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Cherche Bourdieu
http://www-ssp.unil.ch/~IEPI/CBSP2000/Bourdieu/CoursBourdieu
1. Introduction
3. Différenciation de la société
4 Le champ
6.2. Le champ politique est caractérisé par la lutte des mandataires pour la
reconnaissance des " profanes " et la recherche du pouvoir
6.3. Comment peut-on mobiliser le soutien des profanes pour accéder aux postes
politiques?
7. Conclusion
8. Glossaire
1 Introduction
Aujourd'hui je vais traiter d'un auteur qui poursuit à sa manière la tradition critique
de Karl Marx, mais qui a développé une théorie tout à fait différente sous beaucoup
d?aspects. Je veux parler du philosophe, anthropologue et sociologue Pierre
Bourdieu.
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On a déjà dit que l'approche critique est proche de l'approche réaliste dans la
mesure où elle développe également une conception conflictuelle de la politique.
On a commencé avec Machiavel pour qui le pouvoir politique conféré au prince
était la garantie de l'ordre et de la stabilité. Pour Max Weber, on l'a vu, la politique
n'est que la lutte pour le pouvoir à travers les partis politiques et les politiciens.
Karl Marx prétend que toute la société est impliquée dans une lutte de classes et
que la politique n'est qu'une expression de cette lutte de classe. En effet, l'Etat, dit
Marx, appartient à la superstructure qui repose sur l'infrastructure que
représentent les rapports de production. De plus, Marx pense que l'Etat prend
position dans la lutte des classes, c'est-à-dire qu'il n'est pas un arbitre neutre au
sein de cette lutte. Il favorise la classe dominante en garantissant les structures et
l'organisation du mode de production capitaliste. Ainsi, s'il existe sans doute une
certaine autonomie relative de l'Etat, parce que Marx voit également que l'Etat a
adopté des lois en faveur de la protection du prolétariat et, par conséquent, contre
les intérêts à court terme des entreprises, il était néanmoins convaincu que, à long
terme, les structures du capitalisme ne permettraient pas le développement d?un
Etat opposé aux intérêts de la bourgeoisie. C'est pourquoi dans une société sans
classe ? comme il a prophétisé la société communiste ? l' Etat devient superflu et
périt.
Bourdieu intègre des éléments aussi bien de Marx que de Weber (et des auteurs
provenant de l'anthropologie comme Lévi-Strauss etc.). Cela indique déjà que, lui
aussi, est de l'avis que la politique et l'Etat sont caractérisés avant tout par les
phénomènes de pouvoir. Effectivement, il semble, si l'on jette un coup d?oeil
superficiel sur ses travaux, que Bourdieu ne dévie pas trop de la conception
marxiste. Il utilise par exemple beaucoup la notion de " capital " et de classes
comme Marx et il est clair qu'il est de l'avis que toute la société, y compris la
politique, est traversée par la lutte entre "dominants et dominés". Il s?agit
cependant de s?intéresser plus particulièrement aux différences par rapport à la
conception de Marx.
Peut-être la différence la plus importante entre Marx et Bourdieu est que Marx
appartient à une tradition qui défend l'idée d'une certaine téléologie dans le
développement des hommes et femmes ainsi que des sociétés (Aristote, Hegel),
alors que Bourdieu est plutôt influencé par la tradition des théories de la
différenciation des sociétés (Spencer, Durkheim, Parsons). Si dans ces dernières
théories aussi l'on trouve l'idée de l'existence d'un principe qui se réalise sans cesse
et qui structure les actions sociales, il n?y a cependant, contrairement au point de
vue téléologique, aucune fin à ce développement, pas d'" esprit du monde ", pas de
félicité ou encore une société sans classe. Il n?y a pas de telos, mais seulement un
principe de structuration de la société. Chez Bourdieu, ce principe c'est la
différenciation (ou bien la distinction).
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Le " principe générateur " (Raison Pratiques, 54) de la différenciation n'est pourtant
pas éloigné de celui de Marx. Marx a en effet conçu la différenciation du pouvoir
entre les classes comme facteur générateur du processus historique. Bourdieu s?
inspire de cette idée mais il refuse de regarder les classes comme résultat de cette
distinction. Il est selon lui faux d?utiliser la notion de classe dans la mesure où cela
implique déjà un point de vue " substantialiste "(p. 53), c'est-à-dire la supposition
qu'il existe une collectivité qui peut agir ensemble. Marx suppose, nous dit
Bourdieu, l'existence réelle de ces classes, une existence réelle qui présuppose un
sens commun partagé par les membres de cette classe ainsi qu'une certaine volonté
d?agir selon "des objectifs communs" (26). "Les classes sociales n?existent pas", dit-
il, "Ce qui existe, c'est un espace social, un espace de différences, dans lequel les
classes existent en quelque sorte à l'état virtuel, en pointillé, non comme un
donné, mais comme quelque chose qu'il s?agit de faire" (Raisons Pratiques: 28). Il
reproche à Marx de faire un "?saut mortel' de l'existence en théorie à l'existence en
pratique" (27). Autrement dit, les conditions sociales et/ou économiques
nécessaires à l'émergence d'une classe peuvent exister sans que la classe n?existe
pour autant parce que, selon Bourdieu, il ne suffit pas pour qu'une classe existe
que l'on ait une proximité des conditions sociales et économiques entre des
individus ou groupes d?individus. Il faut encore que se développe un processus de
mobilisation de ses membres dans l'optique de la lutte contre la ou les classes
opposées. Mais un tel processus n?arrive que très rarement. Un des soucis de
Bourdieu dans tous ses travaux est justement de montrer pourquoi il est si difficile
de former une classe dans la réalité qui soit consciente du fait qu'il existe des
rapports de domination > violence symbolique!.
On voit dès lors la différence entre Bourdieu et les théories systémiques : les
systémistes considèrent la différenciation comme un principe fonctionnel : la
différenciation se produit parce que il en découle des avantages pour la
modernisation de la société. Pour Bourdieu une telle fonctionnalité n?existe pas : la
différenciation c'est de la " distinction sociale " et c'est tout.
Ainsi, les goûts, les intérêts, les préférences dépendent de la position que l'on
occupe dans la hiérarchie de l'espace social. Et bien sûr les individus occupant
différentes positions sont en lutte les uns face aux autres pour occuper de
meilleures positions au sein de l'espace social. Ceux qui sont déjà en haut
défendent leur position et ceux qui sont plus bas aspirent à remplacer ceux qui
sont en haut. Cet image ressemble un peu celle de Marx. Seulement , ici Bourdieu
ne parle pas de classes mais d'individus qui s?opposent. Il est possible que des
classes se forment et se mobilisent mais c'est assez rare. Dans la vie quotidienne ce
sont les individus qui s?affrontent.
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Donc, pour reprendre notre discussion au début ? " classe ou espace social " - on
peut dire que chez Bourdieu, le développement de la société ne se réalise pas par
l'intermédiaire d?une lutte des classes, comme Marx le disait, mais par une lutte
entre dominants et dominés sur plusieurs niveaux de la sociétés ? différenciation ! -
ceci sans que cette lutte n?aboutisse à une révolution et à une transformation en
une autre société. La lutte entre dominants et dominés a toujours tendance à
reproduire les mêmes structures. Il faut maintenant essayer de comprendre
pourquoi.
Bourdieu suit Marx en disant que la société capitaliste d'aujourd'hui est un système
de domination. Comme chez Marx la notion de domination est utilisée plutôt d'une
manière péjorative : c'est la domination de l'un sur l'autre, ce qui n'est pas
acceptable d'un point de vue normatif. Weber reste quant à lui assez neutre : il
veut décrire comment la domination fonctionne et comment elle peut être
légitime. Marx et Bourdieu sont critiques par rapport aux phénomènes de
domination existant au sein de la société entre classe bourgeoise et classe ouvrière
ou bien entre dominants et dominés. Ils essaient également de comprendre
pourquoi les dominés acceptent la domination des autres. Et chez les deux
l'idéologie, la superstructure, la socialisation etc. jouent un rôle important. On va
le discuter plus tard. Pour Weber il existe la libre acceptation de la domination
(croyance en....). Chez Marx et Bourdieu il s'agît toujours d'un acte d?oppression de
la part des dominants : si ce n'est pas par la force physique c'est par la force
symbolique et idéologique. Pour l'approche critique la domination ne peut jamais
être un phénomène juste. Il faut essayer de l'abolir.
