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Collection Camera Incognita

dirigée par Emmanuel Vincenot


ALEJANDRO

,
AMENABAR

Marra Asuncion Gomez

Santiago Juan-Navarro

Traduit de l'espagnol par Emmanuel Vincenot et Elisabeth Navarre


Editions Cinéastes
SOMMAIRE
5 Introduction
9 Une carrière éclair
18 Les courts métrages: l'apprentissage du suspense
Tesis: l'image violente
23 Synopsis
25 Structure et commentaire
34 Image et violence
37 Je regarde, tu regardes, il regarde
40 Intertextualité
44 La mise en abyme du cinéma
Ouvre les yeux. entre rêve et réalité
47 Synopsis
48 Structure et commentaire
51 L'histoire de César
54 La réalité virtuelle
57 Rêve et réalité: ontologies en conflit
59 Intertextualité
62 L'image et l'identité: réflexions, répétitions et renversements
Les Autres: les fantômes de l'altérité
65 Synopsis
0 Montreuil- 0148583941 66 Structure et commentaire
71 La maison et la famille
74 Piégés dans le de la fiction
Comité d'entreprise de la Caisse 76 Intertextualité
78 Un mélodrame gothique et postmoderne
ion et d'adaptation réservés pour
83 Conclusion. une poétique de la peur
, intégrale ou partielle, faite sans le 86 Filmographie
ants droit ou ayants cause, est illicite"
91 Bibliographie
-~ 5
INTRODUCTION
iago Juan-Navarro sont tous deux
cinéma hispaniques à l'Université
mi, USA). ans à peine el avec trois films seulement à son
Alejandro Amenâbar a connu une réussite fulgurante. Réalisateur
anique à l'Université de Rutgers du film le plus cher et le mieux distribué de toute l'histoire du
nciôn Gômez est l'auteur du livre il a su faire la synthèse entre le cinéma d'auteur
a adaptaci6n cinematogrâfica deI c>vigences du marché, sans pour autant faire de concessions.
ee, 2000) ainsi que de nombreux son premier long métrage, il tend au contraire vers un
dans les revues Lelras épuré et fait preuve d'une connaissance de
Studies, Estreno, Journal of approfondie des techniques cinématographiques,
Comme nous essaierons de le montrer tout au long de ce livre,
1
l'un des éléments essentiels de l'œuvre d'Amenâbar est sa maîtrise
octeur en Littérature Comparée à r du thriller. La plupart des critiques ont souligné la capacité de
York, USA) et Docteur en Théorie ce jeune réalisateur à mélanger les différents genres
Valence (Espagne). Parmi ses cinématographiques, alors même que c'est une des
1
deux livres récents: ArchivaI caractéristiques qui définissent le thriller. Plus qu'un genre à
ction of the Americas (inédit en proprement parler, le thriller est un qui en englobe
d Tale: Reinventing the Encounter d'autres, comme le suspense, le fantastique, la science-fiction et
n Litera/ure and Pilm (inédit en même le mélodrame l . Dans la mesure où réaliser un thriller
phies, articles el critiques ont été implique la maîtrise d'une
Historia, Revista lberoamericana, d'un même discours,
ense de Estudios cinéaste. Le est encore on essaie de
mener son proiet à bien en dehors de l'industrie
1 Martin Rubin, Thrillers, trad, Manuel Talens (Madrid: Cambridge University Press, 2000), p,12.
f

7
laquelle a toujours exercé dans emploie habituellement pour décrire la réaction
onopole. Le premier mérite cherche à provoquer auprès du publie ("scotcher le
éalisé des thrillers en Espagne, spectateur à son et "pièger le spectateur") renvoient à ces
ble, techniquement aboutie et deux métaphores.
Le spectateur d'Amenâbar s'identifie invariablement au
itiques les plus ont cru personnage principal, qui se trouve plongé dans une succession
bar peuvent en fait s'expliquer d'événements dont le contrôle lui échappe. Le héros, comme le
a parlé du côté excessivement spectateur, a tendance à se sentir vulnérable face à
de son utilisation abusive des et ce n'est qu'après un long voyage initiatique qu'il parvient à
de surmonter le défi initial. Suivant en cela la
éties sadomasochiste propre au thriller, nous retirons du
ment ce souffrances des personnages, mais nous souffrons ");'"",Uvlll
le thriller, il y a trop de décors, nous identifier à eux, La nouveauté du cinéma d'Amenâbar
se, mais surtout, il y a un excès consiste, entre autres, à inscrire à l'intérieur de scs films la
eur, d'excitation. de 'adoxale de la vulnérabilité et de la maîtrise de
sité narrative 2 . soi, en lui donnant une importante dimension autoréférentielle.
mployées pour rendre compte de Aborder le thriller sous l'angle du bon sens ou du rationalisme
t celles du labyrinthe et de la est une tâche promise à l'échec. Le thriller vise au contraire à
ns les attractions foraines, le notre équilibre émotionnel, ce qui nous pendant
à un bombardement émotionnel quelques instants dans un état extrêmement agréable, tant que
des réactions ambivalentes et nous sommes sûrs que le billet pour la montagne russe est un
r, peur et billet aller-retour. Nous sommes pris d'un frisson de plaisir à la
iller fois la situation nous échappe et lo]'~que tout rentre dans
l'ordre, pendant ou après le film 4 • D'où le d'Amenâbar pour
fermées, Grâce à des structures
s et en et d'un
t>. Amenâbar a su manier à la nous ramène sains et saufs à notre réalité
et ce n'est pas par hasard si les mais les détours sur le chemin ont été si
4 Romàn Gubern, Las rarces dei miedo: Antropologia dei cine de terror (Barcelona: Tusquets, 1979), p.42,
Fabrice Ziolkowski, WideAngle 4.4 (1982): p.56-63.
9
ion si que plus rien ne UNE CARRIÈRE ÉCLAIR
surface de ses
des couches plus nr,ntr",rjp<
es niveaux de sens.
ommes efforcés de mener à bien
n prêtant une attention toute
niq ues récurrents clans ses trois De père chilien et de mère espagnole, Alejandro Amenabar
de chacun de ses films, nous Cantos est né à Santiago du Chili le 31 mars 1972. A la veille du coup
clétaillée de la structure et du d'état de Pinochet, sa famille décida de quitter le pays et de s'installer
te les thèmes dominants et les dans les environs de Madrid, où elle réside depuis 1973. Si l'on en croit
ns souhaité proposer un livre ses biographes, l'enfance d'Amenâbar fut assez solitaire. De caractère
vrage public et le travail se consacra pendant son adolescence au à l'écriture
de aux attentes du plus Ses parents essayèrent de lui inculquer le goût de la
que ces quelques pages aideront lecture mais il était attiré par le monde de Comme
dans J'univers labyrinthique d'un on ne le laissait pas beaucoup la télévision et que sa famille
us fascinants de notre vivait de Paracuellos dei où l'offre cinématog
son initiation au cinéma se fit grâce aux cassettes
chez des voisins avec son frère ainé. Amenâbar a
souligné à qu'il appartenait à une dont
les références culturelles n'étaient pas littéraires mais essentiellement
audiovisuelles. Les seules allusions littéraires qu'il fasse l'envoient
à des romans à suspense ou de science-fiction. Par ailleurs, sa b,:llçlaLlUl
contrairement aux précédentes, a eu essentiellement accès au cinéma
par le biais de la télévision et de la vicléo.
l:intérêt du Amenâbar pour le cinéma le poussa à s'inscrire
à la Faculté des Sciences de l'Information afin d'y étudier le cinéma,
décevante dont il a souvent parlé en termes en
particulier dans un artiele publié en mai 1997 par El Paîs Sernanal6
11
m'étais traîné

