L'Information Grammaticale

De la phrase au texte : Les constructions appositives détachées

et la structure informationnelle de l'énoncé dans Les Misérables
Franck Neveu

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Neveu Franck. De la phrase au texte : Les constructions appositives détachées et la structure informationnelle de
l'énoncé dans Les Misérables. In: L'Information Grammaticale, N. 64, 1995. pp. 23-26.

doi : 10.3406/igram.1995.3069

http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1995_num_64_1_3069

Document généré le 16/10/2015

 DE LA PHRASE AU TEXTE
Les constructions appositives détachées
et la structure informationnelle de l'énoncé dans Les Misérables
La dynamique communicative est le concept clé d'un
courant linguistique <1> qui postule le caractère cinétique
de la communication verbale. Il s'agit d'examiner dans un
énoncé la répartition des éléments faiblement informatifs
(unités thématiques) et fortement informatifs (unités
Thématiques) . Les premiers, supports de l'énoncé,
assurent le liage de l'information, les seconds font
« avancer » la communication par l'apport de données
nouvelles. Pour s'en tenir à la seule réalisation écrite du
phénomène, il est ainsi possible de considérer que toute
séquence textuelle obéit en principe à une règle générale
de continuité et à une règle générale de progression.
Le couple dichotomique thème/rhème a fait l'objet d'une
littérature particulièrement abondante, et a donné lieu à
des dénominations et à des caractérisations multiples et
parfois contradictoires <2>. On s'en tiendra ici à la définition
proposée par Robert Martin <3> :
« Le thème (ou "topique"), par opposition au rhème
(ou "commentaire"), se définit habituellement comme
"ce dont on parle", comme le "support de l'information"
ou encore, en termes psycho-linguistiques, comme
"l'ensemble des éléments qui, au moment de la parole,
appartiennent déjà au champ de la conscience". Dans
une telle optique, le thème représente non pas le
"connu", mais le "donné". »
Cependant, cette conception binaire de l'énoncé (donné/
nouveau) est évidemment insuffisante, et une échelle
plus précise des informations s'impose. On distinguera
ici : un thème propre (degré le plus bas de la dynamique
communicative * Th-), un thème secondaire (reste du
thème, ou groupe thématique d'un degré informatif
supérieur = Th+), un rhème propre (degré le plus élevé
de la dynamique communicative ¦ Rh+) et un rhème
secondaire (élément Thématique d'un degré informatif
moindre = Rh-).
Pour ce qui concerne la délicate question du champ
d'application de l'apposition détachée, il se dégage de
travaux récents W un relatif consensus. On s'accorde en
général sur l'autonomie fonctionnelle (au sens syntaxique)
1. Pour une présentation récente de ce courant, voir par exemple :
Combettes/Tomassone, 1988 ; Zaccaria, 1990 ; Combattes, 1991 ; Dupont
et alii, 1994. Les références complètes figurent en fin d'article.
2. Pour un exposé clair et concis de la problématique thématique, voir
Galmiche, 1992.
3. Martin, 1992, p. 230.
L'Information grammaticale n° 64, janvier 1995
Franck NEVEU
de l'apposition par rapport à la segmentation, et surtout
par rapport à Tépithète. Ce qui implique un élargissement
à l'adjectif de cette fonction qui fut longtemps pensée
comme exclusivement nominale. La pause, dont les
paraphrases linguistiques avec être font ressortir le rôle de
marqueur prédicatif, devient un critère décisif. La relation
qui régit Tappariement de l'apposition et de son support
est une relation de prédication, c'est-à-dire
d'interdépendance (Forsgren) ou plutôt, puisqu'il y a détachement, de
solidarité lâche. L'apposition détachée n'est donc pas
une particularité de construction affectant un élément
tout à fait étranger à l'intégrité phrastique, mais un
système dynamique complexe articulant deux
constituants, un terme support et un terme apport, entre
lesquels s'établit une relation attributive sous-jacente.
La thèse ici développée vise à démontrer que les analyses
informationnelles couramment appliquées aux appositions
voient leur pertinence réduite, et dans certains cas
annulée, du fait d'une trop grande allégeance à une
perspective strictement phrastique. Il s'agit de mettre à
l'épreuve l'idée communément admise d'une valeur
essentiellement Thématique (rhème secondaire) de
l'apposition détachée. Plusieurs questions se posent. Le
segment apposé peut-il jouer un rôle au niveau
thématique ? Dans quelle mesure peut-il contribuer
efficacement à la cohésion de l'énoncé, c'est-à-dire à la
continuité textuelle ? L'apposition peut-elle constituer un
rhème propre et faire « avancer » la communication ?
