevé et conquérir une part
du pouvoir. C’est ce qu’avaient fait les mamelouks. Mais
« les seuls peuples à accepter véritablement l’esclavage
sans espoir de retour sont les nègres, en raison d’un
degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche
du stade animal307 ».
La chasse aux captifs dans tous les pays d’Afrique d’au-
delà des déserts, ouverte dès les premiers temps de
l’Islam, ne fut jamais remise en question.
5

LES NOIRS, HEUREUX DE LEUR SORT ?

Que, dans les pays musulmans d’Orient en Occident,


l’esclavage se soit traduit par des conditions humaines,
des travaux, des genres de vie très variés, ne peut
étonner personne. Tout dépendait du contexte
économique et social, de la qualité du maître, de celle
aussi de l’homme ou de la femme tenus en servitude, de
leurs origines, de la réputation qui s’attachait à leur
ethnie et des services que l’on pouvait attendre d’eux.
Il est clair, en tout cas, qu’en ce qui concerne les Etats
et les sociétés de l’Islam, ce que l’on sait ou ce que l’on
croit savoir des situations matérielles et des degrés
d’insertion dans la société ne vient jamais des victimes.
Aucun Noir, esclave en Egypte, au Maroc ou en Orient,
n’a écrit le récit de sa vie ou, si certains ont eu l’occasion
de le faire, il n’en reste pas même un vague souvenir.
Aucun, surtout, n’a eu le loisir d’en parler aux siens, à
ceux de sa race, retourné chez lui, libéré de ses liens et
de cet opprobre social. De plus, et cela paraît une grave
lacune pour la connaissance matérielle et sociale de
l’esclavage, ces captifs, arrachés aux terres d’Afrique
noire pour être mis sur les marchés du Caire ou d’Arabie,
n’ont certainement pas, comme les Noirs de la traite
européenne atlantique, bénéficié à une certaine époque
d’un fort mouvement d’opinion pour éveiller et tenir en
alerte les bonnes consciences par toutes sortes de livres,
pamphlets, manifestations et conférences. Silence total.
Silence complice ? Pendant de longs siècles, jusqu’à ces
derniers temps pourrait-on dire, nul n’a parlé vraiment
de leurs vies et de leurs souffrances, nul n’a voué la
cruauté des maîtres à la vindicte publique. Dans les
dernières décennies du XIXe siècle, au moment même où
les nations occidentales se sont enfin unies pour traquer
les trafiquants et faire la chasse aux navires négriers sur
les côtes d’Afrique, leur action ne fut nulle part, en
aucune façon, soutenue par la publication de romans
destinés à un large public, de témoignages et de
souvenirs capables d’alerter l’opinion sur la condition des
Noirs esclaves dans les pays d’islam. Aucun grand récit
authentique, aucun roman de mœurs, travaux d’écrivains
bénéficiant de fortes caisses de résonance, comme ce fut
le cas pour les Etats-Unis d’Amérique avec La Case de
l’Oncle Tom. Visiblement, on manquait alors de
commanditaires et cette connivence, qui allait, chez
certains auteurs réputés pourtant historiens, jusqu’à une
complicité fort active, fut pour beaucoup dans cette
lourde chape de silence jetée sur les trafics et les méfaits
des négriers de l’Islam.
Les chroniqueurs et les historiens musulmans qui,
témoins certainement perspicaces, s’appliquaient à
décrire l’économie et la société de leur temps
demeuraient très discrets, et les romanciers et conteurs
ne parlaient généralement que des eunuques ou des
femmes du harem pour seulement marquer leur
présence, ornements d’une cour, acteurs d’une intrigue.
Etait-ce malaise, refus ou gêne à évoquer certaines
situations que les vrais croyants, invoquant le Coran, ne
manquaient pas de condamner ? Ou signe de mépris,
l’homme ou la femme réduits à l’état de servitude ne
méritant plus aucune sorte d’attention ?
Cette réserve, vraiment étonnante si l’on considère la
place que l’esclavage a toujours tenu, dans la vie
publique et privée de tous ces pays, sans exception et
jusqu’à une date pas tellement lointaine, fut largement
relayée par l’attitude des chrétiens, Français et Anglais
surtout, qui, dès les XVe et XVIe siècles, grands moments
pourtant de la piraterie, de la guerre ottomane et des
terribles razzias sur les côtes, se refusaient à évoquer les
malheurs des prisonniers sur les autres rives de la
Méditerranée. C’est ainsi que plus d’un homme de plume
à solde, assuré d’un fort courant de mode et de
sympathie, s’est appliqué contre toute vraisemblance,
sans tenir le moindre compte des témoignages des
captifs libérés, à tracer des bagnes d’Alger et de ceux du
Grand Turc des tableaux complaisants, très édulcorés à
dessein pour interdire même toute compassion. En
France, depuis la mirifique alliance turque des
années 1540-1580 et la vague de turcophilie qui
submergea la cour et les salons littéraires d’irrésistible
façon, romanciers et historiens n’ont cessé d’abonder en
ce sens. Aux temps de François Ier puis de ses successeurs
pendant encore une bonne centaine d’années, les
conseillers du roi faisaient forte profession non
seulement d’admirer mais d’aimer les Turcs. Quel auteur,
soucieux de son bien, aurait pu plaindre le sort des
prisonniers des Barbaresques ? Tous n’ont tenu qu’un
seul discours : l’esclave, accepté chez son maître comme
le serait un membre de la famille ou même employé sur
des chantiers publics, n’était jamais maltraité. Bien au
contraire !
Déjà Rabelais, qui n’avait jamais franchi la mer et
n’avait évidemment aucune idée de ce qu’étaient les
villes de corsaires, écrivait que les hommes enfermés
dans le bagne d’Alger étaient certainement plus heureux
qu’en son temps les élèves du collège de Montaigu.
Boutade et mauvais trait de style ? Provocation ou désir
de bien servir en s’alignant sur les discours tenus par les
conseillers du roi de France ? Sur un autre ton, soucieux,
lui, d’emporter la conviction de ses lecteurs, le chevalier
d’Arvieux, qui donna à Molière l’idée de la turquerie du
Bourgeois gentilhomme, voyageur intrépide, chargé de
mission dans les ports du Maghreb et consul de France à
Alep de 1679 à 1686, accusait tout bonnement les
religieux, les Frères de la Merci et de la Trinité surtout,
de noircir sciemment leurs récits et de débiter de pieux
mensonges pour exciter la compassion des fidèles et
aussi, cela allait sans dire mais était clairement dit, pour
recueillir davantage d’argent. Et, sans la moindre
réticence ni nuance, d’affirmer qu’à tout bien considérer
les esclaves avaient, eux, de grands torts, responsables
de toutes sortes de méfaits : à la moindre occasion, sitôt
que la surveillance des Turcs ou des Maures d’Alger se
relâchait, ils devenaient d’impudents voleurs ; « s’ils
trouvent les maisons ouvertes, ils entrent et emportent
tout ; ils rompent les murs des boutiques et les vident en
un moment308 ». Un peu plus tard, Laugier de Tracy vécut
lui aussi plusieurs années dans ce que l’on appelait alors
les Etats barbaresques, non mis à la chaîne dans le bagne
bien sûr, mais officier du roi de France, visiteur « en
caractère public », chargé de mission. Lui ne s’en prend
pas aux religieux mais aux esclaves rescapés, fugitifs ou
rachetés, et à leurs « écrits larmoyants ». Ces hommes,
dit-il, mentaient tout au long car la vérité est qu’ils
vivaient bien ; « ils avaient trois petits pains par jour, un
petit matelas et une couverture ». Domestiques, on les
considérait comme des enfants de la maison et
« quelques-uns vivent si adroitement du fruit de leur
industrie et de leurs amours, qu’ils achètent même le
droit de rester esclaves pendant un certain temps et
même toute leur vie, afin d’être protégés comme
cela309 ».
Ces écrits, très nombreux, se reprenant par centaines
les uns les autres, diffusés dans tous les milieux sociaux,
ont marqué l’opinion jusqu’à enfermer le discours dans
un véritable carcan. On imagine aisément que ce qui
valait pour les chrétiens captifs à Constantinople ou à
Alger, finit par valoir de même pour les Noirs, eux aussi
esclaves, mais eux aussi bien traités.
Les esclavagistes, en tout temps et en tous pays, n’ont
certes jamais manqué d’arguments. Les Génois et les
Vénitiens, dans les années 1400, ne manquaient pas de
dire que recueillir dans leurs cités de jeunes femmes
serbes ou albanaises et les tenir esclaves était assurer
leur salut en leur permettant d’échapper aux Turcs. A
d’autres, amenées de contrées lointaines non
christianisées, on donnait le baptême et ceci justifiait
cela. Pour les Noirs des pays musulmans, on trouva à
invoquer la misère des familles et des tribus qui
n’hésitaient pas à vendre leurs enfants pour les voir, sous
la coupe et la protection d’un maître, mieux nourris. En
certaines contrées du Soudan, « les peuples mènent, de
par la stérilité du sol, une vie tellement misérable que les
pères et les mères vendent volontiers leurs propres
enfants à des marchands qui les emmènent en Egypte.
Là, ces enfants sont jugés de si peu de valeur qu’on
n’estime pas plus d’une pièce d’or ou d’argent le prix
d’un garçon ou d’une fille. Les parents les vendent pour
que, partant vers un autre pays, ils y soient plus à l’aise
et plus heureux, étant donné que dans le leur, tout à fait
stérile, ils vivent misérablement310 ».
En Occident, les historiens, sociologues et ethnologues
ne se sont jamais affranchis de cette complaisance
envers les sultans, leurs vizirs et les trafiquants
esclavagistes. Le Hongrois Snouck Hurgronje se fit-il
vraiment remarquer, a-t-il vraiment soulevé en son
temps de graves contradictions en soutenant que « pour
la plupart de ceux qui devenaient esclaves, c’était là un
heureux coup du sort, une vraie bénédiction311 » ?
D’autres, se hasardant à de hardies et vaines
comparaisons à travers les pays et les temps, affirmaient
volontiers que la condition des captifs, et des Noirs en
particulier, était en tous points semblable à celle des
serfs en Europe au Moyen Age ou des domestiques et
des ouvriers au XIXe siècle312. Ignorance et mauvaise foi :
comparer l’esclave, en quelque temps ou quelque pays
que ce soit, et notamment le Noir conduit en Egypte ou à
Bagdad, au paysan de nos campagnes, au serf même et à
tous ceux que l’on montre victimes du « régime féodal »,
opprimés, misérables et affamés, ou à l’ouvrier des
usines de la révolution industrielle durement exploité
certes, est, dans tous les cas, artifice et vilaine
supercherie car l’on oublie l’essentiel, le plus
insupportable, qui est le déracinement toujours cruel et
dramatique, en toutes occasions et quelles que soient les
circonstances. Victimes de durs sévices et de tourments,
ces hommes et ces femmes d’Afrique avaient vu leurs
villages dévastés, incendiés, nombre de voisins et d’amis
massacrés, leurs parents tués ou disparus. Arrachés à
leur milieu par des guerriers prêts à massacrer ceux qui
leur résistaient, emmenés très loin, vers des marchés en
pays hostile, repaire de leurs ennemis, plus rien ne les
rattachait à leur passé. Ils devaient, dans une autre vie,
dans cette autre vie vraiment que d’autres leur
imposaient, tout oublier, apprendre une autre langue,
d’autres comportements, dans une totale soumission et,
plus encore, dans un total oubli de leur vraie nature.
Pour tant de jeunes hommes et de jeunes femmes
adoptés, que certains s’appliquaient à montrer heureux
de leur sort au seuil d’une nouvelle vie, combien ne
songeaient qu’à fuir ? Nos livres nous ont bien décrit la
misérable vie des Noirs des Antilles, leurs révoltes
réprimées dans le sang : ils nous ont montré, de façon
plus ou moins romancée, les efforts désespérés de ceux
qui prenaient la fuite, devenaient « marrons », se
réfugiaient dans les montagnes et les forêts en
communautés et troupes d’hommes libres et armés. Les
évasions, ou plutôt les tentatives d’évasion du bagne
d’Alger ont, depuis Cervantès, inspiré nombre de récits,
de contes, de romans et de légendes miraculeuses. Mais
les Noirs du Caire, de Bagdad ou d’Arabie eux non plus ne
se résignaient pas et, si loin de leurs pays, risquaient leur
vie en des fuites désespérées, sans aide, sans nul espoir
vraiment. Les voyageurs de passage au Caire le savaient
et certains l’ont bien écrit : « Autant est grande l’avidité
des maîtres à posséder des esclaves, autant est grand le
désir des esclaves de s’échapper de leurs mains. Aussi,
lorsque leurs maîtres flairent et soupçonnent quelque
chose, ils leur refusent aussitôt trop d’alimentation de
façon à les empêcher d’avoir un viatique pour la fuite ».
Beaucoup prennent la fuite mais sans jamais réussir à
s’évader complètement… S’ils prennent la fuite une
seconde fois et qu’on les ramène, il n’y a plus pour eux
de grâce ; ils sont battus sans pitié, torturés, mutilés.
Certains maîtres les laissent mourir en les privant de
nourriture, de boisson et de vêtements ; d’autres leur
mettent un bloc de fer aux pieds ; d’autres leur passent
une chaîne au corps et d’autres les rendent inutiles ou
difformes en leur coupant les oreilles et le nez, les
rendant ainsi facilement reconnaissables… Un grand
nombre, en fuite, se réfugient dans des lieux inhabités,
dans les montagnes et les déserts où ils meurent de faim
ou de soif, ou, accablés, condamnés par cette fuite
manquée, s’arrachent la vie en se frappant eux-mêmes,
en se pendant, en se jetant de haut ou en se noyant313 ».

La cour, le harem

Dès l’apogée du califat abbasside, l’auteur, arabe, des


Mille et Une Nuits évoque en de nombreux passages de
ses contes la présence des esclaves africains. Il les dit
innombrables, domestiques, eunuques, particulièrement
au temps du calife Harun al-Rachid (786-809) qui, héros
de plusieurs des récits, demeuré célèbre pendant des
siècles pour les fastes de sa cour, s’entourait d’une suite
de poètes, de chanteurs et de musiciens. Par la suite,
tout au long des temps, historiens et conteurs ont
toujours montré plus volontiers les esclaves de cour que
les autres ; les hommes sont au service du maître,
eunuques pour un bon nombre, les femmes dans le
harem, naturellement toutes comblées de faveurs,
favorites, mères d’un futur sultan. C’est l’image
qu’impose ou suscite toute une littérature. Image non
certes fabriquée de toutes pièces, non du tout inexacte
mais évidemment très incomplète, du seul fait que
l’auteur voit généralement de bien plus près ce qui est
dans l’entourage des grands et des souverains que la vie
des quartiers de la cité ou que celle des grands domaines
fort éloignés des capitales. Du fait aussi que tout écrivain
sait à quel public il s’adresse et veut naturellement
répondre à ses attentes en lui servant quelques histoires
merveilleuses, intrigues amoureuses le plus souvent. Le
sort des serviteurs du commun ne pouvait susciter
autant d’intérêt.
LE LUXE, L’APPARAT
En Orient comme en Afrique, les hommes de haut
rang, les rois, les princes et les sultans, les généraux et
les chefs de guerre même s’entouraient d’un grand
nombre de captifs, principaux ornements de leurs suites.
Le déploiement de leurs bannières et de leurs armes
pouvait décourager attaques ou trahisons mais la seule
présence de ces troupes de grands domestiques, leur
magnifique, imposante stature et leurs costumes
affirmaient clairement, aux yeux du peuple comme des
visiteurs, leur puissance et leur richesse : « Nous
quittâmes Bagdad en direction de Mossoul ; l’après-midi,
nous fûmes rejoints par la princesse, fille de Mas’ud314,
pleine de jeunesse et de majesté royale. Le palanquin
avait deux ouvertures devant et derrière et la princesse
apparaissait en son milieu, enveloppée dans un voile, un
diadème d’or sur la tête. Elle était précédée d’une troupe
d’eunuques, sa propriété personnelle, et de ses gardes ;
derrière elle venait le cortège de ses suivantes sur des
chamelles et des chevaux aux selles dorées ; elles étaient
ceintes de bandeaux dorés, et la brise faisait danser les
pans de leurs coiffures. Elles marchaient derrière leur
maîtresse tels des nuages qui s’avancent315. »
Ibn Battuta, observateur sans doute perspicace mais
souvent très discret, muet sur les razzias et sur des trafics
qu’il juge sans doute peu dignes d’intérêt, note tout de
même, avec une certaine complaisance, admiratif, pas du
tout prompt à crier au scandale, le luxe de ces cours et
dit bien que le prestige du roi tenait pour beaucoup au
grand nombre d’esclaves, bel ornement de sa suite.
Nombre de ces serviteurs, tous esclaves, n’avaient
d’autre service, d’autre utilité, que de faire nombre et
d’impressionner. Dans toutes les terres d’islam où l’ont
conduit ses pas, chez les musulmans d’Orient et
d’Egypte, comme dans les contrées plus lointaines,
conquises ou converties plus tard, jusqu’en Afrique noire
et en Inde, les esclaves, hommes ou femmes, étaient là,
par centaines toujours, par milliers parfois.
En 1334, Bayalûn Khâtun, épouse du sultan de Yanik
(Iznik) en Asie Mineure, alla rendre visite à son père. Un
émir l’accompagnait, à la tête d’une force armée de cinq
mille hommes. « Elle avait elle-même, comme troupes,
près de cinq cents cavaliers, soit deux cents serviteurs
esclaves et trois cents Turcs. Elle était accompagnée de
deux cents esclaves, la plupart grecques. Elle avait près
de quatre cents chariots, environ deux mille chevaux de
trait et de selle, près de trois cents bœufs et deux cents
chameaux pour tirer les voitures. Elle était accompagnée
de dix eunuques grecs et d’autant d’eunuques indiens…
La princesse avait laissé la majeure partie de ses jeunes
filles esclaves et de ses bagages au camp du sultan316. »
Autre rencontre, d’une autre princesse, un peu plus tard,
sur la côte sud de l’Anatolie, près de la petite ville de
Faniké : « Elle monta à cheval, en tête de ses esclaves, de
ses jeunes servantes, de ses eunuques et de ses
serviteurs, au nombre d’environ cinq cents. Ils étaient
tous vêtus de soie brochée d’or et ornée de
pierreries317. »
Très loin de là, dans un tout autre contexte politique et
social, le roi musulman du Mali recevait messagers et
ambassadeurs ou rendait ses jugements en grand
apparat, « environ trente esclaves se tenant derrière lui,
Turcs et autres, achetés par lui en Egypte318 ». Lors de ses
déplacements, il se faisait partout précéder de chanteurs
de ganâbi (une sorte de mandoline) en or et se faisait
suivre de trois cents esclaves. Son interprète, nommé
Dûghâ, ne se présentait jamais sans ses quatre femmes
et ses concubines, vêtues de robes de drap rouge,
coiffées de calottes blanches, accompagnées de trente
jeunes esclaves319.
Objets de luxe, certains et certaines surtout coûtant
fort cher, les esclaves figuraient toujours parmi les plus
belles pièces des cadeaux offerts aux souverains, aux
alliés et parfois aux sujets dignes de considération. On les
appréciait certes pour leur valeur marchande mais aussi,
très souvent, les sachant originaires de contrées quasi
inexplorées, comme des curiosités exotiques au même
titre que les girafes et autres animaux de la lointaine
Afrique. Un auteur arabe s’est appliqué à recenser et
décrire dans le moindre détail, en un volume
parfaitement documenté, les présents que recevaient les
califes, les sultans et les princes musulmans d’Orient :
dans tous les cas, les captifs, originaires de tous les pays,
Blancs ou Noirs, se comptent par centaines. En Egypte,
Khumarawaih fit remettre à son père, Ahmad ben Tulum,
au retour d’un raid guerrier vers le sud, cinquante
chevaux et autant de « jeunes nègres320 ». De même, en
Occident, tout particulièrement au Maroc : l’an 1072,
l’Almoravide Yussouf ben Tashfin rencontra son cousin
Abu Bakr321 près de Marrakech et, quelques jours plus
tard, pour preuve de loyauté, lui fit don de vingt-cinq
mille dinars d’or, de soixante-dix chevaux, de soixante-
dix épées et de vingt paires d’éperons tous décorés
d’incrustations d’or ; plus cent cinquante mules
richement harnachées, cent turbans, toutes sortes
d’étoffes en grandes quantités, du bois d’aloès, du musc,
de l’ambre gris ; plus, enfin, vingt jeunes vierges esclaves
et cent cinquante et un Noirs capturés depuis peu, très
loin de là, dans les pays du Niger322. Au Maroc encore,
quelque quatre cents ans plus tard, le sultan de Fez fit
présent à l’un de ses alliés, chef d’une tribu, de
« cinquante esclaves mâles et cinquante esclaves
femelles ramenés du pays des nègres, dix eunuques,
douze dromadaires, une girafe, seize civettes, une livre
d’ambre gris et presque six cents peaux d’un animal
qu’ils appellent elam [une sorte de gazelle] et dont ils
font leurs boucliers, peau étrange très prisée à Fez. Vingt
des esclaves mâles valaient vingt ducats chacun, ainsi
que quinze des esclaves femelles. Chaque eunuque fut
évalué à quarante ducats, chaque dromadaire à
cinquante323 »… A la même époque, et c’est toujours
Léon l’Africain qui l’atteste, les askias du Songhaï ne
recevaient jamais un hôte de marque, un de leurs alliés
ou de leurs grands officiers sans lui offrir de nombreux
hommes et femmes. Sonni Ali ne fut pas toujours un
adversaire acharné de tous les habitants de Tombouctou
et chercha même à s’en concilier quelques-uns. Au
lendemain d’un raid dévastateur contre une tribu
rebelle, il fit don aux notables de ses amis et de son parti
d’un grand nombre de captives noires, plus quelques-
unes tout particulièrement réservées aux lettrés, aux
docteurs de l’islam et aux saints hommes, leur enjoignant
de les prendre pour concubines324. En 1519, Muhammad
Ier offrit cinq cents captifs au chérif Ahmed Es-Ségli
lorsqu’il lui rendit visite à Tombouctou et deux mille
autres lorsqu’il s’installa à Gao325.
SERVANTES ET CONCUBINES
Sur les marchés, il arrivait que les femmes soient plus
appréciées et se vendent plus cher que les hommes. Ce
n’était pas, à chaque fois, pour les cloîtrer dans un
harem, lieu secret, fermé à tout étranger, mais plus
souvent pour le service domestique.
Evoquer ou même simplement imaginer la condition
de ces esclaves domestiques, leurs travaux, la façon dont
elles étaient reçues, acceptées, considérées dans les
familles, à Bagdad ou au Caire, par exemple, n’est pas
facile. Et là, comme pour tant d’autres aspects de la vie
sociale, l’historien vérifie à quel point l’enquête peut être
aléatoire, dépend de la nature des sources, de leur
nombre et de leur diversité. Si l’étude de cette main-
d’œuvre servile dans les villes d’Italie, de Provence ou de
Catalogne au Moyen Age fut longtemps négligée, parfois
même complètement ignorée dans nos livres, la
documentation ne faisait pas défaut, bien au contraire.
Des centaines de textes législatifs ou judiciaires,
jugements et arbitrages, et, plus nombreux encore, plus
riches d’enseignements surtout, des milliers d’actes de
notaires permettent de tout connaître sur les esclaves,
sur leurs vies et les rapports humains avec les maîtres ou
les voisins : contrats de ventes, de locations ou
d’échanges, contrats d’assurance sur la vie des
domestiques et, pour les femmes, assurance pour se
garantir des dangers de l’accouchement ; sans compter
les testaments qui, généralement, stipulaient que les
esclaves devaient être affranchis dès la mort du maître.
Force est de constater que, pour les pays d’islam, cette
documentation demeure quasi inexistante. Pour la ville
du Caire, l’étude de Samuel Goiten apporte quelques
renseignements sur plusieurs aspects de cette
domesticité servile, mais dans un milieu circonscrit, celui
de la Geniza, communauté israélite dans les
années 1080. Ici, les esclaves mâles, à vrai dire peu
nombreux, n’étaient pas tous réduits à de petits travaux.
Certains occupaient, au contraire, des postes d’autorité,
hommes de confiance, commis et presque associés,
chargés des comptoirs et des missions, maîtres de
conclure des marchés pour le compte des grands
négociants. Ces hommes, les gulams, achetés très cher
ou formés sur le tas au cours des années, faisaient bien
leur chemin, se savaient utiles, se montraient même
suffisants, arrogants. Les femmes, domestiques,
nourrices pour les Blanches, chargées du ménage pour
les Noires, n’étaient ni misérables ni humiliées. On leur
donnait des noms qui, souvent, témoignaient même
d’une certaine considération, voire de l’affection des
maîtres : Sagesse, Adroite, Prudente. Leurs enfants ne les
quittaient pas. Les ventes d’esclaves étaient toutes
conclues entre personnes privées, sans intervention de
mercantis ni, bien sûr, d’expositions sur le marché. Une
femme juive du Caire, écrivant à son époux parti en
voyage pour ses affaires, lui rappelait qu’il devait
ramener un cadeau pour leur domestique et l’on note
aussi qu’un formulaire, recueil d’exemples à l’usage des
hommes de la communauté juive, donnait alors le
modèle d’une longue lettre de condoléances pour des
amis, à l’occasion de la mort de leur esclave326.
Ce qui vaut pour les familles juives du Caire vaut-il
pour les musulmans, dans cette même ville ou ailleurs ?
Ce n’est pas certain et l’on ne dispose, pour y répondre,
que de témoignages infiniment plus pauvres, à vrai dire
quasi inexistants. Ni actes notariés, ni lettres privées, ni
sentences des juges. Sur le service de la maison, sur les
travaux du ménage, la cuisine, la garde des enfants, rien
ou presque rien. Et moins encore sur les façons dont les
maîtres, hommes ou femmes, traitaient leurs servantes
esclaves. Rares sont les voyageurs musulmans qui
prennent soin de noter les qualités domestiques des
Noirs promis à la servitude. Al-Bekri visitant Aoudaghost
en 1068 dit certes que l’on y trouve d’excellentes
cuisinières parmi les Noires ; il les croit également
expertes dans la préparation d’exquises pâtisseries,
gâteaux aux noix et au miel et autres sucreries327. Mais
Ibn Battuta, qui a tant observé les rois et les peuples, si
longuement décrit les cours, les mosquées et les
dévotions, ne voit des serviteurs esclaves que sur les
marchés de trois cités, nulle part ailleurs, et encore n’est-
ce vraiment qu’en passant et sans du tout s’y attarder : à
Damas « je vis un jeune esclave qui avait laissé tomber
un plat de porcelaine appelé sahn qui s’était brisé » ; à
Tabriz, au marché des joailliers, « de beaux esclaves
vêtus d’habits somptueux, la taille prise par des écharpes
de soie, les joyaux en main, se tenaient devant les
boutiques et présentaient les bijoux aux femmes turques
qui en achetaient beaucoup et c’est à qui en acquerrait le
plus » ; à Zafar, dans le sultanat d’Oman328 : « La plus
grande partie des vendeurs sont de jeunes femmes
esclaves, habillées en noir. » Visiblement, familier et hôte
des palais, il n’est pas entré assez dans l’intimité des
notables et des marchands pour voir les domestiques au
travail. Il ne peut, et ce n’est qu’en une seule occasion
chez un riche citadin d’Aden, que compter les serviteurs
et s’extasier : « Il recevait à sa table chaque nuit vingt
commerçants et le nombre de ses esclaves et de ses
serviteurs dépassait celui-là329. »
Une telle indigence de documents et une telle
abondance de clichés littéraires faussent évidemment
l’idée que l’on s’est faite de la femme captive en pays
d’islam. Nous ne l’avons vue que recluse dans le harem,
ou, chez les maîtres moins fortunés, simplement
concubine. Cela semblait aller de soi. Les auteurs de ce
temps, musulmans d’Orient et d’Occident, si discrets sur
les trafics, les marchés d’esclaves et les travaux des
servantes attelées aux tâches domestiques sous la férule
de plusieurs maîtresses de la maison, se montrent tous
bien plus diserts pour parler des favorites. Tous, ou
presque, insistent longuement sur les avantages et les
plaisirs que l’homme trouvait à acheter une esclave :
alors que le Coran ne permettait de prendre des épouses
qu’en nombre limité, celui des concubines ne l’était pas.
De passage dans les îles de l’océan Indien, dans les
Maldives notamment dont tous les habitants sont
musulmans, Ibn Battuta ne s’étonne pas du tout, se
félicite plutôt, de la commodité offerte aux marins et aux
marchands d’acquérir une ou plusieurs femmes, par une
sorte de mariage à terme : « Il y est facile de se marier à
cause de la modicité de la dot et de l’agréable commerce
des femmes. La plupart des hommes ne fixent pas le
montant de la dot ; on se contente de prononcer la
profession de foi et de donner une dot considérée
comme suffisante, établie par l’usage. Quand les navires
abordent aux îles, les membres de l’équipage et les
marchands se marient, et quand ils veulent repartir, ils
répudient leurs épouses. » En effet, les Maldiviennes ne
quittent jamais leur pays. Et Ibn Battuta de céder aux
usages du pays : « Pour ma part, j’ai épousé plusieurs
femmes aux Maldives ; certaines ont pris leurs repas avec
moi, sur ma demande, et d’autres non » et, quelques
feuillets plus loin : « Enfin, je partis !… . Cependant, je
répudiai mon épouse et la laissai là. Je répudiai aussi la
femme à qui j’avais fixé un terme et j’envoyai chercher
une esclave que j’aimais », puis, satisfait, de conclure, en
toute simplicité : « Je n’ai jamais connu de commerce
plus agréable qu’avec ces femmes330 ! » Certaines, dit-il
encore, lui étaient données en cadeaux, en signe de
bienvenue, à telle ou telle escale, par le sultan ou par le
vizir soucieux de remplir leurs devoirs d’hôte : « Le
lendemain, il m’envoya une esclave dont
l’accompagnateur me dit : “Le vizir te fait dire que si
cette jeune femme te plaît, elle est tienne, sinon il
t’enverra une Mahrate” ; or ces femmes me plaisaient
beaucoup et je l’informai que mon seul désir était d’en
posséder une ; elle s’appelait Gulistan, c’est-à-dire “Fleur
de jardin”, et connaissait le persan. Elle me plut donc car
les Maldiviens parlent une langue que je ne comprenais
pas. Le lendemain, le vizir m’envoya une autre jeune
esclave de Coromandel, appelée ’Anhari331. » Un peu plus
loin, le voici dans la petite île Muluk, où il devait
embarquer pour la côte de Coromandel : « J’y séjournai
soixante-dix jours et eus là deux femmes332. »
De toute façon, sur aucun marché et dans nulle
circonstance, dans les villes les plus riches et les plus
peuplées du monde islamique, au cœur des grands Etats,
et fort éloignées des terrains de chasse aux esclaves, le
prix de ces femmes captives n’atteignait le montant
d’une bonne dot. Il paraît aussi évident qu’elles se
trouvaient davantage livrées à la volonté du maître.
Etrangères, elles ne pouvaient compter sur la protection
de parents ; il leur était impossible, voire dangereux, de
dénoncer des mauvais traitements et d’alerter l’opinion
des voisins ; elles se montraient, les premiers temps du
moins, plus soumises, appliquées à plaire sans trop
rechigner.
Avant d’acheter, l’homme pouvait les voir, leur parler
à loisir et, dans une certaine mesure, s’assurer de leurs
qualités, en somme les choisir lui-même, manifester ses
goûts personnels, sans intervention de la famille ni de
marieuses patentées. « Les esclaves ont en général plus
de succès que les femmes libres. L’homme a la possibilité
de tester une esclave à tous points de vue pour bien la
connaître quoique cela n’aille pas jusqu’au plaisir de
l’essai d’une relation intime. Il ne l’achète donc que s’il
pense pouvoir en être satisfait. Dans le cas d’une femme
libre, il doit se contenter de consulter d’autres femmes
sur ce qu’elles pensent de ses charmes333. » Elles
n’étaient certainement pas mises en troupes ordinaires
sur le marché. Au Caire notamment, en dépit des lois
réglementant les tractations et les ventes publiques en
vigueur à certaines époques, le client pouvait les visiter
en particulier dans des salons privés. « Plusieurs d’entre
elles avaient le visage recouvert d’un voile, que maints
Turcs soulevaient en passant pour voir leur visage. Et
quand quelqu’un exprimait le désir d’acheter telle
esclave, elle était menée dans une chambrette sous la
piazza, où l’acheteur a[vait] le loisir de l’examiner plus en
détail334. »
LA FEMME CLOÎTRÉE
Partout où l’islam s’était implanté, le harem était, chez
les princes et chez les riches, bien entré dans les mœurs.
L’histoire ou, si l’on préfère, la tradition, la légende
plutôt, veut que le harem d’Abd ar-Rahmân III (912-961),
à Cordoue, ait compté plus de six mille femmes et celui
du palais fatimide du Caire près du double. Fort loin de là
et en un autre temps, les souverains musulmans
d’Afrique noire rivalisaient eux aussi à qui aurait le plus
grand nombre d’esclaves et de domestiques femmes
attachées à sa personne. Chez les Haoussas, Mohammed
Rimfa, roi du Bornou (1465-1499), fit, dit-on, en une
seule fois l’acquisition d’un harem de mille concubines et
nomma de nombreux eunuques à des postes importants
de sa cour et de son armée335. Ibn Khaldoun rapporte
qu’à la cour de Mansa Mousa, roi du Mali, « pour porter
ses effets, javelots et lances, il y avait parmi sa suite
douze mille servantes vêtues de tuniques de brocart et
de soie du Yémen ». Makrizi, lui, dit quatorze mille336 !
Les musulmans, historiens et conteurs, insistent tous
sur le succès des favorites. Ils s’appliquent longuement à
décrire leurs charmes et rappellent sans cesse le soin pris
à les choisir parmi les peuples d’Afrique où l’on pouvait
trouver les plus belles femmes. « Chez les Nubiens, elles
sont d’une très grande beauté. Elles sont toutes excisées.
Elles sont d’une origine noble qui n’a rien à voir avec
l’origine des Sûdans ; sur tout le territoire des Nuba, les
femmes se distinguent par la beauté et la perfection des
traits : lèvres fines, bouche petite, dents blanches,
cheveux lisses. Nulle part, parmi les Sûdans, qu’ils soient
des Makzara, de Ghana, de Kanem, des Bedja337, des
Habasha ou des Zendjs, on ne trouve, chez leurs femmes,
une chevelure qui soit lisse et flottante comme celle des
femmes des Nuba. Il n’y en a pas non plus, pour le
mariage, de plus belles. Une esclave de chez eux coûte à
peu près trois cents dinars. Aussi sont-elles, pour toutes
ces qualités, recherchées par les rois d’Egypte qui
renchérissent sur les prix de vente. Ils les emploient aussi
comme nourrices de leurs enfants à cause de la douceur
de leur compagnie et de leur grâce extraordinaire338. »
Ces femmes ne passaient pas de main en main et leurs
maîtres ne les vendaient que pressés par de grands
besoins d’argent. Certains les rappelaient, les
rachetaient, ne pouvant vraiment se passer d’elles. Ibn
Battuta voulut, en route à travers le Sahara, acheter, non
une simple servante, concubine tout ordinaire, mais une
esclave « instruite ». Il n’en trouvait pas. Le cadi lui en
envoya une qui valait vingt-cinq mithkâls mais son ancien
maître regretta de l’avoir cédée et demanda de résilier le
contrat, proposant de lui en indiquer une « du même
genre, bien supérieure à la précédente » ; mais celle-là
appartenait à un Marocain qui, après avoir consenti,
désira lui aussi dénoncer le marché et insista beaucoup
pour la reprendre, quelle qu’en soit la condition. Ibn
Battuta, en fin de compte, se retrouva seul : « Je refusai
tout net mais il faillit devenir fou et mourir de chagrin.
Alors je résiliai l’accord tout entier339. » Idrisi, occupé à
rassembler tant de témoignages sur les routes du
Soudan, sur les jours de marche et sur les points d’eau,
prête malgré tout l’oreille à quelques récits merveilleux
qui évoquent la vie de belles femmes protégées et
aimées par des hommes qui les avaient acquises à prix
d’or et ne voulaient pour rien au monde s’en séparer.
Figures de légende, en dépit du temps passé et de la
distance : « Certains auteurs affirment que, selon la
tradition portée de bouche en bouche, il y avait en
Andalousie une de ces servantes, dont nous venons de
parler, chez le vizir connu sous le nom d’al-Mushafi. Il
n’avait jamais vu une femme plus parfaite, des joues plus
fraîches, des dents plus belles, des paupières plus
régulières, bref une beauté plus accomplie. Ce vizir en
était si épris qu’il ne se résignait pas à la quitter. On dit
qu’il l’avait achetée pour deux cent cinquante dinars
almoravides. En plus de sa beauté extraordinaire, elle
avait un parler qui charmait les auditeurs par la
délicatesse de son accent et la douceur de sa
prononciation. Elle avait été élevée en Egypte et ainsi
était devenue parfaite sous tous les rapports340. »
Effectivement, des écoles pour esclaves de luxe, au Caire,
à Bagdad, Médine et Cordoue, formaient des
musiciennes et des chanteuses qui s’exerçaient et même
brillaient dans les arts et sciences, poésie, littérature,
grammaire.
Ces belles esclaves, objets de grandes enchères, vite
renommées pour leurs talents, n’étaient cédées par les
marchands qui en avaient assuré l’éducation qu’à des
prix astronomiques341. « S’il arrive qu’une fille nantie de
toutes les qualités de sa race soit importée à l’âge de
neuf ans, passe trois ans à Médine et trois ans à La
Mecque, arrive en Irak à l’âge de quinze ans, y soit
éduquée et qu’on l’achète ensuite à l’âge de vingt-cinq
ans, elle aura alors ajouté aux excellentes qualités de sa
race l’espièglerie des femmes de Médine, la langueur des
filles de La Mecque et la culture des femmes d’Irak. Elle
mérite alors d’être placée dans la prunelle des yeux et
cachée derrière la paupière342. »
Cependant, contrairement à ce que disent les contes
d’Arabie et les romans que nous aimons croire
« orientaux », les femmes des harems ne servaient pas
seulement au plaisir de l’homme, loin de là. La plupart
d’entre elles surveillaient jour après jour les travaux
domestiques et même les affaires, transactions,
investissements de toutes sortes, pour le compte des
maîtres ; elles régnaient sur de petites troupes de
ménagères, de couturières et de cuisinières. Certaines
gouvernaient de main ferme des ateliers de poterie.
D’autres, non vraiment favorites de la couche princière
mais distinguées pour leurs talents politiques et leur sens
de l’autorité, assumaient de hautes responsabilités,
recrutaient les espions, préparaient même les
expéditions armées et se trouvaient au premier rang lors
des tractations de paix. « L’usage veut que le sultan place
à côté de chaque émir un de ses mamelouks qui fait
office d’espion. L’usage veut aussi qu’il place, de la même
façon, des esclaves femmes qui font le même office
auprès des émirs et aussi des “balayeuses” qui
s’introduisent dans les demeures sans autorisation et
sont informées de ce qui s’y passe par les esclaves
femmes ; ainsi ces “balayeuses” peuvent renseigner les
officiers de renseignements qui, à leur tour, renseignent
le souverain343. »
Pourtant, les récits des auteurs musulmans ne parlent
pas souvent de ces femmes-là, de leurs qualités, de la
façon de les distinguer dans leur pays ou sur un marché.
Mais seulement de celles qui attirent les regards et les
désirs des hommes par leur allure, le teint de leur peau
et de leurs cheveux et, plus encore, par la forme du
buste, en somme par le plaisir que les hommes
pourraient en avoir.
Les voyageurs témoignent, avec une étonnante
application, de ce souci de préciser les qualités physiques
et les aptitudes, sexuelles surtout, des femmes de tel ou
tel peuple, mêlant souvent l’observation directe, prise
sur le vif, à des réflexions plus ou moins scabreuses, à
des racontars et des on-dit. Certains marquaient certes
quelque discrétion, comme une sorte de respect pour ces
femmes, et leurs propos ne se départaient pas d’une
manière de dignité : « Dieu les a douées de remarquables
qualités physiques et morales au-delà de tout souhait :
douceur du buste, éclat du noir, beauté des yeux,
blancheur des dents, agrément de l’odeur344. » Mais
d’autres, certainement bien plus nombreux, parlaient en
vrais maquignons, de façon vraiment triviale comme ils
l’auraient fait sur un marché au bétail : « Ici, les habitants
sont un mélange de tous les pays car ils se sont établis du
fait des nombreux avantages et de la splendeur de ses
marchés et du commerce. L’allure des femmes n’a rien
d’équivalent nulle part ailleurs. Les femmes esclaves sont
magnifiques et de couleur presque blanche, avec un
corps bien balancé, de merveilleux postérieurs, de larges
épaules et leur sexe est si étroit qu’il donne autant de
plaisir que si elles étaient vierges toute leur vie. Aucune
d’entre elles ne voit ses seins s’affaisser de toute sa
vie345. » Et encore : « On rencontre les Buja entre le sud
et l’ouest, dans la région qui se situe entre l’Ethiopie et la
Nubie. Elles ont la peau dorée, de beaux visages, des
corps doux et une chair tendre. Si elles sont importées
jeunes, on leur épargne la mutilation et on peut encore
les utiliser pour le plaisir. Ces femmes sont en effet
excisées ; toute la partie supérieure du pubis est
découpée jusqu’à l’os au moyen d’un rasoir. Elles sont
pour cela devenues fameuses346 », ou encore : « Les
hommes sont imposants, grands et beaux, les femmes
sont très belles, réputées pour l’amour et les plaisirs
qu’elles procurent347. »
Al-Bekri n’a pas vu dans les oasis du grand désert, à
Aoudaghost et à Sijilmasa que de bonnes cuisinières mais
aussi des jeunes filles « aux croupes charnues, aux
parties étroites, qui sont, pour ceux qui les possèdent,
aussi attrayantes que des vierges ». Il s’est
soigneusement informé de leurs formes et de leurs
qualités, curieux de tout, comme il le serait des
phénomènes ou des animaux étranges, et recueille
toutes sortes d’anecdotes, de petites histoires,
colportées de marché en marché. Il va, pour plus de
vraisemblance, jusqu’à citer ses sources et prend soin de
noter que c’est bien un nommé Muhammad ben Yusuf
qui lui a rapporté ce qu’il tenait d’Abu Bakr, une autorité
parmi les pèlerins et les gens de bien, lequel le tenait
d’un nommé Abu Rustan originaire du Djebel
Nefusa348 autrefois commerçant à Aoudaghost. Cet
homme, si prompt à faire partager ses émerveillements,
avait vu un jour une de ces femmes qui, suivant leur
habitude, était allongée sur le côté, de préférence à la
position sur le dos. Son petit enfant s’amusait à lui passer
sous les reins et à ressortir de l’autre côté. La mère ne se
dérangeait absolument pas tant elle avait la partie
inférieure du dos et la taille fines349.
Nombre des relations de voyages où l’on chercherait
en vain des descriptions des marchés aux esclaves et
quelques réflexions sur l’ampleur de ce trafic sont ainsi
émaillées de petits récits et de réflexions souvent de fort
mauvais goût qui témoignent de ce profond mépris pour
la nature humaine et du soin de ne choisir que des
esclaves capables de répondre aux demandes des
maîtres. Autant d’observations que l’on chercherait en
vain dans les récits des voyageurs chrétiens ou juifs de la
même époque : Marco Polo ne manifeste jamais cette
sorte d’intérêt.
Pour les riches, la possession de jolies et jeunes
esclaves, dotées de merveilleux attraits et de grands
talents, paraît une sorte d’obsession, en tout cas un
véritable phénomène de société. A tel point que le
lecteur de quelques-uns – et non des moindres – de ces
souvenirs de voyages pourrait croire que les trafiquants
esclavagistes ne songeaient à présenter sur les marchés
que de jeunes et jolies captives, esclaves sexuelles, pour
les harems et les couches des maîtres. Et que certains
historiens d’aujourd’hui ont pu, en Occident, parler de
l’« exploitation sexuelle » de ces esclaves par les
musulmans. Et que nos auteurs à succès se sont crus
tenus pendant des siècles, à chaque détour de leurs
contes ou de leurs fables imités de ceux de Perse et
d’Arabie, de n’évoquer d’autres esclaves que les belles
captives et les eunuques du harem.
LES EUNUQUES
« Dans les premiers temps, c’est parmi les Abyssins
que le souverain d’Egypte choisissait ceux auxquels il
confiait la garde de son harem, de ses enfants, de ses
femmes et de ses biens350. » D’autres, moins appréciés,
venaient des pays slaves ou de Grèce. On en importait
communément de Syrie et de Mésopotamie, fruits des
razzias chez les Byzantins. Mais ces raids ont cessé ou, du
moins, se sont révélés moins rentables lorsque les lignes
de forts et de châteaux musulmans sur les frontières
d’Anatolie ont faibli et furent peu à peu abandonnés ou
réduits à de simples postes de guet. Les demandes se
faisant toujours plus pressantes, l’on chercha ailleurs et
les Noirs de l’Afrique profonde firent prime sur les
marchés, à Bagdad, dans le Yémen et en Egypte.
Trafiquants et maîtres croyaient qu’ils supportaient
mieux, ou moins mal, la castration, et qu’en tout cas ils
se montraient dans tous les services plus fidèles et plus
soumis. Ces négoces prirent une étonnante ampleur :
recherche d’individus jeunes et de qualité, marchés et
réseaux appropriés, centres de castration eux aussi
spécialisés, situés de préférence dans les pays voisins,
chez les Infidèles puisque la loi islamique interdisait aux
musulmans de pratiquer eux-mêmes les mutilations :
« Le marchand Al-Hajj Faraj al-Funi m’a raconté que le
souverain musulman d’Amhara [en Ethiopie] avait
interdit de castrer les esclaves ; il considérait cet acte
comme abominable et tenait fermement la main à sa
répression. Mais les brigands s’en vont à une ville
appelée Wâslu, qui est peuplée d’une population
mélangée et sans religion ; et c’est là qu’on castre les
esclaves. Ces gens-là, seuls dans tous le pays abyssin,
osent agir ainsi. Quand les marchands ont acheté des
esclaves, ils les emmènent donc en faisant un détour par
Wâslu où on les castre, ce qui en augmente beaucoup la
valeur. Puis tous ceux qui ont été castrés sont conduits à
Hadiya. Là, on leur passe une seconde fois le rasoir et on
les soigne jusqu’à leur guérison, car les gens de Wâslu ne
savent pas les soigner et ceux de Hadiya ont acquis une
habileté particulière pour soigner les eunuques. Pourtant
le nombre de ceux qui meurent est supérieur à celui des
vivants, car il est pour eux terrible d’être transporté d’un
lieu à un autre sans aucun soin351. » Ces malheureux
étaient des Noirs d’Afrique orientale, des Zendjs des
contrées proches de la côte ou des Noirs des hauts
plateaux, capturés parfois loin à l’intérieur au cours de
terribles razzias, acheminés alors vers le port de Berbera,
proche du grand comptoir musulman de Zaila,
embarqués, exportés ensuite vers Aden ou vers les
marchés du golfe Persique. Les pertes furent, de tout
temps, énormes. Très tard encore, il y a seulement un
peu plus d’un siècle, en 1885, Philipp Paulitsche,
géographe et ethnologue, explorateur de la Nubie puis
du pays des Somalis et des Gallas, notait que « la
castration est pratiquée par les Gallas [peuple au sud de
l’Ethiopie] sur des garçons de dix à quinze ans, par
l’ablation des testicules ; la plaie est soignée au beurre. Il
sort des chargements entiers de ces eunuques par le port
de Tadjoura352 ; les fatigues du trajet et les mauvais soins
en tuaient 70 à 80 % ». Ceux pris chez les peuples du
Niger ou dans la région du lac Tchad gagnaient l’Egypte
au prix d’un long parcours caravanier, épuisant,
dangereux, ponctué d’étapes, certes lieux de repos, mais
aussi centres de castration : au bord du Nil à
Gondokoro353 ou à Khartoum et dans les oasis de
Kebaboou et de Mourzouk, dans le Fezzan.