avait signé le scénario et la Son admiration fut plus


es qui ne

grande encore lorsqu'il découvrit que l'auteur n'avait que dix-neuf ans.
e, et alors que je m'apprêtais enfin Cuerda Amenâbar et le félicita pour son entamant ainsi
t, je me suis rendu compte qu'il
une relation qui dure encore aujourd'hui. Au cours de l'une de leurs
e n'allait me de montage, de nombreuses conversations, Cuerda lui promit que s'il avait assez
de milie en scène".
il produirait l'un de ses moiets et il l'encouragea à travailler
sur un scénario de long métrage.
ique des études et l'absence totale
passer de temps à la cafétéria
Durant l'été 1994, tandis qu'il révisait matières pOUl'
s à discuter autour d'un café
les examens de septembre (entre autres, l'U.V. de réalisation), Amenâbar
ageaient son enthousiasme pour le
commença à écrire avec Mateo Gille scénario que lui avait commandé
teo Gîl, qui devint rapidement son
Cuerda et qu'il traînait dans ses cartons depuis deux ans. Dans un
premier temps, ils à une histoire intitulée La tesis,
de
,,,,,,,·N,.,,,,,i. sur la du thriller et devait à la fois créer et
es de Gil (Antes dei Soiié que
montrer les rouages du suspense. Le décor choisi était la Faculté des
rada, à de multiples
Sciences de l'Information, lieu où l'on théoriquement tous
n tour aux trois courts
ces procédés et où un étudiant, cherchait à les mettre en pratique
téro et Luna), en tant que chef­
en réalisant de productions gore. Les autres personnages
collaboration s'est poursuivie sur
apparurent ainsi peu à peu, tandis que se dessinait progressivement un
s ils font par ailleurs de constitué par Bosco et Chema, et qu'étaient
introduits les professeurs de la faculté.
èmatographique d'Amenâbar sont Le livre de Roman Gubcrn, La pornografia y otfas perversiones
et producteur Luis Cuerda. opticas, dont le dernier chapitre, consacré à cruelle",
vail à la Faculté des Beaux-arts de termine par l'évocation du phénomène des snuf( eut une
afin inlluence décisive sur le thème du film. Dans une interview accordée
e, Raquel Lôpez, qui jouait dans
à Carlos Heredero, Amenâbar commente son expérience en ces termes:
et d'Amenâbar lui-même. Cuerda
l'interprétation de Raquel, mais
m'a semblé que c'était un bon pretexte, presque un
et par le fait que le réalisateur
pour construire un thriller, et je me suis mis à rénéchir
7 Roman Gubern. La pomografia y olras perversiones 6plicas (Madrid: Akal, 1989).
13
uire ce thème dans notre ci, prise par le tournage de Armera, 1995), n'était
e un fïlm de pas disponible, On pensa alors à Ana Torrent. dont le
""",,0.0""+",. avait fasciné en son temps Victor Erice et Carlos Saura 9, et
servent à la de montrer toute l'étendue de son en
C'est une idée que je extrêmement différents dans des films tels que Los
tourner un film oui montre (Martin Patino, 1985), Vacas 1991), Entre
on fait du cinéma. Ensuite on 1995) et Puede scr divcrtido ,n'J~"ISU'Uù,
ire IJCl1Ui~l1l ils firent sa connaissance à l'Ecole d'Art Dramatique. Son personnage
et de Rozas, un vieil ami d'Amenâbar qui participa au
aree que c'était notre personnage tournage de Tesis en tant qu'aide-décorateur, et qui dessina par la suite
pas s'il fallait avoir recours ou les siory-boards de ses films.
t, qui ne plaisait pas à Hitchcock,
tour de l'identité du coupableS. Profitant du fait que la faculté était déserte pendant les vacances,
le tournage de Tcsis eut lieu durant l'été 1995. Ce fut une véritable
scénario qu'Amenâbar lui avait course contre la montre, au cours de laquelle l'équipe réussit à tourner
phona pour lui dire que le projet entre vingt et plans par jour. Amenâbar disposa d'une totale
e financer. C'est ainsi qu'il créa liberté artistique, mais au niveau financier, son budget fut limité à 120
i Amenâbar s'engagea à réaliser millions de pesetas (un peu plus de 700000 euros), en comptant les
n que le cinéma de Cuerda, par 45 millions de subventions du Ministère Espagnol de la Culture. Le
de celui film fut bouclé en un mois (entre le 2.3 août et le 27 septembre), sans
t de suite sur la même contretemps Les problèmes n'apparurent qu'au montage. Le
collaboration ct d'un film s'avéra en effet trop (il durait environ 150 minutes) et il fallut
de presque une demi-heure. La première projection de Tesis
eut lieu au Festival de Berlin (en février 1996), où l'accueil de la
fut en conditionné par et du publie fut très favorable. Le film ne sortit en
personnage de d'avril suivant, sans succès, la campagne de
venu très limitée. Il fallut attendre que le film soit nommé aux \..:royas 'v pour
ait en fait créé cc personnage en que se déchaîne l'enthousiasme du public. Le film d'Amena bar sc
nnage on chercha une avec des films de premier plan tels que Tien'a,
oposa Penélope Cruz mais celle­ de Vicente Aranda. Bwalla, de Imanol
ndaci6n Colegio dei Rey, 1997), p.l0S. 9 Respectivement dans L'esprit de la rûche (1973) et Cria cuervos (1974) (N.d.l).
10 L'équivalent espagnol des Oscars ou des Césars (N.d.T.).
15
a et Le chien du de PilaI' semaines une similaire de L'avocat du diable
u film de Pilar Mil'ô et à celui 997) où Keanu Reeves horrifié les rues désertes
h nul qui signifiait le de New York.
chien du jardinier obtint sept des
prétendre et Tesis en récolta sept Le film sortit en Espagne au milieu d'une intense campagne de
eilleur film. promotion et devint le plus gros succès de Noël 1997, obligeant le
distributeur à tirer des copies supplémentaires. Il fut d'abord distribué
t semblait augurer d'un avenir dans 86 salles, chiffre à 130 la semaine suivante. La recette pour
âbar ct le résultat fut à la hauteur la semaine s'éleva à 110 millions de pesetas (plus de 650 000
t fébrile peuplée de cauchemar euros) : quant à la cassette du elle sortit fin 98, d'une
l'embryon de son deuxième attente fébrile.
où les choses ne sont jamais ce
é et fiction se confondent en Ouvre les yeux fut projeté avec succès au Festival de Sundance,
s yeux commença en mai 1997, dans la section World Ci/lenza. Robert Redford, son fondateur, félicita
édent dans l'histoire du cinéma personnellement Amenâbar à la fin de la projection. A la suite de
m focalisa l'attention de la presse le distributeur Live nntertainment se porta acquéreur des droits du
élevé, les difficultés furent film pour le marché américain. Par ailleurs, le film retint l'attention
articulier à cause de l'ampleur du de Paula associée de Tom Cruise. Wagner et Cruise achetèrent
immédiatement les droits pour en faire un remake et ils
1 déserte avait été tourné un an Cameron Crowe pour écrire et diriger la version américaine, Vanilla
n dimanche du mois d'août, et il (2001), avec Tom Cruise, Cameron Diaz et Penélope Cruz dans
stait pas eneore de scénario bien les rôles
e ce plan contenait les germes de
n vous vous levez le matin, L'accord signé avec Tom Cruise et Paula Wagner ouvrit à
; vous arrivez par exemple sur la Amenâbar les portes d'Hollywood. Quand il eut terminé, en 1999, le
omplètement vide, vous êtes seul scénario des Autres. qu'il pensait initialement tourner en il
sentir tout au d'Ouvre les à Wagner. Peu une réunion eut lieu avec Tom Cruise ct
e presse). La réussite ne pouvait Nicole Kidman, au cours de laquelle l'actrice australienne ne dut pas
la plus appréciée par la insister beaucoup pour convaincre le jeune cinéaste de à son
hronolol!iauement. elle Les Autres, qui se déroule presque entièrement dans une grande
s (N.d.T.).
17
os à Madrid en douze semaines, les réalisateur ne semble donc pas toucher à sa fin, bien au contraire,
ovince de Santander, Comme dans ses Comme le conseillait déjà Fernando Méndcz-Leite dans sa critique
'est Amenâbar lui-même qui composa d'OuJlre les yeux: "Pariez sur Amenâbar sans avoir peur du risque:
sens de l'économie, tirant le meilleur c'est un cheval gagnant. Les risques, c'est lui qui les court".
s'éleva à
par Les Productions
+.
icains le 10 aoû 1 2001, Les Àutres a
c et critique. A la fin de sa première
avait près de 14 millions de
ong espagnol à atteindre la
x USA. Au les recettes onl atteint
dans sa
onsidéré comme le meilleur thriller de
es a été la faculté du metteur
ense dans la tradition des meilleurs
ns recourir aux effets spéciaux ni faire
ce fut trop souvent le cas dans certains
sur la scène internationale ne se limite
La sortie, début 2002, de la
yeux et le remake de Tesis
ent une nouvelle conséeration
de ceux qui affirmaient ,
al, Amenâbar semble bien décidé à
pas lié à une mode passagère, ou à des
ais par son professionnalisme
e spectateur, La carrière de ce jeune
19
ES: L'APPRENTISSAGE DU Synopsis
Ana rentre chez elle en fin d'après-midi et attend Roberto, son mari,
parti au cinéma avec son ami Antonio. Quelques heures plus tard, on sonne
à la porte, mais il a personne. Ana sort dans le jardin, où eUe est
par un homme qui la poursuit jusqu'à l'intérieur de la maison. La jeune
femme appelle à l'aide et se défend avec une paire de ciseaux. Au moment
où elle se rend compte que son agresseur n'est autre que Roberto, le
aux, les trois courts métrages réalisés sonne. Antonio lui apprend qu'ils ont eu un accident et que
s-unes des clés de son cinéma. Dans Roberto est mort. Quand Ana se retourne, elle pousse un cri de terreur en
entes variantes du thriller, sur le mode voyant la tête de Roberto transformée en un tas de chair fumante.
exif. !\.menübar parle de cette époque
apprentissage, au cours de laquelle il Commentaire
sordonnée. Ses trois histoires onl été
dans des situations quotidiennes. Comme l'a déclaré Amenabar dans plusieurs entretiens, La cabeza
n élément perturbateur qui finit par a été un exercice de cinéma réalisé sans connaissances techmques, ou
presque. Le court métrage, toumé dans sa maison de Paracuellos del Jarama,
commence sur une note de suspense aussitôt abandonnée au profit d'un
humour ravageur. Amenabar évoque cetle expérience en ces termes: "C'était
un court métrage de suspense et d'épouvante, mais devant le manque
d'efficacité du fîlm, nous avons décidé avec Mateo Gil de faire une fin super
gare: l'héroïne arrache la tête du personnage et celle-ci roule partout dans
la maison. Les gens étaient pliés de rire, et on a eu un
ejandro Amenabal'
dro Amenâbal'
Himen6ptero (992)
Alfredo Alonso
Indépendante des Fonnat : Hi-8
Durée : 20 minutes
12 Paula Ponga, "El maslisto de la clase: Alejandro Amenabar", Fotogramas n'1850 (décembre 1997). p.ll8.
21
Nieves Herranz (Marîa), Juana Macîas Amenâbar y joue le rôle de Bosco, un psychopathe
osco) obsédé par l'idée de capter la vie dans ses moindres détails au travers du
: Alejandro Amenâbar viseur d'une caméra.
ge de Carabanchel), meilleure
am d'Elche).
Luna (1994)
Format: lli-8
nit dans tm lycée pour tOUl11er un court Durée: 30 minutes
di, quand les locaux sont déserts, Tnterprètes: Eduardo Noriega Nieves Herranz (Luna) et
au travail. Dès le lejandro Amenâbar serveur).
car Marîa, l'actrice principale, n'arrive Co-scénaristes: Mateo Gil et Am::c'niÎ bar
s le film, elle est censée interpréter le Musique: José Sanchez Sanz
une sorcière diabolique, mais au lieu Récompenses: AICA du meilleur réalisateur ct de la meilleure bande
n'arrête pas de rire et fait rater toutes
de toutes sortes de stratagèmes pour
e de Bosco, le cameraman psychopathe, Synopsis
A la nuit après une dure journée de travail
des encyclopédies, Alberto est pris en stop par une mystériet
prénommée Luna. lis engagent la conversation et la jeune fille invite Alberto
e opposée à celle de La cabeza. Si à prendre un café dans un bar. En discutant avec Luna, Alberto se rend
urt métrage comme un film sérieux à compte qu'il a affaire à une folle furieuse et le serveur lui conseille d'être
er en une de film car ce n'est pas la première fois que la jeune femme s'en prend à
omédie d'humour noir qui débouche un auto-stoppeur. Alberto donne un faux numéro de téléphone il Luna, qui
, et qui annonce par bien des aspects souhaiterait engager une relation avec lui. En raccompagnant Alberto à
t autour d'un jeu de simulacres et son domicile, la jeune fille sans prévenir une route de campagne.
penche sur la ligne étroite Une dispute s'ensuit, au cours de laquelle Luna tire un coup de feu sur
teur dans les coulisses de la pnxitlction Alberto. Celui-ci finit par neutraliser la fille. On retrouve Luna un
23
nuit pour un nouvel TESIS : L'IMAGE VIOLENTE
e va vivre la même mésaventure
débute comme une comédie mais finit
Dans un temps, il devait s'agir Synopsis
ssinait son mari et cachait le cadavre
poir qu'un auto-stoppeur l'aiderait à Angela, étudiante de cinéma à la Faculté des Sciences de
la version finale et le suspense naît l'Information, prépare une thèse sur la violence audiovisuelle. A la
sonnages. Le film renfcnne plusieurs demande d'Angela, le Professeur Figueroa, son directeur de recherches.
e Alberto, Amenâbar a souvent fait du se rend à la vidéothèque de la faculté pour emprunter des films portant
personnage d'encyclopédies) sur ce thème. Il découvre par hasard un labyrinthe de galeries
mps Mateo souterraines où sont entreposées des centaines de cassettes vidéo. Le
vera à nouveau dans son propre court le retrouve mort dans une salle de projection et
dérobe la cassette était en train de Elle visionne Je film
de Chema, un étudiant de sa amateur de cinéma
faitement banale, le film se développe d'un snuff movie. Qui montre l'assassinat en direct de
va jusqu'au climax final. années auparavant.
tester des idées qu'il creusera par la
me l'a déclaré Amenâbar dans la revue Un peu tard, Angela découvre à la cafétéria de l'Université
Luna était un exercice de style. Le but une caméra semblable à celle utilisée pour du film
dialogues, de créer de la tension avec snuff. Elle suit son propriétaire, Bosco, mais celui-ci s'en aperçoit et se
et je l'ai mis en pratique dans Tesis" 13, met à son tour il la poursuivre. Bosco finit par avouer à Angela qu'il a
été l'ami de Vanessa. Quand Angela reprend sa thèse avec le remplaçant
un remake en couleurs de ce court de le Professeur Castro, celui-ci lui montre dans son bureau
à 1211111. tournées par une caméra de surveillance où l'on voit
"'l1nl','VP>l'de la cassette que regardait Figueroa au moment de son décès.
Castro exige que cc document lui soit rendu. Consciente du
Piano corto n'Il (1996). p.s.
25
bien être la prochaine victime. où un inconnu torturait Vanessa. Bosco la rejoint et s'enferme avec elle
dans le garage après l'avoir attachée à une chaise. Alors qu'il s'apprête
aux questlOns qu'ils se posent sur à la torturer devant sa caméra, Angela parvient à se détacher à l'aide
ema s'aventurent dans le d'un couteau ct fînit par abattre Bosco d'un coup de pistolet.
nissent par découvrir l'endroit où La dernière séquence se déroule dans la chambre d'hôpital où
Mais et Che ma ne savent Chema se remet de ses blessures. vient lui rendre visite. A [a
ment dans une obscurité télévision. un show retrace l'affaire des snu]T movies de Bosco
est revenue mais Chema a et Castro, et une journali~te annonce que les corps de toutes les jeunes
s elle pour la chloroformer. Quand filles ont été retrouvés dans le jardin de la maison de Bosco,
vre qu'elle est attachée à une chaise Quand la présentatrice lance la diffusion d'un extrait, Chema
r devant une caméra. Mais Angela dans le couloir et tous deux s'en vont Drendre un café.
tro et l'empêche de commettre son
ma tue Castro d'un coup de pistolet.
du sous-sol, et une fois revenus en Structure et commentaire
ma, la jeune fille tente de convaincre
a police. Mais qu'il prend Dans Tesis, le récit est encadré par un prologue et un
hema l'a filmée à son insu depuis qui soulignent le thème : la violence audiovisuelle et la
améra du même modèle que celui exerce sur le spectateur. Le film débute dans le métro
u]r Angela s'enfuit et décide d'aller par une ouverture au noir sur qui se rend à l'université.
air. Une fois chez lui, elle croit un homme s'est sous le train et le conducteur
que c'est sa fiancée qui, par jalousie, demande aux passagers de quitter le wagon sans regarder la voie où
ans les snuff rnovÎes. Mais, soudain, le corps mutilé du suicidé. Mais Angela s'écarte du groupe afin
on et Bosco, en descendant au rez­ d'observer le macabre spectacle. Le film définit ainsi dès le départ la
est attaqué par Chema, psychologie paradoxale de ['héroïne qui, face aux d'une violence
mme va l'assassiner elle aussi, mais extrême, hésite entre fascination et répulsion. La scène d'introduction
otéger. Bosco, qui n'est pas mort, pennet de créer l'atmosphère de suspense qui régnera tout
ns les bras d'Angela en disant "Le au long du film.
s mains de Chcma, Angela se rend
naît horrifiée le décor du film Le corps central du récit obéit à une structure linéaire qui est
27
du thriller dans sa version whodunit spectateur interne qui de manière victime de son
4. Une est proposée (ici, des attirance voyeuriste pour la violence audiovisuelle.
a de résoudre tout au long du film. Le Chema, le st:ul qui avoue prendre du lorsqu'il voit des films
st double: il dans un premier extrêmes, est également le seul à la bande vidéo avec l'objectivité
niversitaire (elle prépare une thèse), et la distance nécessaires à la résolution de
essivement en enquête policière. De
directeur de thèse, la félicite pour son L'espace de la vidéothèque où s'aventure Figueroa introduit la
son approche objective de la violence figure du labyrinthe comme instrument de suspense et comme métaphore
le fait qu'elle ne soit pas tombée dans de la structure caractéristique du thriller. Tout comme un récit à
événements ultérieurs démontreront suspense, le labyrinthe est une structure géométrique aux formes
et que la fascination pour les images élaborées dont le but est de faire naître un sentiment de désorientation
u comportement d'Angela, même si et de confusion. C'est au sein de labyrinthique de
ussion avec elle lui demande la vidéothèque que sc cache le cœur de et c'est là que devront
de la faculté des Iïlms aller Angela et Chema pour la résoudre.
Mais avant d'arriver à cette scène de Amenâbar
entre en contact avec le temps de fouiller le personnage le film étant raconté de
obsédé par le cinéma gare et son point de vue. Quand elle trouve le corps de sa réaction
onnent un film constitué de montre à nouveau à quel la mort la fascine. Au lieu de crier ou
des à l'aide. elle observe le corps en silence et parcourt de la main
tule Fresil Blood et Soudain, elle conscience du lien
re, 1978) ou ,'vIondo Cane entre son décès et la vidéo était en train de et décide
années 70 et 80, à un moment où le donc de subtiliser la cassette.
montage
ù il entre dans la VIdeotheque pour Le contenu du film n'est révélé que par afin de raire
Cette construction nous montre de monter le suspense. Avant de les écoute sur
réactions des personnages face à la la bande-son les cris d'une fille que Chema identifiera plus tard
du dégoùt mais regarde comme étant Vanessa. Une fois chez résiste à la tentation
de regarder les où Vanessa est torturée puis En accord
avec le point de vue subjectif qui structure le film. ct cherchant à nt:
es 30 et désignant un type de récit Où le lecteur est invité, peu
ce aux indices volontairement disséminés dans l'intrigue (N.d.l).
29
ages morbides que Tesis Dans sa fuite. Angela fait tomber des coupures de presse relatives
ue les images que voit effectivement de Vanessa, la jeune fille assassinée. Quand Angela,
la majorité des images violentes du avoir ses esprits, déclare préparer un reportage sur la
ntaires de Chema. On retient de ce disparition de Vanessa, Bosco avoue avoir connue l'étudiante et se
rnier, ainsi qu'un très gros plan propose pour une interview. C'est Chema qui filme l'entretien qui a lieu
aché en partie par ses doigts qui quelques jours plus tard dans une salle de cours. Quand Angela rentre
perrnettre de voir le spectacle, geste chez Bosco est là, qui l'attend. Il est venu tourner les plans de
;onnage. Grâce à la texture du zoom ('r"nt"p('I'~tnn que Chema a oublié de filmer.
viner quel modèle de caméra a été
dans ce qui aurait dû être un plan­ Cette nouvelle rencontre avec Bosco repose sur un dynamique
re que la victime connaissait son assez semblable à celle de la scène de la cafétéria. On déduit la présence
ner de la bande les passages où elle de l'assassin de celle, inattendue, de la caméra. Quand elle la découvre,
s'enfuit mais finit par tomber sous le charme de Bosco.
Tandis qu'il filme la fille dans sa cbambre, Bosco se
re Angela et Bosco à la cafétéria de d'elle peu à peu la dominer com n1 i>te>rnPr
ileté le metteur en scène domine la fin à son harcèlement scelle la relation
ent il est capable à la fois de suivre s'établir entre les deux personnages. La séquence suivante apporte une
e du thriller. Angela voit d'abord la nouvelle confirmation du pouvoir de séduction de Bosco,
de la famille d'Angela. Tout cela vient renforcer
édiatement une thematlque souterraine et récurrente dans le film : l'intrusion de
assassin, l'horreur dans l'univers domestiaue de la famille
d'abord Yolanda, sa fiancée,
teur qui annonce la scène où L'ambivalence des sentiments d'Angela est egaleme
celle où Vanessa a été torturée. La par l'un de rêves. Elle se rend compte dans son sommeil
ersonnages s'établit ainsi au travers caméra est en train de la filmer. Elle se rendort, et rêve alors que Bosco
par le contrôle des mécanismes de entre dans sa allume la caméra, et lui plante un couteau dans
uite qui a lieu juste après est une le dos en l'embrassant fougueusement. La première partie de la scène
spense, à la seule différence que la lorsque l'on découvrira que Chema, dans son
n tour poursuivie à l'intérieur d'un a réellement filmé Angela. Cette séquence parallèle,
ouloirs de la faculté). estompe la frontière entre rêve et réalité, constitue
31
un élément de rmtngue pour utilisé pour réaliser les cassettes. Le suspense devient plus intense
itable personnalité de l'assassin et quand, avant de s'enfoncer dans les souterrains, découvre que
omplexe qui unit les personnages. Chema connaissait déjà Bosco et a réalisé avec lui des vidéos
par le pouvoir du rellard et et des films violents. La descente aux enfers
te domination. des deux personnages est ainsi précédée d'un nouvel effet de surprise
le spectateur de découvrir la véritable identité de l'assassin
les relations de Amenâbar et lui masque le coup de théâtre suivant.
tre Angela et Castro dans le bureau
thème de la vi.olence audiovisuelle Comme ils sont des sous-sols, voyant la
ela, le metteur en scène doit être nervosité raconte une histoire. A la fin du film, on découvrira
pas se laisser tenter par elle. Castro, du récit d'Oscar Wilde, Le nain et la princesse:
re ce que le public veut consommer.
e de ['audiovisuel est Il était une fois une qui vivait dans un immense
proche de celle des moyens de Le jour de ses treize ans, on donna une grande fête en
culier la télévision (n'oublions pas son honneur. avec des traDézistes. des magiciens. des clowns ...
om des shows en ~~"'''t,''- Mais la C'est alors qu'apparut un un
urant l'un de ses cours que le cinéma faisait des bonds ct des pirouettes. Son arrivée
elle, elle doit proposer des produits fit sensation.
au public, il n'va aucune "Bravo, bravo !", s'exclamait la
qui décorent son bureau ct en riant sans cesse; et le nain, que sa joie encourageait, sauta
: sur une Castro pose comme et sauta encon:, jusqu'à finir par s'écrouler de fatigue. "Saute
, tandis que des reproductions de encore, s'il te plaît", supplia la princesse. Mais le nain était
es Pt·,,,~p,·,,,c exténué. La princesse devint triste et se retira dans ses
appartements ...
ns les sous-sols de la faculté sert à Quelque tcmps plus tard, le nain, tout fier d'avoir réussi
et à divertÎr la princesse, décida d'aller la chercher, convaincu
qu'elle viendrait vivre avec lui dans la forêt. "Elle n'est pas
e caméra de surveillance avait filmé heureuse ki", pensait le nain. "Je m'occuperai d'elle et je la ferai
eux étudiants décident d'y enquêter tout le temps rire". Le nain traver:sa le palais, cherchant la
ien là qu'est entreoosé le matériel chambre de la Drineesse. mais en arrivant clans l'un des salons,
33
devant lui ~e tenait un monstre avec d'Amenabar.
guinolents, des mains velues et des
uhaita mourir sur le champ quand il Les deux responsables du réseau de vidéos snuff (Castro et Bosco)
nstre n'était autre que lui-même, que meurent dans des scènes parallèles. Dans les deux cas, Angela
s que la princesse et sa suite entrèrent conscience et se retrouve attachée à une chaise tandis que l'assassin
tente de filmer sa mort, sans se douter que c'est la sienne que la caméra
tombe bien. Danse il nouveau pour s'apprête à Castro, le cerveau de l'opération, meurt des
n était étendu sur le sol et ne mains de et Bosco finit par succomber face à Les deux
s'approcha de lui et lui prit le scènes se concluent habilement, mais le scénario a tendance à s'entortiller
us, Princesse" lui dit-il. de manière excessive à mesure que la fin approche. Les fausses
son cœur s'est brisé". Et la f.llHll,,"'''''' s'accumulent et, après le premier climax (la mort de Castro), le film se
ue tous ceux met il réclamer un dénouement.
Le deuxième climax a lieu dans le garage de la maison de Bosco,
élèbre conte permet tout d'abord de là où ont été tournés les films snuff. Dans une atmosphère propre au
eurs, c'est une manière genre (pluie, éclairs, tonnerre), Angela se retrouve à nouveau face il
sonnage. Son identification au héros l'un de ses bourreaux comme la fois précédente, les rôles vont se
ure où, depuis le début, il est présenté trouver inversés. A cet instant, Bosco s'attarde avec délectation sur les
. Le personnage de Chema se définit moindres détails de 80n sanglant rituel. Il la caméra, le
e Bosco, le séducteur. Lors d'une son et explique froidement à ce qu'il va lui faire subir: la frapper,
ela, Cbema souligne lui-même cette la mutiler, la tuer et la découper en morceaux. A l'aide d'un couteau
e sympathique"). De ce point de vue, (autre élément cliché), Angela parvient à se libérer, à blesser Bosco et
omme une déclaration d'amour faite à s'emparer de son Sûr de son pouvoir de séduction, et alors
e genre de confession, Le spectateur qu'Angela le met en il lui demande, comme il l'a déjà fait: "De
ntage sur les sentiments de Chema, quelle couleur sont mes yeux 7". Quand Angela fait feu, l'inversion des
de tendresse qui le rend attirant rôles est consommée. En poignardant Bosco, elle change la relation de
onte contribue à créer l'atmosphère telle qu'elle s'était établie dans son rêve, et en tirant sur lui,
ce du sous-sol. On remarque en effet elle intervertit les rôles de la vidéo snuff. L'assassin devient alors la
on très romantique pour la difformité, victime du film qui est en train de se tourner.
ses, fascination que partage le cinéma
~
35
de développements baroques pas ces médias.
ue par contre l'un des moments les
'attention du spectateur, au delà de Le personnage d'Angela est de l'attitude du
s implicite du film. Pendant que les spectateur moyen face au phénomène de la violence audiovisuelle. Peu
s par un reportage télévisé sur les de gens admettent qu'ils prennent du plaisir à ce type
ema tournent le dos aux el mais rares sont ceux sont capables de ne pas les regarder.
oirs retentit cependant la voix de la L'attitude ambivalente face au phénomène de la violence est perceptible
mages qui vont être diffusées sont lors des différents moments où Angela s'y trouve confrontée. Le premier
té des spectateurs. Au moment où d'entre eux se situe dans le métro de Madrid, en raison d'un
fond au noir, et le début du reportage accident, elle est obligé de quitter le wagon dans lequel elle voyageait.
Dans cette scène, nous sommes les témoins d'un qui se
"P",Pte',·" à à savoir l'intrusion de l'horreur dans la
du quotidien. Le policier demande aux passagers de ne pas
"~N~,·rlO~ 1~ ~~"~0 n,,; N~; mutilé sur la voie, mais l'insistanee avec
indirectement que
ne peut la tentation
instants, nous sommes
il apparaît clairement que c'est Dt:CŒCle de la mort, nous comprenons que l'horreur
de la violence, de et de
esse le metteur en scène. La réflexion
termes de simple condamnation de Au cours de sa conversation avec Figueroa, Angela insiste sur
par les médias; le problème est au le fait que le thème ['intéresse non pas pour des raisons morbides, mais
ctive beaucoup plus complexe, qui en tant qu'objet d'étude universitaire. Né.anmoÎns, Angela comme
ter des réponses: pourquoi produit­ Figueroa laissent transparaître un sentiment de voire de
conSOlllme-t-on ? Pourquoi exercent­ face à l'objet de leurs recherches. Evoquant la
sur les spectateurs? Est-il iJV'~lIU'" des films violents à la vidéothèque, commente
t distanciée dans le traitement de la . Quant à
la simple dénonciation, en soulignant
ctateur et l' obiet de son raisons elle a choisi ce thème: "Ces films ne m'intéressent
ils m'intéressent pour ma thèse". La recherche
es
--a..

