18/08/2017
hitps:iaticans
La terre de Sakpata
Journal des africanistes
80-1/2 | 2010
Création littéraire et archives de la mémoire
Etudes et recherche
La terre de Sakpata
‘Sakpata's earth
CHRISTINE HENRY
p. 253-265
Résumés
Francais English
Sakpata, divinité dorigine yoruba, est connu, partout od il a été implanté (dans les pays du Golfe
du Bénin mais aussi dans les Amériques noires) comme dieu de la variole et plus largement des
maladies éruptives et/ou contagieuses, mais au Bénin et au Togo s'est développée une tradition
quien fait également le vodun (divinité) de la Terre. Cet article revient sur cette problématique et
retrace Vorigine de cette assertion dans la littérature anthropologique. A. partir d'enquétes
:menées & Savalou (Moyen Bénin) et d'une littérature de portée plus générale, Vauteur conteste la
‘these qui ferait de Sakpata un dieu de la fertlité et met en évidence la nature complexe du
rapport de cette divinité a la terre
Sakpata, a deity from the Yoruba region, is known everywhere it beeame established (in the
countries of the Benin Gulf but also in the black Americas) as the god of smallpox and more
‘widely as the god of eruptive and contagious diseases ; but in Benin and Togo, a tradition
developed making it also the earth god. This paper goes back to revisits this issue and traces the
origin of this assertion in anthropological literature. Taking as her starting point investigations
conducted in Savalu (Middle Benin) and arguing from more general literature, the author
disputes the thesis which makes Sakpata a god of fertility, and she throws light on the complex
nature of the connection between this god and the earth.
Entrées d’index
Mots-clés : Sakpata, vodun, variole, dieu de a terre, Bénin, J.M. Herskovits
Keywords : Sakpata, vodu, smallpox, earth god, Benin, J.M. Herskovits
Texte intégral
Sakpata, divinité d'origine yoruba, est connu, partout oi il a éé implanté'comme
dieu de la variole et plus largement des maladies éruptives et/ou contagieuses. Mais au.
Bénin et au Togo s'est développée une tradition qui en fait également le vodun
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La tere do Sakpata
(ivinité) de la Terre. Nos propres enquétes menées & Savalou (Moyen Bénin) n’ont pas
mis en évidence un lien fort entre Sakpata et la terre, hormis le fait que, comme partout,
ailleurs, on s'adresse & cette divinité en lappelant « maitre de la terre ». Cet article
revient sur cette problématique, retrace Torigine de cette assertion dans la littérature
anthropologique et tente de comprendre quelle est la nature du rapport de cette divinité
a la terre. Avant dentrer dans le vif du sujet, il est nécessaire d’énoncer quelques
précautions d'ordre méthodologique. I. littérature récente sur les vodun a mis Paccent
sur deux de leurs traits : leur matérialité et leur nature relationnelle®, En effet, un
vodun n’existe que dans la matérialité de son « corps » situé en un lieu précis qui le
singularise parmi les autres membres de la méme classe. Sa corporéité n’est qu’un des
éléments de son individuation. Son nom, les légendes autour de sa création ou de son
arrivée en ce lieu, le récit de ses hauts faits, les devises qu’on lui adresse, sont autant de
caractéres qui le personnalisent. Mais dans une région donnée un vodun ow une classe
de vodun r’existe pas isolément, il a une place au sein d'un ensemble. C’est a
comprendre les hiérarchies de ces ensembles et les logiques qui les sous-tendent que se
sont efforeés nombre d'ethnologues en s’éloignant parfois beaucoup des classifications
locales. Les Fon distinguent les « vodun de pays » to vodiin des « vodun de lignage »
hhennu vodiin ou « vodun de clan » aki vodiin , ainsi un vodun de la classe Sakpata
pourra étre un « vodun de pays » , tandis qu'un autre sera un « vodun de lignage ».
Selon un autre principe, les vodun se répartissent entre « vodun rouge » hunve vodiin
et « vodun de l'eau » ty vodiin. Les « vodun rouge » se divisent en « vodun du haut »ji”
vodin et « vodun du bas » do vodiin mais aussi en « vodun de téte » ta vodiin et aciné.
Cette seconde distinction concerne la représentation des vodun lors des processions.
Les premiers, les « vodun de téte » seront représentés par un paquet qui sera porté sur
la téte d'un adepte, tandis que les seconds le seront par un bois allongé recouvert
Etoffe, Nacind, qui sera porté sur les épaules.
Enfin, un autre type de classification d'ordre politique distingue moins entre des
voduns qu’entre leurs « grands prétres » vodiinns dont certains avaient éé élevés au-
dessus des autres par le pouvoir royal ou local et détenaient une autorité sur leurs
collégues moins élevés dans la hiérarchie.
Les classifications d’ordre politique sont évidemment trés variables selon les lieux et
les époques considérés, tandis que les principes qui régissent les seconds critéres cités
sont relativement stables, ainsi un vodun de la classe Sakpata ne sera a aueun moment
et nulle part considéré comme un vodun « du haut » ou « de eau ». Tous les vodun
dune méme classe partagent done des traits généraurx, dont il sera question ici A propos
de Sakpata, Précisons enfin qu’aujourd’hui, au Bénin, malgré le recul général des cultes
traditionnels, les temples coutumiers de Sakpata comptent encore quantité d’adeptes.
Cette divinité figure également dans de nombreux sanctuaires privés familiaux et dans
beaucoup de ceux des guérisseurs ot Sakpata est souvent associé A des vodun modernes
(Goro, Mami Wata)
Historique
Dans les premiers écrits sur le royaume du Danxome, les auteurs qui citent Sakpata
le lient uniquement & la variole et ne le rangent pas parmi les dieux tres importants.