Le rôle des eunuques, auprès des princes, des riches


officiers et des notables, est communément présenté
d’une façon trop simpliste ou même caricaturale, qui ne
correspond nullement à la réalité. On ne les voit que
commis à la garde des femmes dans le harem, gardes dit-
on inoffensifs, de tout repos, puisque réputés
impuissants, incapables de trahir l’honneur du maître.
Image passée dans tous les livres, ceux d’histoire y
compris, image imposée, comme tant d’autres dès qu’il
s’agit des cours d’Orient, celles notamment des sultans
et des pachas, par la lecture des contes et des romans,
par toute cette littérature des Merveilles, par ces
turqueries à la mode si longtemps. Il était plus facile
certainement de reprendre ces clichés, tous de fantaisie,
que de se reporter à de véritables témoignages.
Les eunuques, en fait, n’étaient pas tous
complètement émasculés. L’opération dite « à fleur de
ventre », qui interdisait toute relation sexuelle, s’avérait
terriblement hasardeuse et se soldait par une mortalité
considérable. La plupart du temps l’on pratiquait une
intervention plus légère, une ablation, qui rendait
seulement l’homme stérile. Et c’était bien ce que l’on
cherchait avant tout : s’entourer d’individus qui ne
pouvaient avoir de descendance.
Contrairement à l’idée reçue, les harems étaient
généralement administrés, certes jalousement – certains
aimeraient plutôt dire férocement surveillés –, non par
des eunuques mais par des femmes d’un certain âge,
attentives à mériter la confiance du maître de la maison.
Les eunuques étaient, eux, appelés à toutes sortes de
fonctions et de charges : hommes de conseil, gardiens
non tellement des femmes et de la maison domestique
mais du palais, des lieux d’assemblées et d’audiences,
des salles ou des jardins réservés aux divertissements,
des lieux saints mêmes. A Médine « les serviteurs et les
gardiens de cette noble mosquée sont des esclaves
abyssins ou d’une autre origine, qui ont belle apparence,
un aspect net et portent des vêtements élégants. Leur
chef s’appelle le cheikh des serviteurs et ressemble aux
grands émirs par sa mise354 ». Investis de hautes
responsabilités, ces esclaves privilégiés pesaient sur les
décisions, se forgeaient de belles renommées,
amassaient des fortunes, très ordinairement possédaient
eux-mêmes des biens de toutes sortes et, tout
naturellement, se trouvaient à leur tour maîtres d’un bon
nombre d’esclaves. On les trouvait aussi dans les armées,
rarement hommes de troupes ou officiers subalternes,
mais aux postes de commandement. Ou, pour le plus
grand nombre à en croire les contes et les enluminures
de cour, familiers et serviteurs du prince, assistants lors
de chaque réception ou cérémonie publique, pour faire
nombre et impression, signe de munificence.
Le calife abbasside al-Amin (809-813) entretenait déjà
à Bagdad de très nombreux eunuques, en deux corps
séparés, les Blancs que les courtisans appelaient les
« sauterelles, et les Noirs, dits les « corbeaux ». Une
description de la ville à la même époque fait état, de
façon certes approximative et certainement très
exagérée, de sept mille eunuques noirs et de quatre mille
blancs355. Un auteur arabe, ar-Rashid, décrit longuement
la réception donnée, en 917, à la cour du calife al-
Muktadir356 pour les ambassadeurs de l’empereur de
Byzance. Ceux-ci passèrent d’abord, hors du palais, entre
deux haies de chacune mille eunuques noirs. Aux
cérémonies et aux fêtes, toutes grandioses, réservées à
la cour et aux protégés ou amis du calife, participèrent
une foule d’eunuques vêtus de riches habits de soie, les
uns razziés ou achetés chez les « Slaves », les autres, plus
nombreux, amenés du pays des Zendjs. Dans le palais, on
comptait jusqu’à quelque sept mille eunuques, dont
quatre mille blancs et trois mille noirs357.
Le Noir esclave et eunuque figurait régulièrement à
l’arrière-plan des scènes de cour, œuvres des peintres
familiers des sultans ottomans, en Egypte et à Istanbul,
puis, plus tard, dans celles des artistes moghols de l’Inde.
Un exemplaire du Shaname (Livre des Rois), du poète
persan Firdousi (940-1020), daté de 1510, montre, par
une illustration en pleine page, la naissance du héros
perse Rustum. Le nouveau-né, déjà de belle taille, vient à
peine de voir le jour, soutenu par un eunuque de race
blanche et par une suivante, tout ordinaire. Deux autres
femmes se voilent la face ou essuient leurs pleurs et
deux autres encore lèvent les bras au ciel, tandis qu’un
petit personnage, un Noir celui-ci, apporte bassine et
aiguière et qu’un autre, noir aussi, mais richement vêtu,
coiffé d’un beau bonnet rouge, paraît à une fenêtre358.
Trois belles et grandes enluminures d’un autre ouvrage
décrivent non plus une scène domestique mais les fastes
de la cour du sultan ottoman. Dans les deux premières,
on le voit recevoir le grand vizir Ibrahim Pacha puis, sur
un autre registre, paraît ce même vizir en son palais ; les
assistants, familiers et eunuques certainement, six puis
dix, sont tous des Noirs. Dans la troisième scène, qui
représente les funérailles de la mère du sultan, le peintre
a placé, en plusieurs plans et différentes attitudes, une
foule de personnages, parents, officiers de la cour,
grands serviteurs, tous blancs, tous coiffés d’un très beau
turban. Mais à l’arrière, certes à demi cachés, leurs têtes
seules visibles, se tient un groupe d’une dizaine de Noirs,
eux aussi coiffés de blanc359. Deux siècles plus tard, deux
peintures d’un livre de cour daté de 1720-1732 mettent
encore les Noirs en bonne place. Dans l’une, le chef des
eunuques, un Noir majestueux, vêtu d’un somptueux
manteau gris, la tête prise dans une haute coiffure de
couleur blanche, conduit le jeune prince à la cérémonie
de la circoncision. Dans l’autre, les princes, les courtisans,
les pages et les eunuques assistent à un divertissement,
danseuses et musiciens en vedette, sur la rive de la
Corne d’Or à Istanbul. Trois Noirs, imposants, habillés de
belles robes vertes, se tiennent debout, gardes solennels,
tout près du sultan360.
Les voyageurs venus d’Orient et même les
chroniqueurs de Tombouctou s’émerveillent de voir,
dans les pays du Soudan, des centaines, certains disent
même des milliers, d’hommes et de femmes, courtisans,
musiciens, danseurs, entourer le roi dès qu’il paraît en
public, lors des audiences, des réceptions ou du moindre
déplacement. Cérémonial fastueux, impressionnant, où
figuraient toujours une foule d’eunuques, tous esclaves :
« Sept cents eunuques entourent le roi, prêts à lui offrir
leurs manches pour cracher dessus361. »
La présence des eunuques à la cour, dans le palais, très
proches du maître, et le soin pris à se les attacher
répondaient à des préoccupations politiques évidentes.
Dans la famille royale, les frères, les fils, les épouses du
prince nourrissaient sans cesse toutes sortes d’intrigues
et s’affrontaient en clans plus ou moins secrets pour
arracher la plus grande part des honneurs et des charges
ou même pour détrôner leur parent en place et prendre
le pouvoir. Le roi, ainsi isolé au sein de sa cour, devait
sans cesse s’en méfier, les tenir éloignés ou les faire
étroitement surveiller, en tout cas s’efforcer de
gouverner sans eux, sans vraiment les informer de ses
desseins et de ses vrais alliés, donc prendre d’autres
conseillers.
Le succès de certaines concubines et conseillères,
jugées plus que les épouses mêmes dignes de confiance,
tenait certes, pour une bonne part, à leur qualité
d’étrangères : sans parentes parmi les autres femmes de
la cour, elles n’étaient liées à aucun parti susceptible de
fomenter des complots. De plus, pour comble de
précautions et les rendre encore plus dignes d’une
absolue confiance, le maître veillait à ce qu’elles n’aient
pas de descendance. Dans le royaume du Bornou, en
1573, « le roi est servi par des eunuques et des jeunes
filles qu’il rend stériles avec certaines potions362 ».
L’eunuque, parfait esclave, offrait les mêmes
garanties. Il tenait en main, en bien des pays et plus
particulièrement en Afrique noire, les clés et les ressorts
du pouvoir mais il ne pouvait transmettre à des héritiers
ni son nom, ni ses titres, ni ses fonctions, ni même ses
biens et ses alliances. « Il est celui qui pousse à son
comble le caractère contre-parental de l’esclavage, celui
qui, par son état physique et quel que soit son sort
juridique, est incapable de constituer une aristocratie
héréditaire ou dynastie usurpatrice363. »
En plusieurs Etats d’Afrique noire, ils se sont hissés
jusqu’aux plus hauts offices. Ainsi, dans le Songhaï, Alou
qui, gouverneur de Kabara364, aurait dit-on été à l’origine
de la guerre civile qui opposa Tombouctou à Gao, et
Tabakali, chef du protocole, eunuque et esclave lui aussi,
qui joua un grand rôle dans la prise du pouvoir par l’askia
Ishaq II. Le maître y trouvait de grands avantages : il
pouvait aisément s’en débarrasser dès qu’il le désirait, en
toute impunité, sans craindre la vengeance des fils et des
parents. De fait, le roi ne supportait aucune menace,
aucune ombre et la vie de l’eunuque, arrivé au faîte des
honneurs, ne tenait pas à grand-chose. La légende dit
que Wakane Sako, l’un des quatre grands du Wagadu (au
sud du fleuve Niger), possédait un esclave valeureux,
fidèle, et Wakane fit de lui « une bouillie de sang ». C’est
ainsi que les esclaves de cour, femmes ou eunuques, ont
largement contribué à créer en plusieurs pays d’Afrique
« un modèle gouvernemental, un système politique dans
lesquels les fonctions n’étaient en rien héréditaires et
pas toujours viagères365 ».