37
vue objectif est remise en faut voir mais c'est impossible.
est la première victime et il
soit la dernière.
e est la plus perceptible, c'est lors Je regarde, tu regardes, il regarde.
t l'attitude est l'antithèse de cc)]e
iolentes sans chercher à s'en caeher En psychanalyse, la (c'est à dire la stimulation ou la
partement est décoré d'affiches et satisfaction sexuelle qu'entraîne le fait de voir l'autre ou d'être vu par
du cinéma d'horreur. La lui) est considérée comme l'une des perversions primaires 16 • I:acte de
chamhre, où il ingurgite des films devient un but en soi pour le ou
e le logo de la série Faces of Death, et l'œil acquiert la condition de zone qui se substitue aux parties
Répondant aux cris de La vue remplace le toucher et devient même un processus
ire, tout ça ?"), Chema renvoie la de manière autonome et conduisant à une variante
("A toi, par un peu de la pénétration de l'autre 17.
visionnent la cassette chez Comme l'ont clairement établi Michael Powell dans la
: Angela essaie de résister mais ne 1960) et Laura Mulvey dans la théorie (cf. son article Visual
avoir caché dans un premier temps Pleasure and Narrative Cinema), la scopophilie est l'un des instincts
ant un coup d'œil furtif à entre en jeu dans la production et la réception
elle se reprend aussitôt et continue S'il y a bien un objectif commun à tous les films,
r de Tesis partage cette du plaisir: le de regarder une personne comme
nt qu'il voudrait pouvoir réprimer. celui de s'identifier à un personnage ou de se reconnaître en
quiète en tant que spectateur car il celui de créer une illusion particulière de réalité par la
: nous non nous ne pouvons d'lm univers Le texte cinématographique satisfait le de
n du film ravive ainsi la conscience voir à la mise en scène d'un langage du désir (complexe et tout
finalement, nous croyons que nous sauf innocent) : le désir de savoir, le désir de mais, surtout,
es dans le reportage diffusé par la désir de voir.
, film fait disparaître l'objet de
e la dynamique voyeuriste
urant plus de deux heures. Hnous
in Renata Salee! et
Kerekes et David Slater, Killing for Culture. An lIIustrated Film and Theory:
on Books. 1995).
........