La différence entre les deux auteurs : La domination chez Marx est exercée par la
classe dominante tandis que chez Bourdieu une telle vision substantialiste n'est pas
défendable. Ce sont les structures, c'est-à-dire l'espace social en tant que champ
de forces et de lutte, qui forcent les agents à entreprendre des actions qui
aboutissent à un phénomène de domination. L?un défend sa position, l'autre veut
l'améliorer sans qu'une conscience de classe doive forcément exister. La
domination, dit Bourdieu, est " l'effet indirect d'un ensemble complexe d?actions
qui s?engendrent dans le réseau des contraintes croisées que chacun des
dominants, ainsi dominé par la structure du champ à travers lequel s?exerce la
domination, subit de la part de tous les autres " (idem, 57). La domination est un
résultat inconscient et non planifié de la structure différenciée de la société.
Pourquoi doit-il toujours exister des dominants et des dominés ? Toujours veut dire
dans tous les champs de la société (champ littéraire, scientifique, économique,
artistique, journalistique etc.). Chez Marx il est clair que c'est le résultat de la
lutte des classes, une notion que Bourdieu ne veut pas reprendre. Chez lui c'est le
principe de la différenciation sociale qui est universelle et qui divise chaque
champs entre ceux qui ont plus d?espèces différentes de capital ou tout
simplement plus de capital global et ceux qui en ont moins.
Je vous fais observer que cette présupposition de l'existence d'une inégalité par
rapport au capital ou bien aux instruments de production, est une décision
théorique d'une grande importance. Si l'on n?accepte pas l'idée que la
différenceentre "dominants et dominés" est le principe de base de l'organisation
d'une société, le reste de la théorie de Bourdieu n'est plus défendable. Il y a deux
critiques qu'on peut directement mentionner ici: premièrement l'on peut contester
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Je ne veut pas prétendre ici que l'une ou l'autre théorie a raison ou a tort. Je dis
seulement que la présupposition de Bourdieu est contestable dans la mesure où
elle ne constitue pas la seule possibilité de "construire la société". Deuxièmement
je crois que Bourdieu a de la peine à démontrer la prééminence du principe de la
différenciation. Un tel principe semble trop schématique et surtout basé sur une
compréhension "bipolaire" de l'ensemble des phénomènes sociaux. Cette bipolarité
se trouve également chez Marx, de même que dans la théorie systémique de
Luhmann. Une telle conception bipolaire risque de trop simplifier les choses pour
être capable de rendre compte de la complexité du monde. C'est un moyen
intellectuel légitime qui implique cependant une certaine simplification. Mais la
question est ici de savoir si la simplification ne déforme pas trop la réalité. Mais
arrêtons ici. Je présenterai la partie critique plus tard.
Donc, Bourdieu partage avec Marx la conviction que les sociétés sont caractérisées
par le conflit entre possédants et démunis. Mais, tandis que Marx fait découler tous
les conflits au sein de la société du conflit de base entre capitaliste et ouvrier,
Bourdieu conserve le principe sans pour autant affirmer la prédominance d'un
conflit sur un autre. En ce sens-là il ne suit donc pas Marx. Tous les conflits au sein
de la société ont des caractéristiques propres et ils suivent des logiques et des
règles différentes. Ainsi, seule la "structure de base", la distinction entre
dominants et dominés, reste la même.
3 Différenciation de la société
Les compartiments de la société ? ou, chez Bourdieu, l'espace social - sont les
champs où les conflits entre les dominants et les dominés ont lieu. Et les champs
s'organisent tous autour d'une logique propre, des règles propres et des hiérarchies
spécifiques des espèces de capital. Bourdieu l'a explicité comme suit: (Réponses:
73):
On trouve des champs très différents qui se sont ainsi développés sans qu'il soit
cependant toujours très compréhensible pourquoi on trouve des champs en
certaines matières mais pas en d?autres. Bourdieu ne développe pas de théorie sur
les origines des champs - bien qu'on trouve des descriptions des origines des
certains champs (par exemple les origines de l'Etat dans " Raisons Pratiques ") - ou
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de leurs délimitations. Peut-être parce qu'il considère que cela constitue plutôt une
question empirique qu'on ne peut pas régler théoriquement. Ainsi il mentionne le
champ artistique, le champ économique, le champ politique, le champ religieux, le
champ philosophique, le champ de la haute couture etc.
Ce passage est importante parce qu'il montre que Bourdieu ne veut pas réduire
toute vie sociale à la seule aspiration économique et la conception de l'homme à un
acteur rationnel et calculateur (Raison Pratiques, 158ss.). Son apport ici est qu'il
nous montre qu'il y a " autant de formes de libido, autant d?espèces d? "intérêt",
qu'il y a de champs " (idem, 160). Etant donné que la société est devenue plus
complexe et étant donné qu'il y a des " champs autonomes ", il serait néfaste de ne
supposer l'existence que d'un seul principe générateur de pratiques et d'action,
l'économie et l'intérêt économique. Il y a des champs où le capital économique et
la pensée économique ne jouent pas un rôle central, comme par exemple dans le
champ littéraire ou scientifique. " En fait, il existe des univers sociaux dans
lesquels la recherche du profit strictement économique peut être découragée par
des normes explicites ou des injonctions tacites " (idem, 162). Dans ces champs on
trouve justement un " désintéressement " - cela veut dire un non-intérêt aux
intérêts économiques ? de la part des acteurs.
Bourdieu nous donne un exemple d'un tel désintéressement en citant Norbert Elias.
Celui-ci
" cite l'exemple d'un duc qui avait donné une bourse pleine d?écus à son fils
et qui, alors que ce dernier, qu'il interroge six mois plus tard, se vante de
ne pas avoir dépensé cet argent, prend la bourse et la jette par la fenêtre.
Il lui donne ainsi une leçon de désintéressement, de gratuité, de
noblesse....Noblesse oblige, cela signifie que c'est sa noblesse qui interdit
au noble de faire certaines choses et lui enjoint d?en faire d?autres. Parce
qu'il fait partie de sa définition, de son essence, supérieure, d'être
désintéressé, généreux, il ne peut pas ne pas l'être....D?une part, l'univers
social exige de lui qu'il soit généreux, d?autre part, il est disposé à être
généreux par des leçons brutales comme celle que rapporte Elias, mais aussi
par les innombrables leçons, souvent tacites et quasi imperceptibles, de
l'existence quotidienne, insinuations, reproches, silences, évitements "
(idem).
A partir de là Bourdieu développe les notions de " capital symbolique " et d' "
habitus " dont on parlera plus tard. Pour le moment il suffit de voir que le principe
générateur de Marx, l'économie, qui provient de sa conception anthropologique de
l'homo faber, n'est pas le principe générateur chez Bourdieu.
capital dans chaque champ. Le capital économique ne peut pas avoir la même
importance dans tous les champs. Ainsi, l'homme n'est pas seulement un " homo
oeconomicus ".
Bourdieu considère l'ensemble de la société comme un " espace social " qui
comprend le " champ du pouvoir " à l'intérieur duquel on trouve ? ce qui n'est pas
marqué ici ? l'ensemble des différents champs. Ici il discute le champ de production
culturelle.
Le " champ du pouvoir " est le lieux de la fixation de la valeur et des taux de
change de toutes les différents espèces de capital présentes dans 'espace social.
Bourdieu a ici une vue assez économique. Le but est de comprendre que la valeur
de chaque espèce de capital dans la société est différente et par là, également la
valeur ou bien 'importance de chaque champ ? chaque champ connaissant la
prédominance d'une certaine espèce de capital. On ne peut pas comprendre, dit
Bourdieu (Raison Pratiques, 56), les actions et les représentations des agents au
sein d'un champ " que si l'on prend en compte la position dominée [ou bien
dominante] que les champs de production culturelle occupent dans cet espace plus
large ".