Les tentatives de réduction du plan informationnel au
plan syntaxique (tel degré de dynamique communicative
pour telle fonction grammaticale) n'aboutissant qu'à de
« fallacieuses équipollences » <5>, puisqu'il s'agit de deux
niveaux d'analyse distincts, le seul critère formel recevable
semble celui de Tordre des groupes dans l'énoncé. Nous
considérerons divers types de détachements appositifs :
les détachements polaires, en premier lieu, qui font
apparaître l'apposition en tête de protase ou en fin
d'apodose ; puis le détachement non polaire, qui marque
une pause centrale dans l'énoncé <6).
4. Voir Rioul, 1983 ; Forsgren, 1986 et 1993 : Neveu, 1993 (pp. 2-145,
pour une présentation historique de la notion ; pp. 381 -441 , pour un examen
du rapport entre le système appositif et la cohésion de l'énoncé).
5. Voir Zemb, 1978.
6. Les références à l'oeuvre de Victor Hugo renvoient à l'édition d'Yves
Gohin - Gallimard, coll. - Folio », n° 348 (tome I) et 349 (tome II, jusqu'à la
page 148) -, recommandée pour le concours. Les chiffres en caractères
romains indiquent le tome ; en caractères arabes, ils signalent la page.
23
 1. DÉTACHEMENT DU PÔLE D'OUVERTURE
Le détachement appositif du pôle d'ouverture implique le
plus souvent un support sujet, mais on relève parfois
chez Hugo une configuration où l'appui syntaxique
n'occupe pas ce poste fonctionnel, ce qui contrevient à
une règle généralement observée : ex. « Accompagné
comme il Tétait, l'idée même de la résistance était
impossible, si énergique, si vigoureux, et si désespéré
que fût Jean Valjean », (II, 41). Le support, qui est en fait
dilué dans l'ensemble de l'énoncé grâce à des segments
véhiculaires actanciels (le pronom /'/de la comparative qui
sert d'expansion circonstancielle à l'apposition, énergique,
vigoureux, désespéré, Jean Valjean), est suffisamment
aisé à reconstituer pour obvier à toute ambiguïté
sémantique et donc à toute difficulté de lecture. Si, dans cette
occurrence, le support apparaît à l'autre pôle de la phrase,
en quelque sorte par hyperbate, assurant ainsi
l'identification, on peut toutefois considérer que c'est la saturation
des marques actancielles désignant Jean Valjean dans le
contexte antécédent (contexte verbal qui précède) qui
autorise une telle construction. Le segment apposé, quant
à lui, est ici essentiellement de nature adjective. Les
participes passés prédominent très largement. On note
même, dans le détachement du pôle d'ouverture, la
récurrence intéressante du participe arrivé (7), qui tend à
spécialiser cette configuration appositive dans l'énoncé
de coordonnées spatiales. Les quelques constructions
substantives sont, dans cette position, dépourvues de
déterminants, ce qui apparente leur fonctionnement à
celui des appositions adjectives.
Le caractère prédicatif de la relation appositive, qui ressort
des analyses linguistiques de la phrase, conduit
naturellement à attribuer à cette construction une valeur
informationnelle de type Thématique. Puisque la pause signale un
détachement par rapport à la prédication principale, on
en vient inévitablement à postuler le statut de rhème
secondaire de l'apposition détachée W. En fait, les
implications d'une telle analyse - structure
informationnel e de l'apposition détachée invariante, place de la
construction dans l'énoncé indifférente, matériel lexical
constituant indifférent, volume du groupe apposé
indifférent, contexte antécédent également indifférent -
sont difficilement recevables. Certains auteurs ont
d'ailleurs démontré dès longtemps qu'une unité
linguistique n'est thématique ou Thématique que relativement à
une configuration discursive déterminée <9>. L'examen du
corpus hugolien nous permet de sortir de cette pénombre
théorique.
On observe dans de nombreuses occurrences que les
appositions en détachement à l'ouverture constituent un
élément informatif inferable servant à fournir, par reprise
7. Voir : I, 116, 163, 164. 268, 374, 386, 395, 457 II, 136.
8. Voir Combettes/Tomassone, 1988, pp. 83 et 86. Voir aussi, Dupont
;
et alii, 1994, p. 24.
9. Voir de Cornulier, 1979, qui soutient à juste titre l'idée que la
thématisation n'est, le plus souvent, qu'un « effet de sens en perspective »
engendré par renonciation en contexte. Que ce phénomène souligne
l'insuffisance d'une analyse thématique des énoncés est sans doute vrai.