39
is sont victimes d'une obsession expérience radicale (sacrifice rituel, spectacle sanglant) qui menace les
ffet trois étudiants qui utilisent les limites du moi intègre et cohérent d'une dissolution, d'une rupture de
s le cas cette la frontière entre le moi, l'autre et l'univers. L'infini qui se déploie à
assive, tandis que chez Chema et l'approche de la mort évoque et implique la désintégration du moi
ment que Freud attribue au propre à l'épiphanie érotique, connue sous le nom significatif de
nt les couloirs d'une université mort"19. De la même l'extase sexuelle et la mort se fondent dans
lance. A reprises, le film l'expérience onirique d'Angela. Mais nous ne pouvons pas oublier que
sciente de ces caméras. Bosco voit dans les instants qui ont précédé le rêve, Angela se savait également
vers de l'objectif de sa caméra ct filmée (regardée) par une autre caméra. On découvrira ultérieurement
t, il ne la laissait sortir de son de celle de Chema. Les deux personnages masculins semblent
e Castro, Angela se regarde elle­ ainsi investis des traits caractéristiques de la scopophilie active, tandis
de qu'Angela est associée implicitement à sa variante masochiste, ou
a féminine.
train de contemp La scène où les trois personnages se trouvent réunis dans la
élévision. Cette maison de Bosco est d'une importance capitale et permet de voir dans
scènes d'une densité l'esis une transgression du discours patriarcal habituellement dominant
au carrefour du dans le cinéma d'horreur. Dans l'espace rituel où ont lieu les assassinats,
Angela pointe son revolver sur Bosco, celui-ci lui demande: "De
couleur sont mes yeux 7". L'assassin répète ici les mots qu'il a
prononcés dans la chambre d'Angela (lieu de sa possession
que nous avons de]a évoqué. cinématographique et homicide). Angela, jusqu'alors objet du regard
ossédée sexuellement et assassinéc masculin, appuie sur la gâchette_ Grâce il cette castration
a filme pour Je plaisir d'autres est la zone érogène du scoDoDhile). Angela récupère sa condition
ur Bosco répond à une impulsion mt généralement définis entre
m, elle est incapable de faire la hommes et femmes dans la société patriarcale. Elle assume par
n, entre peur et désir, entre extase un caractère prédateur qui remet en question le rôle passif
évoque le lien qu'établit traditionnellement assigné aux femmes dans les films d'horreur.
extrêmes. Pour Bataille, L'enquêteuse finit par devenir protagoniste de l'enquête, l'assassin finit
se que réveille n'importe quelle par devenir sa victime, et celle qui aurait pu n'être qu'une
19 En français dans le texte. Georges Bataille. L'érotisme (Paris: Minuit, 1957), p.17-32.
~
41
ne condition de sujet. Tout au voyeurisme et la création cinématographique.
réussit à surmonter son attirance
les mécanismes de La réflexion la plus jamais menée sur les liens
à savoir la thèse, unissent voyeurisme, violence et cinéma se trouve dans un film
on scopophile. qu'Amenâbar ne mentionne dans aucun entretien: Le Voyeur, de Michael
Powell (1960). Un film qui. de même que Tesis, interroge la
du spectateur à prendre ses distances avec la violence. Le Professeur
Castro rappelle le personnage du producteur dans Le que Powell
de manière satirique et qui, comme défend
fanatiquement une conception purement industrielle du cinéma.
dans Tesis de divers textes Cependant, le destin de ces deux films ne pouvait pas être plus différent.
t la volonté d'Amenabar de réaliser Si Tësis marqua la consécration instantanée de son réalisateur, Le Voyeur
ur et le cinéma de genre. Même si fut démoli par la critique et ruina la carrière cinématographique de
du thriller son einéma Michael Powell.
iers courants du cinéma européen.
écho des problèmes sociaux et des Pour ce qui est du cinéma deux films semblent avoir
retrouve également dans toute une Tesis de leur empreinte: de la ruche (1973) de Vîctor
u non, marchent sur les traces de Eriee et Arrebato (1979) d'Ivan Zulueta. Dans le cas du film d'Erice,
le lien serait la d'Ana Torrent qui, à chaque canalise
l'histoire à travers son hypnotique. Comme L'esprit de la
ar affirme avoir eu à l'espnt au ruche explore le thème de la violence dans la société Mais
sont deux thrillers là où Eriee évoque la violence sous le franquisme, Amenabar
ux (Demme, 1991) et s'intéresse à l'utilisation de la vÎolence par les médias. Le scénario
Demme, tiré du roman de original même une scène où Amenabar rendait un lUlllllll,tlgC
ique du thriller psychologique qui, explicite à Erice, mais dIe fut finalement
tières entre les genres. Amenabar Le film de digne héritier comme Tesis, du Voyeur, est
io en écoutant la B.O. de Psychose. l'une des productions qui explore avee le de profondeur
stoire d'un tueur en série, qui est le thème du cinéma dans le cinéma, et plus spécialement le caractère
ce explicite, il faudrait de la production cinématographique. Dans Arrebato, un
k, J 954), qui explore à la fois le metteur en scène de films d'horreur de série B et un ieune homme
43
en 8 sont assassinés par leur s'appliquer aux récits de Powell, Belvaux et
la caméra devient l'instrument de Amenabar: "Le problème, cc n'est pas comment je montre la violence,
mais plutôt comment je montre au spectateur où il se situe par rapport
à la violence et à représentation"20.
deux autres films abordent
isuelle dans les mêmes termes que Dans le dossier de presse de le cinéaste
s (1992) du Belge Rémy Belvaux et l'importance de son travail en déclarant que son film est "un des premiers
Mkhael Haneke. Le film de Belvaux à aborder directement le thème des . Si c'est absolument
écrit le tournage d'un documentaire vrai dans le cadre du cinéma espagnoL il faut néanmoins préciser qu'il
pathe qui finit par impliquer dans existe de nombreux précédents au niveau internationaL Le film de
es qui l'accompagne. Funny Games, Michael Powell portait déjà sur cc thème, même si c'était avant la
ur à Tesis, est un film dans lequel lettre 21 (on ne commence à du phénomène du snuff que dans les
lligente de la violence audiovisuelle. années 70). Le Voyeur en effet à sa sortie la réflexion la
s vacances cauchemardesques d'une complète iamais menée sur la violence et le cinéma.
risée par un couple de jeunes gens
réOexion sur la violence se construit La commercialisation d'images violentes et leur diffusion par le
ur la fascination sur le biais des moyens de communication de masse est également une
macabres. Dans le filIn de Bclvaux, thématique centrale de Videodrome (Cronenberg, 1983). Les autres
urs reprises de manière productions américaines qui abordent ce comme par
dérouter le spectateur. Peu The Art of Dying (Hauser & Moleveld, 1991), The Finishing Touch
ou non au personnage principal: (Gallo, 1992) et The Darkside (Magnatta, 1987), sont des produits de
et à nous demander ce qu'il série B obéissent à la conception industrielle du cinéma que défend
ndre que c'est avec le spectateur que Castro dans Tesis ct qui utilisent le genre du comme moyen
ar contre, montre les effets et les morbide pour attirer l'attention du public.
que la violence elle-même. Comme
des victimes et de leurs tortionnaires Trois autres films américains abordent ce thème
ce extrême se déroulent hors-champ. d'exigence: il de Témoin muet (Waller, 1994), The
non seulement de notre implication Brave 1997) et 8mm (Schumacher, 1(99). Dans Témoin muet,
articipation inconsciente à toute une qui est immédiatement antérieur à Tesis. une femme muette assiste
ons de Haneke à propos de son film accidentellement au tournage d'un film snuff et se trouve
"Funny Games: Exploration of Reactions to Texture", the New York Times (11 mars 1998).
(NdJ.)
.........

45
de la relation du spectate ur au produit cinématographique.
travers Moscou, ville ténébre use
Témoin muet installe le cinéma
Dès le départ, Amenâb ar joue avec notre implication dans le
meurtre est une maquilleuse
texte. Le film s'ouvre sur un écran noir et une voix ojT
indépen dant) et accumu le les
s'adres ser à nous comme au début d'un
bles dans une atmosph ère lourde
Messieurs ... ". Quelques instants plus tard, nous compre nons que nous
s'intéresse pour sa part au milieu
ne sommes pas les destinat aires du message (ou tout du moins pas
rivé (Nicolas Cage) y mène une
de :ctemcn t), car la voix s'adresse aux passagers d'un train. Les clins
d'œil adressé s au spectat eur sont cepend ant si nombre ux qu'il est
possible de faire surgir un sous-récit allégorique dans lequel, tout au
m de genre. Son
du film, notre relation à la fiction représentée se trouve dramatisée.
jeune indien américain Je
r de films afin de sauver sa Quand le conduct eur du train cric aux passagers "Ne regardez pas!
vous en prie, pas de voyeurisme rH, il s'adresse à nouveau indirectement
f, The Brave est une émouva nte
au spectate ur, devenu voyeur 22 désireu x de voir plus. Cepend ant.
indigènes dans le monde civilisé.
Amenâb ar cherche à ne pas verser dans l'horreu r facile: "L'un des
principaux défis de ce projet consistait à rendre compatible la crudité
du message avec la sensibilité du spectateur. Je crois qu'il est possible
d'abord er un sujet aussi terrible que celui-ci sans être obligé de
choquer"23.
a à l'intéri eur même du texte
Dans )ç film, la thèse opposé e apparaî t dans la bouche du
une des préoccu pations centrales
ar exemple, il applique ce mw·,:;rlf , Professeur Castro, qui se lance dans une défense éhontée du cinéma
industri el:
sur la relation
Qu'est- ce que le cinéma ? Ne vous y trompez pas. I.e
ar ailleurs, dans le
cinéma est une industrie, c'est de l'argent. Il s'agit de millions
ion de réfléchir la mecamq
et de centaines de millions que l'on investit dans des films et
as totalem ent concrétisée, le film
sur le monde que l'on récupère sous forme de recettes. C'est pour cette raison
ne réflexion
n'y a pas de cinéma dans notre pays. Parce qu'il n'existe
alité sociale dans laquelle il s'inscrit.
aucun projet industriel. Parce qu'il n'y a pas de communication
vec le plus de orofond eur est celui
22