Au sein du champ du pouvoir se battent ceux qui ont " le capital nécessaire pour
occuper des positions dominantes dans les différents champs (économique ou
culturel notamment) " (Champ littéraire, 5). Avec la notion de champ du pouvoir,
Bourdieu garde une vue totalisante de la société, caractérisée selon lui, au moins
d'une part, par la lutte pour le pouvoir au sein d'un champ mais également au sein
de l'espace social dans son entier. Les champs sont donc aussi en concurrence les
uns avec les autres et chaque acteur, dit Bourdieu, veut revaloriser la valeur
relative de sa propre espèce de capital.
Comme chez Marx, donc, la lutte pour des positions privilégiées pénètre toute la
société. La différence entre les deux est que Marx part de l'image de deux classes
qui s?opposent dont la lutte traverse toute la société. En plus il suppose que la
classe dominante est capable de dominer également la superstructure de la
société. Bourdieu voit une société différenciée où on ne trouve pas partout des
classes réalisées. S'il est vrai que la proximité des positions au sein de l'espace
social incitent les agents à agir ensemble, cette proximité de position ne signifie
pas encore qu'il y a passage à l'action, cette mobilisation collective manquant
souvent de fait. La lutte qui traverse la société met au prise des détenteurs
d'espèces différentes de capital et l'issu de la bataille n'est pas encore déterminés
a priori.
Néanmoins il est clair selon Bourdieu que les détenteurs du capital économique et
politique ont de grands avantages dans cette bataille. Ici il se rapproche quand
même de Marx et si l'on regarde la société il n'a peut-être pas tort. La politique
possède une forme de " meta-capital " - notion que l'on va discuter plus tard. Et le
champ économique a certains avantages du fait de sa valorisation dans la société
comme champ le plus important de même qu'à cause des moyens qu'il procure,
l'argent, que l'on peut utiliser pour influencer les autres champs dans la société.
capital", un pouvoir plus grand que les autres systèmes. La loi du profit matériel, si
surdéterminante dans la théorie de Marx, devient une logique parmi d?autre chez
Bourdieu.
4 Le champ
Ce qui est important concernant l'usage de la notion de capital chez Bourdieu c'est
qu'il utilise cette notion économique sans que cela implique que toute la société
soit structurée par le capital crée par le processus de production économique. Le
capital est utilisé de manière essentiellement analogique, parce qu'il a certaines
caractéristiques qui sont également présentes dans les autres champs: par
exemple, le fait qu'il faille investir pour accumuler du capital. C'est un trait
commun à tous les champs: les acteurs qui veulent profiter d'un champ et s?y
profiler doivent investir leur temps, leur connaissance, leur travail ou bien leur
argent pour obtenir cette "monnaie" ou bien ce "capital" qui est la clé du pouvoir au
sein du champ. Comme dans l'économie où la possession d?un capital attribue du
pouvoir aux porteurs de ce capital (parce qu'ils peuvent acheter des machines et
des ouvriers), le capital des autres champs donne également du pouvoir à ceux qui
en sont les détenteurs: plus on a de capital plus on dispose de pouvoir.
Ce qui diffère par rapport à Marx est que chaque champ détermine en vertu de sa
structure propre et de ses enjeux particuliers la valeur des différentes espèces de
capital. Ce n'est pas l'économie qui est surdéterminante ici. La notion de capital
implique également l'existence de stratégies de la part des acteurs et elle implique
également, selon Marx, la nécessité des acteurs de continuer à augmenter le
capital. C'est peut-être l'aspect le plus important. Si le capital définit la position
des acteurs dans un champ et s'il faut investir pour augmenter la rentabilité de son
propre capital, le refus d?agir dans ce sens aurait pour conséquence immédiate que
la valeur du capital baisserait et l'agent deviendrait de moins en moins important
et pourrait même être exclu du champ. Seul ceux qui jouent avec, qui s?efforcent
d?augmenter leur capital, restent.
Donc, comme je l'ai dit, ce sont ces caractéristiques du capital économique qui ont
incité Bourdieu à généraliser la notion de capital aux autres champs sociaux. C'est
une décision conceptuelle qui est discutable. Pour Bourdieu, les champs sont
caractérisés par les tentatives incessantes des acteurs d?investir leur capital pour
augmenter la rentabilité et, de là, renforcer leur position dans le champ.. Mais, en
disant cela il va plus loin que Marx, puisqu'il prend en compte l'existence de
plusieurs espèces de capital.
Ici Bourdieu montre qu'il a une conception de l'homme plus complexe que celle de
Marx: Ce n'est pas seulement le travail, les avantages matériels qui comptent
(homo faber) mais également le statut social, la reconnaissance par les autres qui
peut inciter les acteurs à augmenter leur capital. L?exemple le plus cité est
justement le champ de production culturelle (avec son sous-champ de production
restreinte) où les artistes refusent de poursuivre une logique matérielle ou de
profit. Pour eux, la reconnaissance de leur oeuvre, l'autonomie par rapport à
l'influence commerciale, la liberté de pensée, sont plus importantes que
l'accumulation de capital économique par l'intermédiaire du succès commercial.
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Tableau ici
Si vous reprenez notre tableau sur le champ de production culturelle vous voyez
que l'axe vertical est la distribution du capital global. Ainsi, seuls ceux qui sont
détenteurs d'un certain volume de capital peuvent participer au champ du pouvoir,
tandis que ceux qui se trouvent en bas de l'échelle sociale sont exclus de la
participation. Les détenteurs du capital ont un capital global élevé. Sur l'axe
horizontal on trouve donc le poids relatif du capital économique et du capital
culturel. En général le capital économique a moins d?importance que le capital
culturel au sein du champ de production culturelle. On peut toutefois observer
l'existence d'une différenciation au sein même des différents champs de production
culturelle entre un sous-champ dominé par la logique de la recherche d'une
reconnaissance économique auprès d'un large public et un autre sous-champ
dominé par la logique de la recherche de reconnaissance purement artistique
auprès des paires. Dans le sous-champ de production restreinte, l'autonomie du
champ par rapport à l'influence économique est revendiquée par les agents tandis
que le capital économique a plus d?importance dans le sous-champ de grande
production. C'est-à-dire que ces agents sont moins attachés à l'indépendance de ce
champ.
Dans son livre sur la télévision Bourdieu exprime la même pensée par rapport au
champ journalistique (Sur la télévision, 83ss.): là on trouve également les agents "
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purs " et les agents " commerciaux ", " les producteurs les plus sensibles aux
séductions des pouvoirs économiques et politiques aux dépens des producteurs les
plus attachés à défendre les principes et les valeurs du " métier " (idem, 83). Ces
deux groupes sont divisés par des principes de reconnaissance différents : les " purs
" cherchent la reconnaissance des pairs tandis que les " commerciaux " cherche la
reconnaissance par le plus grand nombre, matérialisée dans le nombre d?entrées,
de lecteurs, d?auditeurs ou de spectateurs, donc le chiffre de vente (best-sellers)
et le profit en argent, la sanction du plébiscite étant inséparablement en ce cas
d'un verdict du marché " (idem. 84). On comprend donc que l'Etat peut jouer un
rôle importante pour l'autonomie d'un champ par l'intermédiaire des subsides.
En général on voit donc que Bourdieu construit ici toujours l'opposition entre deux
types d?intellectuels, deux types de journalistes qui agissent sur la base de leur
capital spécifique : à dominance culturelle ou à dominance économique. Les
actions proviennent de la position dans l'espace social qui forment certaines
dispositions envers l'un ou l'autre.