Ainsi Skertchlyile classe comme une divinité secondaire qui se trouve sous le
commandement direct de Atinmévodun aténmevodtin « vodun des arbres » et décrit
ainsi ses autels : « Ce fléau national [la variole] est évité grace & une chose oblongue en
terre, divisé en deux parties égales, dont l'une est semée‘de tessons de poteries brisées,
plantées a son sommet et l'autre de cauris. Un autre autel pour ce dieu est une poterie
oblongue, peinte en rouge sur son cdté droit et en blanc sur le gauche » (Skertchly,
1874 : 471). Il signale que ces autels sont nombreux et dispersés dans les différents
palais, ce qu'il met en rapport avec le fait que trois rois aboméens succombérent & la
variole.
Cest dans Pouvrage de Le Hérissé que se trouve signalé pour la premidre fois un lien
de Sakpata avec la terre :
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La terre de Sakpata
Test fétiche du sol (Aikoungban Vodkin). On lui éléve des autels aux carrefours
entrée des villages ou devant les maisons, sile destin (Fa) du propriétaire V'a
demand, Ce sont des tertres minuscules, sur lesquels repose une marmite de
terre cuite, pereée de trous réguliersSet un bloc de latérite rappelant le masque
d'un varioleux. En arriére est plantée une épineuse appelée Selo. (Le Hérissé,
1911 : 128).
Le Hérissé présente les vodun en adoptant une « classification officielle » en neuf
colléges connue de tous les spécialistes religieux qu’il a rencontrés. Les Sakpata n'y
forment pas un groupe particulier, mais sont présents dans tous les colleges.
Dans Youvrage qu'il consacre au Danxome, Herskovits, accomplissant une petite
révolution copernicienne a propos de Sakpata, s'efforce de démontrer que ce vodun est
honoré en tant que dieu de la Terre et non comme dieu de la variole. De méme que
Xevioso, le dieu du Tonnerre, donne la pluie bienfaisante et punit en envoyant sa
foudre, Sakpata, dieu de la Terre, donne les céréales et punit par la variole, selon une
logique symbolique qu’énoncent ainsi ses informateurs :
Sagbata qui, maitre de la terre, nourrit les hommes en leur donnant le mais, le mil
cet autres grains du sol, les punit en faisant sortir par leur peau les grains qu'il ont
(Herskovits, 1938, t.11 1308
Le raisonnement d'Herskovits s‘appuie, outre ce lien avec les céréales, sur un certain
nombre de faits tirés des devises et des mythes. 1I était dangereux de prononcer le nom,
de Sakpata et on préférait l'évoquer par ses titres : « maitre de la terre » ayino ; « roi de
la terre » ayixist, ; « roi des perles? »jéxisti, titres qui figurent également dans ses
devises. Les mythes évoquant le partage du monde entre les dieux, aprés que le couple
Mawu-Lisa leur eurent donné naissance, disent qu’i Vainé, Sakpata, échut le
gouvernement de la terre (un honneur qui lui cofita quelques querelles avec son cadet
Xevioso, resté au ciel prés de ses parents). Cette assimilation de Sakpata avec la terre
dans un double aspect de sol nourricier et de gouvernement de ses habitants est encore
accentuée par la maniére dont Herskovits présente les vodun du Danxome. Il traite &
part les divinités liées & la royauté puis distingue les « grands dieux » des « dieux
personnels » et répartit les premiers en trois panthéons : du ciel, de la terre et du
tonnerre, selon une logique qui refléte mal les pratiques et les catégorisations locales.
Comme Le Hérissé avant lui, Herskovits signale le fait que Sakpata n’a pas toujours
66 en odeur de sainteté auprés des rois d’Abomey, et qu’ plusieurs reprises, ses
prétres furent expulsés de la capitale. Herskovits pense que tant d'un point de vue
historique que mythologique, les rois d’Abomey avaient matiére a craindre Sakpata.
‘Trois d’entre eux périrent de la maladie, plusieurs de leurs campagnes militaires furent
interrompues parce que leurs armées étaient décimées par la variole. Rien de plus
naturel, & son sens, que les rois d’Abomey se retournent contre un dieu que, de surcroit,
ses adeptes proclamaient roi de la terre, faisant ai
« deux rois ne peuvent régner dans la méme ville » dit le proverbe fon qu'l cite a Pappui
de son raisonnement.
La thése d’'Herskovits assimilant Sakpata a la Terre et allant méme jusqu’a se
i ombrage A leur propre pouvoir
demander si Sakpata peut étre considéré comme une « mére féconde » n’a pas été
critiquée et fut reprise avee plus ou moins de modération ou d’enthousiasme par les
auteurs qui lui suceédérent®, Du edté des enthousiastes, Alfred M. Mondjannagni, du
hhaut de s
contribué
et Moyen Bénin oi les vodun (ou les orisha en zone yoruba) fondent le systéme de
pensée traditionnel. Mondjannagni fait d’abord remarquer que pour ces populations de
paysans la terre est d'une importance cruciale, ce qui expliquerait que les « couvents »
de Sakpata sont aussi nombreux et répandus en pays aja 4 Touest qu'en pays yoruba &
Yest, en pays xweda au sud qu’en pays mahi au nord. Oubliant que Vorigine mahi
attribuée a cette divinité n'est évoquée que pour les Sakpata fon installés & Abomey par
double autorité de géographe et de natif du Bénin, est celui qui a le plus
Vasseoir et a I'étendre de l'aire du royaume d’Abomey a l'ensemble du Sud
les anciens rois, il décréte « qu'elle n'est pas plus du pays Mahi que dailleurs »
(Mondjannagni 1977 : 162), mais que les Mahi lui ont donné une importance
particulidre car ils peuplent des collines pierreuses et cultivent dans des conditions
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