Les armées

BLANCS OU NOIRS
Orient et Egypte
Les premiers successeurs de Mahomet n’avaient pour
protéger leur camp ou leur palais et les suivre au combat
que des fidèles, hommes libres, cavaliers pour la plupart,
en forte majorité des Arabes. Le recrutement
d’étrangers, en particulier d’esclaves, ne devint vraiment
appréciable que dans les années 750, après la victoire
des Abbassides sur les Omeyyades et le transfert de la
capitale de Damas à Bagdad. Les nouveaux califes,
souvent menacés par des partis ou des clans adverses,
par des révoltes populaires suscitées par les coptes
chrétiens et par certains musulmans hérétiques, devaient
nécessairement s’entourer d’hommes qui n’auraient
aucun lien de sang et ne pourraient manifester aucune
sorte de solidarité avec les populations. Ces hommes qui,
en toutes occasions, resteraient soumis à leur maître,
insensibles aux sollicitations des mécontents et des
rebelles, ne pouvaient être que recrutés très loin des
pays conquis par les armées de l’Islam. Ce n’était certes
nulle nouveauté : les califes de Bagdad ne faisaient, en
cela comme en tant d’autres domaines, que suivre
l’exemple des empereurs et des rois de l’Antiquité, en
Orient et à Rome, et l’exemple aussi, bien plus proche,
des empereurs byzantins de Constantinople.
A Bagdad, la garde prétorienne d’abord puis les
troupes ordinaires de plus en plus importantes
comptèrent alors de forts contingents où les clients
naturels, parents, membres du clan du calife, et même,
d’une façon plus générale, les Arabes n’étaient pas les
plus nombreux. Dès 766, quelques années seulement
après l’installation des Abbassides, un prêtre chrétien de
Syrie, en voyage en Irak, se plaignait de trouver partout
sur son chemin, dans les rues de la ville, « des essaims de
grandes sauterelles » aux bizarres harnachements,
soldats et officiers de tous rangs, tous barbares et tous
esclaves, Khazars, Alains et Sikhs de l’Inde366. Par la suite,
tous les califes, tous les gouverneurs de l’Egypte et de
l’Ifriqiya firent recruter, pour leurs gardes et celles de
leurs palais, des Slaves et des Turcs. Al-Mu’tasim,
huitième calife abbasside (833-843), lui-même fils d’une
esclave turque, fit enrôler, dit-on, quelque soixante-dix
mille esclaves tous achetés en Asie centrale.
Ce n’était pas assez et pas vraiment satisfaisant. Ces
Turcs, excellents cavaliers, guerriers redoutables, ne
semblaient plus, au fil des temps, aussi fidèles
qu’autrefois, aussi soumis aux ordres. Très vite, le même
al-Mu’tasim prit ombrage de leur réputation, douta de
leur loyauté et finit par craindre que, seules forces
notables de l’armée, ils ne s’emparent du pouvoir ou,
pour le moins, manifestent des désirs d’indépendance de
façon insupportable. C’est alors que, le développement
de la traite négrière lui en donnant l’occasion sans trop
grever ses fonds de trésorerie, il fit rechercher, tout au
moins pour son infanterie, des esclaves noirs367.
Le recrutement de ces nouveaux guerriers, capturés en
Nubie, dans les pays de la haute vallée du Nil, devint de
plus en plus aisé et de moins en moins coûteux au fur et
à mesure que les réseaux de trafiquants se mirent en
place et que l’on aménagea plusieurs pistes caravanières
qui, pour les plus fréquentées, furent tout simplement
celles des pèlerinages vers La Mecque par Le Caire. Dans
tous les pays d’islam, d’Orient en Occident, on compta
ces soldats noirs, esclaves, par milliers368.
Ibn Tulum, gouverneur de l’Egypte qui se rendit
indépendant du calife de Bagdad et régna de 835 à 884,
avait, affirment les chroniqueurs contemporains, acheté,
pour sa garde personnelle, quarante mille « Soudanais »,
en fait des Nubiens. Ces hommes constituèrent le fer de
lance de son armée et demeurèrent son principal soutien
contre ses adversaires et ses ennemis de l’extérieur. Son
fils, Khumarawaih, n’osait paraître dans Le Caire que suivi
d’une garde d’un millier de soldats esclaves, tous
africains, portant manteaux et turbans noirs.
Lorsqu’en 905 Bagdad mit fin à cette dynastie des
Touloumides, le général, turc d’origine, envoyé par le
calife pour qu’il y rétablisse son autorité fit massacrer
cette garde prétorienne de Noirs. Cependant, dès 935, le
nouveau gouverneur, Mohamed ibn Toughdj, pourtant
turc lui aussi, contraint de faire face, à l’ouest, aux
attaques des Berbères et des Fatimides, musulmans
chiites maîtres de l’Ifriqiya, enrôla de nouveau un grand
nombre de Noirs. De même les Fatimides qui, victorieux
enfin en Egypte en l’an 968 après deux assauts
infructueux, renforcèrent leurs troupes jusqu’alors levées
dans les tribus berbères par d’importants contingents de
Noirs. Sous leur règne, ces esclaves soldats ne venaient
plus seulement de Nubie mais du Soudan central,
notamment des pays du lac Tchad, conduits sur les
marchés du Caire par des marchands caravaniers,
berbères presque tous, établis dans l’oasis de Zaouila.
Bien plus tard, à partir du XIIIe siècle, d’autres esclaves,
des Blancs ceux-ci, originaires de pays situés très loin
hors du monde musulman, se comptèrent aussi de plus
en plus nombreux et de plus en plus puissants, capables
de peser d’un grand poids sur les destins du pays. Ils
finirent par s’imposer en maîtres absolus en Egypte. Ce
furent d’abord les Turcs, alors païens, infidèles, capturés
lors de fortes expéditions armées dans les steppes de
l’Asie centrale, menés soit sur les marchés de Samarkand
et de Boukhara, soit sur ceux du Khorassan369 et ensuite
redistribués selon les besoins vers différents centres de
la Mésopotamie et de l’Egypte. Mais, quelque temps plus
tard, les Turcs convertis et devenus de bons musulmans,
la traite de ces esclaves guerriers, de ces esclaves blancs
que l’on appelait communément des mamelouks, prit
d’autres directions et dévasta d’autres régions, traite non
plus aux mains des Arabes et des Juifs mais des
marchands italiens établis dans leurs comptoirs d’Orient.
Sur les rives de la mer Noire, en Crimée ou à Caffa, et
dans le fond de la mer d’Azov, à La Tana, ou même à
Pera, faubourg de Constantinople de l’autre côté de la
Corne d’Or, Génois et Vénitiens achetaient les Tatares et
les Russes à des trafiquants qui se hasardaient loin à
l’intérieur des terres, ou directement aux familles et aux
tribus qui, pressées par la famine et la misère, se
séparaient ainsi de bouches à nourrir contre une petite
somme d’argent ou quelques vivres et des pièces de
tissus. Les femmes étaient menées, une par une ou par
petits groupes, jusqu’en Italie où elles servaient de
domestiques dans les villes. Les hommes, de jeunes
hommes surtout, embarqués sur des navires portant
chacun plus d’une trentaine de « têtes », étaient
débarqués en Egypte où on les entraînait au métier des
armes.
Cette traite maritime qui, dans le même trafic,
associait chrétiens et musulmans, sans nul doute très
active mais connue seulement de façon très
approximative par des documents épars –
reconnaissances de dettes, quittances et règlements de
comptes entre particuliers –, s’est maintenue pendant
plus de deux siècles. La prise de Constantinople par les
Ottomans en 1453 et celle de Caffa en 1475 y ont mis fin.
Les trafiquants ne trouvant plus à importer aussi
facilement ces mamelouks de la mer Noire qu’ils
nommaient les Kipcak370 allèrent alors prospecter eux-
mêmes les marchés du versant nord du Caucase et en
ramenèrent d’autres esclaves, jeunes gens et enfants,
Circassiens, Tcherkesses, Mingréliens, Abkhazes, eux
aussi futurs guerriers371.
Maroc
Très tôt, dès le temps de leurs premières expéditions
au-delà du Sahara, les Almoravides du Maroc prirent des
Noirs, razziés ou achetés, chez les « Soudans » de
l’Afrique de l’Ouest. Youssouf ben Tashfin en fit venir
jusqu’à deux mille pour sa garde à cheval. Après lui,
toutes les troupes marocaines sans exception ont, tout
au cours des temps, compté de considérables
contingents de soldats noirs. Très tard encore, Moulay
Ismaïl (1672-1727) mit sur pied une formidable armée de
métier formée exclusivement d’esclaves du Soudan. Les
premiers, achetés aux marchands caravaniers, furent, par
milliers déjà, installés sur de petites exploitations
agraires en compagnie de jeunes Noires, esclaves elles
aussi. Leurs enfants recevaient, à l’âge de dix ans et
pendant cinq années, un enseignement religieux et un
entraînement militaire de tous les instants ; soumis à une
sévère discipline, ils formèrent bientôt une armée de
fanatiques de cent ou cent cinquante mille hommes. Les
docteurs de l’islam, les ulémas, affirmaient que c’étaient
là pratiques contraires à la Loi. Ils disaient surtout que
ces guerriers, hommes de métier, qui n’avaient jamais
connu qu’un total isolement, étrangers à la société,
séparés du peuple par des fossés infranchissables,
provoquaient trop souvent, dans les villes du Maroc
même, de graves colères et rébellions.
LES CASERNEMENTS, LA VILLE COMPARTIMENTÉE
Les chefs musulmans, dès les tout premiers temps, dès
Médine, furent des conquérants, maîtres bientôt d’Etats
territoriaux considérables. Les califes, leurs généraux puis
leurs gouverneurs ont pendant longtemps gouverné des
pays soumis par la force et vécu, avec leurs conseillers et
avec leurs troupes, parmi des populations où, étrangers
plus ou moins bien acceptés, ils ne comptaient d’abord
qu’un petit nombre de partisans. Leur pouvoir ne pouvait
s’appuyer que sur leurs troupes. S’établir, insérer leurs
cours et leurs administrations dans les capitales des
anciens Etats, villes populeuses qui avaient connu
d’autres maîtres, une autre religion et d’autres façons de
vivre chez eux et en société, paraissait hasardeux. La cité
musulmane fut alors, par essence, cité nouvelle et
d’abord camp militaire.
Omar (634-644), premier des grands conquérants de
l’Islam, a, en seulement quelques années, fondé de
toutes pièces plusieurs amsâr, ébauches de villes de
garnison où vivaient ses guerriers arabes avec leurs
familles. Chacune n’était d’abord qu’un simple camp aux
maisons de pisé, camp fortifié naturellement : trois
d’entre elles portaient le nom de Fustat, mot qui vient du
grec phossatum (latin fossatum) et évoque effectivement
le fossé défensif qui entourait le périmètre habité. De ces
premières cités, certaines furent vite abandonnées, mais
Kufa sur la rive droite de l’Euphrate en Irak, Bassorah en
basse Mésopotamie près du golfe Persique et Fustat en
Egypte donnèrent vite naissance à de véritables villes.
Bagdad, fondée par al-Mansur en 762, ne fut, dans les
premiers temps, rien d’autre que la principale base de
l’armée impériale, forteresse à l’écart des anciennes
capitales de l’Irak. Il en fut de même, au cours des temps,
en Egypte et en Ifriqiya, où là aussi le vainqueur, au
lendemain de son triomphe contre un parti adverse,
s’employait à dresser une nouvelle capitale pour vivre
plus à l’écart et n’avoir rien à craindre des humeurs et
mouvements de rue de l’ancienne cité où les fidèles de
l’ennemi demeuraient nombreux. La règle fut, en Afrique
comme en Orient, que chaque nouveau maître, chaque
chef d’une nouvelle dynastie en tout cas, délaisse la
capitale des vaincus pour s’installer, lui et ses guerriers
esclaves, dans ce qui n’était d’abord qu’un camp
retranché. Kairouan, fondée en 670 par Ukba,
conquérant de l’Ifriqiya, fut abandonnée par les princes
aghlabides qui, de 800 à 903, allèrent habiter le plus clair
du temps dans le château fortifié de Kasr Kadim puis
dans une autre résidence royale, à Rakkada. Obaïd Allah,
Arabe qui se prétendait descendant du Prophète et se
proclama Mahdi, envoyé de Dieu en pays berbère, prit
Kairouan en 904, enrôla, pour renforcer ses troupes, un
grand nombre d’esclaves et fonda une nouvelle capitale,
Mahdia (« ville du Mahdi »), base maritime creusée sur
une étroite presqu’île de la côte tunisienne, bientôt
nœud de corsaires. En Egypte, les Fatimides, vainqueurs
des forces du calife, fondèrent, en 969, tout près de
l’ancienne Fustat, la ville du Caire, cité fortifiée comptant
deux grands palais gardés de hautes tours, protégés par
des quartiers où l’on avait établi des casernes pour les
soldats et leurs officiers. Une autre dynastie, celle des
Zirides, qui régna dans le Maghreb de 972 à 1152,
s’installa d’abord dans la ville puissamment fortifiée des
Beni Hamad, en pleine montagne, puis dans Bougie, port
de la Méditerranée.
Ces villes nouvelles, nées d’une considérable extension
des amsâr ou construites de toutes pièces, répondaient,
elles encore, à de fortes contraintes et exigences. Ce
n’étaient pas seulement œuvres de prestige, dictées par
le souci d’exalter la personne du calife ou du sultan (elles
ne portaient pas leur nom). Elles n’auraient pas eu de
raison d’être si celui-ci, chef de guerre, n’avait pas dû,
pour sa garde et ses armées, recruter de forts
contingents d’esclaves. En fait, ce n’étaient d’abord que
des cités refuges. C’était, fruit de la conquête brutale et
des nécessités d’occuper un pays rebelle ou suspect de
l’être, partout la règle. Al-Mansur ne s’est établi à
Bagdad qu’après avoir triomphé de trois rébellions
ourdies contre lui. Les travaux qui mobilisèrent des
milliers d’ouvriers (un chroniqueur dit tout bonnement
qu’ils étaient cent mille !) furent interrompus pendant un
an par la révolte des chiites à Bassorah et dans le Hedjaz.
Pour comble de précautions, il choisissait tous les
gouverneurs des provinces dans sa famille mais ne leur
accordait aucune concession dans Bagdad et leur
interdisait même de posséder un palais au cœur de la
cité.
Dès sa fondation, la nouvelle cité musulmane,
résidence du souverain ou du gouverneur, ne se
présentait, en aucun des aspects de la vie publique et de
la vie privée, comme le reflet d’une communauté unie
mais comme une juxtaposition de sociétés, de peuples
mêmes nettement différenciés qui n’auraient pu
accepter de vivre dans un voisinage trop étroit. « Bagdad
comporte dix-sept quartiers ; chaque quartier est une
ville isolée où se trouvent deux ou trois bains et dans huit
de ces quartiers se dressent des mosquées où est
célébrée la prière du vendredi372. »
Le recrutement de guerriers – non plus seulement
arabes comme au temps des premières conquêtes mais
venus de lointains pays, complètement étrangers aux
populations – ne fit que rendre ce paysage urbain encore
plus compartimenté. Les troupes ne furent nulle part
rassemblées en un seul bloc. Faire vivre côte à côte des
hommes d’armes qui ne parlaient pas la même langue,
ne pratiquaient sans doute pas leur religion de la même
façon et se trouvaient liés au maître par des liens de
nature différente, fut de plus en plus difficile.
Dès le temps des grands califes abbassides, la
nécessité de prévoir et réserver campements et
garnisons pour les armées a partout présidé à
l’élaboration des plans, à l’organisation du tissu urbain et
à la répartition des pôles de vie. Les urbanistes et les
architectes responsables furent parfois même contraints
de procéder à d’importants remaniements des premiers
plans qui ne tenaient pas assez compte des
antagonismes entre ces hommes venus d’horizons
tellement différents.
Camps militaires, ces villes de garnisons s’entouraient
de hautes et puissantes murailles, dominées, de plus, par
un imposant réduit qui isolait complètement le chef de
guerre du reste de la population. A Bagdad, ce premier
noyau, siège de tous les pouvoirs, que l’on appelait « la
ville ronde », en forme de cercle effectivement mais d’un
cercle grossier tout de même, d’un diamètre d’environ
six cents mètres, protégé par un réseau de canaux, par
un profond fossé et par un double mur, abritait la
résidence du calife, la grande mosquée et un certain
nombre de bureaux. Les guerriers distingués parmi les
plus fidèles, au nombre d’un millier à chacune des quatre
portes de cette enceinte centrale, étaient, au temps d’al-
Mansur, des Arabes et des Khorassiens qui avaient
brillamment combattu contre les Grecs puis contre les
Omeyyades. Ils ne se mêlaient déjà pas entre eux, les
hommes du Khorassan, épine dorsale de ces troupes, ne
parlant pas l’arabe mais seulement le persan. Seule cette
garde était cantonnée dans la « ville ronde » ; les autres
compagnons (sahâba) d’al-Mansur, pourtant eux aussi
élites de l’armée, se contentaient de casernes situées
près des palais des trois fils du calife, au sud de la ville et
au-delà du Tigre. D’autres guerriers arabes furent aussi,
dès le tout début, établis en plusieurs quartiers qui
portaient le nom de leur tribu ou de la cité où ils avaient
tenu garnison373.
Par la suite, lorsque ces califes firent recruter des
esclaves, blancs puis noirs, de plus en plus nombreux,
jusqu’à former le plus gros des troupes, les oppositions
devinrent naturellement plus violentes. On achetait ces
hommes par plusieurs dizaines ou centaines à la fois et
on les gardait dans le même cantonnement, pour les
convertir ensemble à l’islam et les initier au métier des
armes. Isolés dans une ville dont ils ignoraient tout et
qu’ils ne pouvaient tout de suite connaître, doués d’un
solide esprit de corps, ils ne cessaient, loin, très loin, de
leur pays natal, de revendiquer leurs particularismes et,
en toutes occasions, d’afficher leurs solidarités. Très vite,
certains clamaient ne vouloir obéir qu’à leurs chefs et
refusaient, jusqu’à se révolter, de répondre aux
commandements et aux ordres venus d’ailleurs.
A Bagdad, dans les années 800, le calife donna l’ordre
formel à chaque corps de troupes ethnique d’habiter un
quartier séparé374. A Fustat, dressée face à l’ancienne
Babylone d’Egypte, Ibn Tulum fit très tôt construire et
aménager un cantonnement particulier pour sa garde
noire. De même pour les Blancs, esclaves et guerriers : au
Caire, bien plus tard, les mamelouks se regroupèrent
tout naturellement en clans, à vrai dire en peuples
nettement distincts, à tel point que ni le sultan ni les
citadins ne les nommaient de la même façon. Les
mamelouks turcs occupaient l’île de Rawda, le long du
bras oriental du Nil ; on les appelait les bahrites
(« hommes du fleuve »). Les Tcherkesses, Circassiens,
s’établirent dans une tour de la citadelle ; c’étaient les
burdjites (« hommes du fort »). Ils ne cessaient de
conspirer et de s’affronter, suscitaient sans cesse de
sombres querelles, complots et attentats, révoltes et
révolutions de palais pour imposer leurs chefs. De telle
sorte que, lorsque ces mamelouks prirent le pouvoir, l’on
eut successivement une dynastie turque puis une autre,
tcherkesse.
MENACES, TROUBLES ET CONFLITS
Cas sans doute unique, très particulier en tout cas,
dans l’histoire de l’Ancien Monde, les guerriers de
l’Islam, esclaves blancs ou noirs, exécuteurs souvent de
vilaines besognes, ont souvent pesé très lourd sur le sort
des Etats. Les califes et les sultans, les gouverneurs et les
généraux, les responsables de la paix dans les villes,
avaient sous leur commandement des hommes
totalement allogènes, incorporés de force, n’ayant
d’autre raison de servir que leur survie et quelques
profits, sur le moment. Non des parents, membres de
tribus depuis longtemps alliées, unis par une fidélité
ancestrale. Non pas même de véritables mercenaires
tenus en main par l’attente de fortes soldes et
l’assurance, victoires et âge venant, de bons
établissements, terres à cultiver sans trop de mal et
petits offices dans l’administration. Mais bien des
esclaves, la plupart sans aucun espoir de sortir de leur
condition, sans liens charnels avec le pays, sans
descendance non plus.
De la vie des guerriers blancs peu nous est dit. Nourris
et logés, vêtus et armés sans nul doute. Mais des soldes,
rien ou presque rien ; aucune idée du montant exact si
tant est qu’elles aient été effectivement versées de
temps à autre. Ce que l’on sait des mamelouks, en
dehors de leurs querelles et de la façon dont ils
s’emparaient du pouvoir, est, en somme, fort peu de
chose. Plus tard, dans Alger, les janissaires, eux aussi
arrachés enfants dans les pays des Infidèles, corps d’élite
eux aussi, guerriers redoutés tant sur terre que sur les
galères de combat, vivaient surtout de leur part du butin,
de ce qu’ils pouvaient prélever de façon plus ou moins
modérée mais jamais discrète sur les Maures des tribus
de l’intérieur, et surtout – par-dessus tout – des
exactions commises à longueur de journée dans la ville.
Par les rues, les cuisiniers de leurs casernes brandissaient
une hachette en entrant dans les boutiques pour piller
pain, œufs et viandes, « sans qu’aucune considération
puisse les obliger à lâcher prise ou à payer le prix ».
Nombre d’entre eux exerçaient de petits métiers,
misérables même. Ils traînaient, piliers des cafés,
s’enivraient de vin, coupables d’abus et craints de
tous375.
Les Noirs n’étaient certainement pas mieux lotis, plus
mal considérés sans doute et redoutés. On sait plus
d’une saison où, mécontents – car les vivres avaient été
confisqués en chemin par quelque officier avide de
profit –, affamés, criant leur misère et leur haine, on les
vit courir les rues de la cité pour piller, tuer, au mieux
rançonner. Au Caire, dans l’hiver 1036-1037, lors de la
grande famine, les Noirs de la garde mirent à sac les
entrepôts de grains et les magasins, firent main basse sur
les maigres réserves des habitants. Deux auteurs au
moins, tous deux témoins d’horribles carnages, évoquent
de terribles atrocités : « Ils attrapèrent les femmes avec
des crochets, leur arrachèrent des lambeaux de chair
pour les manger, sur le coup376. »
Noirs et Blancs ne se supportaient pas. L’opposition
raciale fut sans doute la cause immédiate de révoltes et
de conflits tout aussi décisifs que la lutte pour
l’émancipation et le refus d’une vie misérable. En Egypte,
les Noirs, soldats et domestiques, n’ont cessé de se
dresser contre les guerriers turcs ou tcherkesses.
En 1260, les garçons d’écurie, nubiens et soudanais,
ameutèrent d’autres Noirs, esclaves et soldats ; ils se
proclamèrent fidèles aux sultans que les mamelouks
venaient de supplanter, s’emparèrent de chevaux et
d’armes et, en pleine nuit, menés par un chef religieux
qui leur promettait des terres, allèrent par les rues piller
les maisons et tuer ceux qui traversaient leur route. Les
troupes de mamelouks, blancs donc, les cernèrent sans
mal et les firent prisonniers. Au petit jour, ils furent tous
crucifiés à l’une des portes de la ville.
Blancs contre Noirs : ce fut pour les maîtres une façon
d’assurer leur pouvoir en jouant des uns contre les
autres. En Egypte toujours, mais deux siècles plus tard,
alors que les factions des mamelouks ne cessaient
d’intriguer les unes contre les autres pour prendre le
pouvoir et que les sultans ne pouvaient tenir en place
que quelques mois, l’un d’eux, en 1498, tenta de secouer
cette insupportable tutelle des guerriers blancs, ses
frères de race pourtant. Il leur infligea une dure
humiliation en comblant de faveurs au-delà du
raisonnable et du tolérable un esclave noir, Farajallah,
chef des arquebusiers de la citadelle. Il lui fit épouser une
esclave circassienne du palais et lui fit don d’une tunique
à manches courtes, toute semblable à celles que
portaient les guerriers mamelouks. Ceux-ci répondirent
aussitôt à l’insulte avec une rare violence ; ils se
lancèrent à l’attaque, eurent vite le dessus, tuant au
moins cinquante Noirs dont Farajallah lui-même, et
mirent les autres en fuite. Le sultan, dûment sermonné
par ses proches, les émirs et ses parents, se vit contraint
de faire amende honorable.
Ces guerriers noirs, esclaves pourtant, n’étaient nulle
part de simples auxiliaires, méprisés. Nulle part non plus
seulement des soldats de parade exhibés lors des fêtes et
des réjouissances publiques, à la suite du maître, pour
faire nombre et frapper d’émerveillement. Tout au
contraire : ils maintenaient l’ordre, réprimaient les
colères des foules bien mieux que ne l’auraient fait tous
soldats plus proches du commun des habitants. Arrachés
à leurs pays d’Afrique, ils vivaient loin du petit peuple
dont ils ne parlaient pas bien la langue. Ils ne
partageaient ni les souffrances ni les inquiétudes des
sombres années. Mal aimés, venus d’un autre monde et
d’un univers peuplés d’hommes dont tant d’écrits et de
discours disaient la mauvaise nature, on les disait cruels,
prêts à servir le calife ou le sultan en tous moments et à
noyer les rébellions dans le sang. Ce n’étaient pas vaines
frayeurs. Déjà, en l’an 749, le calife Yahia avait chargé
son frère Abu Abbas, fondateur l’année suivante de la
dynastie des Abbassides, de châtier les habitants de
Mossoul révoltés ; il rassembla trois ou quatre mille
Noirs, originaires de l’Afrique orientale, recrutés tout
récemment, à peine pris en main, et les lança à l’attaque
de la ville désarmée. Ils la mirent à feu et à sang,
massacrant femmes et enfants377. En Egypte, al-Hakim
fit, en 1021, donner ses troupes de Noirs contre le
peuple de Fustat : incendies, orgies, viols et massacres.
Ces esclaves soldats firent constamment peser de
graves menaces sur le pouvoir. En 836, de crainte des
révoltes populaires et d’une rébellion fomentée ou
soutenue par la milice formée de Turcs et d’Iraniens,
pourtant recrutée par lui depuis peu de temps, al-
Mu’tasim fit transférer son palais et son gouvernement
de Bagdad à Samarra, ville nouvelle construite en hâte, à
soixante milles plus au nord, à l’écart de toute mauvaise
surprise. Partout, dans tous les pays de l’Islam, les
hommes de troupe exigeaient de se faire entendre
jusqu’à devenir les seuls maîtres et fonder même, en
plusieurs pays et à différentes époques, des dynasties,
manifestement d’origine servile et étrangère, plus ou
moins stables. En Egypte, certains esclaves turcs, les
mamelouks, connurent très vite d’étonnants destins,
hommes de guerre et de pouvoir auréolés d’un grand
prestige, chargés de hautes responsabilités. Un des bons
historiens de ce temps, Abu-i-Mahasim Yusuf, fils lui-
même d’un émir turc, leur consacre près de trois mille
notices biographiques dans son Dictionnaire. En 1250, le
Turc Aibek, mamelouk, exerça d’abord la régence au nom
d’un jeune prince incapable de se faire entendre et fut
proclamé sultan le 12 novembre 1251, le premier d’une
dynastie qui ne fut détrônée qu’en 1382 par Barbouk,
chef d’une autre faction des mamelouks, celle des
Tcherkesses, eux aussi esclaves guerriers ou anciens
esclaves. Avec, il est vrai, des fortunes diverses, chacun
de leurs sultans ne restant jamais bien longtemps en
place, ces mamelouks tcherkesses régnèrent en Egypte
jusqu’à la conquête du pays par les Ottomans, en 1517.
Et ces Ottomans s’empressèrent de recruter, pour leurs
armées d’Egypte et faire opposition aux esclaves blancs,
un grand nombre de Noirs.
Ce « phénomène mamelouk378 », montée au pouvoir
d’une société de guerriers, esclaves recrutés en de
lointains pays, n’est pourtant pas unique. On sait que
d’autres mamelouks, esclaves blancs, régnèrent un
temps au Yémen. En Inde, Mohamet Gori, sultan turc de
Ghor et de Gahzni, avait conduit raids et pillages dans le
Pendjab et jusqu’au Gange ; l’un de ses esclaves turcs,
Qutb ud-Din Aïbak, s’était emparé de Delhi en 1192. A la
mort de Mohamet, en 1206, une « dynastie des
esclaves » s’est établie dans Delhi.
L’Histoire ne parle généralement que de ces
mamelouks, esclaves et mercenaires blancs, mais l’on
sait que des guerriers noirs réussirent, eux aussi, à
prendre la tête d’une cour et même d’un pays. En 946,
au Caire, à la mort du calife Mohamed ibn Toughdj, un
eunuque noir, nommé Musc-Camphre ou Abou el-Misk
Kafour (Kafour : « le Noir »), chef de l’armée, auréolé de
retentissantes victoires sur les Fatimides et sur les
Berbères, exerça la régence, en fait tout le pouvoir,
pendant une vingtaine d’années sans soulever
d’opposition. En 946, le calife abbasside de Bagdad le
reconnut comme maître de l’Egypte379.
Dans aucun royaume ou empire, en Orient ou en
Occident avant ou après l’Islam, la fortune des
souverains ne fut soumise au sort des batailles de rues
entre des troupes d’esclaves soldats, le plus souvent les
Noirs contre les Blancs, comme elle le fut dans l’Orient
musulman et, plus encore, en Egypte. A longueur de
règnes, les guerriers, complètement étrangers au pays,
amenés de fort loin et mal ou pas du tout insérés dans la
population, furent arbitres lors des conflits, des querelles
entre les chefs ou les dynasties, sollicités, prenant
forcément parti pour les uns ou pour les autres, capables
d’emporter la victoire. Au Caire, les Noirs formaient,
en 1169, la principale force armée du calife fatimide al-
Adid380. Saladin, général d’origine kurde, envoyé à la tête
de Turcs et de Kurdes pour reprendre le pays en main, fit
emprisonner le chef des eunuques noirs, l’accusa de
comploter avec les croisés francs et le fit décapiter ; il
exigea ensuite la démission de tous les eunuques
africains du palais. Les Noirs de la garde, furieux à
l’annonce de la mort d’un homme qu’ils savaient leur
protecteur et leur porte-parole, emportés, aux dires
mêmes des chroniqueurs musulmans du moment,
« d’une vive solidarité raciale », prirent aussitôt les
armes. Pendant deux jours du terrible été, au mois
d’août, quarante ou cinquante mille hommes se
lancèrent à l’assaut. En vain : le calife, terrorisé et
indécis, déjà prisonnier des hommes de Saladin, refusa
d’aider ceux qui l’avaient pourtant fidèlement servi et fit
crier, par l’un de ses officiers, que le temps était venu de
chasser du pays « ces chiens d’esclaves noirs ». Saladin
envoya un fort détachement de cavaliers dans leurs
quartiers avec ordre de « tout brûler, leurs maisons et
leurs enfants ». Quelques jours plus tard, les poètes à sa
solde chantèrent cette « bataille des Blancs, bataille des
Noirs » et la victoire des Blancs qu’ils affectaient de voir
aussi glorieuse que celles remportées par ce même
Saladin en Terre sainte contre les Francs. L’historien al-
Makrizi décrit certes l’horreur de ces combats de rues,
massacres et mises à sac, mais c’est sans vraiment
s’attendrir et encore moins pour s’en indigner ; c’est,
pour lui, une bonne occasion de dire tout le mal qu’il
pense des Noirs et de fustiger leur arrogance : « Lorsque
leurs outrages et leurs méfaits devinrent insupportables,
Dieu les réduit à néant, pour leurs péchés381. »

Les durs travaux, la géhenne

Qui pourrait affirmer qu’une main-d’œuvre servile,


assujettie sans espoir d’échapper, n’était pas meilleur
marché que d’autres ? Le prix d’achat, non négligeable
certes, était vite amorti. Aucun salaire, hommes et
femmes sous la férule : « Le traumatisme du
déracinement et du dépaysement, le changement de
langue, de religion, de nom même, qui impliquaient de
grandes souffrances, engendraient chez les victimes une
impression d’impuissance, de grande vulnérabilité382. »
Sur l’esclavage dans l’Antiquité, dans l’Empire romain
notamment, tous les livres d’histoire évoquent à juste
titre les plus durs travaux, dans les mines et sur les
grands domaines de l’aristocratie, là où, rassemblés en
misérables cohortes, coupés de tous liens sociaux, de
tout soutien, les hommes souffraient le reste de leur vie
sans espoir de rémission. En pays d’islam, les Noirs
esclaves ont, pendant de longs siècles, connu l’un et
l’autre de ces bagnes.
LES MINES DANS LE DÉSERT
Les géographes, qui ne s’intéressaient qu’à dresser des
nomenclatures, à situer tant bien que mal les divers pays
et à définir leurs « climats », se contentaient de
démarquer les voyageurs de l’Antiquité, mais les
voyageurs aventurés dans la traversée du Sahara
s’émerveillaient de voir tant de caravanes cheminer
pendant de longs jours sur les pistes du désert. Tous
parlent du sel, conduit des sebkhas ou des mines du
Sahara vers le Sud, de ce sel indispensable à la survie
même des hommes du Soudan. Ils montrent des
centaines, des milliers de chameaux chargés de barres ou
de sacs. L’an 1286, l’on vit transiter par Tabelbala, petite
oasis située entre Sijilmassa et le Touat, protégée par un
château fondé par les Almoravides au XIe siècle pour
servir de point d’escale sur la piste du Touat, une
caravane de six mille chameaux, tous chargés de barres
de sel venant d’une sebkha du Tafilalet pour être livrées
dans les pays des Noirs.
L’exploitation était, dans tous les lieux de production,
salines de l’Océan, sebkhas ou mines, tout entière aux
mains des marchands, maîtres caravaniers, qui
n’employaient que des troupes d’esclaves noirs amenés
de force des pays du Soudan. A l’ouest, les salines d’Idjil,
les plus riches du Sahara occidental, exploitées sur près
de trente kilomètres de long et douze de large, et celles
de Teghaza, près de l’océan Atlantique, n’étaient
peuplées que par des Noirs, tous esclaves des femmes et
des hommes Massufa, tribu berbère. Les caravanes
arrivaient une fois par an et repartaient aussitôt
chargées. Ces esclaves ne gardaient que le sel nécessaire
pour leur consommation et livraient le reste à leurs
maîtres383.