Ici la notion de l'homologie est un aspect additionnel qui a une grande importance
chez Bourdieu. L?homologie est une construction théorique intéressante qui
reprend d'une certaine manière l'idée de Marx sur la classe dominante et dominée
sans tomber dans le même piège substantialiste : on trouve dans la société à
travers les différents champs des agents avec des " dispositions " et des " intérêts "
semblables dans la mesure où l'on peut considérer qu'une prise de position dans un
champ est comparable à celle dans un autre champ si elle est situé sur le même
point. Cela veut dire que quelqu'un qui a une position dans le champ du pouvoir à
droite du champ économique peut avoir des intérêts, des dispositions, des goûts
comparables avec quelqu'un situé à une place homologue dans le champ politique
ou journalistique dans la mesure où la structure de leur capital se ressemble. On
retrouve les mêmes types de dispositions chez ces différents agents.
Pour comprendre ce que Bourdieu veut dire il nous donne un exemple à la page 54:
il parle ici de deux journalistes qui luttent au sein du champ journalistique. L?un
est journaliste au Nouvel Observateur, un journal de gauche, l'autre au Figaro, un
journal de droite.
La lutte pour le pouvoir au sein du champ journalistique entre ces deux journaux
est donc en même temps une lutte des lecteurs (gauche - droite) dans l'espace
social. On trouve dans le champ journalistique des distinctions semblables à celles
de la société. C'est cela l'homologie.
Je vous mets en garde contre l'erreur qui consisterait à considérer cette théorie de
l'homologie comme similaire à une théorie de la conspiration ou à une théorie de
classe. L?homologie est fondée sur la structure et c'est la structure qui pousse les
gens à agir comme ils le font. Il ne s'agit pas d'une action volontaire et consciente
allant dans un sens ou dans un autre. Les agents sociaux se concentrent sur " leurs
activités " déterminées par la logique de " leur " champ, c'est tout. Pour eux, ce qui
est déterminant avant tout c'est la lutte au sein d'un champ et non pas de plaire
aux lecteurs du journal.
respectifs. Lorsque le mandataire suit ses propres intérêts dans le champ politique
il représente en même temps, par homologie, les intérêts de ses mandants, parce
qu'il y a une "coincidence structurale" (Délégation: 53). "Les agents qui se
contentent d?obéir à ce que leur impose leur position dans le jeu, servent, eo ipso
et par surcroit, les gens dont ils se servent et qu'ils sont censés servir" (idem: 54).
La distinction entre droite et gauche dans le champ politique, dont les contenus
sont en principe interchangeables, entretient une relation d'homologie avec la
structure de différenciations sociales au sein de la société. Mais en principe, la
lutte pour le pouvoir ne découle/résulte pas du tout de la différenciation sociale au
sein de la société, mais de l' opposition des forces politiques autour des deux pôles
au sein du champ politique, et ceci afin d?améliorer sa propre position au sein de
ce champ.
"un capital ou une espèce de capital, c'est ce qui est efficient dans un
champ déterminé, à la fois en tant qu'arme et en tant qu'enjeu de lutte, ce
qui permet à son détenteur d?exercer un pouvoir, une influence, donc, d?
exister dans un champ déterminé, au lieu d?être une simple ? quantité
négligeable ?".
Le champs est un espace social caractérisé par des relations et des interactions
entre les acteurs (Elias !). La concurrence pour la domination lie les acteurs les uns
aux autres et la distribution du capital, la valeur du capital de chacun, la
hiérarchie des espèces de capital débouche sur une "configuration relationnelle"
tendanciellement en équilibre. Et la dynamique du jeu consiste en des acteurs
"augmentant ou conservant "leur capital, leurs jetons",conformément aux règles
tacites du jeu et aux nécessités de la reproduction et du jeu et des enjeux" (idem:
75). Cela n?a donc rien de statique: les règles peuvent changer parce que les
acteurs peuvent également lutter pour un changement des normes et des règles du
jeu afin d?améliorer leur position. Le champs est donc un espace social en
mouvement constant ou les positions des acteurs varient selon la valeur de leurs
"jetons" et leur habilité à utiliser leur pouvoir.
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théorie de Bourdieu, soit l'habitus. Le texte qui me semble le plus propice pour
discuter ces expression se trouve dans le livre " Raisons pratiques ", chapitre 5.
Bourdieu refuse l'idée que le champ est le lieu de la poursuite par des agents d'"
intérêts " définis uniquement selon la rationalité de but évoquée par Weber ou par
la théorie du choix rationnel. Rationalité n'est pas la notion qu'il faut utiliser pour
comprendre les actions des agents dans le champ. Rationalité exprime toujours
l'action ciblée, la réflexion sur l'usage des moyens pour arriver aux fins etc. Rien de
cela chez Bourdieu. il développe une conception de la participation des individus
dans les champs qui va dans la direction d'un " savoir agir sans réfléchir ", d'une
complicité entre les dispositions mentales des agents et la structure du champ à
travers un processus d?incorporation des structures objectives dans les structures
subjectives des individus. Le résultat en est le fameux habitus dont on va parler.
Bourdieu ne nous explique pas les mobiles exacts poussant les agents à participer
au jeu que représente le champ. Cela reste peut-être idiosyncratique. Mais une fois
que l'on est " dans le jeux ", si l'on entend donc " en être " - ce qui signifie " avoir de
l'intérêt pour " (p. 151) ? on doit faire preuve d'une attitude qui s?adapte aux règles
du jeu et qui prend " le jeu au sérieux " (idem). Une fois que l'on s'est " investi "
dans le jeu ? et c'est cela l' " illusio " - l'on est également " pris par le jeu ". Le fait
objectif qu'on a discuté est qu'il faut investir toujours et encore pour rester dans le
jeu. Au niveau subjectif, il faut ajouter que les agents développent également un
intérêt subjectif dans le jeu, c'est-à-dire une acceptation et une valorisation du
jeu. Il faut que la " libido biologique " des hommes et femmes se concentre
justement sur les enjeux des différents champs et se transforme en " libido sociale
" (idem, 153), orientée vers la logique et les enjeux spécifiques du champ. C'est
pourquoi les agents du champ de la noblesse cherchent à préserver et augmenter la
reconnaissance et l'honneur dont ils jouissent, les agents du champ économique le
profit en terme de capital économique et les scientifiques la re connaissance en
terme de publications. Ce sont les structures du champ qui dictent finalement ce
que les agents recherchent.
Bourdieu ne parle donc pas d?intérêt égoïste de chaque agent dans le jeu. : la
libido est transformable en des attitudes, v?ux et goûts différents selon le champ.
Ce qui se passe n'est donc pas une décision consciente : maintenant je vais faire
cela ou cela pour poursuivre tel ou tel but. Les agents sont pris par le jeu. Une
complicité en grande partie inconsciente se développe entre ce que les agents
veulent et ce qui la logique du champ exige d'eux pour survivre au sein du champ.
C'est ici une idée centrale de Bourdieu parce que les conséquences sont dès lors
d'une grande importance (idem, 151) : les agents investis dans le jeu développent
des structures mentales qui correspondent aux structures du champ. Si non ils ne
peuvent pas vraiment maîtriser le champ et arriver en haut du champ. Ce processus
de compréhension et d'incorporation des enjeux et des règles du champ transforme
également l'acteur mentalement et corporellement. Il fait dès lors partie du jeu
pour ainsi dire " corporellement ". Le jeu prend effectivement possession de lui. Et
une fois ce processus d?incorporation achevé, il y a une correspondance immédiate
entre structures objectives et dispositions mentales des agents. Le résultat en est
l'incapacité des agents à se mettre hors du jeu, à l'observer de l'extérieur, à
comprendre cette correspondance, cette " complicité ontologique ". Bourdieu le dit
comme suit.