23 Producciones dei Escorpi6n, 1996).

47
c. Nous en sommes arrivés à un OUVRE LES YEUX: ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ
rra être sauvé que s'il est
ielle. Vous êtes des étudiants de
cinéma espagnol. Sauvez-le. Là,
vous attend, prête à vous écraser.
de la concurrencer: donner au
'oubliez pas.
Synopsis
mme un manipulateur cynique. Il
Bosco: son tempérament est froid Prostré au fond de sa cellule dans un hôpital psychiatrique, César,
dien constitue son idéal esthétique un Jeune homme de vingt-cinq ans, expose à un médecin les raisons
ncurrencer l'industrie américaine pour lesquelles il eroit avoir été interné. Héritier d'une fortune
ste sur la logique industrielle du idérable, séduisant, jouissant d'un grand succès des femmes,
vent conduire au marché, et comme César est un garçon à qui la vie sourit. Le soir de son anniversaire, il
ccs de notre société narcissique ct tombe amoureux de Sofia, une jeune femme que lui a présentée
thique et méme la morale doivent son meilleur ami. Dès le lendemain, César retrouve Nuria, sa fiancée
ie. du moment, et lui annonce vouloir mettre fin à leur relation. IJ accepte
pourtant qu'elle le raccompagne chez lui en voiture. Nuria, folle de
s cherché à réconcilier le cinéma lance le véhicule au fond d'un ravin. Dans l'accident, la
ec Tesis, il a apporté la preuve femme trouve la mort et César est atrocement
divertissement à la fois intelligents
es impératifs économiques sans en Les mois passent et les chirurgiens, malgré les sommes
(dans le cas qui nous intéresse, le considérables que leur verse sont incapables de reconstituer son
e à son fauteuil visage. Un jour, César croise SofÎa, qu'il n'avait pas revue depuis le soir
mplique quant à lui de renoncer aux de l'accident. Son comportement a changé: elle le fuit, incapable de le
woodien obnubilé par le box-office. dans les yeux. César réalise que son physique, qui l'a
Tesis fait mentir l'idée selon servi, peut maintenant ruiner son existence. Amer et
ons films de genre en Espagne. saoule et s'endort par terre, ùans la rue. Mais à son réveil, sa vic
un nouveau cours, il n'est plus sûr de rien: les choses ne sont pas ce
être, les morts ne sont pas morts, la fiction se mêle
49
n'éta it qu'u n cauchemar. Cependant,
ssé. César croit que tout le mon de qui laisse ente ndre que cette vision
chro nolo gie des évén eme nts, il eot
r pens er que tout cela n'es t qu'u n si l'on essa ie de reco nsti tuer la
la vie de César, pas
de situ er préc isém ent ce rêve dans
e ou virtuelIe.
ne peut en déte rmin er la nature, réell
fin: César s'est suicidé après avoir
e série de flashbacks
, une firme de cryogénisation, afin Le corps du film se com pose d'un
pou r sa part dans l'asile où César
mor t et qu'i l puisse vivre ainsi une sur le nrés ent rli".()'pt;r",~ qui se situe
hiatre
lupm t des événements r"',~r",~p'nip dc Sofîa. Le héros relate à un psyc
11 est
les plus intimes, mais une l'on t mené à sa situa tion actuelle.
situe en l'an
rêve en cauchemar. Un employé de que le présent de la narr atio n se
ente ndu qu'à la fin quan d, dans
alité virtuelle afin de lui 214 5. Nous ne le com pren ons bien
avec ses tour men ts: mou rir une tout es les clés de l'histoire.
César se jette dans le vide du hau t
Ouvre les yeux les faits dans l'ord re
éalité du XXl lèm e siècle.
suiv ant:
1. Prol ogu e: cauc hem ar dans Cés ar se réveille et erre
dans les rues de Madrid rlé.,·o ,·+cc
2. Enfermé dans un asile Cés ar raco nte ce qui lui
e est arrivé au
es yeux est enca dré par un prol ogu
.
m une appa rent e stru ctur e circulaire
de a. fête
et un silence que rom pt une voix
b. chez Sofîa
ée sur un réveil élec tron ique et qui
. César se réveille et, aprè s c. acci dent
es
ce, sort se promener. C'es t alors que
3. Dan s [e parc (rêve)
presque fantasmagorique. En arrivant
4. Suites de
Madrid., César découvre horrifié
un
les rues. La cam éra s'élève dans
une ville com plèt eme nt dése rte.
Le a. explications des chirurgiens
veil se met de nou veau à sonner,
ce b. renc ontr e avec Sona au parc
(N.d.T.).
51
et Sofia dans la discothèque de prévoir la suivante. Amenâbar refuse d'organiser le récit
de manière linéaire pour mieux amener un final surprenant. Mais,
elle rêvée par César: comme Tesis, Ouvre les yeux est le récit d'une descente aux enfers,
étouffante et imprévisible, qui part d'un contexte banal pour s'aventurer
ec Sofia au parc sur le terrain de la science-fiction.
Sofia
ent
pliqués L'histoire de César
bandonner son existence virtuelle.
Les événements vécus par César sont évoqués dans l'histoire
César. qu'il raconte à Antonio, le psychiatre. Au début de son récit, César se
réveille, puis refait le parcours qu'il a suivi dans le cauchemar du
vre les yeux par rapport il Tesis tient prologue, à la seule différence que, maintenant, le halo fantomatiq
chronologie et dans la mise en a disparu. Ce deuxième réveil de César coïncide avec l'apparition du
coup plus complexe. Les rêves se titre et du générique, auxquels se superpose la conversation avec le
ité virtuelle, aux souvenirs, de telle Peu après, le thème musical du film retentit pour la première
stituer le puzzle qu'à la fois. Alors que dans la scène du prologue le protagoniste était seul,
données. Cela du spectateur un nous voyons il présent que Nuria a passé la nuit avec César, et que les
up plus ardu que pour la première rues de Madrid sont pleines de monde.
me si l'épilogue fournit toutes les
nt la sortie du film, de nombreux Au cours de la fête d'anniversaire que César organise chez lui,
ans avoir compris les tenants et les Pelayo arrive accompagné de son amie Sofîa, qui accapare
ter la compréhension de cette histoire immédiatement l'attention du héros. Sous prétexte d'échapper au
ns les pages suivantes une description harcèlement de Nuria, César s'enferme dans sa chambre avec Sofia, et
et rêvés par le personnage c'est le début d'un flirt qui se prolongera jusqu'à l'aube. Une complicité
sentimentale s'installe progressivement entre eux, qui marquera
e secret du film ne se réduit pas au profondément l'inconscient de César. Alors que Nuria avait été présentée
dans chacune de ses lcarnation du désir sexuel dans ce qu'il a de plus
me une surprise et le spectateur est voire DatholmriOllp. Sofia pour sa part est associée au monde
.....
1
53
Afin d'introduire le spectateur dans son lIlcapaCIte à accepter son état, les chirurgiens lui ta bnquent une
Amenâbar montre César en train de prothèsc faciale pour cacher son visage mutilé. Tout au long de l'entretien
t les murs de son Les avec le psychiatre. César portera cette prothèse, symbole de la fausse
e les deux personnages réalité que de cryogénisation a créée pour lui. La scène
re sentimentale intense, qui donne dans le parc, est l'une des plus émouvantes du film. C'est là
ré sur leur relation amoureuse. C'est lieu les retrouvailles entre les deux personnages, à l'endroit
iste de la cryogénisation est évoquée même où César s'était promené en rêve avec Sana. Tandis qu'elle donne
diffuse un documentaire sur ce sujet, un spectacle de mime dans le parc, le visage s'approche
français qui, à la fin, nous donnera d'elle. Il se Tnet à et la pluie efface peu à peu le maquillage de
e ce mystérieux personnage a lieu à la fille. Les tons chauds de la
ébouche sur un récit secondaire qui contribuent à installer une atmosphère triste et

de reconstituer le puzzle le sentiment de perte éprouvé par César. Même si elle fuit son
Sona accepte de sortir avec lui le soir même.
ar sort de chez il tombe sur La scène où César retrouve et Sofîa dans la discotl1èql
t veut le raccompagner chez lui. Au est traitée de manière étonnante., et met en évidence l'aliénation et la
la voiture, nous prenons conscience solitude du jeune homme, qui ne parvient pas à accepter son nouvel
vis-à-vis de César. Comprenant que état. Ses déhanchements sur la piste, alors qu'il est sous l'emprise de
uquel elle le soumet, et devinant ses évoquent rapidement une danse macabre. Un
de de se jeter dans un ravin. La scène séquence nous montre César perdu dans la foule, et lorsqu'il ramène
e et efficace, adopte le point son masque en arrière, il semble affublé d'un double profil qui se dessine
ure baigne dans une qui suit entre César et Sofîa est la répétition
la séquence ont eu lors de la fête d'anniversaire: cette
Sofîa un sentiment de tendresse, de séduire à nouveau l'objet de son
de plus en plus vive. qui trouve son s'empare de lui. Le
usique rock, la vitesse, le ciel nuageux entre les deux scènes est renforcé par un lent travelling circulaire, utilisé
t autant d'éléments qui entretiennent à chaque fois à des fins bien distinctes: la première le cercle que
dessine la caméra autour des personnages les réunit, alors
il insiste sur la sensation d'étouffement Qui étreint Sofia.
st horriblement défiguré. Constatant
55
s'être séparé de ses amis, César un grand lyrisme. La jeune femme enlève les plaques qUl recouvrent
r. C'est le moment où réalité vécue son visage et découvre, stupéfaite, que celui-ci a retrouvé son aspect
ntact. A partir de là, on découv re habituel. Certains gestes sont des allusions à des films chers à
st inventé. Mais il faudra attendre comme par exemple, César porte l'index à sa bouche en contre­
homme a été imitant ainsi une des images les plus célèbres dT T (Spielberg,
xtension a prolongé sa vic de manière Mais les choses se mettent soudain à dévier de leur route. Le
ir de sa fin Ainsi, tout ce à nouveau à la télévision. Un beau .iour,
César se réveille (pour la quatrième fois dans le film) le déformé.
n'est rien d'autre qu'un rêve dont il
vénements réellement vécus ensuite Par ailleurs, Sofia prend subitement l'apparence de Nuria. Si pour le
que le psychiatre lui fait remonter de spectateur, comme pour César, il s'agit alors d'halluc inations ou de
au moyen d'un procédé rèves, on découvrira à la fin quc ce sont en fait des interférences entre
e cryogénisation. Le film se termine l'inconscient de César et le monde virtuel qu'il s'est construit lui-même
avec J'aide de L~re Extension. Pour une mystérieuse la tentative
entend la phrase du début ("Ouvre
une infirmière. Elle marque le retour de créer une continuité parfaite entre la réalité vécue et la réalité virtuelle
145. a échoué, ct le monde de César est progres sivemen t envahi par
fantasmes Dans la confusion qui César
peu à peu des tendanc es parano ïaques et se croit victime d'une
conspiration où tout le monde semble impliqué. Lors d'une nouvelle
scène dans la le personnage du Français intervient pour
la première fois directement afin de César qu'il est en train
ieur de son rêve, César découvre le de créer lui-même son propre enfer. Pour lui démont rer qu'i! est en
], et se avec lui dans le parc. mesure de contrôler la réalité, il l'invite à formuler un souhait. César
mineuses peut être mise en parallèle demande que tout le monde se taise et, au même
peu plus tôt par César. Son fait. Cette scène est l'une des plus terrifiantes du film:
ce qui nous fait croire que du héros est en effet fragilisé. et J'inquiétude grandit chez le spectateur
l'aime et les chirurgiens lui annoncent souligné, partage le point de vue de César.

acle qui pourra lui rendre SOI1


Suite il cette séquenc e, César se chez Sofîa, il
u lui sourire.
recherc he de réponse s aux
qu'il se pose. De nouvell es
a l'opération sont filmées avec distorsions de la réalité accélèrent l'effondrement mental du personnage.

57
r les les murs Quand sur le toit de le
que sa relation sentimentale
avec Sona, le de sa fiancée avec Sona n'a été qu'un mais un rêve vécu avec la même intensité
ria, Dans un geste de fureur et de que la réalité. Duvernois explique à César que la seule solution pour
oreiller. En sortant de la pièce, il mettre fin au cauchemar qu'il est en train de vivre est de mourir à
e que son est à nouveau l'intérieur de son rêve. César se jette alors dans le vide et la voix d'une
série de flashbacks par infirmière le réveille en 2145.
o. Les faits s'enchaînent ensuite
final et coïncident avec le
réapparaît à télévision, devant
pour parler de la Rêve et réalité: ontologies en conflit
bandeau indique son nom (Serge
e pour laquelle il travaille (L.E.). Dans Ouvre les yeux, nnterpenetration complexe de la réalité
et que cc est celui de Life véeue ct de la réalité virtuelle met en marehe une dynamique qui oblige
le personnage comme le spectateur à sur la frontière
sépare le réel du rêve ou de l'imaginaire. Il en résulte un état d'incertitude
sar obtient l'autorisation de sortir prononcée, auquel contribue également l'absence de transitions qui
e la compagnie, situés à rendraient explicites les sauts d'un niveau à l'autre. Dans l'univers bien
ployé qui lui explique en détaille particulier d'Amenâbar, les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent
omprend peu à peu que ce qu'il a être. En fait, le cinéaste met souvent en scène les rêves d'une façon plus
, mais une partie de ses souvenirs. réaliste que la réalité même. Lors de la promenade rêvée de César et
Duvernois explique ce qui est Sona dans le parc, les images nettes et lumineuses provoquent un effet
meuble, Il d'une de réel plus fort que les cieux nuageux et l'atmosphère onirique de la
pour un thriller, mais qui permet rencontre bien réelle qui a lieu au même endroit. De la même façon,
nt ses dernières La frontière les personnages virtuels semblent plus humains que les êtres de chair
est enfin explicitée: César a vécu et de sang. Antonio, le psychiatre
oir la soirée en recherche de la vérité, après avoir été eomme j'une des seules
cryogénisation avec Life Extension personnes ayant les sur terre, se révèle être une chimère virtuelle.
n>rclé et son eSPrit transféré dans En insistant sur les liens affeetifs qui unissent Je héros à cette
Arnenâbar rend le dénouement encore plus inquiétant. Quant
..........