Seuls, semble-t-il, Ibn Battuta et Léon l’Africain ont pu


observer de près le travail des Noirs employés en troupes
nombreuses à l’extraction du sel. Non dans les salines du
littoral, d’exploitation très ordinaire, ni dans les sebkhas
disséminées en de nombreux lieux du désert, près des
points d’eau, qui, elles, ne produisaient que de faibles
quantités de sel, mais dans les grandes, immenses
carrières de Teghaza qui furent pendant des siècles de
loin les plus importantes, capables d’alimenter un vaste
réseau de distribution, notamment vers les cités du
Niger. Située dans le Sahara central, loin de toute grande
oasis, à quelque vingt-cinq jours de marche de Sijilmassa
et à quatorze de Ouargla, dans une contrée exposée aux
plus dures conditions climatiques, là où l’on ne trouvait
que sable et sel, où ne poussaient aucun arbrisseau,
aucune herbe en nulle saison, où l’eau manquait
cruellement, Teghaza saisissait l’étranger de stupeur et
d’effroi. Les carrières de sel gemme, étendues sur près
de deux lieues, étaient toutes aux mains des nomades
caravaniers mais n’habitaient là à demeure que des
esclaves noirs, gardés, conduits au travail et surveillés
par d’autres Noirs, soldats. Le sel, extrait en blocs
énormes, était directement chargé sur les chameaux,
chacun ne portant que deux pierres, gravées de dessins,
marques des propriétaires.
Les Berbères, maîtres de la production et du trafic, ne
faisaient que passer ou ne séjournaient jamais plus d’une
dizaine de jours. C’était pourtant une sorte de ville où
tous les murs des bâtiments, hautes tours et fortins,
entrepôts et maisons des chefs, étaient faits de pierres
de sel grossièrement taillées et appareillées.
L’exploitation demandait peu d’investissements : « On
creuse le sol et on trouve d’énormes plaques de sel
comme si la nature leur avait donné forme et, tout
exprès, placées là384. » La main-d’œuvre ne coûtait pas
cher : les ouvriers, tous noirs, tous esclaves, amenés
régulièrement par caravanes, soumis, dans cette nature
ingrate, véritable enfer, à des conditions de travail
effroyables, n’avaient que des abris précaires, de
misérables cases aux murs de sel couvertes de peaux de
chameaux. Ils ne buvaient que de l’eau saumâtre
malsaine et tous les vivres étaient amenés par les
caravanes des négociants berbères, maîtres des mines,
tous naturellement aussi marchands d’esclaves ;
« souvent, les Noirs meurent tous de faim quand ces
marchands n’arrivent pas à temps385 ». Ils ne pouvaient,
en plein désert, évidemment pas s’enfuir, vivaient seuls,
sans femmes, et mouraient très vite des fièvres,
d’épuisement, de malnutrition, de l’eau trop polluée.
Aussi devait-on renouveler souvent les effectifs. Ces
mines de sel furent certainement, de tous les chantiers,
ceux qui exigeaient les plus forts et les plus fréquents
apports d’esclaves.
Ainsi à Teghaza… Mais, des autres salines ou mines,
rien n’est dit.
D’autres marchands caravaniers contrôlaient de la
même façon, par une main-d’œuvre exclusivement
servile, la production et le commerce de toutes les
matières premières extraites des mines du désert,
indispensables aux industries dans leurs villes étapes.
Le travail des fines étoffes, base d’une économie
d’échanges très prospère dans plusieurs oasis
sahariennes et quelques cités du Niger, ne pouvait se
maintenir sans un approvisionnement régulier en
colorants et, surtout, en pierre d’alun. On s’en servait
pour fouler, pour assouplir les tissus et pour fixer les
teintures. Les tanneurs l’utilisaient aussi pour la
préparation des cuirs de qualité. Dans tout le monde
méditerranéen, cette pierre d’alun fut pendant de longs
siècles, jusqu’à l’apparition des produits chimiques,
l’objet de trafics internationaux qui, pour le volume et
parfois même pour la valeur des cargaisons,
l’emportaient sur beaucoup d’autres : alun de Turquie (à
Phocée et au cœur de l’Anatolie), de l’île de Mytilène,
puis des mines de Tolfa découvertes en 1460 dans le
territoire pontifical. Tolfa assurait une part notable des
ressources financières de la Chambre apostolique. Cette
découverte, qui affranchissait les chrétiens du recours à
l’Orient musulman, fut saluée comme la plus grande
victoire jamais remportée sur les Turcs et l’alun fut
interdit d’exportation vers les pays d’islam. Mais les
mines du Sahara, exploitées, comme partout dans le
désert, par des Noirs esclaves, en fournissaient de
grandes quantités, assez pour alimenter d’importants
trafics caravaniers, soit vers le sud et les cités du Niger,
soit même vers les villes du Maghreb et de l’Egypte.
Géographes et voyageurs ne manquent pas d’en parler,
visiblement peu informés sur la nature exacte du produit
mais impressionnés par l’intérêt qu’y portaient les
marchands, par le fait que telle ou telle région était, pour
son économie, pour sa survie même, totalement
tributaire de ces mines. Ils citent surtout l’alun dit « de
Conwari » qui surpasse tous les autres par sa qualité mais
ils rapportent en toute bonne foi que « les gens du pays
disent que cette substance croît et végète
continuellement à mesure qu’ils en extraient et, s’il n’en
était pas ainsi, le pays disparaîtrait, telle est la quantité
d’alun qu’on en tire annuellement pour
l’exportation386 ».
En plusieurs contrées de la traite des Noirs, la petite
vaisselle et les fils de cuivre servaient couramment de
monnaies, au même titre que les cauris ou les perles de
verre. Alexandrie en importait de Turquie et les ports du
Maghreb de Carthagène, en Espagne. Mais les mines du
Sahara fournissaient, elles, d’importantes quantité de
métal brut. « Les maisons de Takedda sont construites en
pierres rouges et l’eau de la ville traverse les mines de
cuivre, ce qui la fait changer de couleur et de goût. Il n’y
a guère de céréales dans la région, sinon un peu de blé
pour la consommation des marchands et des étrangers.
Les habitants n’exercent d’autre métier que celui de
commerçant. Chaque année, ils partent vers l’Egypte et
rapportent de beaux tissus. Ils vivent dans l’aisance et le
bien-être et s’enorgueillissent de posséder de nombreux
esclaves, femmes et hommes387. » Les Berbères, maîtres
de la ville, des exploitations et des caravanes du cuivre,
confiaient tout le travail d’extraction et d’affinage du
minerai à leurs esclaves noirs installés à demeure sur
place, travail très dur, sous la conduite de chefs
d’équipes, eux aussi noirs et esclaves388. « Ils le fondent
dans leurs maisons et ce sont des esclaves des deux
sexes qui font ce travail389. » Ce cuivre, largement utilisé
dans tous les pays du Soudan, valait très cher : Mansa
Mousa, roi du Mali, faisait vendre le cuivre de ses mines
à raison d’un poids contre deux tiers de poids d’or, soit
donc cent poids contre soixante-six poids et deux tiers
d’or390.
GRANDS DOMAINES ESCLAVAGISTES
Les musulmans ont développé très tôt, tout
particulièrement en Orient, l’exploitation par des troupes
de centaines ou de milliers de captifs de vastes domaines
agraires qui rappelaient jusqu’à l’absurde, jusqu’à
l’intolérable, ce qu’avaient été les latifundia du temps
des Romains. Ce n’était, bien sûr, en aucune façon
agriculture domestique pour l’approvisionnement du
palais ou de la cité toute proche, en grains et en herbes,
mais entreprises de grande envergure, pour ne récolter,
en énormes quantités, qu’un seul fruit, destiné à
l’exportation vers de lointains pays. Agricultures non
vivrières, non diversifiées et équilibrées, mais au
contraire très spécialisées, appelées forcément à devenir
exclusives, toujours tournées vers des produits de luxe,
tenus pour rares. Ces grands, immenses domaines
seigneuriaux exigeaient pour la préparation des sols,
pour les semis ou les plants, pour les cueillettes et les
récoltes, une très nombreuse main-d’œuvre, si
nombreuse que l’on ne pouvait songer à employer et
payer des hommes libres. Les travaux furent partout
confiés à des esclaves, surtout aux Noirs amenés si
souvent sur les marchés que leurs prix demeuraient bien
plus bas que ceux des Blancs. Appréciés aussi pour la
vigueur de leurs bras, réputés plus soumis, ils
convenaient parfaitement et, de fait, l’on ne trouve que
très rarement, jamais pourrait-on dire, des esclaves
slaves, turcs ou tcherkesses sur ces grandes entreprises
esclavagistes. Seulement des Noirs, Zendjs ou Soudans.
Seule la traite négrière, traite massive, a permis dans
les pays d’islam, quelque neuf cents ou mille ans avant
les plantations coloniales des chrétiens d’Occident aux
Antilles et en Amérique, le développement de ces
cultures spéculatives sur de vastes échelles et à moindre
frais. Tous les trafics de ces fruits de luxe, vendus à haut
prix souvent très loin des lieux de récolte, le sucre, le
coton, les meilleures dattes et certaines épices, tel le
clou de girofle, ne furent possibles que grâce à
l’esclavage, essentiellement sinon exclusivement à
l’exploitation des Noirs d’Afrique. Une part non du tout
négligeable de l’économie marchande, des échanges à
longue distance et, en somme, de la fortune des grandes
métropoles des pays d’islam, en Egypte et en Asie,
demeura tout au long des temps, étroitement tributaire
de ce trafic du bétail humain, de plus en plus important,
sans cesse renouvelé, étendu à d’autres territoires.
Les entreprises agraires qui ne vivaient que par cette
exploitation cruelle d’hommes d’autres races et d’autres
origines ne sont pas toutes connues, et encore moins
décrites d’un peu près. Au fil du récit, mais là encore sans
s’y attarder, certains auteurs, voyageurs plus curieux que
d’autres ou passant par là, citent les plantations de
dattes en Mésopotamie, sur les terres émergées de la
région de Bassorah dès les années 700, en Iran autour de
Bender Abbas sur le golfe d’Ormuz, dans une île sur la
côte appelée le Moghistan, ou encore, dans le sultanat
d’Oman, sur la plaine littorale Al-Batinah, à l’ouest de
Mascate. Ce n’était pourtant pas l’essentiel et ces
palmeraies, irriguées, bien entretenues, ne pouvaient, ni
pour l’étendue, ni pour le nombre d’ouvriers, se
comparer aux immenses territoires voués à la canne à
sucre. Nulle entreprise n’appelait autant d’esclaves que
les plantations de canne.
La canne à sucre et l’esclavage
Pendant des siècles, tout le sucre vendu et consommé
dans l’Europe chrétienne venait du monde musulman.
C’était un produit cher, tellement cher que l’on ne s’en
servait pas pour donner un meilleur goût aux aliments ou
pour les conserver ; pour cela, on se servait du miel, très
apprécié en ses diverses qualités, offert sur tous les
marchés à bas prix. Pour quantité de mets et de
boissons, on utilisait aussi très souvent des épices, mais
en petites quantités. Le sucre était, en Occident, plutôt
considéré comme un médicament, aux vertus plus ou
moins assurées, et servait surtout d’excipient pour la
préparation des sirops et des pilules.
Les mercuriales, ces listes de prix très longues et très
précises préparées et mises en forme par les commis ou
les associés des grandes compagnies de commerce, de
Toscane et de la Hanse germanique, par exemple,
donnaient, sans faute jamais et très soigneusement, les
cours des sucres de diverses origines, produits plus ou
moins élaborés, en poudre ou en blocs, raffinés ou non,
dits alors de deux ou de trois « cuites », et ces prix
figuraient toujours juste à côté de ceux des épices les
plus appréciées. Ces sucres venaient toujours d’Orient,
chargés dans les ports de Syrie ou d’Egypte. A partir des
années 1400, on en achetait aussi dans le royaume de
Grenade où la culture de la canne, celles du mûrier pour
l’élevage des vers à soie et des vignes pour les raisins de
haute qualité vendus séchés, toutes cultures
spéculatives, avaient pris une telle expansion que l’on y
négligeait le blé et le riz, à tel point que ce pays fertile
entre tous devait importer des grains d’Afrique du Nord.
Les chrétiens, pour leur part, malgré d’importantes
sollicitations du marché, n’en produisaient pas ou très
peu. Ils avaient, au XIe siècle, faute de disposer d’une
main-d’œuvre nombreuse, abandonné la culture de la
canne dans la Sicile reconquise sur les musulmans. Ce
n’est que beaucoup plus tard, dans les années 1460, que,
près de Valence, dans la huerta de Gandia, la compagnie
allemande de Ravensburg fit assécher les terres de vastes
plantations et travailler les champs de canne par des
esclaves noirs. Dans le même temps, d’autres tentatives
échouèrent là où il fut impossible d’user du travail des
esclaves : en Algarve notamment et dans les îles
Canaries, à Ténériffe où les colons venus de Ligurie,
encouragés par les négociants de Gênes, ont irrigué des
parcelles de terres, construit des moulins et recruté de
force des travailleurs indigènes, des Guanches, réduits à
l’état de servitude, mais où ces travaux furent bientôt
abandonnés lorsque les Rois Catholiques d’Espagne
eurent interdit l’esclavage des Guanches.
En pays chrétiens, la production sucrière ne connut
vraiment de grands succès que dans les îles portugaises
de l’Atlantique. Le premier chargement de sucre de
Madère était débarqué à Bristol en 1456 et ce sucre
alimenta dès lors un fort courant d’exportation vers le
Portugal, la Flandre et l’Angleterre. Mais c’était une
petite culture, très soignée, qui ne faisait généralement
pas appel à une main-d’œuvre servile. L’emploi presque
exclusif de moulins à bras pour presser la canne
augmentait encore les prix et le sucre Madère fut, à
partir des années 1505 environ, incapable de
concurrencer le sucre, sucre des esclaves noirs celui-là,
de l’archipel de Saõ Tomé, autre possession portugaise
découverte en 1471 par deux chevaliers navigateurs. Une
première tentative de peuplement avait échoué
en 1486 et, dix ans plus tard, en 1496, précisément afin
d’y développer la culture de la canne, le gouverneur,
Alvaro de Caminha, puis le roi y favorisèrent l’installation
de centaines de colons et y firent déporter les
condamnés et les rebelles, chrétiens et juifs. Ces
Portugais de Saõ Tomé et de l’île voisine de Principe
trouvèrent là des terres riches, un bon climat, beaucoup
d’eau pour l’irrigation et se mirent vite en quête
d’acheter des Noirs d’Afrique. En 1512, Saõ Tomé
comptait soixante exploitations sucrières employant
chacune, en moyenne, trois cents esclaves. Certains
colons ont brillamment réussi, se sont trouvés à la tête
de vastes plantations tandis que les armateurs et
capitaines trouvaient sans mal en Afrique noire, sur le
littoral ou dans les postes de traite sur les rives des
fleuves côtiers, des marchés et des ports
d’embarquement. Ce fut bientôt une routine et les
Portugais, juifs et chrétiens, fils des déportés dans les
îles, furent les tout premiers, dans le monde occidental, à
pratiquer sur une grande échelle la traite maritime des
Noirs d’Afrique. Ce trafic, provoqué par la mise en
culture des terres vierges et la chasse aux hommes pour
les travaux des champs, les moulins et les raffineries du
sucre, fut ainsi à l’origine de la plus ancienne et de la plus
durable des grandes traites atlantiques. Pour la seule
année 1522, nous sont restés deux livres de bord qui
indiquent très exactement les démarches à terre, les
négociations et les opérations de troc, puis
l’embarquement des captifs, les pertes au long du
voyage, et témoignent que ces pratiques étaient déjà
bien assurées, tout ordinaires391. La traite atlantique –
traite des Noirs – fut effectivement, et nos manuels ne
se trompent pas sur ce point, intimement liée à la mise
en valeur spéculative de terres nouvelles et au
développement de plantations pour le meilleur profit des
colons, à la culture de la canne pour tout dire. Mais là où
les historiens et les fabricants de livres de classe se
trompent c’est lorsqu’ils ne parlent que de la
colonisation des Antilles aux XVIIe et XVIIIe siècles et
négligent les colons portugais de Saõ Tomé.
Dans le monde musulman, la culture de la canne fut
aussi, mais là dès les années 680, à l’origine d’un
extraordinaire développement de la traite des Noirs.
Pour être encore plus rentables, les plantations de canne
devaient occuper des terres acquises bon marché,
généralement incultes, soit des portions de désert à
irriguer, soit, plus souvent, des marais dans le lit ou le
delta d’un fleuve, gorgées de sel, terres recouvertes de
croûtes siliceuses. D’où l’obligation de rassembler, pour
simplement préparer le sol, encore plus d’esclaves. C’est
ainsi que fut entrepris et poussé jusqu’à terme, avec, il
est vrai, des fortunes diverses, le drainage de plusieurs
petites plaines littorales de l’Ifriqiya392 et, sur une bien
plus vaste échelle, l’assèchement des marais en basse
Mésopotamie.

Les marais de l’Euphrate :


grande misère et révoltes des Zendjs

Les initiateurs et les véritables chefs d’entreprise de la


mise en valeur des terres incultes, parfaitement stériles
et insalubres, meurtrières même à cause des fièvres,
étaient tous, dès le début, de riches négociants, hommes
d’affaires avisés et, de plus, hommes de conseil dans
l’entourage du calife de Bagdad, grands officiers parfois.
Leurs capitaux et leurs relations privilégiées leur ont
permis d’acquérir de vastes territoires dans les marais du
delta du Tigre et de l’Euphrate. Ils ne prenaient pas
même la peine d’acheter ces marécages dont on ne
voyait qui aurait pu y revendiquer des droits de
propriété. Un des hadiths (récits, sentences du Prophète)
disait tout net que « celui qui vivifiait la terre en était
propriétaire ». Ces magnats se sont donc engagés dans
des bonifications d’étonnantes ampleurs, menées sans
répit, et tout naturellement commencèrent par acheter
aux trafiquants, aux marins et aux négociants caravaniers
des milliers de Noirs, Zendjs d’Afrique orientale et Noirs
du cœur de l’Afrique, aussitôt conduits sur ces
marécages encore à demi envahis par les eaux
saumâtres. Il fallait creuser le sol, enlever la couche de
natron, le charger sur des mulets ou sur de légères
embarcations pour rassembler cette récolte
nauséabonde en des tas « aussi grands que des
montagnes ».
Les esclaves, que l’on nommait tous Zendjs sans
nullement prendre soin de les distinguer les uns des
autres, se révoltèrent une première fois, après
seulement quelques années de labeur, en l’an 689.
Armés de gourdins ou de houes, formés à la hâte en
petites bandes sans liaisons entre elles, sans chefs
capables de les mener au combat, ils se contentaient de
piller les villages et les navires surpris sans défense. La
rébellion ne mit nullement en péril la paix sociale du pays
ni l’avenir des chantiers. Les esclaves furent vite
dispersés, les prisonniers décapités, leurs cadavres
pendus aux portes des cités. Quelques années plus tard,
en 694, dans ce même pays de marais, d’autres Noirs,
gardiens de troupeaux venus du Sind dans l’Inde, crièrent
leur misère et leur colère contre leurs maîtres, se
révoltèrent et, rejoints par des esclaves fugitifs, africains
ceux-ci, rassemblèrent des troupes. Sous le
commandement du « Lion des Zendjs », chef de guerre
entré aussitôt dans la légende, ils infligèrent une lourde
défaite à une première armée envoyée de Bagdad. La
révolte ne fut écrasée qu’après une seconde offensive.
C’était déjà la guerre sociale, levée en masse d’hommes
soumis à un sort insupportable, révolte parfaitement
spontanée sans que nul ambitieux, parmi les Blancs et les
maîtres, ait cherché à en tirer profit, à les mettre au
service d’un quelconque dessein politique ou religieux.
Les Noirs ne reprirent vraiment les armes pour un
soulèvement de grande ampleur que près de deux cents
ans plus tard, en 869, lors de la terrible guerre des
Zendjs, dont nos livres ne parlent pas ou très rarement.
Nos auteurs, en Occident, fascinés seulement par
Spartacus et les esclaves de la Rome antique, ne se
résignent pas volontiers à évoquer ces terribles et
sanglants affrontements, reflets pourtant d’une société
délibérément esclavagiste, cruelle, méprisante pour les
hommes de couleur. Nos révolutionnaires, en France et
ailleurs, se sont bien sûr recommandés de Spartacus et
en ont fait un héros. Pour les musulmans esclavagistes
du IXe siècle, c’est une autre affaire ; aucun de nos grands
esprits n’a, depuis le temps des Lumières, crié au crime
et fait frémir les foules en évoquant le martyre des
Zendjs. Nous savons choisir.
Pourtant, pendant quatorze années les révoltés ont
défié et vaincu les armées du calife envoyées de Bagdad ;
ils ont pris et ruiné la ville de Bassorah, fait des milliers
de prisonniers, mis sur pied un véritable Etat avec ses
officiers et ses chefs de troupe, étendu leur pouvoir sur
les populations de districts entiers.
Certes, la rébellion des Noirs en Mésopotamie, comme
d’autres en plusieurs autres régions, traduit sans doute
plus qu’un malaise social, plus que le seul refus d’une
intolérable misère. Le pays souffrait alors de graves crises
politiques. A Bagdad, livrée à l’anarchie après le meurtre
du calife al-Mutawakkil, quatre califes se sont succédé en
neuf années, de 861 à 870, tous quatre vrais fantoches
aux mains des officiers turcs de la garde prétorienne. Les
gouverneurs des provinces ne tenaient pas le pays en
main et partout affrontaient de profonds
mécontentements ou des rébellions armées. A l’est, les
Saffarides, dynastie fondée par Ya’qab al-Saffas (863-
902), s’étaient proclamés indépendants du califat ; ils
régnaient sur les hauts plateaux du Kurdistan, sur le Fars,
au sud de l’Iran, et le Sind, au bord du golfe d’Oman. Les
Quarmates, secte fondée par un simple paysan d’Irak qui
prêchait un égalitarisme social absolu et rassemblait
nombre d’ouvriers et de paysans, prirent Bahrein ; ils en
firent la capitale d’un nouvel Etat, attaquèrent la Syrie,
rançonnèrent Damas, massacrèrent les habitants de
Baalbek et furent sur le point de s’emparer de Bagdad et
de renverser le califat. Bassorah, ses négoces en pleine
expansion, vivait des temps de grands désarrois. Les
théologiens et les chefs religieux ne cessaient de
dénoncer la richesse des parvenus, les interdits de l’islam
violés, la luxure et les mœurs corrompues, la pratique
devenue commune de l’usure. « Ces gens méprisent les
étrangers et ne manifestent envers ceux qui ne sont pas
de Bagdad que dédain et hauteur ; ils font des
transactions en rognure d’or mais aucun d’entre eux ne
ferait un prêt à Dieu. Dans cette ville, on ne dépense pas
un dinar qui ne soit rogné et donné en paiement par une
main qui fait trébucher la balance frauduleusement. On
ne trouve presque pas de scrupule et d’honnêteté chez
les notables. » Le luxe outrageant, ostentatoire et sans
aucune retenue pour les vêtements et les bijoux
soulevait l’indignation des censeurs et la colère des
petites gens : « Ils pensent que la plus haute gloire est de
laisser traîner les pans de son vêtement et ne savent pas
que selon le hadith attesté, ces pans traînent dans le feu
de l’enfer393. »
Alors que les « bandes noires » des financiers faisaient
la loi sur les grands domaines, les hommes au travail
affamés, les petits paysans réduits à de pauvres
ressources sur de rares parcelles et les esclaves
cantonnés par troupes sur les terres vierges criaient
maintenant leur haine et parlaient de détruire la cité,
refuge honteux de tous les vices.
Cependant, réduire cette révolte à une levée des
armes contre les impies, ou encore à une guerre de
classes, est, comme toujours ou presque en pareil cas, en
donner une image trop incomplète. L’homme qui parvint
à rassembler des milliers de combattants dont les
conditions et les intérêts pouvaient ne pas se rencontrer,
cet homme qui fut ensuite commandant des armées et
de l’Etat rebelle, n’était ni un Noir, ni un esclave, ni un
prédicateur inspiré appelant au respect de la Loi et à
l’abandon des injustices, mais un Blanc, homme libre,
chef politique ambitieux qui, lui, rêvait de se hausser au
plus haut des honneurs et, selon toute vraisemblance,
d’abattre le calife en place et toute sa dynastie.
Celui qui s’est fait reconnaître « maître des Zendjs » et
a effectivement conduit tout au long la rébellion, Ali ben
Muhammad, était un Arabe ; on ne connaît pas
exactement ses origines mais on le voit d’abord
apparaître à Samarra, poète à la cour du calife al-
Mu’tasim, occupé à enseigner aux enfants l’art d’écrire,
la grammaire et l’astronomie. De là, il se rend à Bahrein
(en 864) où il se prétend cousin, parent en tout cas, d’Ali,
gendre de Mahomet assassiné trois ans plus tôt. Il prend
la tête d’une faction, entre en conflit avec les autorités,
soulève une forte partie des habitants mais doit s’enfuir
dans le désert, rebelle, accompagné seulement d’un petit
nombre de fidèles. On le retrouve à Bassorah puis à
Bagdad puis encore en basse Mésopotamie. La capture
d’un muletier qui transportait la farine pour les chantiers
de dessalage lui vaut son premier contact avec les
esclaves noirs, les Zendjs qui dès lors formeront, et de
très loin, les plus forts contingents de ses troupes. De
telle sorte que sa propre aventure pour la conquête du
pouvoir devint alors la « Guerre des Noirs », alliés en
quelque sorte providentiels qui, jusqu’alors, lui étaient
complètement étrangers et dont il ne s’était jamais
préoccupé. Le 7 septembre 869, il proclamait
solennellement la révolte des esclaves et tout commença
par la libération d’un groupe de cinquante Noirs gardés
par un seul surveillant, lequel fut sur le champ roué de
coups de fouet, puis de cinq cents autres, puis, de proche
en proche, de plusieurs centaines et de dizaines de
milliers.
Les troupes mandées de Bagdad furent longtemps
tenues en échec. Le Huzistan – pays des marais du bas-
Irak, sillonné par une multitude de canaux où ne
pouvaient entrer les gros bâtiments chargés de troupes,
pays quasi impénétrable aussi pour de forts partis de
cavaliers – offrait d’innombrables refuges aux insurgés
qui se dispersaient aisément, introuvables, pour revenir
tendre des embuscades ou fondre par milliers sur les
guerriers éprouvés par les longs cheminements, les
fièvres et les maladies. C’était aussi un pays où, de tout
temps, régnait un brigandage endémique, où les pillards
guettaient le passage des navires, où les Bédouins du
désert venaient razzier les villages et les campements.
Cette guerre, pourtant, ne fut nullement une suite
d’engagements obscurs, mal connus, mal situés et mal
datés. Tout au contraire : plusieurs auteurs ont tenu un
registre parfaitement circonstancié de chaque combat,
prenant soin d’en fixer le jour exact, de le décrire, de
chiffrer les forces des uns et des autres, de montrer leur
façon de se rassembler et d’aller au combat. De telle
sorte que cette guerre, que l’on pourrait croire limitée à
des raids sans lendemain et sans ampleur, fut, à l’inverse,
une suite de campagnes et d’affrontements demeurés
très vifs dans les mémoires. Tout cela est parfaitement
connu. L’historien al-Tabari, contemporain des
événements, a consacré plus de trois cents pages de son
Histoire universelle à la Guerre des Zendjs394 et l’on sait
les noms de plusieurs autres auteurs dont les récits, tout
aussi précis sans doute, ont disparu. Par la suite, les
historiens, tant les musulmans que les chrétiens d’Orient,
n’ont cessé de s’y intéresser, de reprendre le film des
événements et d’analyser les circonstances : la liste des
travaux antérieurs au XVIIIe siècle, présentée par
Alexandre Popovic dans son livre tout entier consacré à
cette étude de la révolte, compte plus de cent titres.
En 869, une grande armée partie de Bagdad et
commandée par le général Abu Mansur fut taillée en
pièces dès la première rencontre. Peu après, le Turc Abu
Hilal marchait contre les Zendjs avec quatre mille
hommes. Les Noirs armés seulement de gourdins mirent
son avant-garde en fuite ; ils massacrèrent sur le terrain
plus de mille soldats et amenèrent dans leur camp autant
de prisonniers, aussitôt mis à mort, eux aussi. De
nouvelles troupes de Bagdad arrivèrent dès l’année
suivante puis régulièrement chaque année. De 870 à 873,
sous le commandement toujours d’un officier turc, elles
ont repris le contrôle de plusieurs villes que les Zendjs
avaient pillées mais n’ont jamais réussi à leur infliger une
défaite décisive. Les révoltés se comptaient de plus en
nombreux, ralliant à leur cause les paysans libres de la
région et même les pèlerins musulmans de passage dont
ils surprenaient et arrêtaient les barques. Ils
s’emparèrent aussi de vingt-quatre navires de haute mer
qui, de conserve pourtant et bien gardés, remontaient le
delta du Tigre vers Bassorah ; trois longs jours de pillage
leur valurent alors un énorme butin. Le 7 septembre 871,
à l’heure de la prière du vendredi, Bassorah, attaquée sur
trois fronts, tombait. Le maître des Zendjs, Ali ben
Muhammad, la leur avait promise : « Bassorah sera un
pain que tu mangeras de tous côtés et quand le pain sera
entamé de moitié, elle sera détruite395. » Ce qu’ils firent,
laissant ce nid de mauvais croyants, ce repaire des
luxurieux et des impies, complètement ruiné. C’est alors
qu’ils installèrent la capitale de leur Etat,
commandement militaire et siège d’une véritable
administration, dans la ville toute proche d’Al-Muhtara,
cité forte, entourée de hauts remparts.
Ali ben Muhammad régnait en maître absolu, ne
laissant aux Noirs que peu de droits et peu de décisions.
Il se donna lui-même le titre de Mahdi, s’affirmant
toujours membre de la famille du Prophète, appelé à
rétablir la Loi. Ce titre fut rappelé dans chacune de ses
proclamations et figurait sur les monnaies qui seules
avaient cours dans l’Etat rebelle. Il est clair qu’ici, à la
différence de ce que proclamaient souvent nombre de
prédicateurs, de chefs religieux réputés hérétiques, de
meneurs de rébellions sociales, il n’était nulle question
d’établir une société égalitaire où riches et pauvres,
puissants et soumis, ne devaient en rien se distinguer. Ce
fut tout au contraire une société sévèrement
hiérarchisée où les groupes ethniques et sociaux se
tenaient strictement séparés les uns des autres, chacun à
sa place. Ali ben Muhammad et les siens accaparaient
biens et richesses. Venaient ensuite, à un tout autre
niveau de pouvoir et de considération, ses proches
compagnons, puis les Zendjs, troupes de la première
heure maintenant libérées de leurs durs travaux, puis les
hommes libres, paysans, gardiens de troupeaux,
coupeurs de roseaux, bateliers et portefaix, hommes des
régions soumises ou occupées, enfin les prisonniers, les
Blancs, Turcs surtout, soldats des troupes califales
capturés lors des batailles et réduits à l’état d’esclavage
pur et dur. A ne considérer même que les Noirs, il ne
paraît nullement que leur révolte contre les maîtres,
provoquée sans aucun doute par la misère, les
souffrances et les humiliations d’une condition
insupportable, fut vraiment celle d’hommes qui se
dressaient horrifiés contre le seul fait de l’esclavage,
pratique honnie qu’ils auraient dénoncée de toutes leurs
forces et voulaient voir à tout jamais abolie. Libérés, ils
en vinrent tout naturellement à posséder eux-mêmes
des esclaves et rien n’indique qu’ils les aient traités
moins sévèrement qu’ils ne l’avaient été.
Les Zendjs proprement dits, c’est-à-dire les Noirs
d’Afrique orientale, ne formaient qu’une partie de
l’armée des révoltés, non vraiment fers de lance,
bataillons d’attaque mais plutôt groupes indisciplinés
lancés à la chasse au butin. Les autres corps comptaient
des Blancs, des Noirs d’autres régions de l’Afrique et
d’autres Noirs encore, déserteurs de l’armée du calife.
En décembre 879, al-Muwaffaq, frère du calife al-
Mutamid qui, à Bagdad, avait enfin restauré l’autorité de
l’Etat et l’ordre social, réunit deux fortes armées qui très
vite remportèrent de grands succès, prirent et rasèrent
plusieurs villes fortes, libérèrent des milliers de femmes
et d’enfants esclaves des Zendjs. Al-Muwaffaq mit le
siège devant la capitale des rebelles, et, près des murs, fit
construire une nouvelle ville pour abriter son
commandement et ses partisans ; cette grande cité
portait son nom, Al-Muwaffaqiyya ; faite non de tentes
mais d’édifices en dur, entourée d’imposants remparts,
elle comptait plusieurs marchés, des bureaux de change,
une grande mosquée, et fut vite peuplée d’artisans et de
négociants. Les vivres arrivaient régulièrement par
bateaux de haute mer alors que les assiégés souffraient
d’un dur blocus et les déserteurs, chez leurs officiers
surtout assurés du pardon, se faisaient de plus en plus
nombreux. On les comblait de cadeaux, aussitôt exposés
pour que les rebelles puissent bien les voir, tandis que les
têtes des prisonniers étaient entassées dans des
embarcations amenées jusqu’au pied des murailles de la
cité rebelle. Les Zendjs résistèrent pourtant à des troupes
que les chroniqueurs d’alors évaluent à quelque cinq
cent mille soldats.
En juillet 881, les hommes du calife réussirent à
pénétrer dans Al-Muhtara, capitale des Zendjs, mais, le
soir venu, furent incapables de s’y maintenir ; sur le
chemin du retour, leurs bateaux lourdement chargés
s’enlisèrent ; les assiégés reprirent une large part du
butin et des vivres qu’ils avaient perdus et tuèrent
encore un grand nombre de soldats. Et jour après jour ou
presque, pendant plus de deux ans, chaque assaut
échoua de la même façon : les assaillants mettaient le
feu aux maisons mais succombaient ensuite sous les
attaques de centaines d’hommes pour, en définitive, se
retirer. En mars 883 pourtant, ils prirent et incendièrent
le palais du maître des Zendjs et, le 11 août de la même
année, alors que cinq mille Zendjs avaient déserté, et
qu’Ali ben Muhammad était tombé mort, atteint d’une
flèche, ils prirent le contrôle de toute la cité. Mille Noirs
s’enfuirent dans le désert ; ils y moururent de soif ou
furent capturés et réduits en esclavage par les Bédouins.
Les chefs victorieux firent une entrée triomphale dans
Bagdad enfin délivrée d’une terrible menace. Les poètes,
à la cour comme à la ville, rivalisaient d’enthousiasme
pour célébrer l’événement et accablaient de louanges
leurs chefs de guerre enfin triomphants.
Les historiens musulmans furent bien incapables de
chiffrer, même à beaucoup près, le nombre de morts lors
de cette révolte des esclaves, qui fut aussi une guerre
pour le pouvoir ; certains parlent de cinq cent mille,
d’autres de plus de deux millions.
Le principal et plus spectaculaire résultat de la
rébellion fut certes la disparition de ces chantiers où les
Noirs travaillaient si dur et vivaient si mal, exploités de
façon inhumaine. Ce fut aussi l’abandon des entreprises
de dessalage des terres du marais et, dans une large
mesure, de la culture de la canne à sucre dans cette
région. Les Zendjs survivants, toujours esclaves bien sûr,
furent presque tous enrôlés dans les troupes du calife.
Sans l’appui ou, plutôt, sans la prise en main par des
chefs arabes de haut lignage aidés par de nombreux
compagnons, parents, membres de leur tribu, sans cette
entreprise subversive des ambitieux lancés dans
l’aventure pour prendre Bagdad et le califat, cette levée
en masse des opprimés, cette guerre « sociale » aurait-
elle pris tant d’importance et ruiné la paix de l’Etat
pendant si longtemps ? On doit en douter : en 885, deux
ans seulement après la fin de cette grande guerre, dans
la région de Wasit sur le Tigre et plus au nord, les Zendjs
à nouveau révoltés mais réduits à eux-mêmes, sans
aucune sorte d’alliance ni de complicité chez les Blancs,
furent immédiatement défaits, leurs chefs, non cette fois
des musulmans, grands seigneurs, mais des Noirs pris
parmi eux, finirent égorgés un par un, les autres soumis à
d’atroces supplices. Près de deux siècles plus tard,
en 1146, cinq cents Noirs esclaves qui faisaient paître les
chevaux de leurs maîtres sur des herbages hors du Caire,
prirent les armes, se proclamèrent libres, sujets d’un Etat
indépendant. Etat minuscule bien sûr, quelque peu
fantôme… mais ils n’en désignèrent pas moins un des
leurs comme sultan, assis sur un trône dans un pavillon
dressé à la hâte ; ils nommèrent ensuite un vizir et
plusieurs grands officiers, un commandement en chef de
l’armée, et même des gouverneurs à Damas et à Alep.
Mais ils ne firent rien d’autre que de s’emparer d’une ou
de deux caravanes chargées de grains et ne tardèrent pas
à s’opposer en clans ennemis, ce qui mit fin à l’aventure.
Il paraît évident que la grande guerre des Zendjs de 869-
883 fut d’abord politique, fruit de compétitions
acharnées pour le pouvoir, les esclaves noirs entraînés
ensuite, certains diraient convaincus sans trop savoir
pourquoi, manipulés en somme pour servir les ambitions
des chefs arabes.
Les champs de mil du Songhaï
Dans l’Afrique noire, les guerres entre ethnies et entre
tribus, occasions de chasse aux captifs, et les razzias
chaque saison étaient largement pratiquées, tous les
auteurs s’accordent sur ce point, bien avant les
conquêtes des Egyptiens et des Marocains. Les rois et les
princes, les riches, conseillers et courtisans, officiers et
chefs de guerre, certaines femmes même, leurs favorites,
possédaient des centaines ou des milliers de travailleurs,
soumis à de durs travaux sur d’innombrables parcelles de
terre, réparties souvent en de nombreux villages ou
centres d’exploitation, disséminés sur de vastes
territoires.
L’an 1456, Alvise Cà da Mosto, navigateur vénitien,
explorateur des côtes du Sénégal jusqu’aux bouches de la
Gambie, décrit longuement la façon dont un des rois du
pays rencontré sur son chemin s’appropriait les femmes
de ses sujets et leur donnait, pour bien tenir leur rang,
terres et services d’esclaves : « Il peut avoir autant de
femmes qu’il lui semble, trente et plus, mais il tient plus
de compte des unes que des autres, selon la noblesse de
leur race et tige desquelles elles sont parvenues, et la
grandeur des seigneurs, leurs pères. Il les établit, à dix ou
douze ensemble, en des villages, ayant un certain
nombre de chambrières qui sont ordonnées pour leur
service, et telle ou telle quantité d’esclaves pour cultiver
les terres qui leur sont assignées396. »
Sur les terres incultes ou dévastées par la guerre et sur
celles récemment prises aux voisins, mises en valeur à
grandes peines, le roi et les seigneurs installaient des
troupes d’esclaves, ne leur laissant qu’une part minime
des récoltes, le dixième ou le quinzième généralement.
D’autres, plus généreux, leur accordaient le droit de
travailler pour eux-mêmes un ou deux jours par semaine.
Il semble évident que, dans plusieurs Etats d’Afrique
noire, ces esclaves voués aux travaux des champs étaient
à la base même de certains systèmes de production
agraire. Le bas prix d’une telle main-d’œuvre a seul
permis la mise en valeur de terres, sols ingrats et marais
des rives des fleuves, jusque-là laissées incultes faute de
bras. A tel point que l’un de nos historiens, étudiant ce
phénomène et s’interrogeant sur la présence de
nombreux esclaves en tel royaume et non ailleurs,
pouvait affirmer que le développement de l’esclavage
marquait, chez tel ou tel peuple, une étape dans
l’avènement d’une nouvelle société ou, pour le moins,
d’une forme d’économie et de production plus
« évoluée » ; en somme le passage à des structures plus
complexes que celles de la famille primaire ou du clan
étroit, et l’émergence d’un véritable Etat397. Ces
transformations furent, en effet, notamment accélérées
et renforcées par le triomphe d’un pouvoir fort,
centralisé, disposant de forts moyens et capable
d’étendre fort loin ses territoires de chasse. Ce fut le cas,
entre autres, pour la fédération de peuples du Fouta-
Djalon dont on a pu dire « qu’elle ne fut qu’une vaste
entreprise de traite d’esclaves et d’élevage des serfs au
profit des notables peuls398 ».
L’esclave, main-d’œuvre bon marché, peu exigeante,
représentait aussi le meilleur des investissements, le plus
sûr, le plus avantageux, à l’abri des mauvais hasards, et le
plus disponible à tous moments. Alors que le prix des
grains pouvait connaître de grandes fluctuations et que
leur conservation engageait des frais considérables et
pouvait connaître de mauvais hasards, alors que le bétail
devait être sans cesse surveillé et protégé, l’homme et la
femme esclaves, valeurs non périssables, pouvaient se
garder et se défendre eux-mêmes contre les maraudeurs.
Bons articles d’exportation, de haut prix, leur maître
pouvait les louer, les engager, les hypothéquer. Il s’en
servait pour les transactions, les échanges, les trocs, ou
pour payer ses dettes, comme d’une monnaie, de la
même façon que des coquillages, des étoffes et de la
vaisselle de cuivre. L’askia des Songhaï disposait des
enfants de trois tribus pour les échanger contre des
chevaux399. Monnaie donc très maniable et même
divisible : telle fille ne recevait en dot qu’un demi-
esclave, l’homme ou la femme travaillant dès lors en
deux lieux différents.
Ces pratiques qui suscitaient inévitablement un fort
trafic esclavagiste se sont trouvées souvent renforcées,
portées à un niveau bien plus élevé, dans ces mêmes
pays et royaumes lorsqu’ils furent convertis à l’islam et
que la traite prit une autre ampleur. Dans le Songhaï, au
temps des askias, la cour était approvisionnée par des
plantations royales de riz souvent éloignées de la ville,
cultivées chacune par une troupe de vingt à deux cents
travailleurs. A la même époque, les peuples et les villages
vassaux du roi (l’arta) des Gara, installé à Eda (Idah)400,
devaient lui payer un tribut en esclaves, tous les chefs de
famille donnant, chaque année, un des leurs, de sexe
masculin. Tous n’étaient pas vraiment des esclaves car
les souverains ne réduisaient à une misérable condition
servile, humiliante entre toutes, qu’une part des
populations soumises par leurs armes.
Sonni Ali imposa aux hommes et aux femmes des
tribus bambaras de Kassambara401 de mettre en valeur et
de cultiver deux coudées de terres en friche chacun mais
ces serviteurs du prince demeuraient libres, sans d’autre
marque de soumission que ce travail, sérieusement
contrôlé, et pouvaient se marier entre eux. L’askia
Mohammed exigeait, lui, que chaque famille tributaire
du Baghana ou du Bakounou lui donne chaque année les
unes dix, d’autres vingt ou trente mesures de farine.
D’autres villages fournissaient les pirogues et les
équipages pour la pêche sur le fleuve. D’autres devaient
au roi des serviteurs, familiers, domestiques ou
messagers, jeunes hommes pour l’escorte et l’apparat,
jeunes filles pour le service des épouses royales. Les
forgerons étaient taxés de cent lances et de cent flèches
par famille et par an402.
Les coupeurs d’herbe (tyindiketa) élevaient les
chevaux de guerre. D’autres transportaient l’herbe et la
paille sur des pirogues, de la zone inondée du Niger
jusqu’aux enclos royaux. Les palefreniers, experts et
excellents cavaliers, formaient une sorte de caste
privilégiée. Quelques-uns, comblés d’honneurs,
connurent d’insignes destins : el-Amin, engagé par
Mohammed Ier, fut « maître de la route », chef d’escorte
sous Ismaïl (1537-1539) ; Makaï, recruté par le pacha
Djoudar, en 1591, fit une brillante carrière dans l’armée
marocaine puis, trop exigeant et déçu, s’en sépara et,
rebelle, devint un véritable fléau pour les occupants,
lançant à plusieurs reprises ses bandes de partisans,
brigands sans merci, contre la ville de Djenné.
Les esclaves, eux, provenaient des mêmes tribus. Au
fur et à mesure que les campagnes du prince
s’étendaient plus loin, les villages d’esclaves établis sur
les toutes nouvelles plantations des rives du Niger
principalement, terres marécageuses qui, comme celles
de Mésopotamie, exigeaient pour leur assèchement et
leur assainissement une forte main-d’œuvre, devinrent
de plus en plus nombreux. Lors de l’installation du chérif
es-Seqli au Songhaï, Mohammed lui donna, en présent
de bienvenue, mille sept cents esclaves. La famille de ce
chérif ayant subi un deuil qui le privait de l’un de ses
chefs, l’askia Daoud fit présent à l’un des parents, Ibn
Qasim, de trois villages de Zendjs, peuplés chacun de
deux cents hommes ou femmes. Un peu plus tard, ce
même Ibn Qasim possédait six villages d’esclaves,
d’origines ethniques très variées, Bambaras, Soninkés,
Peuls, cultivateurs, pêcheurs et artisans. Seule cette
main-d’œuvre servile a permis la mise en culture
d’immenses plantations de terres régulièrement
baignées par le fleuve, champs de riz, d’orge et de coton.
Des troupes de surveillants sous la conduite d’un chef
régisseur, le fanfa ou faranfa, lui aussi d’origine servile,
menaient ces hommes au travail, investies de grands
pouvoirs et, au total, d’une grande liberté d’action, se
réservant une bonne part des profits. Certains réussirent
à rassembler d’étonnantes fortunes, propriétaires de
biens fonciers et même d’esclaves. Missakoulallah, dont
son prince, Daoud, disait qu’« il était saturé de richesses
au point qu’il ne cherchait qu’à se comparer aux askias et
à leurs fils », fit le pèlerinage de La Mecque et, au retour,
défiant tous les usages et interdits, eut l’audace d’aller
serrer la main du maître… qui, sans sévir le moins du
monde, l’affranchit sur le moment et accorda même la
liberté à cinquante esclaves de la tribu de son père, et à
cinquante autres de la tribu de sa mère. Autre chef
fortuné, Diango Mousa, encore esclave, fit, à sa mort, un
legs somptueux à son prince : cinq cents esclaves,
quatorze mille sacs de grains, sept troupeaux de bœufs,
trente de moutons, quinze chevaux dont sept coursiers
de race, des selles et trente étuis remplis de javelots403.