" Les jeux sociaux sont des jeux qui se font oublier en tant que jeux et
l'illusio, c'est ce rapport enchanté à un jeu qui est le produit d'un rapport de
complicité ontologique entre les structures mentales et les structures
objectives de l'espace social. "(idem, 151)
C'est seulement à partir de ce moment que l'on a véritablement un " intérêt " dans
le jeu :
http://1libertaire.free.fr/BourdieuConcepts.html 12/25
3/2/2019 Cours sur les concepts de base de Pierre Bourdieu
" C'est ce que je voulais dire en parlant d?intérêt : vous trouvez importants,
intéressants, des jeux qui vous importent parce qu'ils ont été imposés et
importés dans votre tête, dans votre corps, sous la forme de ce que l'on
appelle le sens du jeu " (idem)
Une fois cette correspondance établie, le champ est stable en tant que champ
parce que les acteurs participant au jeu ont tous la même illusio : on joue, on
tente de changer les rapports de forces, on bouleverse les relations à l'intérieur du
champ sans forcément tenter d'en chager la logique. Même ceux qui veulent
révolutionner le champ doivent tout d?abord reconnaître les règles du jeu :
Avec ces explications on a presque déjà tout expliqué ce qu'il faut expliquer par
rapport à l'habitus. L?habitus n'est rien d?autre que cette correspondance entre
structure mentale et structure objective du champ. Il est le " sens pratique " qui
permet la " maîtrise pratique de la logique immanente " de chaque champ
(Représentation, 6), les " schèmes mentaux et corporels ". Ce sont les structures
cognitives qui nous permettent de percevoir le champ et notre rôle dans le champ.
Mais ce qui est important ici c'est que ces structures cognitives, cette matrice, ne
sont pas une faculté inhérente à l'espèce humaine (comme chez Kant), mais avant
tout une "disposition" qui est formée ou bien qui est fondée sur les structures
objectives d'un champ. Il y a une correspondance immédiate, dit Bourdieu, entre
les structures mentales, entre les dispositions des individus et la distribution des
ressources qui sont disponibles dans un champ, le jeu de pouvoir qui est basé sur la
distinction entre dominant et dominé. Plus un agent est doté d'un habitus en phase
avec, en adéquation avec, les règles du jeu à l'intérieur du champ, c'est-à-dire
également plus il sera doté en capital spécifique au champ, plus il sera en mesure
de percevoir adéquatement les enjeux et les ressources du champ et plus il sera
capable de se les approprier dans la mesure où il n'aura qu'à se "laisser porter par
son habitus" pour occuper les positions dominantes au sein du champ.
Bourdieu met l'accent sur le fait que la plupart de nos actions ne sont pas du tout
conscientes mais qu'elles sont engendrées par une disposition inconsciente: on ne
réfléchit pas, on ne calcule pas consciemment avant d'agir, mais on agit sur la base
de ce qu'on a appris. Et cette connaissance est l'accumulation de toutes les
expériences et de toutes les règles structurant le champ qui ont été intériorisées.
C'est l'expérience collective qui définit le savoir-faire et qui permet de comprendre
comment, par exemple, il faut se comporter pour accumuler du capital dans un
champ, pour se faire valoir etc.
"La soumission à l'ordre établi est le produit de l'accord entre les structures
cognitives que l'histoire collective et individuelle a inscrites dans les corps
et les structures objectives du monde auquel elles s?appliquent: l'évidence
des injonctions de l' Etat ne s?impose aussi puissamment que parce qu'il a
imposé les structures cognitives selon lesquelles il est perçu" (Raisons
Pratiques: 127).
J'aimerais terminer mon cours sur les notions de base chez Bourdieu on reprenant
une question qui a toujours joué un rôle important chez les autres auteurs : est-ce
que la vertu joue un rôle chez Bourdieu ? Il donne une réponse dans le même texte
que j'ai analysé jusqu'ici (164). Selon Bourdieu la réponse est facile : il est possible
d?arriver à la vertu si l'on crée des conditions sociales permettant l'émergence de
dispositions " au désintéressement ". Ici le structuralisme de Bourdieu se révèle.
Etant donné que les structures sont dans sa théorie le moteur causal, il est clair
qu'il faut changer (l'orientation de la poussée du) le moteur afin d'arriver à l'endroit
désiré.
La solution de Bourdieu est plus proche d?Aristote que de Weber. Pour Weber c'était
la décision de conscience du politicien (éthique de la responsabilité) qui pouvait
aboutir à un comportement vertueux. Chez Aristote ce sont les institutions et la
socialisation. Pour Bourdieu les structures sociales sont pourtant plus générales que
les institutions. Il ne parle presque jamais des institutions. C'est l'ensemble de la
logique du champ qu'il faudrait changer pour arriver à un habitus de "
désintéressement ".
Il faut distinguer le champ politique et l' Etat. Le champ politique est l'arène de
confrontation des élites politiques. L'Etat est la forme, l'institution centralisant les
moyens, le monopole de l'usage légitime de la violence physique et symbolique. On
peut voir que la conception de Bourdieu repose ici sur celle de Weber: Weber
définit l'Etat par les moyens dont il dispose (monopole de l'usage de la violence
physique légitime), moyens qui le distinguent de toutes les autres associations ou
organisations au sein de la société. Bourdieu ajoute simplement plus clairement
l'aspect de la légitimité à la définition de l'Etat, ce que Weber n'a pas fait:
Lutter pour le pouvoir politique c'est saisir le droit d?occuper une place favorisée
au sein de l'Etat et ainsi de disposer du "meta-capital" de l' Etat.
Bourdieu parle d'un "meta-capital" ou bien d'un "capital étatique". Son explication
de l'origine de l'Etat (Raison pratique 101-116) montre qu'il croit que le capital
étatique est un mélange de différentes espèces de capital constituant ainsi un
capital plus puissant que les autres, une sorte de "meta-capital" qui donne, je cite,
"pouvoir sur les autres espèces de capital" dans le champ du pouvoir, c'est-à-dire
http://1libertaire.free.fr/BourdieuConcepts.html 14/25
3/2/2019 Cours sur les concepts de base de Pierre Bourdieu
d?"exercer un pouvoir sur les différents champs et sur les différentes espèces
particulières de capital, notamment sur les taux de change entre elles (et, du
même coup, sur les rapports de force entre leurs détenteurs)". (109).
Ce passage est intéressant parce qu'il nous montre la valeur de la politique dans la
théorie de Bourdieu. Pour lui la politique ou bien l' Etat a une importance centrale
au sein de la société, comme pour Aristote, Hannah Arendt, Machiavel et Weber.
Bien sur, pour Marx aussi la politique était importante en tant que moyen d?
oppression. La politique est, comme dans toutes les approches conflictuelles et
critique, le centre du pouvoir dans la société. Bien qu'il y ait une différenciation de
la société en plusieurs champs qui suivent leur propres règles et qui ont une
certaine autonomie les uns vis-à-vis des autres, la politique a la force d?intervenir
et d?influencer les rapports de forces à l'intérieur de ces champs. C'est une
conception classique de la politique. Mais il est intéressant de constater que d?
autres théories de la différenciation défendent une autre opinion: la théorie
systémique de Talcott Parsons - on va la discuter - par exemple assigne une
fonction particulière au système politique qui est importante mais qui ne l'est pas
significativement plus que les autres fonctions remplies par les autres systèmes. De
même, pour Niklas luhmann la politique perd de l'importance dans notre société à
cause de l'indépendance croissante des autres systèmes. Malgré son orientation
vers la théorie de la différenciation l'approche de Bourdieu reste donc plutôt
Weberienne. Le résultat de l'approche de Bourdieu est naturellement que ? étant
donné le fort rôle du meta-capital politique dans la société la position des
détenteurs du capital politique est renforcé vis-à-vis les détenteurs des autres
capitaux. (il est intéressant de remarquer qu'il n?a pas choisi le capital politique
pour développer sa distinction horizontale, mais les capitaux culturels et
économiques)
Le capital étatique est, je l'ai dit, composé de plusieurs espèces de capital qui sont
progressivement monopolisés au cours du temps par l'Etat (Raison Pratiques).
Bourdieu n'a pas de théorie propre sur ce processus. Il fait référence à Weber et a
Norbert elias pour esquisser le processus historique de la naissance de l'Etat.