59
plus fantomatique du film, l'épilogue
leurs lecteurs ou leurs spcetateurs, pOuvons être des personnages
réel, et c'est même lui qui révèle à fic tifs "26.
plus "réaliste" de tous, qu'il n'est
ci lorsqu'il prend conscience de sa
Pérez, le personnage d'Unamuno 25 ,
des Ruines circulaires de Borges, Intertextualité
ges en quête d'auteur de Pirandello.
s, même si le personnage semble se
Ueb-unes des références cinématographiques d'Ouvre les
é,
yeux sont explicites, C'est le cas de Vertigo ( 1958), d'Alfred Hitchcock.
Commc Vertigo, le film d'Amenâbar mêle mélodrame et thriller. Le
dans laquelle vivent les personnages,
mélodrame se manifeste dans les deux eas au travers d'un inquiétant
e du film, déstabilise le spectateur.
récit secondaire romantique: un homme poursuit l'objet de son désir
intrigue labYTinthique du film. La
cn affrontant la mort dans un monde d'apparences trompeuses et
s'adresse initialement à César, mais
changeantes, Le problème auquel doit faire face le héros
rsonnage n'apparaisse, ct c'est le
dans les deux films (la perte de l'objet du désir) est traité néanmoins
t le destinataire. Le sens de cette
Ouvre les yeux est une histoire sur la peur de la
comme on le découvrira plus tard,
Deux idcntités sc croisent chez la femme
ns la réalité mais dans son propre
fait paniquer César. Vertigo, au contraire, montre la
fait que, dans Ouvre les yeux, le
peut provoquer ce jeu sur l'identité, Scottie, le héros du fïlm
tion où les personnages deviennent
veut que Judy aSSume l'identité de la femmc désirée (Madeleine). C'est
ons, tous les ingrédients sont alors
cette inversion du schéma hitchcockien qui a amené Amenâbar il
épasse la simple peur de
Ouvre les yeux d'anti- Vertigo, mais les points communs sont
gique, Dans son court essai intitulé
nettement plus nombreux que les dissemblances. Une allusion à
Jorge Luis Borges nous explique
rend explicite l'hommage du cinéaste au maître du suspense.
rie structurale nous
Filmée dans son appartement, Sona franchit le seuil cie sa chambre
ue la carte soit incluse dans la carte
entourée d'un halo lumineux, comme lorsque Kim Novai< réapparaît
e des Mille et une nuits? Que Don
Dans le commentaire audio qui accompagne l'édition
e et Hamlet spedateur d'Hamiet ?
du DVD d'Ouvre les yeux, le jeunc metteur en scène
e telles inversions suggèrent que si
a même pensé à un moment réutiliser la bande originale de Bernard
t être lecteurs ou spectateurs, nous,
Herrman, afin de l'encire l'hommage encore plus explicite.
n personnage apparaît dans roman Niebla (N.d.T,).
26 Jorge Luis Borges, Enquêtes, trad. Paul et Sylvia 8ènichou (Paris: Gallimard, 1986), p.68-69.
61
Il parvient en effet à faire la synthèse de la tradition dont il
ur les écrans espagnols, le souvenir se réclame tout en étant assez original pour devenir une nouvelle
ait encore frais. Tiré d'une histoire référence à l'intérieur même de cette tradition. Comme c'était déjà le
Ouvre les yeux, un thriller futuriste cas dc Tesis, il existe des coïncidences surprenantes entre Ouvre les
spectateur est constamment obligé yeux et de nombreuses productions américaines réalisées vers la même
points communs entre les époque. Alors que la production du film d'Amenâbar était déjà bien
ompagnie qui offre la avancée, David Pincher réalisa The Game (1997), un thriller construit
le ainsi l'agence de voyages virtuels autour de multiples retournements de situation qui remettent en
eux films partagent également un la frontière entre la réalité et la fiction. Le film se termine, comme
la folie et la distorsion de la réalité, Ouvre les yeux, sur la chute spectaculaire du héros. Pendant
alement différente. Tolal Recall est tournait Ouvre les yeux, David réalisait de son
n réalisé comme un film d'action, (1997), autre film avec lequel il existe des
bar, lascience-fictiol1 n'est communs surprenants. Lost lfighway explore, à l'intérieur de j'univers
s'inscrit par ailleurs dans la tradition très particulier de Lynch, les réalités parallèles, la dissociation de
l'identité, la paranoïa, le monde des rêves et les pièges du déjà ]lU 27 .
Mais à la différence d'Ouvre les yeux, le film de Lynch ne fournit aucune
explication un tant soit peu rationnelle, ce qui a amené Amenâbar à
quées comme intertexte dans Ouvre décrire son propre film comme "un tost Highway avec McGuf/ïn
nt le mythe éternel de la belle et la donné par Hitchcock au prétexte narratif derrière
e Jean Cocteau, mais aussi les deux sens profond). Tout en reprenant à son compte la problématiq\
(Wallace Wors\ey [19231 et William par Lynch. il marquait en même temps une certaine distance par rapport
rentes adaptations du Fantôme de à l'ouverture et l'ambiguïté radicales du metteur en scène américain.
tur Lubin [1943] et Terence Fischer
tage avec ces classiques du cinéma De nombreux films ont abordé le thème de la réalité virtuelle
qui évoque le mélodrame au cours des dernières années. Si, avant 1997, il ~'agissait d'un thème
épris de femmes idéalisées, où la traité de manière sporadique, c'est devenu par la suite un motif récurrent
mme un conduisant à la en particulier du cinéma hollywoodien. Dark City (proyas, 1998),
oniriaues relèvent du fQ,,+u<t;m ExÎstenz (Cronenberg, 1999), The Thirteenth Haar (Rusnak, 1999),
Matl'ix (Wachowski, 1999) et A.l. (Spielberg, 2001), sont
mbreuses réalisations, Ouvre les yeux uns des titres les plus célèbres. Les ressemblances avec Ouvre les yeux
e aui en fait nmh"hlf'.ment un futur
27 En français dans le texte (N.d.T.)
63
troublants. Ainsi, lors de la séquence de la discothèque, pendant que
ectateurs amerlcams qui découvrent
César vomit dans la cuvette des \V-C., son masque, tourné vers le
s avoir vu tous ces films crient au
spectateur, se reflète dans la glace en créant une déconcertante.
qu'Amenâbar sait parfaitement se
Et quand César fuît après avoir assassiné Sofia, un miroir lui renvoie
s du cinéma américain, quand il ne
à nouveau son visage mutilé. Sa réaction immédiate est de le détruire
à coups de pied. mais il se brise en une multitude de morceaux
lieu de cesser de refléter son image, ne font au eontrai.re que la
A cette présence concrète des miroirs dans Ouvre les yeux, il
ns, répétitions et renversements
conviendrait d'ajouter l'utilisation du miroir comme élément structurant.
Le schéma narratif du film, comme nous avons pu le voir, obéit à une
ivers dominé par de répétitions et d'inversions qui remet en question non
r l'image qu'ils projettent, révélant
seulement l'identité des personnages, mais également celle du texte
d'apparences, où les destins peuvent
lui-même ainsi que la réalité du spectateur. Les
e les yeux est égaIement un conte
de dualité et d'inversion qui entourent les
té. Amenâbar a souvent déclaré que
personnages ne font qu'accentuer leur sentiment d'insécurité
osco, le personnage de Tesis. Eduardo
ontologique, Sofia et Nuria sont les deux manifestations de l'éternel
vre les yeux: il y incarne à nouveau
féminin (la tendresse et la passion) : la figure paternelle (Antonio)
dulé, qui de bourreau devient victime.
s'avère n'être qu'une projection virtuelle et le personnage énigmatique
qui apparaît à la télévision finit par adopter un ton paternaliste; Pelayo,
rs dans un film qui insiste autant sur
l'ami fidèle, tourne le dos à César au moment où celui-ci a le plus besoin
s surprendre. Par dix fois au moins,
de lui; quant il César, il est lui-même placé sous le signe de la dualité:
l le fait deux fois au début (avant et
in(;arnation de la beauté, il est aussi celle de la monstruosité.
rer; puis deux fois encore, pour nier
e dans les toilettes de la discothèque,
accordée de nos jours à l'apparence physique est
u puis déformé; aprèo son remise en question par une succession d'images qui s'impriment au
is après l'assassinat de Sofia, il constate
de notre subconscient. Certaines d'entre elles méritent de
nir, une lui renvoie une dernière
faire partie. de notre imaginaire cinématographique: la ville déserte du
e Life Extension. Comme dans l'œuvre
début, la scène du parc sous la pluie, celle des toilettes de la discothèq
nt pas seulement la réalité matérielle,
où le masque retourné nous regarde, ou bien encore le saut final dans
déforment ou rW()r1llisent des effets
........
\

65
antanés les plus frappants de ce film LES AUTRES: LES FANTÔMES DE L'ALTÉRITÉ
Synopsis
Les Autres est un thriller surnaturel qui raconte J'histoire
tourmentée de Grace et de ses deux enfants, Anne et Nicholas, A la fin
de la seconde guerre mondiale, la famille vit retirée dans une propriété
sur J'île anglaise de au de la Normandie. Grace est une
femme très pieuse, courageuse ct séduisante, qui vit dans le souci
permanent de ses enfants. Un matin, trois
à l'entrée de la maison, pour remplacer ceux qui ont dIsparu sans
prévenir et sans motif apparent, d'après Grace. Elle leur expose les
règles étranges qui gouvernent la maison et qui sc résument en deux
mots; silence et obscurité. Comme ses enfants souffrent d'une maladie
I.eur interdisant d'être exposés à la lumière, tous les rideaux de la maison
doivent être tirés en leur et les portes ne peuvent être ouvertes
qu'une par une, Mrs Mills, qui ne semble pas être troublée outre mesure
par les surprenantes exigences de Grace. accepte la place de gouvernante.
déjà lugubre de la maison se précise encore
davantage lorsque Grace et ses enfants se mettent à entendre des bruits
et à sentir la d'intrus, qu'ils supposent être des fantômes,
Devant cette situation, la jeune femme décide d'aller au village pour
demander J'aide du curé. Le brouillard est épais, et alors qu'elle pense
s'être égarée dans la forêt, elIc se retrouve nez à nez avec son mari
L

67
tandis que Grace explique aux enfants les merveilles de la création de
l'univers. Les illustrations du livre montrent pour commencer deux
enfants qui contemplent, admiratifs, tOut ce que Dieu a créé, ct les
é, la vie de la famille ne reprend pas
images qui suivent semblent sorties d'une histoire de fantômes. Mais
voir perdu la tête quand elle frappe
ces dessins, on le comprendra plus tard, des scènes du
sédée par un des qui hantent
film lui-même. Le générique se superpose à ces images. Comme dans
ne raconte à son comment, un
L'esprit de la rùche (Erice, 1973), cette série de dessins anticipe et
a battus, elle et son frère. Là réside

résume le film que l'on à voir. Et comme dans le film


urs devront attendre encore

la musique accompagnant ce prologue renvoie au monde de" légendes


érité: la mère a tué ses deux enfants,
et des contes de fée. Dans les deux cas, il s'agit d'un métatextuel
et Nicholas sont les "autres", ces
qui souligne la nature fictionnelle ct mvthiQue de l'histoire Qui va être
andis que les nouveaux propriétaires,
racontée.
s", sont en réalité bien vivants. Ces
s de quitter les lieux, après être entrés
Le se clôt de façon abrupte sur le cri de Grace se réveillant
vec la jeune femme et les enfants. Les
après un mauvais rêve. Dès le départ, la fragilité émotionnelle de Grace
départ, de j'étrange situation sont les
est perceptible. Les dernières du réveil sont couvertes par la
Mrs. Mills explique avec lucidité que
de la séquence suivante, qui montre les nouveaux domestiques
ndre à cohabiter avec celui des morts
arrivant à l'entrée du manoir. Si l'on considère que ce genre de procédé
est propre au tlashback, on est en droit d'affirmer que Les Autres est
implicitement construit de la même façon qu'Ouvre les yeux. Par
comme dans Ouvre les yeux, la suite de l'histoire montrera que le
personnage s'enfonce dans le cauchemar au lieu d'en sortir.
L'arrivée de Mrs. Mills (la ct
ngs métrages d'Ameniibar. Les Autres
servante) pennet d'introduire plusieurs des récits secondaires
n épilogue. Le prologue pose les motifs
seront développés ultérieurement. De prime abord, la conduite des
ermet d'avoir le fin mot de l'énigme.
est suspecte. Ils arrivent sans prévenir, avant même que
annoncent le thème et l'atmosphère du
les places ne soient officiellement vacantes. Quand Grace s'adresse à
x de Grace nouS invite à écouter une
Mr. Tuttle ("Vous devez être le ïardinier"), celui-ci semble ne pas être
ment installés, les enfants? Je commence
!" s'exclame-t'il comme
voit défiler les pages d'un livre illustré,
69
s domestiques apparaissent dès le pour la mort. De plus, au fanatisme religieux de la mère vient