L’infamie, la honte

Captifs, hommes et femmes étaient des étrangers,


tenus pour et maintenus comme tels, soumis à de
sévères contraintes pour leur interdire de s’intégrer et
d’implanter une descendance. Ils venaient généralement
de très loin, jamais des pays voisins. L’habitude était, en
bien des pays, de vendre aussitôt ceux que l’on avait
capturés dans des villages proches pour en acheter
d’autres, de provenances plus lointaines404. C’est
pourquoi, en Afrique principalement, l’économie
esclavagiste s’est tout naturellement inscrite dans un
espace de plus en plus étendu, mettant en place un
système de plus en plus complexe de marchés et de
transports, de lieux d’étape et de soins divers, éducation
et présentation pour les femmes, castration pour les
hommes.
La distance fut, dans cette mise en condition
d’isolement et d’infériorité du captif, un élément décisif
de son aliénation. Lorsque la fuite devenait impossible,
« après un jour ou plus de marche forcée avec leurs
ravisseurs, privés de nourriture et d’eau, les esclaves en
viennent parfois à perdre l’espoir d’être sauvés et à être
presque reconnaissants de recevoir à boire405 ». Ils ne
retrouvaient jamais leur dignité d’homme mais
demeuraient, dans la société, des êtres juridiquement
inférieurs, marqués de graves incapacités. Exclus des
fonctions religieuses, leur témoignage n’était pas retenu
en justice ; ils ne pouvaient signer de contrat et pas
davantage hériter d’un bien. L’amende pour offense à
leur endroit était la moitié de celle des hommes libres406.
Lors des conquêtes ou des razzias, il arrivait souvent
que les guerriers tuent les hommes et les femmes âgées,
pour ne ramener que les jeunes femmes et les enfants.
Les chefs de guerre, les princes et les seigneurs savaient
qu’elles étaient plus habiles et expertes aux travaux de la
terre, ayant, dans leurs villages et dès leur plus jeune
âge, accompli le plus gros des tâches, semailles, travail à
la houe et récoltes. Pour les présenter sur les marchés,
les trafiquants usaient de toutes sortes d’arguments. Ils
les disaient plus résistantes à l’effort et plus résignées à
leur sort et soumises aux ordres. On les préférait même
pour les portages sur de longues distances, robustes et
ne cherchant ni à fuir ni à se rebeller. Dans les forêts ou
dans la brousse, les marchands responsables des
caravanes prenaient soin d’entraver et de surveiller de
près les hommes captifs tandis que les femmes restaient
libres de leurs mouvements, chargées d’énormes
fardeaux de grains et d’enfants407. Mais elles
demeuraient désespérément seules, humiliées, comme
d’un autre monde. Sur les domaines des maîtres, elles
vivaient sans liens sociaux d’aucune sorte, sans famille et
sans enfants. A la différence d’autres maîtres en d’autres
sociétés esclavagistes, les leurs ne se préoccupaient
généralement pas d’assurer la reproduction
démographique de leur main-d’œuvre. Alors que les
femmes libres étaient appréciées pour donner une
nombreuse descendance, les esclaves ne l’étaient que
pour leur travail. Interdites de mariage, si elles
devenaient mères malgré tout, leurs enfants pouvaient
leur être enlevés. En fait, dans les pays d’islam,
« l’exploitation esclavagiste écartait nécessairement
l’exploité des rapports sociaux qui font la parenté et
donc la citoyenneté408 ».
L’esclavage était donc, dans ces pays d’Afrique,
royaumes islamisés ou non, naturellement considéré
comme un malheur, pire, comme une tache que rien ne
pouvait effacer. L’homme le plus misérable des tribus les
plus pauvres n’aurait pas épousé une femme esclave409.
Dans les années 1880, les hommes libérés par les
administrations coloniales n’ont pas volontiers regagné
leur communauté d’origine. Non parce qu’ils s’en
trouvaient trop éloignés ou se plaisaient là où les hasards
des captures et des marchés les avaient contraints de
vivre, mais par crainte d’affronter les regards.
CONCLUSION

Aucun historien n’a, depuis plus de deux cents ans, nié


l’horreur de la traite négrière. C’est bien ainsi. Mais
vraiment très rares sont ceux qui sont allés jusqu’à en
étudier ou même simplement en évoquer les différents
aspects en différents moments. Ils s’en sont tenus aux
Européens, aux armateurs et aux négociants français de
Saint-Malo, de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. De leurs
sinistres « voyages triangulaires » à travers l’Atlantique
pour porter les Noirs aux Antilles, tout fut décrit, chiffré
tant bien que mal, livré ensuite et largement exploité par
les sociologues et, plus encore, par les romanciers. Quel
livre d’histoire maritime et quel récit d’aventures
pouvaient ne pas décrire les drames de la traite, des
marchés, des sordides cantonnements et des traversées
à fond de cale ? Mais, des musulmans et des Africains
eux-mêmes, convertis ou non, pas un mot ou presque :
l’on ne s’aventurait qu’à pas comptés. L’histoire de
l’Afrique s’est écrite sans que l’on veuille vraiment porter
attention à cette traite, la première pourtant et la plus
importante de toutes.
Les auteurs assez indépendants pour écrire sur
l’esclavage dans les pays d’islam, tels Meillassoux
(Anthropologie de l’esclavage, 1977) et Gordon
(L’Esclavage dans le monde arabe, VIIe-XXe siècle, 1987),
n’ont trouvé que de faibles échos, ignorés des fabricants
de manuels ou d’ouvrages plus généraux. Le refus de
parler vrai et, surtout, la complaisance qui consiste à
n’accuser que les hommes de son pays, de sa
communauté de culture et de religion ont pendant
longtemps inspiré les travaux, français et anglo-saxons
notamment, qui, tous, ont régulièrement affirmé que
seule la traite atlantique des chrétiens aux XVIIe et XVIIIe
siècles avait dépeuplé l’Afrique. Les musulmans ne
seraient vraiment intervenus que plus tard et, au total,
leur action serait demeurée sinon tout à fait négligeable,
du moins très inférieure, bien moins dévastatrice que
celle des chrétiens. Le Dictionnaire encyclopédique
d’histoire de Michel Mourre, édition de 1986, consacre
plus de quatre grandes pages à l’esclavage et présente,
en fait, trois articles séparés : l’un sur l’Antiquité
romaine, un autre, plus important, sur la traite atlantique
et coloniale des chrétiens, et un autre sur les
mouvements d’émancipation. Rien, absolument rien sur
les musulmans. Les trafiquants et les caravaniers de
l’Islam, actifs pendant bien plus d’un millénaire, n’ont
tout simplement pas existé.
Les recherches et les mises au point certes très
courageuses mais tout de même incomplètes de Serge
Daget410 (il ne parle des Portugais que pour les tout
premiers temps et encore moins des Américains associés
à la grande traite atlantique ; le mot « Juif » ne figure pas
à l’Index de l’ouvrage) n’ont pas fait sensiblement
modifier les manières d’écrire et encore moins celles de
discourir, dès qu’il s’agit d’une tribune publique. Le livre
plus récent de Bernard Lugan, où le problème de
l’esclavage africain est magistralement replacé dans son
contexte, devrait, lui aussi, faire prendre davantage
conscience de ce que fut la traite musulmane et remettre
quantité de fausses idées en place411.
De vrais savants de nos pays ont beaucoup étudié la
religion, la civilisation et la société islamiques, et, pour
cela, traduit un nombre considérable de textes arabes ou
persans, de toutes sortes, chroniques et histoires,
romans, drames, contes et recueils de vers, certains
n’étant même que des œuvres mineures dont l’intérêt
pouvait paraître très limité. Mais ce ne fut jamais pour
aborder l’étude en profondeur des sociétés et la place
des esclaves dans la cité musulmane. Le traité d’Ibn
Butlan sur l’esclavage, ce guide écrit à l’intention du
commun des clients pour qu’ils sachent mieux choisir
l’homme ou la femme proposés à la vente sur les
marchés, ne fut pas traduit et est demeuré comme
inconnu. Texte essentiel pourtant qui, à en croire les
rares passages tout de même recopiés ici et là en des
ouvrages d’érudition, donne de remarquables précisions
sur la façon dont les esclaves, blancs et noirs, étaient
appréciés et plus ou moins recherchés ; précisions aussi
sur les prix, sur les procédés des trafiquants pour
tromper les clients ; sur les aptitudes des malheureux, ou
aux services domestiques, ou aux jeux de l’amour. En
somme un véritable manuel pour bien conduire une
main-d’œuvre servile ou l’exploitation sexuelle des
jeunes femmes. L’auteur n’était pas un homme de peu,
personnage obscur ou de sinistre renommée. Tout au
contraire : un médecin de grande réputation, habitué des
cénacles savants, écrivain de qualité estimé pour une
dizaine d’ouvrages. Nos spécialistes du monde
musulman, historiens de la langue ou de la société, ne
l’ont pas ignoré ; ils ont traduit et commenté un autre de
ses ouvrages, son Tacuinum sanitatis, ce traité sur les
propriétés thérapeutiques des plantes, maintes et
maintes fois recopié, retraduit, démarqué par la suite.
Mais non son guide pour bien choisir ses esclaves.
Sur les mille et une filières du trafic des esclaves en
Afrique, toutes aux mains des négociants et des
caravaniers musulmans, nous recevions pourtant, du
moins pour une période très tardive, quelques échos :
récits circonstanciés des explorateurs et des
missionnaires, tels ceux de Livingstone (1813-1873) qui
courut de grands risques et consacra les dernières
années de sa vie à dénoncer et à traquer les maudits
chasseurs d’hommes ; journaux des commandants des
armées lancées en Afrique occidentale à la poursuite des
rois tyrans et des capitaines de vaisseaux qui, en mer
Rouge, tentaient d’intercepter les boutres arabes et leur
arracher leur bétail humain. Rien n’y fit. Ces hommes,
visiblement, n’étaient pas crédibles : Blancs donc
suspects ; hommes d’Eglise naïfs, prêts à porter crédit
aux légendes, ou, pires que tous, militaires, affreux
colonialistes qui ne songeaient nullement à libérer des
captifs mais portaient mort et misère au cœur de
sociétés jusque-là paisibles.
C’est de propos délibéré, consciemment, que les
auteurs se sont alignés sur des schémas conventionnels,
modèles de discrétion. Certains y ont mis bien de la
naïveté, ou l’ont fait croire, mais d’autres beaucoup de
mauvaise foi, allant jusqu’à taire ce qu’ils savaient
évident ou faire dire aux textes ce qu’ils ne disaient pas.
Freeman, savant incontesté, érudit, homme de terrain
aussi sur les champs de fouilles, si attentif à dater
exactement les moindres monnaies des comptoirs
musulmans d’Afrique orientale et à reconstituer les
généalogies des sultans, ne s’intéressait pas aux esclaves.
Plutôt, il voulait les ignorer et prétendait, sans sourciller,
que sur le littoral, au sud de Mogadiscio, les musulmans
n’avaient certainement pas pratiqué la chasse aux Zendjs
avant l’arrivée des Portugais. Le grand trafic de cette
côte se limitait, écrit-il, à une sorte de cabotage du nord
au sud, de proche en proche entre Kilwa, Mogadiscio,
Malinde, puis Mombasa et Pate. Et là, ivoire et or, rien de
plus412. La chasse aux hommes, elle, ne fut nullement
source de négoces et de profits. Les éléphants et l’or,
mais pas les hommes. Ce qui lui permet aussitôt
d’affirmer que, dans l’ensemble, transsaharienne et
maritime, la traite musulmane est demeurée très
inférieure à celle des Européens, chrétiens, dans
l’Atlantique.
Par ailleurs, ce même grand spécialiste ne voit les
esclaves noirs dans le monde musulman d’Orient que
très peu nombreux, jamais employés en troupes pour de
durs travaux mais seulement et simplement pour le
service domestique chez les riches et pour le harem, en
quelque sorte objets de luxe. Il lui faut bien admettre
que la Guerre des Zendjs, révolte des Noirs en
Mésopotamie, dont parlent très longuement tous les
historiens musulmans eux-mêmes, n’est pas pure
invention et témoigne à l’évidence de la présence de
foules de travailleurs noirs sur les marais que de grands
propriétaires faisaient assécher. Mais c’est pour affirmer
aussitôt que ce fut là l’exception, comme une aberration,
triste et déplorable expérience absolument unique, qui a
échoué et qui, ces Noirs étant devenus trop
impopulaires, ne fut certainement jamais reprise par la
suite413 !
Les chercheurs eux-mêmes savaient encore, il y a
seulement une vingtaine d’années, rester fort discrets. Le
premier grand colloque sur l’esclavage tenu à Los
Angeles annonçait clairement l’intention et, s’entourant
de solides précautions, marquait bien les limites de
l’audace : on ne devait y débattre que de la traite
maritime atlantique. Mer Rouge et océan Indien
inconnus. Sahara de même. Bien plus sérieux, pas du
tout approximatif celui-ci, le colloque réuni à Nantes en
1985, sous la direction de Serge Daget, voulait évoquer
tous les aspects de l’esclavage en Afrique ; mais les actes,
publiés en deux forts volumes, au total trente-six
contributions, n’en comptent pas plus de trois
consacrées à la traite dans l’intérieur de l’Afrique, dont
deux aux razzias par les rois noirs ou par les musulmans,
l’un des deux auteurs étant un historien ivoirien,
professeur à l’université d’Abidjan.

APRÈS L’INTERDICTION

Les mêmes historiens qui s’appliquent à donner de ces


traites musulmanes une image fort acceptable, mirent un
soin égal à ne pas rappeler qu’elles ont persisté et se
sont sans nul doute largement développées alors que les
nations européennes, chrétiennes, s’engageaient à les
interdire. Les grandes plantations de coton d’Egypte,
productrices des célèbres « longues fibres », devaient
tout à l’exploitation des Noirs esclaves. L’installation du
sultan d’Oman à Zanzibar, en 1840, s’accompagna
aussitôt d’un extraordinaire développement du trafic
esclavagiste. Zanzibar et Pemba recevaient chaque année
de quinze à vingt mille Noirs, razziés pour la plupart très
loin à l’intérieur des terres. Certains étaient embarqués
sur les boutres arabes, menés dans les ports d’Arabie, du
golfe Persique et des îles Mascareignes ; mais le plus
grand nombre demeuraient sur place, à cultiver les
champs de girofliers, fortune des îles, sous la férule des
esclaves-chefs, les nakoas, de terrible réputation.
Dès 1849, on comptait environ cent mille esclaves à
Zanzibar et deux cent mille en 1860, sur une population
totale de trois cent mille habitants414.
A la même époque et sur le continent, les terres des
alentours de Malinde, alors pratiquement incultes et
délaissées, prises en main par des exploitants arabes, ont
connu en une dizaine d’années une étonnante
prospérité, au point de fournir en céréales de diverses
sortes toutes les villes et territoires de la côte orientale.
Là aussi, dans ce « grenier de l’Afrique », main-d’œuvre
exclusivement servile et donc traite des Noirs.
L’interdiction de la traite, officialisée en Angleterre en
l’an 1807 et huit années plus tard en France, en 1815, ne
fut certes pas immédiatement suivie d’effets et les
armateurs des puissances occidentales ne se résignèrent
évidemment pas à tout abandonner de leurs trafics. Pour
échapper aux contrôles, les Français firent armer des
navires dans les ports de la Martinique ou de la
Guadeloupe. Cent trente-neuf négriers furent tout de
même arrêtés par les croisières de surveillance.
Champions du mouvement antiesclavagiste activement
soutenus par plusieurs hommes politiques (W. Pitt,
Castlereagh, Canning), par la Société philanthropique de
Wilberfare, par la Church Missionnary Society et par le
gouverneur de la Sierra Leone, Maxwell, les Anglais se
heurtaient à de vives oppositions et eurent fort à faire à
traquer les délinquants. En 1819, la Marie, de l’île Saint-
Martin ou de la Guadeloupe, fut arraisonnée, portant
trois cent dix captifs dont soixante femmes, et la
factorerie de Thomas Sterne et des frères Curtis, qui sur
le rio Pongo, grand centre de cette traite illégale, les
avait livrés selon un contrat en bonne et due forme, fut
incendiée. L’an suivant, trois autres entrepôts de négriers
furent canonnés et détruits mais un officier anglais fut
tué sur le coup et six marins demeurèrent longtemps
prisonniers des forbans415.
« Lorsqu’elle s’attaquait à la traite dans les pays
musulmans, la Grande-Bretagne rencontra des difficultés
comme elle n’en avait pratiquement jamais connu avec
les Etats européens impliqués dans le trafic à destination
des Amériques416. »
A quelle date les trafiquants musulmans ont-ils cessé
leurs razzias et abandonné de si fructueux négoces en
Orient comme en Mauritanie ? Le 8 juillet 1842, le
lieutenant-colonel Robertson, résident officiel dans le
golfe Persique, écrivait une longue lettre en réponse à
une demande d’enquête sur le trafic des esclaves. Ceux-
ci, dit-il, viennent soit de la côte de Zanzibar et ce sont
les Seedee (Zendjs ?), soit de l’Abyssinie et des ports de la
mer Rouge et ce sont les Hubshee. Ils ne sont que très
rarement razziés par les patrons des navires ou par les
marchands eux-mêmes, mais par des hommes employés
à les rechercher, les capturer ou les acheter, loin à
l’intérieur. Les principaux ports qui reçoivent ces Noirs
sont Muscat et Sour ; de là, on les expédie en Turquie, en
Perse, dans les Etats arabes, dans le Sind et jusque sur la
côte occidentale de l’Inde, sur des navires dont la plupart
sont armés en Arabie et qui effectuent un trafic de
cabotage, de proche en proche. La Turquie en est de très
loin le principal client, les grands marchés sont à Bagdad
et à Bassorah. La saison, dans le golfe Persique, est du 1er
août au 1er décembre. Dans Bushire417 et dans les autres
ports de la Perse, il n’est pas de dates fixes pour les
ventes ; à l’arrivée du navire, le négociant loue un local
dans l’un des caravansérails où il expose ses captifs. Si le
marché s’avère saturé et les profits trop faibles, il
expédie ses esclaves pour Bassorah ou Bagdad où il est
certain de bien gagner et vite. Robertson dit aussi la
difficulté de se fier aux registres de douanes du golfe
Persique mais évalue les ventes chaque année à au
moins deux cent cinquante esclaves à Bushire, trois cent
cinquante à Linger, trois cents à Gombroom et Bunder
Abbas, cent cinquante à Congoom, soit un total de mille
cinquante418.
Quelques années plus tard, le sultan de Tunis
interdisait le trafic des Circassiens… mais ne disait rien
des Noirs, et il est clair que la traite négrière s’est
maintenue encore pendant longtemps dans plusieurs
pays où les contrôles demeurèrent sans effet. Cette
traite « court comme un fil écarlate dans tout l’histoire
de l’Afrique de l’Est jusqu’à nos jours419 ». De même, à
l’ouest, jusqu’aux rives de l’Atlantique : les chapitres
consacrés à l’Afrique, dans la Géographie universelle
d’Elisée Reclus publiée en 1854, citent encore plusieurs
grands postes de traite fort actifs : Mourzouk, dans le
Fezzan, « grand marché d’esclaves et importante étape
pour les caravanes », Kouba, dans le Darfur, ville animée,
centre d’un commerce actif, « surtout d’esclaves noirs »,
et, bien sûr, tout à l’ouest, Sijilmasa, d’où « chaque
année les Egyptiens ont fait, jusqu’à ces derniers temps,
des chasses hideuses aux nègres qui habitent les pays du
Sud ». Et de noter aussi que « la Côte des esclaves, du rio
Volta à la rivière de Lagos, doit son nom au triste
commerce qui s’y fait encore malgré les surveillances des
croisières européennes ». Ces mêmes années, lors des
expéditions de Barth, dans certaines zones du Bornou ou
du Kanem, les esclaves représentaient le tiers voire la
moitié de la population et tout noble peul avait encore
ses villages d’esclaves420.
Des chasseurs d’esclaves exerçaient encore leurs
sinistres commerces dans les premières années du XXe
siècle, dans les pays du Niger où, en 1906, l’émir du
Kontagora jurait qu’en cas de capture par les Anglais « il
mourrait avec un esclave entre les dents421 ». En 1953,
dans une lettre adressée à Paris et lue à l’Assemblée
nationale, l’ambassadeur de France en Arabie saoudite
affirmait que des marchands établis à Djeddah ou à La
Mecque envoient en Afrique des émissaires naturalisés
saoudiens mais d’origine sénégalaise pour la plupart,
chargés de leur ramener un certain nombre d’individus
racolés dans les villages du Soudan, de la Haute-Volta et
du Niger ; Tombouctou, en particulier, serait un centre
souvent visité par ces tristes personnages qui, volontiers,
se présentent comme des « missionnaires » investis de la
délicate mission de conduire leurs compatriotes vers les
lieux saints de l’islam, afin de leur faire accomplir le
pèlerinage et de leur enseigner le Coran en arabe422.
Il est clair que la traite musulmane, mise en place
beaucoup plus tôt, s’est aussi éteinte bien plus tard que
celle des chrétiens. Elle a profondément marqué nombre
d’aspects de la société : « Au-dessous des Touaregs, il y a
dans les oasis des esclaves, les Imgh’âd, d’une race
dégradée, nombreux, presque noirs ; ils paraissent
descendre des populations primitivement berbères qui
se seraient mélangées avec des nègres et auraient été
plus tard subjuguées par les Berbères de pure race423. »
Et, au Bornou, dans les années 1890, le pouvoir se
trouvait tout entier aux mains des esclaves du palais, les
hacellawa424.