Bourdieu met seulement l?accent sur des aspects un peu différents de ce processus:
il utilise ainsi encore la notion de capital pour démontrer que la dynamique des
sociétés est caractérisée par la lutte pour les différentes formes de capital et il
souligne, dans le cas de l?Etat, l?importance du capital culturel ou plus
précisément du capital informationnel pour nous faire remarquer la fonction
idéologique de l'Etat. Ainsi le capital étatique est composé du capital financier,
militaire, culturel et juridique qui sont concentrés au niveau de l'Etat (le droit de
prélever des impôts; le monopole de la contrainte physique, l?organisation et le
contrôle du système scolaire et la juridiction qui, pour Bourdieu, fait partie du
monopole de l'Etat comme les écoles). Encore une fois: Bourdieu ne reprend pas l?
idée de Marx qui considère que l'Etat est l?instrument du capital. L'Etat, chez
Bourdieu est au centre de la société et c'est plutôt lui qui instrumentalise ou bien
influence les secteurs de la société comme pour Marx la classe dominante
instrumentalise l'Etat. Il utilise les écoles ainsi pour "faire croire en sa véracité et
en son autorité" (Répresentation politique: 14). C'est l?aspect de la légitimité, de la
violence symbolique. La violence symbolique consiste pour Bourdieu en l?ensemble
des processus " idéologiques " qui contribuent à l?acceptation des rapports de
domination par les citoyens, c'est-à-dire, les " instruments " symboliques qui
permettent de faire " croire " et de profiter d'un capital symbolique, " crédit fondé
sur la croyance et la reconnaissance " (Représentation politique : 14). Ce n'est
qu'une autre expression pour la légitimité.
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3/2/2019 Cours sur les concepts de base de Pierre Bourdieu
Eléments pour une théorie du champ politique" paru dans les Actes de la recherche
en sciences sociales, No. 36-37 de 1981.
Selon Bourdieu les mandants délèguent leur souveraineté aux mandataires qui sont
mieux à-même de réaliser les fins des mandants. Pourquoi sont-ils plus capables
que les profanes? Parce qu'ils disposent justement d'un capital (culturel, social,
économique, symbolique) qui procure l?accès au champ politique comme le temps
libre (comparer avec Weber: les journalistes, les avocats qui sont privilégies à
cause du temps libre dont ils disposent) ou le capital culturel: en effet, étant
donné que l?activité politique consiste surtout à s?engager dans des débats, d?avoir
une expérience et un savoir-faire de la discussion et de la persuasion, le capital
culturel est un atout nécessaire pour participer au processus politique. Ces deux
avantages - qu'on trouve donc également chez Weber dans le cas des journalistes et
des avocats qui disposent justement de ces caractéristiques - favorisent certains
groupes dans la société et en défavorisent d?autres. Il est clair que Bourdieu est en
bonne voie de développer ici une théorie élitiste: La politique est essentiellement
l'affaire d'un groupe limité d'individus au sein de la société. Le reste de la
population - ceux qui ne disposent pas de ces capitaux - deviennent des
"consommateurs" de la politique. Ce sont des "profanes" par opposition aux
"professionnels". La distinction sociale fondée sur les capitaux est donc à la base du
principe de la délégation et de la représentation.
Mais il faut rester prudent : Bourdieu n?a pas vraiment de théorie de la politique
qui prendrait en compte tous les éléments de celle-ci: Il parle ici seulement de la
démocratie représentative et pas des autres régimes. Ce qu'il explique est donc
limité et concerne le plus souvent la société française. En effet, Bourdieu ne porte
pas beaucoup d?attention aux autres pays ou à d'autres régimes. Il traite d'un type
de démocratie, la démocratie représentative. Bien sûr, celle-ci est assez répandue.
Sa première hypothèse est la suivante: cette forme de démocratie produit un
citoyen ressemblant à un "consommateur", qui semble incapable de gérer ses
propres affaires. Et cette distinction entre mandants et mandataires donne, bien
sur, du pouvoir aux mandataires. La délégation devient une forme de domination.
Ce que Bourdieu veut dire en fait avec sa théorie politique c'est que
Non, il n?y a que peu de place dans la théorie de Bourdieu pour les "intentions" et
la volonté des acteurs. Une grande part est déterminé par la structure et par l?
habitus: la délégation devient une forme de domination dans la mesure où c'est la
dynamique du champ politique qui force les acteurs à dominer.
6.2 Le champ politique est caractérisé par la lutte des mandataires pour la
reconnaissance des "profanes" et la recherche du pouvoir
6.3 Comment peut-on mobiliser le soutien des profanes pour accéder aux
postes politiques?
La domination est dépendante de la croyance qu'ont les mandants du fait que leurs
mandataires font tout pour eux. Une grande partie des activités politiques sont
ainsi concentrées sur la persuasion des citoyens, sur le "faire croire" (pouvoir
symbolique) Le mandataire reste dépendant des profanes parce que ce sont les
mandants, les électeurs, qui distribuent en partie les ressources, les postes, le
capital qu'on peut utiliser à l?intérieur du champ. Ces ressources sont les votes qui
décident de la participation au gouvernement ou non. Et le mandataire est
dépendant du mandant parce que sans le mandant sa fonction serait abolie. Sans
mandant pas de mandataire. Seule la délégation symbolique par les votes, légitime
le mandataire pour participer au jeu politique. La mobilisation des profanes
appartient donc au jeu politique et est même un fait primordial.
Et comment est-ce que l'on peut mobiliser le soutien des profanes? Il est étonnant
de constater que Bourdieu ne pense pas ici à ce que le gouvernement fait, au
succès ou aux échecs d'une politique publique par exemple. Il est si obsédé par sa
notion de domination qu'il ne peut pas s?imaginer que les citoyens soutiennent un
régime volontairement et consciemment parce qu'ils trouvent la performance du
gouvernement convaincante. Non, pour Bourdieu, la réponse est située ailleurs. Les
politiciens s?efforcent de rassembler les citoyens autour des idées qu'ils produisent.
Ce sont des idées en tant que pouvoir symbolique qui contribuent à la
différenciation entre dominants et dominés au sein du champ politique. Les partis
qui produisent des idées qui mobilisent leurs militants et leurs électeurs de
manière suffisante décident de la distribution du pouvoir au sein de la politique.
Mais ce qu'il faut observer encore une fois ici c'est que cet usage du pouvoir
symbolique, des stratégies de mobilisation, n'est pas un acte d'une élite qui se
moquerait des citoyens et qui jouerait ainsi un jeu cynique avec les citoyens. Non,
c'est encore le jeu, la logique du champ, qui force les politiciens à développer la
"production idéologique", parce qu'elle est une arme pour lutter au sein du champ
politique. Derrière toute action politique on trouve chez Bourdieu la contrainte qui
est celle d?augmenter le capital propre pour pouvoir s'imposer dans la lutte interne
au champ politique. La mobilisation des masses est un moyen indispensable pour le
faire. Et les idées sont un moyen indispensables pour mobiliser les masses. C'est
pourquoi les politiciens sont contraints d?utiliser des idées, de la rhétorique. Mais il
est clair que, en même temps, ces idées garantissent la croyance en la légitimité
des mandataires et en la justification de ce qu'ils font. C'est là justement le
présupposé de la mobilisation: il faut croire, il faut avoir confiance en le
mandataire, pour lui donner sa voix au moment des élections. Et les idées ont la
force de convaincre les citoyens.