Mrs. Mills répond souvent d'un aiT une grande fragilité nerveuse, qui frôle souvent

bien savoir de ce qu'il doit faire. et


ont l'infirmité est due à un choc Fidèle en cela aux du genre, le metteur en scène introduit
nt précisé. des phénomènes a priori paranormaux dès la première demi-heure du
film. Grace entend des bruits étranges et, même si dans un premier
et de ses habitants se révèle au fur temps elle accuse enfants et domestiques, elIe finit par admettre leur
dres à ses domestiques. Il est ainsi caractère surnatureL Par ailleurs, Anne se met à lui parler de
outes les autres ne sont pas fermées. un enfant qui, d'après elle, habiterait lui aussi la maison et avec qui
oujours être masquées par d'épais elle aurait déjà eu des conversations. Aux bruits de plus en
, Anne et Nicholas sont viennent s'ajouter les présences fantomatiques de Victor et
itants de la maison doivent dOllc de ses parents, puis celle d'une
tourmente
ce n'est Anne de ses questions. Bien que Grace
sont tenus par ailleurs considère comme des élucubrations, divers indices confirment bientôt
ace souffre de terribles que quelque chose de terrible est en train de se passer. Ordre est alors
radio ni téléphone. La vie dans le donné de fouiller la maison, ce qui donne lieu à l'une des scènes les
le silence et l'isolement. terrifiantes du film: Graee fait glisser un par un les draps
recouvrent les meubles de la chambre où Anne a cru voir quelques-uns
et ses enfants laissent transparaître de ces êtres mystérieux et finit par découvrir un grand miroir qui, en
que de la mère et lui renvoyant sa propre image, fait comprendre au spectateur que le
urs d'une leçon de catéchisme, ce fantôme qu'elle poursuivait n'est autre qu'elle même, Le conflit est
u~te et Pastor, deux enfants martyTS,
ouvert entre les différents occupants de la maison: Grace et ses enfants
ns pour n'avoir pas voulu renoncer luttent contre les "intrus" pour la possession des lieux. "Ils sont partout",
comprendre un tel comportement, déelare Anne, "Ils disent que la maison leur appartient". Mrs.
qui aux yeux de Grace est pour sa part, tente de calmer tout le monde et préconise W1e cohabitation
pour la fillette. La mère leur décrit pacifique avec "les autres", ajoutant qu'il n'est pas toujours possible
damnation éternelle qui les attend de trouver une exnIication m", m\l<fp,'0C de
é ou s'ils ne se comportent pas en
contribue à créer une atmosphère Lors de [a fouille de la maison, même si elle ne trouve personne,
punitions, la religiosité et l'attirance Grace fait néanmoins une découverte des plus perturbantes: un album
71
po~ent comme s'ils étaient encore mental de Grace est décrit de plus en plus précisément. On peut penser
ce type de représentation était très qu'elle est atteinte de schizophrénie lorsqu'elle confond sa fille avec
nsait que l'âme des morts continuait une vieille sorcière, ou qu'elle souffre de paranoïa quand cHe pense que
race est épouvantée: "C'est d'un domestiques veulent la chasser de la maison. Elle-même est déroutée:
ussi superstitieux 7". Le spectateur avoir une explication mais je n'en ai pas" dit-eHe à son mari.
le sens et l'ironie de la réponse de ""ccupe ce dernier n'a pourtant rien à voir avec les phénomènes
é pal' la mort d'un être cher peut paranormaux, mais concerne l'énigme même du film : la morl de Grace
s les plus étranges". M1's. Mills fait et des enfants.
adresse aussi indirectement à Grace,
à tuer scs propres enfants avant de C'est lorsqu'elle accepte cette disparition que j'on parvient au
climax du film. Enfermée dans la maison, elle tente d'échapper aux
fantômes des domestiques et entre dans la pièce où se déroule une seène
de rythme. Les longs plans, très de spiritisme. Le spectateur doit alors remettre en question sa propre
laissent la place à des plans et à des perception des choses, tout comme Grace et ses enfants, qui prennent
qui dynamisent lc récit. Celui-ci en conscience pour la première fois de leur "altérité" et réaffirment: "Cette
mment lorsque Grace affronte "les maison est à nous".
rnent toutefois avec des scènes
lorsque, par exemple, Grace se perd La maison et la famille
ri disparu pendant la guerre. Le
le effacer les frontières entre deux Dans Les Autres, Amenâbar reprend un thème
ués à séparer: celui des vivants et indirectement dans Tesis : l'intrusion de l'horreur dans le cercle familial.
spectateur est suffisamment averti C'est d'autant plus évident que la famille vit isolée du monde extérieur,
e de Grace, et il comprend que son soumise à une extraordinaire pression psychologique et à une
il devient possible d'envisager que dégradation mentale inconsciente. Grace est une mère excessivement
ns la réalité mais dans un univers protectrice, qui finit par étouffer ses enfants au sens propre comme au
Obsédée par sa condition physique et par le salut de son
elle exerce un contrôle oppressant sur le moindre mouvement que
se etle peuvent faire Anne el Nicholas. Les punitions qu'elle leur inflige
73
passages de l'Histoire Sainte ou tenir tous les animaux sur une arche ou que le Saint Esprit soit une
tion familiale. L'lm d'entre eux colombe. Nicholas introduit une note à la fois comique ct scatologique,
icative "La Maison et la Famille", dit que Je Saint-Esprit peut être n'importe quoi sauf une
ment ironique dans la mesure où colombe; "Les colombes, ça fait sur le rebord des fenêtres". Bien
uement ct moralement tous ses les enfants font ce genre de commentaire quand ils se
retrouvent seuls dans leur chambre, ou bien lorsqu'ils sont avec Mts.
Mills dans la cuisine, car jamais ils n'oseraient dire en présence de leur
rdées au quotidien El Pais le soir mère ce au'ils pensent réellement.
gne son intention de montrer "le
léments contribuent à créer cette Parfois, les épisodes de le Bible sont utilisés à des fins mythiq ues
n décomposition. Le ou On remarquera ainsi que c'est au début du film que
ainsi le problème de l'éducation Grace, précisément, raconte le mythe de l'origine du monde tel qu'il
oppose deux cellules familiales est expliqué dans la Genèse. Par ailleurs, l'histoire des deux enfants
ue de la maison est à l'origine de martyrs est une allégorie du sort d'Anne et Nicholas, punis pour avoir
du film. dit la vérité. Il en va de même pour l'histoire d'Abraham que Grace
leur fait lire et qui raconte une tentative d'infanticide comparable à
enfants est à celle dont ils sont victimes.
ande à Anne pourquoi elle invente
re lui répond qu'elle ne les invente Mais c'est l'inquiétant "Livre des Morts", découvert par Grace
res. Mrs. Mill, lui rappelle alors dans une des pièces de la demeure, qui offre la parodie la
n raconte dans les livres, cc ii quoi de l'institution familiale. Ce qui, dans un premier temps,
pas croire non plus cc qui est dit semblait n'être qu'un album de photos de famille
enre se répètent et aboutissent à une représentation macabre et cathartique du pouvoir de l'image. Les
ésentée comme un conte de fée. corps sans vie des anciens habitants de la maison posent tout habillés
les illustrations de la Genèse se devant l'obiectif, dans l'espoir que leur représentation iconique
et les deux discours apparaissent leur disnarition nhv,inlli' Ù capturer leur aura.
ns d'un même esprit fabulateur.
Mrs. Mills, les enfants affirment
nde en sept jours, ni qu'il ait fait
75
ction à l'entrée du manoir-théâtre, ct Grace distribue les rôles. Les tics du
comique Eric qui le personnage de Ml'. Tuttle,
es yeux, Les Autres contient une apportent une note d'humour à ce récit secondaire métatextuel. Le
réflexion sur l'opposition entre la jardinier se montre perpétuellement hésitant dans son rôle et a souvent
cc et le monde des rêves, la vie et besoin de Mrs. Mills pour se souvenir de ce qu'il doit faire.
es représentations. Le film s'ouvre
histoire qui est justement celle que les orésentatiom
ateur entend la voix du personnage
n la tradition judéo-chrétienne, de La maison hantée doit rester plongée dans
e confondre avec celle de l'univers. l'obscurité, sans quoi vie des enfants serait en comme pourrait
de nombreux autres éléments l'être "illusion cinématographique si quelqu'un venait à allumer les
uel vivent Grace et sa famille n'est lumières de la salle de proJection. L'action se déroule
u une banale histoire dans la maison, à l'exception de deux brèves scènes où Grace s'aventure
prennent peu à peu conscience de à l'extérieur. Les personnages de cette fiction ne peuvent s'échapper de
uligner encore plus cctte structure l'univers fictionnel. La seule tentative de fuite de Grace est presque
ateur est invité à tourner les pages immédiatement rendue impossible par le mystérieux brouillard qui
pent l'histoire qu'il va bientôt voir. "",,,;;,'hi' de voir "au delà". Son voyage initiatique ne s'achèvera
cé introduit la géographie très moment où elle prendra conscience de sa condition "irréelle".
ttes des personnages se dessinent
ent le silence; une géographie Dans Les Autres, Amenâbar poursuit donc son eXDloratlO
e conflits ontologiques. Le réel ct le surnatUl'cl s'affrontent
de deux heures, pour finir par déboucher SUl' un dénouement inattendu:
rentiel, intervient la séquence du ce que l'on pensait être surnaturel est en fait la réalité, alors que la soi­
Ouvre les Yeux, le doute s'installe disant réalité relève du paranormal. Toutefois, comme nous l'avons déjà
vont suivre sont-ils réels? Jusqu'à fait remarquer, les implications de cette transgression
as si ce réveil marque le retour à la dépassent la pirouette narrative ou la banale réflexion sur la vie
eil ou bien l'entrée dans le monde après la mort. La rupture des frontières structurelles entre réalité et
es qui suivent confirment, si besoin 'actéristique du cinéma d'Amenâ bar, le spectateur à
m d'Amenabar. Les domestiques, remettre en question sa propre réalité, à accepter le fait que vérité ct
nt partie d'une troupe, se présentent histoire sont des notions fluctuantes, et que le monde n'est pas fait de
L
77
t de
objets qui semblent se mouvoir tout seuls. Dans les deux cas, le suspense
naît d'une énigme inquiétante, et le spectateur assiste à une montée
progressive de la tension qui oppose la maison à son nouveau
propriétaire. D'autres détails de moindre importance renforcent le lien
entre les deux films, comme par exemple le fait que le personnage du
jardinier porte à chaque fois le même nom (Ml'. 1uttle) ou que le nouveau
en août 2001, les cntIques comme
des lieux soit un pianiste. Cependant, c'est dans les
ment remarqué la surprenante
techniques narratives et cinématographiques qu'il faut chercher la
nâbar et un autre 1hriller surnaturel
influence du film de Medak. La terreur qu'éprouve le
ens (Shyamalan, 1999). Tou! comme spectateur ne repose ni sur ce qu'il voit, ni sur les effets
adopte le point de vue d'un fantôme
sur ce qui est ou entrevu. [,es deux films prennent le
dans les deux cas, ce n'est qu'à la
soin à créer une atmosphère tendue et macabre autour des personnages,
aractère surnaturel du personnage.
lesquels tentent de résoudre l'énigme rationnellement, mais sont
nce entre les deux dénouements est
L1ne explication surnaturelle. Cependant,
irectes du film espagnol ne sont pas
tout en étant des récits très efficaces, The Changeling ct Les Autres
lan, mais dans d'autres réalisations, aspirent à autre chose que simplement divertir le
allusion, Il s'agit en premier lieu de
permet ainsi d'explorer le thème de la mort ou de réfléchir à la nature
ans des maisons hantées, et plus perverse des valeurs familiales. D'autres classiques comme The
The Changeling (le film préféré
1963) ou The Un; nvited (Allen, 1944) peuvent avoir été une
t mentiOliller les diverses
pour Amenâbar mais aucun n'a marqué plus
écrou, ct en particulier nIe Innocents profondément le réalisateur espagnol que le film de Medak.
L'autre grande influence vient du film de Jack Clay ton, The
er Medak, The Changeling (1980)
Innocents. Inspiré du roman d'Henry James, ce film raconte l'histoire
, à la suite de la mort tragique de sa
d'une institutrice chargée de l'éducation de deux orphelins dans une
une demeure isolée où commencent
grande maison isolée où ont lieu d'étranges apparitions. Plus qu'une
nts en relation avec le passé de la histoire de fantômes, The Innocents est un thriller
. Les analogies avec Les Autres sont
tente d'analyser la subjectivité fort complexe du personnage féminin.
e maison hantée et les phénomèn Bien que le combat de l'institutrice ne fasse aucun doute, le
ent en des bruits inexpliqués ct des comme dans le roman de James, est profondément ambigu. La fin du
79
ant: soit on considère que les en littérature et au cinéma. Tout d'abord, la capacité à impliquer
de la névrose du le lecteur-spectateur dans l'histoire; deuxièmement, la tension entre
possible, monde diurne et nocturne dans la représentation de la réalité; et pour
et cela est
l'utilisation de décors macabres, du thème du voyage (interne et
énements. Le film de
, laissant le spectateur interpréter externe) et du double, ainsi que la présence d'éléments surnaturels 29 ,
ontrairement à The Innocents, le Le film d'Amenabar illustre chacun de ces points, développant une
u J'énigme d'une façon variante connue sous le nom de "gothique féminin", plus subtile et
paremment fermée. Malgré cela, ambiguë que son pendant masculin. La façon dont le film les met en
mes en suspens. La vie dans l'au­ oeuvre est cependant extrêmement novatrice car plus proche de
les détails de la crise provoquée l'esthétique contemporaine que de la sensibilité héritée du dix-neuvième
t d'éléments du réeit restent dans laquelle s'inscrivent les divers courants traditionnels du
apporter une justification morale
Si Les Innocents étudie d'un
l'angoisse et de l'obscurantisme Comme c'est toujours le cas dans la tradition gothique, le
ion, Les Autres aborde le même spectateur ne regarde pas seulement les faits représentés, mais se trouve
impliqué dans le récit. Cette implication est à l'oeuvre dès
n ce sens, le film
le début, lorsque Grace, l'agent narratif du film, fait de nous des
elle qui sous-tend le texte
ion de fictions à l'intérieur même interlocuteurs à part entière. Sur un écran noir, on l'entend nous
dans son roman, où le récit de demander si nous sommes prêts à écouter l'histoire qui va nous être
me une allégorie de l'acte d'écriture, dès lors à adopter son de vue, C'était
où le spectateur
ême sa fiction.
dans son voyage initiatique. Une
du film, nous rectifions constamment
1
notre point vue par rapport à proposée (en l'occurrence: qui
1 sont réellement les "autres" ?),
ctrnf"'\rlArn~
1
Les Autres illustre parfaitement la tension entre monde diurne
de l'ambiance, du décor, de la et nocturne qui caractérise le récit gothique. Dans l'imagerie gothique.
le monde diurne est associé au monde extérieur, culturel et institutionnel.
utres renvoie de manière
ell trois caractéristiques du Il est lumineux car il est familier et quotidien, Le monde nocturne,
29 Charlene
81
eur, primitif et intuitif. li est obscur bute à un être surnaturel, dans Les Autres, c'est au contraire au spectre
ssairement le mal, mais parce luttant pour recouvrer l'espace de la maison que nous nous identifions.
menahar, à l'instar de tous les récits Autre originalité: au lieu d'envisager le parcours psychologique d'un
e option. De fait, au moment de la être humain découvrant le monde de l'au-delà (comme c'est le cas dans
té question de changer le titre pour The Haunting ou dans The Changefing), Les Autres débouche sur
Les Ténèbres). Etant donné que les l'acceptation de la réalité par le personnage surnaturel.
range allergie à la lumière, la maison
e pénombre seulement éclairée par Le thème du double, les phénomènes paranormaux ainsi que le
r sa part, baigne dans le brouillard, lien déjà mentionné avec le gothique permettent aux personnages de
domine. Cela permet d'insister sur se mouvoit' dans le monde nocturne (ou tout du moins de le percevoir).
ment associée au monde nocturne: Grace est un être déchiré entre son éducation religieuse ct sa condition
es, des rites religieux, des devoirs entre sa morale stricte ct ses instincts homicides. Mais
fs. De plus, le monde de l'obscurité l'élément qui la relie le pJus étroitement à la variante féminine du
quelques caractéristiques propres au c'est sa névrose. Le monde gothique est un monde de douleur,
mbiguïté, l'ouverture ct l'absence. de destruction, de peur et d'angoisse, mais c'est surtout le monde de
n, marqué selon Anne Williams par un monde qui vient saper notre fragile rationalisme en nous
et de la répulsion, le gothique féminin montrant la face cachée de la réalité. La fiction gothique est
nsinuation et du suspense. Dans cette essentiellement un fantasme régressif. Les états psychotiques y
de laquelle s'inscrit nlf'inement Les reproduisent généralement des paysages liés au monde de l'enfance,
nt des réDercuss des paysages dominés par le roman familial et la projection identitaire,
Comme c'était le cas dans Ouvre les yeux, et à l'instar de
r créer l'atmosphère et le ton du film, ce qui ce produit dans le gothique féminin, le nouveau film d'Amenabar
e les états d'âme des personnages. Il met en scène une quête d'identité dans un monde où
l'implication du spectateur. Le cadre confond souvent avec la réalité. Deux éléments cependan
ages, à savoir la demeure hantée où se de la tradition gothique et le rapprochent de la sensibilité postmoderne
omènes paranormaux, est le relativisme moral et la dimension autoréf1exive. La littérature et le
side dans l'inversion du point de vue cinéma se réclamant du genre gothique mettent en avant la moralité du
e de récit. Si la littérature ct le cinéma héros ct sa capacité à distinguer le bien du mal sans succomber à ce
ent le noint de vue d'un individu en l'affrontement entre J'héroi'ne ct "les forces
83
UNE POÉTIQUE DE LA PEUR
es autres", c'est nous une fois que
: voilà ce que semble finalement
dislocation psychique et culturelle,
d'un personnage qui passe du
philosophique, à l'intérieur d'une
1" f'"r"rtéristiaue de l'esthétique
Résumer les caractéristiques du cinéma d'Amenâbar oblige à
revenir rapidement sur la théorie et la pratique du thriller. Comme nous
le disions en introduction, plus qu'un genre, le thriller est un m<;t>wpnrr>
qui englobe d'autres genres. Ceci expliquerait que cette
à des réalisations très différentes, dont la
essentielle est l'excès à tous les niveaux: excès de sentiments, de peur,
de suspense, d'action, de vertige et de mouvement. Cette accumulation
a des effets ambivalents sur le spectateur, qui éprouve à la fois de
et du plaisir, de J'attirance et du dégoût. Avant toute autre
chose. le thriller aspire à ébranler notre équilibre
provoquant une forte sensation de vulnérabilité
peut être extrêmement agréable (tant qu'elle reste limitée. bien entendu,
à la salle de cinéma). L'étymologie même de ce mot anglais (to thrill :
percer, forer; a thrall : un esclave, un prisonnier) indique la nature
agressive et sadomasochiste de ee métagenre et renvoie à la réaction
du spectateur: le thriller comme un objet menaçant qui nous pousse
dans le labvrinthe de la fiction cinématographique et nous laisse, comme
"cloués à notre
Depuis ses courts métrages. Amenâhar n'a eu de cesse