Mais on ne peut prétendre qu'il en annule définitivement la pertinence.
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de données antérieures, un commentaire caractérisant
(Th+) sur son support (Th-). Le degré informationnel de
ces segments est donc plus élevé que celui du thème
propre/support (Th-), mais il reste nettement en deçà de
celui des rhèmes propre (Rh+) et secondaire (Rh-). Dans
ces exemples, le segment apposé se fait le véhicule
d'une matière notionnelle qui est de l'ordre du donné, de
l'identifiable, du notoire, c'est-à-dire présente en pensée
par référence au contexte antécédent :
I, 60 : « Né provençal, il s'était facilement familiarisé
avec tous les patois du midi. »
I, 164 : « Il prit ce chandelier dans sa main droite, et
retenant son haleine, assourdissant son pas, il se
dirigea vers la porte de la chambre voisine, celle de
Tévêque, comme on sait. Arrivé à cette porte, il la
trouva entre-bâillée », etc.
On note ici, réalisé diversement, le caractère mémoriel
de l'apposition. Cette mémoire discursive, repérable
essentiellement au plan lexico-sémantique, peut s'exercer
de manière dilatée ou condensée. Dilatée, comme en I,
60, où les origines provençales de « monseigneur
Bienvenu » sont explicitement données à comprendre au
lecteur plus de dix pages auparavant <10>. Condensée,
comme en I, 164, où « arrivé à cette porte » figure dans
l'horizon d'attente du lecteur, préparé par un contexte de
proximité ménageant Tinférence. A cet égard, il faut
souligner le fréquent rôle de cheville marquant le passage
d'une macro-séquence à l'autre, autrement dit la valeur
de clausule textuelle de l'apposition frontale, laquelle,
tout en inaugurant un nouveau développement, fixe a
posteriori le sens d'un ensemble verbal et l'interprétation
qu'il convient d'en faire : ex. « Donc, étant ironique et
chauve, il était le chef », (1, 191) ; « Ainsi assuré et contre-
buté, le centre de l'armée anglo-hollandaise était en
bonne posture », (I, 420).
Certaines marques morphosyntaxiques entérinent
d'ailleurs cette fonction thématique de l'apposition
d'ouverture. C'est le cas en II, 136 : « Ils s'en allèrent par
les allées où le corbillard avait passé. Arrivés devant la
grille fermée et le pavillon du portier. Fauchelevent, qui
tenait à sa main la carte du fossoyeur, la jeta dans la
boîte, le portier tira le cordon, la porte s'ouvrit, ils
sortirent. » L'appariement du participe pluriel et du support
singulier, qui contrevient à la règle d'accord, signale en
fait que dans de telles configurations le système appositif
fonctionne essentiellement sur le mode transphras-
tique <1 1). On est finalement assez proche de la disjonction
actancielle qui intervient dans l'emploi des participiales.
Mais ce qui compte ici, c'est le liage informationnel et la
continuité textuelle qui sont assurés par la construction
appositive.
Pour autant, toutes les appositions détachées à l'ouverture
ne font pas apparaître une valeur informationnelle théma-
10. « M. Myriel était fils d'un conseiller au parlement d'Aix ; noblesse
de robe », I, 47.
11. Voir Zemb, 1968. p. 298 « Matériellement F (apposition à F -
foncteur) est dans d (discours) et dans p (proposition) ; formellement, F' est
:
seulement dans d. »
tique. Ce n'est en effet pas le cas dans les anticipations
fonctionnelles cataphoriques qui se rencontrent dans les
constructions constituées de cnose+Adj (ou équivalent) :
ex. « Tout à coup, chose tragique, a la gauche des
Anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers
se cabra avec une clameur effroyable », (I, 432) (12>.
Dans ce type de séquences, où l'énoncé est modalisé par
le scripteur, le mouvement de pensée, manifestement
thétique, est orienté vers la droite, ce qu'indique assez
l'étendue même du support propositionnel, qui couvre le
reste de la phrase. La charge informative de ces segments
apposés ne relève donc pas du degré de dynamique
communicative des exemples précédents. On verra dans
de telles configurations appositives des rhèmes
secondaires (Rh-) antéposés contribuant au
développement et à la progression des informations sur
l'ensemble de l'énoncé.