Dans un autre texte (Raisons Pratiques: 116), Bourdieu explique cet aspect du
pouvoir symbolique, de la légitimité produite par la rhétorique et par les idées
politiques à partir de l'exemple central de l'Etat. Il parle de l'Etat en général qui a
gagné du pouvoir sur le "marché culturel" à travers sa gestion des écoles. Au moyen
des écoles publiques étatiques l'Etat a le pouvoir de façonner les "structures
http://1libertaire.free.fr/BourdieuConcepts.html 17/25
3/2/2019 Cours sur les concepts de base de Pierre Bourdieu
Jusqu'ici on n'a pas parlé - et cela sera ma dernière remarque - du rôle des partis
qui sont mentionnés à plusieurs reprises par Bourdieu. Il n'est pas si important de
discuter plus particulièrement la question des partis chez Bourdieu parce ses idées
suivent presque intégralement celles de Weber: Il est très important d?avoir des
partis parce qu'ils stabilisent le capital politique et la croyance. La croyance des
mandataires est en principe liée à une personne et est appelée à disparaître avec
la disparition de cette personne. Comme on peut l'imaginer, ce n'est pas là une
situation qui permet une domination durable. C'est ainsi que l?institutionnalisation
de cette croyance dans une organisation aide à stabiliser la domination. Le parti
reçoit un pouvoir symbolique général qui perdure même si l'on remplace les
personnes. Avec l'apparition des partis, le pouvoir symbolique attaché à la
délégation du mandant au mandataire se concentre sur les partis. Et ce sont ces
partis qui après délèguent ce capital aux politiciens sous la forme de postes. Les
partis sont des "appareils de mobilisation", plus puissants que le politicien
individuel. Et le processus de développement des "fonctionnaires de parti"
mentionné par Weber est également décrit par Bourdieu:
Donc, les politiciens ne sont plus des mandataires directs, ils n'ont plus la fonction
de maintenir la confiance des citoyens. C'est maintenant le parti qui jouit de la
croyance des citoyens et qui est responsable pour son maintien. Le politicien ne
reçoit qu'un "capital délégué" par le parti, sous forme de postes ainsi que l'ordre d?
entreprendre tout ce qui est dans l?intérêt du parti. Mais - encore une fois - ce sont
des idées que Weber a déjà développées et que Bourdieu reprend.
7 Conclusion
Bourdieu a développé une théorie assez complexe et riche. C'est surtout une
théorie globale de la société. La politique joue un rôle important, mais il est clair
que Bourdieu n'a pas consacré beaucoup de temps à l'élaboration d'une véritable
théorie de la politique qui renferme tous les aspects de la vie politique. C'est peut-
être là déjà un premier point de critique: ce qui manque évidement dans l?
explication c'est le rôle des institutionspolitiques ou, de manière plus générale,
une discussion du rôle des institutions dans la politique. Bourdieu explique les
origines de l' Etat comme un processus de concentration des espèces de capital, il
insiste sur la fonction unifiante de la violence symbolique à travers les écoles et il
explique la configuration du mandat. Celle-ci est certainement importante dans les
démocraties représentatives mais elle n'est qu'une partie des relations possibles
entre Etat et société. Il ne discute pas, par exemple, de l?output du système
politique, des problèmes qui en découlent, et leur importance pour la légitimité de
l' Etat. Son attention est focalisée sur l?input, le processus de la formation d'une
volonté politique et sur la manière d?influencer le soutien des citoyens au moyen
de la production des images et des stratégies rhétoriques. Si l'on se rapporte à une
distinction fameuses de la légitimité de David Easton, entre le soutien spécifique et
le soutien diffus, Bourdieu traite du dernier et pas du tout du premier. Ce sont les
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Il est donc sélectif par rapport à la relation entre Etat et société et il est sélectif
par rapport aux objets d?analyse: ce sont les acteurs, leur capital, les idées et le
pouvoir qui jouent un rôle dans la théorie de Bourdieu. Les institutions figurent
comme des facteurs dépendants comme, par exemple, les écoles. Bourdieu ne
distingue pas de régimes politiques qui institutionnaliseraient d?autres formes de
domination, ni ne fait de distinctions entre les différents systèmes politiques
démocratiques qu'on connaît. Cela est bien compréhensible, dans la mesure où son
niveau d?abstraction est d'un côté, relativement limité, puisqu'il ne parle que de la
démocratie qu'il connaît le mieux, c'est-à-dire la France, et qu'il est, d'un autre
côté, beaucoup plus élevé puisqu'il ne s?intéresse pas du tout aux effets des
différentes institutions, mais essentiellement à la question de la domination en
général. Et dans ce cas, des différences entre institutions telles que, par exemple,
le présidentialisme, le semi-présidentialisme et le parlementarisme, la
participation des associations dans le processus législatif, la structure du système
partisan, etc., ne sont que des conditions "secondaires" de l'analyse du jeu de
pouvoir.
Ces institutions ne changent rien au fait que le mécanisme politique est avant tout
une aliénation et une domination de la politique sur les "profanes". Mais cette
décision théorique n'est pas sans conséquence puisqu'elle ne permet pas de voir
que des institutions différentes produisent souvent des résultats différents quant à
la relation entre politiciens/partis et citoyens et qu'elles sont susceptibles de
certainement restreindre la possibilité d'aliénation des politiciens face à leur base.
Un bon exemple peut être ici la Suisse avec sa démocratie directe et son système
de milice. Dans ce cas, l'on n'évite pas non plus la création d'une classe politique
mais cette classe politique est moins détachée du citoyen et moins une classe
politique en soi : les membres de la classe politique changent souvent. Le
mécanisme de l?investissement et de la rentabilité ainsi que de l?habitus semble
d'être moins important en Suisse.
Donc, ce que je veux dire ici, c'est que Bourdieu néglige la volonté des
mandataires, leurs possibilités de se soustraire du jeu de pouvoir et la liaison
souvent étroite entre mandataires et mandants.
Une théorie que je trouve plus convaincante est l?approche de March et Olsen
(1984) qui distingue entre un comportement de routine (et cela va dans la direction
de Bourdieu), d'un comportement rationnel: les acteurs décident, en fonction des
situations, à l?aide d'une réflexion sur l?efficacité de leurs actions etc. Bourdieu
veut en tout cas éviter la supposition d'une tel décision rationnelle. Pour lui les
hommes et femmes ne sont pas calculateurs. Mais en niant cette possibilité il prive
les hommes et femmes de la possibilité de développer une certaine autonomie vis-
à-vis des structures contraignantes. Dans sa théorie les hommes et femmes agissent
en tant que marionnettes des structures existantes. On termine chez Bourdieu avec
un monde qui est " over-socialised ".
Dernière remarque: Je trouve que Bourdieu annonce un monde assez triste et une
théorie assez pessimiste. Il met l?accent sur les faiblesses de la structure
capitaliste et les rapports de forces qui aboutissent à n?en pas douter à des
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inégalités quant au pouvoir social et politique. Il révèle très bien que le pouvoir
peut exister dans le monde sans que nous soyons conscients de ce fait. Mais il est
trop négatif, je trouve, quant aux possibilités de changer le monde. Si l'on ne
partage pas son structuralisme on peut découvrir des acteurs sociaux qui sont tout
à fait capables et à mêmes d?influencer le processus politique et de changer ces
inégalités. L' Etat et la politique restent chez lui des facteurs très importants dans
la société. Pour lui ils sont des facteurs qui contribuent à la domination et à l?
oppression. Comme Karl Marx, il sous-estime les possibilités des groupes dominés d?
utiliser l'Etat et la politique afin de contribuer également à l'émergence d'un
monde acceptable et paisible.
8. GLOSSAIRE
Capital (social):
"Le capital social est la somme des ressources, actuelles ou virtuelles, qui
reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu'il possède un réseau durable de
relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles plus ou moins
institutionnalisées, c'est-à-dire la somme des capitaux et des pouvoirs qu'un tel
réseau permet de mobiliser. Il faut admettre que le capital peut prendre un
diversité de formes si l'on veut expliquer la structure et la dynamique des sociétés
différenciées". (Réponses, p.95)
"En fait, ce que l'on rencontre concrètement [lorsque l'on analyse ce que l'on
appelle l'"Etat"], c'est un ensemble de champs bureaucratiques ou administratifs à
l'intérieur desquels des agents ou des groupes d'agents gouvernementaux ou non-
gouvernementaux luttent en personne ou par procuration pour cette forme
particulière de pouvoir qu'est le pouvoir de régler une sphère particulière de
pratiques (...) par des lois, des règlements, des mesures administratives
(subventions, autorisations, etc.), bref, tout ce qu'on met sous le nom de politique
(policy). L'Etat serait ainsi, si l'on veut garder à tout prix cette désignation, un
ensemble de champs de forces où se déroulent des luttes ayant pour enjeu (en
corrigeant la formule célèbre de Max Weber) le monopole de la violence
symbolique légitime: le pouvoir de constituer et d'imposer comme universel et
universellement applicable dans le ressort d'une nation, c'est-à-dire dans les
limites des frontières d'un pays, un ensemble commun de normes coercitives. (...)