de révéler la nature du thriller. Ses films font cohabiter suspense,

horreur. science-fiction et mélodrame en dotant tous ces

éléments d'une dimension psychologique et existentielle. A chaque fois,

85
avec celui, limité, de personnages
aussi au spectateur). J ,e prologue est comme une prolepse narrative
r allant de l'ignorance vers la
introduit les thèmes orincimlllx nrp<pntp les personnages et résume a
d'une conspiratim
en les projetant dans un telTitoire long métrage montre des
t naturel, ils se voient dépouillés avec une qu'ils tentent de résoudre et
une conspiration qu'ils cherchent à faire échouer. En cours de route,
s et de leur sécurité ontologique
ils découvriront non seulement les clés de l'énigme, mais aussi, ce
ui remettent en question leurs
est plus important, leur propre identité. Dans la partie finale, se
éros d'Amenâbar est
concentrent à nouveau de manière spéculaire les thèmes essentiels
s qui, jusqu'au dernier moment, développés tout au long du
espaces encore
ule l'histoire renvoient "/';Ul<:llIIClll
Le succès semble accompagner la carrière
es personnages déambulent dans
qui a amplement prouvé qu'iJ était possible de faire du cinéma d'auteur
ustrophobiques, qui alimentent
sans sc soustraire aux exigences du marché. Depuis la pJuie de Goyas
u spectateur. Les passages secrets
récoltée par Tesis jusqu'aux recettes records des Autres. ses films se
orgeant d'images perverses, une
sont imposés comme des modèles
bien une étrange maison hantée et commerciaux et, mêmc
si leur facture est
nétrer: ces espaces ne renvoient uepOUlllee, leur impact auprès du public
est de
d'Amenâbar, mais à l'univers du fort, Amenâbar possède en effet une maîtrise
yrinthe est traditionnellement la des mécanismes du "suspense" et sait, mieux que
comment laisser le spectateur comme "suspendu" entre
nages et de la structure même du questions ct réalité et fiction douleur et plaisir.
des impasses dans lesquelles le
s, complexes, sinueux,
s, ressemblent à
rois longs métrages qu'AlTIenabar
urs au même schéma: prologue,
r trois fois, le film commence par
se au personnage principal (mais
1
~
87
Luna (1996)
APH IE
Fonnat ; 3.5rnm.
Durée: 12 minutes.
Interprè tes: Eduardo Noriega (Alberto ), Nieves Herranz (Luna)
et joserra
Cardiilan os (Pompiste).
Producti on: Central de Produccl ones Audiovisuales.
Productr ice: Alicia Yubero.
Co-scéna ristes: Mateo Cri!, Alejandr o Amenâba r ct Nieves Hcrranz.
Directeu r de la photogra phie: Juan Molina.
Amemlb ar (Roberto ).
Alejandr o Amcniibar.
enâbar. Arrangem ents musicau x: José Sânchez Sanz.
Montage : Pablo Zumârra ga.
Alonso. Direction artistiqu e; Puerto Collado.
ociation Indépend ante des Cinéastes
Maquilla ge: Pilar Baeza.
Son direct; Martinez de San Mateo.
Assistant réalisate ur: Mateo Gil.
LONGS METRAGES
rranz (MarÎll), juana Macias (Monica)
Tesis (1995)
Titre original; Tesis.
val de Carabanc hel), meilleure vidéo
Format: .35mm.
Durée: 117 minutes.
Interprèt es: Ana Torrent (Angela) ; Fele Martînez (Cherna) ; Eduardo
Noriega
(Bosco) ; Nieves Henanz (Sena) : Rosa CarnpiJlo (Yolanda
) ; Francisco
Hemiind ez (Père d'Angela ) ; Rosa Avila (Mère ; Teresa Castaned o.
(Présenta trice TV) ; Miguel Picazo (Figueroa) : Xabier Eloniaga
(Castro) ; José
Miguel Caballero (concierge videothè que) ; Joserra Cadifianos
Nieves Herranz (Luna) et (Vigile) ; Julio

Vélez (Employé du train) ; Pilar Ortega (Employée du magasin


video) ; Olga
Margallo (Vanessa) ; Florentin o SaÎnz (Vieillard).
cnabar.
Producti on: Las Producci ones dei (Espagne); Sogepaq (Espafia)
Producte ur: José Luis Cuerda.
ur et de la meilleure bande
Madurll'a. Julio; Goldstein & Steinberg .
89
nâbar, T-Jans Bunnann,
Carola Angulo (Médecin 3) ; Fanny Solorzano (Secrétaire) ; Luis Garda
(Vigilc 1) ; Javier Martin (Vigile 2) ; José Luis Manrique (Policier) ; Richard Cruz
Emiliano Otegui.
(Chauffeur) ; Raul Otegui (Garçon dans les toilettes).
eo Gîl.
Mise en seène : Alejandro Amenàbar
Production : Las Produeciones deI Escorpi6n (Espagne) ; SOGECINE
(Espagne) ; Les Films Alain Sarde (France) .: Lucky Red (Italie) ; Canal +
Producteur : José Luis Cuerda.

Ingrcso Cadaver ; paroles : lngreso


Producteurs associés: Ana Amigo, Alain Sarde, Occhipinti Andrea.

Produeteurs exécutifs: José Luis Cucrda, Fernando Bovaira.


Scénario: Alejandro Amenàbar.

Directeur de la photographie: Hans Bunnann. ( Eastmancolor Panoramique)

Photo deuxième équipe: Burmann.

Musique: Alejandro Amenàbar, Mariano Marin.

Direction musicale: Mario Klemens.

Chansons; Rising Son (Musique: Vowies ; deI .: Marshall. Interprète:

Massive Attaek. ). How Do (Musique: Traditionnel. Interprète: Sneaker

i. El Detonador (Musique: Alfaro. E Interprète: Chucho).


: Brown; Frank Miranda, Interprèle: Srnoke City). Tremble Goes the
- Meilleure révélation masculine (Fele : Chris Eckman. Interprète: The Walkabouts). Sick of You
Meilleure direction de production - : Onion. Paroles: A. Legardon. Interprète : Onion). Glamour
ur premier film, Festival International (Musique: A. L6pez; J.A. ; r. Diaz. Interprète: Amphetamine Discharge).
8 : Best Brussels du Meilleur film fan­ Arrecife.T Sebo (Musique : E Pm'do ; D. Krahe ; B. Garda ; F. Ferrero.
Espagnol d'Annecy, 1996 : Prix du Interprète : Los Coronas ; Sicle Effects).Yo rnisrno (Musique : A. Olmcdo.
1997 : Meilleure actrice (Ana Torrent). Interprète: If).
: Marîa Elena Sainz de Rozas.
Direction artistique: Wolfgang Burmann.
Décors: Pedro de la Fuente.
Costumes : COllcha Solera

Penélope Cruz (Solla) ; Chete Lera


Son: Golclstein & Steinberg.

Effets spéciaux: Reyes Abades, Paul Romanillos.

~ .." de L.E) ; Miguel Palenzuela


Effets spéciaux (maquillage) : Collin Artur (Dream

Médecin-chef) ; Ion Gabella (Malade


Directeur de production: Emiliano Otegui.

de) ; Ttistân Ulloa (Serveur) ; Pepe


Assistant réalisateur: Ignacio GUlién-ez Solal1a.

ecin 1) ; Plieto Walter (Médecin 2) :


: Festival de Berlin, 1998 : Prix de la CICAE (Confédération
L
91
Cinespaiia, Toulouse, 1998: Prix du
a dei Mar (Chili), 1998: Prix de la
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Ya de Castilla-La Mancha. 13-12-97. José Luis Sânchez.

Rson.

berman.

utt.

.
Morris.
z.
Rita Kempley.
Achevé d'imprimer en décembre 2002

par les Imprimeries de Champagne à Langres (France)

Dépôt légal: décembre 2002

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