LE DÉPEUPLEMENT DE L’AFRIQUE

Ce fut pendant longtemps très ordinaire et ce l’est


encore que d’affirmer que l’esclavage fut seul
responsable et de la dépopulation de l’Afrique et de son
retard économique. C’était l’occasion de ne désigner que
les Européens du temps des « voyages triangulaires »,
Français et Anglais, de les charger, eux seuls, de tous les
maux. Et de réduire l’esclavage par les musulmans soit à
rien, soit à beaucoup moins ; en tout cas, ne jamais
admettre que le nombre des victimes de la traite
islamique ait été, au total, supérieur à celui des esclaves
vendus aux chrétiens.
Avancer des chiffres est s’exposer à bien des aléas.
Pour l’étude de l’esclavage en Afrique, la documentation
tant rêvée, tant sollicitée par les disciples de l’Histoire
quantitative, se révèle désespérante, souvent inexistante
ou quasi, en tout cas marquée par un énorme, un
monumental déséquilibre : d’un côté une masse de
contrats et de comptes, pour la France et l’Angleterre
(moins semble-t-il pour l’Amérique), de l’autre, chez les
musulmans de tous pays, absolument rien de précis pour
la traite transsaharienne et rien pour la mer Rouge ou
l’océan Indien avant le XIXe siècle. L’un des historiens qui,
à juste titre, refusait de se lancer en ces étranges
spéculations chiffrées, ne manquait pas de noter, entre
autres lacunes, insuffisances et déserts de
documentation, que « l’un des ports les plus actifs du
golfe Persique, celui de Sur, ne tenait aucun registre
douanier des importations d’esclaves425 ». Les registres
fiscaux de Zanzibar, les seuls répertoriés et, sans doute,
les seuls bien conservés de nos jours, ne datent que des
années 1850. De toute façon, comment prétendre établir
les moindres statistiques et bilans alors que ce trafic,
déjà plus ou moins clandestin et à certaines époques
surtout clandestin, échappant à tout contrôle, se trouvait
évidemment très diversifié, dispersé en de nombreux
ports, ancrages et marchés, aux mains de nombreux
trafiquants ?
Rien de solide. Rien non plus de serein dans ces
évaluations ni pour la traite atlantique, ni, non plus, pour
celle à travers le Sahara, infiniment plus diffuse. Toute
rigueur scientifique exclue, ne restaient que fantaisies ou
engagements et polémiques : « Les uns deviennent
scrupuleux à l’excès, faisant apparaître et disparaître
leurs nègres comme des quilles ; les autres, obsédés par
ces forêts d’hommes fossiles… se lancent dans des
hypothèses hardies et font parader des millions de
captifs en de flamboyantes processions funéraires426. »
Longtemps, on en est resté à ces acrobaties
statistiques. En 1990 encore, Serge Daget reprend et fait
siens les bilans établis quelque temps plus tôt par Mme
Coquery-Vidrovitch427. L’éminente spécialiste de
l’histoire de l’Afrique avait très exactement estimé le
nombre des victimes des trois grandes traites pour les
comparer les uns aux autres428 ; ce qui donne :
– Traite atlantique européenne : 49,91 % (sic).
– Traite transsaharienne des musulmans : 31,74 %.
– Traite orientale des musulmans : 18,36 %.
Encore que l’on ait, tout compte fait, quelque 0,1 % de
trop, cela autorise à renvoyer, à très peu près, chrétiens
et musulmans aussi coupables les uns que les autres, à
ne pas trop charger les pays d’islam.
Il semble bien que de telles aventures et élaborations
statistiques tentent encore un certain nombre
d’historiens ou d’auteurs d’articles dans nos journaux429.
Comment ne pas admettre que toute mise en chiffres
est, par force, de fantaisie ou de parti pris. Le simple bon
sens devrait pourtant inciter à prendre en compte une
réalité difficile à mettre en doute : la traite des Français
et des Anglais s’est maintenue pendant environ cent
cinquante ans et les traites musulmanes,
transsahariennes et maritimes, pendant quelque mille
deux cents ans et davantage.

PORTUGAIS, AMÉRICAINS ET JUIFS

Parler de la traite des chrétiens et taire les


musulmanes, ou les réduire à trop peu, était déjà
travestir la vérité. Fallait-il, de plus, pour cette traite
atlantique, ne citer que les armateurs de France ou
accessoirement d’Angleterre et ne rien dire des autres,
notamment des Portugais qui furent, et de très loin, les
plus actifs sur place, solidement implantés, agents d’un
commerce pionnier et maintenu en pleine activité bien
plus longtemps430 ? Arrivés les premiers sur les côtes
d’Afrique et sur les rives des fleuves, ils furent bien les
seuls, avec les Américains, à s’établir à demeure dans les
postes de traite à l’intérieur du continent, là où les Noirs
étaient livrés sur le marché bien plus nombreux
qu’ailleurs. Ces hommes n’étaient pas seulement
capitaines de navires jetant l’ancre pour de courtes
escales, le temps d’embarquer les esclaves que d’autres
Noirs leur vendaient, mais des résidents, chefs
d’entreprises florissantes, négriers au sol, propriétaires
de factoreries, d’entrepôts et même de troupes de
rabatteurs.
La forteresse de Saõ Jorge de la Mina fut certes
construite pour organiser et protéger le trafic de l’or
mais celui-ci entraîna très vite celui des esclaves, tout
aussi important. En décembre 1485, Jean II de Portugal
accordait déjà aux premiers émigrants embarqués pour
l’île de Saõ Tomé l’autorisation d’aller vendre ou troquer
les produits de leur île « dans les cinq rivières aux
esclaves qui se trouvent au-delà de la forteresse de la
Mina ». Ces « cinq rivières » qui, d’abord, ne portaient
pas de nom mais un simple numéro (première,
deuxième…) furent ensuite parfaitement identifiées et
connues tant des géographes que des trafiquants comme
d’actifs marchés aux esclaves431.
C’est la recherche des coquillages, les cauris, qu’ils
pouvaient échanger contre de la poudre d’or qui mena
les Portugais à la découverte d’autres portions de côtes
et d’autres fleuves d’Afrique. Dès les toutes premières
années 1500, leurs pilotes avaient soigneusement
reconnu les approches de la côte, les écueils et les
chenaux près des estuaires, et fait établir, pour de larges
secteurs du littoral, des cartes de grande précision432.
La traite portugaise des Noirs prit une telle importance
qu’elle ne fut pas laissée aux entreprises individuelles
mais devint une véritable affaire d’Etat. Les rois n’ont
cessé de la contrôler et d’en tirer de grands profits, en
vendant l’affermage du négoce dans ce que l’on appelait
tout communément dans les textes officiels « les rivières
aux esclaves » aux plus offrants : à Bartolomeo
Marchione, Florentin, jusqu’en 1495, et en 1502 au Juif
portugais Fernaõ de Loronha.
Ces hommes, vite familiers des usages et même des
langues, se firent accepter en Afrique noire bien mieux
que les plus expérimentés des armateurs et des
négociants des autres nations européennes deux siècles
plus tard. Ils ont aisément acquis une bonne
connaissance des pays et des peuples et conclu toutes
sortes d’ententes avec les indigènes. Le géographe
Pereira pouvait, dans les années 1500 déjà, recueillir de
précises et précieuses informations ramenées par les
marins sur les hommes de la région du rio dos Forcados
et sur les « cinq rivières aux esclaves » : au plus proche
du littoral, étaient les Huela ; plus loin dans l’intérieur,
les Subu (Sobo) qui produisaient de grandes quantité de
faux poivre, dit ici poivre du Bénin ; sur la rive sud du rio,
vivaient les Ijaws (Jos), guerriers que l’on disait
cannibales mais avec qui les Portugais faisaient
régulièrement commerce d’ivoire et d’esclaves. Marins
et trafiquants savaient avec quels chefs, quels officiers du
roi du Bénin, prendre langue. De telle sorte que leurs
navires jetaient d’abord l’ancre au Bénin, livraient là non
de la pacotille mais de belles pièces de toile et de beaux
vêtements, avant de gagner, accompagnés, aidés et
surveillés par un familier du roi, les lieux de traite sur les
rives des fleuves.
Dans la région du rio Pongo, tristement célèbre entre
toutes, les premiers négriers n’eurent nul besoin d’élever
de véritables fortins pour se mettre à l’abri des
massacres et des incendies. « Forbans et coureurs
d’aventures », ils trouvèrent chez les indigènes, chez les
Soussous notamment, des hommes prêts à bien
supporter leur présence et à leur vendre des captifs.
Mariés à des Africaines, « filles de chefs baillées contre
quelques brasses de toiles et des dames-jeannes de
rhum, belles esclaves prélevées dans le personnel
domestique », ils fondèrent des générations de chefs
métis, les mulati, les fotè, les crions (créoles), qui, le plus
souvent, se mariaient entre eux. Ils eurent la sagesse de
ne pas s’opposer les uns aux autres et de s’entendre
pour se partager le territoire, chaque lignée demeurant
chez soi sans faire du tort aux voisins : à Dominghii, à
Faber, Sangha, Bangalan, Kissing, Faringhia.
Aucune traite européenne ne fut, par la suite, l’égale
de celle-ci. Aucun navire d’autre nation n’a pénétré aussi
profond dans les labyrinthes des chenaux entre des rives
couvertes d’épaisses frondaisons, pour atteindre les
moindres plages des estuaires et remonter les cours
aussi haut en amont.

Peut-on imaginer que les Américains se soient


contentés de recevoir des navires d’Europe chargés de
Noirs captifs ? Ils furent, au contraire, parmi les plus
actifs des armateurs et capitaines négriers. Leurs
bâtiments de Maryland, de Georgie et de Caroline
allaient régulièrement en Afrique, plus particulièrement
sur la côte de Guinée qu’ils appelaient tout
ordinairement la « Côte des esclaves ». Ils avaient conclu
des accords avec les rois de ce littoral et avec ceux du
Togo qui envoyaient leurs guerriers razzier à l’intérieur
du continent et livraient leurs prisonniers à Anecho
(actuellement à la frontière du Togo et du Dahomey), à
Porto Novo et à Ouidah, sites portuaires fortifiés. Au
temps le plus fort de la traite, au début du XVIIIe siècle,
l’on comptait plus de cent vingt vaisseaux négriers, pour
le plus grand nombre propriété de négociants et
armateurs juifs de Charleston en Caroline du Sud et de
Newport dans la baie de Chesapeake en Virginie (Moses
Levy, Isaac Levy, Abraham All, Aaron Lopez, San Levey),
ou de Portugais, juifs aussi, établis en Amérique (David
Gomez, Felix de Souza), qui, eux, avaient des parents au
Brésil. A Charleston, une vingtaine d’établissements,
nullement clandestins, distillaient un mauvais alcool,
principal produit proposé en Afrique pour la traite des
Noirs esclaves433.
Certains négriers américains, et non des moindres, se
sont, à la manière des Portugais et parfois de concert
avec eux, solidement établis en Afrique, sur la côte et
même à l’intérieur, gérant alors en toute franche
propriété d’importants postes de traite, entrepôts et
embarcadères pour les lointains voyages. Ce que n’ont
fait ni les Anglais ni les Français.

LES NOIRS, TRAFIQUANTS D’ESCLAVES

Jusqu’à ces tout derniers temps, à lire les ouvrages


destinés à l’enseignement et les articles de nos journaux,
s’imposaient toujours les mêmes images : les Européens
faisaient débarquer leurs hommes en rangs serrés, armés
de fusils voire de canons, sur les côtes d’Afrique avec
ordre de capturer dans les villages, ici ou plus loin,
hommes, femmes et enfants pris par surprise, incapables
de résister ni même de s’enfuir. Ils les parquaient dans
de misérables entrepôts, cabanes aux toits de palmes, et,
dès qu’ils le pouvaient, les faisaient monter à bord. De
cette façon, n’entraient en scène que les marins et les
négociants et l’on négligeait les trafiquants africains,
premiers et principaux acteurs.
Pourtant, tous les témoignages, même les plus
sévères, qui parlent de la traite atlantique montrent
clairement que les négriers de Nantes ou de Bordeaux
furent toujours des négociants, non des chasseurs
d’hommes, et cette traite, donc ce négoce, impliquait
bien évidemment une collaboration plus ou moins facile,
plus ou moins étroite, avec des Africains qui leur
apportaient des Noirs captifs et savaient parler argent ou
échanges. Les récits, les procès-verbaux et les journaux
de bord des capitaines montrent des hommes pressés,
pas du tout prêts à séjourner longtemps à terre, à battre
le pays pour s’assurer des prises et courir les hasards
d’expéditions risquées. Les capitaines jetaient l’ancre,
négociaient au mieux et au plus vite, et repartaient,
heureux d’échapper au climat et aux fièvres. « Nos
vaisseaux fréquentent habituellement les côtes de
Loango, Khakongo et autres royaumes d’Afrique, bien
que nos négociants mêmes n’y aient aucun comptoir et
que nous ignorions ce qui se passe dans ces Etats. On
aborde chez eux, on leur donne des marchandises
d’Europe, on charge leurs esclaves et on revient434. »
Le 25 février 1735, le Phénix, armé à La Rochelle, arrivait
à Petit Popo, sur les côtes du Togo. Le capitaine va à
terre, accompagné de quelques hommes. Le roi du pays,
que l’on nomme Champeaux, s’empresse de le faire
prisonnier avec le chirurgien de bord et le second pilote,
et ne veut les libérer que contre la promesse de lui
acheter quatre mille Noirs. Les Français ne peuvent payer
pour autant d’esclaves et finalement, après de longues
palabres et de dures menaces, l’on s’entend sur
seulement cinquante captifs, « dont beaucoup étaient de
nulle valeur », livrés contre deux cent cinquante ancres
d’eau-de-vie, cent vingt fusils, trois cents livres de cauris,
trois cents pièces de tissu, vingt-quatre barres de fer et
un baril de farine de Moissac. Les prisonniers
s’empressent de remonter sur leur navire, « craignant
que Champeaux, ayant cuvé son vin, ne change
d’avis435 ».
Il est évident que la traite européenne n’aurait pu se
développer et atteindre une telle importance sans les
Noirs chasseurs et pourvoyeurs d’esclaves. Les chefs
africains ont, pour assurer et développer leurs trafics,
lancé des troupes de guerriers de plus en plus loin,
aménagé marchés, entrepôts et ports d’embarquement.
« Dès la haute période négrière du XVIIIe siècle, les forts
contingents de captifs destinés à l’exportation
provenaient du lointain hinterland, voire de régions
nettement continentales, éloignées parfois de mille
kilomètres et davantage des zones littorales. » Ce qui
impliquait la mise en place et la gestion d’un vaste
système de captures et d’« une logistique des transferts
des captifs vers la côte, dépendants de la compétence de
courtiers et de trafiquants africains spécialisés ». Certains
esclaves embarqués sur la côte du Congo pouvaient venir
d’aussi loin que les royaumes de Luyda et de Luba436, à
quelque deux cents kilomètres de là, où des marchands
africains de Loango s’étaient installés à demeure en
plusieurs postes de traite. En Angola, pour répondre aux
acheteurs portugais, les caravanes de pombeiros
(esclaves domestiques de confiance), conduites la
plupart du temps par des Noirs experts en ce travail,
esclaves eux-mêmes, revenaient de lointains territoires
de chasse, après une absence parfois de plus de deux
ans437.
Ce misérable commerce du bétail humain était aux
mains de chefs riches et puissants qui tenaient en main
toutes sortes d’approvisionnements : « Du pays Badiar et
du Fouta438 sont arrivées des charges de cuivre ; de
Bouré439 des bracelets et de la poudre d’or ; de la région
de Faranah440 des pointes d’ivoire ; mais de partout des
esclaves. Tout cela est mis dans les magasins du chef à
Timbo441, à Labé442, là où réside cet homme puissant.
Quant à la manière dont tous ces produits ont été acquis,
c’est plus difficile à préciser : rançons de guerre, présents
d’amitié et de vassalité, récoltes du sol, pillages, droit du
plus fort. Les magasins ont été remplis et maintenant il
s’agit de transporter tout cela vers la côte. » Ces chefs,
gros négociants, imposaient un véritable monopole de la
traite et savaient le faire respecter. « Au commencement
de la saison sèche, le maître part avec une escorte sur
laquelle il a droit de vie et de mort. Il campe sur les
sentiers parmi les plus fréquentés, parmi ceux qui
conduisent à la mer. Il envoie des hommes, par petits
détachements, occuper les autres pistes, de manière à
bloquer toutes les voies d’accès dans le voisinage. Tous
les colporteurs ainsi drainés viennent grossir la troupe et
donner de l’importance à celui qui les conduit. »
Plusieurs jours avant qu’elle n’arrive, des coureurs
annonçaient le retour de la caravane. « On lui fait fête,
l’on va à sa rencontre pour l’accompagner et l’honorer :
griots, danseurs, musiciens, beaux parleurs sont députés
vers la troupe qui descend. » Ce sont les « enjôleurs »,
les « cajoleurs », les « aboyeurs du mangué ». Les
hommes du chef caravanier chargent leurs vieilles
pétoires et la mousqueterie commence ; lui répondent
les longs canons de bronze de la factorerie et la poudre
parle longtemps ; les collines renvoient l’écho des
décharges ; le village lui-même est comme perdu dans un
nuage impalpable et c’est dans un brouillard blanc que
semble enfin déboucher l’avant-garde. »
C’était l’événement de l’année. Les ventes d’esclaves
duraient des jours et des jours. Les bœufs, moutons,
chèvres, cabris passaient régulièrement dans les
marmites. Les femmes qui avaient accompagné les
porteurs, venaient chaque jour quémander quelque beau
pagne. Quand on avait affaire à des fétichistes (non-
musulmans), les dames-jeannes de rhum et de vin de
palme se vidaient en un clin d’œil. Et, à la tombée de la
nuit, par clair de lune, la danse faisait rage, au rythme
sourd du kirinyi, tout ce tapage couvert par les salves
d’artillerie dont frissonnaient les coteaux. Tout cela
aurait été fort dispendieux pour l’acheteur, s’il n’avait
pris ses précautions en donnant ses prix. Et puis, il
s’agissait de gagner « bon nom443 ».
Dans l’Afrique de l’Ouest, à la différence des comptoirs
musulmans de l’Afrique orientale, les ports où
abordaient les navires n’étaient nullement sous le
contrôle des négociants et des négriers d’outre-mer,
mais tous aux mains des Noirs esclavagistes ou, plutôt,
de leurs souverains. C’est le roi du Loango (Ma-Loango)
qui fit aménager les ports de Mayumba444 et de Loango.
Le mafouk, grand et riche personnage, responsable de la
traite, y régnait en maître. Ses hommes attendaient les
navires, aidaient, ici à franchir la barre ou à ramer sur les
chaloupes, et là à guider les bâtiments le long de la côte,
entre les îles, vers un estuaire, par un réseau quasi
inextricable de chenaux où les pilotes européens
auraient été incapables de se retrouver445.
Ce trafic négrier des Africains, les captures, les
caravanes, le casernement dans les baraquements ou les
parcs à esclaves et la gestion des embarquements prirent
une telle importance que cette activité devint vitale pour
nombre d’Etats d’Afrique noire, support principal de leur
économie. De telle sorte que des hommes politique
d’Europe n’hésitaient pas à poser la question :
« Qu’adviendra-t-il lorsque, par des mesures unilatérales,
les Européens demandeurs de main-d’œuvre et
pourvoyeurs de produits fabriqués décideront de mettre
fin à ce trafic par lequel et pour lequel les Etats négriers
d’Afrique s’étaient créés, trafic qui autorisait plus que
leur survie, leur expansion446 ? »

Les zones d’ombre sur ces aspects, non négligeables


bien au contraire, de l’histoire de l’esclavage des Noirs
commencent à s’atténuer grâce aux travaux des
historiens des pays d’Afrique qui n’hésitent plus, depuis
quelque temps, à entreprendre de véritables recherches
et, bravant sans doute l’opinion, à les faire connaître. « Il
s’agit là d’une nouveauté scientifique littéralement
considérable car elle suppose le courage et la force
d’assumer sa propre histoire, serait-elle cruelle447. »
Mais la détermination et le courage d’assumer sa
propre histoire ne sont pas choses communes. Les Etats
et les peuples autrefois engagés dans ce terrible et
sordide trafic, dans cette exploitation cruelle, éhontée,
d’autres hommes s’y sont sciemment opposés, soit par
une sorte d’autodéfense pour éviter les critiques, soit
pour parer le passé d’autres couleurs, soit même par
refus de repentance. Le silence et ces lamentables faux-
fuyants s’expliquent moins de la part de très nombreux
auteurs d’Occident, français principalement, qui ne
portent que peu d’attention aux négriers de l’Islam, et
s’appliquent à dire que leur action ne fut, tout compte
fait, pas du tout dévastatrice. Ces auteurs ont fait un
choix. Ce ne fut pas le seul : alors que nos manuels
d’enseignement décrivent sans indulgence les « voyages
triangulaires » des armateurs de Saint-Malo et des ports
de l’Atlantique, aucun livre destiné à un large public ne
témoigne du nombre considérable de femmes achetées
du XIIIe au XVe siècle dans les lointains comptoirs
d’Orient, en mer Noire surtout, amenées esclaves
domestiques à Venise, Gênes, Florence et dans toutes les
cités d’Italie, phares d’une civilisation policée que nous
appelons la Renaissance448.
Nos auteurs ont-ils pris en compte le fait que Nantes,
La Rochelle, Bordeaux et tous les ports de l’Atlantique
étaient des cités soumises à un roi et que la traite était,
en leur temps, liée à l’exploitation coloniale des terres du
Nouveau Monde, alors que les villes « libres » d’Italie
leur étaient toujours présentées comme de véritables
« républiques marchandes » ?
Dès lors que l’historien veut s’ériger en juge ou se croit
tenu de l’être, tout est faussé. La pression politique et
sociale, souvent étrangement opiniâtre, n’a, en tout
temps et en tous pays, cessé de peser sur l’enquête et
sur les discours.
NOTES

Abréviations

CUOQ : J.-M. CUOQ, Recueil des sources...


IBN BATTUTA, éd. P. Charles-Dominique.
IFAN : Institut fondamental d’Afrique noire
IFAO : Institut français d’archéologie orientale
IBN JOBAYR, éd. P. Charles-Dominique
LEVTZION : N. LEVTZION et J.F.P. HOPKINS, Corpus of
Early...
T.E.F. : Tarik el-Fettach.
T.E.S. : Tarik es-Soudan.

INTRODUCTION

1 In Islamica, 1955, cité par F. RENAULT, Problèmes de


recherches…, p. 37.
2 M. GORDON, L’Esclavage dans le monde arabe…,
p. 8.
3 Cité par B. LEWIS, Islam from the Prophet…, p. 3.
4 M. GORDON, L’Esclavage dans le monde arabe…,
p. 35.
5 AMADOU HAMPATE BÂ, in Colloque d’Abidjan,
avril 1961, cité par V. MONTEIL, l’Islam noir…, p. 336.
6 ibid.
7 M. GORDON, L’Esclavage dans le monde arabe…,
p. 44.

1. LES BLANCS, CAPTIFS ET ESCLAVES

8 H. PIRENNE, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1937.


9 E. ASHTOR, « Quelques observations… », p. 175.
10 Ibn Khurdahteh, géographe et astronome, écrit
dans les années 840.
11 Ibn al-Fakih, géographe arabe ; écrit dans les
années 900-905. Auteur également d’un recueil de
poèmes.
12 Ibn Haukal, né à Bagdad en 1122, mort en 1213.
Auteur de traités de médecine, de physique et de
grammaire.
13 Al-Istakhri, géographe arabe, première moitié du Xe
siècle.
14 Tout ceci dans E. ASTHOR, Quelques observations…,
p. 177.
15 « Le Victorieux ». Général, ministre du calife de
Cordoue Hicham II. Il fit agrandir la mosquée de Cordoue.
Mort en 1082.
16 M. A. LADERO QUESADA, « La esclavitud por guerra
a fines del siglo XV : el caso de Malaga », Hispania
(Madrid), 1967, p. 63-88.
17 T. TOBLER-A. MOLINIER, Itinera Hierosolymitana et
descriptiones Terrae Santae, Genève, 1879, p. 256, cité
par E. ASHTOR, Quelques observations…, p. 177.
18 M. LOMBARD, L’Islam en sa première grandeur…,
p. 197.
19 B. BLUMENKRANZ, Juifs et Chrétiens dans le monde
occidental, 430-1096, Paris, 1960. IBN KHURDAHBEH, cité
par E. ASHTOR, Quelques observations…, p. 185.
20 E. ASHTOR, Histoire des Juifs de l’Espagne
musulmane, Jérusalem, 1966, p. 296. « Gli Ebrei nel
commercio mediterraneo nell’alto medioevo (sec. X-
XI) », Settimana di Studio sull’alto Medioevo, Spolète,
1980, p. 401-487.
21 V. E. SABBE, « Quelques types de marchands des IXe
et Xe siècles », Revue belge de philologie et d’histoire,
1934, p. 176-187.
22 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 108.
23 Tha’alibi est le nom de plume, le nisba, d’au moins
trois auteurs. Le nisba est un qualificatif ajouté à un nom.
Il témoigne de particularités physiques ou d’un itinéraire
géographique et intellectuel. Ce peut-être ici ou Abu
Mansur, qui vécut de 961 à 1038, auteur de nombreux
ouvrages, d’anthologie et de littérature, et aussi d’une
Collection de proverbes, ou un autre Abu Mansur,
historien, mort en 1021. Les Bouyides, dynastie quasi
indépendante du calife de Bagdad, établie en 935 dans
l’ouest de la Perse.
24 M. CANARD, « La relation du voyage d’Ibn Fadlan
chez les Bulgares de la Volga », Annales de l’Institut
d’études orientales d’Alger, 1958, p. 1-146.
25 Abu Hamid al-Andalus, né à Grenade en 1080, mort
à Damas en 1170, a effectué plusieurs voyages en
Egypte, en Perse et jusque dans les pays de la Volga.
26 E. ASHTOR, Quelques observations…, p. 193.
27 Les auteurs ne s’accordent pas sur la signification
de ce mot. Ce pourrait être « ceux qui connaissent les
chemins » ou « ceux qui habitent les pays du Rhône ». Cf.
BLUMENKRANZ, Juifs et Chrétiens…, (voir supra, note 12)
et L. RABINOWITZ, Jewish Merchant Adventurers,
Londres, 1948, et « The routes of the Radanites », The
Jewish Quartely Review, 1944, p. 251-280.
28 Port d’Anatolie, au sud-est d’Izmir, face à l’île de
Samos.
29 I. MELIKOFF-SAYAR, Le Destin d’Umur Pacha, Paris,
1954.
30 BERTRANDON DE LA BROQUIÈRE, Le Voyage en la
terre d’outre-mer, éd. H.A. SCHEFFER, Paris, 1892.
31 N. WEISSMAN. Les Janissaires, Paris, 1964.
32 P. SEBAC, « Cartes, plans et vues générales de Tunis
et de La Goulette aux XVIIe et XVIIIe siècles », Mélanges
Ch.-A. Julien, 1964, p. 89-101.
33 FÉLIX FABRI, Le Voyage en Egypte, p. 701.
34 Sur Ibn Battuta, cf. infra, p. 170-173.
35 IBN BATTUTA, p. 858.