La notion d'Etat n'a de sens que comme désignation sténographique (mais à ce titre
très dangereuse) de ces relations objectives entre des positions de pouvoir (de
différents types) qui peuvent s'inscrire dans des réseaux (networks) plus ou moins
stables (d'alliance, de clientèle, etc.) et de manifester dans des interactions
phénoménalement très différentes allant du conflit ouvert à la collusion plus ou
moins dissimulée" (Réponses, pp.86-87).
Capital symbolique
"(...) idée que les luttes pour la reconnaissance sont une dimension fondamentale
de la vie sociale et qu'elles ont pour enjeu l'accumulation d'une forme particulière
de capital, l'honneur au sens de réputation, de prestige, et qu'il y a donc une
logique spécifique de l'accumulation du capital symbolique comme capital fondé
sur connaissance et la reconnaissance (...). (Choses dites, p.33)
"forme que revêtent les différentes espèces de capital lorsqu'elles sont perçues et
reconnues comme légitimes" (Choses dites, p.152).
"Le capital symbolique n'est pas autre chose que le capital économique et culturel
lorsqu'il est connu et reconnu, lorsqu'il est connu selon les catégories de perception
qu'il impose (...)" Choses dites, p.160).
"Le capital symbolique, c'est n'importe quelle propriété (n'importe quelle espèce de
capital, physique, économique, culturel, social) lorsqu'elle est perçue par des
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agents sociaux dont les catégories de perception sont telles qu'ils sont en mesure
de la connaître (de l'apercevoir) et de la reconnaître, de lui accorder valeur"
(Raisons pratiques, p.116).
Champ:
"En termes analytiques, un champ peut être défini comme un réseau ou une
configuration de relations objectives entre des positions. Ces positions sont définies
objectivement dans leur existence et dans les déterminations qu'elles imposent à
leurs occupants, agents ou institutions, par leur situation actuelle et potentielle
dans la structure de la distribution des différentes espèces de pouvoir (ou de
capital) dont la possession commande l'accès aux profits spécifiques qui sont en jeu
dans le champ et, du même coup, par leurs relations objectives aux autres
positions (domination, subordination, homologie, etc.). Dans les sociétés
hautement différenciées, le cosmos social est constitué de l'ensemble de ces
microcosmes sociaux relativement autonomes, espaces de relations objectives qui
sont le lieu d'une logique et d'une nécessité spécifiques et irréductibles à celles qui
régissent les autres champs". (...) On peut comparer le champ à un jeu (bien que, à
la différence d'un jeu, il ne soit pas le produit d'une création délibérée et qu'il
obéisse à des règles ou, mieux, des régularités qui ne sont pas explicitées et
codifiées). On a ainsi des enjeux qui sont, pour l'essentiel, le produit de la
compétition entre les joueurs; un investissement dans le jeu, illusio: les joueurs
sont pris au jeu, ils ne s'opposent, parfois férocement, que parce qu'ils ont en
commun d'accorder au jeu, et aux enjeux, une croyance (doxa), une
reconnaissance, qui échappe à la mise en question (les joueurs acceptent, par le
fait de jouer le jeu, et non par un "contrat", que le jeu vaut la peine d'être joué,
que le jeu en vaut la chandelle) et cette collusion est au principe de leur
compétition et de leurs conflits". (Réponses, pp.72-73)
Classes:
"(...) l'erreur théoriciste que l'on trouve chez Marx consisterait à traiter les classes
sur le papier comme des classes réelles, à conclure de l'homogénéité objective des
conditions, des conditionnements, donc des dispositions, qui découlent de l'identité
de position dans l'espace social, à l'existence en tant que groupe unifié, en tant
que classe. La notion d'espace social permet d'échapper à l'alternative du
nominalisme et du réalisme en matière de classes sociales: le travail politique
destiné à produire des classes sociales en tant que corporate bodies, groupes
permanents, dotés d'organes permanents de représentation, de sigles, etc. a
d'autant plus de chances de réussir que les agents qu'il veut rassembler, unifier,
constituer en groupe, sont plus proches dans l'espace social (donc appartiennent à
la même classe sur le papier)" (Choses dites, pp.133-4).
"Le titre même de l'ouvrage [La Distinction] est là pour rappeler que ce que l'on
appelle communément distinction, c'est-à-dire une certaine qualité, le plus
souvent considérée comme innée (on parle de distinction naturelle), du maintien et
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des manières, n'est en fait que différence, écart, trait distinctif, bref, propriété
relationnelle qui n'existe que dans et par la relation avec d'autres propriétés.
L'espace social est construit de telle manière que les agents ou les groupes y sont
distribués en fonction de leur position dans les distributions statistiques selon les
deux principes de différenciation qui, dans les sociétés les plus avancées, comme
les Etats-Unis, le Japon ou la France, sont sans nul doute les plus efficients, le
capital économique et le capital culturel. Il s'ensuit que les agents ont d'autant plus
en commun qu'ils sont plus proches dans ces deux dimensions et d'autant moins
qu'ils sont plus éloignés." (Raisons pratiques, p.20).
Habitus:
"Une des fonctions de la notion d'habitus est de rendre compte de l'unité de style
qui unit les pratiques et les biens d'un agent singulier ou d'une classe d'agents (...).
L'habitus est ce principe générateur et unificateur qui retraduit les caractéristiques
intrinsèques et relationnelles d'une position en un style de vie unitaire, c'est-à-dire
un ensemble unitaire de choix de personnes, de biens, de pratiques.
Comme les positions dont ils sont le produit, les habitus sont différenciés; mais ils
sont aussi différenciants. Distincts, distingués, ils sont aussi opérateurs de
distinction: ils mettent en oeuvre des principes de différenciation différents ou
utilisent différemment les principes de différenciation communs.
Homologie structurale
Illusio:
"J'ai introduit la notion d'intérêt en m'appuyant sur weber qui utilisait le modèle
économique pour découvrir les intérêts spécifiques des grands protagonistes du jeu
religieux, prêtres, prophètes et sorciers. Je préfère utiliser aujourd'hui utiliser le
terme illusio puisque je parle toujours d'intérêts spécifiques qui sont à la fois
présupposés et produits par le fonctionnement de champs historiquement
délimités. (...) Pour comprendre la notion d'intérêt, il faut voir qu'elle est opposée
non seulement à celle de désintéressement ou de gratuité, mais également à celle
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3/2/2019 Cours sur les concepts de base de Pierre Bourdieu
d'indifférence. (...) L'illusio est l'opposé de l'ataraxie: c'est le fait d'être investi,
pris dans le jeu et par le jeu. Etre intéressé, c'est accorder à un jeu social
déterminé que ce qui y survient a un sens, que ses enjeux sont importants et dignes
d'être poursuivis" (Réponses, pp.91-2).
Libido
"Libido serait aussi tout à fait pertinent pour dire ce que j'ai appelé illusio, ou
investissement. Chaque champ impose un droit d'entrée tacite: "Que nul n'entre ici
s'il n'est géomètre", c'est-à-dire que nul n'entre ici s'il n'est prêt à mourir pour un
théorème. (...) Il y a autant d'espèces de libido qu'il y a de champs: le travail de
socialisation de la libido étant précisément ce qui transforme les pulsions en
intérêts spécifiques, intérêts socialement constitués qui n'existent qu'en relation
avec un espace social au sein duquel certaines choses sont importantes et d'autres
indifférentes (...). (Raisons pratiques, p.153)
Violence symbolique:
"La violence symbolique, c'est cette violence qui extorque des soumissions qui ne
sont même pas perçues comme telles en s'appuyant sur des "attentes collectives",
des croyances socialement inculquées. Comme la théorie de la magie, la théorie de
la violence symbolique repose sur une théorie de la croyance ou, mieux, sur une
théorie de la production de la croyance, du travail de socialisation nécessaire pour
produire des agents dotés des schèmes de perception et d'appréciation qui leur
permettront de percevoir les injonctions inscrites dans une situation ou dans un
discours et de leur obéir" (Raisons pratiques, p.190).
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