Ainsi, deux types de structures informationnelles
apparaissent en détachement d'ouverture, que Ton peut formaliser
de cette manière <13> ; si Ca # 0, alors [App (Th+) Supp
(Th-) SV (Rh+)] ou bien [App (Rh-) Supp (Th-) SV (Rh+)] ;
si Ca = 0, alors [App (Rh-) Supp (Th-) SV (Rh+)].
2. DÉTACHEMENT DU PÔLE DE CLÔTURE
Ce qui retiendra surtout notre attention sur le plan textuel,
ce sont des segments apposés Thématiques qui, loin
d'afficher une valeur informationnelle secondaire,
manifestent au contraire un degré de dynamique
communicative semblable à celui du rhème propre. Une configuration
favorise particulièrement ce phénomène. Il s'agit de
constructions substantives déterminées comportant dans
le segment support un déterminant localement catapho-
rique. La prédication principale, c'est-à-dire la séquence
qui occupe la position du rhème propre, est ainsi placée
dans une situation d'incomplétude informationnelle : ex.
« Lui, il prenait le sentier qui abrège : Tévanaile », (1, 112) ;
« Il se sent enseveli à la fois par ces deux infinis, l'océan
et le ciel (...) », (1, 1 58). Dans le système appositif hugolien
marqué par la détermination nominale, comme on
l'observe ici, la relation métaphorique est très bien
représentée. Le comparant qui engage la caractérisation
constitue l'appui syntaxique, et le comparé se trouve en
position détachée, ce qui signale une inadéquation entre
support syntaxique et support sémantique. Dans ces
exemples le segment apposé ne peut être tenu pour un
rhème secondaire véhiculant une information destinée à
enrichir le support ; l'apposition n'est pas ici extérieure à
la prédication principale. On doit plutôt considérer que
ces constructions sont des unités insécables, unifor-
12. Voir aussi: I, 374, 459, etc. Ce matériel lexical se rencontre
également en détachement de clôture : 1, 254, 358, etc. ; et en détachement
non polaire : ex. I, 391 , etc. Manifestation lexico-syntaxique d'une écriture
romanesque où le discours métanarratif, parfois, se superpose par saillies
ostentatoires au simple discours narratif. On reconnaît là un des traits de la
motivation réaliste dans le roman français du XIX* siècle.
13. Bien sûr, cette formalisation s'appuie sur un schéma phrastique
sans expansion. Ca = contexte antécédent, App * segment apposé, Supp
= segment support, SV = syntagme verbal. Ca * 0 indique que l'énoncé est
enchâssé dans une masse verbale. Ca « 0 indique que l'énoncé est
inaugural ou bien isolé.
L'Information grammaticale n° 64, janvier 1995
mément Thématiques donc à l'évidence sans structure
scalaire. Elles jouent, à ce titre, un rôle prépondérant
dans la dynamique communicative.
Les autres configurations, entre autres les constructions
sans déterminant, au fonctionnement quasi adjectival,
mettent en oeuvre une valeur de rhème secondaire : ex.
« Or c'était l'usage de la maison, quand Tévêque avait
quelqu'un à souper, de disposer sur la nappe les six
couverts d'argent, étalage innocent », (I, 137).
En détachement de clôture, là encore, deux structures
informationnelles apparaissent, ainsi formalisables : [SN
(Th-) SV = Supp + App (Rh+)] ou bien [SN (Th-) SV =
Supp (Rh+) App (Rh-)].
3. DÉTACHEMENT NON POLAIRE
Avec les appositions qui marquent une pause centrale
dans l'énoncé, nous abordons une configuration que les
grammaires du français ont longtemps tenu, et à tort,
pour le modèle de réalisation de la notion, c'est-à-dire
pour le type de très loin le plus fréquent, les détachements
polaires étant considérés comme des phénomènes
marginaux relevant de l'étude de style C4). Nous
passerons plus rapidement sur ce détachement central, mieux
connu, et qui présente en outre une certaine homogénéité
informationnelle.
Toutes les occurrences relevées font apparaître une
valeur de rhème secondaire (Rh-), puisque le groupe
détaché, nouveau par rapport au contexte, marque sur
l'échelle de la dynamique communicative un degré
d'information situé en deçà du degré maximal (Rh+) : ex. « La
pharmacie de l'hôpital, petit bâtiment ajouté à la maison
et pris sur le jardin, avait été transformée en cuisine et en
cellier », (I, 69) ; « Mademoiselle Baptistine, parfaitement
paisible et naturelle, prit place à sa gauche », (I, 137) ;
« Son père, émondeur comme lui, s'était tué en tombant
d'un arbre », (I, 144). En dehors de la prédication
principale, ce type d'apposition, surcroît informationnel, joue
comme un « enrichissement conceptuel » (15) non pas du
seul appui syntaxique mais de l'ensemble de l'énoncé (en
particulier de la relation sujet/prédicat). Par conséquent, il
contribue, mais modestement, à la progression textuelle.