2. LA CHASSE À L’HOMME CHEZ LES NOIRS

36 Abd Allah ibn Sarth, en 644 nommé gouverneur de


l’Egypte par le calife Othman. Cf. B. LUGAN, Histoire de
l’Egypte, p. 117 sq.
37 MAQRIZI, cité par CORNEVIN, Histoire de
l’Afrique…, p. 132 et par B. LEWIS, Race et couleur…,
p. 127-128, d’après MUHAMMAD HAMIDULLAH, Corpus
des traités et des lettres diplomatiques de l’Islam à
l’époque du Prophète et des Khalifes orthodoxes, Paris,
1935, p. 127-129.
38 Busr ben Arbi Artah. Arabe, né à La Mecque peu
avant l’hégire, de la tribu de Qoreich. Bédouin de
tradition. L’un des plus prestigieux chefs d’armées du
calife, a pris part à la conquête de l’Afrique.
39 Kawar : groupe d’oasis situées sur la route entre le
lac Tchad et le Fezzan, la principale étant Bilma.
40 IBN’ABD AL-HAKAM (803-871), cité par LEVTZION,
p. 11 sq.
41 J.-M. CUOQ, L’Islamisation…, p. 167.
42 Cité par J.-M. CUOQ, ibid., p. 198.
43 Al-Umari, né à Damas en 1301, mort au Caire
en 1349. A vécu plusieurs années au Caire. Son père était
un important officier de la chancellerie des mamelouks
au Caire et à Damas.
44 Au sud du port de Zeila, autour de la ville d’Harar.
45 J.-M. CUOQ, L’Islam et l’Ethiopie…, p. 200.
46 Ibid., p. 194.
47 Sur tout cela : J.-M. CUOQ, L’Islam et l’Ethiopie…,
op. cit.
48 Abu Bakr, sultan du Caire, fils de Nasir. Cruel,
insupportable, n’a régné que de 1340 à 1341. Cf.B.
LUGAN, Histoire de l’Egypte, p. 167.
49 Le Futih al-Habasha, trad. R. BASSET, 1897, cité par
CUOQ, Histoire de l’islamisation…, p. 227). Nur (Nouri),
dans la haute Nubie, près de Dongola.
50 Cité ibid., p. 195.
51 Cité par J.-M. CUOQ, Histoire de l’islamisation…,
p. 220.
52 W. EL COUETLMAN, Chronique de Galâwdêmos, roi
d’Ethiopie, texte et traduction, Paris, Bibliothèque des
hautes études, no 104.
53 IBN KHALDUN, Histoire des Berbères…, t. I.p. 212,
cité par T. LEWICKI, Origines…, p. 208.
54 Cité ibid., p. 210.
55 AL-BECHRI, Description…, p. 1067, cité par J.M.
CUOQ, Les Musulmans…, p. 75.
56 B. LUGAN, Histoire du Maroc…, p. 68-72.
57 R. MAUNY, « L’expédition marocaine d’Ouadane
vers 1543-1544 », Bulletin de l’IFAN, 1949.
58 D. DE HAEDO, Histoire des rois d’Alger, trad. H.-D.
DE GRAMMONT, Paris, 1998, p. 90.
59 Les Beni Wattasa, Berbères, venus du sud de la
Tripolitaine, alliés aux Beni Mérine alors au pouvoir, se
sont installés dans le Rif et ont entrepris la conquête du
Maroc. Leur chef, Mohammed Ech-Cheikh, s’empara de
Fez en 1472.
60 Il était le frère du sultan Abd el-Malek (1576-1578)
mort à la bataille de l’oued el-Makhazen, dite « bataille
des Trois Rois », victoire contre les Portugais où le roi
Dom Sébastien fut tué.
61 B. LUGAN, Histoire du Maroc, p. 151-182. H. DE
CASTRIES, « La conquête du Soudan par el-Mansur
(1591) », Hesperis, 1923, p. 433-488. L. KABA, « Archers,
Musketeers and Mosquitoes : the Moroccan Invasion of
the Sudan and the Songhay Resistance (1591-1612) »,
Journal of African History, 1981, p. 457-475.
62 C. MEILLASSOUX, Anthropologie de l’esclavage,
p. 45. B. LUGAN, Histoire du Maroc, p. 178-182. R.
RICARD, « Le Maroc à la fin du XVIe siècle, d’après la
Jornada de Africa de Jeronimo de Mendoça », Hesperis,
1957, p. 179-204. Les Zaghawa sont des Berbères qui,
venus de l’Est, s’étaient établis, au XIe siècle, vers le
Niger, à l’est de Gao ; cf. CUOQ, carte p. 18.
63 A. TOURMAGNE, Histoire de l’esclavage ancien et
moderne, Paris, 1880, p. 217.
64 A. BRUTAILS, Etude sur l’esclavage en Roussillon du
XIIIe au XVe siècle, Paris, 1886, p. 12.
65 Storia d’Italia di Francesco Guicciardini, t. II, BARI,
1929, Lib. V, cap. V, p. 24.
66 Routier…, trad. V. MONTEIL, p. 58.
67 Cité par R. CORNEVIN, Histoire de l’Afrique…,
p. 246.
68 J.M. CUOQ, Histoire de l’Islamisation…, p. 3 sq.
69 AL-BECHRI, Description…
70 NEVTZION, p. 368-369.
71 J.-L. TRIAUD, « Quelques remarques sur
l’islamisation du Mali des origines à 1300 », Bulletin de
l’IFAN, 1968, p. 1326-1352.
72 J. Cl. ZELTNER, « Histoire des Arabes riverains du lac
Tchad », Annales de l’Université d’Abidjan, série F., 1970,
p. 110-236.
73 Mihmandar : grand officier, chargé au Caire plus
particulièrement du protocole.
74 IBN MASALIK, 1342-1349, cité par J.-M. CUOQ,
p. 278.
75 R. MAUNY, Tableau géographique…, p. 210.
76 J.M. CUOQ, L’Islamisation…, p. 254.
77 IBN BATTUTA, p. 1039.
78 J.M. CUOQ, L’Islamisation…, p. 85.
79 IBN JOBAYR, p. 104-105.
80 Anjaba est l’île où s’est établi Zanzibar.
81 IBN BATTUTA, p. 608.
82 A. PAPADOPOULO, L’Islam et l’art musulman, Paris,
Mazenod, 1976, ill. no 534.
83 Illustrations nos 14 et 15 dans B. LEWIS, Race et
couleur…
84 C. RITCHIE, « Deux textes sur le Sénégal », Bulletin
IFAN, 1968, p. 288-353.
85 AL-MAGHHILI, 1493, et Tarikh es-Soudan, cités par
CUOQ, p. 409.
86 Sur le Niger, près de Tombouctou.
87 R. MAUNY, Tableau géographique…
88 L. KABA, « Les chroniqueurs musulmans et Sonni Ali
ou un aperçu de l’islam et de la politique au Songhaï au
XVe siècle », Bulletin de l’IFAN. 1978, p. 48-65.
89 CUOQ, p. 199.
90 G. N. KODJO, Razzias et développement…, p. 34.
91 Confédération de nomades, occupant une large
part du désert entre le Hedjaz, la Syrie et l’Egypte.
92 AL-KALKASHANDI, cité par CUOQ, p. 376.
93 V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 337. M. GORDON,
L’Esclavage dans le monde arabe…, p. 235 sq. Cf. aussi,
pour d’autres pays de l’Afrique noire : S.M. BALDE,
« L’esclavage et la guerre sainte au Fouta-Djalon », in
MEILLASSOUX, L’Esclavage précolonial…, et L. BAZIN,
« Guerre et servitude à Ségou », ibid.
94 Baguirmi : peuple d’Afrique noire, entre le Tchad et
le Chari, au sud du Kanem. Devint un sultanat musulman.
95 Entre le Niger et le lac Tchad, peuplé des Noirs
Haoussas.
96 J. DEVISSE, « L’exportation d’êtres humains hors
d’Afrique : son influence sur l’évolution de l’histoire du
continent », in Colloque Daget, p. 113-119).
97 V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 335.
98 J.-L. BOUTEILLIER, « Les captifs en AOF », Bulletin de
l’IFAN, 1968, p. 515-535.
99 B. I. OBICHERE, « Women and Slavery in the
Kingdom of Dahomey », Revue française d’outre-mer,
1978, p. 5-20, cité par B. LUGAN, Vérités et légendes…
100 Région du lac Tchad, aux confins du Sahara.
Ancien royaume peuplé par les Mabas, soumis au XVe
siècle par des métis arabes du Darfur, les Toundjours.
101 H. BARTH, Voyages et découvertes dans l’Afrique…
102 Identification incertaine. Certains auteurs ont
affirmé que ce pouvait être Madagascar, mais la thèse
n’est plus admise. Ce serait plutôt une des deux îles,
Pemba ou Zanzibar.
103 BUZURG IBN SHAHRIYAR, Kitab’Ajâ’ib al-Hind, éd.
P. A. VAN DER LITH, Leyde, 1883-1886, trad. anglaise
dans B. LEWIS, Islam from the Prophet…, p. 82-87.
104 Hudud al-Alam, ouvrage persan cité par C.
MEILLASSOUX, Anthropologie de l’esclavage, p. 143 sq.
105 AL-ZUHRI, entre 1137 et 1154 ; cité par LEVTZION
p. 98.
106 Cité par P. WHEATLEY, Analecta Sino-African
Recensa, in CHITTICK et ROTBERG, East African…, p. ll-
146, ici p. 109.
107 IDRISI, Description de l’Afrique…
108 Cité par C. MEILLASSOUX, L’Esclavage en Afrique…,
p. 154-155.
109 Cf. infra, les marchés aux esclaves, p. 139-148.
110 B. I. OBICHERE, Slavery… E. DAUMAS, Le Grand
Désert. Code de l’esclavage chez les musulmans, Paris,
1857. VIVANT DENON, Voyages dans la basse et la haute
Egypte durant les campagnes de Bonaparte, Londres,
1809.
111 G.N. KODJO, Razzias et développement…, p. 29.
112 Soit un million de mitkhâls ou environ quatre
tonnes et demie d’or, d’après G.N. KODJO, ibid., p. 27.
113 LÉON L’AFRICAIN, p. 480-481, cité par MAUNY,
Tableau géographique…, p. 338 et par G.N. KODJO,
Razzias et développement…, p. 27.
114 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, p. 47.
115 Pays sur le cours inférieur du Niger, au sud, sur la
rive droite.
116 Sur tout cela : T.E.S., 20.85.104. –T.E.F.,
135.145.214., cités par C. MEILLASSOUX,
Anthropologie…, p. 46-47.
117 A l’ouest du Niger, au sud de Gao, cf. B. LUGAN,
Atlas…, carte p. 120.
118 Sur tout cela et, plus particulièrement sur les
expéditions des Askias maîtres de Gao dans le Gourma,
voir le T.E.S.p. 147-148 et p. 156-157, cité par G. N.
KODJO, Razzias et développement…, p. 30.
119 T.E.S., cité par G. N. KODJO, ibid., p. 25
120 C’est l’ancien nom du pays des Mandé.
121 G. N. KODJO, Razzias et développement…,
p. 25 et 29.
122 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, p. 160 sq.
123 T.E.S., cité par G. N. KODJO, Razzias et
développement…, p. 30.
124 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, p. 154-155.
125 A. DIOP, L’Histoire noire pré-coloniale, p. 14.
126 V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 330 sq.
127 J.-F. LANDOLPHE, Mémoires… Capitaine de
L’Africaine, en 1778, pour la Compagnie de Guyane, cité
par CORNEVIN, Histoire de l’Afrique…

3. AVENTURES ET TRAFICS
128 Cf. carte no 2, p. 311.
129 CH. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la découverte…
130 Oasis sur la route entre Zemmour et Aoudaghost
dans le territoire des Lamtuna.
131 CÀ DA MOSTO, cité par R. JOBSON, The Golden
Trade…, p. 252-253.
132 DIEGO GOMES, De la première découverte…, p. 34-
36.
133 ANDRES ALVARES DE ALMADA 1584, cité par R.
JOBSON, The Golden Trade…, p. 275-276.
134 A. W. LAURENCE, Trade Castles and Forts of West
Africa, Londres, 1963. J. CORDEIRO PEREIRA, Le Troc de
l’or à Mina pendant les règnes du roi Jean III et du roi
Sébastien, Paris, 1990.
135 M. LOMBARD, « L’or musulman, du VIIe au XIe
siècle », Annales, 1947, p. 143-170.
136 Près de l’actuelle Quelimane.
137 Navigazioni de THOME LOPES, et récit de
BALTHAZAR SPRENGER, au service d’Anton Welser
d’Augsbourg. Voyage de Francisco de Almeida en 1505.
138 Monomatapa (« seigneurs des mines »), empire
bantou formé au IXe siècle qui contrôlait les routes des
mines, loin à l’intérieur du continent. Les Portugais ont,
de Sofala, signé des accords avec leurs chefs, obtenant
ainsi des avantages commerciaux et des privilèges fiscaux
pour le trafic de l’or.
139 AL’UMARI, cité par J.-M. CUOQ, Islamisation…,
p. 4-5.
140 AL-BEKRI, Routier…, p. 73.
141 Cité par R. JOBSON, The Golden Trade…, p. 261.
142 AL-SHARISHI, 1223, cité par CUOQ, p. 188.
143 YAKUT, 1220, cité ibid., p. 183-184.
144 MAS’UDI, 956-957, historien et géographe. Auteur
des Prairies d’or et du Livre de l’Avertissement, cité par
CUOQ, p. 60-61.
145 YAKUT : YAQUOUT ABU ABDALLAH (1179-1229),
esclave grec affranchi, grand voyageur, auteur d’une
Encyclopédie géographique.
146 J.-M. CUOQ, Histoire de l’islamisation… C.
MEILLASSOUX, Anthropologie.
147 R. MAUNY, « Le Périple de la mer Erythrée »,
Journal de la Société des Africanistes, 1968.
148 Calife abbasside (685-705) qui assura la dynastie
et réprima les révoltes des Arabes d’Arabie et de l’Irak.
149 Au nord de l’île de Pate. Cf. carte no 3, p. 307.
150 E. CERULLI, Somalia… . A. NÈGRE, Mogadiscio…
151 Chronique de Pate, citée par GUILLAIN,
Documents, t. I., p. 280 et par CUOQ, p. 65.
152 Quarmates : fidèles de la branche ismaïlienne,
secte de chiisme extrémiste qui prêchait l’égalitarisme
social, qui s’étaient emparés de Bahrein. Sur tout cela, cf.
également : J.S. TRIMINGHAM, Islam in East Africa,
Oxford, 1959.
153 Changa (Shunga) : île près de Kilwa.
154 Chronique de Kilwa, citée par R. CORNEVIN,
Histoire de l’Afrique…, p. 230. Mithkâl : unité de poids
généralement réservée à l’or. Les premières pièces d’or,
frappées par le calife omeyyade Abd al-Malik, avaient le
même poids d’or que le besant byzantin : 4,25 gr.
L’habitude fut de considérer ce poids comme l’étalon
d’or du dinar, le mitkhâl. L’équivalence avec le dinar fut
longtemps respectée. Mais, en 775, le mitkhâl fut porté
à 4,72 gr.
155 N. CHITIK, Kilwa and… E.A. ALPERS, The East
African Slave Trade, Berkeley, 1967. GUILLAIN,
Documents…
156 IBN BATTUTA, p. 607.
157 G.S.P. FREEMAN-GRENVILLE, The East African…,
IV, p. 131.
158 JOAÕ DE CASTRO (1500-1548) fut gouverneur et
vice-roi des Indes pour le roi de Portugal. Il écrivit lors de
son premier voyage, en 1538, le premier de ses trois
célèbres Roteiros.
159 G.S.P. FREEMAN-GRENVILLE, The East African…,
IV, p. 67. L’auteur affirme que ces « peuples de la mer »
doivent être des Japonais.
160 IBN BATTUTA, note p. 1171.
161 BOUTILLIER, Les Captifs…
162 M. LOMBARD, L’Islam dans sa première
grandeur…, p. 213.
163 Cité par LEVTZION, p. 128.
164 AL-BEKRI, Routier…, p. 78.
165 IBN BATTUTA, p. 1027. Mitkhâl : cf. supra, note 27.
166 IBN BATTUTA, cité par R. MAUNY, Extraits…, p. 73.
167 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 130.
168 J. ILIFFE, Les Africains. Histoire d’un continent,
Cambridge, 1995, p. 79.
169 AL-BEKRI, Routier…, p. 42 et V.M. GODINHO, O
Mediterraneo…, p. 79. J. M. LESSARD, « Sijilmassa, la ville
et ses relations commerciales au XIe siècle d’après al-
Bekri », Hesperis-Tamuda, X, 1969.
170 IBN BATTUTA, p. 1027.
171 AL-BEKRI, Routier…, p. 53.
172 LÉON L’AFRICAIN, cité par MEILLASSOUX,
Musulmans de l’Afrique de l’Ouest, p. 246.
173 Le Tarik es-Soudan, repris par l’ensemble des
africanistes, situe la fondation de Djenné au VIIIe siècle
de notre ère ; cependant les travaux récents et les
fouilles, entreprises entre 1977 et 1981, ont fait
apparaître que Djenné existait déjà au IIIe siècle avant J.-
C., vers 250 environ. Cf. Z. DRAMANI-ISSIFOU, Islam et
société…
174 EL-SADI, Tarikh es-Soudan, cité par MAUNY,
Tableau géographique…, p. 200. CH. MONTEIL, Une cité
soudanaise : Djenné, métropole du delta central du Niger,
Paris et Londres, 1971.
175 IBN BATTUTA, p. 596
176 Ibid., p. 602 et 596.
177 Ibid., 597.
178 A. NÈGRE, Mogadiscio…, p. 11.
179 IBN BATTUTA, p. 604.
180 G.S.P. FREEMAN-GRENVILLE, The East African…,
IV, p. 163.
181 A. NÈGRE, Mogadiscio…
182 Identification incertaine. Hypothèse souvent
retenue : ruines de Koumbi-Dâleh, au sud de la
Mauritanie. Cf.V. MONTEIL, notes à AL-BEKRI, Routier…,
p. 109.
183 AL-BEKRI, Routier…, p. 72.
184 Au sud-ouest de Marrakech, sur la route de
l’actuelle Ouarzazate.
185 AL-BEKRI, Routier…, p. 47.
186 CUOQ, p. 259.
187 Cf. en particulier : F. HÉRITIER, Des cauris et des
hommes : production d’esclaves et accumulation de
cauris chez les Samo (Haute-Volta), in C. MEILLASSOUX,
1975.
188 IBN BATTUTA, p. 925.
189 J. CORDEIRO PEREIRA, Le Troc de l’or à Mina
pendant les règnes du roi Jean III et du roi Sébastien,
Paris, 1990.
190 PIGAFRETTA, Relationes del Reame… E.
DARTEVELLE, Les « Nzimbi », monnaie du royaume du
Congo, Bruxelles, 1953.
191 IBN BATTUTA, p. 927.
192 Ibid., p. 1029.
193 V. M. GODINHO, O Mediterraneo…, p. 101 sq.
194 B. ROSENBERG, « Tamdult, cité minière et
caravanière pré-saharienne (IXe-XIVe siècles », Hesperis-
Tamuda, 1970, p. 103-140.
195 Ce pays et ce peuple ne semblent pas avoir été
exactement identifiés. Cf. V. MONTEIL, Routier de AL-
BEKRI, p. 67.
196 V. M. GODINHO, O Mediterraneo…, p. 131-132.
197 IBN BATTUTA, p. 912.
198 IBN HAWQAL (en 967 ou 977), cité par LEVTZION,
p. 43.
199 IDRISI, cité ibid., p. 128.
200 IBN HAWQAL, 967 ou 977, ibid, p. 43 sq.
201 TARIKH AL-FATTACH, 1964, p. 313. Cité par Z.
DRAMANI-ISSIFOU, Islam et Société…
202 Pour tout cela cf. ibid.
203 T.E.S. cité ibid.
204 Royaume fondé par des Peuls qui, du Nord,
fuyaient les attaques des Almoravides au XIe siècle ; situé
à l’ouest du cours supérieur du Niger ; ville principale :
Macina.
205 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, p. 253.
206 R. MAUNY, Routier…, p. 244.
207 CORNEVIN, Histoire de l’Afrique…, p. 405.
208 IBN JOBAYR, p. 230-231.
209 Seule exception : les Ibadites. Cf.T. LEWICKI, Traits
d’histoire du commerce saharien… et « Quelques extraits
inédits relatifs aux voyages des commerçants ibadites
nord-africains au pays du Soudan occidental et central au
Moyen Age », Folia Orientalis, II, 1960, mais ces lettres
sont d’un intérêt limité et donnent peu d’informations
sur les trafics et les parcours.
210 AL-BEKRI, cité par N. LEVTZION p. 67.
211 IBN JOBAYR, p. 233.
212 YAKUT (1220), cité par CUOQ, p. 183.
213 IBN BATTUTA, p. 1025, ces bœufs sauvages sont
des antilopes addax.
214 Cf. supra, note 89.
215 IBN BATTUTA, p. 1037
216 IBN BATTUTA, cité par R. MAUNY, Extraits…, p. 73.
217 Tribu berbère, Touaregs, dans le pays des
Haoussas, au nord du Mali actuel.
218 Sur tout cela : AL-BEKRI, Routier… et IBN BATTUTA,
p. 1024-1027.
219 Chaîne de montagnes reconnue et nommée par
les navigateurs portugais, qui, en Mauritanie, domine le
haut plateau de l’Adrar.
220 IBN BATTUTA dans R. MAUNY, Extraits…, p. 79.
221 ALMADA, cité par R. JOBSON, p. 278.
222 LÉON L’AFRICAIN, éd. 1956, p. 473-474, cité par J.-
M. CUOQ, Musulmans en Afrique…, p. 244.
223 AL-QASTALANI, cité par V.M. GODINHO, O
Mediterraneo…
224 P. CHARLES-DOMINIQUE, Voyageurs arabes,
p. 1286.
225 Turc, né en 1791, mort en 1859 en Cyrénaïque. A
vécu à Fez et en Tripolitaine, puis à La Mecque,
de 1830 à 1843. A fondé cet ordre de confraternité
militaire en 1837, le siège de l’ordre étant d’abord à
Temessa, puis à Djaghbub (de 1855 à 1895) où la zawiya
était surtout peuplée d’esclaves libérés, enfin transféré à
Kufra.
226 Zawiya : lieu de prières, sorte de monastère
fortifié comparable aux ribats, sortes d’ermitage aussi,
autour d’une humble mosquée.
227 Cité par CUOQ, p. 122.
228 M. GORDON, L’Esclavage dans le monde arabe…,
p. 153.
229 MERCADIER, 1971, cité par C. MEILLASSOUX,
Anthropologie de l’esclavage…, p. 69.
230 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 161.
231 IBN JOBAYR, p. 104-105.
232 Cité par B. LUGAN, Vérités et légendes…, cf. supra,
note 64 chap. II.
233 G. R. TIBBETTS, Arab Navigation… J.T. REINAUD,
Relations des voyages faits par les Arabes et les Persans
dans l’Inde et la Chine, Paris, 1845.
234 J. POUJADE, La Route des Indes et ses navires,
Paris, 1946.
235 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 127.
236 Le Hudud al’Alam, trad. MINORSKY, 1937, p. 164,
cité par J.-M. CUOQ, L’Islam en Ethiopie.
237 Ville du Yémen, située au nord de Ta’if, grand
marché aux esclaves noirs.
238 J.-M. CUOQ, L’Islam en Ethiopie…, p. 48.
239 Port du golfe Persique situé à l’ouest d’Ormuz et
au sud de la ville de Shiraz.
240 IBN BATTUTA, p. 606-612.
241 IBN BATTUTA, p. 928
242 V. FAUREC, L’Archipel des sultans batailleurs,
1941.
243 G.S.P. FREEMAN-GRENVILLE, The Swahili Coast, 2nd
to 19th Centuries, Londres, 1988, p. 14. E. A. ALPERS, Ivory
and Slaves in East Central Africa, Londres, 1975.
244 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 120.
245 D. K. BHATTACHARYA, « Indians of african
origine », Cahiers d’Histoire africaine, 1970, p. 579, et
article « Habshi », Encyclopédie de l’Islam, t. III. (1971),
p. 15-17, cités par F. RENAULT, Problèmes de recherche…,
p. 41.
246 Cité par GUILLAIN, Documents…, t. I, p. 160.
247 Cité par M. GORDON, L’Esclavage…, p. 128-129. E.
AXELSON, South-East Africa, 1484-1530, p. 194.
248 IBN BATTUTA, p. 971.
249 J. L. L. DUYVENDAK, China’s Discovery of Africa,
1964.

4. L’HOMME DE COULEUR MAL AIMÉ. LE MÉPRIS

250 Sur tout ce qui précède : G.S.P. FREEMAN-


GRENVILLE, The East African…, IV, p. 154.
251 ’IYAD AL-SABTI, cité par B. LUGAN, Vérités et
Légendes…
252 IDRISI, cité par CUOQ, p. 150.
253 Ibid., p. 129.
254 Cf. infra, p. 170-182. Ibn Battuta quitte Sijilmasa
pour le pays des Noirs, essentiellement le Mali, en
février 1352.
255 P. ALPIN, Histoire naturelle de l’Egypte…, p. 58.
256 IBN JOBAYR, p. 150-162.
257 C. MEILLASSOUX, Musulmans…, p. 45.
258 P. DAN, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires,
Paris, 1637, p. 41-42.
259 FÉLIX FABRI, Le Voyage en Egypte…, p. 698.
260 BN, Paris, mss. arabes. 5847 fo 105, publié par W.
WALTHER, Die Frau in Islam, Leipzig, 1980, p. 25.
Reproduction dans LEWIS, Race et couleur…, planche en
couleur no 1.
261 PINON, voyage de 1579, cité par WIET, Les
Marchés du Caire, p. 234-235. Voyages en Egypte de
Michael Heberer von Bretten, IFAO, Le Caire, 1976,
p. 134. P.H. DOPP, « Le Caire vu par les voyageurs
occidentaux au Moyen Age », Bulletin de la Société royale
de Géographie d’Egypte, années 1950, 1951, 1953, 1954.
262 FÉLIX FABRI, Le Voyage en Egypte…, p. 698-699.
263 Ibid., p. 442.
264 Sur tout cela : voyage de Gérard de Nerval au
Caire ; WIET, Les Marchés du Caire, p. 229.
265 Voyage de Palerme, 1581, WIET, Marchés…,
p. 225.
266 IBN BATTUTA, p. 898-899. Dawla Abad : forteresse
au nord-ouest d’Aurangâbâd, Dekkan.
267 B. I. OBICHERE, « Slavery in Darfur », Journal of
African History, 1973, p. 29-43.
268 P. ALPIN, Histoire naturelle de l’Egypte…, p. 96.
269 Ibid., p. 101 et 97. PINON, voyage de 1579, cité
par WIET, Les Marchés du Caire, p. 234-235).
270 R. ARNALDEZ, Dictionary of Scientific Biography,
vol. II, New York, 1970.
271 H. ELKADEM, Le Taqwim al-Sihha (Tacuinum
sanitatis), un traité médical du XIe siècle, Louvain, 1970.
272 IBN BUTLAN, Risala fi Shirâ al-Raqiq, éd. Abd al-
Salam Harum, Le Caire, 1954, trad. anglaise B. LEWIS,
Islam from the Prophet…, p. 243-25.
273 A. MEZ, The Renaissance of Islam, Londres, 1937.
274 M. GORDON, p. 115-118.
275 Dans le Hedjaz, à l’est de La Mecque.
276 Né à La Mecque en 594, mort à Fustat en 684 ;
riche marchand, a d’abord beaucoup voyagé ; converti à
l’islam en 630 ; général, à la tête des armées, a joué un
grand rôle dans la conquête de l’Egypte ; disgracié
en 644, est revenu l’année suivante ; accusé à tort
d’avoir fait brûler la bibliothèque d’Alexandrie.
277 Sur tout cela : B. LEWIS, Race and Slavery…, p. 20-
25.
278 CUOQ, p. 109.
279 AL-HAMDARI, † 945, originaire du sud de l’Arabie ;
poète, philologue, auteur de traités d’histoire et de
généalogie, mais surtout géographe ; ici cité par J.M.
CUOQ, Recueil des sources…, p. 58.
280 Ibid., p. 358.
281 Cité par LEVTZION, p. 56.
282 CH. GUILLAIN, Documents… II, p. 191.
283 CUOQ, p. 45-46.
284 Cité par LEVTZION, p. 134.
285 Né en 640, un des premiers historiens des pays
musulmans ; donne de très nombreux renseignements
sur le temps des Omeyyades.
286 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 122.
287 A. POPOVIC, La Révolte des esclaves…, p. 57.
288 Cité par CUOQ, p. 156.
289 Le mot pouvait, semble-t-il, désigner alors
plusieurs pays situés à l’est du lac Tchad, pas tous
vraiment identifiés ; mais Ibn Battuta parle d’une ville
nommée Kawkaw, sur le fleuve Sénégal.
290 CUOQ, p. 156.
291 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 134.
292 B. LEWIS, Race and Slavery…, p. 40.
293 AL-MUTANABBI, poète, né à Kufa en 915. A pris la
tête d’une révolte des chiites extrémistes ; fut ensuite
gouverneur d’Alep, de l’Egypte et de l’Irak ; tué par des
Bédouins pillards ; auteur de panégyriques à la gloire des
Arabes. LEWIS, Race and Color…, p. 60.
294 Ibid., p. 29.
295 Cité ibid., p. 129-134.
296 IBN BATTUTA, p. 1039-1040.
297 Mort en 1327 en Syrie, auteur d’une
Cosmographie.
298 Cité par LEVTZION, p. 56 sq.
299 M. GORDON, L’esclavage…, p. 104.
300 Prairies d’or, t. I, p. 164.
301 LEVTZION, p. 321.
302 Baybars (1223-1277) ; vendu esclave à Damas,
adopté, général, commandant d’une garnison ; victorieux
des Mongols ; il fit, en 1260, assassiner le sultan Qutuz et
fut proclamé sultan ; en 1265, il arrache Césarée aux
chrétiens ; héros de la guerre contre les croisés, chanté
par un roman de chevalerie, le Sirat Baybars.
303 IBN KHALDUN, cité par CUOQ, p. 352.
304 AL’UMARI IBN FADÎ ALLÂH ; né au Caire en 1301,
mort à Damas en 1348. Secrétaire, auteur d’une grande
encyclopédie géographique et historique ; cité par
LEVTZION, p. 276.
305 AL’UMARI, cité par LEVTZION, p. 273.
306 Fazil Bey (1757-1810), cité par B. LEWIS, Race and
Color…, p. 93.
307 IBN KHALDUN, cité par M. GORDON, L’Esclavage…,
p. 105.