Il ouvre un espace verbal réservé le plus souvent à
l'identification du support actanciel, c'est-à-dire à sa
description interne par la mention de ses traits constitutifs,
qu'ils soient de Tordre du provisoire ou du permanent.
Même si Ton trouve quelques cas de relation appositive
métaphorique, toujours empreinte d'une valeur
argumentative engageant la subjectivité de Ténonciateur, les
détachements non polaires sont ici généralement dénués
de toute visée thétique.
Ainsi, le détachement appositif non polaire révèle-t-il,
quelle que soit la configuration, une invariance
is A titre d'exemple, dans une étude récente menée dans un corpus
constitué d'oeuvres de J.-P. Sartre, ce type de configuration appositive ne
compte que pour un tiers des 1050 occurrences recensées au total ; voir
Neveu, 1993.
15. Zemb, 1968, p. 298.
25
tionnelle, que Ton peut schématiser de la façon suivante :
[SN = Supp (Th-) App (Rh-) SV (Rh+)] ou encore [SN
(Th-) SV = Supp (Rh+) App (Rh-) SV (Rh+)].
CONCLUSIONS
On notera tout d'abord que l'usage des constructions
appositives détachées traduit chez Hugo la volonté de
valoriser la lexie ou le groupe lexical, unités vers
lesquelles l'attention du lecteur est régulièrement dirigée,
que la phrase d'accueil soit développée par de nombreux
morcellements, par des parallélismes, ou qu'elle se
réduise à une structure quasi minimale. Le détachement
constitue bien sûr un mode d'ordonnancement verbal qui
favorise cette valorisation. La spécificité du détachement
appositif est d'ouvrir l'espace phrastique à l'adjectif et
surtout au substantif. Une telle configuration syntaxique
révèle une stratégie scripturale de la nomination, qui
prévaut dans la poétique hugolienne. Le nom c'est le
Verbe, et le Verbe c'est Dieu. En outre, cette syntaxe
semble requise pour l'introduction des faits d'expressivité
dans le discours <16>. La relation appositive s'établit en
effet fréquemment sur le mode métaphorique.
Au plan sémantique, cet examen permet de dégager, en
fonction des types de détachements, des dominantes
dont l'exploration approfondie pourrait être fructueuse :
en 1 , valeur situationnelle (situation spatio-temporelle) ;
en 2, caractérisation thétique ; en 3, description à valeur
identifiante.
Au plan textuel, ce qui ressort de cette étude c'est la
différence informationnelle du segment apposé selon que
ce dernier prend place (i) dans un détachement polaire
ou non polaire (différence entre les types 1 et 2 et le type
3), (ii) dans un détachement polaire d'ouverture ou de
clôture (différence entre le type 1 et le type 2). La
construction appositive, qui a très souvent une valeur
rhématique, participe donc à la progression des
informations sur l'ensemble d'un texte : de façon limitée lorsque
le groupe détaché est rhème secondaire, de manière
active lorsqu'il est rhème propre. Mais on note surtout
que, dans le cas des appositions frontales, cette
construction apparaît virtuellement cohesive au niveau transphras-
tique. La prétendue invariance informationnelle des
appositions détachées est donc le fait d'une perspective
qui, pour textuelle qu'elle soit, est souvent bornée au
cadre phrastique de l'analyse syntaxique, analyse avec
laquelle elle n'entretient pourtant en théorie que des
rapports distants. La notion de fragmentation thématique
et rhématique permet bien sûr d'affiner l'étude
informationnelle des détachements, cependant l'examen des
rapports entre les processus cognitifs et l'organisation
des masses verbales, dans lequel elle s'inscrit, requiert
pour être efficace des moyens d'investigation plus précis
qui font actuellement l'objet de nombreux travaux de
16. Que l'on songe, par exemple, à La Légende des Siècles ou à
L 'Homme qui rit sur ce point, voir Morier, 1 961 , et Prat, 1 984. On consultera
également avec profit : Brunot/Bruneau, 1968, et Meschonnic, 1977.
:
26 L'Information grammaticale n° 64, janvier 1995
recherche. Mais dans l'optique des concours, on aura
sans doute intérêt à garder en mémoire le dernier
aphorisme du Tractatus logico-philosophicus de
Wittgenstein : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut
garder le silence ».
Franck NEVEU
Université de Nantes
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