5. LES NOIRS, HEUREUX DE LEUR SORT ?


308 Mémoires du chevalier d’Arvieux recueillis et mis
en ordre par le R.P. Labat, Paris, 1735.
309 LAUGIER DE TRACY, Histoire du royaume d’Alger,
Amsterdam, 1725, cité par P. HUBAC, Les Barbaresques
et la course en Méditerranée, Paris, 1959, p. 214-215.
310 P. ALPIN, Histoire naturelle de l’Egypte…, p. 95-96.
311 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 21.
312 S. BONO, I corsari barbareschi, Turin, 1964, p. 253-
255.
313 FÉLIX FABRI, Le Voyage en Egypte, p. 701-702.
314 Mas’ud Ier, sultan seldjoukide de Konya († 1155),
victorieux des croisés germaniques en 1147 et des Francs
en 1148.
315 IBN JOBAYR, p. 255.
316 IBN BATTUTA, p. 691-692.
317 Ibid., p. 695.
318 AL’UMARI, cité par LEVTZION, p. 265.
319 IBN BATTUTA, p. 1035.
320 ASHTOR, Quelques observations, p. 177.
321 Abu Bakr ben Omar, règne de 1087 à 1088.
322 AL-MULAL AL-MAWSHIYYA († 1370), cité par
LEVTZION, p. 314-315.
323 LÉON L’AFRICAIN, cité par M. GORDON,
L’Esclavage…, p. 115.
324 L. KALA, Les Chroniqueurs…, p. 56.
325 N. KODJO, Razzias…, p. 23.
326 S. D. GOITEN, A Mediterranean Society. The Jewish
Communities of the Arab World as Portrayed in the
Documents of the Cairo Geniza, vol. III. The Family, New
York, 1978.
327 AL-BEKRI, cité par J.-M. CUOQ, Esclaves…, p. 184.
328 Zafar : nom de plusieurs localités aujourd’hui en
ruine ; entre autres une ville très ancienne, citée par
Ptolémée, située dans la corne sud-est de l’Arabie, sur
l’océan Indien, sur l’emplacement de l’actuelle Mahra.
329 IBN BATTUTA, p. 583.
330 Ibid., p. 926 et 940.
331 Ibid, p. 932-933 et note p. 941. Mahrates :
habitants du Maharashtra, au nord-ouest du Dekkan.
332 Ibid., p. 941.
333 AL-JAHIZ (776-869), cité par M. GORDON,
L’Esclavage…, p. 86.
334 WIET, Marchés du Caire…, p. 230.
335 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 94.
336 MAKRIZI, né en 1364 au Caire, mort en 1442,
auteur d’une Histoire de l’Egypte, cité par CUOQ, p. 350.
337 Bedja : peuple noir de l’Afrique de l’Est, entre le
Nil et la mer Rouge, pasteurs nomades.
338 AL-IDRISI, en 1154, cité par CUOQ, p. 142 et par B.
LUGAN, L’Afrique à l’endroit…, p. 144.
339 IBN BATTUTA, p. 1046.
340 AL-IDRISI cité par CUOQ, p. 142.
341 M. LOMBARD, L’Islam en sa première grandeur…,
p. 194.
342 Cf. IBN BUTLAN, supra p. 149-152.
343 IBN BATTUTA, p. 840.
344 AL-SHARISHI, cité par B. LUGAN, L’Afrique à
l’endroit…, p. 144.
345 Kitab al-Istibsar (1135), cité par LEVTZION, p. 143.
346 IBN BUTLAN, cf. supra, p. 150.
347 IBN BATTUTA, p. 891.
348 Massif montagneux dominant la plaine littorale de
Tripolitaine, refuge des Ibadites.
349 Cité par CUOQ, p. 84.
350 AL-UMARI, cité par CUOQ, p. 58.
351 Ibid., p. 56.
352 Cité ibid., p. 56, note 49. Tadjoura : port de
Somalie, face au golfe d’Aden, point d’aboutissement des
routes caravanières de l’intérieur.
353 Gondokoro : ville active, trafic de l’ivoire et des
esclaves, sur l’emplacement de l’actuelle Ismaïlia.
354 IBN BATTUTA, p. 477.
355 B. LEWIS, Race and Color…, p. 60.
356 Calife de 908 à 932, a rétabli l’autorité et assuré la
paix entre les factions.
357 E. ASHTOR, Quelques réflexions…, p. 177-178. D.
AYALON, « On the eunuchs in Islam », Jerusalem Studies
in Arabic and Islam, 1979, p. 67-124. « The eunuchs in
the Mamluk Sultanate », Studies in Memory Gaston Wiet,
Jérusalem, 1977.
358 B. LEWIS, Race and Slavery…, ill. no 4, Shaname,
Topkapi. Mss. no 1519.
359 Ibid., ill. no 6, 7,8, Topkapi, B.2000, fo 82b, 83a,
146a.
360 Ibid., no 9 et 10, Topkapi, A.3593, fo 173b, 63.
361 T.E.F., 208.
362 LORENZO ANAMIA cité par D. LANGE, L’Intérieur
de l’Afrique…
363 C. MEILLASSOUX, p. 195-197.
364 Sur le Niger, proche de Tombouctou.
365 C. MEILLASSOUX, p. 198-200.
366 Khazars : peuple d’origine turque établi au sud du
Caucase ; repoussés vers le nord par les conquêtes
arabes ; ont fondé un empire dans les steppes de la
Russie, dans la région du Kouban (fleuve qui prend sa
source dans le Caucase et se jette dans la mer d’Azov).
Alains : peuple d’origine iranienne ; ont envahi l’Occident
au Ve siècle ; se sont installés les uns en Espagne, puis en
Afrique, les autres en Gaule ; ici le mot désigne
communément les esclaves achetés en Occident.
367 ASHTOR, p. 178. D. PIPES, Slaves Soldiers and
Islam. The Genesis of a Military System, Londres, 1981.
368 B. LEWIS, Islam from the Prophet…, p. 60 sq.
369 Khorassan : partie est de l’Iran, aux confins de
l’Afghanistan.
370 Du nom du khanat tatare dont la Crimée et le
comptoir génois de Caffa faisaient partie.
371 A. CLOT, L’Egypte… D. AYALON, Le Phénomène… B.
LUGAN, Histoire de l’Egypte…
372 IBN JOBAYR, p. 250.
373 J. LASSNER, The Topography of Bagdad, Detroit,
1970.
374 LAPIDUS, in HOURARI-STERN éd., The Islamic City,
Oxford, 1970.
375 N. WEISSMANN, Les Janissaires, Paris, 1957.
376 Cité par B. LEWIS, Islam from the Prophet…,
note 15 p. 130.
377 A. POPOVIC, La Révolte des esclaves…, p. 62. Ch.
GUILLAIN, Documents…, t. I. p. 162.
378 D. AYALON, Le Phénomène…
379 Kafur ou Camphre, eunuque abyssin, généreux
mécène ; le poète al-Mutanabbi vécut à sa cour pendant
plusieurs années.
380 Dernier calife fatimide d’Egypte, de 1160 à 1171.
381 B. LEWIS, Islam from the Prophet…, p. 67.
382 V. M. GODINHO, O Mediterraneo…, p. 102.
383 AL-KAZWINI, cité par CUOQ, p. 199.
384 IBN BATTUTA, p. 1024.
385 LÉON L’AFRICAIN, p. 471-480.
386 AL-BEKRI, Routier…
387 IBN BATTUTA, p. 1045.
388 H. LHOTE, « Recherches sur Takedda, ville décrite
par Ibn Battuta et située dans l’Aïr », Bulletin de l’IFAN,
1972, p. 429-447.
389 Cité par N. G. KODJO, Razzias et développement…,
p. 26.
390 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 58.
391 R. MAUNY, Le Livre de bord… TEXEIRA DA MOTA,
Le Livre de bord…
392 M. GORDON, L’Esclavage…, notes 3 et 4, p. 242.
393 IBN JOBAYR, p. 244.
394 AL-TABARI († 923), Annales, éd. M.J. DE GOEJE,
Leyde, 1901.
395 Pour toute l’histoire de cette guerre des Zendjs :
A. POPOVIC, La Révolte des esclaves…
396 Cité par R. CORNEVIN, Histoire de l’Afrique…,
p. 240 sq.
397 J.-L. BOUTEILLER, « Les captifs en Afrique
occidentale », Bulletin de l’IFAN, 1968, p. 513-535.
398 G. VEILLARD, « Notes sur les Peuls du Fouta-
Djalon », Bulletin IFAN, 1940, p. 85-210. Cf. également : J.
GRACE, Domestic Slavery in West Africa, Londres, 1975 et
M. MASON, « Captive and Client Labour in the Economy
of the Bida Emirate », Journal of African History, 1973,
p. 453-471. Bida : ancienne capitale du royaume haoussa.
399 T.E.F., p. 109.
400 Royaume Nupé, dit la « Byzance noire »,
CORNEVIN, p. 240 sq. ; au XVe siècle, vassal des
Haoussas ; situé sur le cours inférieur du Niger ; cartes :
B. LUGAN, Atlas…, p. 105 et CURTIS, African History…,
p. 166.
401 Bambaras : peuple du Soudan, au nord des
Mandingues, à l’ouest de la ville de Macina.
402 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, qui cite T.E.F.,
p. 108, 111, 112 et 179, 188, 189.
403 Sur tout ce qui précède : N. G. KODJO,
Contribution…
404 C. MEILLASSOUX, Anthropologie…, p. 69.
405 MERCADIER (1971), cité ibid.
406 B. LEWIS, Islam from the Prophet…, p. 6.
407 C. MEILLASSOUX, Anthropologie… p. 110 sq.
408 Analyse très précise et circonstanciée, ibid.,
p. 68 sq., voir également : C.C. ROBERTSON, Women and
Slavery in Africa, Madison, 1983.
409 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 65.

CONCLUSION

410 S. DAGET, La Traite des Noirs…


411 B. LUGAN, L’Afrique à l’endroit…
412 G.S.P. FREEMAN-GRENVILLE, The East African
Coast…, VI, 97.
413 Ibid., VII, 70
414 F. COOPER, Plantation Slavery in East Africa in
the 19th Century, New York, 1977.
415 S. DAGET, La Traite des Noirs…, p. 207.
416 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 662 ; très longue
étude sur l’action abolitionniste sur mer et sur les
obstacles rencontrés.
417 Busher : grand port de la Perse, dans le Fars ; situé
sur une île étroite reliée au continent par une chaussée
submergée par les marées.
418 B. LEWIS, Race and Slavery…, document no 5,
p. 457.
419 Cité par M. GORDON, L’Esclavage…, p. 14.
420 V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 330. E. GUILLAUME,
Le Soudan en 1894, la vérité sur Tombouctou. L’esclavage
au Soudan, Paris, 1895.
421 E. MILLER, Change here for Kanao, 1959, cité par
V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 331.
422 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 229.
423 E. RECLUS, Géographie universelle, Paris, 1854,
p. 883.
424 V. MONTEIL, L’Islam noir…, p. 330.
425 M. GORDON, L’Esclavage…, p. 14.
426 Ibid., p. 15.
427 S. DAGET, La Traite des Noirs…, p. 171.
428 « Traite négrière et démographie. Les effets de la
traite atlantique ; un essai de bilan des acquis actuels de
la recherche » in S. DAGET, Colloque…
429 Sur cela, deux excellentes mises au point de B.
LUGAN dans L’Afrique réelle no 33 (« Vérités et légendes
sur l’esclavage »).
430 Mme Coquery-Vidrovitch estime, à juste titre, les
Noirs victimes de la traite portugaise plus nombreux que
ceux victimes des Français : 1 796 000 contre 1 180 000.
Les négriers de France seraient, d’après ses calculs,
responsables d’environ 10 % de l’ensemble de la traite
atlantique. Cf. supra note 19.
431 J. W. BLAKE, European Beginnings in West Africa
(1454-1578), Londres, 1968. A.F.C. RYDER, « An early
portuguese trading voyage to the Forcados River »,
Journal of the Historical Society of Nigeria, 1959, p. 294-
321. Carte de B. LUGAN, Atlas., p. 90.
432 DUARTE PACHECO PEREIRA, Esmaraldo de Situ
Orbi, éd. R. MAUNY, Bissau, 1956, p. 130.
433 Ibid., p. 741-742. Sur cette traite portugaise, très
importante en direction du Brésil : Cl. VERGER, Flux et
reflux de la traite des Nègres dans le golfe du Bénin et
Bahia de Todos Os Santos au XVe siècle, Paris, 1968.
« Rôle joué par le tabac de Bahia dans la traite des
esclaves au golfe du Bénin », Cahiers d’études africaines,
1964, p. 349-369.
434 MALCOLM COWLEY, Black Cargoes. A History of
the Atlantic Slave Trade, 1518-1865. Cité par S. DE
BEKETCH, Le Libre Journal, no 238, mars 2001.
435 Abbé PROYART, Histoire de Loango…
436 H. ROBERT, « Trafics coloniaux du port de La
Rochelle au XVIIIe siècle », Mémoires de la Société des
Antiquaires de l’Ouest, 1960.
437 Pays situé au cœur de l’Afrique du Sud, à l’est du
royaume du Congo.
438 S. DAGET, La Traite des Noirs…, p. 123.
439 Pays situé au sud du fleuve Sénégal.
440 Entre le bassin supérieur du Niger et les sources
du Sénégal ; pays peuplé par les Mandingues ; c’est aussi
le nom de la capitale.
441 En Guinée, au sud-est du Fouta-Djalon.
442 Timbo : poste de traite au sud du fleuve Gambie.
443 Labé : poste de traite, dans le Fouta-Djalon ;
carrefour de routes, au nord-est de l’actuelle ville de
Conakry.
444 Cl. RIVIÈRE, Le Long des côtes…, p. 746-747.
445 Mayumba : port du Loango, actuellement dans le
Gabon, région de Nyanga.
446 Sur les partenaires africains de ce trafic portugais,
cf. B. LUGAN, Atlas, carte p. 105-106.
447 S. DAGET, La Traite des Noirs…, p. 173.
448 Ibid., p. 123.
LES ÉTATS ET LES DYNASTIES

Mahomet, né en 570 (?), entre à La Mecque en 630,


mort à Médine en 632.

LES PREMIERS CALIFES

Abu Bakr, beau-père de Mahomet.


Omar Ier (634-644). Institue l’ère de l’hégire (=
le 16 juillet 622).
Othman ibn Affan (644-656). Un Omeyyade de La
Mecque. A épousé deux filles du Prophète. Tué par un
frère d’Aïcha, fille d’Abu Bakr.
Ali. Cousin et gendre du Prophète, époux de Fatima.
Destitué en 659, assassiné en 661.

EN ORIENT

Les Omeyyades (661-750)


– Conflit entre Ali et les Omeyyades. Ali assassiné
en 661.
– Mu’âwiyya Ier (661-680), à la tête de troupes
syriennes.
Prend Damas pour capitale.
– ’Abd al-Malik (685-705) triomphe des Kharidjites et
des chiites.
Les Abbassides (750-1258)
– Descendants d’Abbas, oncle de Mahomet.
– Premier calife : Abu al-Abbas al-Saffah.
– Deuxième calife : al-Mansur. Fonde Bagdad en 762.
– En 803 : Victoire du calife Harun al-Rachid (809) sur
le parti des Barkhamides, puissants vizirs en Iran.
– 869-883 : Guerre des Zendjs en Irak.
– 1258 : Hulagu, mongol, s’empare de Bagdad.
Etats et principautés indépendants
– Takirides (820-873), dynastie fondée par Tahir ibn
Hussaym († 822), prince de Nishapour, du Khorassan et
de Kirma.
– Saffarides (863-902), fondée par Ya’qab al-Saffas,
Kurdistan, sud de l’Iran et le Sind.
– Sassanides (902-999), de la mer d’Aral au golfe
Persique et à l’océan Indien.
– Bouyides à partir de 935, dans l’ouest de la Perse.
– Hamdanides (905-1004), dans le nord de la
Mésopotamie et dans le sud de la Syrie.
– Ghaznévides (962-1186). Turcs, dynastie fondée par
Alptegin en 962, capitaine des gardes des émirs
sassanides de Boukhara et de Samarkand. Capitale à
Ghazni. Apogée sous Mahmud de Ghazni, de 998 à 1030.
– Ghourides (1100-1215), dynastie originaire de la
région de Ghour, en Afghanistan, dans l’est du Khorassan
et en Inde.
Turcs
– Vers 1020, les Seldjoukides, puissante confédération
de tribus des Turcs en Asie centrale. Mercenaires dans
les armées du calife.
– En 1055, ils imposent leur protectorat au calife de
Bagdad.
– En 1070, les Seldjouks prennent la Syrie et
Jérusalem. 1071, victoire sur les armées byzantines de
l’empereur Romain Diogène à Manzikiert. 1078, maîtres
de Damas.
– A partir de 1092, partage de cet Etat seldjoukide en
trois royaumes : Perse, Syrie et Anatolie. En Anatolie,
partage ensuite en plusieurs principautés gouvernées par
des émirs autonomes, l’une d’elles a pour chef Osman ou
Othman. Ces Ottomans gagnent des territoires et
s’imposent seuls maîtres.
– 1326, capitale des Ottomans à Brousse. 1350, les
Ottomans passent les Détroits. 1389, victoire des Turcs
contre les Serbes à Kossovo. 1396, capitale transférée à
Andrinople. Bayézis Ier victorieux des croisés à Nicopolis.
1453, prise de Constantinople par Mahomet II. 1468, les
Turcs soumettent l’Albanie.
– 1512-1520 : Sélim Ier. Victorieux des Perses à
Tchaldiran en 1514, occupe la Syrie, la Palestine, l’Arabie
et les villes saintes. 1516, Barberousse et les Turcs
prennent Alger. 1517, les Turcs prennent Le Caire et
l’Egypte.
– 1520-1566 : Suleyman (le Magnifique). 1565, échec
du siège de Malte par la flotte ottomane. 1571, Lépante.
Mongols
– Gengis-Khan († 1227) unifie les tribus de Mongolie.
1258-1259 : les Mongols prennent Bagdad, Damas et
Alep. 1260, défaite par les Egyptiens.
– 1279, les Mongols en Chine et à Pékin. Division de
l’Empire moghol en trois khanats (Perse, Turkestan,
Kiptchak ou Horde d’Or en Russie), tous trois vassaux du
Grand Khan de Pékin.
– En Perse, abandon du bouddhisme. Tabriz centre de
propagation de l’islam.
– Horde d’Or : profession musulmane d’Ozbeg (1313-
1342), triomphe définitif de l’Islam avec Sani Beg (1342-
1354).
Inde
– Années 640 : raids des pirates arabes.
– 712 : conquête du Sind.
– De 1010 à 1020 : campagnes des sultans ghaznévides
venus de la vallée afghane de Ghor, ils occupent la vallée
de l’Indus.
– Vers 1200 : Mohammed, chef des Ghourides, lance
ses armées jusqu’au Bengale, capitale à Delhi.
– 1325-1350 : offensives des Turcs. Armées de
Mohamed ibn-Tugluq jusqu’au Dekkan : échec.
– 1440-1460 : décadence du sultanat de Delhi.
– 1519 : invasion des Mongols. Fondation de l’Empire
moghol (ou mongol).
Egypte
– Aghlabides : gouverneurs autonomes (800-909).
– Fatimides (909-1171) : Egypte conquise par le
général Jawhar. Tranfert de la capitale au Caire.
– 1171 : les Fatimides sont détrônés par Saladin,
Kurde, qui se proclame sultan. L’empire s’étend de
l’Egypte à la Syrie et jusqu’à l’Euphrate. 1187 : il reprend
Jérusalem aux croisés.
– De 1250 à 1382 : Mamelouks bahrites. 1260 : les
mamelouks sont vainqueurs des Mongols. Le sultan
Baybars (1260-1277) triomphe de l’islam.
– De 1382 à 1517 : mamelouks burdjites.
– 1517 : conquête de l’Egypte par les Ottomans.
Maghreb. Ifriqiya
– Conquête musulmane de 680 à 710 environ.
– 670 : prise de Carthage. Fondation de Kairouan.
– Autonomie des gouverneurs. Famille des Aghlabides,
dynastie de 800 à 909, fondée par Ibrahim ibn al-Aghlab
(† 812).
– 801 : construction d’Al-Abbâsiya (« la cité des
Abbassides »), camp retranché, garnison de gardes noirs.
– 876 : nouvelle capitale à Raqqâda.
– Fatimides : chiites, venus d’Orient, descendants de
Mahomet par sa fille Fatima.
– Victoire de leur chef Abaydullah sur les Aghlabides.
Entre à Raqqâda. Proclamé calife à Kairouan en 908.
– 767 : Abder Rahman ben Rostan fonde Tahert.
Kharidjites.
– Les Idrisides : chiites venus d’Orient. Idris, parent
d’Ali, s’établit dans le nord du Maroc, prend Tlemcen
en 789. Idris II fonde Fez (en 801 ou 807 ?).
Maroc
– 1062 : les Almoravides fondent Marrakech.
– 1147 : révolte et victoire des Almohades, ils
prennent Marrakech, Fez et Tlemcen. Empire de toute
l’Afrique du Nord jusqu’à la Tripolitaine.
– 1269 : installation des Mérinides, Berbères Zenatas.
Abu al-Hassan († 1351) occupe Tlemcen et Tunis.
Espagne
– 711 : conquête par Tarik. Victoire décisive de la
Janda.
– 755 : un Omeyyade, Abder Rahman, gagne l’Espagne,
se proclame émir à Cordoue.
– 1085 : prise de Tolède par les chrétiens.
– 1086 : victoire des Almoravides à Zallaka contre les
chrétiens. Sous Ali ben Yussuf († 1142), Espagne et Maroc
réunis.
– 1147 : les Almohades.
– 1212 : victoire des chrétiens à Las Navas de Tolosa.
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Index

Abd Allah ben Yacim : 40


Abd Allah ibn Sarth : 28
Abd al-Malik ibn Marwan : 87, 89
Abd er Rahmân ben Rostem : 94
Abd’Udhri : 159
Abkhazes : 211
al-Adid : 221
al-Abshidi : 178
Abu Abbas : 219
Abu Bakr, beau-père de Mahomet : 34
Abu Bakra, esclave éthiopien : 190
Abu Hâmid : 20, 165
Abyssinie : 29, 32
Adal, sultanat : 32-33, 37
Adam, Guillaume de : 35
Aden : 36-37, 79, 119, 155, 202
al-Adid, calife fatimide : 221
Adud al-Dawla : 18
Agadès : 112-113, 131
Aghmât : 108, 115
Ahmad ben Tulum : 190
Ahmad ibn Ibrahim : 34
Ahomey : 62
Aibek, mamelouk : 220
Aïr : 132
Alains : 208
Alania : 21
al-Batinah : 228
Alexandre le Grand : 56
Algarve : 229
Alger : 23, 41, 122, 145, 183-184, 186, 217
Ali, roi du Bornou : 50, 52
Ali ben Muhammad : 239
Almeria : 14, 41, 159
Almoravides : 39, 93, 98, 211, 223
Américains : 248, 259
Amima, pays : 64
al-Muwaffaqiyya : 238
Anaia, Pedro de : 79, 106
Anatolie : 15, 201
Anjaba, île : 55
Antarq, général : 157
Antilles : 247
Aoudaghost : 39, 98, 123, 126, 200
Arabie : 37, 87, 90, 105, 119, 127, 132
Arguin : 75
Arkiko : 37
Askias, les : 42-43
as-Sayuti, écrivain : 52
Assouan : 120
Awfat, sultanat : 32
Aydab : 31, 102, 134
Aydin : 21-22

Bagdad : 15, 18-19, 55, 83, 87-88, 105, 120, 148, 153,
188, 191, 198, 204, 212, 232
Baguirmai : 61-62
Bahrein : 89, 137, 233, 235
Baju, île : 88, 91
Bambouk : 76
Barberousse, corsaire : 122
Barca : 120, 122
Barcelone : 74
Bari : 14-15
Bassorah : 83, 212, 228, 233
Al Bechri : 46, 95, 98, 125, 163, 166, 193, 200
Bédouins : 51, 92, 121, 133, 145, 235, 239
Bengale : 139
Beni Hamad : 213
Bénin : 71, 258
Berbera, peuple : 86
Berbères : 38-39, 46-47, 59, 73-74, 107, 130, 154, 255
Bila ibn Rabâh : 156
Bilma : 113
al-Birmi : 164
Bohême : 16
Bône : 122
Borgia, César : 45
Bornou, pays : 48, 50, 60, 99, 109, 111-112, 196, 206,
254-255
Bougie : 122, 213
Boukhara : 19, 210
Bujas, peuple : 54, 154, 199
Bulgares : 15, 18-20, 165
Bushire : 253
Busr ben Abi Artah : 29

Cà da Mosto : 241
Caffa : 210
Le Caire : 34-35, 41, 51, 66, 81, 85, 105, 121, 146, 177,
186, 192, 196, 216-217, 220
Camphre, eunuque, conseiller : 169, 220
Cantor : 76
Castro, João de : 91
Cavilha, Pedro de : 36
Cayor, pays : 71
Cervantes : 186
Ceuta : 160
Changa, île : 90
Charbonneau, Moreau de : 56
Chari : 62
Charleston : 260
Chesapeake, baie de : 260
Chine : 117, 136-137, 139-140
Choa, sultanat : 32
Circassiens : 211, 216, 253
Clément V, pape : 35, 44
Cochin : 36
Comores, îles : 92, 103, 138
Congo : 110, 262
Constantinople : 15, 18, 23, 41, 184
Cordoue : 13, 16, 46, 163, 169, 196, 198
Coromandel : 194-195
Crimée : 210
Curtis, famille : 252

Dahlaks, îles : 30, 102


Dahomey : 62, 259
Damas : 86-87, 169, 193, 240
Darab : 56
Damot, sultanat : 31
Darfur : 66, 119, 151, 254
Daud, askia : 69, 244
Deccan : 24, 139
Delhi : 24, 220
al-Dimeshkri : 175
Djaba : 117
al-Djahiz, écrivain : 18
Djeddah : 30, 37, 119-120, 254
Djerba : 94-95
Djenné : 49, 68, 100, 123, 243
Djoudar : 42-43, 243
Djudham, tribu : 60
Dongola : 28

Eda : 243
Egypte : 15, 27, 32, 60, 97-98, 114, 119, 189, 209, 218
Eskender, négus : 33
Ethiopie : 29, 66, 83, 202
Euphrate : 120, 212, 231

Farawiyyin, peuple : 113


Fatimides : 95, 209, 213
Fez : 42, 100, 114, 123, 172, 190
Fezzan : 29, 48, 64, 85, 98, 122, 132, 254
Figuig : 114
Firdousi, poète : 205
Florence : 45, 74, 124
Fustat : 212-213

Gabès : 94
Galawdemos, négus : 37
Gallas, peuple : 119, 151, 202
Gama, Christophe de : 37
Gama, Vasco de : 78, 106
Gambie : 49, 76, 241
Gandia : 229
Gao : 39, 41, 47, 51, 59, 96, 111, 122, 172, 207
Gênes : 14, 74
Geniza, au Caire : 192
Géorgie : 151, 259
Ghadames : 94, 98, 123, 168
Ghana : 39-40, 64, 68, 107, 128, 132
Gomes, Diego : 76
Gondar : 37
Gondokoro : 203
Grégoire XI, pape : 44
Grenade : 14, 17, 20, 165, 229
Guadeloupe : 252
Guardafu, cap : 54
Guinée : 259
Gujarat : 78, 139
Gurma, pays : 68

Habasha, peuple : 161, 176, 196


Hadiya : 202
al-Hakim : 219
Harum al-Rashid : 88, 187
Hassan Pacha : 24
Hedjaz : 42, 55, 83, 136
Henri IV de Castille : 14
Henri le Navigateur : 75
Herat : 56
Huzistan : 235

Ibadites : 94
Ibn’Abd al-Barr : 159
Ibn al-Fakih : 12
Ibn’al-Hakam : 165
Ibn’Ali al-Sanusi : 133
Ibn Battuta : 24, 68, 103, 114, 124-125, 128, 140, 172-
173, 188, 193-194, 197
Ibn Butlan : 153, 249
Ibn Fodlan : 19
Ibn Jobayr : 54
Ibn Khaldun : 40, 175, 196
Ibn Khurdahbeth, géographe : 12, 20
Ibn Tulum : 209, 216
Ibrahim Pacha : 205
Idrisi : 55, 64, 95, 142, 160, 197
Ilorin : 61
Inde : 24, 31, 36, 55, 63, 90, 136, 171, 208, 220
Irak : 33, 55, 87, 137, 198, 235
Iran : 120, 228, 233
Ismaïl, askia : 70
Istambul : 205
Iznik : 189

al-Jahiz, écrivain : 171


janissaires : 66, 217
Japon : 63
Jean, roi d’Aragon : 44
Juifs : 17, 20, 108

Kabara, pays : 59, 207


Kairouan : 40, 46, 85, 94, 113, 123, 213
Kambala : 63
Kanem : 50, 64, 109, 254
Kasr Kadim : 213
Kassambara, pays : 243
Kawar : 29, 113, 122
Kebaboou : 203
Kerimba : 92, 103
Khakongo, pays : 261
Kharidjites : 46, 86, 94, 97
Khartoum : 119
Khazares : 18-19, 208
Khorassan : 120, 165, 210, 215
Khumarawaih : 190, 209
Khurdistan : 145, 233
Kilwa : 55, 79, 88-91, 103, 137, 142, 250
Kua : 105
Kufa : 120, 127, 212
Kufra : 133
Lamlam, peuple : 70
Lamu, archipel : 88, 90, 106
Lemtuna, peuple : 39-40
Léon l’Africain : 50, 190
Léon l’Arménien : 18
Lépante : 23, 38
Lipari, île : 122
Lisbonne : 79, 106
Livingstone : 249
Louis XII, roi de France : 45
Loango, royaume : 261-263
Luanda : 111
Luba, royaume : 262
Luyda, royaume : 262

Madère : 230
Mafia : 103, 105, 164
Mahdia : 14
Mahrates, peuple : 194
al-Makrizi, écrivain : 145, 196, 221
Malabar : 36, 78, 96
Maldives, îles : 194
Malfante Antonio : 74, 98
Mali : 48-49, 68-69, 80-81, 109, 111, 117, 130, 168, 172,
174, 189, 226
Malinde : 55, 79, 105-106, 250, 252
Mamelouks : 35, 149, 179, 216
Mami, caïd du Songhaï : 43
Manda, île : 90-91, 137
Mandingues : 76, 132
Mansa Mousa : 49-51, 80, 196, 226
al-Mansur, Maroc : 42-43
al-Mansur, calife : 88, 212-213, 215
Mantzikiert : 21
Mariland : 259
Maroc : 172, 190, 211
Marrakech : 38, 42, 60, 123, 190
Mascate : 137, 228, 253
Massaouahh : 30, 37
Massufa, peuple : 38, 95, 128, 130
Mauritanie : 111
La Mecque : 31, 37, 49, 119-120, 144-145, 198, 254
Médine : 37, 88, 103, 119-120, 127, 198, 204
Mingréliens, peuple : 211
Mogadiscio : 54, 86, 89-90, 101, 103-104, 114, 137, 169,
250
Mohamed Gori : 220
Mohammed, askia : 50-51, 68, 243-244
Mohammed Rimfa : 196
Moka : 155
Mombasa : 55, 79, 88, 91, 103, 106, 137, 250
Monomotapa : 77
Montalboddo, Francescanzano de : 78
Mossoul : 188, 219
Moulay Ismaïl : 211
Mourzouk : 203, 254
al-Muktadir, calife : 19
Munzer Jérôme : 14
al-Mutamid, calife : 238
al-Mu’tasim, calife : 208, 219, 235
al-Mutawakkil, calife : 233
al-Muwaffaq, général : 238

Najd, désert : 127, 132


Nantes : 247
Ngazargamo : 50
Niani : 112
Nicopolis : 22
Niger : 39, 42, 49, 61, 97, 100, 110-111, 190, 243-244
Nil : 27, 36, 84, 120, 167, 178
Nizami : 56
Noire, mer : 210-211, 265
Nubie : 28-29, 64, 83-84, 103, 152, 154, 177, 196, 199
Nuh, askia : 43
Nur : 37
Nusayb, poète : 170

Obaïd Allah : 213


Oman : 63, 83, 136, 193, 228, 251
Omar, calife : 156
Omar, général : 212
Oran : 74, 122
Ormuz : 79, 90, 92, 228
Ottomans : 122, 179, 220
Oudaï : 0
Ouadane : 75
Oualata : 96, 98, 100
Oualofs : 113
Ouargla : 41, 47, 95

Pate, île : 88, 91, 106, 250


Pemba, île : 88, 91, 103, 251
Pongo, rio : 252, 259
Porto Novo : 259
Portugais : 36, 42, 75, 103, 105, 248, 257
Príncipe, île : 230
Ptolémée : 86, 155, 159-160, 175

Quarmates : 89, 233


al-Qastalani, écrivain : 132
Quembalu : 171

Rakkada : 213
Ratisbonne : 16
Rio Forcados : 258
La Rochelle : 247, 261
Roger II de Sicile : 160
Romain Diogène : 21
Rome : 14
Russes : 18-20

Saadiens : 42
Saïd ben Ahmad Saïd : 161
Saint-Louis, Sénégal : 61
Saint-Malo : 247, 264
Saladin : 221
Salah Raïs : 41
Samarkande : 19, 210
Samarra : 219, 235
Sanhadja, peuple : 47, 59, 127
São Jorge de la Mina : 77, 110, 257
São Tomé : 230
Sedrata : 95
Sélim Ier : 23
Sénégal : 39, 41, 47, 70, 76, 113, 143
Séville : 74, 163
Shiraz : 88-89, 137
Sierra Leone : 252
Sijilmasa : 40, 81, 94, 97-98, 114, 117, 123, 126, 128,
130, 132, 172, 200, 223
Sikks : 208
Sind : 171, 232, 253
Socotra, île : 36, 110
Sofala : 63, 77, 92, 103, 138
Sokoto : 61
Soliman le Magnifique : 23
Somalis : 34, 37, 54, 90, 101, 136
Songhaï : 41-42, 49, 58, 69, 109, 116, 190, 240
Soninkés, peuple : 93
Sonni Ali : 49, 190, 243
Souakim : 37-38, 103, 120
Sous : 98, 165
Sterne Thomas : 252
Sur : 253, 255

Tabriz : 193
Tadjoura : 202
Tadmakka : 123
Tafilalet : 98, 100, 132, 223
Tahert (Tiaret) : 94-95
Ta’if : 156
Takedda : 112, 226
Tamedelt : 112, 123
Tanger : 42, 46, 172
Tchad, lac : 29, 48, 50, 85, 97, 202
Tcherkesses : 149, 211, 216, 220
Tebelbelte : 98
Teghaza : 42, 100, 128, 134, 223
Tekrur, royaume : 41, 68, 144-145, 168
Tétouan : 14
Tiaret : 94
Tlemcen : 41, 97, 114, 123
Togo : 259, 261
Tolède : 161, 167
Tombouctou : 41, 49, 51, 58-60, 68, 99, 112, 116-117,
123, 126, 132, 134, 172, 190, 207, 254
Tondibi : 43
Touaregs : 49, 59, 99, 113, 117, 130
Touat : 74, 98, 100, 108, 223
Toubenae, secte : 57
Tracy, Laugier de : 184
Tunis : 24, 41, 109, 123, 253
Turcs : 22-23, 35, 37, 41, 208, 210, 216
Turquie : 253

Valence : 229
Venise : 18, 74, 109
Verdun : 16
Virginie : 260

Wâslu, pays : 202

Yahia ben Ibrahim : 39-40


Yahia ben Omar : 40
Ya’qab al-Saffas : 233
Yaskaq, négus : 33, 36
Yémen : 33, 35, 38, 83, 105, 137, 144, 147, 196, 220
Youssouf ben Tashfin : 190, 211

Zabid : 35, 137, 147


Zanzibar : 88, 103, 135, 251, 253
Zaouila : 48, 97, 109, 122
Zaydites, secte : 89
Zeila : 31, 37, 102, 119, 202
Zendjs : 55, 86, 101, 106, 154, 176, 196, 231-232
Zirides : 213
Cartes
1. La traite saharienne vers l’Egypte et l’Orient.
2. La traite saharienne vers le Maroc et Tunis.
3. Les comptoirs sur la côte orientale de l’Afrique.

4. La traite maritime : mer Rouge et océan Indien.


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